La prédication d’Étienne Langton
Un état de la question quarante ans après la thèse de Phyllis Roberts
p. 213-240
Texte intégral
1L’engagement fort d’Étienne Langton dans la prédication est une évidence indiscutable. Elle s’est imposée au point que l’épithète de « prédicateur » figure dans le titre de l’ouvrage qui lui est ici consacré, en tête des qualificatifs qui le décrivent. Ce choix concerté des organisateurs du colloque de 2006 était en même temps une manière de rendre hommage à Phyllis Roberts, qui, avant et après sa thèse publiée en 19681, a tant fait pour rendre plus accessibles les traces dispersées et souvent incertaines de l’œuvre oratoire de ce grand clerc séculier2.
2Les sermons aujourd’hui connus et répertoriés sont attribués tantôt à maître Étienne, tantôt à l’archevêque Étienne Langton, quelle que soit la date à laquelle la prédication a eu lieu, mais en bien des cas aussi, ils sont transmis dans l’anonymat le plus complet. Plus de soixante recueils manuscrits, dont les plus anciens sont contemporains de son activité, en conservent la trace, en l’état actuel des connaissances. Parmi les manuscrits portant une attribution explicite, celui qui figure sous le n° 1422 dans le fonds de la bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris désigne l’auteur des sermons sous le nom de Stephanus de Lingua Tonante. Nul ne peut affirmer que le calembour a été inventé de son vivant ; il est attesté en tout cas au xiiie siècle, avant que la mode de ces pratiques ne se répande dans le monde universitaire et, en général, dans le monde des lettrés des derniers siècles du Moyen Âge3. Cette « langue tonnante », peut-être simplement née d’un jeu de mots greffé sur la langue vernaculaire4, évoque en tout cas l’orateur prenant la parole devant les clercs et les simples gens, bien distinct, dans cette fonction, du doctor nominatissimus qui exposait les sens de la Bible et qui construisait des exposés de théologie, les deux autres facettes majeures de son activité auxquelles sont aussi consacrés les travaux réunis en ce livre qui lui est consacré.
3Il serait téméraire de se fonder sur le motif évocateur de la « langue tonnante » pour en déduire que la voix d’Étienne Langton résonnait fortement, et violemment, tel un coup de tonnerre. La vigueur de ses discours de réforme pouvait tout autant s’accorder à cette image. Tous ses auditeurs, cependant, n’en furent pas également impressionnés. Selon ce que raconte l’auteur anonyme des Annales de Waverley, le 18 août 1213, au cours du sermon sur le thème In Deo speravit cor meum que Langton prononça à Saint-Paul de Londres, à son retour en Angleterre où il venait de retrouver son siège d’archevêque de Canterbury, quelqu’un dans l’assistance lui coupa d’emblée la parole, le prenant à parti sur le choix d’un tel thème qui, prétendait-il, le faisait publiquement proférer un mensonge… L’homme fut aussitôt muselé, frappé et emprisonné, et l’archevêque put poursuivre tranquillement son discours5.
4De telles anecdotes ont la saveur de l’exceptionnel. En ce cas, nous connaissons à la fois la date et les circonstances historiquement décisives de la prise de parole : le grand Interdit lancé par Innocent III le 23 mars 1208 sur l’Angleterre avait contribué à retarder la prise de fonctions à Canterbury d’Étienne, au demeurant très mal en cour auprès de Jean sans Terre. L’incident dû à l’intervention de l’auditeur effronté nous permet de restituer par l’imagination l’ambiance effervescente qui a dû accompagner l’événement de cette prédication, certainement dotée de quelque ampleur. Disons-le d’emblée, c’est un des très rares sermons datables de Langton, avec les sermons qu’il a prononcés à Rome et en Angleterre à l’occasion du jubilé de Thomas Becket, respectivement à la fin de 1220 et dans les premiers mois de 1221. Le texte fameux désigné comme sa leçon inaugurale (inceptio) sur l’Écriture, à Paris, est ordinairement situé en 1180, mais cette date est établie par une succession de raisonnements qui n’apportent aucune preuve formelle, à quelques années près en tout cas. Et si nous savons qu’Étienne Langton prit la parole publiquement lors des funérailles de Guillaume le Maréchal en 1219, cette fois nous n’avons pas le texte de ce sermon6.
5Par ailleurs, le plus grand désordre règne dans la tradition manuscrite des sermons eux-mêmes, qui constituent cependant la seule trace documentaire précise du contenu de ses prises de parole. Plus de cinq cents textes de sermons lui sont attribués dans la notice établie par J.-B. Schneyer7, d’après un ensemble de manuscrits susceptibles d’entretenir les uns avec les autres certains liens, sans que l’on y trouve, à proprement parler, deux recueils identiques. Avant la standardisation des productions de masse caractéristiques du xiiie siècle, cette abondance, dans laquelle il faut encore procéder à un tri sérieux, met d’emblée Étienne Langton au rang des grands prédicateurs servis par le souvenir durable de leur activité oratoire, à la manière d’un saint Bernard ou d’un Jacques de Vitry, qui ont cependant, contrairement à Langton, travaillé personnellement à la constitution des collections écrites de leurs sermons.
L’apport de Phyllis Roberts
6Voici quarante ans ou un peu plus, Phyllis Roberts, que nous avons été heureux de compter parmi les invités présents à la rencontre de 2006, a eu le courage et l’ardeur de relever le défi d’un examen systématique d’une grande partie de cette tradition manuscrite. Dans l’ensemble constitué par les 317 sermons qu’elle a pris en compte dans sa thèse, elle a repéré divers degrés d’authenticité, fondant une répartition de la matière en six classes8. La première réunit 122 sermons, distingués comme le plus sûrement attribués, grâce au témoignage convergent de plusieurs manuscrits sur chacun d’entre eux. Les 82 sermons de la deuxième classe en sont proches, mais en ce cas, l’identification explicite n’est donnée, pour chacun, que dans un seul des témoins manuscrits qui le documentent. Les 25 textes de la troisième classe entretiennent des liens étroits avec tel ou tel des 204 sermons que réunissent les deux premières : il s’agit ici de sermons sur des thèmes attestés dans l’une de ces deux classes en effet, mais dont les développements présentent des variantes importantes. L’anonymat des 88 sermons distribués dans les trois dernières classes9 incite à la prudence : pour chacun d’eux, la démonstration de l’attribution reste à faire, et pour ceux de la sixième classe, elle est d’ailleurs contredite par l’existence formelle d’attributions à d’autres auteurs.
7Phyllis Roberts a ensuite sélectionné avec lucidité quatre pièces qui comptent parmi les rares discours précisément datables transmis par la tradition, pour en rendre le contenu accessible dans le recueil de textes choisis (Selected Sermons, 1980) qui suit de plus de dix ans la publication de sa thèse. D’autres sermons, appartenant à diverses « classes » si l’on suit la distribution qu’elle avait d’emblée proposée, ont été publiés aussi dans certains de ses articles10. Au regard de l’importante activité oratoire de Langton, la part des textes édités reste infime, donc, mais comment en serait-il autrement, face à un dossier à ce point semé d’embûches ? Il faut surtout savoir gré à Phyllis Roberts d’avoir, en examinant une grande quantité de manuscrits susceptibles de contenir des sermons de Langton, attiré l’attention sur la prédication des maîtres séculiers à un moment où presque personne ne s’était encore intéressé aux traces qu’elle a laissées11 – si l’on excepte Jean Longère, qui a préparé de manière concomitante sa riche thèse sur les œuvres oratoires des maîtres parisiens de la fin du xiie siècle, parmi lesquelles figurent naturellement aussi celles de Langton12. Il faut en même temps lui rendre hommage pour avoir, avec l’aide des premiers travaux de recensement disponibles de Johannes Baptist Schneyer, imaginé la méthode de tri des textes que je viens d’évoquer, afin de discerner l’authentique, le douteux et le faux. C’est grâce à ces niveaux de certitude dans l’identification qu’Alexandra Barrat, dans sa description d’un nouveau témoin manuscrit des sermons de Langton découvert à Saint-Pétersbourg13, a pu ajouter à la série des authentiques déjà dûment attribués dans la thèse de Phyllis Roberts par la convergence de plusieurs témoins, une vingtaine de pièces supplémentaires, les unes auparavant inconnues, les autres placées par Phyllis Roberts soit dans sa deuxième classe (celle des sermons attribués par un seul témoin), soit parmi les anonymes des dernières classes.
8Le choix de s’arrêter à l’œuvre oratoire d’un seul auteur a conduit Phyllis Roberts à s’intéresser, plus que ne le faisait Jean Longère dans les mêmes années, aux méandres des témoignages écrits d’une parole, avant tout recueillie par des auditeurs. Cette attention à la transmission par reportation, il faut aussi le reconnaître, n’était encore guère partagée dans les milieux de la recherche, où la tradition de l’histoire intellectuelle chez les chercheurs d’une part, et la pratique bien avérée, dans les productions écrites médiévales, de la rédaction (ou de la dictée) d’œuvres oratoires personnelles intitulées « sermons » d’autre part – de Bernard de Clairvaux à Raoul Ardent en passant par Guerric d’Igny, Richard de Saint-Victor et quelques autres –, évacuaient en quelque sorte la question pourtant fondamentale du mode de transmission des textes. Cette question, cependant, allait devenir inéluctable pour le xiiie siècle, avec le développement des écoles urbaines bientôt muées en universités, les pratiques courantes de la prise de notes à usage privé, et la fréquentation ordinaire des sermons par les clercs de l’université en quête de modèles pour leur propre activité de prédicateur et, de ce fait, initiateurs d’un intense mouvement de circulation de la « matière prédicable14 ».
9Particulièrement vigilante sur ce point de la transmission, Phyllis Roberts a choisi de construire une présentation matérielle des traces de la prédication d’Étienne Langton qui met d’emblée en évidence les témoignages issus des reportations multiples15. Elle a aussi rendu le chercheur vigilant face aux pièges qui résultent de la préservation de sermons construits sur le même verset scripturaire, mais dont le contenu tel qu’il est restitué diffère suffisamment dans les divers témoins manuscrits pour qu’on doive les considérer comme des prises de parole faites à des moments différents ou comme les traces d’une appropriation éventuelle de la matière prédicable par d’autres orateurs. Il ne lui a pas échappé, de surcroît, que le rapprochement de deux pièces commençant par le même verset thématique, s’il conduisait à l’identification trop hâtive de ces deux témoignages, pouvait engendrer, par l’accumulation d’attributions douteuses, une confusion préjudiciable à tout progrès de la recherche.
10Pareil travail de fourmi partait du principe que chaque sermon doit être considéré comme une entité distincte dont il faut démontrer l’attribution. Les sermons de Langton ont d’ailleurs souvent circulé dans des recueils où ils sont mêlés à ceux d’autres auteurs, au point qu’une attribution globale faite sur la page liminaire d’un manuscrit demande à être toujours contrôlée. Cette analyse lucide mérite d’être reconnue et appréciée, en marquant fortement la nouveauté de la démarche de Phyllis Roberts, véritablement pionnière au moment où elle a engagé et mené sa recherche. Certes, bien avant elle, on s’était intéressé aux sermons de Langton : Maurice Powicke avait assorti la biographie qu’il lui a consacrée d’une liste de manuscrits et de la description d’une collection de sermons conservée à Oxford, Magdalen College 168, dans laquelle figuraient dix-huit textes authentiques du « maître16 » ; George Lacombe, en même temps qu’il rapportait l’incident de 1213 à Saint-Paul, a publié pour la première fois le sermon historique de l’archevêque à son retour en Angleterre17 ; et Beryl Smalley est l’auteur d’un merveilleux petit article sur les exempla dans les commentaires bibliques de Langton18. D’autres chercheurs se sont intéressés ensuite à tel ou tel aspect de cette prédication, comme l’usage de vers français en lieu et place d’un thema biblique19. Plus près de nous, Petrus Tax a mené une enquête très utile, qui lui a permis d’écarter l’hypothèse que Langton aurait composé la séquence sur l’Esprit saint Veni, sancte Spiritus, puisqu’elle peut être datée d’avant 1160, tandis que le sermon de Pentecôte dans lequel Langton utilise cette séquence est, lui, certainement authentique20. Aujourd’hui enfin, l’unanimité des spécialistes des xiie et xiiie siècles s’est faite sur la cohérence d’une œuvre où lecture de la Bible, constructions de théologie morale et prédication sont des facettes indissociables de l’activité intellectuelle et pastorale tout à la fois. De ce point de vue, Étienne Langton est un témoin privilégié de l’école « biblico-morale » sur laquelle Martin Grabmann et Beryl Smalley21 ont les premiers suscité et encouragé des recherches qui se sont largement déployées après eux, même si beaucoup reste encore à faire22.
11Pour autant, nous demeurons aujourd’hui au seuil d’une confrontation sérieuse des genres représentés dans l’œuvre écrite de Langton, mais dont les traces manuscrites ne sont pas toutes de son fait, en raison de la place qui y revient à la transmission par reportation. Toute entreprise de cette sorte commence avec le tri des témoins et la qualification de chaque pièce contenue dans chacun des manuscrits. Il faut y consacrer beaucoup de temps et d’énergie, et nécessairement opérer de manière concrète, par la manipulation physique des recueils manuscrits, ce que les règles de consultation dans certaines bibliothèques tendent parfois à entraver très sérieusement, pour ne rien dire du problème aussi posé par la dispersion géographique des fonds manuscrits dans de nombreuses villes d’Europe… En ce qui concerne les sermons, pareil travail, mené d’abord de façon solitaire par Phyllis Roberts sur des dizaines de recueils, et livré à la communauté scientifique en 1968 dans un ouvrage dans lequel, selon ses propres termes, elle s’est donné l’objectif de constituer « un corpus de matériaux permettant d’accéder avec une assurance raisonnable à la pensée de Langton23 », n’a jamais été sérieusement poursuivi par d’autres après elle.
12Les pistes qui méritent d’être suivies désormais me semblent s’organiser en deux voies principales. L’une porte sur le rapport entre l’oral et l’écrit, question élémentaire et fondamentale dès que l’on s’intéresse à la prédication et aux traces qui en subsistent sous la forme de « sermons ». L’autre conduit à tenter d’évaluer le rôle qui revient à Langton dans les renouvellements de forme et de contenu des sermons, renouvellements caractéristiques de la période où il exerça son activité de maître de la sacra pagina en France, avant de déployer une activité un peu différente comme prélat pasteur en Angleterre.
L’oral et l’écrit
13Plusieurs témoignages permettent de dire que Langton a prêché toute sa vie, à partir du moment où il s’est trouvé suffisamment avancé dans la carrière scolaire – soit dans les années 1180 – jusqu’aux dernières années de sa prélature en Angleterre24. De cette activité certainement dense et continue, donc, les témoins manuscrits, sous bénéfice d’inventaire, documentent pour l’essentiel la période française25. Ce n’est d’ailleurs pas très étonnant si l’on considère la vitalité des écoles parisiennes en matière d’enseignement théologique, mais aussi, en leur sein, l’usage déjà bien établi de prendre des notes.
14En Angleterre, la prise de notes semble à ce moment beaucoup moins répandue qu’à Paris, à l’exception peut-être d’un lieu privilégié comme Lincoln à cause de l’activité de son école, où enseigna Guillaume de Montibus, chancelier de la cathédrale à partir de 119126. Il est vrai que le texte du sermon de 1213 donné à Londres est une reportation qui a pu être faite par un clerc anglais. Le seul manuscrit à ce jour connu qui le contienne (Troyes, BM 862) provient de Clairvaux, mais on ne sait ni quand ni comment le recueil, où se trouvent encore deux autres sermons authentiques de Langton, est entré dans la bibliothèque de ce monastère, ni dans quelles conditions il a été produit27. Un manuscrit de la Bibliothèque nationale de France, dont l’écriture et la décoration sont anglaises, pourrait bien aussi garder la trace d’une prédication faite pendant la période où Langton est déjà archevêque de Canterbury, qu’il ait résidé à ce moment-là en Angleterre (1213-1228) ou qu’il soit en situation d’exilé (1206-1213)28. Plus qu’un sermon cependant, ce texte, attesté dans ce seul manuscrit, est un traité, version écrite probablement amplifiée d’une prise de parole portant sur l’Assomption de la Vierge : on peut le rapprocher d’autres « traités » du même genre, comme celui que Phyllis Roberts a édité, d’ailleurs donné sous cet intitulé, Tractatus, dans le seul manuscrit (Bibl. vat., Vat. lat. 1220) qui en ait assuré la préservation29. Ce choix des titres n’est pas anodin : il marque le changement de genre et, partant, la liberté prise avec le mouvement de la parole, selon un processus déjà bien attesté chez les Pères30. Dans le même ordre d’idées, la lecture inaugurale de Langton sur la Bible est appelée Epistula dans un des manuscrits qui la transmettent, celui de Leipzig, U.B. 443. Quant aux sermons synodaux, nombreux dans les manuscrits, il ne semble pas possible de les situer dans la période anglaise d’Étienne Langton, compte tenu des caractéristiques d’ensemble des recueils qui les contiennent31 – ce qui n’exclut pas que Langton lui-même a pu s’en servir à nouveau, une fois engagé dans son activité d’archevêque de Canterbury. La trace écrite d’autres prises de parole enfin, suscitées par des événements précis et dont l’existence est connue par les chroniqueurs, n’a pas encore été identifiée, et ne le sera sans doute jamais : c’est le cas, par exemple, de la prédication de Langton le jour du couronnement du roi Henri III à Westminster, le 17 mai 1220, et de celle qu’il fit lors de la dédicace de la chapelle Notre-Dame dans la cathédrale de Salisbury le 29 septembre 122532.
15Contrairement à d’autres maîtres, comme Raoul Ardent, ou à d’autres évêques, comme Maurice de Sully, Jacques de Vitry ou plus tard Federico Visconti, Langton n’a jamais constitué de collection de ses sermons, et il est très difficile de discerner dans les manuscrits auxquels nous avons encore accès aujourd’hui la trace éventuelle de compilations intermédiaires, qui se situeraient entre les prises de notes initiales des auditeurs et le projet d’une « publication » personnelle. Cette question des conditions de la production d’un recueil mérite d’être posée en particulier pour le manuscrit d’Arras (BM 1065), qui est entièrement anonyme, mais dont la plupart des sermons peuvent être attribués à Langton33 et qui est le seul à contenir l’un des rares sermons identifiables de l’épiscopat, donné à Rome en 122034. La présence d’une citation des Bucoliques de Virgile dans le sermon sur saint Nicolas, alors que dans la version de la même prédication donnée par la reportation du manuscrit Paris, BnF, lat. 14859 elle est omise35, inclinerait à voir dans le témoignage d’Arras la trace d’une transmission plus posée, peut-être aussi plus exhaustive, du propos oral de Langton. Mais la comparaison des textes ligne à ligne met en évidence, dans la version d’Arras, bien des obscurités de rédaction qui entravent la compréhension, pour un lecteur d’aujourd’hui, de ce qu’a pu dire le prédicateur. L’hypothèse que ce manuscrit pourrait avoir eu le statut de collection préparatoire à la publication s’en trouve d’autant plus fragilisée.
16Il convient d’observer que la tradition manuscrite des séries les plus consistantes est localisée, pour l’essentiel, entre Paris et le Nord (Arras, Bruges, Bruxelles…). L’espace correspond à celui où Langton a mené des campagnes actives de prédication contre les usuriers au début du xiiie siècle36, ce qui a pu rester dans les mémoires, tandis que les manuscrits de sermons contribuaient pour leur part à entretenir le souvenir de sa compétence oratoire. Cette zone est en même temps le principal bassin de recrutement des écoles de Paris, dont maîtres et élèves ont pu, après avoir entendu Langton ou en se fiant à sa réputation, souhaiter conserver la trace de ses sermons. Deux catégories de possesseurs émergent : d’une part, celle des Victorins, très actifs dans le milieu des écoles parisiennes en ce temps, et sur laquelle il nous faudra bientôt revenir ; d’autre part, celle des cisterciens, auxquels Langton fut à l’évidence personnellement lié, comme l’attestent ses séjours à Pontigny, mais qui ont pu par ailleurs chercher à se procurer les textes et les recueils de sermons de Langton, parce qu’ils étaient mus par un intérêt nouveau pour ce qui était une production culturelle typiquement urbaine, différente de leur propre tradition oratoire illustrée par Bernard de Clairvaux, Guerric d’Igny et Isaac de l’Étoile notamment. La période d’activité parisienne de Langton et de diffusion écrite des traces de sa prédication correspond à celle où les cisterciens s’ouvrent vers les innovations de la culture urbaine et partagent, sans que l’on sache toujours en quel sens se sont faits les emprunts, le recours à certains procédés typiques de la nouvelle prédication, tels que la construction rigoureuse du sermon thématique ou le recours massif aux exempla37.
17La transmission sous la forme de reportations que met en évidence l’inventaire dressé par Phyllis Roberts ne facilite pas le travail sur les textes, dans la mesure où il faut, à chaque fois, contrôler minutieusement toute la tradition de chaque sermon, sans jamais pouvoir inférer de deux ou trois sondages que tel manuscrit doit être privilégié comme témoin plutôt que tel autre. Tout se passe au contraire comme si les compilateurs avaient pris leur bien là où ils le trouvaient, devenant tributaires du labeur anonyme de reportateurs dont les textes circulaient d’abord de manière isolée ou en petites séries avant de trouver place dans des recueils plus volumineux mais fort désordonnés et fondés sur des témoins disparates. Disons-le d’emblée, il est impossible de construire quelque stemma que ce soit, ni entre manuscrits, ni même pour un texte donné de sermon. On peut seulement constituer des sous-ensembles pour chaque texte en distinguant, comme l’avait déjà fait Phyllis Roberts, autant de traditions qu’il y a de « reportations » – chaque reportation, qu’elle soit ou non parvenue jusqu’à nous, pouvant produire un rameau de diffusion plus ou moins complexe selon le nombre de témoins manuscrits qui en dépendent. L’intervention la plus lourde au moment de la confection des manuscrits a consisté à imposer un ordre liturgique strict, réduit à une année, comme on le voit dans le manuscrit de Leipzig, UB 44338, au risque de ne plus respecter la réalité du calendrier historique des prises de parole qui, elles, peuvent correspondre à plusieurs années successives.
18Dans la masse des recueils aujourd’hui repérés, il n’était pas possible d’engager en peu de temps, à nouveaux frais, un travail d’actualisation des données équivalent à celui qu’a naguère conduit Phyllis Roberts. J’ai préféré me contenter de mettre en œuvre une méthode un peu différente de la sienne pour tenter de comprendre comment tous ces manuscrits avaient pu être ainsi confectionnés de pièces et de morceaux. Et mon choix s’est arrêté, pour ce faire, sur le manuscrit venant de Saint-Victor et aujourd’hui conservé à la Bibliothèque nationale sous la cote BnF, lat. 1485939, en me fondant sur un triple constat :
il comporte un nombre non négligeable de trente-cinq sermons attribués nommément à Langton par des rubriques distinctes, et non par une seule note manuscrite en tête du recueil comme c’est le cas pour les manuscrits Bibliothèque Mazarine 999, Sainte-Geneviève 1422, et Troyes, BM 1367 – ce qui lève d’emblée le doute sur l’authenticité de chaque texte ;
ces sermons de Langton, dont beaucoup lui sont en même temps attribués nommément par un ou plusieurs autres manuscrits, s’inscrivent dans des séquences liturgiques partielles, encore visibles à l’état de vestige dans le recueil40 ;
la transmission simultanée de ces textes par plusieurs manuscrits permet de travailler de manière artisanale sans doute, mais en définitive, je l’espère, efficace, sur la question récurrente de la fiabilité des reportations, en confrontant les divers témoignages.
19L’existence même de ce genre de collection doit être éclairée par le contexte de l’activité des Victorins à la même époque : comme l’a montré Jean Châtillon41, ils réunissent alors de la même manière les sermons des chanoines de leur communauté, et ils se préoccupent de plus en plus de produire des recueils à la tonalité pastorale forte, en même temps qu’ils prennent en charge l’encadrement religieux, par la prédication et par la confession, du milieu des étudiants des écoles parisiennes. Plusieurs autres manuscrits contenant ainsi des séries de sermons de Langton participent de cette préoccupation pastorale, ce que les travaux de Gilbert Ouy sur les manuscrits victorins permettent aujourd’hui de vérifier aisément grâce à ses descriptions précises, faites à partir des inventaires des bibliothécaires de Saint-Victor et contrôlées par l’examen de chacun des manuscrits correspondants42. Dans le manuscrit Paris, BnF, lat. 14859, en tête de la série des sermons, au fol. 178, une table contemporaine de la copie sert à trouver rapidement l’essentiel de l’information à propos de l’identité de chaque pièce : nom du prédicateur, occasion liturgique, thema, quelquefois auditoire ; dans un seul cas, on constate une divergence, à propos de l’auditoire, entre la mention de la table et celle de la rubrique : pour le sermon Sint lumbi vestri precincti (fol. 267ra), là où la rubrique donne ad populum, la table donne ad clerum. Dans deux autres manuscrits de Saint-Victor (Paris, BnF, lat. 14470 et lat. 14593), le projet de constituer une collection de textes utiles à l’activité pastorale, parmi lesquels figurent des sermons, est clairement explicité dans l’introduction en forme de prologue qui précède la table43. C’est sans doute au service du même dessein que les sermons d’Étienne Langton ont été à plusieurs reprises associés, dans ces recueils manuscrits, à la collection des sermons modèles de Maurice de Sully44.
Renouvellement des formes et des contenus
20Nous pouvons d’emblée laisser de côté la question des sermons ad status, qui n’est guère éclairée par la production d’Étienne Langton : il y a bien, dans un manuscrit contenant sa Somme morale sur les vices et les vertus45, une série anonyme ad status, mais il s’agit d’un emprunt pur et simple à l’Ars praedicandi d’Alain de Lille. Au demeurant, même la différenciation sommaire entre sermons aux clercs et sermons au peuple ne s’avère pas, le plus souvent, opératoire, quand on examine de près les sermons. Phyllis Roberts a proposé une classification selon ces deux types d’auditoire, qui est seulement indicative et qui doit être, de ce fait, considérée avec beaucoup de précaution. À mon sens, dans beaucoup de cas il est difficile de trancher à coup sûr. Certes, l’on peut aisément repérer les sermons aux clercs des synodes, généralement désignés comme tels, ou suffisamment explicites dans leur message pour faciliter leur identification. Le manuscrit de Saint-Pétersbourg permet aussi de déduire de certaines rubriques que les sermons correspondants ont été adressés par Langton à des moniales46. Mais, en dehors de ces cas particuliers clairement documentés, il n’y a pas de moyen assuré de différencier les auditoires de manière indiscutable. Le copiste qui a fait la table du manuscrit BnF, lat. 14859 s’y est lui-même sans doute laissé prendre, appliquant spontanément le verset Sint lumbi vestri precincti à un auditoire de clercs alors que le sermon copié au fol. 267ra est bien, comme l’annonce la correction introduite dans la rubrique, fait au peuple (ad populum), aux « rudes », interpellés par le prédicateur en ces termes au début de son sermon. Il y a sans doute des nuances entre les prises de parole devant les deux catégories d’auditoire. En certains cas, l’ampleur du propos paraît mieux convenir à un auditoire de clercs, alors qu’une simplicité voulue du ton, renforcée par un usage massif des comparaisons empruntées à l’expérience du quotidien, suggère un auditoire de « simples gens », mais fondamentalement la technique oratoire est la même dans tous les cas. L’uniformité du propos est renforcée par l’habitude de rédiger tous les textes en latin, quelle qu’ait été la langue de l’orateur47. Enfin, les messages adressés aux diverses catégories de la société ecclésiale circulent d’un sermon à l’autre, quel que soit le public effectivement présent.
21D’autres traits me sont apparus, à l’examen des textes retenus, plus importants et significatifs.
22Tout d’abord, les sermons de Langton conservés dans ce manuscrit victorin sont habituellement pourvus de prothèmes, ces pièces liminaires et facultatives dont Thomas de Chobham, autre témoin de l’école biblico-morale parisienne, s’est fait, à ma connaissance, le premier théoricien au début du xiiie siècle, dans sa Summa predicandi48. En parcourant la liste des sermons authentiques dressée par Phyllis Roberts, il apparaît aussitôt qu’Étienne Langton est coutumier de cette manière d’introduire ses auditeurs à l’écoute de sa prédication. C’est chez lui une règle presque constante, même si le recours à une autre citation de l’Écriture servant de fondement au développement des prothèmes les plus amples n’y est pas systématique. Le témoignage du manuscrit Paris, BnF, lat. 14859, qui réunit des sermons contemporains faits par divers maîtres, permet en outre d’observer que ce n’est pas un usage commun de tous les prédicateurs documentés par ce recueil : il n’y a rien de tel chez Prévôtin de Crémone ni chez Alain de Lille, alors que Jean d’Abbeville, comme Étienne, en est aussi un fervent partisan. La pratique nouvelle du prothème par ces deux maîtres a pu être soutenue par leur fréquentation assidue de l’Écriture, prolongée par une exégèse dont ils sont experts l’un et l’autre49. Cependant, le modèle victorin peut avoir été aussi stimulant – et par contrecoup avoir encouragé dans ce manuscrit la conservation de ces pièces oratoires, souvent négligées dans les collections de sermons contemporaines et ultérieures. Dans les recueils auparavant constitués par les Victorins au cours du xiie siècle pour garder la trace de la prédication des chanoines membres de leur communauté parisienne, le prothème commence à surgir comme une pratique encore hésitante, qui oscille entre les formes traditionnelles de la protestation d’humilité chère à la rhétorique antique, ou de l’invitation au recueillement attendue dans toute pratique liturgique, et le choix plus neuf, promis à un bel avenir au xiiie siècle, d’expliquer ce qu’est la prédication et ce qui est attendu du prédicateur et de ses auditeurs50.
23L’engagement d’Étienne Langton dans la pratique du commentaire biblique n’est plus à démontrer. Mais la riche série des prothèmes conservés grâce à ses reportateurs offre une matière importante à qui voudrait mener l’enquête sur sa conception de la transmission de la parole de Dieu dans la prédication. Qu’il s’agisse de l’éloge de l’Écriture, conçue comme une parole vivante, ou des conseils donnés, soit aux prédicateurs d’avoir une conduite au-dessus de tout soupçon s’ils veulent être efficaces, soit aux auditeurs de se montrer soumis et attentifs afin de la retenir comme ils le doivent, la thématique du prothème telle qu’elle se régularisera au xiiie siècle est déjà intégralement présente ici. Les maladresses des auditeurs incapables de retenir l’intégralité du propos de l’orateur ou de restituer dans toutes ses nuances le mouvement de la pensée du prédicateur introduisent souvent des obscurités, que la confrontation des témoignages peut aider à percer. Ainsi, trois versions concurrentes du même prothème, notées à l’audition, permettent de saisir la structure et le mouvement d’ensemble de la pensée qui, en ce cas, part d’une citation des Proverbes mettant en scène la rencontre du prêteur et de l’emprunteur, que la lumière divine illumine (Pr 29, 13)51. Selon Langton, le prédicateur, qui puise dans le trésor de la parole de Dieu, agit en effet vis-à-vis de l’auditeur comme un prêteur pauvre qui se sert de l’argent de son seigneur pour faire crédit à autrui. Il a cependant besoin des prières de ceux qui l’écoutent pour exercer efficacement son ministère, mais les auditeurs doivent aussi reconnaître leur indigence, eux qui ont besoin de Dieu au point de quémander auprès de lui leur « pain quotidien ». Dieu, à son tour, choisit d’être le débiteur de ceux qui, ayant reçu sa parole, accomplissent en œuvres ce qu’elle enseigne. La subtilité du propos ressort des éclairages complémentaires donnés par chacun des trois auditeurs ; un seul, cependant, a retenu le motif, inspiré des Enarrationes in Psalmos d’Augustin, d’un Dieu débiteur de ceux qui vivent selon ses préceptes.
24Ces textes, construits à partir d’un abondant florilège de citations de l’Écriture, mériteraient d’être examinés avec soin : le recours fréquent du prédicateur à un langage métaphorique, qu’il traite de l’Écriture comme parole nourrissante ou de l’acte de prêcher, en fait un des lieux privilégiés de la circulation entre commentaire biblique et prédication.
25Un autre élément frappant, et sans doute révélateur de l’effort de communication partagé par Langton et les autres prédicateurs de son temps, réside dans l’actualité de son propos. Cette sensibilité au temps présent ne se manifeste pas à propos d’événements contemporains vécus et commentés52. En ce tournant des xiie et xiiie siècles qui précède de peu la grande normalisation opérée à la faveur du quatrième concile du Latran, l’actualité des prédicateurs est celle du salut, impliquant la vigilance au regard des doctrines erronées, et surtout l’exhortation à la « conversion » que constitue l’adoption d’une vie plus authentiquement chrétienne. Les critères en sont d’abord la fréquentation assidue de la confession, à laquelle s’ajoute le lien fort entre confession et communion, spécialement durant le temps liturgique du carême. De telles insistances ne surprennent pas à Paris, dans la mesure où la règle minimale de confession et de communion pascales a été imposée pour toute l’Église en 1215 par le canon Omnis utriusque sexus, au terme d’une maturation théologique principalement parisienne. À cela s’ajoute un enseignement sur l’aumône important par sa fréquence, allant de pair avec des propos contrastés et complémentaires sur la miséricorde de Dieu et sur les comportements inadmissibles des avaricieux, cupides et autres usuriers. En étroite consonance avec les choix de Pierre le Chantre, Langton s’attaque à ce qui est à ses yeux le principal vice, l’avarice, beaucoup plus vivement stigmatisée que ne l’est la luxure. Ce n’est sans doute pas un hasard si, en contrepoint, l’usage figuré du vocabulaire de l’argent émerge dans certains prothèmes, comme pour aider à mieux saisir les ordres de réalité : car l’usure est mauvaise sans doute, si elle lèse le prochain, tout en étant bonne si elle est exercée par Dieu ou envers Dieu, conformément à sa parole, dans un contexte où la grâce régule autrement les rapports entre les hommes, ou entre les hommes et Dieu53.
26Plus banal dans la longue durée, le motif du nécessaire combat sur terre est récapitulé dans le fameux verset de Job (7, 1) alors cité sous la forme Militia est vita hominis super terram. Nombreux sont les prédicateurs qui en ont fait le thème de leurs sermons, parmi lesquels Alain de Lille dans un sermon ad claustrales préservé par le manuscrit Paris, BnF, lat. 14859, aux f. 235ra-236ra54. Plus généralement, les prises de parole suscitées par la vague pastorale caractéristique de la fin du xiie siècle attestent, par leur contenu, que la métaphore du combat appliquée à la vie chrétienne s’est désormais imposée, non seulement à l’adresse des communautés monastiques où elle s’inscrit dans une tradition spirituelle séculaire, mais aussi devant tout type d’auditoires. Si le motif n’est pas original, c’est la manière de le développer, et encore une fois les figures choisies pour lui donner du relief et en faciliter la mémorisation qui, à mon sens, méritent attention. Il y a en particulier, dans certains sermons d’Étienne Langton, une propension à utiliser le vocabulaire de la guerre de siège, qui n’est sans doute pas fortuite, ni insignifiante. Alors que la métaphore du château de l’âme55 est déjà bien affirmée, dans la littérature cistercienne par exemple, celle de la guerre de siège émerge davantage en cette fin du xiie siècle avant de s’imposer dans la prédication du xiiie siècle. Parfois, la préservation d’un mot en langue vulgaire contribue à signaler l’attachement du prédicateur à la précision de la métaphore, comme s’il voulait la rendre plus actuelle, là encore, en présence de son auditoire. Ainsi, dans le sermon Cum venerit Paraclitus où la métaphore de la guerre de siège est filée longuement, le texte de reportation fait état d’un bellicum machinamentum quod gallice dicitur ‘perreire’ (fol. 260va). Engin destiné à ébranler les murailles par la projection de pierres, la perrière bénéficie dans les années 1180-1220 de progrès techniques permettant de substituer à la traction humaine le mécanisme de contrepoids fixes ou mobiles qui accroissent singulièrement son efficacité56. L’insistance sur la guerre de siège et ses machines doit-elle être rapprochée de l’épisode de la conquête de la Normandie opérée par Philippe-Auguste dans les années 1203-1204 ? Ce n’est pas impossible, tant celle-ci fut spectaculaire et, sans doute, suivie de Paris avec attention par Étienne ; les sièges de châteaux, en outre, en ont constitué la trame, car il fallait au roi, avant de s’emparer du plus puissant d’entre eux, Château-Gaillard, démanteler tout le système des autres forteresses qui le protégeaient57. En revanche, la présence de ce mot en français dans les notes du reportateur ne signifie pas nécessairement que le prédicateur ce jour-là parlait en français ou que son auditoire était constitué de simples gens : il peut aussi bien s’agir ici d’un exemple de transposition de la technique de la glose, à son niveau élémentaire de l’explication du sens des mots, où affleure le souci de respecter la précision des dénominations, quand elles ont été inventées et qu’elles sont véhiculées par une langue donnée.
27Le succès rencontré par la forme moderne du sermon thématique au xiiie siècle ne doit pas dissimuler le fait qu’à l’époque de Langton, elle est en train de se mettre en place. Le recours très régulier à cette forme, qui implique d’abandonner du même coup les procédés patristiques et monastiques du commentaire de péricopes entières, signale une modernité de l’orateur, évidente chez Langton. En même temps, ce choix de construire les sermons sur un seul verset, emprunté ou non à la liturgie du jour, mais en principe extrait de l’Écriture, implique, dans le développement, d’exploiter fortement les ressources d’un savoir nourri par l’exégèse, plus spécialement par le recours régulier à la technique de la distinction. Cependant, il est extrêmement difficile de mettre en évidence des liens patents entre les contenus des deux genres de l’exégèse et de la prédication, y compris par le relais de distinctions constituées en manuel, et malgré l’initiative prise par Langton de préparer des outils de ce type, comme l’atteste sa production littéraire58. Un constat analogue d’ailleurs, a été fait dans les études récentes sur Hugues de Saint-Cher, à la fois par Bernard Hodel à partir de la prédication effective du frère enregistrée par des reportations59, et par Janos Bartkó, qui a tenté en vain de confronter les plans de sermons modèles composés par Hugues et connus, précisément, sous le nom de « Distinctions », qu’il a composés, avec les Postilles dont le même Hugues a été, sinon l’auteur, du moins le maître d’œuvre, animant l’entreprise collective des dominicains de Paris au premier tiers du xiiie siècle60.
28Il devient intéressant, en contrepoint de ce constat qui conclut à la dominante du sermon de forme « moderne », de s’arrêter un instant sur l’exception, susceptible de livrer quelque chose de plus personnel de la part de l’orateur. Et c’est encore en parcourant le recueil du manuscrit Paris, BnF, lat. 14859 qu’on la trouve, sous la forme du sermon in Passione – c’est-à-dire, d’après l’ordre de copie de la série de sermons où il se trouve, pour le dimanche de la Passion qui précède celui des Rameaux – sur le thème : Simon dormis (Marc 14, 37)61. Le texte de ce sermon n’est d’ailleurs pas transmis par ce seul manuscrit. Il apparaît sous une forme identique dans le manuscrit de Troyes, BM 1367, tandis que d’autres manuscrits présentent des variantes et surtout un raccourcissement assez important du texte, probablement dû à une lacune dans un rameau de la transmission62. Ici, Étienne Langton ne recourt pas comme il le fait ailleurs le plus souvent aux procédés exégétiques de l’analyse textuelle serrée pour pénétrer les multiples sens de l’Écriture. Délibérément, il s’en tient à une forme très classique de l’expression rhétorique, suggérée en quelque sorte par le thème en forme de phrase interrogative pressante à l’égard du destinataire : Simon, dormis ? « Simon, dors-tu ? ». La question, en réalité, s’adresse à chacun des auditeurs. C’est le Christ qui parle dans l’évangile, et c’est lui que Langton va faire parler, en un crescendo de variations développées à partir de la répétition de cette question d’un bout à l’autre de son sermon, avec un art maîtrisé du discours direct, du dialogue et de la dramatisation qui convient à la circonstance liturgique de la commémoration des souffrances et de la mise à mort de Jésus63. Le procédé lui permet d’interpeller toutes les catégories de la société ecclésiale – laïcs, clercs, et moines –, les unes après les autres, autour du motif précis de l’usage des richesses, qui est le sujet sur lequel porte toute la fin du sermon.
29Des trois catégories, celle des clercs est, comme dans d’autres sermons, la cible des plus violents reproches64, tandis que les laïcs sont davantage excusés et les moines davantage épargnés. Et surgit alors un terme qui fera fortune au xiiie siècle et dont se sert Langton pour désigner les biens confiés à l’Église pour le service des pauvres : ces biens, le Christ les considère comme son « patrimoine ». Une telle idée ne lui est pas personnelle. Deux expressions synonymes, patrimonium Christi et patrimonium Crucifixi, sont attestées dans de nombreux textes du xiie siècle, les uns relevant de la tradition cistercienne65, les autres reflétant le propos réformateur de certains séculiers, tels Pierre de Blois66 ou les représentants de l’école biblico-morale, et parmi eux, avec une insistance remarquable, Pierre le Chantre en son Verbum adbreviatum67. Dans tous les cas, ces formules sont mises au service de la même démonstration : les clercs qui lèsent les pauvres en s’appropriant par convoitise ou en dilapidant par népotisme des ressources qui devraient servir à leur entretien touchent au bien patrimonial de Dieu fait homme, à ce bien qu’il a chèrement acquis en versant son sang pour le salut de toute l’humanité. D’aucuns, pour appuyer leurs dires, invoquent l’autorité de saint Jérôme68, mais il est douteux que celui-ci soit le père de la formule, jamais attestée en propres termes dans ses écrits authentiques. Tout au plus peut-on observer que ses propos rejoignent sur le fond la préoccupation de défense des droits des pauvres69, qui se trouve argumentée aux xiie et xiiie siècles en recourant à la métaphore du patrimoine du Christ, et surtout du Christ crucifié. L’image est forte, en un temps où l’essor du droit écrit fournit aux hommes des outils de plus en plus performants pour défendre, entre autres choses, la propriété personnelle. L’insistance sur le « Crucifié » n’est pas sans rappeler les considérations qui ont aussi commencé à avoir cours au xiie siècle à propos de la Terre sainte, désignée comme l’héritage du Christ grâce au sang qu’il y a versé lors de la crucifixion, et singulièrement à propos de Jérusalem, lieu de la Passion, dont la perte en 1187 a été si cruellement ressentie par l’Église d’Occident que toute une liturgie a été mise en place à partir de cette date pour entretenir le souvenir du bien perdu par les chrétiens, et du même coup par le Christ lui-même, et pour appuyer les entreprises de reconquête70. Ainsi, de manière inopinée, la croisade surgit en creux ici, non pas comme une entreprise soutenue ou promue par Langton dans une prédication « de croisade71 », mais comme l’expression concrète d’une spiritualité qui allie contemplation et action en prenant sa source dans la méditation sur la Passion, elle aussi portée par toute la tradition cistercienne. La vie spirituelle qui y est préconisée s’épanouit dans le juste équilibre entre l’affectus et l’intellectus. Tout chrétien est appelé à vivre une réelle conversion du cœur et à la manifester, entre autres, en se tournant vers Dieu pour engager avec lui le dialogue de la prière, forme la plus vraie du retour à Dieu sans laquelle il est vain d’espérer le don gracieux de la victoire. Mais tout chrétien doit accomplir le devoir rationnel qui lui incombe et qui consiste à sauvegarder le « bien patrimonial » de Dieu sur terre, l’arrachant aux infidèles en Orient, le consacrant aux pauvres dans les terres chrétiennes d’Occident. On comprend mieux, sous cet éclairage, les quelques lignes que Langton a consacrées à la prise de croix au beau milieu d’un florilège théologique : la croix, dit-il ici, est la marque par excellence du Seigneur, qui sert à sceller les âmes emplies de grâce et qui autorise à reconnaître dans ceux qui la cousent sur leur vêtement autant de demeures agréables à Dieu72.
30Ce parcours rapide et encore très provisoire de la prédication de Langton, à l’aide de sondages dans quelques-uns des très nombreux sermons authentiques qu’il faudrait étudier de près, suffit du moins à vérifier que l’activité du prédicateur se nourrit sans cesse de l’expérience du lector biblicus, ce qui ne signifie pas une identité de contenu, tant les deux activités sont aussi distinctes dans leur objectif. Il manifeste aussi l’unité de préoccupation qui parcourt toutes les œuvres scolaires à teneur pastorale produites par le doctor nominatissimus, et les traces de la prédication d’Étienne « à la langue tonnante »… À cela s’ajoute le constat de la richesse du dossier au plan des témoignages d’une parole vive. L’examen de la tradition des sermons d’Étienne Langton met en évidence l’apport exceptionnel, en ce domaine, de la ruche des écoles parisiennes, où les clercs étaient désormais légion depuis à peine une ou deux générations : leur activité fébrile a été, sinon le seul, du moins le principal canal de transmission de la parole d’Étienne Langton prédicateur.
31C’est là le premier indice de l’audience de celle-ci, le plus souvent documentée par deux ou trois reportations différentes d’un même sermon. S’y ajoute le fait que chacun d’entre eux est ensuite plusieurs fois repris, recopié, inséré dans une ou plusieurs collections, qui deviendront d’autant plus aisément consultables qu’elles finissent par être classées dans l’ordre strict du temps liturgique. Pourtant, l’influence de Langton, contrairement à ce que cette intense activité d’enregistrement et de transmission pourrait laisser supposer, fut très vite dépassée par la vague de fond des instruments de travail dus aux disciples de saint Dominique et bientôt, avec eux, aux frères de saint François d’Assise. Sans doute faut-il en conclure qu’Étienne Langton, comme Pierre le Chantre, fut, pour reprendre la belle expression de Beryl Smalley à propos de ce dernier, « le Jean-Baptiste des frères mendiants »73. Il le fut dans le domaine des méthodes de prédication, et aussi par un sens aigu des questions qui faisaient – et qui font encore aujourd’hui, mutatis mutandis – l’actualité du salut dans un discours chrétien. En définitive, là encore réside l’intérêt du sermon de Langton pour le dimanche de la Passion sur le thème Simon dormis, où trouve place la question forte, et parlante aux temps de croissance économique que furent le xiie et le xiiie siècle pour l’Europe occidentale, du bon et du mauvais usage des richesses, une question à laquelle la réponse des frères mendiants sera, on le sait, radicale et nuancée à la fois74, davantage nourrie en tout cas par leur propre rapport aux réalités économiques que par la préoccupation du « patrimoine du Christ ».
Annexe
Annexe 1. Les sermons d’Étienne Langton reportés dans le manuscrit Paris, BnF, lat. 14859
Sur les 75 sermons de la série (dont un non-numéroté au f. 233r), 35 sont attribués à Étienne Langton, parmi lesquels le sermon 39 doit cependant être restitué à Alain de Lille (voir Phyllis Roberts, Stephanus de Lingua-Tonante, p. 214). À la fin de la série, les cinq derniers sermons sont deux anonymes, puis trois textes attribués à Pierre de Chartres, et enfin un sermon de Prévôtin de Crémone.
Schneyer (RLS) | Phyllis Roberts* | n° du sermon dans le ms. | folio dans le ms. | Thème | Circonstance et/ou | Autres témoins manuscrits |
205ra | = Pierre le Chantre | |||||
273-274 | 074b | 04 | 209va | Preparare in occursum | in adventu | Leipzig 443 // Troyes 1100 |
= Prévôtin de Crémone (2) | ||||||
351-354 | 097a | 08 | 215vb | Simile est regnum celorum | In LXX | Leipzig 443 (097c) |
095 | C12 | 09 | 216vb | Ecce Dominus vocat nos | In XL (= LX) | |
332 | 090 | 10 | 217va | Semen quod cecidit | In XL (= L) | Leipzig 443 |
099 | 027 | 11 | 218vb | Ecce nunc tempus | In XL (= d.1) | Leipzig 443 |
313 | 086 | 12 | 219vb | Reminiscere | In XL (= d.2) | Leipzig 443 |
238 | cl 3 | 13 | 221ra | Oculi mei semper ad Dominum | In XL (= d.3) | Leipzig 443 |
191 | 047 | 14 | 222ra | Letatus sum | In XL (= d.4) | Leipzig 443 |
212 | 054a | 15 | 222vb | Non vos me elegistis | De apostolis | Leipzig 443 // Troyes 1367 |
188 | Cl 3 | 16 | 224ra | Iustus cor suum | Mart. vel conf. | Arras 222 |
= Anon. (1) | ||||||
360 | 099a | 18 | 227vb | Simon dormis | In Passione Dni | Troyes 1367 // Paris, Mazarine 999 // |
230ra | = Pierre de Chartres (1) | |||||
264 | 070a | 20 | 231ra | Plurima turba | In Ramis palmarum | Bruxelles, BR II-953 // Bruges 28 |
= Anon (3) | ||||||
279 | Cl 3 | 30 | 241rb | Puer natus est | In Nativ. Salvatoris | |
= Anon (2) | ||||||
345 | Cl 2 | 36 | 245ra | Si sciret paterfamilias | s. communis | |
= Jean d’Abbeville (2) | ||||||
39 | 248rb | Homo natus est de muliere | s. de miseria hominis | = sermon d’Alain de Lille | ||
055 | 016a | 40 | 249rb | Stephanus plenus gratia | De s. Stephano | Leipzig 443 // Arras 222 |
= Jean d’Abbeville (3) | ||||||
209 | 051a | 45 | 255rb | Noli timere filia Syon | In Ramis Palmarum | Paris, BnF, lat. 16463// Arras 222 |
285 | 077a | 46 | 257rb | Que est ista | De beata Virgine | Paris, BnF, lat. 16463// Arras 222 |
387 | Cl 2 | 47 | 258vb | Surrexit Dominus | In resurrectione | |
061 | 017a | 48 | 259vb | Cum venerit | In ascensione | Arras 222 // Paris, Mazarine 999 |
208 | Cl 2 | 49 | 261rb | Noli timere, ecce enim | In Nativitate Domini | |
= Jean d’Abbeville (3) | ||||||
098 | 026a | 53 | 266ra | Ecce nunc tempus | In XL | Troyes 1367 |
363 | 100a | 54 | 267ra | Sint lumbi vestri | ad clericos populum** | Troyes 1367 |
310 | Cl 2 | 55 | 268ra | Reddet Deus | De s. Stephano | Paris, BnF, lat. 12420 |
047 | Cl 2 | 56 | 269ra | Convertentur sedentes | De s. Nicolao | Arras 222 // Paris, BnF, lat. 14470 |
= Anon (1) | ||||||
409 | 110a | 58 | 271ra | Transite ad me | De b. Virgine | Troyes 1367 / Leipzig 443 / |
337 | 091 | 59 | 272ra | Si iniquitates | s. communis | Leipzig 443 |
= Anon (1) | ||||||
268 | Cl 2 | 62 | 274vb | Ponite corda | In exaltatione s. crucis | |
086 | 023b | 63 | 276ra | Dominus prope est | In adventu | Troyes 1367 // Paris, BnF, lat. 16463 |
258 | 069 | 64 | 276vb | Parate viam | In adventu D. sive in XL | Troyes 1367 // Paris, BnF, lat. 16463 |
193 | 049 | 65 | 278ra | Maria Magdalena et Maria Jacobi | In resurrectione Domini | Troyes 1367 // Paris, BnF, lat. 16463 |
267 | 071 | 66 | 279ra | Ponam desertum | In festo Magdalene | Troyes 1367 // Paris, BnF, lat. 16463 |
304 | 083a | 67 | 280ra | Qui speravit | s. communis | Troyes 1367 // Paris, BnF, lat. 16463 |
343 | 094a | 68 | 281rb | Si quis vult venire | In epiphania | Troyes 1367 // Paris, BnF, lat. 16463 |
369 | Cl 2 | 69 | 282rb | Solve iubente | In festo s. Petri | Paris, BnF, lat. 12420 |
Annexe 2. Le prothème du sermon d’Avent de Langton
Prepara te in occursum (Schneyer, RLS, 273). Trois reportations en synopsis
Notes de bas de page
1 Phyllis Barzillay Roberts, Stephanus de Lingua-Tonante. Studies in the Sermons of Stephen Langton, Toronto, 1968.
2 Voir en particulier : « Langton on Becket : a new Look and a new Text », Mediaeval Studies, 35 (1973), p. 38-48 ; Eadem, « Stephen Langton and Saint Catherine of Alexandria : a Paris master’s Sermon on the Patron Saint of Scholars », Manuscripta, 20 (1976), p. 96-104 ; Selected Sermons of Stephen Langton, éd. Phyllis Barzillay Roberts, Toronto, 1980 (Toronto Medieval Latin Texts) ; Eadem, « Master Stephen Langton preaches to the People and Clergy : Sermons Texts from twelfth Century », Traditio, 36, 1980, p. 237-268 ; Eadem, « Stephen Langton’s Sermo de virginibus », dans Women of the Medieval World, éd. Julius Kirshner et Susan Wemple, Oxford, 1985, p. 103-118 ; Eadem, « Archbishop Stephen Langton and his Preaching on Thomas Becket in 1220 », dans De ore Domini : Preacher and Word in the Middle Ages, éd. Thomas Leslie Amos, Eugene A. Green et Beverly Mayne Kienzle, Kalamazoo, 1989, p. 75-91 ; Eadem, « The Pope and the Preachers’ Perceptions of the religious Roles of the Papacy in the Preaching Tradition of the 13th and 14th Century English Church », dans The Religious Roles of the Papacy 1150-1300, éd. Christopher Ryan, Toronto, 1989, p. 277-297 ; Eadem, « Sermons, Preachers and the Law », dans De Sion exibit lex et verbum Domini de Hierusalem. Essays on Medieval Law, Liturgy and Literature in Honour of Amnon Linder, éd. Yitzhak Hen, Turnhout, 2001, p. 119-128 ; Eadem, « The Ars praedicandi in the Medieval Sermon », dans Preacher, Sermon and Audience in the Middle Ages, ed. Carolyn Muessig, Leyde-Boston-Cologne, 2002, p. 41-62 ; Eadem, « Sermons and Preaching in/and the Medieval University », dans Medieval Education, éd. Ronald B. Begley et Joseph W. Koterski, New York, 2005, p. 83-98.
3 La pratique de l’interprétation des noms bibliques et la quête de l’étymologie ne sont sans doute pas étrangères à cette inclination, qui deviendra banale au xive siècle, entre autres attestée chez Remigio de Girolami, Robert Holcot et Simone da Cascina.
4 Dans un contexte français, le nom de son lieu de naissance (Langton by Wragby, Lincolnshire : voir Frederick Maurice Powicke, Stephen Langton, Oxford, 1928, p. 6) se prête à un tel glissement ; il est d’ailleurs transcrit « Langueton » en français d’oïl.
5 « Archiepiscopus cito post adventum eius in Angliam, primum concilium […] convocavit, sed in primis apud Sanctum Paulum sermonem fecit ad populum, quo sic incepto : In Deo speravit cor meum et refloruit caro mea etc., surgens quidam verbis huiuscemodi alta voce respondit : ‘Per mortem Dei, inquit, mentiris, numquam cor tuum speravit in Deo nec refloruit caro tua’. Hoc audito tacuit archipraesul, obtupescentibus omnibus ; nec mora, irruente in eum populo, flagellatus est, custodiaeque traditus, ut in die sequenti qua temeritate huiuscemodi proferret sermonem innotesceret. Archipraesul vero prosecutus est sermonem […] » (Annales monastici, éd. Henry Richard Luard, t. II (Weverley), Londres, 1865 (Rolls Series), p. 277) ; cité par Georges Lacombe, « An unpublished Document on the Great Interdict (1207-1213) », The Catholic Historical Review, 15 (1930), p. 408-420, (ici p. 409-410, n. 6).
6 Sur tout ceci, voir Phyllis Roberts, Stephanus de Lingua-Tonante, ch. 2, aux p. 17-21.
7 Johannes-Baptist Schneyer, Repertorium der Lateinischen Sermones des Mittelalters für die Zeit von 1150-1350, t. V, Münster W., 1974, s. v. Stephanus Langton (Cantuarensis), p. 466-507 (désormais cité : RLS).
8 « Classification of the Sermons », p. 168
9 La subdivision distingue ici : (cl. 4) les textes anonymes sur des thèmes et/ou avec des incipit nouveaux, sans correspondance avec les textes attribués des classes 1 à 3 ; (cl. 5) les textes qui, comme dans la classe 3, sont proches mais différents des textes attribués, et qui ne sont en outre jamais désignés dans les manuscrits comme des sermons de Langton ; enfin (cl. 6) des textes que la tradition manuscrite a aussi attribués à d’autres auteurs.
10 Voir ci-dessus, n. 2.
11 Les Cisterciens (saint Bernard, Guerric d’Igny, Isaac de l’Étoile) et les Victorins – qui ont fait l’objet des travaux fondamentaux de Jean Châtillon –, ont davantage suscité l’intérêt, du fait de la richesse spirituelle plus intemporelle de leur prédication.
12 Jean Longère, Œuvres oratoires de maîtres parisiens au xiie siècle : étude historique et doctrinale, Paris, 1975, 2 vol.
13 Alexandra Barratt, « The Sermons of Stephen Langton. A new Manuscript », Recherches de Théologie ancienne et médiévale, 43 (1976), p. 111-120 : 49 sermons, dont 13 en copie unique (ms. Leningrad – auj. Saint-Pétersbourg, lat. O.v. i. N 52, xiiie-xive s.).
14 On se trouve alors à des lieues de la notion moderne d’auteur et, a fortiori, de celle de « droits d’auteur » impliquant de respecter à la lettre un texte stable, et de respecter sa paternité.
15 Ainsi, à l’intérieur des classes de sermons, une subdivision par a, b, c autorise le raffinement supplémentaire, et nécessaire, de la distinction de plusieurs témoignages portant sur le même sermon, mais dont chacun n’en a retenu que certains éléments.
16 Frederick Maurice Powicke, Stephen Langton, ouvr. cité, p. 170-176.
17 Georges Lacombe, « An unpublished Document », art. cité, p. 411-420, d’après l’unique manuscrit connu, Troyes, BM 862 ; ce texte a été réédité par Phyllis Roberts dans Selected Sermons, ouvr. cité, Sermon II, p. 35-51.
18 Beryl Smalley, « Exempla in the Commentaries of Stephen Langton », Bulletin of the John Rylands Library, 17 (1933), p. 121-129.
19 Il en existe deux exemples fameux, l’un consacré à Marie-Madeleine à partir de la combinaison de six vers empruntés à divers rondeaux et dont le premier est « Sur la rive de la mer », l’autre à la Vierge, prenant pour thème le rondeau de la belle Aelis : voir Michel Zink, La prédication en langue romane avant 1300, Paris, 1976, p. 39-42 ; Tony Hunt, « De la chanson au sermon. ‘Bele Aalis’ et ‘Sur la rive de la mer’ », Romania, 104 (1983), p. 433-456. Sur l’usage des vers dans les sermons : Siegfried Wenzel, Preachers, Poets and The Early English Lyric, Princeton, 1986.
20 Sermon Veni, sancte Spiritus (nos 428 à 431 ; Phyllis Roberts, n° 116 a,b,c,d). Voir Petrus Tax, « Zur Verfasserschaft und Entstehungszeit der Pfingstsequenz Veni, sancte Spiritus », Zeitschrift für Deutsches Altertum und Deutsches Literatur, 135 (2006), p. 13-20.
21 Martin Grabmann, Die Geschichte der scholastichen Methode, t. II, Freiburg im Breisgau, 1911 (repr. Graz, 1957), p. 467-501 (trad. ital. : Storia del metodo scolastico, t. II, Florence, 1980, p. 563-591) ; Beryl Smalley, The Study of the Bible in the Middle Ages, Oxford, 1952 (repr. Notre Dame, 1964), chap. 5, « Masters of the Sacred Page », p. 196-264 ; Eadem, The Gospels in the Schools, c. 1100-c. 1280, Londres, 1985, p. 99-197.
22 Voir entre autres : John Baldwin, Masters, Princes and Merchants. The Social Views of Peter the Chanter and his Circle, Princeton, 1970, 2 vol. ; Gilbert Dahan, L’exégèse chrétienne de la Bible en Occident Médiéval (xiie-xive s.), Paris, 1999 ; Idem, « L’exégèse d’Antoine de Padoue et les maîtres de l’école biblique morale (fin xiie-début xiiie s.) », Euphrosyne. Revista de Filologia Classica, n. s. 24 (1996), p. 343-373 ; Jean-Baptiste Lebigue, « La prédication de Prévôtin de Crémone : édition des sermons de Mayence et de Paris », dans Positions de thèses de l’École des chartes, Paris, 1999, p. 265-268. Et pour les prolongements en Angleterre : Joseph Goering, William de Montibus (c. 1140-1213). The Schools and the Literature of Pastoral Care, Toronto, 1992 (Studies and Texts 108) ; Franco Morenzoni, Des écoles aux paroisses. Thomas de Chobham et la promotion de la prédication au début du xiiie siècle, Paris, 1995.
23 « A body of material which can be used as a reasonably reliable source for Langton’s thought », Stephanus de Lingua-Tonante, p. 38.
24 Sur l’apport des chroniques monastiques, et aussi le témoignage de Matthieu Paris, auteur d’une Vita faite pour préparer la reconnaissance de la sainteté de Langton, mais dont il ne reste, hélas, que des extraits, voir Phyllis Roberts, Stephanus de Lingua-Tonante, p. 17-21.
25 La remarque vaut aussi pour les recueils à ce jour connus dans les fonds manuscrits de Cambridge (sauf le sermon d’Étienne à ses suffragants transmis dans Cambridge Corpus Christi College 450) et d’Oxford, selon les constats de Maurice Powicke, puis de Phyllis Roberts. Mais on ne peut exclure l’éventualité de la découverte de nouveaux textes.
26 Sur cette école cathédrale et le rôle qu’y joua Guillaume de Montibus après ses études parisiennes, voir Joseph Goering, William de Montibus (supra, n. 22). Étienne Langton, né près de Lincoln, est-il venu dans cette ville en tant que prélat ? On n’en a aucune attestation documentaire précise et, pas davantage, la trace d’une prédication qu’il aurait pu y donner dans les dernières années de sa vie.
27 À la différence du manuscrit Paris, BnF, lat. 16463, dont trois sermons sont publiés par Phyllis Roberts dans Traditio, 1980 (voir plus haut n. 2) : il est entré dans le fonds du collège de la Sorbonne après avoir appartenu à l’église Sainte-Geneviève, d’après une mention marginale en son début – voir Jean Longère, Les sermons latins de Maurice de Sully, évêque de Paris († 1196). Contribution à l’histoire de la tradition manuscrite, Steenbrugge-Dordrecht, 1988 (Instrumenta patristica 16), p. 138.
28 Paris, BnF, lat. 3227, f. 158-170 : « Sermo Stephani Cantuariensis episcopi in assumptione beate Dei genitricis Virginis Marie. Vidi et super firmamentum [cf. Ez 1, 26]. » Mentionné par Phyllis Roberts dans sa description des manuscrits (Stephanus de Lingua-Tonante, p. 146), il ne l’est plus, sans doute par mégarde, ni dans les listes de sermons distribués en six classes, ni dans RLS, en dépit de l’attribution formelle donnée dans la rubrique. Le manuscrit contient en son début le Remediarium conversorum de Pierre de Londres, muni d’une épître dédicatoire en forme de prologue à Richard d’Ely, évêque de Londres de 1189 à 1198, par Pierre, archidiacre de la même église. L’écriture et la décoration conduisent à le dater de la première moitié du xiiie siècle, et un ex-libris du xive siècle indique qu’il faisait alors partie des manuscrits conservés à l’abbaye de Beaupré (diocèse de Beauvais), tandis que la reliure du xviie siècle est aux armes de Philippe de Béthune (d’après la notice du Catalogue général des manuscrits latins de la Bibliothèque Nationale, t. IV, Paris, 1958).
29 Tractatus domini Stephani Canthuariensis archiepiscopi de translatione beati Thome martyris (Selected Sermons, sermon IV, p. 65-94), probablement d’après le sermon donné par Langton à Canterbury le 7 juillet 1221.
30 Ainsi, les Tractatus in Iohannem de saint Augustin.
31 Ainsi, le long sermon Adtendite uobis et uniuerso gregi (Ac 20, 28) – RLS 22 ; Phyllis Roberts 9 (publié dans Traditio, 1980, p. 260-268), est transmis par plusieurs manuscrits, dont celui de Troyes, BM 1367, pourvu d’un intitulé général permettant de déduire qu’il s’agit bien d’une pièce appartenant à la période parisienne de Langton : Incipiunt sermones magistri Steph(ani) de Linguet(onante) et quorumdam aliorum magistrorum Parisiensium ad populum.
32 À la différence des allusions à la politique dans ses commentaires bibliques, qui ont retenu l’attention de David d’Avray (« Magna Carta : its Background in Stephen Langton’s Academic Biblical Exegesis and its Episcopal reception », Studi Medievali, 38 [1997], p. 423-437) et de John Baldwin (voir Masters, princes…, ouvr. cité ; et sa contribution dans ce volume).
33 Sur les 106 sermons qu’il contient, tous anonymes dans ce recueil, cinq ne semblent pas devoir être retenus ; des 101 restants, 66 peuvent lui être attribués grâce au témoignage d’autres manuscrits contenant des versions identiques ou analogues munies de rubriques explicites, tandis que les 35 autres sont anonymes dans toute la tradition.
34 Sermon publié dans Selected Sermons (III), p. 53-64.
35 Convertentur sedentes (Os 14, 8), Arras, BM 222, fol. 41rb-42vb ; Paris, BnF, lat. 14859, fol. 268rb-269va (RLS 8 ; Phyllis Roberts, cl. 2, p. 195) : « Maiores cadunt altis de montibus umbre » (Bucol. I, 82). La présence de cette citation et l’écart entre les deux témoins m’avaient été signalés par le Père Bataillon, au moment où il constituait la série de sermons sur les versets des petits prophètes auxquels il a consacré sa contribution au volume sur Étienne Langton dont cet article fait aussi partie.
36 Voir Alberto Forni, « La ‘nouvelle prédication’ des disciples de Foulques de Neuilly : intentions, techniques et réactions », dans Faire croire. Modalités de la diffusion et de la réception des messages religieux du xiie au xve siècle, Rome, 1981, p. 19-37 ; John Baldwin, Masters, Princes, I, p. 20-22, estime que la mission conjointe d’Étienne Langton et de Robert de Courson en Flandre, dont parle Matthieu Paris, a pu avoir lieu entre avril et juillet 1213.
37 Les exempla sont préconisés par Césaire de Heisterbach dans la prédication qu’il prévoit pour les convers. Les travaux du groupe de recherches sur les exempla (GAHOM ; Paris, Ehess) ont mis en évidence le rôle des cisterciens, dès le xiie siècle, dans le développement de cette technique rhétorique, et l’utilité des chapitres généraux comme lieu de transmission et d’échanges privilégiés.
38 Voir Phyllis Roberts, Stephanus de Lingua-Tonante, p. 217-219.
39 Recueil sur parchemin, 225 × 150 mm, constitué de deux éléments initialement distincts. Après un ensemble datant du milieu du xiiie siècle (f. 1-177), celui qui nous intéresse ici aux fol. 178-339, présente, dans une minuscule soignée du début du xiiie siècle due à plusieurs mains, 75 sermons identifiés par des rubriques, qui ont été préparées par des mentions marginales. Le texte, à l’évidence, en a été soigneusement relu, corrigé, et annoté (nota en marge, repérages d’exempla).
40 Voir le tableau donné en annexe 1, p. 233-237 : sermons 8-20, 30-40, 45-48.
41 Jean Châtillon, « Sermons et prédicateurs victorins de la seconde moitié du xiie siècle », Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 32 (1965), p. 7-60.
42 Gilbert Ouy, Les manuscrits de l’abbaye de Saint-Victor. Catalogue établi sur la base du Répertoire de Claude de Grandrue (1514), Turnhout, 1999, 2 vol.
43 « In premissis duobus quaternis continentur exceptiones de conversione et de septem sacramentis que sumpta sunt de quarto libro Sententiarum, quorum notitia et etiam omnium que sequuntur valde utilis est et necessaria circa curam animarum » (lat. 14470, fol. 162v) ; « In hac prima medietate libri continentur sermones quidam per anni circulum et notule excerpte de sermonibus magistri Petri Pictaviensis cancellarii Parisiensis et magistri Stephani presulis Cantuariensis et de aliorum tractatibus, que omnia circa curam animarum sunt necessaria sicut inferius patebit » (lat. 14593, f. 113v).
44 Ainsi dans les manuscrits Paris, BnF, lat. 12420, 14925 et 16463, Paris, Mazarine 999 et Reims, BM 582. Sur ces manuscrits, voir Jean Longère, Les sermons latins de Maurice de Sully.
45 Ms. Paris, BnF, lat. 3236B : voir la description dans Riccardo Quinto, Doctor nominatissimus. Stefano Langton († 1228) e la tradizione delle sue opere, Münster, 1994, p. 83 ; compléments dans Idem, « Teologia dei maestri scolari e predicazione mendicante : Pietro Cantore e la ‘Miscellanea del Codice del Tesoro’ », Il Santo, 46 (2004), p. 335-384 (aux p. 376-382).
46 Sermons Beatus ille servus et Reddet Dominus mercedem (ms. de Saint-Pétersbourg, sermons 15 et 34 : d’après Alexandra Barratt, « The Sermons of Stephen Langton », art. cité, p. 113-114 et p. 118) ; autre sermon, auparavant inconnu, ad claustrales : Quid sunt due spice olivarum (ibidem, n° 31, p. 118).
47 Très peu de vestiges de la langue vernaculaire subsistent, et trouver un proverbe donné en français ne fournit pas d’argument décisif pour en conclure que le prédicateur ne s’adresse pas à des clercs.
48 Thomas de Chobham, Summa de arte praedicandi, éd. Franco Morenzoni, Turnhout, 1988 (CCCM 82), p. 265 et 269-272.
49 Jean d’Abbeville, d’ailleurs, recourt largement à ses connaissances d’exégète : dans ses sermons modèles, réunis en recueils systématiques selon l’ordre liturgique un peu plus tard, les premières parties sont presque toujours faites d’emprunts à la Glose ordinaire, enrichis de ses propres commentaires : voir Louis Jacques Bataillon, « Early Scholastic and Mendicant Preaching as Exegesis of Scripture », dans Ad litteram. Authoritative Texts and their Medieval Readers, éd. Mark D. Jordan et Kent Emery Jr., Notre Dame et Londres, 1993, p. 165-198.
50 Voir Nicole Bériou, « L’Écriture sainte dans la prédication de quelques victorins », dans Bibel und Exegese in der Abtei Saint-Victor zu Paris. Form und Funktion eines Grundtextes im europäischen Rahmen, éd. Rainer Berndt, Münster, 2009, p. 459-472 (Corpus Victorinum, Instrumenta 3), repris ici-même aux p. 113-125 ; pour les développements du xiiie siècle : Eadem, L’avènement des maîtres de la Parole. La prédication à Paris au xiiie siècle, Paris, 1998, t. I, p. 260-274.
51 Voir en annexe 2 les trois versions de ce prothème. L’allusion au Notre Père, au sujet de la demande de pain quotidien, est en revanche plus claire dans les versions de Troyes et de Leipzig (la plus scolaire et la plus élémentaire des trois) que dans celle de Paris, BnF, lat. 14859.
52 Le sermon de 1213 cependant, a contrario, s’éclaire si on en connaît le contexte.
53 Voir le texte en ses diverses versions dans l’annexe 2. Dans les Distinctiones qui lui sont attribuées, on trouve aussi des passages relatifs à l’usure, mauvaise ou bonne (Paris, BnF, lat. 393, f. 31ra : de mala usura, et f. 31rb : de usura bona).
54 La fréquence de l’usage de cette citation comme verset thématique ressort de la table du répertoire de Johannes-Baptist Schneyer, t. XI, 1990, p. 22-23 ; il est aussi très souvent cité comme autorité dans les sermons.
55 Voir Roberta D. Cornelius, The Figurative Castle. A Study in the Medieval Allegory of the Edifice with special reference to Religious Writings, Bryn Mawr (Pennsylvania), 1930.
56 Voir Philippe Contamine, La guerre au Moyen Âge, Paris, 1980, p. 210-212.
57 Voir John Baldwin, Philippe Auguste et son gouvernement. Les fondations du pouvoir royal en France, Paris, 1991, p. 250-254.
58 Voir Riccardo Quinto, Doctor nominatissimus…, p. 58-76 ; Idem, « Stephen Langton : Theology and Literature of the Pastoral Care », dans In principio erat verbum. Mélanges offerts en hommage à Paul Tombeur, éd. Benoît-Michel Tock, Louvain-la-Neuve et Turnhout, 2005 (Textes et Études du Moyen Âge, 25), p. 301-355.
59 Bernard Hodel, « Les sermons reportés de Hugues de Saint-Cher », dans Hugues de Saint-Cher († 1263), bibliste et théologien, éd. Louis Jacques Bataillon, Gilbert Dahan et Pierre-Marie Gy, Turnhout, Brepols, 2004 (BHCMA 1), p. 233-251.
60 Janos Bartkó, Un prédicateur français au Moyen Âge. Les sermons modèles de Hugues de Saint-Cher († 1263), Veszprém, 2006 (Études françaises, 3), en particulier aux p. 123-130.
61 Sermon 99a (Phyllis Roberts), RLS n° 360.
62 Sur ce point, il faudrait reprendre la distribution des manuscrits donnée par Phyllis Roberts, en rapprochant Paris, BnF, lat. 14859 (P11) de Troyes 1367 (Tr), et en distinguant cette tradition de celle, attestée entre autres dans Paris Mazarine 999 (PM) et Bruxelles II-953 (Bs1). Il ne s’agit pas cependant de reportations différentes, comme le laisse entendre la subdivision 99a / 99b de Phyllis Roberts, mais d’un accident de transmission du même texte, réduit très sensiblement dans sa dernière partie dans la version de la Mazarine et de Bruxelles. Dans RLS, un seul manuscrit est donné pour chaque version.
63 Ce recours à des techniques de dramatisation est d’ailleurs caractéristique du temps liturgique de la Semaine sainte, dont ce sermon est proche. Le Vendredi saint, les prédicateurs ont ainsi pris l’habitude de suivre en le glosant le récit des évangiles, compilé dans la tradition du Diatessaron, pour évoquer par le menu le déroulement de la Passion (voir ci-dessus, p. 53-70).
64 « Cleros grece, latine sors, vel hec hereditas dicitur, inde clericus diceris quia tantum sortem vel hereditatem elegisti, hoc ipsum dixisti tu qui interpretaris hoc nomen clericus, cum a sacerdote tibi corona benediceretur, dixisti namque : “dominus, pars hereditatis mee”, idest porcio hereditatis mee. Sed hic mihi vellem quod diceres qualiter intelligas. Numquid sic intelligis “dominus pars hereditatis mee”, id est amorem domini prefero amori mundi ? Ad hoc quidem tenetur laicus. Numquid intelligis “dominus pars hereditatis mee”, id est ea que specialiter dicuntur domini, id est decime et premicie et alia bona ecclesiastica, mihi debentur, et tu de his omnibus quecumque potes avare congregare congregas, ita quod non sufficit tibi una ecclesia, non due non plurima, immo si fieri posset omnia acciperes, nec adhuc ego sufficio tibi et ecclesia mea, immo patrimonium tuum simul habere vis vel aliud proprium undecumque tibi adveniens ? Si sic interpretaris predictum verbum, multo felicior est conditio tua quam laici conditio qui, etsi habeat propria bona, ecclesiastica tamen non affectat. Sed quid tu, nonne patrimonium meum quod ego proprio sanguine acquisivi turpiter consumis ? Ego acquisivi, sicut dixi, sanguine proprio, et tu consumis in apparatu regio, ego acquisivi colaphis et flagellis et tu consumis in cyatis et ferculis, ego acquisivi manibus clavis perforatis et tu consumis in equis faleratis. Quid igitur aliud tibi dicam nisi quod iam sepe dixi : Simon dormis ? » (d’après BnF, lat. 14859, f. 229ra-vb ; texte analogue, avec quelques homéotéleutes, dans Troyes, BM 1367, f. 58v-59r).
65 En particulier, Bernard de Clairvaux, De Consideratione, IV, 12 (Sancti Bernardi Opera, t. III, Rome, 1963, p. 457-458), dans la description des coadjuteurs que doit choisir le pape, « qui non de dote viduae et patrimonio Crucifixi se vel suos ditare festinent, gratis dantes quod gratis acceperunt » ; Nicolas de Clairvaux, dans le sermon in dedicatione ecclesiae qui a été attribué à tort à Pierre Damien (s. 69/1, PL 144, 897-902) et dans une lettre au frère Gaucher (Ep. 45, PL 196, 1645) ; Hélinand de Froidmont, dans un sermon pour les Rameaux (Sermo IX, in Ramis palmarum II, PL 212) ; et Conrad d’Eberbach, Exordium magnum cisterciense, dist. 5, cap. 7 et 21 (CCCM 138 ; en particulier, dans le ch. 21, sous la forme : « patrimonium Crucifixi Domini, bona uidelicet Ecclesiae »).
66 Pierre de Blois utilise alternativement patrimonium Christi dans ses lettres 12, 15, 51, 60 et 102, et patrimonium Crucifixi dans ses lettres 20, 38, 42, 51 (PL 207) ; on trouve encore patrimonium Christi chez Lanfranc de Canterbury, Arnoul de Luxeuil et Étienne de Tournai ; mais tantôt patrimonium Christi et tantôt patrimonium Crucifixi chez Herbert de Bosham, Jean de Salisbury et Innocent III.
67 En particulier I, 30 (« non eius [= Dei] gloriam sed suam querendo, ut pseudo et mercenarius et symoniacus, ‘fur est, quia quod alienum est suum dicit’, id est oves Dei suas facit et ‘venditus ipse vendere cuncta cupit’, si regimen animarum ei commissum est ; si non, quod non suum est, ut patrimonium Crucifixi et bona pauperum, sicut raptor absconditus sibi usurpat ») ; I, 41 (« Qui si propter furtum quasi unius diei committit sacrilegium cuius merito in suspendii laqueum incidere meruit, quanto magis furtum et sacrilegium committit prelatus qui scienter patrimonium crucifixi pauperibus erogandum non dico ad horam dat carni et sanguini, sed officium dispensandi res pauperum nepoti vel fratri, scilicet prauo et indigno dispensatori, in omni uita sua committit, non ut in usus pauperum patrimonium Christi dispenset, sed in ambitione uanitatum et seculi luxus et ut lautius inde uiuat et in propriis usus plura expendat ? ») ; aussi I, 45, passim ; I, 70 ; I, 72 ; I, 78 ; II, 17 et II, 43 (éd. Monique BOUTRY, Turnhout, 2004 [CCCM 196], p. 233, 269, 303-310, 455-460, 478, 541, 665-666 et 767). Thomas de Chobham recourt à l’expression dans sa Summa de arte praedicandi, cap. 3 (éd. Franco Morenzoni, CCCM 82, p. 74), à propos des devoirs du prêtre pasteur d’âmes (« debet igitur sacerdos cum timore et tremore considerare quid est quod recipit, scilicet patrimonium Crucifixi […] non solum enim de corpore Domini sed etiam de patrimonio Crucifixi dictum est : ‘Qui manducat et bibit indigne iudicium sibi manducat et bibit’. Vult ergo Dominus quod sacerdos reddat rationem de obsequio impenso, qui vixit de patrimonio suscepto ») et dans un de ses sermons, donné à Saint-Victor (« nobis clericis qui uiuimus de patrimonio Crucifixi quod ipse acquisiuit nobis sanguine suo » : s. 18, Sermones, éd. Franco MORENZONI, Turnhout, 1993 [CCCM 82A], p. 189).
68 Ainsi Pierre le Chantre, Verbum adbreviatum, I, 45, éd. citée, p. 310, l. 305 : « Item Ieronymus : ‘Maximum periculum est de patrimonio Christi non pauperibus dare’ » ; puis au xiiie siècle, dans un autre contexte, où il s’agit de mettre en garde au sujet des jugements téméraires à l’encontre des prélats que Dieu seul jugera, Étienne de Bourbon, Tractatus de diversis materiis praedicabilibus, I, vi, 10 (éd. Jacques Berlioz, Turnhout, 2002 [CCCM 124], p. 238, l. 1243) : « Ieronymus : ‘Quia facta prelatorum maxime ecclesiasticorum et eorum qui tenent patrimonium Christi et habent animas regere, iudex summus retinuit ad iudicandum, ualde temerarius est eis iudicare’. »
69 Par exemple dans ses épîtres 52 et 66 (éd. Isidorus Hilberg, CSEL 54, 1910 [repr. 1996], p. 439 et 657).
70 Voir Christoph Maier, « Crisis, Liturgy and the crusades in the Twelfth and Thirteenth Centuries », Journal of the Ecclesiastical History, 48 (1997), p. 628-657 ; Jean Richard, L’esprit de la croisade, Paris, 1969, en particulier aux p. 32-33, à propos de la notion de la Terre sainte, héritage du Christ, construite au xiie siècle et orchestrée davantage encore après la perte de Jérusalem.
71 L’engagement de Langton et des autres maîtres parisiens qui lui sont contemporains, en ce domaine, fait l’objet des recherches de Christian Grasso qui, après avoir soutenu en 2008 une thèse de doctorat à l’Université de Florence sur La propaganda crociata durante il Pontificato di Innocenzo III (1198-1216), a poursuivi ses investigations sur l’élaboration de la thématique relative à la croisade dans les années 1215-1245. Voir aussi, à propos du ms. Paris, BnF, lat. 14470, où deux exhortations de crucis commendatione voisinent avec de nombreux sermons authentiques de Langton, les observations de Jessalynn Bird, « The Victorines, Peter the Chanter’s Circle, and the Crusade : Two Unpublished Crusading Appeals in Paris, Bibliothèque Nationale, ms Latin 14470 », Medieval Sermon Studies, 48 (2004), p. 5-28.
72 De cruce suscipienda (= Étienne Langton, Flores auctoritatum, Paris, BnF, lat. 3236B, fol. 110va) : « Crux est quasi signaculum vel sigillum domini unde in fine Cantici : Pone me ut signaculum super cor tuum, etc. Sigillo signatur anima habens gratiam quasi sigillatur archa continens aurum. Item domus Dei et hospitale cognoscitur per crucem super tectum, ita homo per crucem consutam humero creditur hospitium acceptum Deo ».
73 B. Smalley, The Gospels in the Schools, p. 101-118.
74 Voir en dernier lieu Économie et religion. L’expérience des ordres mendiants (XIIIe-XVe siècle), éd. N. Bériou et J. Chiffoleau, Lyon, 2009 (Collection d’histoire et d’archéologie médiévales 21).
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