La collection de coléoptères
Au Muséum national d’Histoire naturelle
p. 53-73
Texte intégral
1Ce chapitre est divisé en deux parties. La première examinera les modalités d’entrée des coléoptères dans l’ancien laboratoire d’Entomologie du Muséum national d’Histoire naturelle, ainsi que la façon dont ils y sont gérés. La seconde étudiera plus en détail, période par période, l’accroissement progressif de la collection, par le jeu des différents modes d’entrée des spécimens : actions des membres du laboratoire (récoltes, déterminations) ; activités des voyageurs du Muséum et autres chargés de missions ; apports des entomologistes extérieurs au laboratoire (dons, échanges, ventes). Une catégorie particulière d’objets entrant au laboratoire est celle des collections particulières, d’amateurs ou de spécialistes, acquises en totalité ou en partie, par don ou legs, dation ou vente. Bien que les effectifs soient difficiles à évaluer, on peut penser que la moitié au moins de la collection actuelle de coléoptères du laboratoire provient des collections particulières. Dans le présent chapitre, on se contentera de mentionner les collections les plus importantes à leur ordre chronologique ; le cinquième chapitre de cet ouvrage en donnera la liste exhaustive, sous la forme d’une prosopographie des coléoptéristes, amateurs ou professionnels.
Entrée au laboratoire
2L’entrée des matériaux au laboratoire d’Entomologie peut se faire de plusieurs façons : par l’activité propre du personnel du laboratoire ; par celle des “voyageurs” du Muséum ; par des dons, achats et échanges. Dans tous les cas, les entrées sont en principe dûment enregistrées dans des répertoires ad hoc. Le nombre d’objets – ici celui des spécimens entomologiques – est très variable suivant les entrées (il n’est d’ailleurs pas toujours indiqué sur les registres, surtout s’il est élevé). Il va d’un spécimen unique (exemplaire remarquable, donné, vendu ou échangé) à plusieurs milliers, voire centaines de milliers dans le cas des grandes collections. On peut se demander où finit le “lot” de spécimens et où commence la collection. En principe, une collection d’insectes forme un tout, un ensemble homogène, composé d’un certain nombre de spécimens dûment préparés et étiquetés, le plus souvent ordonnés suivant la classification systématique et disposés dans des boîtes spéciales. Dans le présent ouvrage, on a essayé d’évoquer toutes les collections conservées au laboratoire d’Entomologie ; mais on n’a pas pris en compte les milliers de “lots” portés sur les registres. Un exemple fera comprendre les nombres relatifs de ces deux catégories. Entre 1963 et 2003, environ 500 lots comportant des coléoptères sont entrés au laboratoire d’Entomologie. Seuls 40 peuvent être considérés comme des collections authentiques. On voit donc que ces dernières ne représentent que 8 % du total des entrées. On voit aussi qu’il est entré au laboratoire, durant cette période, en moyenne une collection par an.
Activité propre du personnel du laboratoire
3Contrairement à une idée reçue, il n’est pas interdit aux employés du Muséum de faire des collections personnelles. C’est pourquoi Audouin*, dans sa lettre à Silbermann de 1835, insiste sur le fait que ni lui-même ni aucun des membres de son laboratoire ne possède de collection1. En réalité, plusieurs membres du personnel du laboratoire d’Entomologie sont connus pour avoir possédé des collections (qu’ils avaient le plus souvent formées eux-mêmes) ; mais elles semblent toutes avoir été déposées, à terme, au laboratoire. Plusieurs cas de figures se sont présentés. René Jeannel*, par exemple, a déposé sa collection en 1931, quand il a rejoint le laboratoire. Renaud Paulian* a déposé la sienne lors de son départ, en 1947. Enfin, André Villiers* et Guy Colas* ont conservé leurs collections toute leur vie ; mais ils avaient pris des dispositions pour qu’elles rejoignent le laboratoire après leur mort, et c’est ce qui fut fait. Lorsque les membres du personnel ne constituent pas de collections, cela ne les empêche pas d’effectuer des récoltes, soit lors de missions organisées dans le cadre de l’activité du laboratoire, soit même lors de leurs vacances privées. Dans les deux cas, ces récoltes viennent enrichir les collections du laboratoire. En principe, elles doivent être portées sur les registres d’entrées.
4Une autre activité qui enrichit les collections du laboratoire est celle d’identification (ou détermination). Tout spécialiste dont la compétence est reconnue se voit confier des matériaux à déterminer par les musées ou les collectionneurs privés. L’usage est qu’il puisse conserver un tiers des spécimens en dédommagement de son travail. Lorsque le spécialiste est un membre du laboratoire, les spécimens qu’il a ainsi acquis viennent enrichir la collection nationale.
Les voyageurs du Muséum
5Une catégorie particulière d’agents, qui ne font pas réellement partie du personnel du Muséum, est représentée par les “voyageurs-naturalistes”, que l’établissement envoyait en missions d’études dans les pays lointains. Nous avons déjà vu que certains voyageurs, au XIXe siècle, s’étaient spécialisés dans la récolte des insectes. Certains s’entendaient par avance avec l’administration du Muséum pour financer leurs voyages, en totalité ou en partie. En principe, le voyageur devait alors réserver à l’établissement la totalité de ses récoltes zoologiques ou botaniques. Le roman de Maurice Maindron* L’Arbre de science, publié en 1906, fournit quelques informations sur ces personnages peu connus, et dont l’histoire est encore à écrire. Le héros du roman, Médéric Bonnereau (anagramme partiel de Maurice Maindron), et son ami Lucien de Saint-Pol2, sont tous deux des voyageurs du Muséum. Un motif récurrent du roman est la reconnaissance insuffisante que recevaient les voyageurs de la part du Muséum, voire la désinvolture avec laquelle le personnel de ce dernier traitait parfois leurs travaux et leurs récoltes3. Alphonse Milne-Edwards (1835-1900)4 semble s’être préoccupé du statut des voyageurs du Muséum : dans un autre de ses ouvrages, Maindron lui rend hommage pour avoir tenu leur livre d’or “avec un ordre et une économie en tous points admirables”5. Le mot “économie” paraît ironique, et de fait les problèmes financiers semblent avoir été l’une des principales causes de discorde entre les voyageurs et le Muséum, ce dernier réglant ses dépenses avec la lenteur propre à l’administration, ce qui pouvait causer des difficultés à des personnes aux revenus incertains et généralement peu élevés. Quoi qu’il en soit, l’immense majorité des matériaux envoyés au laboratoire d’Entomologie par les voyageurs ne constituent pas des collections au sens où l’on utilisera ce mot ici. Mais certains voyageurs ont été également des collectionneurs, comme Maindron, déjà cité ; réciproquement, un certain nombre de collectionneurs se sont mués en voyageurs, pour aller récolter dans les pays lointains les objets de leur passion. Il a pu leur arriver alors de vendre une partie de leurs récoltes pour financer leurs voyages.
Lettre de Maurice Maindron à Charles Brongniart1
[En 1893, Maindron avait été chargé par le Muséum d’une mission à “Obock” (aujourd’hui République de Djibouti) dans le but d’en ramener des spécimens zoologiques, et spécialement des insectes. Il rend compte du déroulement de sa mission dans cette lettre à Charles Brongniart*, où il dissimule autant qu’il peut l’antipathie qu’il éprouvait pour celui-ci.]
Colonie d’Obock, 11 Avril 1893
Serez-vous content de moi, cher Monsieur, et trouverai-je grâce devant les grands chefs du Muséum ?2 C’est ce que je me demande avec quelque angoisse en expédiant aujourd’hui pour Paris les collections que j’ai formées aux environs d’Obock. Il y a beaucoup d’insectes piqués, en papillotes, dans la sciure, dans l’alcool et notamment des séries d’orthoptères en conserves, car je sais que vous en êtes friand3. Énormément d’Araignées sont dans des tubes pour la future délectation de M. Simon4, et M. Bedel5 prendra plaisir, j’espère, à examiner les quelque trois ou quatre mille coléoptères que j’ai récoltés. Je continue naturellement à me remettre à chasser et déjà j’ai des tubes pleins que je vous enverrai plus tard.
En tous cas voici ce dont j’ai l’honneur de vous aviser officiellement. Les collections contenues dans mon envoi sont tout ce que j’ai ramassé ici, je n’ai gardé par devers moi aucun objet, aucune collection particulière, de quelque nature que ce soit. Vous me ferez grand plaisir en avisant de cela M. Edwards6 et M. Blanchard en leur adressant tous mes remerciements pour la bienveillance qu’ils m’ont montrée. Quant à vous, je sais, plus que vous ne le croyez, tout ce que je vous dois en ce qui concerne ma mise en route et je vous en garderai toujours une grande amitié. Car il vous a fallu du courage et de l’habileté pour me défendre.
Vous me ferez grand plaisir en m’écrivant ce que vous pensez de mes collections, et en attendant de vos nouvelles je vais aller en ramasser d’autres à D’Jibouti et alentours et j’espère que vous serez satisfait. M. Edwards, à qui j’écris aujourd’hui, est maintenant le maître de mes destinées et je n’ai malheureusement pu encore rien lui récolter d’intéressant, je le crains. Car devant tout faire par moi-même, chasser, empailler, préparer etc., je n’ai pu donner aux vertébrés la même importance qu’à l’Entomologie et c’est à elle que je me suis consacré. Entre temps j’ai empaillé des requins et autres volailles, dont un squale marteau de deux mètres que j’envoie ici en un cercueil avec des aromates comme une momie égyptienne. Une partie de mes collections doit être donnée à l’Exposition des Colonies7, vous serez avisé de cette affaire et serez, sans doute, assez aimable pour donner à ce Musée des crabes, scorpions, gros buprestes et quelques sauterelles autant que possible déterminés. […]
P.S. Ne vous étonnez pas du peu de papillons, ils sont ici peu nombreux jusqu’à ce jour, et dans les gommiers et acacias épineux ils se déchirent les ailes misérablement jusqu’à ressembler à des loques volantes. Peu de libellules, peu de diptères. Mais il y a à faire avec les coléoptères et je vais me remettre à leurs trousses dès demain matin.
Dons
6De nombreux voyageurs ont parcouru le monde, dans les années 1850-1950, en mission officielle de l’État français, ou au moins partiellement soutenue par lui. Dans ce cas, il était convenu que toutes les récoltes d’histoire naturelle étaient déposées dans les collections nationales. Un exemple remarquable est celui de la mission C. de Bonchamps, envoyée en Éthiopie pour faire la jonction par l’est avec la mission du capitaine Marchand, qui gagnait le Nil depuis l’ouest6. Deux des membres de la mission, Charles Michel et le dessinateur Maurice Potter, avaient prévu d’effectuer des récoltes d’insectes au cours de leur voyage. De fait, les deux hommes récoltèrent une quantité d’insectes, qu’ils déposèrent au laboratoire d’Entomologie. Charles Michel, qui rédigea et publia le compte-rendu de la mission, demanda au professeur Bouvier un chapitre sur ces récoltes, et le joignit en appendice à son ouvrage7. Bouvier lui-même pria ses collaborateurs de rédiger une partie de ce chapitre. Dans le paragraphe qu’il écrivit sur les coléoptères, Pierre Lesne établit un genre de la famille des Scarabaeidae, dont la citation formelle est rendue complexe par cette publication inhabituelle (Cyptochirus Lesne, dans Bouvier, dans Michel, 19008). Pendant tout le XIXe et le XXe siècle, de très nombreux explorateurs, chasseurs, colons, religieux missionnaires et autres voyageurs ont ainsi déposé au laboratoire d’Entomologie les insectes qu’ils récoltaient. Les dons les plus intéressants étaient ceux provenant des naturalistes, voire des entomologistes, qui accompagnaient les grandes missions, mais même quelques insectes pouvaient présenter de l’intérêt. Parmi les rares spécimens recueillis par Savorgnan de Brazza en 1881, un coléoptère coprophage représentait une espèce nouvelle qui n’a été décrite qu’en 19679 ! Les collectionneurs de Paris, voire des autres villes de France, offraient régulièrement des exemplaires intéressants, qu’ils s’étaient procurés par leurs propres récoltes ou qu’ils avaient reçus de voyageurs lointains.
7Un cas particulier de don est celui de collections entières, déposées par les entomologistes ou leurs familles, au terme de toute une vie de recherche et d’accumulation de matériaux. Toutes les collections données (ou léguées) au laboratoire sont reprises dans le dernier chapitre de cet ouvrage, mais on en trouvera une liste dans l’Annexe 1. Même si chacune a sa propre physionomie, on peut distinguer plusieurs groupes. Il y a d’abord les collections générales, sans spécialisation systématique. Parmi celles-ci, seules les plus importantes, ou celles qui concernent une aire géographique déterminée, notamment si cette dernière est en général mal représentée, ont un intérêt significatif10. Un deuxième ensemble est celui des collections de spécialistes. On comprend facilement en quoi ces collections sont les plus intéressantes : outre l’exactitude des identifications des spécimens qu’elles contiennent, ces collections sont généralement très riches pour les groupes considérés, du fait des identifications effectuées par le spécialiste et des “doubles” qu’il a pu conserver. Enfin, les collections des spécialistes peuvent aussi renfermer des “types”, les exemplaires de référence des espèces décrites, ce qui augmente encore leur valeur scientifique11.
8Enfin, les grands musées d’Histoire naturelle pratiquent les dons réciproques (qui peuvent alors s’assimiler à des échanges). Il ne s’agit normalement que de quelques exemplaires, qui sont offerts personnellement d’un spécialiste à un autre. Plus rarement, le don est d’une certaine importance. Deux exemples remarquables (qui montrent en même temps le caractère exceptionnel de ces pratiques) : en 1912, le musée de Stockholm a offert au Muséum douze boîtes d’insectes provenant du voyage de M. Sjöstedt au Kilimandjaro ; en 1973, le Musée royal de l’Afrique centrale (Tervuren) offrit une collection d’insectes de l’île Sainte-Hélène (dont 1 200 coléoptères).
Achats
9Le laboratoire d’Entomologie a toujours effectué des achats d’insectes. Avant 1914, et même jusqu’en 1939, les marchands-naturalistes français et étrangers lui envoyaient leurs catalogues et le sollicitaient régulièrement lorsqu’ils recevaient des spécimens intéressants. En feuilletant les registres d’entrées, on note une augmentation des achats, tous les ans, à la fin de l’année : il fallait sans doute épuiser les crédits annuels avant d’engager l’exercice de l’année suivante. Outre les spécimens, séries ou chasses, le laboratoire a également pu parfois acquérir certaines collections, notamment Chobaut* (1942), Fairmaire* (1906-1908), Gorham* (1911), Jarrige* (1977), Kerremans* (1922), Oberthür* (1952), Raffray* (1917-1920), Ruter* (1979). En principe, et du fait de la limitation des crédits, ne sont acquises que les collections présentant un intérêt exceptionnel. L’acquisition la plus importante a été celle de la collection de René Oberthür, pour laquelle René Jeannel s’est personnellement et largement impliqué. Il ne voulait pas renouveler la fausse manœuvre du Muséum, lors de la vente de la collection Dejean*, dans les années 1840, où il fut impossible de réunir les 50 000 francs demandés. Les transactions avec la famille Oberthür durèrent des années, mais un accord fut trouvé et la collection entra au laboratoire à la fin de 1952. Un cas différent de l’achat, mais qui suppose aussi une cession de la part de l’État, est celui de la “dation”. Dans ce dispositif, le montant de l’acquisition par l’État est déduit des frais de succession. Dans ce cas, les dépenses ne sont pas prises sur le budget propre de l’établissement. Un exemple de dation fut celui de la collection Thérond* (entrée en 1989).
Échanges
10Enfin, des échanges ont également toujours été pratiqués, mais en petit nombre car leur statut est peu clair. En effet, les exemplaires présents dans les collections nationales sont en principe incessibles. Les échanges constituent-ils une cession ? Malgré cette impossibilité de principe, les responsables ont souvent accepté d’offrir certains insectes que le laboratoire possédait en double, en échange d’autres qui lui manquaient.
Gestion de la collection de coléoptères
Organisation de la collection
11L’organisation de la collection nationale de coléoptères est un compromis entre les exigences financières, celles de l’espace disponible, et celles de la conservation proprement dite. Cette question a toujours préoccupé les professionnels, mais les entomologistes français n’ont publié que rarement leurs réflexions12. En revanche, les spécialistes anglo-saxons l’ont davantage étudiée13. En principe, il n’y a et il ne devrait y avoir qu’une seule collection de coléoptères au Muséum de Paris ; les unités de rangement (boîtes, cartons, tiroirs) devraient être disposées horizontalement et dans des armoires hermétiques ; enfin, il faudrait que cet ensemble soit uniforme et homogène. En réalité, le manque de personnel, tant scientifique que technique, ainsi que de moyens financiers, ont toujours limité la mise en pratique de ces principes de base14 : on ne peut regrouper la totalité des exemplaires d’un taxon (espèce, genre, famille) qu’après qu’ils ont été extraits des collections particulières, dûment étiquetés pour garder les traces de leur origine, et exactement déterminés par les spécialistes. Quant à la conservation des unités de rangement dans des armoires métalliques, elle n’est encore que très incomplètement réalisée. Enfin, certains entomologistes ont introduit des contraintes supplémentaires, en demandant, par exemple, que leurs collections ne soient pas démembrées, voire qu’elles soient disposées d’une certaine façon15. Le Muséum se soumet à ce désir, au moins pendant un certain nombre d’années après la disparition du collectionneur. Il en résulte que presque toutes les collections sont encore conservées dans leur physionomie et leurs unités de rangement originales, ces dernières conservant encore très généralement – que ce soit sur des étagères ouvertes ou dans des armoires métalliques fermées – une disposition verticale.
Conservation de la collection
12Ainsi qu’il en a été question à plusieurs reprises, le problème des insectes destructeurs est le plus grave auquel soient confrontées les collections d’histoire naturelle. Jusque vers 1950, le seul remède était une surveillance rigoureuse : chaque boîte devait être inspectée régulièrement, les dégâts repérés et les insectes atteints traités. Pour peu que les boîtes fussent hermétiques, on limitait ainsi les dégâts ; mais il y avait néanmoins une proportion inévitable de destructions. Dans les années 1950, l’apparition des insecticides organo-chlorés semblait avoir apporté enfin une solution. Les entomologistes du laboratoire mirent au moins une solution de Lindane (gamma-hexachlorocyclohexane) dans l’acétone. Il suffisait d’un traitement annuel pour que les boîtes soient préservées, le lindane se sublimant et se déposant sur les insectes, sous la forme de minuscules cristaux en aiguilles. Mais ce traitement est toxique pour l’homme : le lindane pénètre dans l’organisme par les voies cutanée et pulmonaire, ainsi que digestive pour une moindre part. L’absorption, en général rapide, dépend surtout de la formulation employée et des caractéristiques propres du sujet (état cutané, âge).
13Le lindane s’accumule dans les graisses, mais aussi dans les reins, la thyroïde et le cerveau. Sa demi-vie sanguine est de 20 heures, lors d’expositions courtes, mais peut aller jusqu’à huit jours lors d’expositions chroniques16. Son usage systématique a donc été progressivement abandonné. À l’heure actuelle, pratiquement aucun traitement préventif n’est appliqué aux collections. Il faut reconnaître aussi que les insectes destructeurs ont énormément diminué au laboratoire, à la suite des traitements systématiques effectués dans les années 1950 à 1970. Lorsque des dégâts sont constatés, un traitement ponctuel est appliqué, avec si possible surveillance de l’évolution du mal. On est donc revenu à la situation qui prévalait avant 1950 : la collection nationale de coléoptères est soumise à une “érosion”, certes faible, mais continuelle et régulière, du fait des insectes déprédateurs.
14On doit enfin évoquer la dégradation générale due au vieillissement des spécimens, à laquelle s’ajoutent des micro-accidents, comme la chute des exemplaires qui se décollent de leur paillette. Le rangement vertical des cartons (typique du Muséum de Paris) rend souvent ces chutes irrémédiables, et les exemplaires sont perdus.
Effectif global de la collection
15L’importance de la collection générale d’insectes, telle qu’elle est conservée au Muséum en ce début de XXIe siècle, est encore relativement mal évaluée. Le professeur René Jeannel, dans sa “Leçon inaugurale” de 1932, avançait un chiffre de 50 millions de spécimens17. En 1990, Jacques Carayon et Claude Caussanel, qui furent tous deux titulaires de la chaire d’Entomologie, écrivaient que celle-ci conservait environ 150 millions de spécimens, renfermés dans 500 000 boîtes18 (les seuls coléoptères étant évalués à 50 millions de spécimens dans un document de 1991)19. Cette évaluation haute fut reprise par des ouvrages destinés au grand public, par exemple en 1995 dans celui d’Yves Laissus20. Elle avait été pourtant revue à la baisse dès 1993, dans un ouvrage général sur les collections d’insectes et d’araignées, qui n’accordait plus au Muséum que 100 millions de spécimens, toujours contenus dans 500 000 boîtes21. Des documents internes au Muséum ont encore diminué ce chiffre. En 1997, puis en 2002, et de nouveau en 2005, trois évaluations et décomptes concordants de l’ensemble des insectes arrivent à un chiffre compris entre 37 et 40 millions de spécimens22. Cette valeur semble donc maintenant bien établie. Mais les détails des différents groupes sont encore mal connus. On évalue généralement les coléoptères à la moitié de la collection d’insectes. Leur nombre total peut donc être estimé à quelque 20 millions de spécimens, représentant plus de 250 000 espèces, le tout renfermé dans 150 000 unités de rangement (boîtes, cartons, coffrets, tiroirs).
16Ces chiffres, aussi approximatifs soient-ils, peuvent être comparés à ceux du Natural History Museum de Londres, où la collection de coléoptères compterait entre 8 et 10 millions de spécimens, qui représenteraient 175 000 espèces23. On voit que le nombre d’exemplaires serait deux fois plus grand à Paris, alors que le nombre des espèces ne serait que de 1,5 fois supérieur à ce qu’il est à Londres. On peut également les mettre en parallèle avec ceux de la collection nationale des États-Unis (Smithsonian Institution), laquelle possède plus de 7 millions de spécimens renfermés dans environ 12 000 tiroirs24.
Formation de la collection de coléoptères du Muséum (1841-2000)
17Dans le chapitre précédent, nous avons décrit l’activité générale du laboratoire d’Entomologie à partir de 1793, en indiquant les grandes lignes de la constitution des collections d’insectes. Ici, on se propose d’examiner plus en détail, période par période, l’accroissement progressif de la collection de coléoptères, par le jeu des différents modes d’entrée des spécimens qui ont été détaillés ci-dessus. On l’a vu, une catégorie particulière est celle des collections, entrant au laboratoire en totalité ou en partie, par don ou legs, dation ou vente. Dans le présent paragraphe, on se contentera de mentionner les collections les plus importantes à leur ordre chronologique ; le cinquième chapitre en donnera la liste exhaustive.
Avant 1850
18Comme nous l’avons vu, les éléments les plus anciens de la collection de coléoptères datent du XVIIIe siècle ; mais ils sont très peu nombreux. La constitution méthodique de la collection ne débuta réellement qu’avec Audouin, qui en fixa le cadre et les objectifs. Audouin s’attacha à classer les matériaux qu’il avait trouvés à son entrée en fonction, en particulier ceux provenant des grandes expéditions. En outre, il sollicita les entomologistes amateurs, dont une trentaine effectuèrent des dons au laboratoire. Mais il n’eut pas le temps de conduire ses projets à leur achèvement, même partiel. La tâche fut continuée par Milne-Edwards* et Blanchard*, ce dernier fixant un premier état de la collection de coléoptères dans le Catalogue de 185025. Même s’il subsiste encore aujourd’hui quelques rares matériaux plus anciens, c’est la date de 1850 qui représente le début effectif du fonds que nous voyons aujourd’hui. Dans cet ouvrage, Blanchard mentionne une seule collection ancienne : celle de Bosc*, entrée en 1828. Il cite en outre une quarantaine de voyageurs ayant rapporté des coléoptères : Botta (Arabie et Nubie) ; Brullé* (Morée) ; Castelnau, Alcide d’Orbigny et Auguste Saint-Hilaire (Amérique du Sud) ; Delalande (Afrique du Sud) ; Dillon, Ferret et Galinier ou encore Schimper (Abyssinie) ; Goudot (Madagascar) ; Jacquemont (Cachemire) ; Lucas (Algérie) ; Olivier* (“Orient”) ; Jules Verreaux (Australie et Tasmanie) ; etc. Il remercie enfin un nombre égal de donateurs, dont certains étaient des collectionneurs résidant en France, d’autres des diplomates, des médecins voire des marchands ayant parcouru les pays étrangers.
De 1850 à 1895
19Durant les professorats d’Alphonse Milne-Edwards et d’Émile Blanchard, l’accroissement des collections se fait d’abord par l’activité propre des membres du laboratoire : tous récoltent des insectes de France, lors d’excursions dans le pays, voire simplement aux environs de Paris, encore très riches en insectes à l’époque. Plusieurs d’entre eux participent en outre à des voyages dans des contrées plus difficiles d’accès : Italie du Sud et Sicile (Blanchard), “Morée”, la Grèce d’aujourd’hui (Brullé), Algérie (Lucas). On observe aussi un accroissement régulier des entrées de matériaux provenant d’autres missions et voyages, même si les années 1880-1890 connaissent un léger fléchissement de cette tendance. On note enfin l’apparition puis l’importance grandissante des achats, effectués auprès de marchands-naturalistes de plus en plus actifs, comme Auzoux, Depuiset, Deyrolle*, Dupont*, Sallé* (les premiers sont des sédentaires, établis à Paris ; le dernier appartient à la catégorie des “voyageurs-naturalistes”, qui parcourent les pays lointains et vendent en cours de route, ou à leur retour, les produits de leurs récoltes). Des entomologistes non professionnels, des amateurs, vendent aussi parfois, ou échangent, divers spécimens ou séries exotiques, comme par exemple Chaudoir*, Chevrolat*, Kraatz, Maindron*, ou encore Mniszech*. Ce dernier effectue en outre des dons nombreux et importants. Plusieurs autres entomologistes amateurs, voyageurs, voire commerçants, font en outre des dons aux collections nationales. Ils vont d’une petite série, voire d’un seul insecte, à une collection tout entière. La distinction entre achats et dons n’est pas toujours précisée sur les registres, qui se contentent de relever les “entrées”. De 1864 à 1893, soit sur une période de trente ans, on compte près de 750 entrées (soit une moyenne de 25 par an), représentant un nombre difficile à évaluer de coléoptères. Il faut noter qu’à cette époque les entrées ne renferment que bien peu d’exemplaires provenant des régions tropicales, et ce sont presque tous des spécimens grands et spectaculaires importés par les marchands. Les collections représentent un nombre de spécimens sans doute inférieur à celui des autres entrées, mais ceux-ci sont identifiés et classés. Beaucoup de lots ont été acquis durant cette période, mais aucune collection en tant que telle. Toutes celles qui sont entrées ont fait l’objet de dons. On peut signaler celle de coléoptères de Russie provenant des régions limitrophes de la Chine, réunie par un M. Popoff* et offerte en 1858 par le tsar, puis celles de Duméril* (1860), de Boulard* (coléoptères d’Europe et d’Algérie, 1862), d’Allard* (345 Altises d’Europe, mars 1864), de Jacquelin Du Val* (22 597 coléoptères d’Europe, octobre 1864), et, beaucoup plus tard, de l’abbé de Marseul* (92 000 coléoptères d’Europe et d’Afrique du Nord, 1890). Dans l’ensemble, on peut évaluer à un million de spécimens l’effectif total de la collection de coléoptères à la fin du mandat de Blanchard.
De 1896 à 1931
20Le début du professorat de Bouvier marque, on l’a déjà noté, la réouverture d’un laboratoire longtemps trop refermé sur lui-même. Cette période coïncide avec le développement rapide des voyages d’exploration et de colonisation. Bouvier fait savoir que son laboratoire recevra volontiers tous les matériaux entomologiques qui lui seront expédiés. Tous les voyageurs, les explorateurs, les missionnaires, les nouveaux “colons” qui arpentent le monde, dans ces années-là, ont à cœur de ramener ou de faire parvenir des insectes (y compris des quantités de coléoptères) au Muséum de Paris. Les personnes les plus fortunées, au cours de leurs croisières et autres voyages d’agrément, en récoltent parfois quelques exemplaires, voire des séries importantes, qu’ils s’empressent d’offrir au laboratoire. Certains voyageurs inclassables font de même, comme par exemple André Gide, lors de son voyage en Afrique des années 1925-1926. Le nombre moyen annuel d’entrées va ainsi s’élever régulièrement jusqu’à 62 dans les années 1890 et dépasser 100 dans les années 1900-1914, ce qui représentera le niveau le plus élevé jamais atteint (Annexe 4). Dans ces périodes, les registres n’indiquent plus (ou rarement) le nombre des spécimens de chaque entrée. La raison en est le nombre beaucoup plus important de ceux-ci, durant cette période, par rapport à la précédente. Si, en effet, les achats et les dons ne concernent guère que quelques spécimens, au plus quelques séries, ce sont des dizaines, voire des centaines de milliers d’exemplaires que comptent les envois des voyageurs et “missionnaires” (dans tous les sens du terme). On a l’impression que la masse des nouveaux matériaux excède les capacités du personnel, qui se contente de les enregistrer rapidement. Les registres donnent ainsi une idée de l’urgence continuelle de ces années d’avant-guerre, où les crédits sont relativement abondants (permettant l’achat de nombreux spécimens, lots ou collections), et où les matériaux affluent comme jamais auparavant. Dans l’impossibilité de détailler cette période, une année servira d’exemple : 1906, où le nombre d’entrées atteint des sommets, accrus encore par l’arrivée de la collection Fairmaire.
21En 1906, Bouvier est professeur depuis dix ans. Il dispose de 7 500 francs de crédits de fonctionnement, somme relativement importante, mais avec laquelle il se plaignit plus tard d’avoir du mal à “joindre les deux bouts26”. Cette année, le registre des entrées relève 208 numéros, dont la moitié correspond à des lots numériquement peu importants : un spécimen rare ou un type de cérambycide, un couple d’une espèce remarquable de cétoine, trois goliaths d’Afrique, quelques dons ou échanges de grands amateurs (Bedel*, le député Bepmale, Gounelle*, Laboissière, Oberthür…). Bouvier lui-même rapporte des insectes du Jura ; son assistant Lesne, des Pyrénées-Orientales ; le R.-P. de Joannis, habitué du laboratoire, des environs de Naples. L’autre moitié des numéros correspond à des envois, numériquement beaucoup plus importants, expédiés d’Outre-Mer par des missionnaires, voyageurs et autres explorateurs : Alluaud* (bassin du Nil) ; Mollard (Tonkin) ; Biollet (Costa Rica) ; Dr Boutan (Indochine) ; R.-P. Cavalerie (Chine) ; capitaine Cottes et Dr Gravot (mission du Sud-Cameroun) ; Crenn et Geay (Madagascar) ; R.-P. Droüard de Lezey et Dr Harmand (Japon) ; Ellenberger, Fourneau et Vergnes (Congo) ; de Gaulle (Dahomey) ; lieutenant Gouget (Guinée) ; Du Guiny, lieutenant Greigert et Séguier (Côte-d’Ivoire) ; Haug (Gabon) ; Mélou et Zeltner (Sénégal) ; Laboissière et de Mecquenem (Yunnan) ; Obalski (Colombie britannique) ; Pasteur* (Nouvelle-Guinée) ; Pennel (Guyane) ; Serre (Java) ; Talamon et Weiss (Tunisie) ; Vasse (Mozambique). On conçoit que cet afflux puisse déborder les capacités du personnel, d’autant qu’un préparateur (Bénard*) est en mission au Tonkin, d’où il ne manque pas d’expédier lui aussi des quantités d’insectes. Il est difficile d’évaluer l’effectif des lots ; mais un chiffre de 1 000 spécimens de coléoptères semble un ordre de grandeur minimum : rien que les chasses de nuit, sous les tropiques, attirent les insectes par milliers, et certains groupes peuvent également être capturés en grand nombre par d’autres méthodes, comme en témoigne Henri d’Orbigny*, qui n’étudiait pourtant qu’une partie des scarabéides (Onthophagus et genres voisins) :
[Entre 1902 et 1912], les matériaux ont afflué au-delà de ce que je pouvais prévoir. […] J’ai pu ainsi étudier un nombre invraisemblable d’Onthophagides ; bien souvent les envois que j’ai reçus comprenaient chacun plus de deux mille exemplaires, et c’est par milliers qu’il faut compter les insectes provenant des voyages de M. Alluaud27.
22L’année 1906 est marquée en outre par l’acquisition de trois des cinq parties de l’énorme collection Fairmaire* (30 août, coléoptères malgaches ; 3 septembre, coléoptères paléarctiques ; 30 décembre, Lamellicornes)28. Comme s’ils y avaient vu un signal, plusieurs amateurs décident d’offrir ou de léguer leurs collections au laboratoire. En 1907, la famille de Maurice Régimbart* veut vendre sa collection, que le laboratoire n’a pas les moyens d’acquérir. Charles Alluaud* lance alors une souscription auprès des entomologistes, et les fonds nécessaires sont recueillis en quelques mois. Il y en a même trop : le reliquat peut être utilisé pour faire venir d’Angleterre les doubles de la Biologia Centrali Americana, offerts par Frederick Godman*. La collection d’Antoine Grouvelle* va être offerte à partir de 1909, suivie de celles de Bourgeois* (1911), de Gounelle (1915), d’Orbigny* (1915), d’Abeille de Perrin* (1919), de Bedel* (1922), de Du Buysson* (1927), de Babault* (1929), d’Aubé* (1930), d’Argod-Vallon* (1931), etc. Le mandat de Bouvier représente une des périodes les plus actives et les plus fastes du laboratoire d’Entomologie. En particulier, les années antérieures à 1914 sont certainement celles où les collections se sont le plus accrues par leurs propres forces (c’est-à-dire en dehors de l’apport des collections d’amateurs, qui est resté relativement modeste), celles où elles ont reçu le plus grand nombre d’insectes provenant des “colonies” et autres régions tropicales. À la fin de cette période, le laboratoire possède quelque 250 000 boîtes et unités de rangement, renfermant entre dix et douze millions d’insectes, dont les Coléoptères, à eux seuls, représentent environ la moitié (Annexe 4).
De 1931 à 1961
23L’arrivée de René Jeannel à la direction du laboratoire représente une autre date importante dans l’histoire de la collection de coléoptères, parce qu’il est lui-même spécialiste de ce groupe. Pendant les 21 ans de son mandat, il va accroître autant qu’il lui sera possible le dépôt – déjà énorme – placé sous sa responsabilité, en privilégiant les coléoptères. Mais l’époque n’est plus aussi faste que la précédente. Les explorations sont moins nombreuses et moins bien dotées. Malgré tout, les missions religieuses, les fonctionnaires coloniaux et quelques entomologistes résidant sous les tropiques font encore des envois importants par leur volume et leur qualité. Plusieurs grandes collections entrent au laboratoire, soit à titre de dons (Sédillot*, 1935 ; Boucomont*, 1936 ; Théry*, 1936 ; Demaison*, 1937 ; Didier*, 1937 ; Sietti*, 1939 ; Desbordes*, 1942 ; Peschet*, 1945 ; Paulian, 1947 ; de Brunnier, 1948 ; Hustache*, 1949 ; Peyerimhoff*, 1950 ; Primot*, 1950 ; Fleutiaux*, 1951), soit par achat (Chobaut-Fagniez*, 1942). L’accroissement le plus important qu’ait reçu en une seule fois le laboratoire est un autre achat : celui du fonds Oberthür, composé de 45 collections ou parties de collections antérieures (dont certaines renferment elles-mêmes des collections ou parties de collections encore plus anciennes). Bien que cette opération ait été préparée par Jeannel, elle ne sera finalisée que sous le mandat de son successeur Lucien Chopard (13 décembre 1952)29. Les cinq ou six millions de spécimens d’Oberthür vont s’ajouter aux quelque dix millions déjà entreposés au laboratoire, formant la plus vaste et la plus riche collection de coléoptères existant au monde. Les collection Mouton* (1954) et Clerc* (1955) sont offertes peu après au laboratoire. Enfin, c’est sous le mandat de Séguy, en 1958, que le laboratoire accepte un des dons les plus importants qui lui aient été offerts : la collection de Maurice Pic*. Réunie dans un esprit très différent de celle d’Oberthür, elle est constituée de 66 collections ou parties de collections antérieures, et rassemble au moins trois millions d’exemplaires, souvent petits et peu spectaculaires, ou appartenant à des groupes négligés.
1962-2000
24La collection de coléoptères du laboratoire a désormais presque atteint sa physionomie définitive. Les quarante dernières années du XXe siècle n’augmentèrent pas son volume de plus de 10 %, même si un certain nombre de collections importantes y sont déposées, que ce soit à la suite de dons ou de legs (Lebis*, 1964 ; Durand*, 1971 ; Raynaud*, 1977 ; Ardoin*, 1978 ; Levasseur*, 1981 ; Khnzorian-Iablokoff*, 1983 ; Legros*, 1983 ; Villiers, 1983 ; Coiffait*, 1985 ; Tempère*, 1985 ; Clément*, 1986 ; Nègre*, 1988 ; Schaeffer, 1991 ; Baraud*, 1993 ; Colas, 1993 ; Péricart*, 1996 ; Ferragu*, 1997 ; Perrault*, 1997 ; Roudier*, 2000), par achat (Pécoud*, 1964 ; Hoffmann*, 1968 ; Rotrou*, 1971 ; Ruter, 1979 ; von Breuning*, 1990), voire par dation (Thérond, 1987). Curieusement, le reliquat de la collection de Guillaume-Antoine Olivier (1756-1814), resté en possession de sa famille, est offert par celle-ci en 1995, près de deux siècles après la disparition du célèbre entomologiste voyageur.
Rapports du Muséum avec les spécialistes déterminateurs : le cas de Charles Kerremans.
Les musées d’histoire naturelle ne peuvent effectuer eux-mêmes l’identification (“détermination”) de tous les spécimens de leurs collections. Il en est de même des grands collectionneurs (comme René Oberthür*). Ils font donc appel à des spécialistes français et étrangers, professionnels ou amateurs. Ces derniers sont libres d’utiliser l’information qu’ils ont ainsi acquise pour leurs propres travaux. En outre, l’usage est qu’ils peuvent conserver pour leur propre collection (ou celle du musée où ils travaillent) le tiers des spécimens qui leur ont été soumis.
Dans d’autres cas, ce sont les spécialistes eux-mêmes qui font appel aux musées et collectionneurs pour compléter une recherche en cours. Ils ont besoin en particulier des “types” des espèces déjà décrites. Dans ce cas, les musées sont parfois hésitants à communiquer leurs richesses, surtout s’agissant de spécialistes étrangers.
Dans les deux cas, si les spécialistes sont amenés à décrire des espèces nouvelles à partir des spécimens qui leur ont été communiqués, le “type” (holotype) de ces espèces revient au musée prêteur. Les deux extraits suivants de lettres envoyées par le spécialiste belge Charles Kerremans* à Charles Brongniart*, au sujet des collections de buprestides du Muséum, éclairent quelques-unes de ces pratiques, à une époque où le Muséum communiquait rarement son matériel.
Bruxelles, le 24 mars 1895
Monsieur et cher Collègue,
Lors de mon dernier voyage à Paris, vous avez eu l’extrême obligeance de me faire visiter, boîte par boîte, tous les Buprestides du Muséum. J’ai pu constater ainsi que le plus grand nombre des espèces ne possédaient qu’un nom de collection donné il y a trente ou quarante ans par M. Blanchard, et que la plupart d’entre elles sont décrites depuis.
J’ai l’intention de reprendre un à un tous les genres de Buprestides et d’en effectuer la révision synonymique. M. Oberthür, qui possède la majeure partie des types de Castelnau, de Gory, de Thomson, etc., m’a promis de me communiquer ses insectes. MM. Aurivillius, de Stockholm, et Kolbe, de Berlin, m’enverront ceux de Fåhreus, Harold et Klug ; je possède moi-même les types d’Olivier, Chevrolat, Fairmaire et les miens propres. Je suis donc bien outillé pour marcher.
Par contre, le Muséum possède quelques types, je pense. Ne jugez-vous pas qu’il est temps de rompre avec l’ancienne routine qui consiste à tenir tout enfermé ? Venir à Paris en ce moment m’est impossible, et, le pourrais-je même, que je ne puis admettre en principe qu’il me faille aller à Paris, à Londres, à Stockholm et à Berlin pour voir quatre insectes. À ce compte, il n’y aurait plus qu’un Rothschild qui pourrait faire de l’Entomologie.
Je viens donc vous demander s’il est possible que je reçoive en communication les espèces qui suivent […]. Le Musée de Bruxelles, vous le savez, communique aux auteurs tout ce qu’ils désirent, et il s’en trouve très bien. Si le Muséum pouvait adopter le même système, je pourrais remanier entièrement tous ses Buprestides, et leur attribuer leurs noms véritables ; depuis que
je m’occupe d’Entomologie, j’ai toujours été très correct dans mes relations ; M. Oberthür pourra vous renseigner à ce sujet : je ne troque ni n’échange, et renvoie invariablement tout ce qu’on m’a adressé, en signalant, lors du retour, les espèces que je désirerais posséder, mais sans aucune obligation de me les donner. C’est pour ne m’être jamais départi de cette règle que les Musées jusqu’ici rebelles aux envois, comme Berlin, ont fait exception en ma faveur. […].
[Kerremans reçut en communication la totalité des exemplaires qu’il demandait.
Aussitôt, il réécrivit à Brongniart.]
Bruxelles, le 21 avril 1895
Cher Collègue,
[…] Vous m’avez demandé de garder vos Buprestes le moins longtemps possible. Pourrais-je savoir ce que vous entendez par là ? Je suis très désireux, avant tout, de ne pas vous désobliger. Le Muséum a fait en ma faveur une exception si flatteuse pour moi que je me sens pris de scrupules. L’examen et la redescription des espèces prennent du temps ; et je ne dispose que de mes soirées et des dimanches en entier. Or, vous savez sans doute ce qu’on peut faire à la lumière ! Dans ces conditions, je désirerais savoir si deux ou trois mois maximum ne vous semblent pas trop.
J’ai trouvé la collection du Muséum presque aussi belle que celle d’Oberthür, qui est la plus complète que je connaisse. Le British Museum vient assez loin après. Voici l’ordre d’importance des collections : Oberthür ; Paris ; Kerremans ; British Museum. […].
Notes de bas de page
1 Voir le texte de cette lettre, ci-dessous, au dernier chapitre.
2 Allusion à Xavier Brau de Saint-Pol Lias (1840-c. 1910), qui voyagea à Sumatra en 1880-1881, d’où il fit des envois au Muséum.
3 “Au service d’Entomologie du Muséum, sous prétexte d’attendre M. Tempier [le titulaire de la chaire], Désiré Rimoulard avait donné quelques conseils à l’assistant, M. Poule, chargé d’écrire un rapport sur les collections ramenées par M. Bonnereau. M. Poule, fatigué d’enregistrer “toutes les saletés rapportées par ce farceur”, heureux d’être agréable au futur professeur, avait diminué, dans la mesure du possible, les résultats obtenus par le voyageur. “D’ailleurs, cela n’a pas d’intérêt. Qui, je vous prie, ira jamais mettre le nez là-dedans ?” Et, ainsi parlant, M. Poule frappait sur les cartons contenant les récoltes de Bonnereau, sans se laisser retenir par la crainte de casser les pattes et les antennes.” Maindron (Maurice), L’Arbre de science : roman moderne, Paris : Lemerre, 1906, p. 339.
4 Fils d’Henri Milne-Edwards, auquel il succéda comme titulaire de la chaire de Zoologie des mammifères et oiseaux en 1876, directeur du Muséum de 1891 à sa mort, cf. Jaussaud (Philippe), Pharmaciens au Muséum : chimistes et naturalistes, Paris : Muséum national d’Histoire naturelle, 1998, pp. 187-197 (Collection Archives).
5 Maindron (Maurice), Le Carquois, Paris : Fasquelle, 1907, p. 268.
6 Michel (Charles), Vers Fachoda : à la rencontre de la mission Marchand à travers l’Éthiopie, Paris : Plon, 1900, VIII + 560 p., carte, gravures, pl. h.t.
7 Bouvier (Eugène-Louis), “Collections entomologiques recueillies au cours de la mission de Bonchamps et remises au Muséum par M. Ch. Michel”, in Michel (Charles), Vers Fachoda…, op. cit., pp. 493-503, pl. I-IV.
8 Idem, p. 499, pl. I.
9 Copris youngai Balthasar, 1967 (l’exemplaire de Brazza n’a été retrouvé au Muséum qu’après la description de cette espèce).
10 On peut citer les collections Broun (Nouvelle-Zélande), ou encore Vinson (Île Maurice).
11 Les dernières éditions des codes de nomenclature exigent toutefois que les types des espèces soient déposés dans les collections publiques.
12 Voir par exemple Viette (Pierre), “Réflexions sur l’organisation d’une collection nationale des insectes”, L’Entomologiste, vol. 17, no 4-5, 1961, pp. 65-74.
13 Cf. Walker (Annette K.), Fitton (M. G.), Vane-Wright (R. I.), Carter (D. J.), “Insects and other invertebrates”, in Carter (David), Walker (Annette K.) (sous la dir.), Care and Conservation of Natural History Collections, Oxford : Butterworth-Heinemann, 1999, pp. 37-60.
14 Le manque de personnel chargé des coléoptères est évident, même au sein du Muséum : il y a autant de personnes affectées aux lépidoptères qu’aux coléoptères, alors que la collection de lépidoptères ne compte que trois millions de spécimens, soit six à sept fois moins que de coléoptères. Il est vrai que les autres ordres (diptères, hyménoptères…) souffrent aussi d’un manque criant de personnel.
15 Cf. par exemple la biographie de Rivalier au dernier chapitre.
16 Lauwerys (Robert R.), Hoet (Perrine), “Hexachlorocyclohexane (Lindane)”, in Lauwerys (Robert R.), Hoet (Perrine), Industrial Chemical Exposure : Guidelines for Biological Monitoring, 3rd ed., Boca Raton, Floride : Lewis Publishers, [2001], pp. 488-551.
17 Carayon (Jacques), Caussanel (Claude), “Le laboratoire d’Entomologie du Muséum au temps d’Eugène Séguy”, Annales de la Société entomologique de France, vol. 26, 1990, p. 304.
18 Ibid., p. 313.
19 Menier (Jean J.), Section coléoptères. Gestion des collections nationales. Besoins et perspectives pour les 4 années à venir, Paris : Muséum national d’Histoire naturelle, laboratoire d’Entomologie, [Document interne non publié], septembre 1991, p. 2.
20 Laissus (Yves), Le Muséum national d’Histoire naturelle, Paris : Gallimard, 1995, p. 65 (Découvertes, mémoires des lieux ; 249).
21 Arnett (Ross H. Jr.), Samuelson (G. Allan), Nichida (Gordon M.), The Insect and Spider Collections of the World, 2e éd., Gainesville, Floride : Sandhill Crane Press Inc, 1993, p. 70.
22 Muséum national d’Histoire naturelle. Audit sur les collections, [Document interne non publié], 17 octobre 1997. Legrand (Jean), Berti (Nicole), Personnel technique nécessaire au bon fonctionnement des collections d’Hexapodes du Muséum national d’Histoire naturelle, [Document interne non publié], juillet 2002. Évaluation des collections entomologiques du Muséum [Document interne non publié], février 2005.
23 Stork (Nigel E.), “Measuring global biodiversity and its decline”, in Reaka-Kudla (Marjorie L.), Wilson (Don E.), Wilson (Edward O.) (sous la dir.), Biodiversity II : Understanding and Protecting our Biological Resources, Washington, D. C. : Joseph Henri Press, 1997, pp. 47-48 ; Deuve (Thierry), “Les Collections de Coléoptères du Muséum de Londres”, [Document interne non publié], juin 2004.
24 D’après le site internet www.sel.barc.usda.gov/selhome/natl_coll/coleop_coll.html.
25 Milne-Edwards (Henri), Blanchard (Émile), Lucas (Hippolyte), Muséum d’Histoire naturelle de Paris, Catalogue de la collection entomologique, Classe des Insectes, Ordre des Coléoptères, Paris : Gide & Baudry, 1850, in-8°, t. 1, livraison 1, (IV) + IV + 128 p. ; livraison 2, pp. 129-240.
26 Bouvier (Eugène-Louis), “Quelques opinions et quelques documents”, in Ranc (Albert), Le Budget du personnel des recherches scientifiques en France, Paris : Chimie et Industrie, 1926, p. 144.
27 Orbigny (Henri d’), Synopsis des onthophagides d’Afrique, [Extrait des Annales de la Société entomologique de France, 1er juin 1913], Paris : [s.n.], 1913, pp. 1-2 (sur Henri d’Orbigny, cf. aussi le dernier chapitre de cet ouvrage).
28 Pour Fairmaire et sa collection, cf. ci-dessous, le dernier chapitre de cet ouvrage.
29 Cf. les second et dernier chapitres de cet ouvrage.
Notes de fin
1 Archives du laboratoire d’entomologie (document inédit).
2 On sait que le Muséum national d’Histoire naturelle était naguère administré par une vingtaine de professeurs-administrateurs tout puissants.
3 Ch. Brongniart avait mené quelques travaux sur les criquets, notamment en Algérie.
4 Eugène Simon (1848-1924) fut l’un des plus grands spécialistes français des araignées, qu’il étudiait à titre privé, en amateur. Sans avoir jamais occupé de fonctions officielles, il fut élu correspondant de l’Académie des Sciences en 1909 [voir Peyerimhoff (Paul de), “La Société entomologique de France (1832-1931)”, in Livre du centenaire de la Société entomologique de France, Paris : au siège de la Société, 1932, pp. 81-82, pl. XI]. Dans son discours d’investiture comme président de la SEF, le 12 janvier 1910, Maurice Maindron eut des paroles très élogieuses pour Eugène Simon et lui céda le fauteuil présidentiel.
5 Dans L’Arbre de science, Bedel* est désigné sous le nom de Karabovich.
6 Alphonse Milne-Edwards (1835-1900), titulaire de la chaire de Mammalogie-Ornithologie au Muséum de 1876 à sa mort, directeur du Muséum depuis 1891, s’était préoccupé du statut plutôt flou des voyageurs de l’établissement (cf. ci-dessus).
7 Créée en 1855 pour la première Exposition universelle, l’Exposition permanente des Colonies avait été installée dans le Palais de l’Industrie, édifié pour la même occasion, et qui fut démoli en 1896 pour faire place au Grand et au Petit Palais.
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Des coléoptères, des collections et des hommes
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Des coléoptères, des collections et des hommes
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