La participation politique des femmes en Libye : le bilan contrasté de la transition
p. 175-214
Texte intégral
Introduction
1Depuis 2011, la Libye est engagée dans une transition heurtée, violente et inaboutie. Le concept de transition se rapporte à une situation délicate dans l’histoire d’un pays qui se situe entre le chaos et l’ordre, et qui désigne généralement la période post-conflit, dont le spectre s’étend de la guerre civile à la révolution, en passant par toute autre situation impliquant un changement de régime politique par la violence, quel qu'en soit le degré2. Les expressions « transition démocratique »3 et « transition à la démocratie »4 sont souvent utilisées par la doctrine en science politique et en droit constitutionnel pour désigner cette période, et sont largement relayées par les discours médiatiques. L’exaltation des journées de contestation et de triomphe de ce qu'on appelle communément la « révolution du 17 février 2011 » a donné lieu à des défis multiples qui ont contrarié la construction de véritables institutions étatiques et, a fortiori, la transition vers un régime démocratique. Si, jusqu’en 2011, le pouvoir se trouve absolument concentré autour de la figure d’un homme, Muammar Kadhafi, la révolution provoque son éclatement, ce n’est plus l’État qui est détenteur de la force ou de la gestion des services publics, mais un ensemble de forces politiques locales : groupes armés, conseils municipaux, conseils tribaux, réseaux de quartiers, etc. Ce repli sur les attaches primordiales (religieuses, tribales, régionales, etc.) a conduit au morcellement de l’autorité politique et à l’affaiblissement de l’identité « nationale » contre la résurgence de l’identité politique locale5.
2Dans ce contexte, la situation des droits des femmes est particulièrement problématique, dans la mesure où leur statut s’est nettement détérioré pendant la phase de transition. Les obstacles structurels de genre entravant l’accès des femmes à leurs droits politiques, socio-économiques et culturels, ont été amplifiés et se sont aggravés depuis 2011, sous l’effet de la recrudescence de la violence et de l’insécurité, avec une milicisation qui se généralise, des fractures territoriales, une résurgence du tribalisme, la montée de l’extrémisme religieux, et une économie en déclin. Certains droits reconnus aux femmes sous le régime de Kadhafi (1969-2011) ont été remis en question avec, notamment, la promesse d’instaurer la polygamie dans le premier discours de Mustafa Abdel Jelil, prononcé après la libération de Tripoli et la mise en place du système de tutelle masculine qui interdit aux femmes de voyager sans le consentement d’un tuteur masculin. Ce revers contraste avec la mobilisation massive des femmes dans les manifestations contre le régime de Kadhafi. Néanmoins, la transition a permis un débat sur le statut des femmes et sur leurs droits, notamment grâce à l’émergence de mouvements et collectifs de défense des droits des femmes qui ont plaidé en faveur de leur inclusion dans les différents processus de transition.
3Les droits des femmes constituent un sujet clivant au cœur des positionnements politiques et des conflits idéologiques entre conservateurs et libéraux. La résistance aux principes d’égalité femmes-hommes et de non-discrimination au sens universel est bien ancrée dans la société, qui reste largement conservatrice et patriarcale, fondée sur une vision stéréotypée du rôle des femmes et des hommes6. Cette tendance se traduit politiquement par la revendication d’un relativisme en matière de droits humains, légitimant l’infériorité du statut des femmes par des considérations religieuses et culturelles.
4Bien que la « révolution du 17 février 2011 » ait catalysé un changement de perception du public à l’égard de l’engagement politique des femmes, leur participation effective à la vie politique reste très limitée, notamment dans les postes de décision, qui restent le pré carré des hommes.
5Néanmoins, la société libyenne n’est ni figée ni monolithique. Des dynamiques sociales de modernisation émergent. En 2018, le Centre pour le Dialogue humanitaire situé à Genève organise une consultation dont les résultats démontrent clairement un attachement à la citoyenneté et à la nation libyenne. Bien que l’hypothèse de départ quant à la fragmentation de la société libyenne et à l’éclatement du pays en un archipel de pouvoirs concurrents se soit confirmée, cette consultation a cependant permis de montrer qu’elle est loin d’être aussi forte qu’on se plaît parfois à l’imaginer7. Certains points font l’objet d’un consensus, comme un très fort désir d’État, des institutions politiques et administratives fortes et efficaces, ainsi que des services publics de qualité. On notera par ailleurs le consensus sur le rôle essentiel des pouvoirs locaux et la nécessité de rebâtir un système politique fortement décentralisé. Il ressort enfin de cette consultation que l’écrasante majorité du peuple libyen souhaite des élections. Pour pouvoir être porteuses de stabilité, les élections devront être organisées sur la base de règles claires et acceptées par le plus grand nombre.
6Plus largement, loin de se focaliser sur les droits des femmes, certaines grandes tendances qui se dégagent de la consultation, notamment l’attachement à la citoyenneté, constituent un cadre propice à la protection des droits des femmes dans une perspective égalitaire. Par ailleurs, certains acteurs institutionnels et organisations de la société civile se sont positionnés en faveur des droits des femmes, notamment dans le domaine politique. Cette dynamique est largement appuyée par le système des Nations unies et d’autres organisations internationales en Libye, dans la mesure où l’égalité femmes-hommes figure parmi les éléments essentiels du système universel des droits humains, et constitue une condition sine qua non pour la mise en place d’une démocratie et d’une prospérité économique durables.
7Ces enjeux sont au cœur de la problématique du rapport du droit au changement social. À l’évidence, des réformes juridiques peuvent façonner les pratiques sociales. Mais d’autres fois, l’ordre juridique semble entériner une évolution des usages, des mentalités et des conditions de vie. On observe enfin des situations où le droit fait barrage à un changement revendiqué par une partie de la société. Selon Georges Balandier :
[…] la société est toujours le lieu d’un affrontement permanent entre facteurs de maintien et facteurs de changement ; elle porte en elle les raisons de son ordre et les raisons du désordre qui provoquera sa modification […]. Cette instable balance explique néanmoins que les adaptations (connotées en langage politique par le terme : réformisme) soient plus nombreuses, plus fréquentes que les transformations structurelles globales8.
8Dans le contexte libyen, l’étude de l’évolution du cadre juridique régissant les droits politiques des femmes et de son efficience dans une perspective genre est problématique, compte tenu de l’instabilité politique et du chaos sécuritaire qui ont profondément affecté la production des normes et leur effectivité, notamment sur les questions de l’égalité femmes-hommes. Seules quelques réformes en rapport avec les élections ont été menées avec succès, mais dans quelle mesure celles-ci garantissent-elles aux femmes une participation politique effective ? Ceci pose inévitablement la question de la légitimité des réformes et de leur appropriation sociale, ainsi que celle des défis auxquels les femmes politiquement engagées sont confrontées. Certes, la transition a permis quelques réformes visant à appuyer la participation politique des femmes, mais ces réformes sont modestes et taillées sur mesure, ce qui fera l’objet du premier développement de cet article. Dans un deuxième temps, nous verrons que, de surcroît, le contexte de transition a amplifié le clivage entre le statut juridiquement défini et la condition réelle et effective de la participation des femmes à la vie politique.
9Cet article s’appuie sur une analyse de l’évolution du cadre juridique et du contexte politique depuis 2011, afin de mettre en évidence les principaux défis auxquels les femmes sont confrontées pour accéder aux postes de décision politiques. Il explore également la littérature existante sur les processus de transition comparatifs, et s’appuie sur des références, des recherches et des rapports qui ont couvert la participation politique des femmes dans d’autres pays voisins, notamment la Tunisie. En outre, pour cette étude, 10 entretiens ont été menés avec des militantes, des universitaires et des acteurs politiques entre novembre 2021 et mars 20229. Certains constats et éléments d’analyse mobilisés dans cet article résultent des missions que nous avons effectuées en tant qu’experte en droit constitutionnel et genre, entre 2012 et 2017, dans le cadre du programme d’appui des Nations unies au processus de transition en Libye.
Des réformes à la carte
10Depuis 2011, l’élaboration des textes juridiques dans le contexte de transition est marquée par d’importants enjeux politiques et sécuritaires. Ainsi, les réformes affectant les droits des femmes se sont essentiellement concentrées sur la législation électorale et la constitution. Mais l’examen des textes produits pendant la transition révèle l’insuffisance des mesures prises pour garantir la participation des femmes à la vie politique. Certes, ces réformes résultent de processus officiels, mais elles sont façonnées par des dynamiques internes et externes, avec toutes leurs pesanteurs et leurs apports.
Les facteurs influençant les réformes
a. Les facteurs internes
11Pour mieux comprendre la situation actuelle de la participation des femmes à la vie politique, il est utile d’examiner au préalable le contexte historique de la participation politique des femmes en Libye10. Le 7 octobre 1951, la constitution d’indépendance de la Libye est adoptée, quelques mois avant la déclaration officielle d’indépendance de la Libye, le 24 décembre 1951. Elle instaure une monarchie constitutionnelle sous le roi Idrīs al-Sanūsī, qui se caractérise par quelques traits démocratiques, notamment dans le domaine des droits11, mais sans prévoir de dispositions spécifiques relatives aux droits des femmes12. En 1954, une première association féminine est fondée à Benghazi. Plus tard, en 1957, une autre association féminine est créée à Tripoli, et forme l’Union des femmes de Libye. Depuis 1964, les femmes libyennes ont obtenu le droit de vote et le droit de participer à la vie politique, grâce à la mobilisation d’une élite libérale. La Libye a tenu des élections parlementaires en 1964 et 1965, mais aucune femme n’y a participé en tant que candidate13.
12Après le coup d’État militaire de Kadhafi en 1969, la constitution libyenne est abolie par la déclaration constitutionnelle de 196914, qui est rapidement abandonnée et remplacée par de nombreuses déclarations, pour être finalement abrogée par Le Livre vert de Kadhafi qui, à partir de 1975, se situe désormais au fondement des lois en Libye. Ainsi, le pays passe brutalement d’une monarchie conservatrice à un régime révolutionnaire radical.
13Néanmoins, sous le régime de Kadhafi (1969-2011), la Libye entame quelques réformes visant à promouvoir la situation des femmes dans les domaines de l’éducation, de la santé, du travail et de la sécurité sociale, et au niveau du droit de la famille (le divorce et le droit de garde). La loi n° 10 de 1984 régissant le mariage et le divorce est modifiée par la loi n° 9 de 1993 pour interdire la polygamie sans le consentement écrit de la première épouse et l’autorisation du tribunal, ce qui constitue un pas vers l’abolition complète de la polygamie. L’article 37 de la loi révoque toutes les décisions fondées sur le principe de nushūz (récalcitrance de l’épouse), qui est considéré comme nul et non avenu15. Toutefois, l’absence d’une constitution, la marginalisation du rôle de la loi, la déconstruction des pouvoirs, l’interdiction des associations, syndicats et partis politiques conduisent à la mise en place d’un régime autoritaire. La vie politique, la société civile et les médias sont verrouillés, et les droits et libertés bafoués, aussi bien pour les femmes que pour les hommes. Les femmes sont largement exclues de la participation à la vie politique. Cette participation limitée est due non seulement au manque d’espace politique disponible pour les femmes, mais aussi à la perception publique entachée des quelques femmes qui ont pénétré les cercles intimes du pouvoir16.
14Considérées comme un legs indésirable, les réformes datant de l’époque Kadhafi sont menacées après la chute du régime en 2011. Mais les défenseurs des droits des femmes se mobilisent pour maintenir cette législation avant-gardiste en matière de droits civils et socio-économiques, et pour plaider pour l’inclusion des femmes dans les différents processus politiques. La société civile essaye d’assurer des fonctions multiples, telles que la sensibilisation, l’encadrement, la formation et le plaidoyer17 avec l’appui des organisations internationales. Ce soutien, adapté à la conjoncture, a ciblé les organisations humanitaires au début de la révolution, puis la gestion des projets et le leadership, pour se concentrer par la suite sur des sujets tels que les élections, la constitution et la réconciliation nationale, y compris dans une perspective genre18. La mobilisation de la société civile suit les moments politiques clés dans le but d’influencer les processus politiques et les réformes juridiques, notamment les lois électorales et la constitution.
15En novembre 2011, deux organisations de femmes, la Voix des femmes libyennes et Attawasul, organisent la première conférence nationale des femmes en Libye et travaillent avec des militantes de tout le pays et de la diaspora pour rédiger des recommandations visant à promouvoir l’inclusion des femmes dans la transition19. La société civile exhorte la Haute Commission électorale nationale (HNEC) à déployer davantage d’efforts de manière proactive pour promouvoir la participation des femmes, tant en tant qu’électrices qu’en tant que candidates. Mais l’idée de mesures spéciales visant à assurer la participation des femmes est largement débattue. La controverse sur les quotas est bien présente dans les sphères politiques et dans l’opinion publique. Certains soutiennent que réserver des sièges aux femmes porterait atteinte à leur autorité, à leur leadership et à leur légitimité politique, prétextant qu’il serait plus bénéfique pour les femmes qu’elles gagnent leurs sièges sur la base du seul mérite. Pour d’autres, le système de quota porte atteinte au principe d’égalité pour lequel les femmes se sont battues20.
16Les associations de défense des droits des femmes et les militantes féministes défendent cependant la nécessité d’un quota pour garantir un seuil de représentation politique des femmes dans le Congrès national général (CNG), compte tenu de l’ampleur des obstacles structurels et conjoncturels. Elles adressent des lettres au comité électoral du Conseil national de transition (CNT), manifestent devant ce dernier et devant les bureaux du Premier ministre, mènent une campagne nationale de plaidoyer, et organisent une « Journée de la colère » nationale, le 2 février 2012, pour exiger des révisions de la loi électorale et un quota de 30 % pour les femmes21. La mobilisation de la société civile lors de l’élaboration de la loi électorale du CNG en 2012 a été déterminante pour l’insertion de la parité sur les listes électorales. À l’origine, le premier projet prévoyait un quota de 10 % de femmes pour les 200 sièges du CNG. Les organisations de femmes centrent leur plaidoyer autour de l’exigence d’un quota plus important par le biais des réseaux sociaux, des médias et au moyen de pétitions ; la parité au niveau des candidatures a été retenue pour répartir les 80 sièges revenant aux partis politiques. Les 120 autres sièges sont réservés à des candidats indépendants, et aucun quota de femmes ne leur a été appliqué.
17La mobilisation des associations de femmes est moins importante et moins visible lors des élections suivantes, en raison de la détérioration de la situation sécuritaire. Cette même tendance marque également l’élaboration de la constitution par la commission constitutive. Les divisions politiques et le chaos sécuritaire ont rendu difficile pour les activistes, les associations et les médias de communiquer avec les membres de la constituante et d’accéder à des informations précises sur les travaux, alors qu’ils en avaient le droit. Ainsi, ce sont aussi bien la dimension participative que la transparence du processus qui sont biaisées, ce qui a un impact négatif sur la mobilisation et le plaidoyer des organisations de défense des droits des femmes. Pour remédier à ces obstacles, des sessions de travail sont organisées au Caire et à Tunis en 2014 et 2015 par la Mission d’appui des Nations unies en Libye (MANUL), le Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD) et l’ONU Femmes, en présence d’un certain nombre de représentants du comité de rédaction de la constitution, d’activistes et d’associations féminines. L’objectif est d’évaluer et d’examiner le projet de la constitution à travers le prisme du genre, en tenant compte des traités internationaux ratifiés par l’État libyen, et de proposer des recommandations destinées au comité de rédaction de la constitution22.
18Réunissant des acteurs politiquement et idéologiquement hétérogènes, les travaux ont été marqués par la prédominance des questions clivantes, notamment le statut de la sharīʿa dans l’ordonnancement juridique et son impact sur la reconnaissance des droits des femmes selon la conception universelle du droit à l’égalité et à la non-discrimination. Mais les participantes ont essayé de dépasser ces divergences en trouvant des terrains d’entente sur des questions fondamentales, telles que l’égalité en droit et devant la loi, ainsi que les quotas pour garantir la participation politique des femmes (quota de 45 % pour les responsables élus et nommés).
b. Les facteurs externes
19En Libye23, si le changement de régime a été initié par des acteurs locaux, c’est une intervention extérieure qui l’a rendu possible, en permettant de triompher des forces du régime en place24. La chute du régime de Kadhafi résulte de l’action de rebelles armés soutenus par des forces étrangères. Mais ce scénario ne garantit pas que les nouveaux décideurs soient politiquement aptes à diriger le pays.
20Sur la base de la résolution 2009 du 16 septembre 2011, le Conseil de sécurité met en place la Mission d’appui des Nations unies en Libye (MANUL)25 chargée d’aider le pays à, notamment, « rétablir l’ordre et la sécurité publics », « promouvoir l’état de droit » et « encourager la réconciliation nationale ». Son mandat consiste à accompagner les autorités libyennes dans l’identification des besoins et des priorités dans l’ensemble du pays, à y répondre en donnant des conseils stratégiques et techniques, et à soutenir l'action de la Libye en matière de transition démocratique, de promotion de l'état de droit, de respect et de défense des droits de l'Homme, de rétablissement de la sécurité publique, de lutte contre la prolifération illicite d'armes et de matériel connexe de tout type, et de coordination de l'aide internationale. D’autres organismes onusiens, tels que le PNUD et l’ONU Femmes, ou encore l’Union européenne, conçoivent également des programmes d’appui à la transition en Libye. La thématique de la protection des droits des femmes y constitue un élément-clé compte tenu du référentiel onusien en la matière. Plus spécifiquement, les résolutions 1325, 1820, 1888 et 1889 du Conseil de sécurité sur la paix, la sécurité et les femmes, abordent le rôle qu’elles jouent dans la consolidation de la paix, ainsi que la question des violences sexuelles dont elles font l’objet durant les conflits.
21Rappelons que la Libye a ratifié sans réserve le Pacte international relatif aux droits civils et politiques le 15 mai 1970, ainsi que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels à la même date. Elle a aussi signé la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes le 16 mai 1989, avec toutefois des réserves26, ainsi que le Protocole facultatif de cette même Convention le 18 juin 2004. La Libye est donc tenue, par ce cadre juridique contraignant, de parvenir à l’égalité femmes-hommes dans la participation à la vie publique et politique. De plus, le système des Nations unies a permis de développer des bonnes pratiques sur la prise en compte du genre dans les réformes juridiques et institutionnelles. Le rapport du Secrétaire général de l’ONU à la Commission de la condition de la femme pour la 65e session (15-26 mars 2021) recommande ainsi :
[…] de mettre en œuvre les engagements et les normes internationales et nationales, y compris par des mesures spéciales temporaires, de créer des environnements et des systèmes institutionnels plus favorables, de réduire la violence à l’égard des femmes dans la vie politique et de renforcer la voix des femmes, qui sont confrontées à de multiples formes de discrimination27.
22Cette déclaration vise à atteindre la parité dans la participation et la prise de décision dans la vie publique. Ainsi, la production de normes, et notamment la constitution considérée comme la « loi suprême » de l’État et la source principale qui l’emporte sur les autres règles juridiques, doivent être sensibles au genre. Une constitution tenant compte de l’égalité femmes-hommes doit inéluctablement combiner l’établissement de l’état de droit et le respect des droits universels28. Elle adopte un langage sensible au genre, des dispositions spécifiques pour lutter contre les discriminations directes et indirectes, et contre la violence visant les femmes. L’égalité implique d’offrir des chances égales aux deux genres, ce qui nécessite de prendre ponctuellement des mesures et de mener des actions spéciales pour améliorer les droits et les opportunités des femmes et leur accès aux ressources et aux responsabilités, pour compenser les déséquilibres structurels entre les genres et pour en finir avec l’exclusion des femmes de l’espace public et politique.
23Les constitutions varient en termes de formulations et de mécanismes adoptés pour reconnaître l’égalité entre les femmes et les hommes dans la vie politique et en matière de droits politiques (quota, parité, etc.) Or, on ne peut considérer des mesures temporaires spéciales comme une forme de discrimination, étant donné qu’elles visent à lutter contre une discrimination existante par le biais d’actions positives29. En revanche, opter pour une législation neutre sur le plan du genre dans une société inégalitaire conduit à accentuer les disparités entre les hommes et les femmes. De plus, le contexte régional, marqué par des transitions politiques en Tunisie et en Égypte, encourage à s’ouvrir sur des expériences similaires en matière de droits des femmes. Cette question est en effet au cœur des réformes constitutionnelles et électorales que mènent ces deux voisins de la Libye. Elle est même l’un des marqueurs idéologiques et politiques qui distinguent les courants libéraux et islamistes.
24Mais cette ouverture ne se traduit pas par une simple transposition des choix opérés par les pays voisins. En effet, du côté libyen, on note une volonté d’éviter le mimétisme et de faire des choix souverains qui reflètent les spécificités du contexte national. Certes, certaines similitudes peuvent être observées, comme en témoigne la première loi électorale adoptée en 2012, inspirée du décret-loi tunisien de 2011 relatif à l’élection de l’Assemblée nationale constituante, prévoyant la parité verticale des listes candidates et l’alternance des hommes et des femmes dans le classement sur ces listes. Mais devant les résultats des élections de 2011 en Tunisie où, malgré la parité verticale, le taux de femmes élues est de 26 %, la loi électorale libyenne y ajoute la parité horizontale, c’est-à-dire au niveau des têtes de listes.
Une consécration minimaliste des droits
25Dans les moments marqués par d’importants bouleversements sociétaux, comme les transitions politiques de l’autocratie à la démocratie, en particulier dans le contexte des conflits armés, les chantiers normatifs représentent une opportunité pour les citoyens, citoyennes et institutions politiques, de renégocier le contrat social qui les lie et de définir une vision commune d’une société plus juste. En Libye, la quête d’une reconfiguration des rapports de genre par le droit a eu des résultats modestes, avec le blocage du processus constitutionnel et l’adoption au niveau de la législation électorale de quotas ne permettant pas une participation effective des femmes. Outre le faible taux des quotas, les résultats des élections qui se sont tenues en Libye depuis 2012 démontrent que les femmes ont moins de chance d’être élues lorsqu’elles se présentent à des sièges à pourvoir sans quotas.
a. Au niveau du référentiel constitutionnel
26Dépourvue d’une constitution permanente, la Libye est régie depuis août 2011 par une Déclaration constitutionnelle transitoire élaborée par le CNT, une coalition de chefs rebelles mise en place au début de la révolution.
27Conçue essentiellement comme une feuille de route pour la transition du pays vers la démocratie, la Déclaration constitutionnelle fait peu référence à la question spécifique des droits des femmes, et est rédigée dans un langage non genré. Son article 6 prévoit que :
[L]es Libyens sont égaux devant la loi. Ils jouissent des mêmes droits civils et politiques, ont les mêmes chances et sont soumis aux mêmes devoirs et obligations publics, sans discrimination fondée sur la religion, la langue, la fortune, le sexe, la parenté, les opinions politiques, le statut social et l’appartenance tribale ou familiale.
28Elle stipule également que l’État libyen protégera les droits de l’Homme et cherchera à adhérer aux pactes et traités internationaux qui les promeuvent (article 7). L’article 9 interdit de porter atteinte à l'ordre civil constitutionnel démocratique et protège les valeurs civiques. Parallèlement, le texte affirme que la religion de l’État est l'islam et que la loi islamique y est la principale source de législation, ce qui traduit une recherche de compromis entre ces différents référentiels ; mais en réalité, cela instaure une insécurité juridique, notamment pour les femmes.
29L’insécurité juridique peut être définie comme une négation de la sécurité juridique, appréhendée sous l'angle de la stabilité des situations juridiques ainsi que de la prévisibilité du droit. Mais bien que la sécurité juridique soit l’une des notions fondamentales du droit, elle demeure floue et difficile à appréhender. Selon une définition synthétique, la sécurité juridique représente l’idéal de fiabilité dans la mesure où ce droit est accessible et compréhensible ; les individus peuvent prévoir les conséquences juridiques de leurs actes ou de leurs comportements, car la sécurité juridique respecte ces prévisions légitimes bâties par les sujets de droit, et favorise leur réalisation30. Autrement dit, essentiellement rattachée à l'idée de prévisibilité, elle suppose ainsi que, d'une part, le droit soit intelligible pour permettre aux individus de bâtir des prévisions et, d'autre part, qu’il respecte les prévisions déjà élaborées. Or, de part et d’autre, la disposition constitutionnelle qui hisse la loi islamique au rang de principale source formelle de la législation en Libye recèle des failles et des ambiguïtés en matière de protection des droits humains, notamment les principes d’égalité entre les sexes et de non-discrimination contre les femmes, compte tenu des divergences entre les courants et les écoles d’interprétation du droit islamique.
30La Déclaration constitutionnelle est une constitution provisoire censée prendre fin avec l’adoption d’une nouvelle constitution. Le 29 juillet 2017, l’Assemblée de rédaction de la constitution élabore un projet de constitution31, voté à la majorité des deux tiers de ses membres. Un référendum doit alors être organisé pour adopter le projet en question ; mais il n’a pas lieu, en raison de divisions politiques et d’affrontements armés entre les autorités de Tripoli et celles de Benghazi, appuyées par des troupes étrangères et des mercenaires. Certes, le projet de constitution fait référence aux principes d’égalité et de non-discrimination qui sont garantis pour les citoyens et citoyennes, mais son article 6 établit la sharīʿa islamique comme source de législation. Ainsi, le droit à l’égalité et à la non-discrimination seront interprétés dans le cadre de la sharīʿa islamique et non selon le référentiel universel des droits humains, ce qui ouvre la voie à de possibles restrictions des droits par le législateur, l’exécutif et les juges, et peut constituer une source d'insécurité juridique. Ceci est d’autant moins acceptable que se développe l'idée selon laquelle le droit doit être tourné vers la protection des individus.
31Par ailleurs, le projet de constitution est très insuffisant en termes de garanties et de protection des droits des femmes. Aucun engagement n’a été pris pour lutter contre les violences qui leur sont faites, notamment en contexte post-conflit. Le projet se contente d’un texte général (article 34, « Dignité humaine »), où on lit que « l'État s'engage à protéger la dignité […], à prévenir les formes de violence et à combattre la torture ». Ce choix est en décalage par rapport à la tendance que suivent, à titre d’exemples, les constitutions tunisienne (2014)32 et égyptienne33, visant à inscrire dans la constitution l’engagement officiel de lutte contre les violences fondées sur le genre. Quant à la question du droit des femmes libyennes mariées à des étrangers de transmettre leur nationalité à leurs enfants, la constitution ne se prononce pas, et laisse au législateur la tâche d’y répondre en prenant en considération l'intérêt public, la sécurité nationale, la préservation de la démographie et la facilité d'intégration dans la société.
32Enfin, un quota de 25 % est adopté dans le projet de constitution, en tant que mesure provisoire spéciale visant à assurer la représentation des femmes aux prochaines élections législatives. En effet, selon l’article 184 du chapitre des « dispositions transitoires », « tout système électoral garantit une représentation des femmes par vingt-cinq pour cent des sièges à la Chambre des représentants et dans les conseils locaux pendant une période de deux cycles électoraux ». L’inclusion des quotas a fait l’objet de clivages tout au long du processus de rédaction de la constitution ; on questionnait la pertinence d’une telle mesure dans la constitution ou dans la loi électorale, ainsi que son pourcentage. De fait, le projet opte finalement pour la constitutionnalisation de mesures temporaires spéciales, mais le taux proposé et la limite temporelle dans la mise en œuvre des quotas sont de nature à limiter l’efficacité d’une telle mesure.
33Le débat sur l’avenir constitutionnel est de nouveau engagé dans le cadre du Forum de dialogue politique libyen (LPDF) depuis 2020. Après plusieurs discussions en faveur d'un quota de 30 %, la Chambre des représentants et le Haut Conseil d'État ont approuvé en juin 2022 un quota de 25 % de femmes dans tous les organes élus, y compris le Sénat. Toutefois, selon le dernier projet des amendements constitutionnels 12 et 13, le quota a été ramené à 20 %34.
34En réalité, le déblocage du processus constituant dépend des rapports de force sur le terrain, et plusieurs scénarii sont envisageables. Trois questions se posent : la première est de savoir si le projet de constitution de 2017 doit être maintenu et adopté par référendum, ou s'il doit être abandonné au profit d’un nouveau projet de constitution ; la deuxième est de déterminer si le projet doit être maintenu dans son intégralité sous sa forme actuelle, ou s'il doit être modifié. Pour cause, plusieurs éléments établis dans le projet de 2017 ne font pas consensus ; de même, le texte a été adopté il y a plus de cinq ans, ce qui nécessite de l’actualiser. La troisième question, également restée en suspens, est de savoir quand et comment le projet de constitution doit être adopté35.
b. Au niveau des lois électorales
35En janvier 2012, le comité électoral du CNT publie un projet de loi électorale pour recueillir les commentaires du public. La loi laisse de côté les partis politiques et établit un mode de scrutin uninominal dans lequel les individus se disputeraient l’élection législative. L’article premier du projet de loi dispose que « le Congrès national se compose de deux cents (200) membres choisis par des élections directes et libres, où un quota de dix pour cent du nombre total de membres du Congrès est réservé aux femmes »36. Ce projet suscite de vives critiques de la part des partis politiques, qui se plaignent de ne pas avoir été inclus, et de la part des militants des droits des femmes, qui lui reprochent l’insuffisance des quotas et une certaine ambiguïté dans la formulation de l’article en question. Certaines militantes craignent en effet que l’article n’impose un maximum de 10 % pour la participation des femmes au CGN. Sous la pression des partis politiques et des défenseurs des droits des femmes, le comité électoral du CNT publie une version révisée de la loi électorale qui autorise la candidature des partis politiques : sur un total de 200 sièges, 80 sont réservés aux listes de partis politiques, et les 120 sièges restants reviennent aux candidatures individuelles. L’article 15 de la loi opte pour la parité verticale et horizontale pour les listes partisanes, obligeant les partis à respecter une alternance homme-femme sur leurs listes, et à placer des femmes candidates en tête de la moitié de leurs listes. Ce système est ainsi considéré comme l’une des mesures spéciales les plus avantageuses pour assurer l’élection des femmes. Les rédacteurs de la loi électorale libyenne semblent ainsi avoir tiré les leçons de l’expérience de la Tunisie voisine où, rappelons-le, la parité verticale mise en place pour l’élection de l’Assemblée nationale constituante en 2011 n’a pas conduit à un véritable renforcement de la représentation féminine puisque la plupart des têtes de listes étaient des hommes. Pour les élections suivantes, cette mesure a été abandonnée au profit des quotas, qui permettent de réserver des sièges aux femmes. Néanmoins, ces quotas sont faibles et en décalage par rapport aux bonnes pratiques internationales visant à atteindre la parité au niveau de la représentation politique des femmes.
36Concernant la loi électorale relative à l’Assemblée de rédaction de la constitution, le CNG nomme un comité législatif chargé de rédiger la loi. Le cadre juridique électoral est finalisé entre juillet et septembre 2013, pour former la loi n° 17/201337. Selon cette loi, l’Assemblée de rédaction de la constitution est composée de 60 membres, soit 20 de chacune des trois provinces libyennes38 : Tripolitaine (ouest), Cyrénaïque (est) et Fezzan (sud)39. Conformément à la réticence historique du pouvoir politique à l’égard des partis politiques en Libye40, le législateur bannit le scrutin de liste, et opte pour le scrutin uninominal majoritaire à un tour et pour le vote unique non transférable. Il en résulte un système électoral complexe, dans lequel les femmes obtiennent six sièges réservés41, soit 10 % de l’Assemblée42. Quant à la Chambre des représentants, élue le 25 juin 2014 pour remplacer le CGN, l’article 18 de la loi n° 10/2014 prévoit que 16 % des sièges sont réservés aux femmes. Les entités politiques ne sont pas autorisées à soumettre des listes lors de ces élections, contrairement aux premières élections en 2012. Les candidats à cette élection se présentent ainsi à titre individuel, selon un mode de scrutin uninominal.
37Ce taux de 16 %, qui renvoie au taux des femmes dans le premier parlement élu en 2012, reflète l’absence de volonté politique pour capitaliser sur les acquis et renforcer le leadership politique des femmes. Il traduit en outre le compromis difficilement atteint entre les anti-quotas et ceux qui revendiquent des quotas plus importants, aptes à garantir aux femmes une participation effective et non pas strictement formelle43.
38Le 13e amendement constitutionnel, récemment publié44, comprend une mesure temporaire réservant 20 % des sièges de la Chambre des représentants aux femmes lors des prochaines élections. Il charge une commission de désigner des sièges pour les femmes au Sénat. L'amendement établit un parlement bicaméral, avec une Chambre des représentants basée à Benghazi, et un Sénat basé à Tripoli, composé de 90 membres, avec 30 représentants de chacune des trois régions du pays. Au niveau local, de nombreuses élections municipales ont lieu dès 2012, puis en 2014, 2018, 2019, 2020 et 202145. Le ministère du pouvoir local rédige la loi sur l’administration locale n° 59/2012, approuvée par le CNT et promulguée plus tard par le CGN, en 2013. Cette loi et la décision 130/2013 du Conseil des ministres déterminent la structure institutionnelle des collectivités territoriales et les domaines de compétence des conseils municipaux. Au total, 120 municipalités sont créées en Libye conformément à la loi n° 59/2012, qui prévoit dans ses articles 7 et 9 que chaque municipalité dispose d’un conseil élu pour un mandat de quatre ans. Les conseillers élisent ensuite le maire parmi les membres du conseil. Conformément à l’article 26 de la loi n° 59/2012 et à l’article 32 de son règlement exécutif n° 130/2013, les conseils municipaux sont composés de cinq membres dans les municipalités de moins de 250 000 habitants, et sept membres dans les municipalités de plus de 250 000 habitants. Ils doivent par ailleurs compter au moins une femme et une personne handicapée46. Chaque conseil municipal compte donc sept ou neuf membres directement élus (selon la densité démographique de la municipalité), incluant au moins un siège réservé aux femmes et un aux personnes handicapées. En 2019, des modifications sont introduites dans le système électoral ; mais avec le quota d’une seule élue, la représentation des femmes reste très faible.
c. L’absence d’un cadre juridique pour lutter contre les violences visant les femmes
39En Libye, il n’existe pas de loi spécifique pour lutter contre les violences faites aux femmes. En février 2023, un groupe d'experts juridiques libyens a officiellement soumis un projet de loi sur cette question à la Commission des affaires de la femme et de l'enfant de la Chambre des représentants. L'élaboration du projet de loi a été facilitée par la MANUL, en coopération avec le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) et l'ONU Femmes47. L’adoption d’une telle loi constitue l’un des outils aptes à protéger les femmes contre les violences fondées sur le genre et favorisées par l'insécurité croissante. Ces violences se rapportent aussi bien à la sphère privée qu’à la sphère publique, et constituent des obstacles majeurs à la participation des femmes à la vie politique. Bien que les chances d’adoption de ce projet de loi soient minimes dans le contexte actuel, son élaboration témoigne d’une prise de conscience croissante de l’opportunité que représente une législation plus progressiste pour changer les normes sociales relatives à la violence fondée sur le genre.
40Au niveau des Nations unies, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (Committee on the Elimination of Discrimination against Women – CEDAW) n'interdit pas explicitement la violence à l'égard des femmes. Des recommandations ultérieures émises par le CEDAW, qui veille à ce que les États respectent la Convention, définiront explicitement la « discrimination » et y incluront la violence à l'égard des femmes ; en réalité, la recommandation générale n° 19/1992 du Comité définit la discrimination assez largement pour y inclure la violence fondée sur le genre, y compris les atteintes ou souffrances physiques, mentales ou sexuelles, les menaces, la coercition et d’autres privations de liberté.
41Certes, plusieurs instruments régionaux interdisent la violence fondée sur le sexe. Le Protocole à la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples relatif aux droits de la femme en Afrique, également connu sous le nom de « Protocole de Maputo », interdit la violence fondée sur le genre dans le cadre des droits des femmes à la vie, à l'intégrité et à la sécurité de la personne, et à la dignité. L'article 1er définit la violence contre les femmes comme incluant « tous les actes perpétrés contre les femmes ». Le Protocole de Maputo aborde la violence à l'égard des femmes dans nombre de ses dispositions et établit des obligations juridiques. De même, les résolutions 1325, 1820, 1888 et 1889 du Conseil de sécurité sur la paix, la sécurité et les femmes, traitent de leur rôle dans la consolidation de la paix et dans la lutte contre les violences sexuelles qu’elles subissent lors des conflits. Plus généralement, au cours des trois dernières décennies, plusieurs pays ont introduit une législation sur la violence fondée sur le genre. Mais peu de pays ont promulgué des lois spécifiques couvrant la violence à l'égard des femmes dans la vie politique, bien qu'elle soit de plus en plus reconnue comme un problème qui nuit à la participation des femmes en politique. De fait, les violences visant les femmes actives dans la vie politique ne sont pas des actes isolés, imputables à leurs seuls auteurs, mais une donnée structurelle et systémique, représentative d'un ordre sociétal global fondé sur la domination masculine et la disqualification sociale du féminin. Par conséquent, la lutte contre ces violences doit elle aussi emprunter une démarche structurelle et systémique, aussi bien sur le plan juridique qu'institutionnel et culturel.
42L'Amérique latine a été à l'avant-garde de ce débat mondial. En 2012, la Bolivie est devenue le premier pays au monde à criminaliser le harcèlement et la violence politique contre les femmes. D'autres pays ont intégré des aspects de la violence politique dans leurs lois générales sur la violence à l'égard des femmes. Ainsi, depuis 2014, la Tunisie a inscrit dans sa constitution le devoir d’éliminer les violences faites aux femmes (article 46), devenant un pays pionnier sur ces questions dans la région. La loi organique n° 2017-58 du 11 août 2017 relative à l'élimination de la violence à l'égard des femmes48 reprend les éléments-clés du Manuel de législation sur la violence à l'égard des femmes des Nations unies49. Elle adopte une approche globale qui repose sur la prévention, la poursuite et la répression des auteurs de ces violences, ainsi que la protection et la prise en charge des victimes (article 1er). La loi comprend également une définition complète des violences fondées sur le genre : violences physique, sexuelle, psychologique, économique et politique. Par cette loi, la définition extensive de la violence politique vise à étendre la protection juridique à toutes les femmes actives dans la vie publique, et non seulement politique ou pendant les élections50. Mais cette généralité conduit inéluctablement à diluer la portée pratique de cette protection. Et bien que les sanctions prévues à l’article 18 soient de nature pénale, elles sont peu dissuasives. L’observation des élections municipales de 2018 et législatives de 2019 révèle que les femmes sont moins nombreuses que les hommes à intenter des actions en justice pour faire valoir leurs droits dans le cadre du contentieux électoral, et peu d’entre elles font des recours judiciaires quand elles sont victimes de violence politique51.
Des réformes inefficaces
43Depuis 2012, plusieurs élections ont eu lieu : élections législatives du CNG en juillet 2012 ; élections municipales entre 2012 et 2014 et entre 2018 et 2021 ; élection de l’Assemblée de rédaction de la constitution le 20 février 2014 ; élection de la Chambre des représentants le 25 juin 2014. Les élections législatives et présidentielles prévues en décembre 2021 n’ont pas pu avoir lieu et ont été reportées sine die.
44Bien que la « révolution du 17 février 2011 » ait catalysé un changement de perception du public à l’égard de l’engagement politique des femmes, celles-ci sont toujours sous-représentées dans les institutions politiques (10 % aux conseils élus et encore moins au niveau de l’exécutif). Cette situation renvoie au paradoxe du genre, employé pour exprimer la contradiction selon laquelle les femmes ont contribué à la révolution libyenne en 2011, mais que leurs droits ont été bafoués par la suite52. Si l’expérience des quotas par la législation électorale a permis une représentation minimale des femmes dans les conseils élus, les résultats des élections démontrent que les femmes sont généralement élues grâce au système des quotas et ont moins de chances d’être élues lorsqu’elles se présentent en dehors des sièges qui leur sont réservés. En outre, les gouvernements qui se sont succédés depuis 2011 n’ont adopté aucune mesure pour assurer la participation effective des femmes en leur sein, faisant ainsi prévaloir les enjeux politiques sur ceux de l’égalité femmes-hommes. De même, la représentation des femmes lors des négociations politiques dans le cadre des accords de paix est également faible. Des compromis ont été trouvés, mais sans leur assurer un véritable leadership politique. Plusieurs obstacles systémiques et conjoncturels entravent en effet l’émergence des femmes en tant qu’actrices politiques de premier plan.
Une représentation limitée
45Bien que des quotas soient institués pour garantir un nombre minimum de sièges aux femmes, la mise en œuvre du système des quotas a conduit à limiter la représentation des femmes aux seuls sièges réservés. De plus, le quota est faible ; il ne permet pas une représentation efficace des femmes. Celles qui se présentent en dehors des sièges réservés échouent généralement. L’adoption du système des quotas n’a pas été accompagnée d’un effort de sensibilisation de la part des autorités et des acteurs politiques ; la confusion et l’incompréhension ont donc entravé le débat sur les mesures spéciales temporaires.
a. Au niveau des assemblées élues
46Le 7 juillet 2012 ont lieu les premières élections libres pour élire les membres du CGN, l’autorité législative intérimaire de la Libye. La commission électorale déclare alors que 80 % des électeurs éligibles se sont inscrits, soit un total de 2,58 millions de personnes53. Ces élections recueillent les votes de 1,77 million de Libyens, dont 39 % sont des femmes (687 000 votantes)54. Les études menées après l’élection ont montré que ce faible taux de participation des femmes est principalement dû à l’absence d’autorisation de vote de la part des membres masculins de la famille, à la dépendance à l’égard des hommes pour la mobilité en public (même dans les cas où ils sont favorables au vote des femmes), au manque d’informations, en particulier dans les régions de la Cyrénaïque et du Fezzan, et à l’opposition politique aux élections55.
47Pour autant, de nombreuses candidates indépendantes ou de partis politiques apparaissent alors dans la presse locale et nationale, impriment des affiches et des tracts, et organisent des réunions de campagne. Elles se montrent actives pendant les trois semaines de campagne précédant le vote. Pour renforcer les capacités des candidates en termes de techniques de campagne électorale, le PNUD organise une série d’ateliers de formation. Ainsi, sur un total de 3 708 candidats, on compte 625 femmes candidates, soit un taux de 17 %. Sur un total de 1 207 candidats de listes d'entités politiques, 545 sont des femmes (soit un taux de 45 %), parmi lesquelles 32 sont élues. En revanche, seules 85 femmes se présentent à titre individuel, sur 2 501 candidats56, et une seule est élue. Ainsi, 33 femmes sont élues pour siéger au CNG, soit 32 sur les listes des partis (sur les 80 sièges réservés aux partis)57 et une candidate indépendante58 (sur les 120 sièges attribués aux indépendants). Les femmes représentent ainsi 16,5 % des membres du parlement. Ce taux relativement bon s’explique par le système de parité verticale et horizontale appliqué aux listes de partis politiques ; mais le fait qu’une seule femme ait réussi à obtenir un siège selon le scrutin uninominal met en évidence toute la difficulté de garantir une représentation politique des femmes sans les mesures temporaires spéciales.
48En 2014, la participation des femmes aux élections de l’Assemblée de rédaction de la constitution sera inférieure à celle des élections de 2012 à tous les niveaux, en raison du contexte politique, du conflit armé et de la désillusion post-révolution. Cela est peut-être également lié à la nature et aux exigences du nouveau système d’inscription des électeurs utilisé pour ces élections59. Ainsi, sur 1,1 million d’électeurs inscrits, 449 501 sont des femmes : le taux d’inscription des femmes est de 41 %, inférieur à celui des élections précédentes (45 %)60. Par ailleurs, conformément à la loi électorale, les femmes bénéficient de 6 sièges réservés, soit un quota de 10 % des sièges61. Quant aux candidatures, sur 649 candidats, seuls 64 sont des femmes, soit 9,9 %. Parmi elles, 54 se disputent donc les 6 sièges réservés aux candidates, tandis qu’une autre se dispute l’un des sièges réservés aux Toubous. En dehors des sièges réservés, aucune victoire féminine n’est remportée. En ce qui concerne le nombre de votantes le jour du scrutin, l’on en dénombre 170 541 sur un total de 511 259 (soit une part de 33 %)62, ce qui constitue à nouveau une régression par rapport aux élections de 2012. Selon les conclusions d’un groupe de discussion publiées en janvier 2014, femmes et hommes sont en général favorables à l’idée que les femmes soient candidates, mais peu de personnes interrogées ont déclaré qu’elles voteraient pour une femme à ce stade63.
49Quant à la Chambre des représentants élue le 25 juin 2014 pour remplacer le CGN, sur les 200 sièges, 32 sièges sont réservés aux femmes, soit un taux de 16 %. Au niveau local, seuls 10 % des membres des conseils municipaux sont des femmes, ce qui représente une femme dans chaque conseil, nombre insuffisant compte tenu de la nature et de l’ampleur des missions confiées à ces structures. En effet, les conseils municipaux sont la principale unité de l’administration locale, chargée de fournir des services aux citoyens. La municipalité supervise l’établissement et la gestion des services publics liés à l’urbanisme, à l’organisation, aux bâtiments, à la santé et aux affaires sociales, à l’eau, à l’éclairage, à l’assainissement, aux routes, aux ponts, aux transports locaux, à l’hygiène publique, aux jardins, aux zones de loisirs publics, à l’immobilier, aux marchés publics et aux permis de construction pour les projets touristiques et d’investissement64. Elle est par ailleurs considérée comme la première pourvoyeuse de services, y compris de sécurité, et se montre souvent plus réactive pour répondre aux attentes des administrés et pallier les déficiences de l’État central. Après l’écroulement des institutions qui a suivi la chute du régime Kadhafi en 2011, ce sont ces pouvoirs locaux qui ont permis in fine de préserver le tissu social. Au regard du nombre d’armes en circulation et de l’absence d’État, le niveau de violence est, en effet, relativement limité65. On notera par ailleurs le consensus sur le rôle essentiel des pouvoirs locaux et la nécessité de rebâtir un système politique fortement décentralisé. Les maires sont en effet les dépositaires de l’autorité reconnue comme la plus légitime et efficiente par les citoyens aujourd’hui.
b. Au niveau du dialogue politique
50Les transitions politiques en contexte conflictuel ont démontré que lorsque les femmes sont incluses dans les processus de paix, les parties parviennent plus facilement à un accord, et la paix qui en résulte est plus durable66. En 2011, le CNT, qui est censé représenter toutes les villes libyennes, compte 98 membres, dont 2 femmes67. Salwa Bugaighis, militante des droits des femmes nommée représentante de Benghazi au conseil, démissionne en raison des frustrations nées du manque de latitude pour influencer la prise de décision. Selon ses termes, « ils ne voulaient pas écouter ce qu’[elle avait] à dire. Ils voulaient juste qu’une femme se tienne là et sourie sur les photos »68.
51Avec l’expansion du conflit en Libye en 2014, et les divisions politiques généralisées entre l’Est et le l’Ouest du pays, les mouvements de femmes se sont affaiblis. Mais en 2015, elles participent aux négociations du processus de paix, qui aboutissent à l’accord politique signé le 17 décembre 201569. En novembre de la même année, la MANUL, avec le bureau régional de l’ONU Femmes, organisent la première conférence pour les femmes libyennes en Suisse afin d’élaborer l’agenda des femmes pour la paix. La conférence rassemble ainsi un éventail géographiquement et politiquement inclusif de 38 femmes libyennes. L’objectif général est de « renforcer le rôle des femmes libyennes dans la consolidation de la paix et la paix sociale ». L’ordre du jour compte sept points stratégiques couvrant les thématiques de la sécurité, de la situation des personnes déplacées et des migrants, de la violence à l’égard des femmes, du rôle des médias, de la situation économique des femmes, du rôle qu’elles occupent dans la justice transitionnelle et la réconciliation, et de leur participation politique, y compris dans le processus constitutionnel. Bien que les participantes aient réussi à parvenir à un consensus sur ces différents axes, les divisions politiques et les affrontements sur le terrain ont conduit à l’échec de l’accord de paix, et empêché la mise en œuvre de l’agenda des femmes pour la paix.
52Après des années de guerre civile, le 9 novembre 2020, les discussions du Forum de dialogue politique libyen (LPDF) débutent à Tunis, sous l’égide de la MANUL70. Avec 75 représentants, dont 17 femmes, de toutes les régions libyennes, le Forum a vocation à donner la parole à l’ensemble du spectre social et politique de la société libyenne71. Son objectif principal est de réunifier le pays en établissant un nouveau gouvernement national et en organisant des élections présidentielles et législatives le 24 décembre 2021. Une feuille de route a été adoptée le 15 novembre 2020 « pour la phase préparatoire d’une solution globale », qui identifie les principales caractéristiques de ce processus politique. Parmi les principes directeurs de la feuille de route figure « la pleine égalité de tous les citoyens, hommes et femmes, en matière de droits et de responsabilités de la citoyenneté conformément à la Déclaration constitutionnelle et aux conventions internationales ratifiées par l’État libyen ». Toutes les autorités protègent ces droits et obligations (article 2). Le LPDF accepte d’attribuer 30 % des postes du gouvernement aux femmes (article 5)72. Le nouveau Premier ministre par intérim, Abdelhamid Dbeibah, promet de nommer 5 femmes parmi 31 postes gouvernementaux, dont 2 aux postes de ministre de la Justice et de ministre des Affaires étrangères.
Une participation contrariée
a. La persistance des rôles stéréotypés de genre
53La société libyenne est fondamentalement patriarcale. Elle porte une vision stéréotypée des rôles des femmes et des hommes, ce qui explique la marginalisation des femmes dans la vie publique en général, et dans la vie politique en particulier. Toutefois, des disparités significatives existent d’une région à l’autre, et varient également selon la culture ou la coutume sociale locale, ainsi que le niveau d’éducation et les positionnements politiques et idéologiques73. Il n’est pas rare, par ailleurs, que les femmes engagées en politique doutent de leurs compétences : le manque de confiance en soi procède de l’intériorisation de normes sociales et culturelles qui font de la politique une affaire exclusivement masculine. Elles ont également des difficultés à concilier leur rôle en tant qu’actrices politiques et leur vie familiale. Et au sein des institutions et des processus politiques, les femmes ne sont généralement pas considérées comme des acteurs politiques légitimes par la société et par leurs pairs.
54De plus, les partis politiques sont dominés par les hommes. Si bon nombre de partis affichent leur soutien à la participation des femmes, rares sont ceux qui donnent suite à ces déclarations en plaçant des femmes à des postes-clés. Certes, des partis développent des sections féminines, mais leurs mandats sont vaguement définis74, ce qui contribue à davantage les marginaliser au sein de leurs partis. En outre, le fait de confier la responsabilité de l’égalité des genres et de l’autonomisation des femmes à ces seules structures a eu pour conséquence de retirer ces questions de l’agenda politique principal et des priorités des partis politiques. Par ailleurs, l’absence de traditions et d’expérience politiques impose aux femmes de fournir davantage d’efforts. Selon les candidates qui ont assisté aux ateliers organisés par le PNUD en 2012, le processus de nomination des candidats au sein des partis politiques en Libye n’était pas transparent. Nombre de participantes ne connaissent pas même leur classement dans la liste des candidats. Les participants ont en outre indiqué que de nombreux partis politiques nomment des femmes en tête de liste dans les régions où elles ont peu de chances de gagner. La perception négative du système des quotas par certains acteurs politiques constitue également un autre défi pour les femmes, dans la mesure où leur candidature aux postes de quota est davantage considérée comme une formalité, ce qui affaiblit de nouveau la légitimité des femmes en tant qu’actrices politiques75.
55Les élections du premier parlement l’illustrent : alors que les candidates sur la liste des partis bénéficiaient du soutien de leur parti, les candidates indépendantes rencontraient plus de difficultés de financement. Pour autant, les deux groupes étaient confrontés à des défis communs. Certaines étaient réticentes à l’idée d’apparaître dans la presse écrite ou télévisée, et utilisaient des symboles ou des dessins sur leurs brochures afin de ne pas irriter les conservateurs. Les candidates ont également éprouvé de sérieuses difficultés à communiquer avec les électeurs et les citoyens, et à se déplacer, en raison du poids des stéréotypes de genre et de l’insécurité76. Des femmes ont fait l’objet d’attaques personnelles en raison de leur participation à la vie politique ; elles sont la cible d’actes de harcèlement, d’agressions et d’insultes, aussi bien directement que sur les réseaux sociaux. Plus que celles des hommes, les affiches de campagne des femmes étaient souvent dégradées, voire détruites. Les candidates étaient également plus vulnérables face aux problèmes de sécurité pendant la campagne, et avaient moins accès aux ressources financières que leurs homologues masculins77.
56Des recherches qualitatives menées par le National Democratic Institute (NDI) en 2011 ont révélé que si les Libyens étaient largement favorables à ce que les femmes jouent un rôle dans la vie publique, il y avait un désaccord important sur l’engagement le mieux adapté aux femmes. Certains semblaient mal à l’aise avec le fait que les femmes jouent un rôle de premier plan en politique, et pensaient que les postes de haut niveau leur étaient inadaptés, ou incompatibles avec les responsabilités des femmes envers leur famille78. Une étude menée en mai 2012 a invité les participants à partager leurs opinions sur les femmes en tant que candidates et à indiquer s’ils voteraient pour elles. Les réponses ont fait émerger des réticences aussi bien de la part des femmes que des hommes : certains affirmaient qu’elles sont trop émotives pour gérer efficacement l’anxiété que génère la vie politique, ou encore trop occupées par les responsabilités familiales pour être efficaces en politique79.
57Mais même lorsque les femmes réussissent à prendre place parmi les acteurs politiques, d’autres obstacles persistent ; les structures de pouvoir bien ancrées, dominées par les hommes et les attitudes discriminatoires à leur égard, sapent l’influence des femmes en politique ; certaines élues sont considérées avec peu de crédibilité politique. À cela s’ajoute le fait que certaines des femmes élues, conservatrices, n’ont pas défendu les droits des femmes pendant leurs mandats80.
b. Des discriminations de genre exacerbées par le contexte libyen
58La participation des femmes à la vie publique en Libye connaît un autre défi majeur, celui d’une vie politique violente et désarticulée. En premier lieu, l’ancien régime a réduit à néant tout engagement politique (notamment par l’interdiction des partis politiques, des associations et des syndicats). La rente pétrolière a ensuite fortement bousculé les structures sociales : elle a permis de faire l’économie du renforcement et de la modernisation de l’État, en même temps qu’elle a servi d’outil pour enrayer son développement, voire défaire ses institutions et tenter de leur substituer un mode d’échange politique fondé sur les loyautés segmentées81. Si la phase de transition a pu sembler propice à l’essor de l’activité politique82, les entités politiques créées se sont avérées éphémères et inefficaces. La plupart des partis fondés en 2012 à la veille des élections législatives sont demeurés factices et dépourvus de véritables organes, ils manquent d’adhérents et leur expansion territoriale est restée très limitée. La plupart ont disparus en 2014 à la suite de l’interdiction de la participation d’entités politiques par la loi régissant les élections de la Chambre des représentants. Tous ces facteurs ont fortement désarticulé la vie politique libyenne.
59Il faut y ajouter les canaux alternatifs de participation politique qui émanent d’autres composantes sociales (telles que les tribus, les milices et les régions), qui ont encore aggravé l’éclatement de l’État et la marginalisation de la participation politique des femmes. Les mouvements extrémistes religieux qui se positionnent contre l’autonomisation des femmes et leur leadership politique constituent une véritable menace pour leurs droits et libertés. Le même constat s’applique aux tribus, qui restent des structures sociales patriarcales et misogynes83. De même, l’atomisation de la société et le morcellement de l’État posent problème quant à l’accessibilité et à l’intelligibilité des normes, de leur nombre, de leur systématisation, de l’articulation des sources et de la prévisibilité des décisions. Dans ce cadre, les femmes libyennes ont été la cible de restrictions sur leur droit de voyager à l'étranger : on exige désormais l’autorisation d'un parent masculin. En 2014, l'autorité religieuse Dar al-Iftaa, basée à Tripoli, a demandé qu'une femme soit accompagnée d'un tuteur masculin si elle souhaite voyager à l'étranger. Bien que cette fatwā ne soit jamais devenue une loi, elle a été appliquée par les autorités frontalières de Tripoli. En 2017, les autorités de l’Est ont édicté une mesure similaire interdisant aux femmes de moins de 60 ans de quitter le territoire national si elles ne sont pas accompagnées d'un tuteur masculin. Sous la pression interne et internationale84, cette mesure est remplacée par une nouvelle note imposant des restrictions de voyage à tous les hommes et à toutes les femmes âgées de 18 à 45 ans. Pour justifier ces restrictions, le décret fait référence à la « nécessité de mettre en place des mesures pour contrer les risques provenant de l'étranger qui menacent la sécurité nationale ». Qu’elles trouvent leur justification dans des considérations religieuses ou sécuritaires, ces restrictions à la liberté de circulation constituent une atteinte aux libertés individuelles, et entravent les activités professionnelles et l’engagement dans la vie politique.
60Plus largement, le contexte sécuritaire, politique et social libyen menace non seulement les femmes qui défendent une citoyenneté égalitaire, mais également celles qui sont actives dans la vie publique. Depuis 2014, la violence à l’encontre des femmes a atteint des proportions importantes, en témoignent les assassinats visant des activistes, des femmes engagées en politique, avocates ou personnalités médiatiques : c’est le cas de la députée Fariha al-Barakawi, de l’avocate Hamida al-Asfar, de Hanan al-Barassi, pour n’en citer que certaines85. Des activistes des droits des femmes ainsi que des femmes politiques sont régulièrement la cible de campagnes de diffamation et d’intimidation dans les médias et sur les réseaux sociaux ; et dans la plupart des cas, ces actes demeurent impunis86. Certaines activistes ont dû mettre fin à leurs activités et s’éloigner de la scène politique, sous l’effet de menaces87.
Conclusion
61Plusieurs défis entravent la participation effective des femmes libyennes à la vie politique. Certains sont communs, dictés par les stéréotypes de genre, tandis que d’autres sont spécifiques au contexte libyen, caractérisé par l’éclatement de l’État, par les divisions politiques et par le conflit armé. Le processus de changement est long et complexe, et reste largement tributaire de l’évolution de la situation politique en Libye.
62De même, plusieurs chantiers sont nécessaires pour d’une part unifier et pacifier le pays, et d’autre part construire des institutions démocratiques pérennes. Ce processus de changement ne peut être réalisé sans tenir compte des femmes en tant que partenaires fondamentales dans la promotion de la paix, du dialogue pacifique et de la reconstruction de l'État national. Sur le plan normatif, plusieurs chantiers structurants sont nécessaires. Il s’agit de se doter d’une constitution qui garantisse et protège l’état de droit et les droits des femmes contre toutes les formes de discrimination et de violence, et qui promeuve l’autonomisation économique des femmes et leur participation à la vie publique sur une base paritaire. Ce texte fondateur doit se traduire par des textes juridiques, des politiques publiques et des lignes budgétaires. Ces initiatives ne doivent pas résulter d’une forme de mimétisme, ni être imposées par des forces étrangères ; elles doivent au contraire résulter d’un processus partant du bas (« bottom-up ») et être portées par des élites nationales attachées aux valeurs de la citoyenneté. L’objectif d’une telle dynamique est la co-construction de mécanismes légitimes, appropriés et en cohérence avec les besoins du terrain et les exigences d’une citoyenneté égalitaire. Bien que la résistance aux principes de l’égalité femmes-hommes et de non-discrimination au sens universel soit bien ancrée dans la société, il ne faut pas négliger les dynamiques de modernisation inhérentes à la société libyenne, et favorables au renforcement des droits des femmes. Elles sont portées aussi bien par des acteurs institutionnels que par certaines associations et coalitions civiles soutenues par les Nations unies en Libye.
63Mais le véritable enjeu est de mener des réformes profondes, non seulement au niveau des normes juridiques et des politiques publiques, mais aussi au niveau des représentations sociales et des paradigmes culturels et religieux pour la déconstruction des stéréotypes de genre. Il s’agit d’un processus de changement sur le long terme qui dépend de la volonté des acteurs politiques, des rapports de force et de son appropriation sociétale.
Bibliographie
Sources imprimées
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Vandewalle Diederick J., 1998, Libya Since Independence: Oil and State-Building, Ithaca, Cornell University Press, 84.
Notes de bas de page
2 Cf. M'Rad Hatem (dir.), 2018, Transitions arabes. Révoltes, gouvernance et géopolitique, Tunis, Nirvana-ATEP.
3 Cette expression générale et englobante se réfère à la démocratie à la fois en tant que finalité et en tant que composante du processus transitionnel. Cf. Roussillon Henri (dir.), 1992, Les nouvelles constitutions africaines : la transition démocratique, Toulouse, Presses de l’Institut d’Études politiques de Toulouse.
4 Cette expression est certes moins usitée, mais elle est préférée par une partie de la doctrine en raison de sa précision, dans la mesure où elle met l’accent sur la finalité du processus transitionnel. Cf. Dobry Michel, 1995, « Les processus de transition à la démocratie », Cultures & Conflits, n° 17.
5 Guignard Xavier, 2021, « De la révolution à la division : 2011-2019 », Cahier du Réseau Euro Med France (Ref), n° 7, dossier : « Libye, une histoire heurtée, un présent énigmatique, une société engagée », juillet, 12-14, [en ligne : euromed-france.org/wp-content/uploads/2021/03/VFinale3_Cahiers-du-REF_Libye_version-FR_EN_AR.pdf].
6 Voir à ce sujet Bugaighis Wafa T., 2012, “Board to Support Women's Participation in Decision Making in Libya”, conference on Women’s Participation in Public Life, Politics, and Decision-Making, United Nations Development Programme (UNDP), Tunis, 29-30 octobre ; Langhi Zahra, 2014, “Gender and state-building in Libya: towards a politics of inclusion”, The Journal of North African Studies, vol. 19, n° 2, 200-210, [en ligne : https://0-www-tandfonline-com.catalogue.libraries.london.ac.uk/doi/abs/10.1080/13629387.2014.881736] ; Hweio Haala, 2016, Libyan women and revolution: A study of the changes in women’s political and social roles during and after the Libyan revolution, thèse de doctorat en science politique de la Northern Illinois University, sous la direction de R. Hannagan, [en ligne : huskiecommons.lib.niu.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=4797&context=allgraduate-thesesdissertations].
7 La consultation dure trois mois et a été organisée dans 43 villes ainsi qu’au sein de la diaspora libyenne, totalisant plus de 7 000 participants dont un quart sont des femmes. Dans le même temps, plus de 2 000 contributions en ligne ont été enregistrées ; voir sur ce sujet l’entretien réalisé avec Haimzadeh Patrick, 2021, « Une plongée dans la nation libyenne : la consultation populaire de 2018 », Cahier du Ref, n° 7, dossier : « Libye, une histoire heurtée... », op. cit., juillet, 16-21, [en ligne : euromed-france.org/wp-content/uploads/2021/03/VFinale3_Cahiers-du-REF_Libye_version-FR_EN_AR.pdf].
8 Balandier Georges, 2004, Sens et puissance. Les dynamiques sociales, Paris, Presses universitaires de France, 99.
9 Des entretiens ont été menés avec Azza Kamel El Maghur (avocate et militante féministe libyenne), Ramadan Eltweger (rapporteur de la Commission constituante libyenne), Khawla Jouili (avocate et membre du syndicat des femmes avocates), Jazia Shaitir (militante féministe et professeure universitaire à Benghazi), Fatma Chenib (militante féministe, ancienne juge et actuellement avocate à Tripoli), Abdelbari Chanbarou (ancien ministre des Affaires locales), Leila Lefi (chargée de l’unité de soutien et d’autonomisation des femme), et Soulef Guessoum (responsable du projet du PNUD sur la participation des femmes à la vie politique en Libye – 2011-2012). D’autres personnes-ressources ayant participé aux entretiens ont demandé à rester anonymes.
10 Vandewalle Diederick J., 1998, Libya Since Independence: Oil and State-Building, Ithaca, Cornell University Press, 84 ; voir également la conférence de Wafa T. Bugaighis à Tunis, les 29 et 30 octobre 2012 (op. cit.)
11 Democracy Reporting International, 2012, “Assessment of the 1951 Libyan Constitution according to International Standards”, Briefing paper n° 28, juillet, [en ligne : constitutionnet.org/sites/default/files/dri-ly-bp28-1951_libya_constitution.pdf].
12 L’article 11 de la constitution prévoyait que « les Libyens sont égaux devant la loi. Ils jouissent de droits civils et politiques égaux, ont les mêmes chances et sont soumis aux mêmes devoirs et obligations publics, sans distinction de religion, de conviction, de race, de langue, de richesse, de parenté ou d’influence politique ou sociale ». L’article 12 stipulait que « la liberté personnelle est garantie et toute personne a droit à une protection égale de la loi ».
13 United Nations Economic and Social Commission for Western Asia (UNESCWA), 2017, “Women’s Political Representation in the Arab Region”, janvier, [en ligne : https://www.unescwa.org/publications/women%E2%80%99s-political-representation-arab-region].
14 La déclaration constitutionnelle de 1969 est disponible au lien suivant : https://security-legislation.ly/latest-laws/constitutional-declaration-of-1969/
15 United Nations/Committee on the elimination of all forms of discrimination against women, 2009, “Concluding observations of the Committee on the Elimination of Discrimination against Women”, 19 janvier-6 février, [en ligne : https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N09/227/84/PDF/N0922784.pdf?OpenElement].
16 Bugaighis Wafa T., 2012, op. cit.
17 Plusieurs organisations et groupes indépendants sont formés dans toute la Libye pour promouvoir les droits des femmes.
18 Entretien avec Azza Kamel El Maghur et Soulef Guessoum.
19 Ibid.
20 Ibid.
21 Bugaighis Wafa T., 2012, op. cit.
22 Entretien avec Ramadan Eltweger.
23 Charillon Frédéric, 2012, « Les bouleversements arabes : leçons, espoirs et interrogations », Questions internationales, n° 53, janvier-février, 10.
24 Charillon (ibid.) distingue ce type de changement imposé de l’extérieur (Irak) du changement provoqué initialement par une insurrection ou révolte populaire (Tunisie et Égypte).
25 En 2011, la MANUL est établie pour une période initiale de trois ans, mais son mandat est prorogé plusieurs fois.
26 L’article 2 sur le droit à l'héritage, et l'article 16, paragraphes c. et d. concernant le mariage et le divorce.
27 Conseil économique et social/Commission de la condition de la femme, 2020, « Participation pleine et effective des femmes à la prise de décisions dans la sphère publique et élimination de la violence, en vue d’atteindre l’égalité des sexes et l’autonomisation de toutes les femmes et de toutes les filles », 21 décembre, [en ligne : documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N20/377/82/PDF/N2037782.pdf?OpenElement].
28 Draji Ibrahim, Elsadda Hoda, Klibi Salsabil, 2017, Comparative Study on Constitutional Processes in the Arab World: A Gender Perspective, Paris, Euromed Feminist Initiative IFE-EFI, [en ligne : https://www.efi-ife.org/en/pdf-detail/94701-comparative-study-constitutional-processes-in-the-arab-world-a-gender-perspective].
29 De nombreux textes internationaux vont dans le sens de ce principe, notamment le paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, qui dispose ce qui suit : « L’adoption par les États parties de mesures temporaires spéciales visant à accélérer l’instauration d’une égalité de fait entre les hommes et les femmes n’est pas considérée comme un acte de discrimination tel qu’il est défini dans la présente Convention, mais ne doit en aucune façon avoir pour conséquence le maintien de normes inégales ou distinctes ; ces mesures doivent être abrogées dès que les objectifs en matière d’égalité de chances et de traitement ont été atteints » ; cf. United Nations General Assembly, 1979, “Convention on the Elimination of All Forms of Discrimination against Women”, New York, 18 décembre, [en ligne : https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/convention-elimination-all-forms-discrimination-against-women].
30 Cf. Dellaux Julien, 2019, « Le principe de sécurité juridique en droit constitutionnel : signes et espoirs d’une consolidation de l’ordre juridique interne et de l’état de droit », Revue française de droit constitutionnel, vol. 3, n° 119, 665-696 ; Piazzon Thomas, 2006, La sécurité juridique, thèse de doctorat en droit privé de l’Université Paris-Panthéon-Assas, sous la direction de L. Leveneur.
31 Cf. https://security-legislation.ly/latest-laws/2017-proposal-of-a-consolidated-draft-constitution/
32 Dans l’article 46, l'État prend des mesures pour éliminer la violence contre les femmes.
33 Dans l’article 11, l'État s'engage à protéger les femmes contre toutes les formes de violence.
34 United Nations Support Mission in Libya (UNSMIL), 2022, “UN Libya Results Report”, [en ligne : unsmil.unmissions.org/file/11920/download?token=sLFFWu-2].
35 International IDEA, 2020, “Libya’s final draft constitution: A contextual analysis”, décembre, [en ligne : constitutionnet.org/sites/default/files/2020-12/Libya%20analysis%20-%20Zaid%20Al-Ali%20%28December%202020%29%20%28English%29.pdf].
36 Conseil national de transition, 2012, « Projet de loi électorale », janvier.
37 La loi n° 8/2013 (adoptée le 28 mars 2013).
38 Les Libyens ont élu une Assemblée de 55 membres pour rédiger une nouvelle constitution. 60 membres étaient initialement prévus, mais des combats ont empêché la tenue d’élections dans certaines régions du pays.
39 La distribution 20-20-20 a été stipulée dans le deuxième amendement constitutionnel du 10 juin 2012.
40 Sous la monarchie, les partis politiques ont été interdits peu après les élections de 1952, les premières après l’indépendance. Les partis étaient également interdits sous le régime de Kadhafi.
41 Article 6 de la loi n° 17 du 20 juillet 2013.
42 United Nations Development Programme (UNDP), UN Women, 2014, “Electoral Gender Mapping of Libya”, report.
43 Entretien avec Azza Kamel El Maghur.
44 Le 7 février 2023, la Chambre des représentants a tenu une session à Benghazi au cours de laquelle elle a approuvé l'amendement constitutionnel n° 13. Une version révisée de l'amendement est publiée au Journal officiel le 23 février. Le Haut Conseil d'État approuve l'amendement lors d'une session extraordinaire le 2 mars. Mais sur un total de 135 membres du Conseil, 55 soulignent le fait que le quorum nécessaire au vote n’a pas été atteint, et expriment des inquiétudes quant au contenu de l'amendement. Le 4 mars, le Premier ministre du gouvernement d'unité nationale Abdelhamid Dbeibah déclare que toute base constitutionnelle pour des élections doit être soumise à un référendum ; cf. United Nations Security Council/UNSMIL, 2023, “Report of the Secretary-General”, S/2023/248, 5 avril, [en ligne : unsmil.unmissions.org/sites/default/files/report_of_the_secretary-general_antonio_guterres_on_the_united_nations_support_mission_in_libya_-_05_april_2023.pdf].
45 International Foundation for Electoral Systems, 2020, “Elections in Libya: 2020 Municipal Elections”, 2 septembre, [en ligne : https://www.ifes.org/sites/default/files/migrate/ifes_faqs_elections_in_libya_2020_municipal_elections_september_2020.pdf ].
46 Cette disposition tend à privilégier les personnes qui se trouvent avec un handicap du fait de leur participation à la révolution de 2011 (les anciens rebelles ou révolutionnaires).
47 UNSMIL, 2023, “Report of the Secretary-General”, op. cit.
48 Journal officiel de la République tunisienne du 15 août 2017, 2586.
49 United Nations/Division for the Advancement of Women, 2010, Handbook for Legislation on Violence against Women, New York, Department of Economic and Social Affairs, [en ligne : un.org/womenwatch/daw/vaw/handbook/Handbook%20for%20legislation%20on%20VAW%20(French).pdf].
50 La violence politique est définie par l’article 3 de la loi n° 58 comme « tout acte ou pratique fondé sur une discrimination à l’égard des femmes, dont l'auteur vise à priver ou empêcher les femmes d'exercer toute activité politique, partisane ou associative ou tout droit ou liberté fondamentale ».
51 Cf. Mansri Anouar, 2019, « Processus électoral et participation des femmes en Tunisie » (en arabe), rapport sur l’observation des élections municipales de 2018, Tunis, Ligue des électrices tunisiennes, [en ligne : liguedeselectricestunisiennes.com.tn/ressources/etudepdf/46] ; 2020, « Processus électoral et participation des femmes en Tunisie » (en arabe), « Rapport sur l’observation de la condition de la femme aux élections présidentielles anticipées et aux élections législatives de 2019 », Tunis, Ligue des électrices tunisiennes, [en ligne : liguedeselectricestunisiennes.com.tn/ressources/etudepdf/29].
52 Cf. Langhi Zahra’, 2014, “Gender and state-building in Libya: towards a politics of inclusion”, The Journal of North African Studies, vol. 19, n° 2, 200-210, [en ligne : 10.1080/13629387.2014.881736] ; Hweio Haala, 2016, op. cit.
53 Voir le site du Haut Comité national pour les élections : www.hnec.ly/modules/publisher/item.php?itemid=147.
54 UNDP, UN Women, 2014, op. cit.
55 Ibid.
56 Ibid.
57 Le parti de l’ancien Premier ministre par intérim Mahmoud Jibril a remporté 39 des 80 sièges du parti, dont 19 pour des femmes. Le parti affilié aux Frères musulmans a remporté 17 sièges, dont 8 pour des femmes.
58 Il s’agit d’Amnah Tkhikh, dans sa circonscription de Bani Walid.
59 The Carter Centre, 2014, “The 2014 Constitutional Drafting Assembly Elections in Libya. Final Report”, [en ligne : https://aceproject.org/ero-en/misc/libya-final-report-constitutional-drafting].
60 Chiffres fournis par l’Équipe d’appui électoral des Nations unies en Libye (MANUL/UNDP).
61 Article 6 de la loi électorale de l’Assemblée constitutionnelle (loi n° 17 du 20 juillet 2013).
62 UNDP, UN Women, 2014, op. cit.
63 British Embassy, 2014, “Building a Better Libya Together? Perspectives of Men and Women on the Political Engagement of Women”, British Embassy/DCA/Libya.
64 Article 27 de la loi 59/2012.
65 Entretiens avec Ramadan Eltweger et Abdelbari Chanbarou.
66 Draji Ibrahim, Elsadda Hoda, Klibi Salsabil, 2017, op. cit.
67 Les membres du CNT, 18 juin 2012 : https://en.wikipedia.org/wiki/National_Transitional_Council.
68 Propos de Salwa Bugaighis dans un entretien avec le National Democratic Institute (NDI), le 5 avril 2011. Trois ans plus tard, elle sera tuée quelques heures après avoir voté aux élections législatives de 2014.
69 UNSMIL, s. d., “Libyan Political Agreement as signed on 17 December 2015”, [en ligne : https://unsmil.unmissions.org/sites/default/files/Libyan%20Political%20Agreement%20-%20ENG%20.pdf].
70 La conférence a été organisée sur la base de la résolution 2510 du Conseil de sécurité des Nations unies (2020), qui a approuvé les conclusions de la conférence internationale sur la Libye à Berlin.
71 UNSMIL, 2021, “UNSMIL announces results of LPDF vote for Presidency Council members”, 2 février, [en ligne : unsmil.unmissions.org/unsmil-announces-results-lpdf-vote-presidency-council-members].
72 Article 5 : « Dans la formation du gouvernement d’unité nationale, la compétence, le mérite et la représentation équitable de la diversité politique et géographique sont pris en compte ; la participation des composantes culturelles doit être garantie, et l’importance d’une représentation réelle des femmes et des jeunes doit également être prise en considération. La représentation des femmes ne doit pas être inférieure à 30 % des postes ministériels ».
73 Musbah al-Fakhri Salima, 2021, « Regard sur la situation des femmes libyennes depuis le 17 février 2011 », Le Cahier du Ref, n° 7, dossier : « Libye, une histoire heurtée... », op. cit., juillet, 36-39, [en ligne : euromed-france.org/wp-content/uploads/2021/03/Cahier-du-REF-n%C2%B07-Libye-VF.pdf].
74 Bugaighis Wafa T., 2012, op. cit.
75 Entretiens avec Jazia Shaitir, Fatma Chenib et Leila Lefi.
76 Atelier organisé par le PNUD en 2012 pour les candidates aux élections du CGN à Tripoli, Sabha et Benghazi.
77 UNDP, UN Women, 2014, op. cit.
78 Doherty Megan, 2012, “Building a New Libya: Citizen Views on Libya’s Electoral and Political Processes”, National Democratic Institute, [en ligne : www.ndi.org/sites/default/files/Doherty_Libyan%20Women%20in%20the%202012%20National%20Elections_October%202012.pdf].
79 Ibid.
80 Entretien avec Ramadan Eltweger.
81 Ben Saad Ali, 2021, « Un pays fragmenté au carrefour de plusieurs mondes », Le Cahier du Ref, n° 7, dossier : « Libye, une histoire heurtée... », op. cit., 10, [en ligne : euromed-france.org/wp-content/uploads/2021/03/Cahier-du-REF-n%C2%B07-Libye-VF.pdf].
82 La loi n° 29/2012.
83 Entretien avec Ramadan Eltweger.
84 Cf. Human Rights Watch, 2017, “Libya: Discriminatory Restriction on Women. Order in Eastern Region Requires Male Guardian for Travel”, 23 février, [en ligne : www.hrw.org/news/2017/02/23/libya-discriminatory-restriction-women].
85 Pour plus d’informations, voir le site UPRA Info, notamment les documents relatifs aux sessions du 22 mai 2015 : https://www.upr-info.org/fr/review/libia.
86 Entretiens avec Khawla Jouili, Jazia Shaitir et Fatma Chenib.
87 Entretien avec Azza Kamel El Maghur.
Auteur
Maître-assistante en droit public à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis.
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