Après les cyclones : un nouveau jardin
p. 83-117
Texte intégral
1Les cyclones d’octobre 1864 et novembre 1867 causèrent d’importants dommages dans le jardin de Calcutta. La tempête et l’inondation de 1864 furent particulièrement violentes et le cyclone de 1867, bien que de moindre ampleur, vint mettre une nouvelle fois à l’épreuve un terrain fragilisé où les arbres clairsemés ne pouvaient plus se protéger les uns les autres de la force du vent. En 1864, il revint à Thomas Anderson (1832‑1870), qui occupait le poste de directeur depuis 1861, de constater l’ampleur des dégâts. Dans le rapport qu’il produisit à cette fin, il affirma que le jardin était l’un des lieux où le cyclone s’était le plus déchaîné1. Il décrivit le jardin comme la première victime de la tempête :
Aucune description, quelque précise et minutieuse qu’elle fût, ne peut donner une idée de la dévastation causée dans le jardin par cette tempête. Le matin qui suivit le cyclone, le jardin offrait un spectacle tout à fait désolant : un millier d’arbres, pour beaucoup des spécimens magnifiques et qui faisaient la fierté du jardin, étaient à terre aux côtés d’innombrables plantes dont le compte ne pouvait être établi. Rien n’avait été épargné et les arbres qui n’étaient pas tombés étaient plus ou moins privés de leurs branches. Certains, que l’on compta parmi les survivants, n’étaient plus que des poteaux nus dépourvus de branches. Il n’y avait plus trace dans ce jardin d’une seule fleur, d’une seule feuille, d’un seul fruit. Les routes et les réservoirs étaient obstrués par des branches tombées. Tous les bâtiments étaient endommagés et tous ceux qui n’étaient pas construits en brique et en ciment étaient détruits2.
2Le jardin était touché jusque dans son intégrité territoriale, la rive ayant été endommagée par le choc de navires entraînés par le flux de l’eau, laissant les berges irrégulières et abîmées. La pire collision de ce type, précisa Anderson, eut lieu avec un vaisseau français3. À l’intérieur du jardin, les graviers qui couvraient les routes furent dispersés n’importe où, les écluses et les ponts détruits, les réservoirs d’eau rendus inutilisables. La monumentale maison du directeur construite en 1795 et jouxtant la rivière n’avait plus de vitres, de portes ni de balcons. De précieuses archives conservées dans la maison du head gardener furent éparpillées dans le jardin et perdues. Un jardin, donc, réduit à l’état de morne plaine4. Après cette catastrophe qui le priva de beaucoup de ses arbres et endommagea ses infrastructures, comment s’opéra sa reconstruction ? Pour quelles raisons le gouvernement impérial décida-t-il d’investir dans cette institution pourtant en grande partie détruite ?
3Ce chapitre s’intéresse à la manière dont le jardin botanique de Calcutta fut reconstruit et en quelque sorte réinventé des années 1870 aux années 1890. George King (1840‑1909), directeur de 1871 à 1897, sut convaincre le gouvernement impérial d’allouer des fonds et entreprit de grands travaux d’infrastructure et de paysagisme qui changèrent l’aspect du jardin. Il regretta, toutefois, qu’il ne fût pas possible d’abandonner l’emplacement initial et de le réinstaller ailleurs : le jardin était en effet séparé de la ville de Calcutta par le très large fleuve Hooghly, ce qui le privait de nombreux visiteurs découragés par la perspective d’une traversée. Le jardin était aussi trop vaste, aux dires de ses responsables successifs, pour être entièrement cultivé et les botanistes s’épuisaient à parcourir des trajets de plusieurs kilomètres sur son territoire d’une centaine d’hectares. Cette taille importante favorisait toutefois la réalisation à relativement grande échelle d’expériences sur les plantes, qui constituaient l’une des raisons d’être du jardin pour le gouvernement, mais que le directeur envisageait dans de nombreux cas avec scepticisme. La réinvention du jardin après sa destruction presque totale pose donc le problème des différents usages qui étaient faits de son espace et des multiples sens dont le lieu pouvait être investi.
Déblayer et reconstruire
4Au lendemain du cyclone de 1864, le jardin était jonché d’arbres. Des photographies conservées au Central National Herbarium, montrant des Européens posant devant de grands arbres déracinés, donnent une idée de ce que pouvait être l’aspect du jardin après la tempête5. Le terrain était à déblayer, ce pour quoi des fonds furent alloués par le gouvernement, mais les arbres au sol n’étaient pas seulement des débris : ils représentaient également des spécimens, rares pour certains d’entre eux6. Afin de les mettre en valeur, il fallut d’abord réaliser l’inventaire des espèces déracinées, une entreprise, aux dires d’Anderson, particulièrement mélancolique7. Il fit part dans sa correspondance d’un terrible sentiment d’impuissance (helplessness) et se lamentait de voir le jardin ainsi privé de ses plus beaux arbres8. La tâche d’inventaire était vaste et prit cinq mois9.
5Intéressons-nous à l’inventaire produit par Thomas Anderson quelques mois après le cyclone10. La liste des arbres chus esquisse une histoire arboricole du jardin tout en faisant apparaître que le cyclone en marqua la fin. Anderson dénombrait 1 010 arbres déracinés appartenant à 364 espèces différentes, en excluant les arbres endommagés et les petits arbres et buissons. Le cyclone, soulignait l’auteur, épargna presque toutes les plantes indigènes, dont les palmiers, ficus et bambous, mais abattit de très nombreuses espèces acclimatées, introduites depuis la création du jardin par l’East India Company en 1787. Il décrivit ainsi la vue depuis le toit-terrasse de sa maison : « La grande destruction des exogènes par le cyclone, tandis que les espèces indigènes ont été épargnées, a produit un effet étrange sur le paysage autour de Calcutta. La région, vue depuis le toit de ma maison haute de 80 pieds [25 m.], semble couverte de trois espèces de palmiers (Cocos nucifera, Phoenix sylvestris, Borassus flabelliformis) et de bambous »11.
6Les Tectona grandis natifs d’Asie tropicale, âgés de plus de soixante-dix ans et presque tous déracinés, témoignaient de la tentative (infructueuse, nous y reviendrons) d’établir au sein même du jardin une plantation de teck, un bois utilisé dans la construction navale et dont la marine britannique avait grand besoin12. Le cyclone n’en laissa que deux spécimens en mauvais état. Tombèrent également trente-deux spécimens de Swietenia mahagoni, l’arbre natif des Antilles produisant le bois d’acajou, ainsi que le plus grand baobab du jardin (Adansonia digitata, originaire d’Afrique), qui produisit en s’abattant, selon Anderson, une onde de choc perceptible à plus de cent mètres. Tous les spécimens d’Amherstia nobilis, une espèce d’Asie du Sud-Est aux spectaculaires inflorescences cramoisies, furent au moins partiellement déracinés. Le rapport insistait sur le fait que le jardin perdit plusieurs arbres dont il ne possédait qu’un seul spécimen, comme l’épineux dattier du désert (Balanites aegyptiaca) originaire d’Afrique et un balsa (Ochroma lagopus) des forêts équatoriales d’Amérique du Sud, prisé pour son bois léger. Anderson associait l’histoire des arbres tombés à celle des dirigeants successifs du jardin : il mentionna par exemple que le dernier spécimen de Flacourtia inermis ou lovi-lovi, originaire des Philippines, avait été planté de la main de William Roxburgh (le deuxième directeur du jardin, en poste de 1793 à 1813) et que les filaos d’Australie (Casuarina equisetifolia) dataient du temps de Nathaniel Wallich (successeur de Roxburgh et directeur du jardin de 1815 à 1842).
7L’inventaire circonstancié des spécimens tombés était donc l’occasion, pour Thomas Anderson, de rappeler au gouvernement la gloire arboricole passée du jardin. Le compte rendu fonctionnait comme une sorte de retour aux racines discursif. Il importe de prendre ce rapport pour ce qu’il est : un document destiné, au moins en partie, à valoriser son auteur en tant que dirigeant d’une institution, certes touchée par une catastrophe naturelle, mais historiquement importante. La prudence s’impose face à l’emphase qui caractérise ce texte, car dans une lettre écrite presque en même temps que le rapport, Anderson minimisa l’importance du cyclone, assurant que la presse avait exagéré l’ampleur des dégâts, que seuls les grands arbres avaient péri et que le jardin ne se portait pas si mal13. Le désarroi personnel exprimé par Anderson, en revanche, était sans aucun doute sincère. Il se plaignait dans sa correspondance, entre autres nombreux maux, de violentes migraines, et son fils âgé de onze mois mourut dans un contexte de prolifération des maladies favorisé par le cyclone. Il éprouvait également de grandes difficultés à s’entendre avec ses collègues expatriés, comme il le confia dans une lettre à Joseph Dalton Hooker, le directeur de Kew Gardens, en 186614.
8Certains arbres déracinés furent transformés en spécimens de bois destinés à être envoyés à des institutions scientifiques européennes. John Anderson, le frère de Thomas, zoologue de formation et que Joseph Dalton Hooker avait aidé cette même année à obtenir le poste de conservateur de l’Indian Museum de Calcutta, se vit confier la tâche de fabriquer, examiner et expédier les spécimens de bois15. Des sections longitudinales et horizontales des arbres furent découpées. L’ingénieur forestier James Sykes Gamble, formé à l’école forestière française de Nancy, participa à l’examen et à la préparation des pièces de bois16. Hugh Cleghorn, qui occupait le poste de responsable des forêts (Conservator of Forests), prit également part à l’entreprise17. Une lettre de Thomas Anderson conservée à Kew indique que John Anderson prenait des renseignements sur les cercles annuels (tree rings) des arbres exotiques : « Il avance bien sur les sections de bois et ses notes détaillées sont de bon augure pour la publication d’un article sur les anneaux de croissance et l’âge des arbres tropicaux »18. L’intérêt des spécimens était lié notamment aux usages économiques auxquels ils pouvaient se prêter : les échantillons de bois formaient une partie importante des collections du musée de botanique économique de Kew, fondé en 1847 (Cornish 2013). Sept ensembles de spécimens furent donc constitués afin d’être envoyés à des institutions scientifiques : Kew Gardens, le Jardin des Plantes de Paris, l’université d’Édimbourgh, l’école forestière de Nancy, celle de Hanovre en Allemagne, le Secretary of State for India à Londres, et le jardin botanique de Saint-Pétersbourg19. Les meilleurs spécimens, assurait le directeur, étaient réservés à Kew Gardens et à l’université d’Édimbourgh, qui était l’alma mater des frères Anderson20. Une partie des arbres fut donc transformée en spécimens de bois et constituée en une série de collections, tandis qu’une autre partie fut mise en vente au prix du bois, passant ainsi du statut de spécimen à celui de marchandise. La vente de l’acajou, du teck et du sissoo (Dalbergia sissoo) fit gagner au jardin la somme de 1000 livres21.
9Des travaux de réparation furent lancés dès l’hiver 1864 pour remettre en état le bâtiment abritant l’herbier et la bibliothèque22. La seedhouse, qui hébergeait les activités liées à l’envoi de graines et de plantes, n’avait pas été endommagée par le cyclone, aussi la distribution de végétaux, une fonction importante du jardin, put-elle être poursuivie dans une certaine mesure. La vie du jardin continuait : avec les sommes obtenues lors de la vente de certaines pièces de bois de teck, de sissoo et d’acajou, Anderson prévoyait de faire relier des ouvrages de la bibliothèque et d’acquérir de nouvelles armoires pour l’herbier23. Après le deuxième cyclone, en 1867, du bois précieux fut également vendu et rapporta environ 400 livres, qu’Anderson consacra à l’achat d’ouvrages de botanique24.
10En 1869, affaibli par des problèmes de santé, Thomas Anderson quitta un jardin toujours en ruine. George King (1840‑1909), diplômé en médecine de l’université d’Aberdeen en Écosse et membre de l’Indian Medical Service, fut nommé directeur du jardin en 1871. Il resta à la tête de l’institution jusqu’en 1897 et vécut donc 27 ans dans le jardin. Quelques années après son arrivée, il entreprit de le reconstruire sur de nouvelles bases. Il prépara pour cela un « plan d’amélioration » qu’il soumit au gouvernement en 1874, et demanda une avance sur budget pour que les aménagements prévus puissent commencer le plus rapidement possible25. Ses arguments furent jugés convaincants, et le gouvernement alloua des fonds pour mener à bien des travaux d’infrastructure en recrutant, à cette fin, davantage de travailleurs26. Les archives attestent des nombreuses demandes de financements exceptionnels et d’augmentation de budget formulées par George King à partir de 1874, qui furent souvent approuvées27. En novembre 1875, par exemple, King demanda 5 000 roupies pour construire une route allant du ponton (ghat) au grand banian et aménager une zone pour garer les véhicules près de l’arbre28. King sut toucher une corde sensible du gouvernement en indiquant qu’il souhaitait améliorer le jardin le plus tôt possible afin qu’il soit présentable pour la visite prochaine à Calcutta du Prince de Galles, prévue à Noël 187529. Ayant obtenu les 5 000 roupies réclamées, il annonça quelques mois plus tard avoir épuisé cette somme et demanda une rallonge, rappelant la venue imminente du Prince : l’administration signala qu’un financement avait déjà été alloué, mais accorda néanmoins 500 roupies supplémentaires30. Il semble que le futur roi Edouard VII n’ait toutefois finalement pas mis les pieds dans le jardin, préférant visiter, quelque temps plus tard, le jardin botanique de Peradeniya à Ceylan31. L’administration rappelait régulièrement à George King qu’il ne devait pas excéder les sommes allouées et qu’il ne recevrait pas plus d’argent que le budget prévu, ce qui ne le dissuadait pas de persister dans ses demandes. En 1878‑1879, le gouvernement du Bengale afficha une volonté de fermeté budgétaire : « le lieutenant-gouverneur a bien voulu fixer l’allocation du jardin botanique pour 1878‑1879 à 52 000 roupies et requiert du directeur qu’il ne dépasse pas cette somme dans son budget »32, ce qui n’empêcha pas George King d’obtenir, cette année-là, 8 000 roupies de plus que la somme prévue33.
11L’évolution du budget annuel de 1861 à 1913 confirme que le gouvernement colonial investit davantage dans le jardin à partir de l’arrivée de George King. Le budget augmenta de plus de 100 % entre 1861‑1862 (22 000 roupies) et 1874‑1875 (53 532 roupies). Cette augmentation s’explique en partie, mais pas seulement, par la chute du cours de la roupie dans les années 1870 (Crawford 1914 : xiii). Une fois pris en compte le taux d’inflation, le budget resta à peu près stable les quatre décennies suivantes, atteignant 69 310 en 1890‑1891, 91 200 roupies en 1896‑1897 et 100 000 roupies en 1912‑191334. Sur le plan administratif, le jardin passa en 1875 du gouvernement impérial au gouvernement régional, c’est-à-dire qu’il fut placé sous la tutelle de la Bengal Presidency35. Les deux sièges administratifs, impérial et régional, se situaient à Calcutta, mais le changement avait son importance : le jardin était estimé d’autant plus utile par le gouvernement qu’il se mettait au service de divers établissements coloniaux de Calcutta et de sa région — nous y reviendrons. Bien que George King eût initialement considéré ce transfert comme une catastrophe et une dégradation symbolique, cela ne se traduisit pas immédiatement, comme il le craignait, par une marginalisation de l’institution qu’il dirigeait36. La hausse du budget ralentit ou s’interrompit seulement pendant les périodes de famine de 1889‑1891 et 1896‑1901, marquées par une diminution des recettes du pouvoir impérial. Pour se faire une idée de ce que représentait le budget du jardin, voici quelques éléments de comparaison : sur le plan administratif, la catégorie dont relevait le jardin des années 1880 aux années 1900 s’intitulait « scientific and other minor departments ». En 1890‑1891, où le budget du jardin était de 69 310 roupies, le total du budget de cette catégorie était d’environ 240 000 roupies, le jardin en représentait donc environ 30 %, soit le deuxième poste après les plantations de quinquina (109 000, environ 46 % du total). L’allocation au jardin représentait plus, à elle seule, que le total des fonds accordés aux autres jardins publics, aux cultures expérimentales, aux sociétés scientifiques ainsi qu’aux foires et expositions. Le budget du jardin zoologique de Calcutta, ouvert en 1876, était de 20 000 roupies en 1891, soit environ trois fois moins que celui du jardin37.
12Il faut toutefois avoir à l’esprit que la part de la catégorie « scientific and other minor departments » dans le budget total de la Bengal Presidency était minime : en 1888‑1889, la catégorie représentait 310 050 roupies sur environ 20 500 000, soit environ 1,5 %. Le budget du jardin représentait donc environ 0,3 % du budget de la région du Bengale. La zone territoriale qui dépendait de la Bengal Presidency était certes beaucoup plus grande que l’actuelle région du Bengale : elle incluait l’actuel Bangladesh et les actuels États du Sikkim, du Jharkhand, du Bihar, de l’Orissa (en partie) et les sept États du Nord-Est. D’autres chiffres permettent de mettre en perspective les montants alloués : en 1882, où le budget du jardin était de 75 200 roupies, le gouvernement du Bengale consacra près de 2 millions de roupies aux prisons de la région, soit environ 26 fois plus38. Nous nous intéresserons plus loin aux liens importants entre les prisons et le jardin botanique.
13Revenons à la reconstruction du jardin : George King mit à profit les fonds alloués pour transformer complètement le territoire. Les coolies (travailleurs non qualifiés) recrutés furent mis à l’œuvre pour assécher les parties marécageuses, creuser la terre afin de former des lacs et, avec la terre ainsi récupérée, constituer de petites collines. L’entrée d’eau dans les lacs était contrôlée par une écluse, construite en 1875, qui laissait entrer ou bloquait l’eau du fleuve39. Des photographies conservées dans les archives du jardin représentent des travailleurs en train de mener à bien des travaux d’excavation. Dès la première année après la mise en œuvre du plan de travaux, le directeur se félicita de ses succès paysagistes : « L’ancienne zone disgracieuse près de l’entrée d’Howrah a été transformée en une sorte de parc doté d’un vaste plan d’eau ornemental. Auparavant très laid, l’endroit a été transformé en un réservoir qui est maintenant l’un des plus jolis du jardin »40. Il envoya également une lettre à Kew contenant des photographies prises par l’Assistant Surveyor General : « J’ai fait beaucoup de paysagisme et le jardin commence à prendre une bien belle allure »41. Les lacs reliés au fleuve permettaient de mêler l’utile à l’agréable : ils étaient décoratifs, et formaient en même temps des réservoirs d’eau qui pouvaient servir pour l’arrosage. Le procédé fut étendu les années suivantes, d’autres lacs furent créés, puis connectés entre eux en 1883 par un système de canaux et de tuyaux. Le jardin fit cette année-là l’acquisition d’une pompe actionnée par un moteur à vapeur pour aider à égaliser les niveaux d’eau42. L’accès au jardin fut rendu plus facile, non seulement grâce à la construction du premier pont sur le fleuve Hooghly en 1874, mais aussi par la construction d’un réseau de routes dans le jardin qui furent peu à peu goudronnées (metalled)43. Les visiteurs se virent accorder en 1875 le droit d’entrer dans le jardin avec leur véhicule, une décision accueillie favorablement mais qui, nous le verrons, ne tarda pas à poser problème44. L’augmentation du nombre de visiteurs fut l’occasion pour George King de demander des fonds supplémentaires, afin notamment de recruter davantage de gardiens45. Les routes avaient également un coût d’entretien élevé. Les sommes consacrées à l’entretien des routes augmentèrent considérablement à partir de la fin des années 1870. Tandis que le nombre de visiteurs ne dépassait pas 10 000 par an en 1872‑1873, il ne cessa d’augmenter pour atteindre vraisemblablement plusieurs dizaines de milliers dans les années 1890, d’après les impressions des directeurs46. George King se félicita dans le rapport de 1896‑1897 que « même pendant l’été et la mousson, pendant lesquels le jardin n’était auparavant fréquenté que par très peu de visiteurs, des groupes de cyclistes ont commencé à considérer le jardin comme un lieu de promenade, profitant, semble-t-il, des routes lisses qui ont pour eux de grands avantages »47.
14Parallèlement à ces gros travaux visant, selon les mots de King, à « remodeler » le jardin, les espèces végétales n’étaient pas oubliées. Le cyclone, nous l’avons vu, épargna bambous et palmiers : lors de sa visite du jardin en 1874, ce sont ces espèces locales que le poète et illustrateur Edward Lear (1812‑1888) choisit d’immortaliser. Un jardin botanique comportant seulement des espèces indigènes ne remplissait toutefois pas sa fonction. Ayant perdu ses principaux arbres, le jardin manquait d’ombre, un élément précieux tant pour les visiteurs que pour les plantes : 10 000 filaos (Casuarina equisetifolia), des arbres à croissance rapide et tolérants au soleil, furent plantés afin de « protéger de leur ombre les plantes plus fragiles »48. George King entreprit également d’augmenter le nombre de structures abritant les végétaux. Des serres à moitié écroulées furent détruites, et deux nouvelles furent échafaudées en 1874‑75 et 187749. Une vaste structure pour les palmiers (palm-house) fut érigée en 1882, puis agrandie en 1888 pour une somme de 15 000 roupies (qui était un maximum, rappela l’administration)50. Les collections de l’herbier augmentant, le gouvernement alloua en 1882 une somme importante (52 737 roupies) afin de construire un nouveau bâtiment pour les abriter51. Des habitations pour les plantes vivantes et les spécimens, donc, mais aussi pour les employés, coloniaux comme indiens : les coolies lines où habitaient les employés furent déplacées et améliorées, et plusieurs bâtiments destinés à l’équipe dirigeante furent construits ou agrandis.
15Le directeur tira en 1883 un bilan positif des travaux menés depuis le plan de rénovation soumis au gouvernement en 1874 : « pendant les neuf années qui viennent de s’écouler, le jardin a pratiquement été réinventé »52. En 1896, on pouvait lire dans le Amrita Bazaar Patrika : « Dans son état actuel hautement efficace, qu’il a atteint grâce à George King, le jardin est l’un des lieux les plus éclatants de l’orient »53. L’époque de l’apogée du Raj britannique représenta donc aussi un apogée pour le jardin de Calcutta. Des doutes subsistaient cependant sur la question de l’emplacement du jardin, dont la situation géographique était, de l’aveu de tous, loin d’être idéale.
Surface et situation
16Le renouveau du jardin après sa destruction peut sembler étonnant, puisque ses responsables ne cessèrent d’affirmer que son territoire était à la fois mal placé et d’une taille trop importante. Les critiques portaient notamment sur les conditions climatiques difficiles et la dangereuse proximité de la rivière. Si les cyclones de 1864 et 1867 furent particulièrement violents, les événements climatiques destructeurs n’étaient pas rares. Les rapports annuels font régulièrement état de tempêtes qui endommageaient les arbres et provoquaient des inondations, des cataclysmes presque routiniers qu’un responsable du jardin appela dans un rapport des « catastrophes annuelles mineures »54. Le cyclone de 1864 ne fut pas la seule occasion où le jardin se retrouva sous les eaux : les coups de vent, même de faible intensité, avaient tendance à provoquer des inondations. En 1897 eut lieu un tremblement de terre qui endommagea sérieusement le toit du bâtiment de l’herbier. Il fut suivi d’un vent violent et d’une forte pluie qui inonda l’herbier, faute d’un toit imperméable, et causa la destruction ou l’altération de nombreux spécimens55. En 1900, suite à une mousson particulièrement abondante, le jardin se retrouva sous les eaux. Avant les travaux de reconstruction du jardin, R. H. Wilson, un haut fonctionnaire au service du Lieutenant Governor du Bengale, avait indiqué sans ambages dans une lettre officielle qu’étant donné la fréquence des catastrophes climatiques à Calcutta, il trouvait relativement futiles les tentatives de regrouper dans le jardin de nombreuses espèces d’arbres : « Puisque, comme chacun le sait, les arbres de Calcutta sont très régulièrement mis en pièce par les cyclones, il ne semble pas propice d’y établir un arboretum. Avant 1864, par chance, une interruption dans les tempêtes a permis au jardin botanique de se boiser, mais depuis, à cause d’une succession de cyclones, la plupart de ses arbres ont disparu »56.
17Le climat, donc, et la proximité du fleuve rendaient difficile l’aménagement du territoire. Un article paru en 1875 dans le Madras Mail affirmait : « À cause d’obstacles climatiques inexpugnables, un jardin botanique ne peut atteindre le même degré de popularité ou d’utilité qu’en Europe »57. George King détailla ces obstacles en 1878, notamment afin de convaincre le gouvernement de créer une dépendance du jardin dans la station d’altitude de Darjeeling, à 600 km au nord de Calcutta dans les contreforts de l’Himalaya (ce jardin vit le jour la même année sous le nom de Lloyd’s Botanical Garden). King affirmait que Calcutta et le delta du Gange étaient les pires endroits qu’on pût imaginer pour l’acclimatation des plantes, d’où la nécessité d’établir des succursales du jardin à d’autres endroits plus propices :
Le sol et le climat de Calcutta sont si spéciaux que le fait d’y cultiver des plantes exotiques […] peut être envisagé uniquement dans le cas d’espèces qui habitent normalement des lieux ayant des propriétés physiques semblables. Calcutta étant située au tout début de la zone tropicale, il est bien évidemment sans espoir de tenter de cultiver ici des espèces de zones tempérées autres que celles qui peuvent être cultivées en hiver comme des annuelles. Pourtant, bien que Calcutta soit comprise dans la zone tropicale, le climat n’y est pas du tout tropical. La température basse de la saison froide et les fortes chaleurs accompagnées de sécheresse et de forts vents en été sont presque également fatales à la croissance des plantes véritablement tropicales, tandis que la longue saison des pluies est également fatale aux plantes originaires de régions semi-tropicales plus sèches. En ce qui concerne le sol du delta du Gange, un limon sableux pauvre composé principalement de silice et très pauvre en chaux, où le niveau de l’eau est en plus toujours près de la surface ou même parfois au-dessus, c’est l’un des pires sols que l’on puisse imaginer pour l’acclimatation58.
18Ce constat explique pourquoi George King se montra réticent à mener certaines expériences de botanique économique que le gouvernement l’enjoignait à réaliser et pourquoi il choisit de privilégier des démarches paysagistes plus pragmatiques et qui impliquaient autant de travaux d’infrastructure (comme la création de lacs, de collines, et l’installation d’un système hydraulique) que de cultures végétales.
19La situation géographique du jardin était problématique également en ce qu’elle ne permettait pas aux visiteurs un accès facile depuis la ville. Le jardin était situé à Sibpur, un quartier de la ville de Howrah qui faisait face à Calcutta de l’autre côté du fleuve. L’article du Madras Mail cité plus haut affirmait que le climat difficile était un moindre mal en comparaison de la mauvaise position du jardin par rapport au centre de Calcutta : « Il ne fait pas de doute que notre jardin botanique aurait de longue date été tenu en bien plus haute estime par le public s’il avait été moins inaccessible. L’erreur qui a été commise en situant le jardin à l’extrémité de Howrah plutôt que dans les faubourgs de Calcutta est à présent irrattrapable, et rien ne peut être fait pour la compenser entièrement »59.
20En effet, la situation du jardin sur la rive droite du Hooghly forçait les visiteurs à une traversée en bateau, du moins jusqu’à la construction du premier pont flottant en 1874 : King dénonça « l’inconfort de devoir traverser [le fleuve] à l’aide du seul type d’embarcation disponible, un simple dinghy »60. Dans son guide publié en 1895, il prit soin de prévenir les visiteurs arrivant par voie fluviale (pourtant censés être déjà arrivés au moment où ils étaient en mesure d’acheter le guide) que les pilotes (boatmen) tentaient invariablement d’extorquer aux étrangers des sommes excessives, et indiquait que la somme dépensée pour atteindre le jardin ne devait pas dépasser 1 roupie, dans les cas où la marée était contraire (King 1895 : 2). Même après la construction du pont, situé au nord de la ville, le fait de l’emprunter obligeait les visiteurs du quartier européen, au sud de la ville, à faire un grand détour pour atteindre le jardin. Sarat Chundra Mitra (1863‑1938), homme de loi, naturaliste et anthropologue, regretta en 1890 que le Royal Botanic Garden soit moins populaire que le jardin plus petit de l’Agricultural and Horticultural Society, situé à Alipore (Mitra 1890 : 174). Le constat de ce mauvais emplacement était partagé par la presse anglophone de Calcutta. Un article publié dans The Englishman en 1869 allait jusqu’à énumérer une liste d’alternatives possibles pour réimplanter le jardin à un endroit plus favorable :
Le déménagement du jardin de son emplacement actuel désavantageux a souvent été réclamé, et on a suggéré que le gouvernement mette à profit le domaine de Kidderpore, qui semble le plus approprié pour réimplanter le jardin sans dépenses publiques excessives. Ou bien la zone du Maidan en face de Chowringhee Road, qui s’étend du début de Park Street jusqu’à la prison, serait rendue bien plus belle si l’on y implantait le jardin botanique61.
21Après les cyclones, la question se posa donc de savoir si le jardin pouvait être transféré ailleurs, plus près des ressources potentielles de visiteurs, et du bon côté du fleuve. Thomas Anderson aurait souhaité que le jardin soit en effet déplacé, ce qui explique qu’il n’ait pas entrepris de compenser les dommages causés par les cyclones et ait préféré concentrer ses efforts sur l’herbier et la bibliothèque62. Avant de soumettre son plan d’amélioration du jardin au gouvernement, George King tenta, lui aussi, de faire intervenir ses relations pour en abandonner l’emplacement initial et lui trouver une autre base. Comme il l’expliqua par lettre à Joseph Dalton Hooker, la construction du pont sur l’Hooghly en 1874 ne jouait pas en faveur de ce projet, puisqu’il rendait en théorie le jardin plus accessible aux visiteurs habitant à Calcutta63. La hausse des prix des terrains à Calcutta et la forte densité de population rendaient également peu probable la perspective d’un déménagement. Comme le redoutait George King, le gouvernement ne donna pas suite à cette demande. Dans son guide de 1895, il exprima le regret que le jardin fût resté là où il se trouvait : « C’est presque dommage que l’on n’ait pas saisi l’occasion de la destruction du jardin pour abandonner le présent site et commencer un nouveau jardin de l’autre côté du Hooghly »64. Le désir d’un recommencement total, formulé par les botanistes et relayé par la presse, ne put donc être assouvi.
22Une autre série de critiques adressées par ses responsables au jardin tel qu’il était concernait sa grande taille. Sa surface était en 1874 de 260 acres (un acre équivaut à environ 4 000 mètres carrés), soit une centaine d’hectares65. À titre de comparaison, selon un guide publié en 1875, le jardin botanique de Kew Gardens occupait une surface de seulement 69 acres66. Le caractère vaste du jardin s’expliquait par le projet initial de Robert Kyd, son fondateur, d’en faire une sorte de plantation qui subviendrait directement aux besoins de l’East India Company, notamment en épices, en fruits et en bois de teck67. Un grand terrain étant déjà en 1787 difficile à trouver à Calcutta même, et sa propre résidence se situant non loin, Kyd avait fait acheter un terrain à Sibpur, sur les ruines d’un ancien fort démoli (Muggah Tannah) au prix d’expropriations. Le terrain était, à ses dires, et malgré la présence d’habitants qui furent déplacés ailleurs, « parfaitement sauvage, envahi par les buissons et soumis aux inondations causées par la marée » (Chatterjee 1948 : 362)68. George King affirma en 1874, en vue notamment d’obtenir davantage de fonds pour la main-d’œuvre, qu’il était impossible de maintenir une si grande surface dans un état présentable : le budget permettait d’affecter environ 125 à 130 employés au jardinage, soit, calculait King, moins d’un jardinier pour deux acres69. « Ce jardin est bien trop grand en proportion de la main-d’œuvre qui y est disponible »70, écrivit-il à propos d’un projet de créer un jardin de plantes médicinales près du Melaleuca cajuputi , selon lui irréaliste étant donné le manque d’employés. Le vaste territoire du jardin était difficile à maintenir intégralement en état de culture : une partie importante du travail des jardiniers était consacrée à empêcher la « jungle », les végétaux non désirables, de gagner du terrain. George King décrivit par exemple la prolifération d’une variété d’herbe qui envahit complètement le jardin après les cyclones, étant résistante au soleil tandis que les autres plantes souffraient du manque d’ombre :
La prolifération de cette herbe est un autre des nombreux effets pervers du cyclone. Elle n’aime pas l’ombre, et tant que les arbres étaient debout elle ne progressait pas, mais une fois l’ombre disparue à cause de la destruction des arbres, elle commença à prendre possession du sol, et je crains qu’elle ne puisse être éradiquée avant que les arbres aient repoussé. Pour le moment, en plus d’être disgracieuse, elle cause beaucoup d’efforts et d’ennuis71.
23Dans un autre document, George King indique le nom populaire de cette herbe indésirable (inveterate weed), ooloo grass, et mentionne son nom binomial, Imperata cylindrica (King 1895 : 7). Le périodique de l’Agricultural and Horticultural Society of India mentionnait en effet régulièrement des cas de cultures endommagées par la progression incontrôlée de cette graminée invasive. Un manuel de jardinage adapté à l’Inde, écrit par Thomas Firminger, la présentait comme un danger pour les pelouses dans les zones régulièrement inondées, au même titre que Cyperus hexastachyus (moothoo) et Saccharum spontaneum (kâsh) (Firminger 1890 : 25). Il s’agissait pourtant aussi d’une plante utile : George Watt, auteur d’un manuel des produits économiques du Bengale, mentionne par exemple qu’on en fabriquait un chaume de bonne qualité (Watt 2014 : 336)72. Firminger indique dans son manuel qu’elle pouvait être utile pour fabriquer les betel-houses que George King louait par ailleurs comme particulièrement adaptées à la croissance des plantes au Bengale (Firminger 1890 : 31). Son caractère disgracieux (unsightly) ne va pas non plus de soi, puisque, malgré son caractère invasif attesté, elle est aujourd’hui cultivée comme plante ornementale, appréciée pour ses teintes rouges et ses épis argentés.
24Ainsi, ce grand jardin devait être cultivé, mais pas n’importe comment. Afin de pouvoir étudier les plantes qui poussaient, distribuer des graines de diverses espèces et satisfaire les demandes des correspondants, il était nécessaire de savoir où se situaient dans le jardin les différentes espèces de plantes : or, celles-ci étaient dispersées. À cet égard, la grande taille du terrain représentait un obstacle. Thomas Anderson, lorsqu’il voulut établir un catalogue des plantes dans les années 1860, se heurta au fait que les spécimens d’espèces apparentées étaient éloignés les uns des autres parfois d’un mile (1,6 km) (Anderson 1865 : iii). Selon Andrew Gage (1871‑1945), directeur de 1906 à 1923, il existait une contradiction entre l’aménagement paysagiste du jardin, notamment le fait qu’il s’y trouvait des lacs, et la possibilité de garder trace des emplacements de différentes espèces (Gage 1926 : 77) : « Dans un jardin aussi vaste que celui de Calcutta, conçu principalement pour le plaisir esthétique et parcouru par tant de plans d’eau, la répartition non raisonnée (d’un point de vue purement botanique) des espèces rend difficile le fait de garder trace de leur position »73.
25De nombreux et tortueux déplacements étaient donc nécessaires pour cultiver certaines zones, pour y étudier la croissance des plantes et récolter des graines. Les archives contiennent diverses demandes formulées par les botanistes pour accélérer et rendre moins pénible la circulation au sein du jardin. En 1874, George King demanda une allocation spéciale (horse allowance) de 25 roupies mensuelles afin d’entretenir des chevaux pour le curator du jardin et son assistant :
Il est clair que l’utilité de ces employés est dans une large mesure limitée par le manque de moyens de locomotion rapides permettant d’aller d’un bout à l’autre du jardin. Ce dernier mesure plus d’un mile de long, il est souvent nécessaire d’organiser des travaux simultanément dans des endroits éloignés les uns des autres, et par ce climat il est impossible de superviser efficacement de tels travaux si les employés ne peuvent se déplacer qu’à pied74.
26Le poney dont se servait Thomas Anderson fut donc rejoint par des chevaux, puis, dans les années 1890, par des machines à la pointe de la technologie : deux tricycles en 1891, et trois bicyclettes en 189875. Dans son argumentaire pour l’achat de bicyclettes, qui coûtaient cher, George King indiqua qu’elles étaient d’autant plus indispensables que le personnel était souvent en proie à des maladies et incapable de parcourir à pied de longues distances :
Comme vous le savez, l’aire du jardin est considérable, et afin que le travail réalisé soit efficace, il est de la plus haute importance que les employés européens puissent se déplacer rapidement et librement sur toute sa surface. C’est pratiquement impossible pendant la saison chaude, et a fortiori pendant la saison des pluies, en particulier si les employés doivent se déplacer à pied. Pendant la période de mousson qui vient de s’achever, tous les employés européens ont été incapables de travailler à cause de la fièvre ; et les deux tricycles étant hors d’usage, c’est seulement en leur prêtant une petite charrette tirée par un poney, qui m’appartiennent personnellement, que le travail ordinaire du jardin a pu être mené à bien76.
27George King recommandait donc l’achat de « bicyclettes solides à pneus gonflables » (solid cushion-tired bicycles) pour une somme d’environ 250 roupies (soit l’équivalent de plus d’un an de salaire d’un employé moyen du jardin), au détriment de machines moins chères mais ne lui semblant pas de bonne qualité. Les bicyclettes ne supplantèrent toutefois pas totalement la locomotion animale, puisqu’un poney supplémentaire fut acquis en 189877.
28Ainsi, malgré les difficultés liées à son emplacement et à sa taille, le jardin resta là où l’avait implanté Robert Kyd en 1787. Le refus du gouvernement de déplacer le jardin était cohérent avec le rôle qu’il souhaitait voir jouer par l’institution, c’est-à-dire celui d’un terrain où seraient menées des expériences agricoles permettant d’assurer une bonne exploitation commerciale des ressources disponibles et cultivables localement.
Terrains d’expérimentation
29L’administration coloniale en Inde pendant le dernier tiers du xixe siècle pratiquait un fort interventionnisme (Arnold & Guha 2009). L’État impérial se donna notamment pour but d’améliorer des variétés de plantes localement cultivables afin de rendre leur culture et leur commerce plus rentables, et collaborant à cette fin avec les grands conglomérats industriels qui régissaient à cette époque de nombreux aspects de l’économie indienne78. L’Agricultural and Horticultural Society of India (AHSI), qui entretenait des liens étroits avec le jardin, menait des expériences pour déterminer quelles espèces étaient cultivables, à quel coût et pour quel rendement. Ces expériences avaient lieu dans le jardin même et au sein de la ferme expérimentale d’Akra (à une vingtaine de kilomètres au Sud-Ouest de Calcutta) notamment sur des produits commerciaux comme le thé, la canne à sucre, le coton et le tabac. L’AHSI comptait 2 700 membres en 1888. Subventionnée par l’État et alimentée par les contributions de ses membres, elle regroupait des hommes d’affaires expatriés membres de conglomérats industriels (managing agencies), diverses catégories de fonctionnaires de l’Indian Civil Service (juristes, administrateurs locaux, directeurs de prisons) et de l’Indian Medical Service, des propriétaires de plantations (notamment les planteurs de thé de l’Assam, présents en très grand nombre), des marchands, des zamindars (propriétaires terriens), et des dignitaires locaux (rajas et maharajas)79. Depuis 1836, le jardin hébergeait la AHSI en lui prêtant un terrain, qui fut réapproprié par Thomas Anderson en 1865 — la société déménagea alors à Alipore, dans les quartiers européens de Calcutta80. Le lien entre le jardin et la AHSI fut toutefois préservé : George King était cité en tout premier dans la liste des membres publiée chaque année81.
30Le gouvernement colonial voyait d’un bon œil cette collaboration82. A partir de 1875, lorsque l’administration du jardin fut transférée au gouvernement du Bengale, ce dernier investit le jardin de missions liées à l’acclimatation et à l’amélioration d’espèces qui présentaient un intérêt commercial potentiel. Entre 1875 et 1900, des expériences furent par exemple menées sur des espèces alimentaires (vanille, caroubier, pomme de terre, divers légumes, médicales et psychotropes (opium, quinine, cannabis, ipéca) et, d’une manière particulièrement notable, fibreuses (jute, sisal, bambou, baobab, chanvre et de multiples espèces de graminées). Les essais visaient à déterminer la possibilité d’une exploitation commerciale de certaines espèces, à acclimater les espèces allogènes en sélectionnant d’une année sur l’autre les plantes les plus vigoureuses de chaque espèce pour les reproduire ensuite et à « améliorer » des espèces locales par sélection et hybridation. Il s’agissait aussi de comprendre la cause de maladies qui pouvaient affecter les récoltes et de lutter contre les prédateurs (insectes et rongeurs)83.
31George King, on l’a dit, pensait que le climat de Calcutta et des plaines du Bengale était particulièrement défavorable à la réalisation de telles expériences. Le gouvernement, toutefois, insistait régulièrement sur le fait qu’il s’agissait là de l’un des rôles principaux du jardin. Les rapports annuels de 1875 à 1885 mentionnent de nombreux essais menés sur le territoire du jardin, dont la principale conclusion était que les espèces testées ne pouvaient décidément pas pousser dans le delta du Gange. Année après année, George King se montra de plus en plus pessimiste et visiblement impatient concernant certains essais commandés par le gouvernement. À propos de la vanille, King écrivit qu’il avait essayé de varier l’exposition des plants en les disposant dans des enclos couverts de chaume, puis à l’ombre de manguiers, pour un résultat décevant :
Je regrette de devoir dire que l’espoir que ces plants donnent un jour une récolte profitable est le plus mince que j’aie jamais vu. Notre plus beau plant de vanille est de loin celui qui pousse du côté nord d’un vieux mur. Comme d’habitude, il a produit une bonne quantité de gousses, et comme d’habitude elles sont toutes prématurément tombées à terre lors d’une journée trop chaude. Je suis plus que jamais conforté dans mon opinion qu’il n’y a aucun espoir de faire de la culture de la vanille une industrie profitable au Bengale84.
32En 1873, un rapport produit par le département des forêts convainquit le gouvernement de la possibilité de cultiver des baobabs (Adansonia digitata, originaire d’Afrique) pour produire du papier85. Les cours mondiaux du papier étant en forte augmentation, la recherche sur les plantes fibreuses papyrifères connut une effervescence à laquelle le jardin fut tenu de participer. En 1874, le Conservator of Forests, W. Schlich, envisagea d’établir une culture expérimentale à Madia, situé dans le district de Nuddea à environ 80 kilomètres au nord de Calcutta. Estimation faite, le coût de cette expérience parut excessif : il aurait fallu au moins 2 000 roupies pour planter et entretenir des baobabs sur un terrain de 13,5 acres (environ 5 hectares). L’endroit était difficile d’accès et aurait également nécessité des fonds pour payer un officier chargé de superviser les opérations (40 roupies à chaque visite). Après avoir consulté George Henderson, qui remplaçait temporairement George King au poste de directeur, W. Schlich proposa donc de confier au jardin la mise en œuvre de l’expérience sur un terrain de 2 acres (0,8 hectare), ce que le gouvernement approuva. La culture de baobabs dans le jardin commença en juillet 187486. Que des arbres de cette espèce puissent pousser au sein du jardin ne faisait pas de doute : nous avons mentionné la description faite par Thomas Anderson du petit séisme provoqué par la chute d’un vieux baobab lors du cyclone d’octobre 1864. La question était de savoir si les baobabs pourraient pousser facilement au Bengale sans faire l’objet de soins particuliers, c’est-à-dire sans coût excessif de main-d’œuvre, aussi George King laissa-t-il les plants se débrouiller (fight their own battle87). En 1876, il estima, à partir de l’état des arbres plantés, que l’opération avait peu de chances d’aboutir et en 1879, il tira la conclusion suivante : « Il est assez clair que la majorité des baobabs vont être supplantés par les herbes grossières, aux racines profondes, qui infestent le sol partout dans les plaines du Bengale »88.
33Le journal Times of India, qui publiait des extraits et des commentaires du rapport annuel du jardin, écrivit : « Dans l’ensemble, Dr. King ne semble pas avoir un goût excessif pour l’expérimentation »89. Les rapports des années 1876 à 1879 furent particulièrement critiques envers les projets expérimentaux menés sur ordre du gouvernement au sein du jardin, notamment concernant l’ipéca, le bambou, le caroubier, le caoutchouc et l’eucalyptus90. King dénonça le caractère utopique d’un projet de fabrication de papier à partir du bambou, « l’espoir invraisemblable d’un fabriquant de papier anglais d’avoir trouvé dans les jeunes pousses de bambou une matière première utilisable » : le procédé préconisé, qui impliquait de tailler les plantes à intervalle régulier, traduisait selon lui une méconnaissance totale du cycle de vie des bambous91. Au sujet du caroubier (Ceratonia siliqua), un arbre du Moyen-Orient dont on espérait produire du fourrage, King écrivit : « Je n’ai jamais cru à la tentative d’ajouter le caroubier aux plantes fourragères du Bengale, et de fait, la plupart des jeunes plants ont dépéri avant d’atteindre la taille de 15 centimètres »92. L’Hevea brasiliensis, cultivé pour son caoutchouc, était tout aussi décevant : « On peut être aux petits soins pour les plants d’hévéa afin qu’ils grandissent dans nos serres, mais l’espèce est trop complètement tropicale pour survivre sans protection aux vicissitudes du climat du nord de l’Inde »93. Au sujet de l’eucalyptus, dont le gouvernement promouvait l’introduction comme mesure sanitaire pour lutter contre la malaria en asséchant les sols, le ton de King se fit cinglant : « Le projet d’améliorer le climat malarial des plaines du Bengale en introduisant des Eucalyptus en quantité est parfaitement utopique »94. Après chaque rapport annuel, l’administration produisait une note d’une ou deux pages commentant les progrès et problèmes du jardin dans l’année. En 1878‑1879, on pouvait y lire la résolution suivante : « Il est inutile de tenter de cultiver à Calcutta des plantes pour lesquelles le climat est totalement inadapté »95. Certaines tentatives d’implantation étaient pourtant fructueuses, d’une manière qui surprenait parfois George King lui-même. Ce fut le cas par exemple pour l’arbre à pluie (Samanea saman) et l’espèce Manihot glaziovii, l’une des sources possibles de caoutchouc. Reçus par le jardin en 1879, les plants de Manihot glaziovii, soigneusement placés dans des serres, ne poussaient pas bien, jusqu’au moment où l’on décida de les placer à l’extérieur :
Les premiers plants reçus paraissaient, peu de temps après leur arrivée, faibles et maigrelets, et pendant un temps me donnèrent peu de raisons d’espérer. La suite montra que leur apparente faiblesse était en fait le résultat de trop de protection et que, une fois exposés librement au soleil et à la pluie, ce Manihot est une espèce merveilleusement résistante et facile à propager96.
34Contrairement à l’Hevea brasiliensis, une autre plante productrice de caoutchouc, qui poussait bien en milieu protégé mais ne survivait pas en plein air, le Manihot glaziovii ne supportait donc pas d’être trop choyé.
35Les tentatives d’introduction de plantes qui échouèrent sont fréquentes dans l’histoire du jardin. Un article publié dans Nature en 1948 revenait sur les premiers essais menés par Robert Kyd (Chatterjee 1948 : 363) :
[Robert Kyd] parvint à se procurer une étonnante variété d’espèces, des plants de dattier et de tabac de Perse, de thé chinois, de pommes anglaises, de cerises, abricots et santal de la côte de Malabar, du poivre noir, d’arbre à pain et de plusieurs espèces à caoutchouc. Ils furent tous plantés comme ils devaient l’être, mais comme on pouvait s’y attendre, la plupart succombèrent au difficile climat de Calcutta. La culture du teck fut également abandonnée, pour les mêmes raisons, dans les années qui suivirent.
36Le teck était un bois particulièrement résistant à l’eau, prisé pour la construction de navires, à une époque où la marine britannique devait agrandir sa flotte pour assurer le contrôle des mers. Le jardin comporta pendant plus de 30 ans une plantation de Tectona grandis, sur une surface d’une vingtaine d’hectares. Les arbres poussaient bien, mais le bois qui en était issu était d’une qualité inférieure et était inutilisable pour la construction de navires : en 1937, un directeur du jardin signala que « bien que le teck pousse apparemment très bien sur les sols boueux du delta du Gange, le tronc des arbres devient rapidement creux près de la base et ils sont incapables de produire du bois de qualité » (Biswas 1937 : 10). D’un certain point de vue, ces expériences n’étaient toutefois pas des échecs mais simplement des étapes vers une meilleure gestion des ressources, permettant de déterminer quelles espèces étaient viables dans la région. Dans le résumé historique qu’il rédigea en 1887 à l’occasion du centenaire de la fondation du jardin, King écrivit que les essais initiaux, malgré leurs résultats négatifs, avaient permis d’économiser de l’énergie par la suite : « Une part non négligeable des bénéfices conférés au pays par le jardin botanique est la démonstration faite, au moyen d’expériences pratiques, que de nombreux produits naturels, dont certains sont particulièrement désirables, ne peuvent pousser au Bengale, épargnant ainsi aux autorités beaucoup d’argent et d’efforts »97.
37David Prain affirma que la valeur des essais infructueux, contrairement à la valeur quantifiable de ceux qui avaient réussi, était inestimable : « Ce qui a été épargné à l’industrie et au commerce en évitant les entreprises dont les jardins botaniques ont prouvé qu’elles étaient vouées à l’échec est presque incalculable » (Prain 1925 : 284)98. L’article de Nature cité plus haut suivait cette ligne : « le fait que Robert Kyd ait échoué à cultiver tant d’espèces commerciales et économiques ne doit pas être regretté. […] Par cet échec il contribua à faire jouer au jardin un rôle essentiel dans les progrès de la botanique indienne » (Chatterjee 1948 : 363)99.
38George King était conscient que ce type d’expérience justifiait en grande partie les fonds alloués par le gouvernement. Dans sa notice biographique sur la vie de Robert Kyd, publiée en 1893, il loua l’habileté du fondateur du jardin qui, s’il avait des projets d’ordre scientifique, sut les mettre en sourdine au profit de l’intérêt économique du projet afin de convaincre l’East India Company de son bien-fondé (King 1893 : 2) :
S’il avait tenté de persuader les responsables locaux de ce qui était alors une compagnie commerciale de fournir, à un coût annuel considérable, des moyens destinés à la botanique scientifique, plutôt qu’à la botanique économique, Robert Kyd n’aurait probablement pas favorisé ses chances de faire approuver son projet de jardin botanique. L’aspect scientifique de l’entreprise fut donc, avec une louable sagacité, passé sous silence dans la proposition initiale100.
39L’interprétation que faisait George King de la manière dont son illustre prédécesseur communiquait avec les instances susceptibles de le financer révèle sans doute surtout sa propre opinion sur la contradiction entre ses propres objectifs et ce que le gouvernement lui demandait de faire. Selon King, la « science » ne pouvait advenir que semi-clandestinement et ne trouver place que dans les interstices ménagés entre les exigences parfois extravagantes du pouvoir. Il s’en plaignit par lettre en 1883 auprès de Joseph Dalton Hooker, en indiquant qu’il acceptait de collaborer à un projet de description de palmiers mais qu’il ne pourrait obtenir de fonds pour un travail qui n’était que botanique (purely botanical work) et qui n’avait pas d’applications économiques101. La même année, il expliqua d’ailleurs à Hooker qu’il lui était nécessaire de dissimuler certains projets et idées dans les rapports annuels afin d’obtenir un maximum d’argent du gouvernement102. King s’irritait du manque de compétence scientifique des responsables administratifs dont il dépendait, qui ne se privaient pas de demander l’impossible. Il le souligna en 1877 à propos des fermes expérimentales (appelées tantôt model farms et tantôt experimental farms), mises en place dans les années 1870 et qui ne donnaient pas les résultats escomptés :
Nos fermes expérimentales n’ont rien donné de bon parce qu’elles n’ont pas été établies selon des principes véritablement scientifiques. Nos efforts ont été dirigés principalement vers l’introduction de nouvelles espèces comestibles et de produits étrangers, sans aucune raison sérieuse, cependant, d’espérer que ces espèces avaient des chances d’être implantées avec succès. Dans la faible mesure où nos expériences peuvent être considérées comme instructives, elles semblent montrer les grandes difficultés qu’il y aurait à introduire les plantes que nous souhaitions cultiver103.
40De nombreuses fermes expérimentales furent en effet fermées dans les années 1870104. Celle de Pusa au Bihar, qui comportait 1300 acres soit environ 526 hectares, l’une des rares à avoir continué à fonctionner, fut finalement louée en 1877 à Begg, Dunlop & Co., un conglomérat industriel (managing agency) de Calcutta, en échange de la promesse que les responsables de la firme mèneraient des expériences sur la culture du tabac et en communiqueraient les résultats au gouvernement105. Deux ans plus tard, la compagnie racheta les bâtiments de l’ancienne ferme pour les transformer en usine106.
41Selon George King, il était vain de vouloir à tout prix acclimater des espèces dans les plaines du Bengale, une région qui se prêtait mal aux expériences : il suggéra donc d’établir des succursales du jardin (branch gardens) à d’autres endroits où régnait un climat moins défavorable. Dans son argumentaire pour la création d’un jardin à Darjeeling, station d’altitude située dans les contreforts de l’Himalaya, il affirma qu’il était plus facile de faire monter la température en cas de besoin, au moyen de serres, que de la faire descendre — chose impossible, une fois épuisé le recours à l’ombre107. Le climat en altitude était donc considéré comme plus modifiable que le climat des plaines, décrit comme à la fois malsain et implacable. L’opposition entre le climat intraitable des plaines et celui plus malléable des montagnes s’inscrit plus généralement dans la représentation coloniale des montagnes comme saines, peuplées d’hommes francs, heureux et forts, opposés aux « hindous » des plaines, décrits comme serviles, plaintifs et efféminés : l’altitude était vue comme physiquement salvatrice et moralement fortifiante (Kennedy 1996 ; Sivasundaram 2013 : 5). On peut situer cette représentation des montagnes, particulièrement de l’Himalaya, dans un idéal de masculinité et de distinction sociale qui avait présidé à l’émergence de la notion de « sport » en Europe au xviiie siècle (O’Quinn & Tadié 2018)108. L’air des montagnes était considéré comme favorable aussi bien aux hommes qu’aux plantes.
42Le jardin botanique de Darjeeling fut donc créé en 1878 et prit le nom de l’officier, Lloyds, qui avait légué un terrain à cette fin. La zone fut placée sous la responsabilité du directeur du jardin de Calcutta et servit de relais pour les échanges de graines et de plantes avec les plantations de quinquina, dont le jardin avait la responsabilité. On y mena également des expériences afin d’acclimater « les meilleures variétés de pomme de terre britannique » et le jardin était chargé de distribuer des variétés de légumes « améliorées » aux résidents de la station d’altitude. Il semble qu’outre le climat plus tempéré et la création de cercles de sociabilités coloniaux, la production de végétaux dits « européens » ait été un aspect important du fonctionnement des stations d’altitude, comme celle de Nuwara Eliya à Ceylan (Sivasundaram 2013 : 202). Le nouveau jardin de Darjeeling connut toutefois des débuts difficiles. Quelques années seulement après sa création, il fut presque entièrement englouti par des débris créés par la construction d’un hôpital. Dans ces régions montagneuses, les constructions étaient organisées en terrasses, souvent donc les unes en contrebas des autres. Les débris issus des travaux pour la construction de l’hôpital furent entraînés en contrebas par les pluies de la mousson et engloutirent le jardin :
L’année a été assez désastreuse pour le jardin de Darjeeling. La construction d’un nouvel hôpital au sommet de la colline au-dessus du jardin a produit de grandes quantités de débris de terre et de rochers et pendant la saison des pluies, de grandes quantités de ces débris ont régulièrement été déversées à torrents dans le jardin, engloutissant parterres, pelouses et routes, et déracinant des arbres. Lors de l’une de ces avalanches le jardin municipal de légumes fut complètement submergé et pendant six mois aucun légume ne put être fourni aux résidents de la station109.
43Si le jardin de Calcutta avait été victime en 1864 d’une catastrophe naturelle, celui de Darjeeling fut donc dévasté en 1882 par des décombres issus d’activités humaines. À cette avalanche s’ajouta, la même année, une invasion de hannetons :
En plus de cette mésaventure, des larves de hannetons sont apparues dans la terre par centaines de milliers, dévorant toutes les racines qu’elles pouvaient atteindre. Seuls les plus grands arbres et les plantes en pots ont échappé à ces créatures voraces. Environ trois millions d’entre elles furent collectées et tuées, le reste a atteint l’âge adulte et les hannetons se sont envolés110.
44Les arbres tombés dans le jardin de Calcutta après les cyclones avaient été soigneusement dénombrés. En 1882 à Darjeeling, ce furent les larves de coléoptère que l’on compta. On peut d’ailleurs se demander comment le décompte fut réalisé — le rapport annuel semble en tout cas indiquer que les larves furent collectées individuellement à la main avant d’être détruites. L’extermination des hannetons mobilisa, plusieurs années à la suite, l’énergie de nombreux travailleurs et même à certaines périodes de toute la main-d’œuvre disponible. La question de la main-d’œuvre était centrale dans la lutte contre les insectes nuisibles, avant que l’usage d’insecticides chimiques ne se répande progressivement dans les années 1890 : une invasion de sauterelles survenue en 1891 fit d’autant plus de dégâts qu’elle se produisit un dimanche, rendant plus difficile le recrutement immédiat de coolies pour empêcher les insectes de se poser et de détruire les plantes111.
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45Ainsi, la reconstruction du jardin après les cyclones de 1864 et 1867 témoigne du fait que l’administration impériale pensait trouver son compte dans les activités d’un jardin botanique, même touché par des crises climatiques régulières. George King prit son parti de la situation géographique peu amène de l’institution qu’il dirigeait et disposa de suffisamment de financements pour en réaménager le territoire. Il fit pour cela des concessions aux directives du pouvoir concernant les essais de botanique économique susceptibles d’enrichir l’empire, tout en prévenant que le jardin n’était pas propice à ce type d’expériences. Loin de présenter le caractère utopique que l’on associe souvent aux jardins botaniques, le jardin était un cauchemar local pour ses responsables, qui ne cessèrent de décrire sa situation comme inadaptée et sa taille comme excessive. Le site de Sibpur, où l’institution exerçait principalement son contrôle, n’était toutefois pas le seul territoire qu’elle cultivait. Le jardin était multi-local : il était aussi responsable du Lloyd’s Botanical Garden de Darjeeling et menait des expériences conjointement avec d’autres lieux comme les fermes expérimentales. En ce qui concerne l’espace du jardin lui-même, le projet territorial de George King témoignait d’un souci esthétique et cherchait en même temps à illustrer l’idée que la botanique en Inde était une entreprise européenne. Cette démarche se distinguait de celle de ses prédécesseurs, dont plusieurs avaient axé l’organisation de l’espace du jardin sur l’illustration de principes botaniques. C’est sur ce problème des différents sens donnés au territoire du jardin et sur la difficulté de faire coïncider jardinage et botanique que nous allons à présent nous pencher.
Notes de bas de page
1 IOR/L/PJ/3/1094 no 86, no 50 : 1865 : Calcutta Botanic Garden : cyclone damage, p. 1.
2 « No description, however accurate or minute, could convey an idea of the devastation committed in the garden by this storm. The scene in the garden the morning after the Cyclone was most dismal : a thousand trees, many of them gigantic specimens and the pride of the garden, were prostrated, besides innumerable shrubs, of which no count could be kept ; nothing had been spared, and those trees that had not fallen were more or less stripped of their branches ; some, recorded as standing, were mere bare poles without a branch. Not a vestige of a leaf, flower, or fruit remained in the garden ; the lawn roads and the tanks were blocked up by trees and fallen branches ; all the buildings suffered more or less damage, and every one not built of brick and mortar was thrown down ». Ibid., p. 2.
3 Ibid., p. 1.
4 « These storms reduced one of the finest collections of trees in the East to a comparatively naked plain », écrivit George King en 1872 (KGLA MR/225 : Calcutta Botanic Gardens, 1830-1928 : Annual report for the year 1871-72).
5 Certaines photographies du jardin après le cyclone furent prises par Thomas Anderson et envoyées à Kew, comme Anderson l’indique dans une lettre (KGLA DC/155/72, 22d February 1865).
6 SAWB Genl. Misc. 1865 (February), Proc. 17-18 : Damage done to Botanical Gardens, Sibpur, by the cyclone of 1864 : Expenditure for removing all the timber trees from the garden thrown down by the cyclone.
7 KGLA DC/155/69, 23d December 1864.
8 KGLA DC/155/71, 8th January 1865.
9 IOR/L/PJ/3/1094 no 86, no 50 : 1865 : Calcutta Botanic Garden : cyclone damage, p. 1.
10 On en trouve le manuscrit à la British Library, accessible sous forme numérisée (IOR/L/PJ/3/1094), et le même texte typographié dans la bibliothèque du jardin de Calcutta.
11 « The great destruction of exogens by the cyclone, while endogenous species escaped, produced a peculiar effect on the scenery about Calcutta. The country as seen from the roof of my dwelling house, a height of 80 feet, appeared to be covered with three species of palms (Cocos nucifera, Phoenix Sylvestris, Borassus flabelliformis) and bamboos. » IOR/L/PJ/3/1094 no 86, n° 50 : 1865 : Calcutta Botanic Garden : cyclone damage, p. 4. Il est intéressant que Thomas Anderson fasse adopter au lecteur le point de vue depuis le toit de sa maison : la région de Calcutta et ses environs était réputée particulièrement monotone et sans point de vue.
12 Le teck était l’un des produits économiques mentionnés par Robert Kyd dans le projet de jardin soumis au bureau des directeurs de l’East India Company : IOR/H/799 : 1786-1788 : Robert Kyd : papers including his proposal to establish a botanical garden at Calcutta.
13 KGLA DC/155/72, 22d February 1865.
14 KGLA DC/155/93, 22d December 1866.
15 KGLA DC/155/72, 22d February 1865.
16 James Stuart Gamble publia en 1881 un manuel consacré aux essences de bois indiennes : Gamble 1922 [1881].
17 Henry Noltie a récemment consacré une biographie à Hugh Cleghorn (Noltie 2016).
18 « He is getting on well with the timber sections and his extensive notes promise well for a paper on the annual rings and age of tropical trees ». KGLA DC/155/71, 8th January 1865. Le lien entre l’âge des arbres et leurs anneaux de croissance (ou cernes) était connu depuis l’Antiquité et fit l’objet de plusieurs études au xixe siècle. Le mathématicien Charles Babbage en fit brièvement mention en 1838 dans un opuscule de théologie naturelle intitulé The Ninth Bridgewater Treatise, pp. 226-235. Dans les années 1850 et 1860, l’ingénieur géomètre Jacob Kuechler (1823-1893) au Texas et l’agronome forestier Robert Hartig (1839-1901) à Schweingruber en Allemagne utilisèrent les anneaux de croissance dans leurs travaux respectifs, voir James H. Speer, 2010, Fundamentals of Tree-Ring Research, Tucson : University of Arizona Press, pp. 32-40. La fondation de la dendrochronologie comme discipline a été attribuée à l’astronome américain A. E. Douglass, qui s’intéressa aux rapports entre les cernes des arbres et les tâches solaires : George Ernest Webb, 1983, Tree Rings and Telescopes : the Scientific Carreer of A. E. Douglass, Tucson : University of Arizona Press. La généalogie des savoirs sur les anneaux de croissance mériterait sans doute d’être affinée.
19 BL GRC I.S.be.108.(8.) : List of specimens of timber from trees destroyed in the Royal Botanic Gardens, Calcutta, by the cyclone of October, 1864, presented to European Museums, compiled by Thomas Anderson.
20 KGLA DC/155/71, 8th January 1865.
21 KGLA DC/155/92, 7th October 1865 ; SAWB Genl. Mis. 1866 (December), Proc. 30-32 : Damage done to Botanical Gardens, Sibpur, by cyclone of 1864 : Sale of timber blown down by the cyclone.
22 KGLA DC/155/71, op. cit.
23 KGLA DC/155/92, 7th October 1866. Les archives du Bengale mentionnent que les recettes s’élevaient à 4093 roupies : SAWB Genl. Misc. 1870 (November), Proc. 121-122. Library of the Botanical Gardens, Sibpur.
24 KGLA DC/155/122, 26th September 1868.
25 IOR/P/188 : 1874 (Nov. 6), File 6, Proc. 86, pp. 32-33 : Funds for improvements in the Botanical Garden ; SAWB Agri. 1874, (January), File no 12, Proc. B5 : Application of the Superintendent for an advance for current expenses in the Botanical Garden.
26 IOR/P/188 : 1874 (Nov. 7), File 6, Proc. 88, pp. 33-34 : Grant for establishment in the Botanical Garden. IOR/P/188 : 1874 (Dec. 28), File no 6, Proc. 90, pp. 35-36 : Grant of 10 000 roupies for the Garden’s improvements and removing the labourer’s huts from their present position.
27 Par exemple SAWB Agri. 1877 (October), Proc. 42 : Botanical Garden, Sibpur, 1878-79 : Allotment increased to Rs. 60 000 ; SAWB Agri. 1882 (December), Proc. 17 : Botanical Garden, Sibpur, 1881-82 : Sanction to a special grant of Rs. 25 000 ; SAWB Fin. 1878 (November), Proc. 85-86 : Botanical Garden, Sibpur : increase in Dr. King's Travelling allowance ; SAWB Genl. Misc. 1868 (October), Proc. 8-9 : Extra grant of Rs. 3000 on account of expenses of the Botanical Garden, Sibpur ; SAWB Agri. 1875 (November), Proc. 102-104 : Botanical Garden, Sibpur : 1875-76, Sanction accorded to the disbursement of Rs. 1800 in excess of the budget for the salary and travelling expenses of the Botanical Garden Collector : inclusion of three items of increase, aggregating Rs. 5500 in the budget for 1876-77.
28 IOR/P/188 : 1875 (May 14), File 6, Proc. 33, pp. 151-52 : Funds for Botanical Garden driving road going from the banyan tree to the North of the Garden.
29 IOR/P/188 : 1875 (Nov. 17), File 6, Proc. 119, p. 94 : Funds for the Botanical Garden to welcome the Prince of Wales.
30 SAWB Agri. 1875 (August), File no 6, Proc. 71 : Grant of Rs. 500 to place the Botanical gardens, Sibpur, in complete order before Christmas.
31 Les ouvrages relatant les voyages du Prince mentionnent une visite au jardin de Peradeniya mais pas à celui de Calcutta : Russell 1877. La visite au jardin de Peradeniya est mentionnée en des termes élogieux p. 263 : « Mr. Mudd, the botanist attached to the Prince’s establishment, went about in subdued ecstasy ». Voir aussi Wheeler 1876 : 149 : Albert Edward se livra dans le jardin de Peradeniya à une partie de chasse au pteropus (renard volant), une grosse chauve-souris peu rapide qui était une proie assez facile. Le Prince en abattit plusieurs.
32 « The lieutenant-governor has been pleased to fix the allotment for the Botanic Garden for 1878-79 at Rs. 52 000 and the directeur is requested to keep within this limit in framing his budget », SAWB Genl. Mis. 1877 (August), Proc. 31 : Botanical Garden, Sibpur, 1878-79.
33 SAWB Fin. 1878 (November), Proc. 77-79 : Minor departments estimate for 1878-79.
34 Les données sur le budget viennent pour certaines années des rapports annuels, qui ne l’ont mentionné que sporadiquement, pour d’autres années des India Office Records et des State Archives of West Bengal. Les données viennent donc des documents suivants : IOR P/3677, 1891 ; IOR/P/5178 : 1897, Proc. 7, File no F 1-E/32 1 ; SAWB Fin. 1878, Proc. 77-79 ; SAWB Fin. Mis. 1878, Proc. 74-76 ; SAWB Fin. 1890, Proc. 1-12.
35 IOR/P/188 : 1875 (Mar. 22), File 6, Proc. 23-34, pp. 99-100 : Transfer of the Botanical Garden to the Provincial Revenues of Bengal.
36 Cette réaction de King n’apparait pas dans les archives administratives mais elle est très nette dans sa correspondance. Il demanda à plusieurs reprises à Joseph Dalton Hooker d’intervenir pour que le jardin continue à dépendre du gouvernement impérial, sans succès : KGLA DC/155/341, 26th November 1875.
37 IOR P/3677, 1891 : Scientific and other minor departments budget estimate.
38 SAWB Fin. 1882 (February), Proc. 5-7 : Estimates of receipts and expenditures of the Jail Department for 1882-83.
39 IOR/P/188 : 1875 (Feb. 3), B file, 1875, proc. 7-9 : New sluice for the Botanical Garden.
40 « The old and unsightly piece of ground near the Howrah gate has been laid out in undulations as a kind of park [with] a large sheet of ornamental water. […] From being the most unsightly, this has now become one of the prettiest tanks in the garden ». KGLA MR/225, Calcutta Botanic Gardens, 1830-1928 : Annual report for the year 1875-76.
41 « I have done a lot of landscape gardening and the gardens are beginning to look very pretty ». KGLA DC/155/355, 6th April 1876.
42 IOR/P/2036 : 1883 (Jun. 10), B file no 3 : Steam engine in the botanical garden.
43 La construction des routes est souvent abordée dans les rapports annuels à partir de 1871 : KGLA MR/225.
44 KGLA MR/225 : Calcutta Botanic Gardens, 1830-1928 : Annual report for the year 1881-82.
45 SAWB Fin. 1878 (November), Proc. 77-79 : Minor departments estimate for 1878-79.
46 Les visiteurs n’étaient généralement pas comptés. Les affirmations des botanistes sur la hausse de la fréquentation semblent reposer principalement sur leurs impressions. KGLA MR/225. Calcutta Botanic Gardens, 1830-1928 : Annual report for the year 1872-73, et IOR/V/24/1696 : 1891-1946 : Annual report of the Royal Botanic Garden and the gardens in Calcutta, and of the Lloyd’s Botanical Garden, Darjeeling, 1910-1911.
47 « Even during the hot-weather and rainy seasons, during which in times past visitors used to be very few, parties of bicyclists have begun to make the garden a resort, the smoothness of the roads offering apparently a great attraction to people on wheels ». IOR/V/24/1696 : 1891-1946 : Annual report of the Royal Botanic Garden and the gardens in Calcutta, and of the Lloyd’s Botanical Garden, Darjeeling : 1896-97.
48 « To serve as nurses among the natural orders » KGLA MR/225 : Calcutta Botanic Gardens, 1830-1928 : Annual report for the year 1870-71.
49 KGLA MR/225 : Calcutta Botanic Gardens, 1830-1928 : Annual report for the year 1877-78.
50 SAWB Fin. Misc. 1888 (March), Proc. B. 9-10 : Extension of the Palm House in the Botanical Gardens, Sibpur : Intimation to the Superintendent, Botanical Gardens, that the expenditure in connection with Palm House, must be limited to Rs. 15 000.
51 SAWB Agri. 1882 (December), Proc. 17 : Botanical Garden, Sibpur, 1881-82 : Sanction to a special grant of Rs. 25 000.
52 « During the nine years that have elapsed […], the garden has practically been remade ». KGLA MR/225 : Calcutta Botanic Gardens, 1830-1928 : Annual report for the year 1882-83.
53 « In its present highly efficient condition, to which it has been brought by George King, [the garden] is one of the brightest spots in the East ». Amrita Bazaar Patrika, 26th August 1896.
54 IOR/V/24/1696 : 1891-1946 : Annual report of the Royal Botanic Garden and the gardens in Calcutta, and of the Lloyd’s Botanical Garden, Darjeeling : 1912-1913.
55 IOR/V/24/1696 : 1891-1946 : Annual report of the Royal Botanic Garden and the gardens in Calcutta, and of the Lloyd’s Botanical Garden, Darjeeling, 1897-98.
56 « As it is notorious that, on account of cyclones, trees are torn to pieces every few years, Calcutta seems a very bad place for a classified forest. Before 1864, owing to a fortunate interruption of storms, the gardens have become well‑wooded, but since then, owing to a succession of cyclones, they have become barer and barer ». SAWB Genl. Mis. 1871 (October), Proc. 46-52 : Lieutenant-Governor’s views on the proposal to transfer the control of the Botanical Garden to the Government of India. Le jardin était alors géré en partie par le gouvernement impérial et en partie par la Bengal Presidency. C’est finalement à la région, nous l’avons vu, que la gestion du jardin fut transférée.
57 « Owing to inexpugnable climatic obstacles, a botanical garden can never attain to the same measure of popularity or usefulness in the plains of India as in Europe ». The Madras Mail, 5th August 1875.
58 « The soil and climate of Calcutta are so peculiar that the successful cultivation of exotic plants […] can only be looked for in the case of species which naturally inhabit localities with similar physical character. Situated as Calcutta is, just within the tropics, it is, I need hardly say, hopeless to attempt the cultivation there of temperate exotics other than such as can be grown as cold weather annuals. Yet Calcutta, though within the tropics, by no means possesses a tropical climate. The low night temperature, in the cold season, the high temperature, dry atmosphere and blustering winds of the hot season, are almost equally fatal to the growth of thoroughly tropical plants, while the prolonged rainy season is nearly equally fatal to plants that are natives of the drier semi-tropical parts of the world. As regards soil the Gangetic Delta, consisting as it does of a poor sandy silt largely composed of silica and almost destitute of lime, in which moreover the water level is always near and sometimes even above the surface, offers one of the least hopeful soils for the purpose of acclimatization which could well be imagined ». IOR P/884, 1878 (Jul.), Proc. 41: Branch garden in Darjeeling.
59 « There is no doubt that our Royal Botanical Garden would have long since occupied a much higher place in public esteem, had it been less inaccessible. The mistake that was made in locating the garden at the extreme end of Howrah instead of in the suburbs of Calcutta is now irretrievable, and nothing that can be done can ever fully compensate for it ». The Madras Mail, 5th August 1875.
60 « The unpleasantness of crossing in the only kind of boat available, an ordinary dinghy ». KGLA MR/225 : Calcutta Botanic Gardens, 1830-1928 : Annual report for the year 1874-75. Un dinghy est une petite embarcation légère. Le mot est resté dans le vocabulaire de la navigation : il désigne en anglais de petits bateaux d’apprentissage comme les optimists, les annexes (prames) servant à rejoindre des navires au mouillage, et généralement toute embarcation non pontée.
61 « The removal of the Gardens from their present inconvenient site has been repeatedly urged […], and it has been suggested that Government should make over the Kidderpore estate as the most convenient place for the proposed Calcutta branch of the botanical gardens, which transfer could be effected whithout any great expenditure of public money. [Or] that portion of the Maidan facing facing Chowringhee Road, and extending from the corner of Park Street, to the Jail might be beautified by the transfer of the Botanical Gardens ». The Englishman, 6th January 1869.
62 KGLA DC/155/107, 23d December 1867.
63 KGLA DC/155/315, 1874.
64 « It is almost a pity that the occasion of its destruction by these cyclones was not taken to abandon the present site and begin a new garden on the Calcutta side of the Hooghly ». George King, 1895, A Guide to the Royal Botanic Garden, Calcutta. Calcutta : Thacker, Spink and Co, p. 7.
65 IOR/P/188 : 1874 (Nov. 7), File 6, Proc. 88, pp. 33-34 : Grant for establishment in the Botanical Garden.
66 Daniel Oliver, 1875, Guide to the Royal Botanic Gardens and Pleasure Grounds, Kew, Londres : MacMillan & Co. Le domaine de Kew Gardens était cependant plus grand que le jardin botanique proprement dit, qui n’incluait pas, par exemple, l’arboretum. La superficie totale du domaine est aujourd’hui de 121 hectares.
67 IOR/H/799 : 1786-1788 : Robert Kyd : papers including his proposal to establish a botanical garden at Calcutta.
68 « Perfect wild, overgrown with brush woods and subject to overflow of the tide ».
69 IOR/P/188, 1874 (Nov. 7), File 6, Proc. 88, pp. 33-34 : Grant for establishment in the Botanical Garden.
70 « This garden is far too large for the establishment allowed for it ». IOR/P/188 : 1873 (Aug. 2), File no 35, Proc. 1-2, pp. 63-64 : Proposal to establish a botanical garden for medical students in College Square. « Establishment » signifie ici « main‑d’œuvre ».
71 « The luxuriance of this grass is another of the numerous evil effects of the cyclone. It dislikes shade, and as long as the trees stood, it made no headway, but as soon as the shade was lost by the destruction of the trees, it began to take thorough possession of the soil, and I fear it cannot be eradicated until the trees have again grown up. At present it causes much trouble and expense, besides being unsightly ». KGLA MR/225 : Calcutta Botanic gardens, 1830-1928 : Annual report for the year 1873-74.
72 L’espèce est répertoriée sous le synonyme Imperata arundinacea.
73 « In a garden so large as the Calcutta one, arranged mainly for landscape effect and broken up with so many lakes, the rather indiscriminate (from a purely botanical standpoint) scattering of species makes it difficult to keep count of their position ».
74 « I find that the usefulness of those officials is greatly curtailed by the want of the means of rapid locomotion from one part of the garden to another. The garden is a mile in length ; it is often necessary to have work going on at the same time at parts of it remote from each other, and in this climate it is impossible to supervise such work efficiently if the Curators have to walk ». IOR/P/188 : 1874 (Nov. 6), File 6, Proc. 86, pp. 32-33 : Funds for improvements in the Botanical Garden.
75 Les années 1890 virent la diffusion à grande échelle du « safety bicycle », au détriment de l’aristocratique « grand‑bi » (penny-farthing), voir à ce sujet Bijker 1995 : 19-100.
76 « The area of the garden is as you are aware very considerable and, having regard to efficient working, it is of the greatest importance that the European staff should be able to move about rapidly and freely over its whole extent. This is quite impossible during the hot, and especially during the rainy season, if the men have to travel on foot. During the rains which have recently ended, each of the officers were laid up frequently with fever ; and, the two tricycles being useless, it was only by lending them a small pony carriage of my own, that the ordinary work of the garden was put through ». SAWB Fin. Mis. 1897 (December), Proc. 99-100, File M. 2B/9 : Sanctioned the purchase of threes bicycles at a cost not exceeding Rs. 275 each for the use of the Curator, Assistant-Curator and the Probationer Gardener of the Royal Botanic Gardens to replace the tricycles which have become quite worn out and therefore unfit for use.
77 SAWB Fin. Mis. 1898 (December), File no M 1C/7, Proc. B 110-11 : Purchase of a pony for the Botanical Gardens, Sibpur.
78 Le rôle de ces conglomérats est mentionné par exemple dans Markovits 2018.
79 Journal of the Agricultural and Horticultural Society of India, 1888, vol. VIII, no 2, backmatter.
80 SAWB Fin. Mis. 1865 (April), Proc. 2-5. Restoration of a piece of land to the Sibpur Botanical Gardens by the Agri‑Horticultural Society.
81 Journal of the Agricultural and Horticultural Society of India, 1888, vol. VIII, no 2, backmatter.
82 SAWB Genl. Mis. 1867 (August), Proc. 52-53 : Distribution of fruit grafts, plants, etc., from Botanical Gardens, Sibpur : Agricultural and Horticultural Society asked to cooperate in the plan for distribution of plants proposed by the Superintendent ; SAWB Genl. Mis. 1869 (June) ; Proc. 97-98. Arrangement for the supply to the Agricultural and Horticultural Society of fruit grafts and plants from Botanical Gardens, Sibpur.
83 En témoignent notamment les numéros du périodique publié par la AHSI, le Journal of the Agricultural and Horticultural Society of India.
84 « I regret to say that these plants afford just as little hope of a profitable crop as any I have seen. By far our finest plant of vanilla grows on the North side of an old wall. It bore, as usual, a good crop of pods, and, as usual, dropped them unripe on the occurrence of an especially hot day. I am more than ever confirmed in my opinion that the establishment of vanilla culture as a profitable industry in Bengal is not hopeful ». KGLA MR/225 : Calcutta Botanic gardens, 1830-1928 : Annual report for the year 1876-77.
85 IOR/P/188 : 1873 (Feb. 20), File no 4, pp. 5-6 : Use of the bark of Adansonia digitata (babobab tree) to make paper.
86 SAWB Agri. 1874 (July), Proc. 6-11 : Letter requesting the Superintendent, Botanical Garden, to undertake the experimental cultivation of Adansonia digitata of Baobab tree.
87 KGLA MR/225 : Calcutta Botanic gardens, 1830-1928 : Annual report for the year 1877-78.
88 « It is quite clear that the majority of [boababs] are going to be mastered by the coarse, deep-rooting grasses which infest the soil everywhere in the plains of Bengal ». KGLA MR/225 : Calcutta Botanic gardens, 1830-1928 : Annual report for the year 1878-79. Il est sans doute bon d’imaginer le baobab autrement que comme une sorte de plante ultra‑invasive, telle qu’elle a été décrite par un aviateur dans un best-seller dont le succès, s’il était explicable, ne le serait pas par la compétence botanique de son auteur : Antoine de Saint‑Exupéry (Saint‑Exupéry 1943).
89 « Dr. King does not appear to be, on the whole, a sanguine experimenter ». Times of India, 4th August 1876, p. 3.
90 KGLA MR/225 : Calcutta Botanic gardens, 1830-1928 : Annual report for the year 1877-78, Annual report for the year 1878-79.
91 « The sanguine expectation of an English paper-maker that in the young shoots of bamboo he had found a raw material ». Ibid.
92 « I never looked on the attempt to add [carob] to the fodder plants of Bengal as at all likely to succeed and, as a fact, the majority of the seedlings damped off before they were 6 inches [15 cm] high ». Ibid. On voit aujourd’hui de nombreux caroubiers dans les rues, parcs et jardins de Calcutta. Il n’y est toutefois, semble‑t‑il, pas cultivé pour ses fèves, dont on confectionne ailleurs un produit comparable à du chocolat.
93 « Plants may be coaxed into growing into conservatories, but the species is far too thoroughly tropical to withstand without protection the vicissitudes of the climate of Northern India ». Ibid.
94 « The project of ameliorating the malarious climate of Lower Bengal by the free planting of Eucalyptus is perfectly utopian ». Ibid.
95 « It is useless to attempt to grow in Calcutta plants to which the climate is entirely unsuitable ». KGLA MR/225 : Calcutta Botanic gardens, 1830-1928 : Financial Department Resolution, 10th August 1878.
96 « Our first-received plants looked, for some time after their arrival, weak and lanky, and I was for some time not very hopeful about them. Further experience showed that this appearance had been the result of coddling, and that, when freely exposed to sun and rain, this manihot is a wonderfully hardy plant, easily grown, and readily propagated ». KGLA MR/225 : Calcutta Botanic gardens, 1830-1928 : Annual report for the year 1879-80.
97 « No small part of the benefits conferred on the country by the garden in its early days was the demonstration by practical experiment that certain natural products, many of them of a most desirable kind, cannot be grown in Bengal, much money and bootless effort being thus saved to the country ». KGLA MR/225 : Calcutta Botanic Gardens, 1830-1928 : Annual report for the year 1886-87.
98 « What has been saved to industry and commerce by the avoidance of entreprises that botanic gardens could show were doomed to failure, is almost incalculable ».
99 « [Kyd’s] failure to grow so many commercial and economic plants should not be regretted. […] By his failure he paved the way to a botanic garden which […] played a very important part in the advancement of Indian botany ».
100 « To have suggested to the local representatives of what was then practically a Trading Company, the provision (at a considerable annual cost) of facilities for the pursuit of pure, as distinguished from economic, botany would probably not have increased the chances of the acceptance of the Garden scheme. The scientific aspect of the matter was therefore, with commendable sagacity, excluded from mention in the original proposal » (King 1893 : 2).
101 KGLA DC/156/614, 8th May 1883.
102 KGLA DC/156/595, 23d January 1883.
103 « Our model farms have failed to do real good, […] because they were not established on truly scientific principles. Our efforts were directed mainly to the introduction of new staples and foreign products, without however any sure reason for expecting that these things could be successfully introduced. Insofar as our experiments could be regarded as at all conclusive, they seemed to show that there would be great difficulty in the introduction of what we desired to introduce ». IOR/P/884 : 1877 (Jan.), Proc. 5, p. 13 : Minute on scientific agriculture in the Province under the Government of Bengal.
104 Deepak Kumar, 2006 [1995], Science and the Raj : A Study of British India, New Delhi : Oxford University Press p. 153.
105 IOR/P/884 : 1877 (April), Proc. 14-15, pp. 39-41 : Proposal of Messrs Begg, Dunlop & Co. to cultivate the Poosah farm.
106 IOR P/1328 : 1879 (Jan.), B file no 8 : Purchase of buildings in the Poosah farm by Messrs. Begg, Dunlop & Co.
107 KGLA MR/225 : Calcutta Botanic gardens, 1830-1928 : Annual report for the year 1874-75.
108 Voir dans ce volume Bainbridge 2018 : 196-216 et Chaudhuri 2018 : 297-314.
109 « The year was rather a disastrous one for the Darjeeling garden. The erection of the new hospital on the top of the hill above the garden necessitated the cutting of a large quantity of earth and rock, and during the rainy season large quantity of this debris repeatedly slipped down into the garden, overwhelming flowerbeds, grass‑plots, and roads, and uprooting trees. By one of these avalanches the municipal vegetable garden was completely submerged, and for half the year no vegetables were available for the supply of the residents in the station ». KGLA MR/225 : Calcutta Botanic gardens, 1830-1928 : Annual report for the year 1881-82.
110 « In addition to this misfortune, the grubs of a cock-chafer appeared in the soil in hundreds of thousands, eating up the roots of everything within their reach. Only the largest trees and plants in pots escaped these voracious creatures. About three million of them were collected and killed, the rest obtained their full development and flew away ». Ibid.
111 KGLA MR/225 : Calcutta Botanic gardens, 1830-1928 : Annual report for the year 1891-1892.
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