Réflexions sur l’historicité de la délibération dans le monde arabe : Tripoli à l’époque ottomane
p. 35-70
Note de l’auteur
Cette recherche a été effectuée dans le cadre du programme HISDEMAB sur l'historicité de la démocratie dans les mondes arabe et musulman, financé dans le cadre de l'initiative collaborative d'excellence de la Leibniz-Gemeinschaft.
Texte intégral
Introduction
Un cadre interprétatif en débat
1Étudier et interpréter la nature et les caractères des processus de délibération dans le monde arabe recouvre de forts enjeux heuristiques et implique dans le même temps un décryptage de diverses strates d’interprétation ayant conditionné le cadre contemporain.
2L’objet de cet article est, à partir d’une documentation historique originale relative à la ville de Tripoli d’Occident (Trablus al-Gharb), d’examiner le déroulement et la nature des procédures de délibération qui avaient cours au sein des instances politiques et administratives locales dans l’Empire ottoman. Dépassant les préjugés culturalistes qui ont longtemps réduit les pistes d’interprétation et de recherche, notamment au sujet de l’existence d’instances civiques, cette étude aborde la société locale dans toute sa complexité. À cette fin, tout en s’attachant à discuter de manière critique les cadres interprétatifs hérités, la notion d’historicité2 est convoquée en ce qu’elle permet de relire, dans les sources, les traces passées d’instances locales spécifiques à la lumière des inflexions successives auxquelles les interprétations sur leur nature ont donné lieu. Diverses couches de « présents » successifs ont ainsi livré des interprétations prenant tour à tour place dans la sédimentation temporelle de celles-ci et influant sur les interprétations futures. Ainsi la période ottomane a-t-elle réinterprété des institutions et pratiques médiévales ; ainsi, également, les diverses réformes ottomanes ont-elles réinterprété à leur tour ces couches temporelles. La colonisation, plus tard, en donnera de nouvelles visions. Et la perception contemporaine de l’existence, au sein des sociétés, de modes de délibération (avec en filigrane, naturellement, tous les débats sur la démocratie) dépend de cette accumulation d’interprétations qu’il convient de décrypter.
3Cette recherche part de l’affirmation de l’existence d’une sphère civique citadine ancrée dans la période médiévale et l’ancien régime ottoman, et fondée sur de constantes réinterprétations négociées entre le pouvoir central et les élites locales3. Elle se consacre à l’analyse fine, au sein de ces instances, des pratiques de délibération et de décision. Au-delà de la simple érudition historique, cette dimension participe de discussions plus larges quant à l’étude et à l’interprétation des formes politiques inhérentes aux sociétés de la région. Elle affronte donc, par les sources, les non-dits et les ambiguïtés des discussions sur la nature des instances délibératives dans ces sociétés et, au fond, leur rapport à la démocratie. En contraste avec l’inertie interprétative de visions qui leur nient largement toute capacité de délibération, de participation et de représentation, au profit d’un puissant et durable paradigme insistant sur la nécessité que de telles dimensions soient importées d’Europe, la posture est ici de porter attention à toutes les procédures qui relevaient localement de cette sphère, et d’en proposer une interprétation affirmant l’existence d’une sphère civique locale de délibération ancrée institutionnellement dans des pratiques consolidées.
4En remettant en question, grâce à la notion d’historicité, les multiples couches d'interprétations eurocentrées, coloniales et postcoloniales, qui font elles-mêmes partie de la sédimentation d’interprétations que la notion d’historicité aide à décrypter, cette étude mène un examen critique des héritages et pratiques dans une démarche de recherche qui, partant des sources, tente de ne point éluder les questions ontologiques par manque de critique face aux inerties. La posture ici proposée revient ainsi à tenter de complexifier les discussions sur l’historicité de la délibération dans la région ; elle consiste également à contester les hypothèses fondées sur le seul paradigme de l’importation depuis l’Europe, et à explorer la nature des formes locales de délibération, d’élection et de décision collective. Il s’agit aussi de déterminer la raison de leur effacement tant institutionnel qu’historiographique et mémoriel dans l’impact avec une modernité doublement ambiguë : coloniale puis nationale.
Se défier des préjugés comparatifs implicites
5Les discussions universitaires sur la pertinence et l'historicité du concept de délibération dans le monde arabe, et le lien qu’entretiennent les délibérations avec la dimension civique, ne doivent pas se faire uniquement à partir de comparaisons implicites avec d'autres aires culturelles4. En d'autres termes, il faut se défier de l'eurocentrisme, de son inertie et des multiples biais qu'il introduit dans les interprétations ; de même, il convient de remettre en question les idées toutes faites sur la faiblesse, voire l’absence de délibération dans la région (et, au-delà, sur une prétendue aptitude ou inaptitude civilisationnelle innée à la démocratie).
6Il est aussi utile de relativiser le référent implicite qu’est l’Europe : l'historicité de la délibération, et même du rapport à la démocratie sur ce continent, a fait l'objet d'études stimulantes au cours des dernières décennies, donnant lieu à la déconstruction critique des référents statiques qui fonderaient l'aptitude à développer la démocratie comme une qualité civilisationnelle. Cela permet aussi de relativiser la question des modèles et de leurs modalités de diffusion. L'un des thèmes examinés dans cette veine historiographique est la nature de la relation idéologique et historique des démocraties européennes avec le système athénien antique. Cela a constitué le point de départ d'une ré-historicisation du concept même de démocratie5. Discuter de l'historicité du lien civilisationnel qui s'est construit à différentes époques au prix de fortes réinterprétations, voire de forçages idéologiques, a permis d’émanciper la recherche des visions ontologiques qui tendent à placer la démocratie au cœur des valeurs civilisationnelles6. La recherche académique a également insisté sur la nécessité de discuter, en termes non dichotomiques, de la rupture que les démocraties européennes modernes ont vécue dans leur relation avec les régimes précédents. Pour le cas français, malgré la forte rupture marquée par la révolution, on a ainsi souligné l’importance des instances délibératives et électives de l'ancien régime dans le façonnement des modalités de délibération7 ; de même, il faut noter les nombreuses continuités dans l’anthropologie de la délibération, sinon dans ses fondements juridiques et institutionnels, entre les pratiques d'ancien régime et les pratiques révolutionnaires8. Dans le cas britannique, on a examiné les racines médiévales et d'ancien régime de la représentation et de la délibération, pour ainsi illustrer comment le principe de délibération moderne est ancré dans des pratiques historiques antérieures, et comment la vie civique du monde des corporations, y compris dans sa dimension municipale, a fourni une forme de délibération dont la nature nous invite à revoir la généalogie même de la démocratie9.
7D'autres recherches, dans le cadre de discussions sur la démocratie et son historicité, ont insisté sur les ambiguïtés fondatrices, et souvent durables, des systèmes démocratiques modernes10 : ainsi, il se pourrait que les régimes démocratiques européens, qui servent si souvent de référents implicites dans les études sur le Maghreb et le Moyen-Orient, aient pris source dans des contextes anti-démocratiques11. Il est donc nécessaire de se défier de cette référence implicite et de privilégier des raisonnements problématisés et contextualisés. Les régimes démocratiques européens ont aussi pu mener des politiques anti-démocratiques, ou en contradiction avec les valeurs qu'ils prétendaient exprimer : cette dimension doit aussi être prise en compte à chaque étape des réflexions sur la nature de la délibération. Les études sur la colonisation, principalement par les démocraties parlementaires britannique et française dans le moment même de leur formalisation, sont centrales à cet égard12, tout comme les études sur les échecs des démocraties et leur impact dans le développement des régimes totalitaires et génocidaires en Europe13. Quant aux démocraties actuelles et à leurs ambiguïtés14, dont le décryptage est un préalable nécessaire à toute démarche réflexive, les recherches sur des points cruciaux comme les influences externes sur les processus de décision, l’inertie des bureaucraties et des technocraties, l’existence d'oligarchies démocratiques, la corruption, l’injustice sociale, raciale et de genre, ainsi que la difficile représentativité de la démocratie représentative15, sont désormais nombreuses. Toutes ces réflexions critiques semblent nécessaires au déploiement serein d’analyses sur la délibération dans le monde arabe et sur son lien avec la dimension civique.
Les entrecroisements historiques des sphères civique et religieuse
8Les réflexions sur la question, le concept et la pratique de la délibération dans le monde arabe doivent prendre en compte la nature même de l’islam, dont l’interprétation a donné lieu à de nombreux clichés16. Souvent, ces discussions adoptent implicitement un biais européen selon lequel la religion et la vie civique ont des natures distinctes. Mais les études sur la genèse politique de l'Europe et l'anthropologie de la démocratie dans ce contexte tendent aujourd'hui à relativiser ce point de vue et, là encore, invitent à se défier des préjugés comparatifs implicites.
9Afin d'éviter les visions figées du rôle de l'islam dans la vie civique des mondes arabe et musulman, tout en déconstruisant les référents implicites, il est utile de se référer à des ouvrages insistant sur les racines religieuses de la vie civique laïque en Europe. La centralité des valeurs chrétiennes est évidente dans les mouvements démocratiques chrétiens17 de l'Allemagne à l'Italie, mais des études illustrent que des motivations religieuses se trouvent aussi souvent au fondement des mouvements sociaux-démocrates. L'étude anthropologique des valeurs politiques scandinaves ou néerlandaises a montré la place centrale qu’y occupent les forces religieuses18. Des études sociologiques sur les militants de l'écologie politique en Europe illustrent en outre que la religion constitue une motivation cruciale dans cet engagement politique19. D'autres études ont montré comment l'idéologie française de la laïcité républicaine a émergé dans un contexte profondément marqué par les valeurs religieuses20. Tous ces travaux s’inscrivent dans la dynamique des études sur la délibération et la démocratie en Europe avec, depuis le début du siècle, une focalisation sur les dimensions impensées ou sous-pensées, les limites, les non-dits et les ambiguïtés de ces questions21. C’est avec cette même attention qu’il convient d’examiner la situation dans d’autres aires géographiques et culturelles.
Les pratiques de délibération dans le monde arabe et musulman : un thème peu étudié
10En ce qui concerne le monde arabe et musulman, les études savantes ont contribué à pointer de nombreuses ambiguïtés : discussions désormais résolument critiques sur la question des modèles et de la diffusion des concepts et des idées22 ; acquis mais aussi limites des expériences ottomanes dans la définition de la citoyenneté moderne23 ; dénonciation des contradictions fondatrices de la démocratie dans un contexte colonial et postcolonial24, et intrusion constante de calculs géopolitiques25. De l'Égypte à l'Iran, de l'Afrique du Nord à la péninsule arabique et à l'Asie du Sud-Est, des études universitaires ont porté sur l'évolution du nationalisme en rapport à la délibération26, sur l’émergence de régimes autoritaires, ainsi que sur la relation entre l'islam politique et la démocratie27. Certains chercheurs se sont également attachés à contester la pertinence du miroir israélien de la démocratie dans la région28, à décrypter les encombrants paradoxes de la vision de la démocratie portée par les Américains29, et à identifier les impasses démocratiques de ce qui a parfois été nommé le « printemps arabe »30.
11Pourtant, si les considérations sur les impossibilités ontologiques de la démocratie dans la région ont été écartées31, et si des mises en garde sur la possible émergence d'un nouvel orientalisme à travers les débats sur la démocratie ont vu le jour32, très peu de chercheurs se sont vraiment penchés sur l'histoire des sociétés locales comme source de réflexion à partir des pratiques de délibération. D’où l’idée, à partir de ces considérations liminaires, de proposer ici un angle et une posture de recherche autour de la question de l’interprétation de la nature des processus de délibération qui s'inscrive dans un souci non seulement de remettre en cause l'inertie de l'eurocentrisme, mais surtout de lire les sociétés locales à partir de leurs archives. Loin de promouvoir une forme de relativisme qui élaborerait des continuités sans nuance ou déconstruirait sans discernement, il s’agit de contribuer à la construction d'un horizon heuristique dans lequel les références implicites soient préalablement décryptées et les archives interprétées selon des questionnements fondés dans la méthodologie de la recherche historique et de l’anthropologie des processus de décision. C’est ainsi que l'examen des formes locales de délibération, de représentation, d’établissement d’un consensus et de négociation dans une ville comme Tripoli d’Occident, qui connaît à l’époque ottomane une grande diversité confessionnelle et une grande variété d’instances délibératives, s’inscrit dans cette perspective, partant d’une analyse des chroniques civiques municipales narrant les processus de négociation, des documents d’archives relatifs aux différentes phases de délibération dans les processus décisionnels, et des pétitions dans le cadre de médiations institutionnalisées.
12La recherche historique sur des archives inédites est ici conçue comme une tentative constante de revisiter de manière critique les récits construits sur des visions non discutées du fonctionnement des sociétés locales de la région, et sur des comparaisons implicites et non discutées avec un référent européen statique. D’où le panorama analytique suivant, constituant une ébauche de typologie des processus de délibération.
Typologie des modalités de délibération et d’élection dans l’ancien régime ottoman (XVIe s.-milieu du XIXe s.)
13Sur la base d’instances d’origine médiévale (voire antique), il existait à Tripoli, comme dans toutes les villes du monde arabo-musulman et de l’Empire ottoman33, un système de délibération municipale, qui comprenait des phases de discussion, de négociation, de délibération et de construction du consensus au sein d’une assemblée34. La participation à ces instances se faisait sur un critère de notabilité (propriété foncière, appartenance à l’élite marchande, hiérarchie des communautés confessionnelles et des corporations)35. L’institution-clé de ce système de gouvernance locale était la mashīkhat al-bilād, un conseil municipal d’ancien régime dans lequel siégeaient des représentants de la notabilité selon ses différentes acceptions évoquées ci-dessus.
Modes d’établissement du consensus
14Pendant les réunions de cette assemblée municipale urbaine, les décisions faisaient l’objet de discussions puis de votes, ou de procédures de construction et de validation du consensus. L’une des principales procédures de cette dynamique institutionnelle et sociale était l’ijtima‘, c’est-à-dire le processus d’établissement d’un consensus par la discussion. Il existait également des procédures de tirage au sort (gur‘a) pour l’attribution des fonctions. Si les deux procédures pouvaient cacher ou habiller des stratégies de pression, voire d’imposition, par exemple autour d’une construction forcée du consensus ou d’un pilotage du sort, le déroulement des procédures, ainsi que leur existence et leur lien à l’ensemble des fonctionnements institutionnels de la sphère civique, n’en sont pas moins intéressants en ce qu’ils expriment l’exigence du respect de modalités précises et de l’expression de différentes sensibilités.
15Les accords obtenus après conflit, médiation et négociation, ou parfois après un vote, faisaient quant à eux l’objet d’une mazbata, c’est-à-dire d’une procédure de validation et d’archivage d’inspiration islamique dans sa formulation et ses fondements moraux, mais profondément liée aux instances profanes de délibération. Les archives et les chroniques se font l’écho de tels moments, cruciaux pour comprendre d’une part le rapport de la société locale au pouvoir, et d’autre part les mécanismes de construction collective des décisions.
La chronique, un document de référence
16L’une des sources principales pour non seulement repérer ces procédures mais aussi en saisir les étapes, le vocabulaire et les enjeux, est naturellement la chronique municipale. Véritable annale civique citadine, elle tenait le rôle de procès-verbal et minute des délibérations au sein de l’assemblée de ville. Tenue par le secrétaire (kātib), membre pivot de l’assemblée, elle avait aussi pour objectif de tenir à jour, génération après génération, la liste de notabilité à laquelle étaient attachés de nombreux droits civiques, dont celui de siéger et de délibérer dans l’assemblée municipale.
17Pour Tripoli à l’époque ottomane, la chronique de Hasan al-Faqīh Hasan, retranscrite et publiée en 1984 et 2001 par Muhammad al-Ustā et ‘Ammar Juhayder36, permet ainsi de repérer tous ces éléments et de comprendre et analyser la nature de l’ancien régime urbain ottoman. La chronique couvre le premier tiers du XIXe siècle. Elle comprend aussi de nombreux éléments recopiés de chroniques civiques antérieures, remontant à 1551. La compilation fait partie des devoirs du secrétaire, chaque élément de la chronique ayant une valeur institutionnelle de référence (appartenance à la notabilité, origine et dotation des fondations pieuses de service public, évergétisme, événement ayant marqué un lignage ou une maison de commerce, accords avec les autorités centrales, accords de résolution de conflits, affaires portuaires, commerciales et fiscales).
18La chronique, en tant que document de référence, établit aussi la trace institutionnelle des délibérations et des procédures de décision. Elle tient à jour la liste des participants de droit aux instances, détaille les processus de délibération et scelle la mémoire des décisions en vue d’éventuelles consultations futures. La chronique municipale est une archive consultable par les membres présents et futurs de l’assemblée, dont elle fait le procès-verbal. Elle articule, par sa nature et son usage, diverses strates d’historicité, des passés et des présents successifs, ainsi que des futurs. Plus encore, elle est pensée, dès le moment de sa rédaction, pour être consultée, servir à la résolution de conflits futurs, ou tout simplement attester de la notabilité, de la filiation et de l’appartenance d’une personne à l’élite civique.
19Dans une démarche d’anthropologie historique de la délibération, on peut y traquer toutes les évocations de discussions, médiations et délibérations, et y analyser la nature des processus décisionnels, ainsi que celle des mécanismes de représentation (critères d’appartenance à la notabilité civique, critères et modalités de représentation des communautés confessionnelles et des métiers). L'étude de la chronique pour Tripoli, comme pour les autres villes où ce système était en vigueur, montre l’omniprésence de tels moments dans l’ancien régime ottoman, signe de l’ancrage de ces procédures et de ces instances dans la sphère civique, et signe de la consistance et de la persistance de celle-ci dans le temps. Aucune décision n’était possible sans délibération ; même dans les moments de pression et de tension, la délibération était un passage nécessaire à la construction de la légitimité juridique et morale de la décision.
Descriptions détaillées du processus de délibération
20Dans la chronique, chaque moment de délibération, à chaque réunion de l’assemblée, est décrit selon des formules précises, posant la nature, le lieu et le moment de la réunion, ainsi que les modes de discussion. La liste des présents est donnée en procès-verbal, de même que les modalités et résultats des décisions dans leurs différentes déclinaisons. La chronique énonce aussi les arguments de chacun dans les délibérations, discussions, voire controverses. Les citations des termes employés sont clairement mises en évidence avec le vocable qāla (« celui-ci a déclaré que »), qui introduit chaque restitution de dialogues ou d’arguments. Il convient aussi de souligner combien la chronique civique citadine note des éléments autres que strictement de contenu, et livre des informations au sujet du contexte ayant contribué à la discussion, médiation et délibération. La main (yad), la langue (lisān) et la voix (sawt) constituent ainsi autant d’éléments corporels participant à l’échange, à l’ambiance et à la constitution d’une sphère de médiation, de pression, de tension ou d’apaisement, selon les situations. Ces mots reviennent constamment dans la chronique au sujet des débats : au-delà du simple procès-verbal désincarné, la chronique devient ainsi une archive ouvrant sur une véritable anthropologie historique de la délibération qui donne à voir les corps dans l’espace de l’assemblée. Ainsi, chez Hasan al-Faqīh Hasan, dans le compte-rendu d’une délibération de l’assemblée citadine au sujet de l’affaire al-Dghais, qui implique une dimension de géopolitique et d’espionnage, on peut lire :
Le jeudi 12 safar 1245h, l’ensemble des consuls s’est réuni dans la maison [hūch] du consul français, mais les consuls anglais et américains sont ensuite partis. Si Muhammad al-Dghais a refusé de se joindre à eux. Ce sont les consuls qui sont venus à lui et lui ont demandé : « Ton frère a-t-il donné les papiers de l'Anglais [al-Rūmī al-Inglīsī] au consulat français ? » Et il répond : « Je n'en sais rien ». Ils ont écrit qu'il n'en sait rien et ont envoyé cela à notre Sayyid – que Dieu le préserve. Celui-ci leur a dit : « Moi, j'ai des témoins pour cela ». Ceux qui l’ont entendu peuvent confirmer que ce sont des paroles venant de sa propre bouche [bi-iqrār lisānahū]. Ces témoins sont le sheikh al-bilād ainsi qu’Ibrahim bū Amīs, le qāid al-Maftah et moi-même. Nous, tous les quatre, avons entendu Si Muhammad al-Dghais déclarer que les papiers en question sont venus de Ghadamès vers Hasuna, et qu’il les a remis au consul français37.
21Les mots du témoignage consignés dans la chronique sont ainsi lourds de sens. Du point de vue du chroniqueur, ils revêtent une grande importance, car ils scellent par l’écrit la parole des membres présents en décrivant avec minutie le type d’approbation : « wa aladhin sum’ ū minh bi-iqrār lisanih ». La chronique ayant également fonction d’archive au sens propre, devant servir à de futurs usages, les éléments physiques du corps qui contribuent à définir le type de délibération concerné participent à la future évaluation de la véracité des faits en question, ainsi qu’au futur décryptage des concessions, jeux de factions, vecteurs d’entente ou de perduration des conflits.
22La chronique fournit aussi de nombreux détails sur l’iter décisionnel. Celui-ci est marqué, après les phases ayant mené l’assemblée citadine à se saisir ou à être saisie d’une question, par les étapes de délibération et d’entérinement nécessaires à la construction de la légitimité de la décision. Il y a tout d’abord le lieu de la réunion : s’il s’agit de l’assemblée municipale d’ancien régime, cela est généralement le café du chef de la ville (qahwat sheikh al-bilād). Pour Tripoli, il s’agit d’un lieu donné en fondation civique par une femme membre d’une grande famille des notables de la ville pour servir de siège à l’instance civique citadine38. Ce lieu deviendra le siège de la municipalité modernisée (baladīyya) au moment des réformes ottomanes. La valeur civique qui y est attachée contribue à légitimer la décision prise dans les locaux de l’institution municipale ; elle acquiert ainsi une grande force juridique. Parfois, cependant, les réunions ont lieu ailleurs : à la cour (dīwān) par exemple, pour des cas impliquant une prise de décision à cette échelle, décision ensuite validée au niveau civique local, étape nécessaire pour la construction du consensus. C’est ainsi que la chronique précise toujours le lieu de la réunion, ainsi que son inscription temporelle. On trouve fréquemment chez Hasan al-Faqīh Hasan ce type de rédaction, comme dans ce qui suit, autour d’une négociation entre l’assemblée citadine de Tripoli et celle de Misrata :
Le dimanche 20 de ce mois, la jamā‘at al-bilād et le sheikh sīdī al-hājj Ahmad Muhsin, le sheikh al-bilād, le Juif et les Arabes de Misrata et d’autres Arabes tous ensemble, dans le café du sheikh, ont pris une décision au sujet de la question soulevée par les ‘ulamā. Après cela, ils ont décidé [qarā’ū] sur l’affaire de la jamā‘a avec des Juifs et d’autres. Puis, chez le hājj Slimān al-Qarba [amīn de la monnaie], une pancarte a été rédigée pour annoncer une décision prise au sujet de la monnaie dūru39.
23On peut également y lire :
Dans la nuit du lundi 2 rabi‘ al-thānī 1235h, la jamā‘a, dont les membres listés ci-dessous étaient présents dans la salle [ghurfa] du chef de la ville Ahmad Muhsin, sheikh al-madīna mahrūsa Tarāblus Gharb, a délibéré [takallamū] au sujet du navire en provenance d'Alexandrie40.
24La chronique transcrit la liste des présents. L’on trouve ainsi, toujours chez Hasan al-Faqīh Hasan :
Le jeudi 13 dhū al-qa‘da 1245h étaient présents le sīdī sheikh al-qādī, le sheikh Ibrahīm Indīcha, le hājj Mustafa fils de l'agha, Ahmad al-Qalālī, le sheikh al-nāyib et le sheikh al-bilād ainsi que le hājj Mustafa Ben Mūsa al-hājj Muhammad al-Lahalāhī, le hājj ‘Alī Mar’ī et Muhammad al-Dāqayz, le hājj ‘Alī al-Tārizī, Fath Allah, Si Muhammad al-Tabjī, Ibrahīm Ben Ibrahīm, Muhammad Ben Mas‘ūda, le hājj Ahmad al-Sanfāz, Muhammad al-Barūdī et le kātib (moi-même), devant de nombreux autres [wa ghayrihi, le public assistant aux débats]41.
25S’ensuit généralement, dans cette écriture à la fois institutionnelle et vivante, l’exposition des termes de la discussion, souvent avec un résumé des épisodes précédents, parfois lointains, voire le rappel par consultation de tomes anciens de la chronique, de décisions antérieures ou d’accords. Dans les cas d’un conflit, les causes en sont explicitées dans la chronique qui présente ensuite, sous forme de véritable procès-verbal ou minute, l’avis de chacun tel qu’exprimé dans la délibération. À nouveau, la chronique, qui a vocation à être consultée autant dans le présent que dans le futur, doit contenir les avis de chacun consignés de manière fidèle. Le document donne aussi à voir les différentes formes de délibération : dialogue contradictoire, discussion autour d’une proposition, positionnement collectif face à un autre pouvoir ou sur une question précise, délibération à sens unique parfois aussi, ou constat de désaccord.
26Pour l’année 1232h/1816, la chronique de Hasan al-Faqīh Hasan transcrit ainsi précisément le contexte d’une délibération :
Un accord à l'amiable fut trouvé dans la joie et la bonne humeur sous la responsabilité du secrétaire, de sīdī Ahmad, le chef du port [rāyis al-marsā] et de sīdī Mustafa al-Ahmar42.
27Dans ces pages, la transcription de la délibération est très codifiée, afin d’éviter toute divergence d’interprétation future : l’auteur de la chronique civique utilise en effet un vocabulaire et des expressions volontairement très locaux, et des références au concept classique de consensus bil-ijma‘. Il utilise les différents modes d’expression du consensus avec des nuances perceptibles par ceux qui le liront plus tard. Ici, il s’agit d’un fort consensus, instauré dans une joie complète (wa inchirāh sidr – expression idiomatique associée à celle d’ijma‘), et de bon cœur (bi-tīb al-galb).
28Pour le 5 ramadan 1263h/5 août 1847, la chronique rend compte de la réunion d’un conseil de délibération dans le majlīs de Tripoli au sujet de travaux publics impliquant non plus seulement les instances municipales, mais également l’échelon étatique :
Dans la nuit du lundi 5 du mois du ramadan 1263h, s’est tenu un dīwān mushawwara dans le majlīs en présence des ‘ulamā et de bien d’autres. Ils y ont délibéré oralement [takallamū] au sujet de la rénovation de la rue al-’Arba‘a Chawāri’, côté extérieur. Et notre effendi du dīwān a nommé [‘ayyana] le chef de la ville et son secrétaire le kātib, ainsi que Ben Mūsā le hājj ‘Alī bīt al-Māl, sīdī Muhammad al-Marābit, secrétaire, et sīdī Muhammad Muhsin. Nous avons commencé le samedi 8 shawwāl43.
29Le verbe ‘ayyana, généralement traduit par « nommer » ou « désigner », recouvre souvent un processus complexe à plusieurs étapes, parmi lesquelles celle, cruciale, de la délibération (mushawwara), dont le nom même du conseil réuni ce jour-là (un « dīwān mushawwara ») est l’émanation.
30Toute nomination, même si elle est exprimée par un pouvoir, ne peut se faire sans avoir passé les étapes délibératives. Dans une nomination, le parcours du bas vers le haut est assurément plus important que l’inverse. Il en va de même pour la nomination du chef de la ville après consultation des instances des corporations, du commerce, de la notabilité religieuse et de la notabilité civique citadine. Les membres de l’assemblée discutent et délibèrent sur celui qui les représentera en tant que chef de la ville, en accord avec des critères validés par le pacha de la province. Celui-ci peut également donner son avis, sans toutefois remettre en question le choix de l’assemblée citadine. S’il le fait, cela ouvre une procédure contentieuse. La délibération dure jusqu’à ce qu’un consensus soit trouvé. Le sheikh al-bilād a le titre de chef des corporations : amīn al-umanā.
31Le plus souvent, la délibération donne lieu à un accord. La chronique en restitue la teneur, par exemple au travers de l’expression « wa waqa‘a ittifāq » (« un accord a été trouvé ») :
Le jeudi 17 dhū al-qa‘da 1244h, le hājj Slimān al-Qarbā a soumis la question posée par les ‘ulamā car elle empiète sur les avis des juristes [hukām] relatifs au meurtre : l’accusé doit-il être exilé ? La réponse fut apportée, couchée sur le papier et envoyée à notre Sayyid, que Dieu le préserve, et les ‘ulamā se sont mis d’accord puis ont signifié leur accord. Le sheikh al-qādī a ensuite également jugé cela conforme et, enfin, la jamā‘at al-bilād et le sheikh sīdī al-hājj Ahmad Muhsin, sheikh al-bilād, le Juif et les Arabes de Misrata et d’autres Arabes, tous ensemble dans le café du sheikh, ont entériné la décision44.
32D’autres délibérations, en revanche, débouchent sur le constat d’un désaccord, comme dans ce cas de conflit d’intérêts : « wa lan faddū hādhi al-qadiyya » (« ils ne se mettront pas d’accord sur cette affaire ») :
[…] le jeudi 13 dhū al-qa‘da 1245h, […] nous étions présents dans la mosquée du défunt sīdī Daghrout Bāshā pour délibérer [takallamū] au sujet de l’affaire Muhammad Ben Mas‘ūda relative au procureur [mud’ī] ‘Alī Ibrahīm Ben Ibrahīm, dont l’oncle, le hājj Mustafa Ben Mas‘ūda, a une entreprise qui reste sous sa responsabilité et celle de son frère, le hājj Husīn Ben Ibrahīm. Si Muhammad Ben Mas‘ūda s’est plaint [ichtakā]45 à notre Sayyid, que Dieu le préserve, et notre Sayyid le sheikh al-bilād a autorisé la jamā‘a ci-dessus mentionnée à être présente, lui assignant un greffier [shāwoush], Muhammad Rab’. Ensuite, notre Sayyid le sheikh al-bilād a autorisé [wa qad adhana] que la jamā‘a soit présente. Ils se sont réunis dans la mosquée et ont délibéré oralement [takallamū] : Ben Mas‘ūda a demandé au sheikh al-qādī qu’il propose des noms : ‘Alī Ibrahīm et al-Aytām. Le sheikh al-qādī a demandé au hājj Muhammad al-Lahalāhī, qui a refusé [fa-a’biya] ; puis il a demandé à d’autres, qui ont refusé également. L’ensemble de la jamā‘a, c’est-à-dire les présents [al-hādirīn], l’ont tous refusé [‘arada ‘alayihm kullahūm] et ils se sont tous abstenus, sauf sīdī Muhammad al-Tabjī, qui a dit : « Puisque c’est ainsi, je me présente, mais faites que al-Halāwī ait le mandat [wikālatahū] ». Ben Mas‘ūda a refusé et il a dit : « Al-Halāwī, je n’accepterai pas son mandat [wikālatahū], car je suis en affaires avec lui [wikāla] ». Le résultat est qu’ils ont siégé de midi jusqu’au début de la soirée. Tous les gens sont partis et ils ne se mettront pas d’accord sur cette affaire. Salutations [wa rawwahū al-nāss wa lan faddū hadhi al-qadiyya wa salām]46.
33Différentes formes de validation viennent sanctionner la décision lorsque celle-ci est formulée. La construction du consensus par délibération est toujours mise en valeur dans la consignation des décisions. Elle marque une étape fondamentale, et répond à des modalités précises, ancrées dans l’histoire de l’assemblée citadine. Celle-ci entérine également les nominations, sur lesquelles elle donne un avis institutionnalisé. Ainsi la chronique de Hasan al-Faqīh Hasan relate-t-elle comment :
Le premier safar 1245h, le dhimmī Ghouwaylī s’est retiré de l’administration de l’octroi [al-bāb] et de l’impôt [al-luzm]. A été nommé [tawwalā] à sa place le fils du Chrétien [al-Rūmī], auprès d’Angelo et d’autres Juifs, sous la responsabilité du hājj Slimān al-Qarbā. Il y a eu entre eux un conflit [nizā]47.
34Dans cette nomination soumise à l’approbation de l’assemblée citadine, le verbe exprimant l’action ne précise pas les modalités d’accord de l’assemblée. Il en est ainsi dans de nombreux cas. Par exemple, la chronique de Hasan al-Faqīh Hasan rapporte de manière laconique le retrait d’un membre de l’administration, et la nomination par l’assemblée d’une personne en remplacement :
‘Alioua s’est retiré de ses fonctions à la douane et sīdī Mustafa Qurjī’ siège [qa‘ada] à sa place48.
35Mais nombreuses sont les délibérations qui précisent les modalités de la prise de décision : ce qui régit les débats, c’est généralement la discussion, jusqu’à l’établissement d’un consensus. À la fin, deux cas de figure se présentent : soit la chronique constate qu’un désaccord perdure, soit elle entérine l’accord de l’assemblée et la décision ferme qui en découle, comme c’est le cas ici :
Le 12 jumādā al-thāniya 1228h, [...] l’assemblée a tranché [al-hāsil min al-‘amr hazzū al-jamā‘a] après les délibérations [hadhā mā waqa’a bayna hum min al-kalām]49.
36Il semblerait que, le plus souvent, la manière de trancher soit par la négociation à outrance, sans borne ni répit, jusqu’à obtenir un accord de tous ; de même, il apparaît que le vote, mode d’expression qui permet finalement de trancher sans l’accord de tous, n’est pas la manière la plus usitée de décider. Le principe moral, au fondement d’une décision juste, est qu’elle soit acceptée par tous, et non qu’elle émane d’une majorité numérique qui écraserait un dissensus persistant. La décision est juste, et ainsi consignée dans la chronique, lorsqu’il n’y a plus de dissensus, après discussion et délibération.
37Vient alors en effet, dans la chronique, la consignation officielle de l’énoncé de la décision et de sa validation collective. Là aussi, la rédaction suit un code strict qui fait apparaître dans la rhétorique la solidité de la décision. Des signes approbateurs (wafaqa, « être d’accord », ou encore muwāfiq qui exprime un accord collectif) sont ainsi attendus parmi les membres présents. Exposés aux yeux de tous, ils doivent être consignés pour affermir la légitimité de la décision ; car, à l’inverse, leur absence signalerait un forçage autoritaire et en laisserait la trace pour le futur. Ainsi, dans la chronique de Hasan al-Faqīh Hasan concernant la soirée du 4 dhū al-hijja 1244h50, on trouve une abondante description du chemin codifié de la prise de décision, dont l’étape ultime est celle des applaudissements en signe d’approbation collective ; approbation non seulement du contenu de la décision, mais aussi du moyen mis en œuvre pour y parvenir. Une fois l’accord scellé, dans ce que la chronique décrit là aussi de manière codifiée comme « la plus grande joie » (« wa qābalahū wa farāha bihi ghāya al-afrāh »), a lieu un repas chez le maire de la municipalité d’ancien régime, dans le cadre d’une société où la commensalité constitue une valeur civique centrale. Ce moment constitue la démonstration publique d’un accord scellé sous deux formes : par l’annonce publique et par la symbolique du repas (« wa ja’ala lahum sīdī al-sheikh ta‘ām tayyib wa ‘āchiyya wa ghayrihi wa rawahū »). Pour les accords importants, comme ce soir-là, des coups de canons (trente-trois en l’occurrence) sont tirés : audibles de tous, et fortement symboliques, ils rendent compte de la solennité d’un instant figé à destination des générations futures.
38Au-delà de ces dimensions liées à l’activité de l’assemblée citadine, dont la chronique constitue les minutes, ce type de document signale aussi, non par hasard mais bien par devoir d’enregistrement, l’existence, la nature et le destin bureaucratique et politique d’autres documents jouant un rôle dans les délibérations institutionnelles, à savoir, essentiellement, les pétitions. Celles-ci représentaient l’une des procédures centrales du système ottoman de gouvernance, et en particulier du système de gouvernance par délibération. L’étude du fonds rassemblant les pétitions de tout l’Empire ottoman aux Archives centrales d’Istanbul (BOA) permet d’affirmer que la pétition est la pièce maîtresse d’un système de gouvernance fondé sur la médiation entre les instances impériales et la sphère civique locale51. Elle sert généralement dans l’Empire d’instrument institutionnel pour établir un dialogue entre les individus, mais aussi entre les corps constitués (corporations, communautés confessionnelles, corps de ville) et le pouvoir central, dont ce dialogue permet de façonner la nature même. La pétition permet des allers-retours aussi bien pour le contenu que dans la définition mutuelle des acteurs et institutions. Ce type de fonctionnement institutionnel existe aussi à l’échelle locale, entre individus et corps collectifs (là encore, municipalité d’ancien régime, corporations, communautés confessionnelles). Derrière la pétition agit toute une bureaucratie institutionnelle ordinaire (la pétition est le canal ordinaire d’ouverture d’un processus de décision) ; de même, elle implique tout un processus de négociation, de conflit et de pression qui traduit les tensions de la société, au travers d’une procédure destinée à les réguler. En ce sens, la pétition fait partie de ces indices invitant à réévaluer la consistance des éléments institutionnels de délibération. La pétition se caractérise également par la représentativité des corps reconnus, avec signature du corps civique entier ou de groupes ayant une existence reconnue par la charte de souveraineté ottomane.
Interpréter la nature des réformes ottomanes : délibération, élection, représentation et pratiques de la décision
39Il convient donc, à partir des éléments institutionnels de délibération présents dans la société locale, de s’inscrire en nette rupture avec les lectures dérivées des historiographies coloniale et nationale qui considèrent la modernité comme importée. L’enjeu heuristique est bien de saisir l’impact, ambigu et d’emblée biaisé par les interférences de nature coloniale, entre le système ici décrit et les conceptions modernisées de la délibération, de la décision, de la représentation et du vote. S’il est vrai qu’il existait un système d’ancien régime comprenant toutes ces dimensions dans des définitions précisément d’ancien régime, reste à comprendre son articulation avec les idées de réforme. En réévaluant et en analysant la consistance de ce qui a précédé la période de réformes modernisatrices (entre la fin des années 1830 et les années 1880) qu’a connue l’Empire ottoman, il devient possible de mieux traquer autant les possibles continuités que les ambiguïtés et impasses52.
40La municipalité de Tripoli existait sous une forme d’ancien régime avant les réformes ottomanes et comprenait une assemblée civique citadine de délibération. Ce constat permet de lire sous un jour nouveau la phase des tanzimat des années 1850-1870. Les archives donnent à voir l’impact de cette réforme dans la transition entre l’ancien régime et la modernité, ainsi que la négociation des prérogatives de chacun. Cette négociation se fait selon les canaux de l’ancien régime, dont la pétition53.
41Dès le milieu des années 1860, de nombreuses pétitions envoyées à Istanbul illustrent le souci de l’assemblée citadine existante et de ses membres de défendre leurs prérogatives. Ainsi, en 1866, divers sheikhs s’inquiètent des conséquences qu’auront ces réformes sur leurs pratiques de décision et de délibération54.
42La modernité est d’abord imposée par Istanbul afin de freiner l’emprise des consuls étrangers sur les instances de la notabilité au travers des mécanismes du clientélisme. Puis cette notabilité proteste par pétition et obtient son insertion dans les instances réformées. La sociologie du pouvoir demeure proche de la précédente, mais les principes théoriques ont changé, ce qui pose la question de la représentativité, de la nature des procédures de vote et de la délibération. Pour ce qui concerne la représentativité, le système censitaire retenu par la réforme perpétue de facto, sur une base nouvelle, le principe de la liste de notables d’ancien régime dont la chronique tenait le compte. De nouveaux instruments administratifs viennent s’insérer dans un cadre sociologique existant. Pour le vote, il est frappant de voir combien la formalisation nouvelle se fait d’abord en heurtant les pratiques de délibération d’ancien régime, puis en intégrant une part de leur logique. Une lecture par l’anthropologie historique de la décision permet de traquer les continuités, mais aussi les ruptures. Parmi celles-ci pointe naturellement la délicate définition nouvelle de l’identité confessionnelle : quelle représentation des groupes (métiers, confessions) ? Quel rapport avec les autres instances de l’administration ?
43Une étape cruciale de cet ajustement est celle des tensions, des négociations et des médiations autour de la réforme municipale. L’ancien régime préserve sa place dans le nouvel ordre institutionnel par pétition et affirmation d’une légitimité représentative à la suite de l’annulation de ses anciennes instances. Dans les procès-verbaux des séances de la municipalité réformée (le 23 sha῾bān 1285h/9 décembre 1868 et le 5 dhū al-hijja 1287h/26 février 187155), on trouve l’annulation des fonctions du sheikh al-bilād, le maire d’ancien régime et président de l’assemblée citadine sortante en 1285h/1868. Mais de nombreux éléments de l’ancien système parviennent par pression et négociation56 à s’immiscer dans le nouveau, par les parcours individuels et par les procédures. Dans un épisode fort de confrontation puis de négociation, l’assemblée citadine ancienne parvient à s’opposer à l’homme imposé par Istanbul pour la réforme, et à défendre ses prérogatives dans le nouveau système57. De manière générale, entre les années 1870 et le tournant du XXe siècle, les instances locales négocient leur propre composition et représentativité à Istanbul. Une pétition de 1896 en témoigne58. C’est tout le pacte d’ottomanité qui est renégocié pendant ces phases.
44Le moment de la création des instances réformées est aussi celui d’une nouvelle formalisation des métiers gravitant dans l’orbite civique, avec notamment le passage au salariat des greffiers municipaux, après délibération de l’assemblée : « Le conseil municipal a décidé de payer le salaire des greffiers (4 600 qurush ‘uthmānī) qui ont été affectés au recensement de la population de Tripoli ». Ces personnels étaient aussi chargés de l’établissement des nouvelles listes électorales, selon une logique et des méthodes bureaucratiques nouvelles. Ces listes ont été préparées pour le conseil municipal selon le décret ottoman (firmān) du 17 ramadan 1287h, 24 tashrīn al-thānī 1286/11 décembre 187059.
45Au sein des instances réformées, à partir de 1870, le vote est formalisé et enregistré sous un vocabulaire différent, mais la composition des instances et le type de négociation demeurent proches de ceux de la période précédente60. Bien souvent, les membres des mêmes familles débattent de manière similaire. Les Sālnāme, almanachs officiels publiés chaque année dans tout l’Empire ottoman, donnent une idée de cette continuité prosopographique et anthropologique. Ils manifestent et rendent publics la tenue des listes électorales et les comptes-rendus des procédures d’élection dans tous les différents conseils à tous les échelons (municipalité, province, empire). Ils donnent aussi des détails sur les délibérations. Pour Tripoli, les Sālnāme permettent de suivre la composition de l’élite locale et gouvernante. Ils font apparaître une grande continuité à l’échelle urbaine, qui contraste avec une plus grande mutation à l’échelle provinciale. Ils donnent aussi accès à une évaluation des critères de représentativité à l’interaction entre identités individuelles et identités de groupes. L’édition de 1286h/1869, conservée à la bibliothèque municipale d’Istanbul (Sālnāme-i vilayet Trablusgarb) constitue une source précieuse pour comprendre un moment-clé de la réforme.
46Elle présente ainsi les résultats des élections au majlīs al-Idāra, ainsi que le panachage entre membres ex officio et membres élus dans cette assemblée provinciale. Cette dimension hybride est à la fois une limite à la délibération et le résultat d’une négociation sur la représentation de corps constitués dans le système ancien en cours de réforme. Pour le travail de ce conseil, le Sālnāme rend visible le fait qu’un vote sanctionnait chaque décision. Les conditions de ce vote ne sont pas détaillées, et les éléments relatifs aux pressions, aux négociations préalables et aux potentielles restrictions de libertés ne sont pas lisibles dans ce type de source. Cependant, le passage par un vote (intikhāb) rompt avec la construction de la légitimité de la décision par consensus dans les systèmes antérieurs, en même temps qu’il affirme l’inertie d’une modalité ancienne, tant le vote ne vient qu’après construction du consensus.
47Les pistes d’interprétation de ce moment sont nombreuses, et invitent à évaluer la nature des délibérations à l’aune d’indicateurs complexes qui ne se limitent pas à des considérations potentiellement anachroniques sur la représentation et la démocratie. Il convient aussi de repérer les impasses dans la représentation entre individus, groupes et identités, de même que pour le rapport entre ce conseil et l’élite civique citadine. Au-delà de ces dimensions, ces moments de transition lors desquels des pétitions sont envoyées pour ajuster la modernité au moment même où le système devrait se passer de ce canal, sont au fondement de la nécessité d’un réexamen critique de la nature même de la délibération. Les documents illustrent à la fois la nature complexe et les limites du système ottoman réformé.
48S’ajoutent à cette difficulté fondatrice de précoces ambiguïtés coloniales : réseaux de clientélisme, protection consulaire changeant l’identité des groupes, pressions militaires et financières. Les procédures héritées sont marginalisées par les défenseurs de la modernité, qui tendent à nier toute consistance aux instances anciennes, et à les exclure d’office de toute discussion sur le rapport de ces sociétés à la délibération, à la représentation, à l’élection et, au fond, à de possibles racines de ce que pourrait être une forme de démocratie. Cela se traduit aussi dans l’historiographie. Il convient donc, dans ce contexte, de plaider pour un aggiornamento interprétatif autour de la question de l’historicité de la démocratie dans le monde arabe, qui ne soit ni anachronique, ni nostalgique d’un état artificiellement figé, ni soumis aux instrumentalisations du présent, mais s’attachant à discuter de l’historicité de ces formes et de leur destin, entre inertie, continuités et effacement dans leurs contextes successifs. Ainsi, l'interrelation avec les formes européennes de démocratie apparaît plus complexe ; ce sont autant les échecs que les potentialités de ce type de système dans la région qui peuvent être lus sous un angle différent, et les défis actuels interprétés d'une manière informée et démystifiée, se méfiant des postures fondées sur une rigide ontologie civilisationnelle61.
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Notes de bas de page
2 Hartog François, 2003, Régimes d’historicité, Paris, Seuil.
3 Lafi Nora, 2019, Esprit civique et organisation citadine dans l'Empire ottoman (XVe-XXe siècles), Boston, Brill, ouvrage issu d'une thèse pour l'habilitation à diriger des recherches (HDR) soutenue à Aix-Marseille Université en 2011, sous la direction de R. Ilbert.
4 Mernissi Fatima, 1992, Islam and Democracy: Fear of the Modern World, Londres, Wesley.
5 Hansen Mogens Herman, 2005, The Tradition of Ancient Democracy and its Importance for Modern Democracy, Copenhague, DVS ; Nolte Paul, 2012, Was ist Demokratie? Geschichte und Gegenwart, Munich, C. H. Beck.
6 Dougherty Carol, 1996, “Democratic Contradictions and the Synoptic Illusion of Euripide’s Ion”, in J. Ober, C. Hedrick (eds), Demokratia: A Conversation on Democracies, Ancient and Modern, Princeton, Princeton University Press, 250-270 ; Arnason Johann, Raaflaub Kurt, Wagner Peter, 2013, The Greek Polis and the Invention of Democracy: A Politico-Cultural Transformation and its Interpretations, Londres, Wiley.
7 Bordes Maurice, 1972, « L’administration des communautés d’habitants en Provence et dans le comté de Nice à la fin de l’Ancien Régime. Traits communs et diversité », Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, t. 84, n° 109, 369-396 ; Saupin Guy, 1983, « Les élections municipales à Nantes sous l’Ancien Régime », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, vol. 90, n° 3, 429-450, [en ligne : persee.fr/doc/abpo_0399-0826_1983_num_90_3_3133].
8 Schmale Wolfgang, 1990, « Du droit d’ancien régime aux droits de l’homme, la continuité et la rupture », Il Pensiero politico, vol. 23, 108-124.
9 Halliday Paul, 1998, Dismembering the Body Politic: Partisan Politics in England’s Towns (1650-1730), Cambridge, Cambridge University Press.
10 Merkel Wolfgang, Puhle Hans-Jürgen, Croissant Aurel, Eicher Claudia, Thiery Peter, 2013, Defekte Demokratie, New York, Springer.
11 Depuis-Déri Francis, 1999, « L’esprit anti-démocratique des fondateurs de la "démocratie" moderne », Agone, n° 22, 95-114.
12 Gordon Neve, 2010, “Democracy and Colonialism”, Theory and Event, vol. 13, n° 2, 1-5.
13 Wolin Richard, 1995, Labyrinths: Explorations in the Critical History of Ideas, Boston, University of Massachusetts Press ; Müller Jan Werner, 2011, Contesting Democracy, New Haven, Yale University Press.
14 Dunn John, 1995, “Democracy: The Unfinished Journey”, Ethics, vol. 105, n° 2, 423-425.
15 Fenichel-Pitkin Hanna, 2004, “Representation and Democracy: Uneasy Alliance”, Scandinavian Political Studies, vol. 27, n° 3, 335-342, [en ligne : doi.org/10.1111/j.1467-9477.2004.00109.x].
16 Sing Manfred, 2017, “Against All Odds: How to Re-Inscribe Islam into European History”, European History Yearbook, vol. 18, 129-161 ; Weiss Alexander, Schubert Sophia (eds), 2016, Demokratie jenseits des Westens: Theorien, Diskurse, Einstellungen, Baden-Baden, Nomos.
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18 Nelson Robert, 2017, Lutheranism and the Nordic Spirit of Social Democracy, Aarhus, Aarhus University Press.
19 Vogel David, 2001, The Protestant Ethic and the Spirit of Environmentalism: The Cultural Roots of Green Politics and Policies, Berkeley, University of California at Berkeley.
20 Cabanel Patrick, 2003, Le Dieu de la République. Aux sources protestantes de la laïcité, Rennes, Presses universitaires de Rennes.
21 McLaren Peter, 1997, Revolutionary Multiculturalism: Pedagogies of Dissent For The New Millennium, Boulder, Westview Press ; Balibar Étienne, Collins Frank, 2003, “Europe, an ‘Unimagined’ Frontier of Democracy”, Diacritics, vol. 33, n° 3-4, 36-44 ; Peruzzotti Enrique, Plot Martin, 2013, Critical Theory and Democracy, Abingdon, Routledge ; Richter Hedwig, Hubertus Buchstein (eds), 2017, Kultur und Praxis der Wahlen. Eine Geschichte der modernen Demokratie, Wiesbaden, Springer.
22 Hamdi Mohamed, 1996, “Islam and Liberal Democracy: The Limits of the Western Model”, Journal of Democracy, vol. 7, n° 2, 81-85 ; El-Badawi Ibrahim, Makdisi Samir, 2007, “Explaining the Democracy Deficit in the Arab World”, The Quarterly Review of Economics and Finance, vol. 46, n° 5, 813-831.
23 Herzog Christoph, Sharif Malek (eds), 2010, The First Ottoman Experiment in Democracy, Wurzbourg, Nomos.
24 Maussen Marcel, Bader Veit-Michael, Moors Annelies, 2011, Colonial and Post-Colonial Governance of Islam, Amsterdam, Amsterdam University Press.
25 Börzel Tanja A., 2015, “The Noble West and the Dirty Rest?”, Democratization, vol. 22, n° 3, 519-535.
26 Rey Matthieu, 2022, When Parliaments ruled the Middle East: Iraq and Syria (1946-1963), Le Caire, American University Press ; Thompson Elizabeth, 2020, How the West stole Democracy from the Arabs, New York, Grove.
27 Heydemann Steven, 2002, « La question de la démocratie dans les travaux sur le monde arabe », Critique internationale, n° 17, 54-62.
28 Dowty Alan, 1999, “Is Israel Democratic?”, Israel Studies, vol. 4, n° 2, 1-15.
29 Haj-Saleh Yassin, 2004, « La démocratie dans la vision américaine du Moyen-Orient : Point de vue arabe », Confluences Méditerranée, n° 49, 31-41, [en ligne : cairn.info/revueconfluences-mediterranee-2004-2-page-31.htm] ; Haddad Mezri, 2011, La face cachée de la révolution tunisienne, Tunis, Arabesques.
30 Ben Achour Yadh, 2016, Tunisie : une révolution en pays d’Islam, Tunis, Cérès éditions ; 2021, L’islam et la démocratie : une révolution intérieure, Paris, Gallimard ; Lafi Nora, 2017, “The ‘Arab Spring’ in Global Perspective”, in H. Nehring, S. Berger (eds), The History of Social Movements in Global Perspective, New York, Springer, 677-702 ; Kerrou Mohamed, 2018, L’autre révolution, Tunis, Cérès éditions ; Kamel Lorenzo, Huber Daniela (eds), 2016, Arab Spring and Peripheries: A Decentring Research Agenda, Abingdon, Routledge.
31 Salamé Ghassan, 1991, « Sur la causalité d’un manque : pourquoi le monde arabe n’est-il donc pas démocratique », Revue française de science politique, vol. 41, n° 3, 307-341, [en ligne : persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1991_num_41_3_394560] ; Perthes Volker, 2008, “Is the Arab World Immune to Democracy?”, Survival, vol. 50, n° 6, 151-160.
32 Sadowski Yahya, 1993, “The New Orientalism and the Democracy Debate”, Middle East Report, n° 183, 14-21 ; Davis John (ed.), 2016, The Arab Spring and Arab Thaw, Abingdon, Routledge.
33 Lafi Nora (dir.), 2005, Municipalités méditerranéennes : les réformes urbaines ottomanes au miroir d'une histoire comparée, Berlin, K. Schwarz.
34 Lafi Nora, 2002, Une ville du Maghreb entre ancien régime et réformes ottomanes. Genèse des institutions municipales, Tripoli (1795-1911), Paris, L'Harmattan ; 2019, Esprit civique... op. cit. Voir également Sharfeddine Enaam, 1998, Madkhal ilā tārīkh Trablus al-ijtimā’ī wa-al-iqtisādī (1711-1835)/Introduction à l'histoire de Tripoli (1711-1835) : société et économie, Tripoli, Markaz Jihād al-Lībīyyīn lil-Dirāsāt al-Tārīkhiyya ; Alghafal Suaad, 2021, A Bridgehead to Africa. German Interest in the Ottoman Province of Tripoli (Libya) 1884-1918, Berlin, De Gruyter.
35 Lafi Nora, 2002, op. cit. ; Hénia Abdelhamid, 2006, Être notable au Maghreb, Tunis, IRMC.
36 Al-Faqīh Hasan Hasan, 1984, al-Yawmiyyāt al-Lībīyya, al-juz’ al-’awwal, 958h-1248h (1551-1832) (vol. 1), chroniques éditées par M. al-Ustā et ‘A. Juhayder, Tripoli, Markaz Jihād al-Lībīyya lil-Dirāsāt al-Tārīkhiyya, série « Textes et Archives », n° 7 ; 2001, al-Yawmiyyāt al-Lībīyya, al-juz’ al-thānī, al-harb al-’ahlīya wa nihāya al-’ahd al-Qaramānlī, 1248h-1251h (1832-1835) (vol. 2), chroniques éditées par ‘A. Juhayder, Tripoli, Markaz Jihād al-Lībīyya lil-Dirāsāt al-Tārīkhiyya, série « Textes et Archives », n° 7-2.
37 Al-Faqīh Hasan Hasan, 1984, op. cit. (vol. 1), n° 897, 429.
38 Lafi Nora, 2002, op. cit. Sur les questions de genre, voir Lafi Nora, 2018, “Finding Women and Gender in the Sources: Toward a Historical Anthropology of Ottoman Tripoli”, The Journal of North African Studies, vol. 23, n° 5, 768-790.
39 Al-Faqīh Hasan Hasan, 1984, op. cit. (vol. 1), n° 844, 410-411.
40 Ibid., n° 296, 267.
41 Ibid., n° 1039, 468.
42 Ibid., n° 240, 252 sqq.
43 Ibid., n° 54, 128.
44 Ibid., n° 844, 410-411.
45 Nous ne savons pas si ce terme renvoie à une pétition écrite ou orale.
46 Al-Faqīh Hasan Hasan, 1984, op. cit. (vol. 1), n° 1039, 468.
47 Ibid., n° 885, 426.
48 Ibid., n° 27, 182.
49 Ibid., n° 103, 211.
50 Ibid., 416-417.
51 Lafi Nora, 2011, “Petitions and Accommodating Urban Change in the Ottoman Empire”, in E. Özdalga Sait Özervarlı, F. Tansuğ (eds), Istanbul as Seen from a Distance: Centre and Provinces in the Ottoman Empire, Istanbul, Swedish Research Institute, 73-82.
52 Lafi Nora, 2006a, “The Ottoman Municipal Reforms Between Old Regime and Modernity: Towards a New Interpretative Paradigm”, First International Eminönü Symposium, Istanbul, Eminönü Belediyesi, 348-355.
53 BOA, D-61-2004.
54 BOA, HR. MKT 556/12, 23 r. 1283h/31-09-1866.
55 Baladīyya Tarablus, 1973, Baladiyya Tarablus fī miaat ‘amm 1870-1970, Tripoli, Sharika Dār al-Tibā'at al-Hādith (recueil d’archives publié par la municipalité de Tripoli), n° 3, 100.
56 Lafi Nora, 2022, « Réflexions sur l’analyse historique des processus de négociation », in H. Amamou, M. Jerad, L. Maziane (dir.), La négociation entre le Maghreb et l’Europe méditerranéenne, Tunis, GLD, 134-157.
57 Lafi Nora, 2006b, « L’affaire ‘Ali al- Qarqanī (Tripoli, 1872) », in A. Hénia (dir.), op. cit., Tunis, IRMC, 201-216.
58 BOA, BEO 696/52173, 1313h.
59 Baladīyya Tarablus, 1973, op. cit., n° 4, 100.
60 Ibid. Voir par ailleurs Khalidi Rashid I., 1984, “The 1912 Election Campaign in the Cities of Bilal al-Sham”, International Journal of Middle East Studies, vol. 16, n° 4, 461-474, [en ligne : doi.org/10.1017/S0020743800028506].
61 Lafi Nora, 2017, op. cit., 677-702.
Auteur
Historienne (Leibniz-Zentrum Moderner Orient Berlin), spécialiste de l'histoire de l'Empire ottoman, des villes du Maghreb et du Moyen-Orient à l'époque ottomane
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