Prédicateurs du dedans et du dehors
Traces de l’activité de prédication à Saint-Germain-des-Prés (xe-xiiie siècle)
p. 195-212
Texte intégral
1Dans un sermon de septuagésime consigné par écrit parmi une vingtaine d’autres, Abbon, moine à Saint-Germain-des-Prés au tournant des ixe et xe siècles, observe que depuis le temps de la Création, Dieu envoie aux hommes ses prédicateurs avec la mission de les exhorter et de les châtier tout à la fois, de leur apprendre à craindre Dieu, à l’aimer et à lui obéir1… On en retient la conviction bien enracinée que l’histoire du christianisme ne se conçoit pas sans prédicateurs. Thomas de Chobham, quelques siècles plus tard, ne dit pas autre chose dans un autre sermon lui aussi prêché à Saint-Germain-des-Prés, où il constate que la prédication « a gagné le monde entier au Seigneur », et que le maître en la matière, c’est Jésus-Christ lui-même, dont Dieu dit en Matthieu 17 : « Celui-ci est mon fils bien-aimé, écoutez-le2. »
2Pourtant, à l’aune de la longue durée, les traces de cette activité de prédication sont le plus souvent ténues. Sans même considérer les prises de parole des abbés en chapitre, à jamais évanouies, celles qui ont eu lieu dans l’église de l’abbaye, depuis la fondation du vie siècle jusqu’à l’essor de la « parole nouvelle » au xiiie siècle, ne nous sont parvenues que par bribes3. Elles se répartissent en deux moments forts et assez contrastés.
3Tout d’abord, précisément, nous avons conservé quelques sermons d’Abbon, moine de la communauté bénédictine de Saint-Germain, où il a été éduqué par Aimoin et prédicateur dans la même abbaye – mais il est plus connu aujourd’hui pour le poème qu’il a écrit lors du très fameux siège de Paris par les Normands auquel il assista en 885-8864. Les sermons qui peuvent lui être à coup sûr attribués, et qu’il déclare avoir mis par écrit à la demande des évêques Fulrad de Paris (921-927) et Frotier de Poitiers (905-936), ont été assez généralement négligés par l’historiographie, à l’exception d’un long article de Dom Leclercq publié il y a déjà un bon demi-siècle et de l’édition critique des vingt-deux sermons considérés comme authentiques par Ute Önnerfors, en 19855.
4Ensuite, il faut attendre le milieu du xiie siècle pour commencer à repérer d’autres traces de sermons prononcés par des prédicateurs divers, dont aucun cependant n’est moine bénédictin, ni d’ailleurs, pour le xiiie siècle, frère mendiant. Ces sermons, dus à des membres du clergé séculier qui se distinguent par leur culture scolaire et exercent diverses fonctions de chanoines et de dignitaires dans le chapitre cathédral parisien6, nous sont parvenus quelquefois dans des collections d’auteur, mais aussi plus souvent, désormais, sous la forme de notes prises par les auditeurs clercs et étudiants en théologie présents dans l’assistance.
5Une vingtaine de sermons pour Abbon au tournant des ixe et xe siècles et treize sermons pour les divers orateurs attestés entre la mi-xiie et la mi-xiiie siècle permettent de renouer quelque peu avec un pan essentiel de la communication, celui des pratiques de l’oralité reflétées par de telles traces écrites. En passant d’une époque à l’autre, je me propose de mettre en lumière les caractéristiques de ces prises de parole, les flexions perceptibles du message religieux qu’elles dispensent, et la façon dont les prédicateurs mêlent dans leurs propos un enseignement moral et spirituel ajusté à leurs auditoires avec l’expression de préoccupations plus personnelles, en fonction notamment de l’actualité.
La prédication inspirée d’Abbon
6Aucun sermon d’Abbon n’est daté. Certains d’entre eux sont seulement rapportés, dans leur titre, à quelques fêtes liturgiques : pendant l’Avent et le Carême, pendant la Semaine sainte surtout, jusqu’aux fêtes pascales qui constituent un sommet dans le calendrier – sans Pâques, Noël n’aurait pas de sens, déclare Abbon dans le sermon 167 –, ou encore pour les Rogations et l’Assomption, tandis que le recueil ne comprend aucun sermon pour la fête d’un saint ni même pour la Toussaint, une fête qui doit pourtant sa promotion récente aux souverains carolingiens à partir de Louis le Pieux8. Ces pièces oratoires, qui prennent appui sur la lecture de l’évangile du jour, sont mises par écrit en latin comme des modèles, au point que l’une d’elles, le sermon 13, se présente comme un sermon fait par un évêque9, et dans un autre cas, il semble bien que l’on ait affaire à un sermon de synode10.
7En contrepoint de ces sermons inscrits dans le cadre strict de la liturgie, d’autres sont dépourvus de toute référence initiale à un passage de l’Écriture. Composés aussi en latin sous la forme d’exhortations puissantes qui ont dû être prononcées en langue vernaculaire11, ils sont motivés par un contexte dramatique auquel le prédicateur prête une attention soutenue. Le royaume, déclare-t-il, va vers sa perte sous la pression des païens. Paysans (villani), serfs et servantes sont morts ou ont été emmenés en captivité et sans eux la terre demeure inculte et stérile12. Mais les premiers responsables des désordres sont les puissants au comportement totalement déréglé. Abbon évoque les malheurs des temps avec des accents parfois rhétoriques : Pugnate pro patria, s’exclame-t-il, empruntant aux Distiques de Caton une citation qu’il attribue de manière vague à l’Écriture13. Le plus souvent, il s’exprime avec une émotion qui sonne juste, voire une forte indignation quand il s’agit de dénoncer les comportements inadmissibles des hommes qui, « les mains pleines de parjures et de rapines, mangent les pauvres et volent les domaines des églises14 » et s’attaquent au « patrimoine des pauvres » que sont les biens d’Église au point que les saints, dépouillés par eux, les accusent devant Dieu15. Le terme de raptores revient avec insistance dans ses propos pour dénoncer ces puissants insolents, arrogants, ambitieux et cupides, dont tous les pauvres, parmi lesquels on compte les veuves et les orphelins16 – et sans doute aussi les moines eux-mêmes –, subissent les violences sans aucun frein. Pareilles violences, d’ailleurs, retiennent Dieu d’accorder son aide dans le combat contre les « païens », ces envahisseurs normands qui menacent régulièrement Paris et sa région – en dépit de la résistance victorieuse qui leur a été opposée lors du siège de Paris. Abbon dénonce aussi la démission des rois, des évêques et des comtes qui s’enfuient17, mais tout en déplorant les destructions dont le pays ne parvient pas à se relever, il revient sans cesse à la charge par des appels à prendre les armes pour combattre l’ennemi et mettre en fuite ces païens dont le chef est le diable.
8Loin d’en faire un désastre local, Abbon connaît et constate l’instabilité partagée en Occident sous la pression conjuguée des Normands, des Danois et des Hongrois, et en Orient, où le danger issu des Musulmans et des « pseudo-chrétiens » est évoqué de manière plus vague, par le recours à des références vétéro-testamentaires18. Le peuple des fidèles chrétiens, en tout cas, ne se limite pas dans ses propos à l’horizon étroit de la région parisienne, d’autant plus présente à l’esprit des moines que l’abbaye de Saint-Germain y est puissamment dotée de biens fonciers19. Il a au contraire une dimension universelle, qui s’exprime dans le nom de christianitas employé par Abbon à plusieurs reprises, surtout dans le sermon 14. L’un des horizons lointains de cette chrétienté semble bien constitué dans son esprit par le Saint-Sépulcre, auquel il consacre une courte pièce oratoire difficile à caractériser, décrivant le lieu et la basilique qui y a été érigée20. On connaît la dévotion ancienne et durable pour le Saint-Sépulcre dans la chrétienté latine, mais il ne semble pas qu’à l’époque d’Abbon des répliques de la basilique en forme de rotonde et prenant modèle sur ses mesures aient déjà été réalisées en Occident21. Abbon est-il simplement attentif à ce lieu parce que les reliques de la Sainte-Croix font partie des trésors de l’abbaye depuis sa fondation ?
9Quoi qu’il en soit, en tout cas, des épreuves constituant la toile de fond ordinaire de ses exhortations, il a la conviction que la chrétienté menacée de désagrégation est aussi faite pour se répandre dans le monde entier22. Mais pour cela, chacun doit se pénétrer comme lui de la certitude confiante que cet épanouissement désiré dépend du soutien que Dieu apporte aux combats contre les ennemis, à condition précisément que les chrétiens vivent selon ses préceptes, car si l’homme choisit d’être bon, Dieu dispensera envers lui largement sa miséricorde, et les vassaux des puissants obtiendront la victoire23.
10La dramatisation permet à Abbon d’introduire, à l’adresse des moines qui l’entendent, des exhortations répétées à la patience et la promesse d’une consolation qui viendra dans l’au-delà. Mais elle est aussi assortie d’un message vigoureux à l’égard de l’aristocratie qui assiste certainement à plusieurs de ces sermons. Traités de faux chrétiens, les grands sont précisément critiqués et dénoncés pour leurs convoitises qui les font désirer la femme du prochain ou son cheval ou son alleu ou son serf24, comme pour leurs excès d’ordre vestimentaire – il vaudrait mieux que la soie dont ils veulent se parer soit réservée aux parements d’autel25 – et, plus souvent encore, d’ordre alimentaire. Banquets et beuveries contribuent à exacerber leurs mauvais comportements, ils sont comme le riche de la parabole qui ignorait Lazare mais se laissait aller à l’intempérance du ventre26, et l’ébriété tout spécialement met leur âme en danger27. Quant aux richesses, dont ils sont si avides, ils feraient mieux d’en disposer comme Zachée, qui a restitué au quadruple28, et de faire preuve de générosité, y compris envers les païens, en ajoutant l’aumône aux jeûnes parmi les œuvres de pénitence29. Ces exemples et recommandations empruntés au Nouveau Testament viennent redoubler et enrichir l’enseignement évangélique des lectures du jour qui fait pour sa part l’objet, dans la plupart des cas, d’un exposé initial en forme de paraphrase, permettant au prédicateur d’en éclairer par des gloses tout le sens immédiat30, avant d’en proposer une interprétation « spirituelle ». Ainsi, pour le lundi de Pâques, Abbon fait d’abord l’éloge des saintes femmes se rendant au tombeau, elles qui, à la différence des apôtres, ont adhéré au Christ « comme la peau adhère aux os quand les chairs sont consumées », et qui méritent donc d’avoir le Seigneur pour ami, avant de voir en elles la figure spirituelle de la chrétienté se rendant « au temple où sont consacrés le corps et le sang du Christ » pour y communier31. Le fait que de tels commentaires et exemples tirés des Évangiles ou inspirés par eux aient pu être proposés et exposés à des auditoires de laïcs est d’autant plus éclairant que la plupart des textes d’enseignement religieux préservés pour l’époque carolingienne mettent plutôt en évidence des modèles vétéro-testamentaires, tels ceux des rois saints, David et Salomon, ou véhiculent un enseignement spirituel largement puisé dans les Psaumes : par exemple, le Manuel de Duodha, ou les livrets de prière privés32.
11Au cœur du message dispensé par Abbon figure l’appel à faire pénitence, clairement inscrit dans le temps liturgique du carême : après l’expulsion des pénitents publics hors de l’église en début de carême, a lieu le rassemblement au seuil de l’église, le Jeudi saint, de ces mêmes pénitents publics33 qui doivent être purifiés comme l’église et ses vases sacrés le sont coutumièrement en ce jour34. Abbon prend soin de les avertir que tous ne seront pas réconciliés. La promesse de réintégration dans la communauté se traduit concrètement par l’autorisation qui leur est donnée d’entrer dans l’église et de participer aux offices de Pâques. Mais en même temps, ils sont invités à vivre un authentique transitus, comme le Christ est passé de la mort à la vie dans sa résurrection35. Chaque pénitent doit accomplir à son tour ce passage dans une conversion manifestée par la pratique durable des bonnes œuvres, corollaire de sa réconciliation.
12Le mouvement d’exclusion/inclusion qui caractérise ces cérémonies de réconciliation des pénitents publics trouve une autre expression dans l’histoire d’Adam commentée à cet effet dans le sermon 13, l’un des deux sermons du Jeudi saint à l’adresse des pénitents réconciliés. Créé par Dieu à son image et à sa ressemblance, comme un être juste, saint et immortel, Adam a commis le péché qui a conduit Dieu, « l’évêque des évêques », à le chasser du paradis, mais après une longue pénitence et le passage dans la prison de l’enfer, il a été absous grâce au Christ, « pontife des pontifes », qui l’a par sa passion délivré de l’enfer et lui a rendu le paradis. C’est pourquoi, ajoute ensuite Abbon, le chant qui accompagne l’exclusion des pénitents publics s’inspire des paroles de Dieu chassant Adam et Ève du paradis36. Le même Adam est, dans un sermon d’entrée en carême37, la figure de l’homme soumis aux trois tentations majeures de gourmandise, vaine gloire et avarice, que le diable a aussi infligées au Christ avant le commencement de sa vie publique : celles-là mêmes contre lesquelles le prédicateur ne cesse de mettre les puissants en garde dans la plupart de ses sermons.
13La rareté de cette source en fait le prix, et même si dans certains cas Abbon apparaît lui-même tributaire de modèles38, ses réflexions personnelles donnent à l’ensemble de ses propos un caractère profondément original. Ses sermons, dont les auditoires mêlés de moines, de clercs et de laïcs peuvent être identifiés grâce à certaines adresses au public, attestent aussi ses qualités d’orateur et de pasteur, aux antipodes du style ampoulé et recherché de son poème sur le siège de Paris. On peut comprendre de ce fait le relatif succès de tels textes, dont certains sont présents dans d’autres recueils entre le xie et le xiiie siècle, tandis que la collection réunie dans le manuscrit Paris, BnF, lat. 13203, sur lequel s’est fondée Ute Önnerfors pour son édition, est une copie du xiie siècle provenant de la bibliothèque de l’abbaye, et que le sermon 11 a même été utilisé par l’archevêque d’York Wulfstan († 1096) dans une de ses homélies écrites en anglo-saxon39. Ce que l’on ne sait pas, c’est si l’encouragement à prendre la parole pour exhorter à la pénitence, donné par Abbon à tous, clercs et laïcs40, a été entendu de ces derniers. Mais le simple fait qu’il le déclare mérite d’être relevé.
Une prédication nouvelle : les conquêtes du « sermon moderne »
14Si les xie et xiie siècles ont été le théâtre de renouvellements importants de la prédication par les prises de parole spontanées de nombreux ermites, tels Robert d’Arbrissel ou Bernard de Tiron parmi bien d’autres en France du Nord, il faut attendre la deuxième moitié du xiie siècle pour voir s’affirmer, dans le cadre de la prédication liturgique régulière dans les églises, la nouvelle forme de sermon qui s’imposera nettement au xiiie siècle, avec le concours désormais des frères de saint Dominique et de saint François. La nouveauté réside dans le changement de méthode qui affecte alors la lecture de l’Écriture. Elle n’est plus seulement ruminée par la lecture méditative propre aux communautés monastiques, mais examinée dans les plus infimes détails du texte, selon des procédés mis en œuvre dans les écoles urbaines, entre Laon et Paris principalement. L’interprétation des sens multiples du texte biblique, dont la conscience avait été léguée depuis des siècles par l’enseignement des Pères, exige une méthode rigoureuse de travail sur les péricopes (divisio textus), sur chacune des phrases qui les composent, voire sur tel ou tel mot autour duquel il devient possible de construire l’édifice de tout un sermon en recourant à la distinction de ses sens. L’une des méthodes consiste à distinguer les sens selon les différents usages du mot dans l’Écriture, une autre considère la force d’évocation et la richesse possible de l’interprétation de la figure enclose dans le mot. Il y a encore des prédicateurs qui commentent le texte entier de l’évangile du jour, mais l’habitude se prend de plus en plus de sélectionner un seul verset, et pour les fêtes des saints, de choisir des versets qui sont comme des devises parlantes permettant d’évoquer tel ou tel trait de sainteté dans le discours.
15Parmi les sermons de cette période dont la trace nous a été préservée grâce aux usages de plus en plus intenses de leur conservation par écrit, trois d’entre eux, dont deux sont certainement dus au chancelier de la cathédrale Pierre le Mangeur (1168-1178) qui est un des pionniers dans la pratique du sermon moderne, peuvent être situés à Saint-Germain-des-Prés en combinant l’occasion du sermon – la fête de la translation des reliques de saint Germain, qui coïncide avec les fêtes de saint Jacques et saint Christophe le 25 juillet – et les adresses au public monastique qu’ils contiennent41. Les autres sont explicitement situés par leur rubrique à Saint-Germain-des-Prés. Il s’agit de six sermons prononcés par Thomas de Chobham, sous-doyen de Salisbury, lors de son séjour d’études à Paris au début des années 1220, à l’occasion de diverses fêtes de l’année liturgique : procession des Rameaux ; vendredi saint et fêtes pascales ; veille de Pentecôte ; Toussaint le 1er novembre ; fête de saint Vincent le 22 janvier42 ; puis de deux sermons de Philippe le Chancelier pour la fête de saint Vincent également, probablement donnés à la fin des années 122043 ; d’un sermon du prévôt du chapitre cathédral pour la fête de la translation des reliques de saint Germain de Paris, le 25 juillet 123144 ; enfin, d’un sermon de maître Eudes de Châteauroux pour la Toussaint le 1er novembre 123745. À l’exception des sermons de Pierre le Mangeur et de Philippe le Chancelier, qui proviennent de recueils d’auteur, il s’agit de sermons notés à l’audition par des clercs anonymes qui vont d’une église à l’autre recueillir la trace de discours susceptibles de leur servir de modèles dans leur propre activité de prédicateur, ou simplement appréciés pour leur qualité intrinsèque.
16À la différence des sermons d’Abbon, ceux que je vais considérer désormais ne donnent pas d’écho de l’actualité de leur temps, à une exception près (chez Philippe le Chancelier), sur laquelle je reviendrai un peu plus loin – ou plutôt, tous pratiquent la même méthode de commentaire approfondi des versets et des mots de l’Écriture pour en déduire le message religieux qui est celui de l’actualité du salut. Tous les hommes, quel que soit leur état de vie, doivent être attentifs aux avertissements donnés par la parole de Dieu et en tirer des leçons dans leur vie quotidienne, par une démarche de conversion intérieure et de progrès spirituel. Dans certains cas, le discours est si général qu’il est impossible de circonscrire avec assurance les destinataires. Le plus souvent cependant, il est clair que cette prédication, dans le cas que nous considérons, s’adresse au public mêlé des moines présents à l’abbaye et des clercs étudiants qui viennent dans cette église comme dans beaucoup d’autres églises de Paris, selon les moments du temps liturgique, pour y entendre le sermon par devoir d’état.
17La plupart des prédicateurs dont les sermons nous sont connus en ce lieu sont des orateurs de premier plan, rompus à l’usage de ces techniques de prédication qui leur permettent de distribuer, quel que soit leur auditoire, un message de salut valant pour tous les fidèles chrétiens. Le verset de l’Apocalypse (2, 7) Vincenti dabo edere de ligno vite, choisi par Thomas de Chobham comme thème de son sermon sur saint Vincent46, introduit un discours attendu sur le combat spirituel que doit mener tout chrétien, miles Dei, pour vaincre la chair, le monde et le diable. La trilogie des ennemis de l’homme fait partie de la culture monastique, tant elle est répétée depuis des siècles dans les traités à l’usage des moines47, mais dans la prédication des xiie-xiiie siècles, loin de leur être réservée, elle est devenue un topos partout repris.
18Dans un autre registre, les sermons de Toussaint contribuent à inscrire le discours adressé aux moines dans un discours très général sur la sainteté, dont on retrouve des échos dans la plupart des sermons dédiés à cette fête au xiiie siècle, quels qu’en soient les auditoires. L’interprétation que donne Thomas de Chobham du mot sanctus à partir de l’étymologie du terme grec correspondant (agios) n’est en rien originale, pas plus que l’enseignement qu’il en tire sur le nécessaire détachement des choses de ce monde, dans lequel l’homme est seulement de passage (transitus), avant de rejoindre sa demeure future, dont il doit se préoccuper avant tout48. Une vingtaine d’années plus tard, le 1er novembre 1237, Eudes de Châteauroux ouvre son sermon pour la même fête par l’énumération des raisons pour lesquelles elle a été instituée, conformément à une pratique attestée chez bien d’autres orateurs, notamment dans leurs sermons au peuple, et un exposé de ce genre sera bientôt canonisé par Jacques de Voragine lui-même, dans le chapitre qu’il consacre à cette fête dans sa Légende dorée, un ouvrage d’abord écrit pour les prédicateurs49.
19Quant aux autres sermons sur des saints particuliers, ils se réduisent dans la série que nous avons pu constituer aux deux figures de saint Vincent, premier patron de l’abbaye dotée, lors de sa fondation, des reliques du saint diacre rapportées de Saragosse, et de saint Germain, qui a donné son nom à l’abbaye à la suite de la translation de ses reliques dans le sanctuaire au milieu du viiie siècle. Pierre le Mangeur, profitant de la coïncidence des fêtes de saint Jacques et saint Christophe, le 25 juillet, avec celle de la translation des reliques de saint Germain, considère en eux trois les types des saints respectivement apôtre, martyr et confesseur. Les autres prédicateurs recourent davantage aux ressources du commentaire exégétique tel qu’il est pratiqué dans les écoles pour privilégier souvent des citations de l’Ancien Testament comme point de départ de l’éloge du saint et de la mise en valeur de son exemplarité. Thomas de Chobham et Philippe le Chancelier, cependant, choisissent l’un et l’autre une même citation de l’Apocalypse (Vincenti dabo edere de ligno vite, Ap 2, 7), qui compte parmi les plus fréquentes dans la prédication sur saint Vincent parce qu’elle joue sur l’homonymie entre vincens, participe présent du verbe vincere, et le nom du diacre martyr d’Espagne, bien connu pour la résistance qu’il a opposée à une série particulièrement cruelle de supplices. L’autre verset choisi par Philippe le Chancelier, Vir obediens loquetur victorias (Proverbes 21, 28), demeure dans le même champ sémantique de la victoire, mais il est beaucoup plus rarement attesté. Cette singularité manifeste le travail des maîtres en théologie sur le texte biblique pour en exploiter les ressources d’une manière quelquefois très inattendue.
20Quant au prévôt de la cathédrale, il fait preuve de plus d’ingéniosité encore dans son sermon pour la fête de la translation des reliques de saint Germain en juillet 1231. Le thème du sermon lui est fourni par le verset de la Genèse (27, 35) dans lequel Isaac déclare à son fils aîné Ésaü : Venit germanus tuus fraudulenter et accepit benedictionem tuam (ton frère est venu par ruse recevoir la bénédiction qui t’était destinée). Le prédicateur fait aussitôt observer que c’est bien le seul passage de l’Écriture où l’on trouve ce terme de « germanus », grâce auquel il va pouvoir faire l’éloge du saint du même nom. Il reconnaît que la mention d’une tromperie par le cadet d’Ésaü, Jacob, dans le verset choisi est troublante, mais s’empresse de rassurer son auditoire : c’est là une figure du mystère d’abord caché puis révélé à Isaac. Il bâtit ensuite tout son sermon sur un jeu de correspondances qui apparaissent aujourd’hui plus souvent habiles que réellement convaincantes. Elles lui permettent en tout cas d’évoquer la vie de prière intense de saint Germain, qui se levait volontiers la nuit pour faire ses oraisons dans l’église ; le destin qui a fait de lui successivement un abbé puis un évêque, ce que figurent les deux épouses de Jacob, Rachel et Lya ; saint Germain est encore exalté comme un ardent promoteur des œuvres de miséricorde et de la discipline monastique faite de mortification de la chair et de renoncement aux nourritures raffinées, de la rudesse des lits et des vêtements, de flagellations, de silence et de psalmodie et autres prières. Le prédicateur conclut en constatant que la translation des reliques de saint Germain commémorée en ce jour a été préfigurée par l’inhumation de Jacob à Hébron dans le tombeau des patriarches : les reliques de saint Germain ont, elles aussi, rejoint dans l’église de l’abbaye d’autres corps saints, dont celui de saint Vincent et ceux de rois francs comme Pépin50 et d’autres grands du royaume.
21Dans les sermons des dimanches et des fêtes du temps, tous les prédicateurs centrent leurs propos, à Saint-Germain-des-Prés comme ailleurs, sur les mystères du salut et sur la façon de conduire une vie chrétienne authentique : éviter les péchés, résister aux tentations et pratiquer les vertus, en particulier la miséricorde envers le prochain. Abbon déjà soulignait tout cela dans ses sermons. Une différence d’accent mérite toutefois d’être notée à propos de la pénitence. Il n’est plus question en effet des rituels publics, si importants deux siècles plus tôt lors de la Semaine sainte, mais qui désormais se raréfient, alors que la pénitence privée s’impose au point de devenir, avec le canon 21 du concile de Latran IV en 1215 sur le devoir de confession et de communion pascale, la norme du bon comportement. Dans ce nouveau contexte, l’accent est mis plus nettement dans les sermons sur le processus qui conduit de la tentation au péché, y compris lorsqu’il s’agit de considérer le péché originel comme le fait Thomas de Chobham dans son sermon du Vendredi saint51.
22La sensibilité aux rites liturgiques persiste cependant, quelquefois avec un esprit d’à-propos qui fournit à l’historien d’aujourd’hui de bons indices pour identifier l’auditoire de moines assistant au sermon. Il en va ainsi d’un autre sermon de Thomas de Chobham, qui fut certainement prêché lors d’un dimanche des Rameaux, puisqu’il mentionne à deux reprises la procession qui a lieu en ce jour dit de « Pâques fleuries »52. Ici, le rite de déambulation de la procession solennelle des Rameaux est probablement utilisé comme lieu de mémoire, par le jeu d’une superposition mentale avec le récit de l’entrée du Christ à Jérusalem qui est donné dans l’évangile du jour. Celui-ci est amplement utilisé par Thomas, bien que le verset thématique de son sermon soit choisi dans Isaïe (46, 4), ce qui est une occurrence rare : Ego feci et ego feram, ego portabo et ego salvabo. Il faut comme le Christ partir de Bethfagé, qui signifie la confession aux prêtres, pour se rendre à Jérusalem et au Mont des oliviers, c’est-à-dire être oint de l’huile de la miséricorde. Il faut, à la manière de ceux qui ont accueilli le Christ lors de son entrée à Jérusalem, répandre sur le chemin les palmes qui sont comme des balais pour nettoyer l’aire du cœur, ou comme des fouets qui nous punissent de nos péchés et comme des branches coupées sur l’arbre du libre arbitre, et que l’on fait brûler au feu de la charité, dont la fumée, qu’elle soit la figure de la prière ou de la pénitence, chasse le diable ; il faut mettre ses vêtements sous les pieds du Seigneur en faisant l’aumône aux pauvres en qui Dieu est présent sur terre parmi les hommes ; il faut enfin chanter au nom du Seigneur en cultivant la bonne renommée, car toute maison religieuse doit être comme le miroir du bien au lieu de puer comme une chandelle qui s’éteint, et chanter Osanna, ce qui signifie « salut », au lieu de se laisser aller aux gémissements, grognements, ululements et autres rugissements animaux, qui sont trop souvent émis par les moines, amateurs de bonne cuisine et des plaisirs du corps ou remplis de convoitise pour les richesses de ce monde.
23Une telle orchestration du propos, à longueur de sermon, est rare. Mais presque toujours, les prédicateurs s’adressent aux moines de l’auditoire à un moment ou à un autre, dans un langage choisi qui leur parle.
24Dans le sermon 11, Thomas de Chobham évoque la prière des Psaumes53, dans un autre sermon les grâces dites après chaque heure du temps liturgique54, dans un autre encore le « cloître du cœur » qui ne doit pas être ouvert à l’invasion des vices55, et Philippe le Chancelier fait mémoriser les vices à combattre en situant ce combat dans les quatre lieux de la maison de religion, ce « paradis » dont les moines doivent s’efforcer de ne pas être expulsés comme Adam le fut du paradis terrestre : le dortoir où la continence réprime la luxure, le réfectoire où la gourmandise est contrôlée par la sobriété, la salle du chapitre où la cupidité est condamnée par le devoir d’obéissance et par la renonciation à la propriété individuelle, l’oratoire où l’orgueil est rabaissé par l’humilité du geste de la génuflexion56.
25Pierre le Mangeur, dans son premier sermon pour la fête de la translation des reliques de saint Germain, décrit celui-ci, en tant que saint confesseur, à la fois sous les traits du témoin, qui a pour fonction dans l’Église de dire ce qu’il faut croire et éviter, et sous les traits du saint patron du lieu aux pieds duquel les moines veillent en sentinelle. Tout à la fin de ce sermon de haute tenue doctrinale sur la typologie des témoins, le prédicateur, avec beaucoup d’esprit, met en garde les moines contre l’illusion qu’il leur suffirait de se cacher loin de tout témoin pour se permettre des écarts de conduite en toute sécurité, parler pendant les temps de silence en se disant que « les murs n’ont pas d’oreilles » et remplacer la nourriture ordinaire par de bons plats bien assaisonnés et bien arrosés. Même s’ils se retirent pour cela dans une lointaine dépendance (cella) du monastère, leur saint patron Germain ne dort jamais, entend tout et voit tout, et a le devoir de veiller sur eux et de les contrôler. Qu’ils prennent garde donc, car saint Germain ne peut être trompé, et gardera tout cela en son cœur pour en porter témoignage57…
26Dans la forme et le fond, le message se colore parfois de détails qui inscrivent davantage encore le propos dans un contexte daté. Ce peut être un trait culturel, comme cette jolie histoire qu’Eudes de Châteauroux, à propos de l’adulation, est allé puiser dans le Roman de Renart58. Au terme d’une chasse fructueuse, Lion, Ysengrin le loup et Renart le goupil doivent se partager leurs proies. Tandis qu’Ysengrin réclame sa part sans mesure et est aussitôt puni de sa convoitise en se faisant déchirer jusqu’au sang la peau du crâne par un coup de patte de Lion, Renart obtient d’être complimenté par Lion après avoir déclaré que la moitié des produits de la chasse doit aller au roi des animaux, un autre quart à sa dame Lionne et le reste à leur rejeton le lionceau. Et quand le roi lui demande qui lui a appris à si bien partager, il réplique, désignant Ysengrin : « Sire, c’est cet individu qui est assis là avec son chapeau rouge ! »
27Le monde animalier est par ailleurs un vrai réservoir d’images dans lequel Thomas de Chobham puise volontiers pour donner de la couleur et de l’esprit à son propos59. Glosant, au début de son sermon pour les Rameaux, sur l’âne qui servit de monture au Christ lors de son entrée à Jérusalem, il y voit comme beaucoup d’autres l’image de la chair que Jésus a choisi de revêtir pour venir parmi les hommes, ajoutant que chacun doit désormais préparer l’âne qu’est sa propre chair afin de devenir digne de porter d’un pas mesuré un tel cavalier. Il entreprend alors d’observer en des considérations nourries et plutôt plaisantes la nature de l’âne, figure de la chair de l’homme pour sept raisons selon lui : (1) Si l’âne est beau quand il naît, il ne le reste guère ; (2) il va lentement ; (3) il ne chante pas mais pousse d’horribles cris quand il brait ; (4) malgré ses grandes oreilles il entend mal ; (5) il est si timide qu’il n’ose pas passer les ponts et qu’il a peur de tout ce qui ne lui est pas familier ; (6) il est préposé au transport des charges les plus viles, que ce soient les lépreux, les gens perclus ou de simples sacs, et le fait avec une force qui réside dans son arrière-train ; (7) il porte une croix au sommet de son échine dorsale. De même, la chair enlaidit en vieillissant, elle est lente à accomplir de bonnes œuvres, elle pousse d’horribles cris quand on la prive de plaisir, elle n’entend pas de bonne grâce les appels à la mortification, elle ne passe pas volontiers le pont qui l’éloigne de ce qui la séduit, elle n’est qu’un sac de saletés et met toute sa force à fréquenter les lieux où l’on s’adonne sans mesure à la boisson, et pourtant elle devrait se crucifier avec les vices et la concupiscence pour mériter de devenir le siège de son Seigneur60.
28Thomas de Chobham recourt aussi à une métaphore datée, celle de l’usure, qui trouve certainement un écho particulier en ces temps où une grande partie de la population vit à crédit, ce qui rend familier à tous le prêt à intérêt. Les moines de Saint-Germain l’ont probablement pratiqué comme les autres communautés nanties de grands biens, et vers le milieu du xiiie siècle, ils ont aussi accueilli dans le bourg dont l’abbaye détient la seigneurie trois banquiers siennois, placés sous la sauvegarde de l’abbé61. Maître Thomas est donc bien inspiré, le jour du Vendredi saint où il parle de la rédemption par le Christ crucifié, de recourir avec insistance à cette métaphore de l’usure pour signifier les échanges entre Dieu et les hommes, adaptant une exégèse déjà présente chez saint Augustin à l’expérience quotidienne du début du xiiie siècle62. Alors que les hommes attendent de Dieu pour chacune de leurs œuvres une récompense au centuple, ils doivent savoir, déclare-t-il au début de son sermon du Vendredi saint, que Dieu fait de même à leur égard. Il leur a consenti lors de sa passion un prêt qui appelle restitution, et qu’ils ont bien du mal à honorer, tant ils sont pauvres spirituellement, et démunis devant « l’usure vorace et le prêt avide de temps » que dénonce le poète Lucain, alors que le temps passé dont ils devront rendre compte ne leur appartient plus et qu’ils ignorent tout du temps futur. Ce mode d’échange par contrat de prêt, en tout cas, Dieu a voulu le réserver aux relations entre lui et les hommes : ils ne doivent donc pas y recourir entre eux, mais seulement attendre la récompense due pour le service rendu à autrui, et ils doivent encore plus s’en prémunir lorsque l’usurier est le diable, qui n’a pour tout argent à prêter que les péchés, mais qui exige une lourde usure, celle de sept péchés mortels pour un premier péché commis, et qui de plus s’approprie en gage l’âme du pécheur.
29En définitive, on serait tenté de conclure que les sermons prêchés à Saint-Germain-des-Prés dans cette période de forte intensification de l’activité de prédication se distinguent surtout de ceux d’Abbon par des manières d’enseigner différentes tandis que sur le fond ce sont souvent les mêmes sujets qui sont abordés. Un prédicateur cependant fait exception en abordant un sujet plus inattendu. Il s’agit de Philippe le Chancelier dans son deuxième sermon pour la fête de saint Vincent63, composé sur le verset des Proverbes Vir obediens loquetur victorias. Tout le début du discours s’apparente à un enseignement ad status, dans lequel le Chancelier met en garde les moines contre les vices et leur recommande l’obéissance, conformément à ce que dit son verset initial, afin d’immoler (mactari) leur volonté propre. Mais vers le milieu du sermon64, il introduit tout à coup, à côté du moine appelé à l’obéissance, le clerc des écoles qui devrait, lui aussi, soumettre sa raison à l’obéissance, afin de s’apprêter à monter vers la « cité des palmes », c’est-à-dire la sainte Écriture. En y appliquant leur intelligence, ces clercs confesseraient alors le don du ciel qu’est la grâce de Dieu, au lieu de s’approprier cette intelligence qu’ils doivent renoncer à posséder comme un bien propre. Ceux qui sont « victorieux » conformément à l’enseignement du verset des Proverbes n’habitent pas Cariath Sepher, dont le nom veut dire « la cité des lettres » et signifie la science du droit romain transmise par Justinien, par laquelle est guidé le gouvernement des villes, et qui se contente de comprendre les textes selon la lettre65. La « cité des palmes », cependant, a besoin de combattants, de ceux-là surtout qui viennent des arts libéraux où ils ont fait leur apprentissage, et doivent être allégés de toute affaire séculière, pour se mettre au service de la théologie qui interprète les textes selon leur sens spirituel. Mais il en est qui, tantôt avocats et tantôt prédicateurs, cumulent l’étude de l’Écriture et le service des lois, alors qu’il leur faudrait choisir entre le Christ et « Vulpinianus66 ». Attirés par les sciences lucratives, convaincus que celui qui manque du nécessaire a intérêt à chercher comment s’enrichir plutôt que se laisser aller à « philosopher67 », ils feraient bien d’interroger Dieu dans leurs prières, qui leur répondra sans doute de « rechercher d’abord le royaume de Dieu », c’est-à-dire la sainte Écriture.
30Il est regrettable de ne pas connaître la date précise de ce sermon, certainement postérieur à la promulgation de la bulle Super speculam (1219) qui comportait l’interdiction d’enseigner le droit civil à Paris. On s’interroge toujours aujourd’hui sur les motifs et l’efficacité de cette interdiction68. Les propos de Philippe le Chancelier viennent au moins corroborer l’idée, défendue par certains sans pouvoir y apporter jusqu’à présent l’appui de témoignages précis, que le pape cherchait à préserver la théologie de la concurrence d’autres disciplines. L’image forte de la « cité des lettres » (Cariath Sepher) empruntée à l’Écriture est d’autant plus frappante qu’elle figure aussi au tout début de la fameuse bulle Parens scientiarum du 13 avril 1231, considérée parfois comme la « grande charte » de l’Université de Paris69. Cette bulle a mis un terme à la période de crise marquée par l’exode des maîtres et étudiants loin de Paris et notamment à Orléans. Philippe le Chancelier, mêlé de près à cette crise, pourrait bien donner ici un autre écho de l’attention qu’il a prêtée aux affaires de l’université dans les années 1229-1231, aussitôt après l’échec de sa candidature au siège épiscopal de Paris en 1227-122870. Faut-il supposer un lien entre Parens scientiarum et le sermon de Philippe ? Les deux textes partagent le recours au nom de Cariath Sepher, ce qui pourrait être un autre indice de leur proximité chronologique. L’interprétation, cependant, en est radicalement différente : là où la bulle se coule dans une tradition attestée depuis plusieurs décennies, qui fait de Cariath Sepher la figure de Paris, cité florissante des lettres71, Philippe le Chancelier, lui, choisit d’opposer les juristes, tenants de la lettre, aux théologiens passés maîtres dans la distinction des sens spirituels de l’Écriture.
31Ce parcours trop rapide de sermons méconnus appellera certainement de nouvelles investigations à l’avenir. Il permet du moins de constater que la prédication, même s’il n’en subsiste que des traces, est une vraie source pour les historiens, susceptible de révéler de manière souvent inattendue de précieux trésors cachés.
Notes de bas de page
1 « Postquam primus homo fuit factus, non cessavit Dominus mittere predicatores et castigatores in populo suo, quo illi predicatores insinuassent hominibus Deum timere et amare et obedire », Abbo von Saint-Germain-des-Prés 22 Predigten. Kritische Ausgaben und Kommentar, éd. Ute Önnerfors, Francfort, Berne, New York et Nancy, Verlag Peter Lang (Lateinische Sprache und Literatur des Mittelalters, Bd. 16), 1985, sermon 3, p. 79, § 5.
2 Thomas de Chobham Sermones, éd. Franco Morenzoni, Turnhout, Brepols (CCCM 82A), 1993, sermo IV (in die Omnium sanctorum), p. 39, l. 12-24.
3 Les textes anciens ne sont pas localisés et leur lien avec l’abbaye est seulement documenté par la présence dans la bibliothèque des manuscrits qui les contiennent. Il en va ainsi d’un sermon de sancto Germano copié au ixe siècle en grosse minuscule caroline dans un livret de dix-huit folios (27,2 × 21 cm et 18 × 13 cm, 18 lignes), aujourd’hui conservé à Saint-Pétersbourg, Lat. Q.v.I.36 : Sermo de s.to confessore // xpi germano (ajout en cursive plus récente : parisiensi ep.o) // [Inc.] In beatissimi confessoris xpi almi // germani veneranda solempni // tate… [Expl.] solus habet immortalitatem // et lucem habitat inaccessibilem // quem nemo hominum uidit // nec uidere potest cui honori // et gloria in s.cla s.clorum am[en]. Notice de Dom Antonio Staerk, O.S.B., Les Manuscrits latins du ve au xiiie siècle conservés à la bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg, tome I. Description, Textes inédits, Reproductions autotypiques, Saint-Pétersbourg, Krois, 1910, p. 49 ; à la suite, la transcription intégrale du texte, p. 49-52, et une reproduction en noir et blanc du premier feuillet (pl. xiii). Je remercie vivement Charlotte Denoël de m’avoir signalé ce texte, et d’avoir complété mon information sur le manuscrit avec l’aide de la conservatrice des manuscrits occidentaux de cette bibliothèque, qui lui a communiqué, en la complétant, la teneur de la notice manuscrite rédigée en français par Olga Dobias-Rozdestvenskaja. Au folio I, une mention manuscrite (xviiie s.) indique : « Ex musaeo Petri Dubrowsky. » ; la reliure est du début du xixe s., en carton recouvert de papier rose (dos et coins en cuir rouge).
4 Voir la notice qui lui est consacrée dans la Clavis des auteurs latins du Moyen Âge. Territoire français, 735-987, t. I, Abbon de Saint-Germain-Ermold le Noir, éd. Marie-Hélène Jullien et Françoise Perelman, Turnhout, Brepols (CCCM, Clavis Scriptorum Latinorum Medii Aevi, Auctores Galliae, I), 1994, p. 3-7. Trente-huit textes (dont l’attribution n’est pas toujours certaine) sont répertoriés dans Johannes-Baptist Schneyer, Repertorium der Lateinischen Sermones des Mittelalters für die Zeit von 1150-1350, vol. I, Münster, Aschendorff, 1969, p. 33-35.
5 Dom Jean Leclercq, « Le florilège d’Abbon de Saint-Germain », Revue du Moyen Âge latin 3, 1947, p. 113-140 ; Ute Önnerfors, Abbo von Saint-Germain-des-Prés 22 Predigten, op. cit. (n. 1) (en réalité, 24 textes si l’on tient compte des pièces 2a, 21a et 22a, et du fait qu’il n’y a pas de pièce numérotée 17).
6 Il s’agit de Pierre le Mangeur et Philippe le Chancelier, tous deux chanceliers de Notre-Dame de Paris ; Thomas de Chobham, sous-doyen de Salisbury ; Eudes de Châteauroux, maître en théologie à Paris (sermon donné en 1237). Un autre sermon, daté du 25 juillet 1231, est attribué au prévôt du chapitre cathédral dans la rubrique du manuscrit qui le transmet (voir sur ce point infra).
7 Sermon 16, éd. citée (n. 4), p. 149-165, à la p. 154, § 21 : « Sicut nos dicimus sancta sanctorum uel cantica Salomonis cantica canticorum pro illorum magnitudine, ita quoque et hec dies resurrectionis appellatur sollennitas sollennitatum. Nichil enim nos adiuuasset natiuitas Domini, si non fuisset resurrectio ».
8 Le choix de la date du 1er novembre et l’extension de la célébration solennelle de la fête à toutes les églises de Gaule et de Germanie remontent à l’année 835 : voir Henri Leclercq, « Toussaint », dans Dictionnaire de théologie chrétienne et de liturgie, t. XV, 1953, col. 2677-2682.
9 L’orateur y interpelle son auditoire en déclarant : « Nos episcopi […] eiecimus vos foras de ecclesia », p. 127, § 18.
10 Sermon 12, p. 120, § 9 : « Nos fratres, qui sumus clerici, episcopi et sacerdotes, nos tenemus locum Christi et sumus vicarii eius […] ergo scitote ueraciter, quia numquam eritis humiles et fideles Dei, si nostras ammonitiones despexeritis. » Abbon a pu ici donner un modèle à ses commanditaires évêques, comme dans le sermon 12 d’ailleurs.
11 On trouve seulement des vestiges de la langue vernaculaire sous deux mots à désinence latine (bercilosus pour berceau et focus pour feu) dans le sermon 3, aux p. 82-83, § 15 et 19. Il faut par ailleurs rappeler l’insistance des conciles carolingiens en faveur du recours à la langue vernaculaire dans la prédication au peuple : voir Michel Zink, « La prédication en langues vernaculaires », dans Le Moyen Âge et la Bible, éd. Pierre Riché et Guy Lobrichon, Paris, Beauchesne (Bible de tous les temps, 4), p. 489-516 ; les principaux textes législatifs carolingiens sur ce point sont cités et commentés par Michel Lauwers, « Parole de l’Église et ordre social : la prédication aux viiie-ixe siècles », dans Le christianisme en Occident du début du viiie au milieu du xie siècle. Textes et documents réunis par François Bougard, Paris, SEDES (Regards sur l’Histoire. Histoire médiévale), 1997, p. 87-107.
12 Sermon 6 « adversus raptores bonorum alienorum », éd. citée (n. 4), p. 94-99.
13 « O Francia, custodi temetipsam ! Nolite uestros inimicos multiplicare et crescere sed, sicut commendat Scriptura, pugnate pro patria vestra, nolite timere mori in bello Dei. Certe si ibi mortui fueritis sancti martyres eritis » (éd. citée, sermon 6, p. 98). Pugna pro patria : Pseudo Cato, Distiche, Brevis sententia 23, éd. Marcus Boas, p. 19 ; Hans Walther, Proverbia Sententiaeque Latinitatis Medii Aevi. Lateinische Sprichwörter und Sentenzen des Mittelalters in alphabetischer Anordnung, 6 vol., Göttingen, 1963-1969, 22840 A.
14 « Quomodo potestis uos Deo placere et uictoriam habere qui semper habetis uestras manus plenas de periuriis et de rapinis ? Quantis uicibus uos ambulatis in aliquo itinere, semper manducatis pauperes homines et predatis uillas ecclesiarum Dei et propterea sunt uestre manus ligate de catenis peccatorum et non potestis habere uictoriam » (sermon 6, p. 95, § 6).
15 « Scitote quod omnes sancti quorum homines et uillas predatis cotidie uos accusant ante Dominum die ac nocte ; et propter hec mala que uos facitis et consentitis uestris hominibus facere contra sanctos Dei non adiuuat uos Deus de paganis et pestilentiis que ueniunt in regno nec dat uobis uictoriam, ut possitis expugnare sancte Dei ecclesie inimicos » (sermon 11 « aduersus raptores qui bona pauperum hominum diripiunt », § 13, p. 116) ; l’expression « patrimonia pauperum » pour désigner les biens d’Église se trouve à la fin du sermon 24 « aduersus eos qui res ecclesiasticas diripiunt », p. 202, § 11.
16 « Quomodo poterimus inimicos nostros deuincere, cum sanguis fratrum nostrorum ab ore nostro distillat et manus nostre plene sunt sanguine et brachia pondere miseriarum et rapinarum grauantur totaque uirtus animi corporisque debilitatur ? Preces nostre a Deo non recipiuntur, quia clamores et ploratus atque suspiria pauperum et orfanorum, pupillarum atque uiduarum preoccupant et preueniunt uoces nostras, que crudelitatibus fratrum nostrorum grauate raucitudinem acceperunt, nullam sonoritatem uirtutum habentes » (sermon 11 p. 114, § 6).
17 Sermon 6, p. 97-98, § 16.
18 « Istam profecto ciuitatem Dei cotidie certant penitus destruere huius seculi amatores iniusti et sacrilegi predando omnibusque flagellis affligendo. Quinam sunt isti rapaces lupi qui sine cessatione persequentes deuorant et depannant christianitatem ? In orientis partibus mundi et australibus Idumei et Ismahelite, Moabite et Agareni, Ammonite et Amalechite, simulque illis peiores pseudocristiani. In clymate uero septemtrionali et occidentali gens normannica pariterque danica, sed et impiissima Tungrorum (sic pro Hungarorum ?) natio » (sermon 14, p. 145, § 49-50). Sur la restitution plausible de « Hungarorum », voir la note de l’éditrice aux p. 283-285.
19 Entre autres, grâce à l’important fisc d’Issy, bien que les possessions foncières du monastère soient convoitées par les puissants laïcs d’Île-de-France. C’est du vivant d’Abbon qu’apparaît la fonction nouvelle d’abbé laïque de Saint-Germain-des-Prés, dévolue à Robert, l’ancêtre de Hugues Capet (ce dernier la détiendra encore et ne s’en démettra qu’en 979), et permettant à ses détenteurs de s’approprier une partie des revenus de l’abbaye. Sur l’abbaye, sa fondation au milieu du vie siècle et sa dotation par Childebert, voir Gallia christiana VII, 416-474 ; Françoise Lehoux, Le bourg Saint-Germain-des-Prés depuis ses origines jusqu’à la fin de la guerre de Cent Ans, Paris, 1951 ; Adrien Friedmann, Paris, ses rues, ses paroisses, du Moyen Âge à la Révolution, Paris, Plon, 1959, p. 11 (fisc d’Issy).
20 Sermon 15 « de statu et de qualitate sepulchri Domini », p. 147-148.
21 Voir sur ce point Geneviève Bresc-Bautier, « Les imitations du Saint-Sépulcre de Jérusalem (ixe-xve s.). Archéologie d’une dévotion », Revue d’histoire de la spiritualité 50 (Iconographie et spiritualité), 1974, p. 319-342.
22 C’est là le sujet principal de son sermon 14 « de fundamento et incremento christianitatis », p. 133-146.
23 Voir notamment le sermon 6, où le motif des boni homines est particulièrement insistant.
24 Sermon 5, p. 91, § 18.
25 Sermon 2a, p. 77, § 17-20 : « Beatus Iohannes non erat uestitus de mollibus, hoc est de sericis uestibus, sed de pilis camelorum […]. Et certe grande peccatum est illa preciosa pallia portare que plus conueniunt altaribus ecclesie quam faciant nostris putribilibus membris. »
26 Sermon 8, p. 105, § 8.
27 Sermon 10, p. 111, § 5.
28 Sermon 6, p. 95-96, § 9.
29 Sur l’aumône aux païens, sermon 23, sur l’évangile de Luc 6, 36-42, Estote misericordes, p. 197, § 15 : « Perfectus autem omnis erit si sit sicut magister eius [Lc 6, 41] […]. Et tunc eris tu perfectus, si tu donas bona tua non solum christianis pauperibus sed et paganis pro amore Dei. »
30 C’est le cas dans les sermons 2a, 18, 20, 22 et 22a.
31 Sermon 16, p. 149-152, § 1-13.
32 Dhuoda, Manuel pour mon fils. Introduction, texte critique, notes par Pierre Riché, traduction par Bernard de Vrégille et Claude Mondésert, Paris, Éditions du Cerf, 1975 (Sources chrétiennes, 225) ; sur les livrets de prière privés, voir Jean-Paul Bouhot, « Livrets de prières carolingiens », dans Prier au Moyen Âge. Pratiques et expériences (ve-xve siècles), textes traduits et commentés sous la direction de Nicole Bériou, Jacques Berlioz et Jean Longère, Turnhout, Brepols, 1991, p. 23-31.
33 Les sermons 10 et 13 sont prêchés en cette circonstance. Dans le sermon 13, Abbon rappelle l’expulsion des pécheurs hors de l’église, le mercredi des cendres (p. 124, § 4). Sur les deux formes de pénitence, publique et privée, stabilisées à l’époque carolingienne, voir Cyril Vogel, Le pécheur et la pénitence au Moyen Âge, Paris, Éditions du Cerf, 1969, p. 24-27 ; Rabanus Maurus, De clericorum institutione ad Haistulphum archiepiscopum, II, 30, Pl. 107, col. 342-343.
34 Sermon 7, p. 100-103 ; voir aussi sermon 13, p. 3-4, p. 123-124.
35 Le sermon 5, pour le quatrième dimanche de carême, sur l’évangile de Jean 6, 1-10, explicite d’emblée ce modèle de conversion conforme à la résurrection de Pâques : « illi homines qui uolunt post nostrum Dominum ascendere in celum, illi debent transire de amore istius seculi ad amorem Dei. Unde et conuenienter sequitur (Jn 6, 4) : Erat autem proximum pascha, dies festus. Pascha interpretatur transitus. Et nos, fratres, facimus pascha, hoc est transitum de malis operibus ad bonas operationes, si nos hoc volumus quod noster Dominus nos pascat spiritualiter » (p. 88-89, § 4-5).
36 Sermon 13, p. 124-129, § 5-19.
37 Sermon 4, p. 86-87, § 11-17.
38 Notamment, les Homélies sur les Évangiles de Grégoire le Grand et les sermons d’Haimon d’Auxerre, comme l’a constaté Ute Önnerfors.
39 James E. Cross et Alan Brown, « Literary impetus for Wulfstan’s Sermo Lupi », Leeds Studies in English 20, 1989, p. 271-291. Sur la tradition manuscrite de la collection, voir Ute Önnerfors, introduction à l’édition, p. 19-41.
40 « Nec solum celeber Iohannes qui supernum iudicem nunciauit angelus, id est nuncius, appellatur, uerum etiam omnes clerici siue laici qui peccantes redarguunt, qui penas supplicii minantur peccantibus, qui gaudia eterna promittunt bene facientibus donec uerbis sacre erudicionis insistunt, profecto angeli uocantur, hoc est nuncii Domini, quia legacione diuina funguntur » (sermon 2, p. 73-74, § 8).
41 Petri Comestoris sermo XXIV in festo sancti Jacobi apostoli, sancti Christophori martyris et sancti Germani confessoris, ad regulares (Patrologia latina [désormais PL] 198, col. 1778-1782) ; sermo XXV in festo eorumdem (PL 171, col. 644-650, s. n. Hildeberti Cenomanensis, sermo 63) ; et aussi, sans doute, sous le nom du même Hildebert de Lavardin, sermon 64, PL 171, col. 650-656, certainement prêché à des moines, comme l’indique le passage : « Vah ! Tota die es in claustro ubi aer est inclusus : bonum esset tibi ut foras exiret » (col. 655 B). Sur la prédication de Pierre le Mangeur, voir Jean Longère, Œuvres oratoires de maîtres parisiens au xiie siècle. Étude historique et doctrinale, Paris, Institut d’Études augustiniennes, 1975, 2 vol. ; en dernier lieu, Franco Morenzoni, « L’ars praedicandi de Pierre le Mangeur », dans Pierre le Mangeur ou Pierre de Troyes, maître du xiie siècle. Études réunies par Gilbert Dahan, Turnhout, Brepols (Bibliothèque d’histoire culturelle du Moyen Âge, 12), 2013, p. 225-240.
42 Ces sermons ont tous été édités par Franco Morenzoni (CCCM 82A : voir plus haut, n. 1), qui n’a toutefois pas précisé la composition des auditoires, probablement mixtes (clercs des écoles reportateurs, et moines à qui s’adressent directement divers passages).
43 Voir Johannes-Baptist Schneyer, Repertorium der Lateinischen Sermones des Mittelalters für die Zeit von 1150-1350, Bd. 4, Münster, Aschendorff, 1972, s. n. « Philippus Cancellarius », p. 827 (désormais cité : RLS), nos 134 et 135. Ces sermons, inédits, se trouvent dans la série des Sermones festivales de Philipe le Chancelier, que j’ai consultés dans le manuscrit Avranches BM 132, f. 64rb-66ra et f. 66ra-68vb. Sur l’auteur, voir Nicole Bériou, « Philippe le Chancelier », dans D. Sp., XII/1, 1984, col. 1289-1297. Pour une mise à jour des connaissances sur sa vie et son œuvre, voir aussi désormais : Philippe le Chancelier, prédicateur, théologien et poète parisien du début du xiiie siècle. Études réunies par Gilbert Dahan et Anne-Zoé Rillon-Marne, Turnhout, Brepols (Bibliothèque d’histoire culturelle du Moyen Âge, 19), 2017.
44 Sermon inédit, conservé dans Paris, BnF, n.a.lat. 338, f. 227r-232v. Sur ce recueil, voir Marie-Madeleine Davy, Les sermons universitaires parisiens de 1230-1231. Contribution à l’histoire de la prédication médiévale, Paris, Vrin, 1931 ; Nicole Bériou, L’avènement des maîtres de la Parole. La prédication à Paris au xiiie siècle, Paris, Institut d’Études augustiniennes, 1998 (datation des sermons : vol. II, p. 683-686).
45 Sermon inédit, conservé dans Paris, BnF, lat. 16471, f. 162rb-163ra. Sur la datation de ce texte, voir Nicole Bériou, L’avènement des maîtres de la Parole…, op. cit. (n. 44), vol. I, p. 96 et n. 86, et vol. II, p. 687.
46 Sermon 5, p. 52-63.
47 La même trilogie est encore mentionnée et commentée dans le sermon 6 de Thomas de Chobham, p. 66, l. 80. Sur cette tradition monastique, voir Siegfried Wenzel, « The Three Enemies of Man », Mediaeval Studies 29, 1967, p. 47-66.
48 « Sanctus agios dicitur grece ab “a” quod est sine et “ge” quod est terra. Vnde agios quasi sine terra. Si ergo sancti esse volumus, sine terra simus, id est sine amore terrenorum » (sermon 4, p. 41, l. 91-93 ; cf. Origène, Homiliae in Leviticum, hom. 11, Patrologia graeca 12, 530 D ; Sources chrétiennes 287, 148). Sur la banalité de cette étymologie au xiiie siècle, voir Nicole Bériou, « Saints et sainteté dans la prédication de Ranulphe de La Houblonnière », dans Horizons marins, itinéraires spirituels (ve-xviiie s.). Vol. I : Mentalités et sociétés, éd. par Henri Dubois, Jean-Claude Hocquet et André Vauchez, Paris, Publications de la Sorbonne, 1987, p. 3-13, à la p. 5.
49 Voir lacopo da Varazze, Legenda aurea, cap. CLVIII : De festivitate omnium sanctorum, éd. Giovanni Paolo Maggioni, Florence, SISMEL, Edizione del Galluzzo, 1998, vol. II, p. 1099-1112.
50 En réalité, Pépin (ainsi que Berthe, son épouse) a été inhumé dans l’église bâtie à son initiative sur le site de la basilique de Saint-Denis.
51 Sermon 6 (in die crucis), p. 64-74.
52 Thomas de Chobham, sermon 11, p. 111-121, aux p. 113, l. 111-113 et 114, l. 168 et suivantes ; « pasca floridum » : p. 118, l. 278. On lit coutumièrement ce jour-là l’évangile relatant comment, lors de l’entrée solennelle du Christ à Jérusalem, il est accueilli par le peuple qui porte des rameaux, dépose des vêtements sur le chemin qu’il va emprunter et chante sur son passage Osanna. Toute la dernière partie du sermon développe longuement le commentaire de cet évangile, aux p. 117-121.
53 « [Sarra] cum inclusa esset in tabernaculo, cururrit ad hostium ut per rimas aspiceret que extra agebantur et ibi stultum risum fecit, in Genesi XVIII. Vnde et ab angelo meruit increpari. Tales sunt claustrales qui habent aures erectas ad rimas claustri. Tales cum legunt psalterium debent scire quod legunt librum soliloquiorum. Ideo dicitur liber soliloquiorum, quia fere per illum totum librum dirigitur sermo ad solum Deum, non ad angelos, neque ad Petrum, neque ad Paulum, nec ad alios sanctos. Vnde in omnibus octonariis, post tres primos uersus, non loquitur Psalmista nisi ad solum Deum. Vide ergo ne ore loquaris Deo et corde cum diabolo uel cum mundo » (p. 110-111, l. 34-45).
54 Sermon 4, p. 48, l. 338-341 : « Tertium est gratiarum actio, a qua umquam cessare debemus. Vnde post omnes horas dicimus Deo gratias, et tam de bonis quam de malis, id est tam de prosperis quam de adversis. »
55 Sermon 5, p. 56, l. 136-139 : « Et quamdiu ianua clausa est, non timemus iacula carnis, uel mundi, uel diaboli ne intrent in claustrum cordis nostri, set saluum et integrum est claustrum donec consensus ianuam aperiat. »
56 RLS n° 134, d’après Avranches, BM 132, f. 65ra.
57 PL 198, col. 1782.
58 Paris BnF, lat. 16471, f. 163ra. La même histoire est racontée par Étienne de Bourbon, De septem donis, IVa pars (de fortitudine), octavus titulus (de invidia), à propos de l’adulation également : voir Anecdotes historiques, légendes et apologues tirés du recueil inédit d’Étienne de Bourbon, dominicain du xiiie siècle, publiés pour la Société de l’Histoire de France par Albert Lecoy de La Marche, Paris, Librairie Renouard, 1877, p. 332-333, n° 376.
59 Sur l’importance de ce registre dans la prédication, voir : L’animal exemplaire au Moyen Âge (ve-xve s.), éd. Jacques Berlioz et Marie Anne Polo de Beaulieu, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1999. Le point de vue de Thomas de Chobham, d’après sa Summa de arte praedicandi, y est considéré par Franco Morenzoni, « Les animaux exemplaires dans les recueils de Distinctiones bibliques alphabétiques du xiiie siècle », p. 171-190.
60 Sermon 11, p. 113-114, l. 122-167.
61 Raymond Cazelles, Nouvelle histoire de Paris, de la fin du règne de Philippe Auguste à la mort de Charles V (1223-1380), Paris, Hachette, 1972, p. 377.
62 Sermon 6, p. 64-66. Dans ses Enarrationes in Psalmos, saint Augustin compare l’aumône au prêt à intérêt (En. in Ps. 36, 3, 6, PL 36, col. 386-387), et dans un de ses sermons, il introduit l’idée d’une forme de marché avantageux entre Dieu et les hommes, qui reçoivent au centuple de ce qu’ils lui donnent : « Ecce mihi da, dicit tibi Deus : ego accipio minus, et do plus. Quid ? Centuplicia et vitam eternam » (Sermon 240, PL 38, col. 1128).
63 RLS n° 135, Avranches, BM 132, f. 66ra-68vb.
64 Ce long développement se trouve aux folios 66vb-67vb.
65 « Caria sepher interpretatur “ciuitas litterarum”, hoc est scientia iuris ciuilis in quo nichil intelligitur secundum spiritum sed secundum litteram, ideo ciuitas litterarum dicitur quia in illa non docuntur nisi iura ciuitatum per que regi habeant ciuitates. Forsitan ipsa est ciuitas litterarum de qua dicitur (Ps 70, 15) : Quoniam non cognoui litteraturam introibo in potentiam Dei. Sed quomodo ? Utique non est dubium quin bona sit ciuitas litterarum et uigentis supellectilis amplissima […] laudanda est ergo ciuitas illa sed eo modo quod laudatur ab origine sciencia Balaham, sciencia quoque bona sed Balaham malus, ut habetur in canonica Iude (11) : Ve ergo hiis qui cum Balaham mercede effusi sunt. Non ita sunt qui inhabitant ciuitatem litterarum, unde plangit eam Ysaias (I, 21) : Quomodo facta est meretrix (ciuitas fidelis) que prostat et in questu pro meretrice sedet plena iudicii. Ciuitas ipsa est scrinium iuris. Vide quid sequitur (Is 1, 23) : Principes tui infideles socii furum omnes diligunt munera sequuntur retributiones. Ideo ergo dicitur quod non cognoui litteraturam, non quia cognoscere litteraturam malum sit, sed quia exercere negociationem. Prelati enim detinentur hodie per negociationem et impediuntur introire potentiam Domini. Potentia Domini dicitur sacra Scriptura, sicut et regnum Dei et ciuitas palmarum, per quam potentiam uitia expugnantur, quia nihil est per quam maxime diuina clarescit potentia sicut quando uirtute uerbi eius anime conuertuntur, quod maius est quam creare celum et terram et de lapidibus filii Abrahe suscitantur ut Mat. III (3, 9). In istam non intrant detenti per negociationem […] isti enim tumidi et inflati farrigine litterarum, quia inhabitant Cariasepher et humilem Christi phylosophiam contempnunt et ideo merentur ut iam non dicatur ciuitas illa ciuitas literarum sed Dabyr quod interpretatur loquela. Ipsi enim non dicendi sunt litterati sed emphatice ipsa loquela siue ipsa uerbositas. » Les interprétations des noms propres des deux villes, citées dans Josué 15, sont données, pour Cariath Sepher, dans le texte biblique même (Jos 15, 15) et pour Dabyr, par Jérôme, Liber interpretationum hebraicorum nominum : voir Mathias Thiel, Grundlagen und Gestalt der Hebräischkenntnisse des Frühen Mittelalters, Spoleto, Centro italiano di Studio sull’alto Medioevo (Biblioteca degli Studi Medievali, 4), 1973, p. 284 et p. 274.
66 « Ciuitas ista uiros exercitatos et maxime militia artium liberalium expeditos et non ratiociniis impeditos quod optime significatur in Genesi (14, 14), quos enim assumpsit Abraham ut liberaret fratrem suum a quinque regibus. Ibi dicitur quod numerauit CCC et XVIII uernaculos expeditos. Tales militant theologie, scilicet a secularibus negotiis expediti et uernaculi, id est in domo eius nutriti. Hoc etiam dicit propter illos qui cum accesserunt ad sacram Scripturam adhuc inseruiunt legibus et lingua eorum stipendarie famulatur aduocationi. Nunc sancte militant predicationi, nunc euangelio, nunc codici. Attende, miser, quod coangustiatum est stratum et utrumque capere non potes et necesse est quod alter decidat aut Christus aut Vulpinianus ». Faut-il comprendre ici que le jeu de mots est entre le nom latin du renard (vulpis) et le nom du jurisconsulte romain Ulpien (plutôt que celui de Justinien), comme me l’a proposé Jacques Berlioz, que je remercie de cette suggestion ?
67 « Dicunt tamen melius esse ditari quam phylosophare indigenti necessariis » : il s’agit toujours ici de l’humilis phylosophia Christi mentionnée plus haut, en d’autres termes, de la théologie fondée sur l’exégèse de l’Écriture, qui conduit à prêcher pour convertir les âmes.
68 Voir Nathalie Gorochov, Naissance de l’université. Les écoles de Paris d’Innocent III à Thomas d’Aquin (v. 1200-v. 1245), Paris, Honoré Champion, 2012, p. 345-353 ; Jacques Verger, « Des écoles à l’université : la mutation institutionnelle », dans La France de Philippe-Auguste. Le temps des mutations, Paris, Éditions du CNRS, 1982, p. 817-846 ; Gérard Giordanengo, « Résistances intellectuelles autour de la Décrétale Super Speculam (1219) », in Histoire et société. Mélanges offerts à Georges Duby, Paris, 1992, t. 3, p. 141-155 ; Christian Coppens, « The Teaching of Law in the University of Paris in the First Quarter of the 13th Century », Rivista internazionale del Diritto comune 10, 1999, p. 139-173.
69 « Parens scientiarum Parisius velut altera Cariath Sepher, civitas litterarum, cara claret, magna quidem sed de se majora facit optari docentibus et discentibus gratiosa […] » : texte publié dans Chartularium Universitatis Parisiensis, éd. Henri Denifle et Émile Châtelain, Paris, 1889, t. I, n° 79, p. 136-139 ; voir Charles Vulliez, « Un texte fondateur de l’université de Paris au Moyen Âge : la bulle Parens scientiarum du pape Grégoire IX (13 avril 1231) », Cahiers de l’Institut de Recherches pédagogiques 20, 1992, p. 50-72.
70 L’examen approfondi de cette affaire d’élection a été conduit par Franco Morenzoni à partir des sept sermons du Chancelier qui traitent de la question : voir « Le conflit pour l’élection de l’évêque de Paris en 1227-1228 d’après les sermons de Philippe le Chancelier », dans Philippe le Chancelier prédicateur, théologien et poète, ouvr. cité n. 43, p. 41-60. Je le remercie de m’avoir communiqué son texte avant sa parution.
71 Ainsi dans les lettres de Philippe de Harvengt (chanoine prémontré, mort en 1183), à ma connaissance le premier auteur qui ait recouru à cette interprétation dans le contexte de l’histoire des écoles parisiennes (Chartularium Universitatis Parisiensis, op. cit. [n. 69], I, nos 51 et 52).
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