Chapitre III. Chronologie
p. 123-184
Texte intégral
L’an de l’Incarnation du Seigneur 1107, sous le règne du roi des Romains Henri iii et la présidence à Metz de l’évêque Adalbéron…1
Dans le but de rendre le texte de cette description plus clair, nous avons jugé bien utile d’y faire apparaître les noms des personnes, les causes des événements, le décompte des années en même temps que la chronologie2.
1Un manuscrit réalisé avant 1070 à l’usage de la cathédrale de Reims renferme une série de documents relatifs à saint Remi. Juste avant l’explicit de sa Vie carolingienne, un copiste se livre à un décompte précis : « De l’Incarnation du Seigneur au trépas de saint Martin, 443 ans. De l’Incarnation du Seigneur au baptême des Francs, 542 ans. De l’Incarnation du Seigneur au trépas de Clovis, 556 ans. De l’Incarnation du Seigneur au trépas de saint Remi, 575 ans3. » Dans un autre contexte, on pourrait croire à l’imitation d’une pratique hagiographique : ce sont en Irlande les deux premières Vies de Patrick du viie siècle qui commencent par dater la mort du saint, 433 ans après la Passion pour celle de Tírechán4, 436 ans après la Passion, sous les empereurs Valentinien et Valentin, en 5175 Anno Mundi (AM) selon celle de Muirchú5. Mais sur le continent, et comme la mention de Martin l’indique, l’idée d’une récapitulation a plus vraisemblablement été inspirée au copiste par les Dix livres d’histoire de Grégoire de Tours, dont les livres sont parfois conclus dans des termes voisins6. Grégoire mesure ainsi à la fin du livre iv la durée des six âges du monde et connecte la chronologie biblique avec celle de son temps « de la Passion du Seigneur au trépas de saint Martin 412 ans. Du trépas de saint Martin jusqu’à celui de Clovis, 112 ans. Du trépas de Clovis à celui de Théodebert, 37. Du trépas de Théodebert jusqu’à la mort de Sigebert 29. Cela fait 5774 années en tout7 ». La pratique relève d’une écriture de l’histoire – Grégoire imite ici la Chronique de Jérôme8 et inspire après coup le Liber historiae Francorum9 et la Chronique d’Adon de Vienne10 ; mais pourquoi le copiste rémois l’imite-t-il à son tour ? Sans doute parce qu’il croit que la Vie qu’il lit est une source d’histoire et qu’il est légitime de faire entrer les événements qu’elle rapporte dans la chronologie politique générale ; seulement le résultat est mauvais, les calculs sont faux, pour la simple raison que la Vie qui lui sert de source ne se préoccupait ni de chronologie ni de dates.
2Les dates restent longtemps à la marge du texte hagiographique, et ce n’est pas faute de compétences. Vers 660, l’abbé Chunna de Moûtiers-Saint-Jean11 a demandé à Jonas de Bobbio de bien vouloir mettre en forme ce qu’on savait encore de l’abbé Jean du vie siècle12. Ayant obtenu satisfaction, la communauté a célébré par une notice commémorative les circonstances de rédaction de la Vie. La notice tient lieu de lettre de dédicace, mentionne le commanditaire et l’auteur, et ajoute une date complexe, qu’on a voulu oublier à Moûtiers-Saint-Jean, mais qu’un copiste de Saint-Maur-des-Fossés du xe siècle a conservé en version intégrale :
La centième année depuis l’achèvement du cycle périodique selon le compte de l’évêque saint Victorius, la troisième année du règne du seigneur le jeune roi Clotaire [iii], sur ordre du prince en question et de sa mère l’excellente reine dame Bathilde, l’abbé Jonas, formé à l’école du bienheureux Colomban, se trouva dépêché la deuxième semaine du neuvième mois vers Châlons-sur-Saône : comme il passait près du monastère de saint Jean qu’on appelle Réôme, après qu’il s’y est remis pendant quelques jours des fatigues de son voyage, il fut vaincu par les prières des frères de cette communauté qui voulaient qu’il traduisît en un discours articulé ce que les disciples du confesseur du Christ susdit [Jean] et leurs successeurs avaient retenu de sa vie active et contemplative, ce Jonas dicta à l’abbé Chunna ce qui suit13...
3Le cycle de Victorius est une table créée au milieu du ve siècle pour déterminer la date de Pâques à partir d’un cycle de 532 ans dont l’année zéro a été fixée au moment de la Passion du Christ – soit en 28 de notre ère actuelle14. Ce mode de calcul, considéré comme un particularisme gaulois, a été dénoncé par Colomban15 et remplacé par le cycle dionysien16 ; il perdure par exemple en Italie ostrogothique17. Pourquoi l’auteur de la notice a-t-il eu recours à ce mode de datation archaïque et inutile, puisque les années régnales suffisaient à situer l’événement ? La fascination du chiffre rond est possible18, autant que l’interprétation symbolique puisque les « cent ans » font écho aux âges critiques pointés par la Vie : converti à 20 ans19, Jean de Réôme est mort à 120 ans20. Comme l’exégèse, l’hagiographie utilise en effet tous les nombres, dates comprises, pour leur portée symbolique21, un phénomène de plus en plus visible aux xe et xie siècles22. Puis le sens du cycle de Victorinus s’est perdu, ou il a été censuré à Réôme, car les systèmes de datation sont compris à juste titre comme les signes d’une interprétation idéologique de l’ordre du monde. De fait, la Vie de Jean de Réôme reste édifiante et instructive telle qu’elle est, sans dates, bien qu’elle soit utilisée dans une communauté qui partage vive attention au contexte politique et science du comput.
4L’exemple rappelle que les systèmes chronologiques s’additionnent plus qu’ils ne s’excluent pour les auteurs du haut Moyen Âge. Un historien comme Grégoire de Tours utilise des référentiels différents selon les besoins de son récit, ses sources et le sens qu’il entend donner à l’histoire. Ses Dix Livres d’histoire suivent la division de l’histoire du monde en âges depuis la Genèse répandue par Eusèbe de Césarée23 ; leurs récapitulations conclusives dépendent de ce système qui a déterminé une date pour la Création et sert d’échelle aux Chroniques universelles contemporaines comme celle d’Isidore24. Dans la narration cependant, Grégoire recourt aux durées relatives et aux années régnales. Coexistent ainsi chez Grégoire d’une part un discours hérité et savant sur le décompte du temps, qui sert à inscrire le discours historiographique dans un cadre théologique, d’autre part les points de repère usuels – consulats, années régnales – indépendamment de l’interprétation religieuse des faits. Les hagiographes du haut Moyen Âge n’agissent pas différemment. Ils adaptent leurs systèmes de datation aux buts qu’ils poursuivent25. L’étonnante Vie de Ceteo évêque d’Aternum (Pescara)26, de datation fort problématique au demeurant27, se distingue ainsi par une contextualisation liminaire ambitieuse et juste, qu’on peut confirmer par la lecture de Paul Diacre :
À l’époque du très bienheureux pape Grégoire – à Constantinople, c’était Phocas qui gouvernait l’empire romain tandis qu’à Spolète, c’était Faroald qui avait la charge du duché – la nation des Lombards, qui était sortie récemment de Pannonie et s’était emparée de certains territoires d’Italie, se répandit ensuite un peu partout et envahit le territoire des Romains, des Samnites [Sabins] et des habitants de Spolète. De cette nation, deux hommes abjects et détestables comme le sont les fils des concubines, vinrent à la ville d’Aternum ; on les appelait, l’un Alahis, l’autre Umbolus : ils y déferlèrent en armes, s’emparèrent de butin et firent des ravages comme des barbares 28.
5Au moment de célèbrer la guérison miraculeuse d’un aveugle, donc la maîtrise que Dieu exerce sur sa Création, la même Vita fait soudain surgir un décompte selon les années du monde, Anno Mundi : « Dieu, toi qui a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qu’elle renferme, qui a arraché Adam aux enfers après cinq mille cinq cent cinquante-deux années29... ». Dans l’hagiographie, cette datation AM est exceptionnelle, et les synchronismes plus fréquents. L’érudition a parfois eu du mal à en apprécier la valeur. Car dater par synchronisme ne signifie pas toujours donner un point de repère objectif mais plutôt évoquer un contexte – pour Ceteo, l’affrontement entre les catholiques protégés par Grégoire le Grand et les envahisseurs lombards ariens qui va le conduire au martyre.
6La notice de Réôme et le cycle de Victorius, les dates tantôt relatives, tantôt absolues de la Passion de Ceteo, les essais de chronologie Anno Domini du manuscrit de Reims font percevoir la diversité des solutions qu’essaient les hagiographes objets de ce chapitre entre le viie et le xie siècle. Ces intellectuels attachent une importance certaine aux dates, mais autant pour situer les événements que pour les colorer ; ils disposent de compétences et d’outils de comput pour les établir, mais lisent et écrivent dans le même temps des textes hagiographiques où elles n’apparaissent que très peu30. En les voyant instiller peu à peu des dates dans leurs textes au cours des viiie et ixe siècle31, on mesure leur dépendance grandissante à l’égard de certains modèles historiographiques, tant sur le plan des méthodes de documentation que de l’interprétation de l’histoire ; mais qu’elles soient signes de validation, cautions politique, gages de sérieux, les dates n’apparaissent jamais dans l’hagiographie comme une technique qui serait neutre, destinée à jalonner simplement le temps qui passe.
7La seule date qui a traditionnellement sa place dans une Vie ou une Passion est celle du dies natalis, date de la mort du saint donc de sa commémoration – ou inversement32. Elle détermine la place du saint dans le calendrier liturgique, où elle sert à le distinguer des homonymes. Elle vient poser sur la vie du saint le sceau d’une date qui en révèle la portée spirituelle33. Osbern de Cantorbéry en vient ainsi au cours des années1080 à faire du calendrier une clé de lecture des derniers jours d’Élphège : l’archevêque de Cantorbéry, martyr des Danois (1012), revit la Semaine sainte jusqu’à ce que son exécution dans l’octave de Pâques lui ouvre « l’éternel sabbat du Ciel34 ». Or à partir de la fin du viiie siècle, la précision suffisante du jour et du mois est complétée dans certaines Vies par une datation en chronologie absolue, selon l’ère de l’Incarnation. Puis la pratique se banalise jusqu’au xie siècle où Pierre Damien peut écrire à propos d’Odilon de Cluny : « L’an de l’Incarnation du Seigneur 1048, dans sa 87e année, la 56e de son ordination, cette nuit qui précède la solennité de la circoncision du Seigneur, il reçut le sacrement salutaire de l’eucharistie et, dans ces dispositions, rendit à Dieu son esprit bienheureux35. » L’usage est si naturel désormais qu’Isembard de Fleury estime nécessaire d’ajouter l’année à la Vie de Josse qui n’en disait rien. Dans sa première Vie d’avant 925, Josse « ... délaissa son habitation charnelle aux ides de décembre [13 décembre] et partit pour la félicité perpétuelle du royaume des cieux...36 » ; mais quand Isembard de Fleury envoie sa réécriture à son abbé Gauzlin (1012)37, il a calculé le millésime Anno Domini : « L’an du Seigneur 654, aux ides de décembre, le serviteur partit heureusement rejoindre son Seigneur, le disciple s’envola jusqu’à son maître38. » Une date à portée spirituelle et liturgique, importante dans le contexte d’un calendrier cyclique, intègre ainsi une chronologie générale et linéaire ; on pourrait dire que Josse entre dans l’histoire universelle. Au passage, les hagiographes qui travaillent à connecter ainsi la chronologie inexistante ou incertaine des Vies à ce qu’ils connaissent de l’histoire générale font la preuve de tous leurs savoir-faire : ils consultent des listes et des tableaux, à l’évidence, mais s’essaient aussi à une critique des sources. L’assurance d’un copiste du ixe siècle en appendice à la Vie d’Amé de Sion fait entendre la voix d’un homme, gardien de la tradition, certainement, mais aussi défenseur des bibliothèques et du savoir écrit, qui ne doute pas de sa compétence :
Beaucoup, par ignorance et du fait d’un jugement faussé par l’esprit d’orgueil, ont entrepris de pervertir la vérité de quelques livres. On s’étonne, et on devrait surtout blâmer, qu’un certain Étienne ait de ce fait placé au 3 des calendes de mai [29 avril] le trépas du bienheureux Amé, dont la date a été arrêtée aux ides de septembre [13 septembre] par nos prédécesseurs en considération de l’arrêt divin. On doit pourtant savoir, puisque cette erreur s’est imposée du fait des invasions normandes et de l’incurie d’hommes négligents, que notre devoir est de revenir aux livres anciens qui font autorité – on les trouvera à Saint-Médard, dans notre bibliothèque [archivum] et dans les trésors de nombreuses communautés39.
8C’est ce mouvement complexe de mimétisme vis-à-vis de l’historiographie, de développement de compétence de computistes et de critiques qu’on entend saisir ici dans sa globalité en prenant pour fil d’Ariane l’adoption de l’ère de l’Incarnation dans les textes hagiographiques entre le viie et le xie siècle.
ère de l’Incarnation : écrire l’histoire avec des documents
9Le lent recours à la datation anno Domini (AD) en Occident au cours du viiie siècle ne résulte pas de l’invention d’une technique nouvelle40, mais d’un projet historiographique que révèle son usage dans l’Histoire ecclésiastique de Bède. Bède le Vénérable s’était déjà essayé à ce type de datation dans son Histoire des abbés41, mais pour situer seulement la fondation de Wearmouth-Jarrow42 et la mort de l’abbé Ceolfrith43. Dans l’Histoire ecclésiastique, la pratique devient régulière44. Bède surajoute l’annus Domini, placée normalement en tête de paragraphe, aux autres moyens de datation45, y compris à propos d’un événement antérieur à l’Incarnation46 ou pour traduire un document impérial daté à la romaine47. L’annus Domini sert à faire coïncider les règnes des nombreux rois contemporains, en donnant à voir l’unité chrétienne de l’Église anglaise au-delà des histoires régionales. Il intègre aussi les Îles britanniques dans une chronologie applicable à l’ensemble du monde chrétien48. Son usage relève d’un choix religieux, sans équivalent dans l’historiographie continentale contemporaine. Il ne viendrait pas à l’idée du très laïc auteur du Liber historiae Francorum (LHF) d’utiliser l’AD, alors même qu’une chronologie unifiée lui aurait rendu service pour mener de front les histoires parallèles de la Neustrie et de l’Austrasie. C’est aussi que Bède intègre à son Histoire des documents, qu’il a besoin de dater selon un système uniformisé, là où le LHF raconte mais ne prouve pas par la source. En choisissant de ponctuer toute son Histoire ecclésiastique de dates AD, Bède construit un discours capable de démontrer que l’Angleterre n’est pas une périphérie isolée, mais un moment nécessaire dans une histoire de la christianisation commencée avec l’empire romain. L’idée séduit les intellectuels des viiie et ixe siècles qui veulent inscrire leur propos dans une histoire commencée sous l’empire d’Auguste. En milieu scolaire, l’Histoire ecclésiastique semble avoir servi aussi comme un traité de chronologie appliquée : dans un manuscrit de Reichenau du ixe siècle, la récapitulation de l’histoire anglaise (HE V, 24) est copiée en même temps que des tables pascales, le Chronicon d’Isidore, le Liber de ratione temporum et d’autres outils de chronologie49. En matière d’hagiographie, son influence s’est exercée à cause de la présence au début du livre ii d’une biographie du pape Grégoire le Grand apôtre des Angles (BHL 3638). Organisé autour de l’énumération des œuvres de Grégoire, le chapitre tient le milieu entre un accessus et une notice du Liber pontificalis, et a sans aucun doute été plus souvent lu que la Vie de l’anonyme de Whitby qui la précède chronologiquement (BHL 3637). Or il commence, puisque la mort de Grégoire le Grand est identifiée comme une importante césure dans l’histoire des royaumes anglo-saxons, par une datation solennelle : « En ces temps-là, c’est-à-dire en l’an 605 de l’Incarnation du Seigneur, mourut le bienheureux pape Grégoire après qu’il a dirigé très glorieusement le siège de l’Église apostolique et romaine durant treize années, dix mois et dix jours50… ».
10En historien de l’Église, et dans une perspective impériale, Bède pratique donc l’annus Domini. En enseignant, il théorise dans son Liber de ratione temporum51 l’âge du monde ou Annus Mundi et l’utilise comme l’échelle de ce qui devient une Chronique universelle de référence pour les âges carolingiens52. Le Liber, principal manuel de comput en Angleterre et sur le continent, avec Fulda comme foyer de diffusion53, argumente en faveur d’une chronologie brève depuis la Création, plaçant la naissance du Christ en AM 3952 contre AM 5199 dans le système d’Eusèbe ou d’Isidore de Séville54. Il modifie donc la durée de chacun des six âges55. Pour des hagiographes qui voudraient écrire un prolongement de l’histoire biblique, il y aurait une certaine logique à utiliser l’annus mundi comme référentiel, que ce soit dans la version longue d’Eusèbe – ce qu’a fait l’hagiographe de Ceteo – ou dans la version brève de Bède. De fait, c’est bien cette dernière échelle que mobilise l’auteur d’une réécriture de la Passion de Térence maryr de Todi. La Passion des années 550-650 (BHL 8000) avait rapidement situé l’action sous l’empereur Hadrien56. Sous une forme postérieure à la deuxième moitié du viiie siècle, elle commence par un système de datation autrement élaboré :
L’an 42e du César Auguste, comme il s’était écoulé 3952 ans depuis le début du monde selon la vérité hébraïque, Jésus Christ Fils de Dieu consacra le monde par son avènement, mais c’est la 18e année du César Tibère qu’il racheta le monde par sa Passion. L’apôtre saint Jean, 69 ans après la Passion du Seigneur, s’endormit à Éphèse d’une mort paisible dans sa 97e année à l’époque de Trajan. Ce sont 85 années qui s’étaient écoulées cependant depuis la Passion du Seigneur quand mourut le saint évêque Térence à l’époque de l’empereur Hadrien. Voici comment il parvint à la palme du martyre57.
11Qu’a voulu faire l’hagiographe en commençant une Passion par un tel enchevêtrement de dates ? Pour les connaissances, comme la datation de l’Incarnation de 3952 AM le montre assez clairement, il s’est renseigné dans le Liber de ratione temporum – les informations sur Jean notamment figurent au chapitre 66 où il n’est pas question de Térence bien sûr. Les problèmes commencent alors puisqu’il faut que l’hagiographe calcule, et se trompe – ou induit les copistes en erreur : soit la Passion en 3984 AM, 18e année de Tibère, Térence ne peut pas être mort 85 ans après la Passion (4069 AM) et être contemporain d’Hadrien (4090-4111 AM). Le problème est sans cesse répété dans l’hagiographie à partir des viiie et ixe siècles : forts des usuels de comput, Bède ou autres, des auteurs pensent judicieux de placer le saint dont ils s’occupent dans un passé daté. Leur représentation du passé en effet est comme graduée désormais et ils jugent important de recourir à ce système général plutôt que de rester dans l’imprécision des datations implicites antérieures. L’hagiographe qui créé au viiie siècle une brève notice commémorative pour un Laurent martyr vénéré près de Spolète la nourrit de ce qu’il lit dans le Liber pontificalis du pape Gaius : Laurent se trouve donc, comme le pape, arrimé à une liste consulaire, placé entre « le deuxième consulat de Carus, premier de Carin » et « le sixième consulat de Dioclétien, deuxième de Constantin [sic]58 ». Seulement l’hagiographe essaie de faire coïncider aussi ces points de repère avec l’ère de l’Incarnation et traduit : « 270 années depuis la naissance de notre Seigneur jusqu’au consulat de Dioclétien, à l’époque du pape Gaïus, à l’époque duquel le bienheureux Laurent… à environ huit mille de la cité de Spolète, et, depuis le consulat en question, 245 ans avant le consulat de Dèce junior [en 529]59 ». Il est bien difficile de concilier toutes ces dates… Quoi qu’on pense de leur compétence mathématique, ces auteurs témoignent d’une attitude nouvelle par rapport à la tradition hagiographique : ils considèrent les Vies comme des fragments d’histoire, qu’ils ont le devoir de nouer à la trame connue de l’histoire universelle. La chronologie est le moyen de ce rapprochement, un moyen imparfait, impuissant, inadapté surtout ; reste la conviction que ces essais trahissent ; par la chronologie, l’auteur de la deuxième version de la Passion de Térence ne doute pas d’être capable de situer l’évêque de Todi dans l’économie du Salut. La diffusion de l’ère de l’Incarnation, échelle unifiée évaluée en centaines seulement, va offrir à ces hagiographes un moyen plus commode à manipuler que les millénaires AM et les consulats successifs.
12Le poids de la tradition eusébienne, et la difficulté qu’il y a à calculer les équivalences entre un système et un autre, freine d’abord la réception de la chronologie brève de Bède au cours du viiie siècle. Au moment où le genre annalistique renaît à Lorsch sous l’abbatiat de Ricbod à partir de 78460, c’est le calendrier eusébien qui est pris comme référence et connecté à la chronologie de l’Incarnation qui va désormais servir pour l’histoire contemporaine :
Le prêtre Paul Orose, dans son premier livre d’histoire contre les païens, comprend le décompte des années de cette manière : depuis le premier homme Adam jusqu’à celui qu’on appelait le grand roi Ninus, époque de la naissance d’Abraham, 3184… ce qui fait depuis le commencement du monde jusqu’à la naissance du Christ, 5199. Quant à nos livres, nous y avons trouvé depuis la naissance du Seigneur jusqu’à l’année actuelle, 703 AD : translation du corps de saint Benoît abbé depuis le mont Cassin61.
13L’histoire des Pippinides, qui est l’objet premier des Annales de Lorsch, se trouve ainsi écrite de 703 à 803 anno Domini62. Encore une génération et des « tables récapitulatives » ou tableaux synoptiques seront conçus en Francie orientale (Lorsch encore ?) sur impulsion du palais pour faire apparaître les six âges en une seule frise continue d’intervalles tirés des Chroniques de Jérôme, Isidore et Bède, et complétés jusqu’aux Carolingiens63. Au cours des mêmes années 780, la très carolingienne communauté de Fulda note dans ses tables pascales les événements marquants de son histoire et celle de la dynastie selon l’ère de l’Incarnation64 ; le Liber memorialis lui-même commémore AD les dates de mort des frères défunts65. Au même moment, on assiste à l’adoption de l’ère de l’Incarnation dans certaines Vies composées à Fontenelle, communauté reprise en main par les Pippinides66.
Fontenelle (viiie s.-ixe s.)
14Aigradus de Fontenelle ou plutôt un successeur qui emprunte son identité67 est l’un des premiers hagiographes (apr. ca. 740-av. 811) à utiliser des datations en partie fondées sur l’AD. Le pseudo-Aigradus travaille d’abord à une Vie de Lambert68, successeur de Wandrille devenu évêque de Lyon (m. 688), avant de composer aussi une Vie d’Ansbert, abbé de Fontenelle successeur de Lambert puis évêque de Rouen (m. 694). Il s’agit d’un moine de la communauté qui travaille avant 81169, dans le contexte d’une production hagiographique intensive de l’abbaye normande autour de son passé mérovingien. Le tableau permet de saisir d’emblée la densité de production hagiographique locale en même temps que l’intérêt porté à un passé homogène, éloigné d’environ un siècle. Par comparaison avec le tableau 4 « Naissance du genre hagiographique dans l’Angleterre anglo-saxonne », le rapport au passé a changé : les Vies de Fontenelle se penchent sur un passé inaccessible par le seul témoignage.
Tableau 7 : Vies rédigées à Fontenelle, fin du viiie siècle-début du ixe siècle
Vitae : nom du saint | Date de mort du saint | Date de rédaction | Intervalle approximatif |
Ansbert BHL 520 abbé de Fontenelle évêque de Rouen | ca. 698 | Fin du viiie s.-av. 811 | 80 à 110 ans |
Condède BHL 1908 ermite de Fontenelle | ca. 685 | ca. 800 | 110 ans |
Erembert BHL 2587 moine de Fontenelle évêque de Toulouse | ca. 687/688 | ca. 800 (même auteur que BHL 1907 ?) | 110 ans |
Lantbert/Lambert BHL 4675 abbé de Fontenelle évêque de Lyon | ca. 688 | Fin du viiie s., avant la Vie d’Ansbert | 100 ans |
Vulfram BHL 8738 moine de Fontenelle archevêque de Sens | ca. 697/698 | Fin du viiie s.-av. 811, à partir d’une Vie dont seul subsiste le prologue de Jonas | 80 à 110 ans |
Wandrille abbé fondateur de Fontenelle Vita Ia BHL 8804 Vita deperdita Vita IIa BHL 8805 | 668 ? (avant 672) | ca. 680 Fin du viiie s. ca. 840 | 110 ans |
15La Vie de Lambert, transmise par un unique manuscrit, n’a été conservée qu’en partie. Ses quatre chapitres conservés suffisent pour voir que l’hagiographe aime les dates et les durées, et comprendre pourquoi :
– cap. 1 : Lambert commence par servir au palais de Clotaire [iii] mais, « la huitième année de ce tout-jeune roi70 », rejoint le monastère que dirige Wandrille et reçoit la tonsure « quatre ans avant71 » le décès du saint abbé.
– cap. 2 : Wandrille « qui avait dirigé ce monastère durant 19 années et cinq mois, depuis le premier jour de sa fondation, et avait déjà atteint l’âge d’une antique vieillesse » commença à se ressentir de faiblesse « la veille de son décès, à l’âge de 96 ans72». Il désigne Lambert et Ansbert comme ceux qui doivent lui succéder avant de mourir « le 11e jour des calendes, le 7e jour [un samedi], à la 7e indiction ». Après trois jours de jeûne, les moines choisissent Lambert à la place « l’an de l’Incarnation du Seigneur 660 [663], de l’indiction susdite : c’était la 11e année du jeune roi Clotaire, et déjà la septième qui s’écoulait pour le pape Vitalien. Lambert persévéra treize ans et huit mois dans ce monastère, sous le règne des trois frères qui tinrent chacun à son tour le sceptre du royaume des Francs, à savoir Clotaire [iii], Childéric [ii] et Thierry [iii]73. »
– cap. 3 : l’habileté politique de Lambert lui permet d’obtenir pour Fontenelle des dons royaux, alors que deux partis s’opposent à la mort de Clotaire (voir infra).
– cap. 4 : l’intervention d’Ouen de Rouen met un terme à un conflit entre Fontenelle et Jumièges.
16La Vie de Lambert s’intéresse presque autant aux dates remarquables de la vie du saint qu’à ses vertus, parce que son auteur utilise comme sources des documents archivés à Fontenelle. Il signale en effet, comme preuve du respect que les rois manifestaient à Lambert, leurs propres mots conservés dans des lettres et des actes74. Il énumère les noms des grands signataires de deux diplômes accordés à Fontenelle75. Et c’est bien à partir de ces actes qu’il établit ses synchronismes, comme ici en conclusion du don reçu du roi Childéric [ii] : « Cette libéralité royale fut l’objet d’un acte écrit à l’agréable palais d’Arelaune, la 11e année du roi en question en Austrie [sic], sa première en Neustrie, et par ailleurs la cinquième76 » de l’abbé Lambert. L’hagiographe dispose peut-être aussi d’une sorte de liste abbatiale, au moins sous la forme d’un obituaire ; les dates et durées qu’il indique pour Wandrille en tout cas ne viennent pas de la tradition hagiographique.
17Face à cette documentation hétérogène, l’hagiographe utilise l’AD pour sortir des datations relatives par le moyen d’une échelle synchronique universelle – il écrit « l’an de l’Incarnation du Seigneur 660 » plutôt que lorsqu’un roi mérovingien mineur aux nombreux homonymes avait 11 ans. Son calcul est faux selon nos critères, mais repose sur un parallèle réussi : la septième année de Vitalien correspond bien à la onzième année du jeune Clotaire né en 652/653. L’hagiographe s’en sort toujours mieux à propos du fils aîné de Clovis ii (m. 657) et de Bathilde que l’auteur du LHF dont toutes les dates et durées sont fausses77. Comment a-t-il eu l’idée de cette utilisation de l’AD ? L’anonyme de Fontenelle a lu l’Histoire ecclésiastique de Bède, dont des passages se trouvent aussi largement utilisés par ses confrères78. Du fait de sa situation géographique et de par ses appuis politiques, le monastère est intégré dans le réseau missionnaire anglo-saxon : à Fontenelle au viiie siècle, les missionnaires à la retraite et futurs évangélisateurs de la Frise croisent des spécialistes du commerce transmanche79 ; à l’échelle locale, les liens avec l’abbaye voisine de Jumièges sont structurants, surtout depuis que le Pippinide Hugues (m. ca. 732) est devenu abbé de Fontenelle et de Jumièges80. C’est aussi à Jumièges, selon sa Vie, que Sturm, missionnaire compagnon de Boniface et fondateur de Fulda, est exilé temporairement sous Pépin iii du fait de relations tendues avec l’évêque de Mayence Lull81. L’épisode symbolise bien le contrôle que les Carolingiens exercent sur le monastère, mais peut aussi être l’occasion de renouveler les liens entre les deux abbayes normandes et le réseau des monastères (anglo-)saxons du continent82. Par conséquent, l’AD est peut-être un savoir-faire dont l’hagiographe a compris l’esprit et apprécié l’intérêt pratique en lisant Bède. Si Bède est le moyen, l’occasion qui le rend nécessaire est l’exploitation par l’hagiographe de documents d’archive qu’il veut pouvoir situer dans une chronologie absolue. Le fait qu’on se soit intéressé à Fontenelle vers 780-800 à la génération des pères fondateurs implique, puisque les hagiographes ne peuvent plus compter sur la mémoire orale, de changer de méthode de documentation. Une lecture rapide de l’autre œuvre hagiographique du pseudo-Aigradus le confirme ; dans la Vie d’Ansbert – la Vie jumelle de celle de Lambert, annoncée dans son chapitre 2 par les dernières volontés de saint Wandrille – le même hagiographe date AD le privilège qui garantit au monastère la libre élection abbatiale conformément à la Règle de saint Benoît : « La garantie de ce privilège fut mise par écrit l’an 682 de l’Incarnation du Seigneur, à la 10e indiction ; c’était la 16e année du glorieux roi cité Thierry, et la cinquième du pontificat du vénérable l’évêque83... ». L’anonyme connaît le document dans sa version intégrale, et cite le nom des signataires, jusqu’à l’auteur de la recognitio et suscription, mais Levison pense que la date AD ne se trouvait pas dans la source originelle : l’hagiographe l’aurait ajoutée en fonction de ce qu’il sait être la 16e année du règne de Thierry iii84. L’intérêt que cet hagiographe de Fontenelle porte aux dates vient d’une fréquentation des documents d’archive ; parce qu’il a l’habitude de s’y référer, et veut aboutir à leur classement, l’AD lui semble le meilleur système de référencement global. Il n’y a pas dans cette technique de contenu idéologique apparent, mais la trace d’une utilisation raisonnée des sources diplomatiques pour alimenter un récit hagiographique.
18La rédaction des Gesta des abbés de Fontenelle après 83385 systématise le principe à l’œuvre dans les Vies de Lambert, Ansbert, Condède et Vulfran : partant d’une masse documentaire hétérogène faite de diplômes et de chartes de donation, les moines l’organisent selon le double principe d’une succession de biographies relativement autonomes, et d’une chronologie qui en assure la cohérence globale, et ne peut être qu’anno Domini. Seule la trame chronologique suivie permet en effet de transformer ce qui ne serait sans elle, dans la lignée du Liber pontificalis, qu’une série des notices nécrologiques augmentées, pour en faire une véritable histoire d’une communauté établie en un lieu : dans les Gesta, la première date AD correspond à l’installation de Wandrille à Fontenelle, le 1er mars 645 (cap. 1). Par la suite, les auteurs des Gesta traduisent les dates qu’ils connaissent par des documents des viie et viiie siècles en années de l’Incarnation. Les Vies écrites à Fontenelle à la génération précédente témoignent qu’il s’agit là d’une compétence acquise par certains hagiographes au tournant des viiie et ixe siècles86. On a déjà entendu le jeune moine Loup mettre en avant son savoir-faire d’hagiographe en tête de sa Vie de Wigbert ; vantant son savoir-faire d’historien, et de lecteur de l’Histoire ecclésiastique de Bède87, il inscrit, comme au fronton d’un monument, la date de rédaction de son œuvre, « AD 83688 ». La formule vaut signature ; le même Loup recommence en conclusion de sa Vie de Maximin de Trèves, datée AD 83989.
Hagiographie documentaire
19Les hagiographes de Fontenelle ne se sont pas épanchés sur des méthodes qu’on peut reconstituer seulement d’après leurs textes. Le plus simple serait de parler d’« hagiographie documentaire » si le terme avait été strictement défini.
20Martin Heinzelmann a utilisé l’expression « hagiographie documentaire 90 » à propos du Martinellus. Un Martinellus est un manuscrit qui compile des textes qui ont tous Martin de Tours pour sujet. Le prototype pourrait dater du ve siècle sous la forme d’une copie de la Confessio ou enseignement trinitaire attribué à Martin lui-même, après la Vie rédigée par Sulpice Sévère, ses Lettres et ses Dialogues, et avec les tituli martiniens. Sous l’abbatiat de Fridugise à Tours (804-834), les Martinelli que Martin Heinzelmann appellent « grégoriens » ajoutent des éléments pris à deux œuvres de Grégoire de Tours, Sur les miracles de saint Martin (De virtutibus s. Martini, I, 4-6) et les Dix Livres91. Le Martinellus carolingien additionne encore l’épopée versifiée avec miracles de Paulin de Périgueux, la Vie en vers de Venance Fortunat voire des œuvres d’Alcuin, Vie brève (BHL 5625) ou sermon sur la mort de Martin (BHL 5626)92. Dans ces Martinelli, les textes d’origine et de nature différentes sont juxtaposés sans souci de la chronologie. N’importe quel texte narratif peut s’agréger au dossier tant qu’il a Martin pour sujet.
21Sans théoriser davantage, Wolfert S. van Egmond a décrit pour sa part une modalité plus aboutie d’« hagiographie documentaire » avec la Vie longue dite interpolée de Germain d’Auxerre93 : avant 731, un hagiographe qu’on suppose auxerrois a amplifié la Vie rédigée par Constance par des emprunts à six textes hagiographiques des vie et viie siècle94. L’auteur ne veut rien laisser échapper des détails connus à son époque à propos de Germain. Par rapport à la compilation à visée exhaustive pratiquée dans le Martinellus, il innove par la rédaction d’un texte fluide qui ne laisse pas deviner les emprunts. Suivant ce modèle, l’expression « hagiographie documentaire » sera réservée aux textes qui vérifient les deux conditions suivantes : l’hagiographe a collecté des documents traités comme sources (Vies antérieures, lettres, chartes, testament, notices, listes, textes d’histoire, sermons, etc.) et composé une Vie unique pour les agencer. L’auteur auxerrois de la Vie interpolée n’a utilisé que des sources hagiographiques. Faisant preuve d’un goût marqué pour les manifestations surnaturelles, il leur a emprunté les passages les moins réalistes. À la fin du viiie siècle au contraire, on voit apparaître des exemples aboutis d’hagiographie documentaire génériquement hétérogène : la Vie de Didier de Cahors, écrite par un contemporain du pseudo-Aigrardus de Fontenelle, complète ainsi de discrets emprunts à la Vie de Éloi et à quelques lettres de Jérôme95 par des descriptions in situ à Cahors et des documents d’archive contemporains du saint96. Par rapport à la Vie de Didier, la Vie amputée de Lambert fait pâle figure comme œuvre, mais se distingue aussi par le propos annalistique et le primat des sources diplomatiques : l’hagiographe dispose essentiellement d’actes et de listes et, pour passer à la Vie, cherche à les organiser dans l’ordre chronologique.
22Pour revenir à l’usage de document d’archive dans les textes hagiographiques, la production hagiographique du monastère de Landévennec montre comment, du document qui informe sur les dates, on peut passer à un discours à connotation idéologique. L’abbé de Landévennec Uurdisten rédige une Vie de Guénolé au cours des années 860 ou 87097. Il y cite in extenso un diplôme de Louis le Pieux, signes de validation compris : l’empereur prend acte du renoncement des moines de Landévennec aux particularismes bretons et se réjouit qu’ils adoptent les usages bénédictins en vigueur « dans l’Église universelle qui nous a été confiée ». La réforme d’Aniane est ici comme ailleurs le moyen d’une intégration politique accélérée. Sous l’influence de l’acte sans aucun doute, Uurdisten donne la seule date AD de la Vie. « 818 » marque à Landévennec le passage de la règle primitive, qui consistait à vivre l’érémitisme tempéré des Pères du désert, à la norme bénédictine : « Cette loi ou règle [primitive] resplendit longuement dans ce monastère, depuis l’époque où Gradlon dit le Grand tenait le sceptre de Bretagne jusqu’à la cinquième année du gouvernement impérial du très pieux auguste Louis, 818e de l’Incarnation du Seigneur98. » Uurdisten cite alors le diplôme puis conclut : « Cette même année, dans ce monastère, la règle du père Benoît entra en vigueur99. » Il commémore donc AD cette date cruciale comme une double preuve de fidélité, à l’empire franc et à la règle choisie par les moines100. Or Uurdisten est le maître de Uurmonoc de Landévennec, qui rend hommage à la formation reçue dans sa préface à la Vie de Paul Aurélien. Uurmonoc développe des idées et des méthodes qu’on n’avait pas vues encore dans l’hagiographie bretonne, dont l’invocation des précédents valant autorisation ou la description des documents disponibles101, puis date solennellement son texte « achevé la 884e année depuis l’Incarnation du Seigneur102 ». Il n’y a aucune nécessité cette fois à fixer la date, mais une pratique qui rappelle le réflexe appliqué de Loup dans les mêmes circonstances : le chef d’œuvre de fin d’étude du bon élève, cette œuvre qui démontre qu’il peut rivaliser avec les maîtres de l’empire en matière de latin renaissant, est signé et daté comme on apprend à le faire à l’école, quand on appartient à une communauté attachée à la domination carolingienne.
23Le recours aux archives d’un établissement pour compléter une Vie est parfaitement acquis au cours du ixe siècle ; les lettres, les testaments, les chartes, constituent des sources au même titre que des textes narratifs mais apportent, mieux que ces derniers, des points de repère, noms et dates. C’est à cet usage que renvoie Hériger de Lobbes vers 970, quand il rappelle à l’abbé de Stavelot Werinfrid comment ce dernier lui a soumis une Vie de Remacle, à charge pour l’écolâtre de l’enrichir :
Tu as voulu, je ne dirais pas me prier mais plutôt m’exhorter à ne pas simplement la faire reproduire, mais à la reprendre pour la rendre en quelque sorte plus avenante, tantôt augmentée de quantité d’actions de Remacle que j’aurais prises ailleurs, tantôt pour que n’y manque pas d’après votre cartulaire l’indication des époques, qu’on a aujourd’hui le plus grand besoin de distinguer... Ils ne firent pas autre chose en leur époque déjà lointaine ces hommes vénérables, l’abbé Hilduin avec la Passion de saint Denis, l’archevêque Hincmar avec la Vie de saint Remi, et bien d’autres qui transcrivirent les gestes d’innombrables saints103...
24Hériger renvoie aux deux modèles d’hagiographie documentaire du ixe siècle dont le chapitre « Retour aux sources » détaille les principes. Il suffit d’observer ici que l’écolâtre distingue avec la plus grande évidence les « actions », gesta, qu’on trouve dans ce qu’on imagine être d’autres sources narratives, écrites ou orales, et les « moments » ou « époques », tempora, c’est-à-dire ici les synchronismes pouvant être traduits en dates, que fournit le cartulaire.
« Avec des yeux devant et derrière » [Ap 4, 6] : Milon d’Elnone/Saint-Amand
25Un collègue d’Hériger, mais un siècle auparavant, avait expliqué comment faire pour passer d’un document à une date, voire à une chronologie absolue. Milon d’Elnone (m. 872), à une centaine de kilomètres à l’est de Lobbes, a réuni un dossier sur un saint évêque mérovingien à partir des documents qu’il trouvait dans les archives de son monastère. Il ne rédige pas à proprement parler une nouvelle Vie d’Amand, mais publie une série de sources et extraits de sources selon un classement thématique104 assorti de considérations de chronologie qui lui ont valu les remarques accablées de Bruno Krusch pour ses erreurs de calcul105. Après avoir donné la date de la mort d’Amand en 661, avec tous les détails superflus qu’on peut ajouter quand on maîtrise les subtilités du Liber de ratione temporum106, Milon explique ce qu’on peut en déduire pour la chronologie dans une annexe ou pièce justificative à l’intention du lecteur. Le propos frappe par son ambition apparente : Milon se flatte de disposer d’une part grâce au Liber pontificalis107 d’une liste des papes, qu’il classe avec numéro d’ordre, d’autre part d’une liste des empereurs établie à partir de la Chronique de Bède, qui lui permet en outre de faire coïncider les deux108. Il se désole de ne pas disposer d’une liste aussi sûre pour les rois des Francs, mais l’établit lui-même à partir d’« histoires » qui pourraient être la Chronique de Frédégaire et/ou le LHF. Or une charte montre qu’Amand était vivant sous le règne de Thierry [iii]109. Comme la date de la mort d’Amand est connue par une inscription lapidaire110, et que Milon sait qu’il est mort à 90 ans, il ne lui reste plus qu’à mettre en parallèle ce qu’on imagine être quatre colonnes, papes, empereurs, rois et vie d’Amand, pour établir des synchronismes énoncés AD111 et décrire toute la vie d’Amand en fonction de l’ère de l’Incarnation. Le procédé est revendiqué une génération plus tard quand Réginon rédige sa Chronique (908)112. Constatant qu’il est impossible de faire concorder la durée des pontificats des papes, celle des empereurs romains, et le cycle de Denys le Petit, Réginon conclut que les datations traditionnelles par durées sont fautives – « Il peut arriver qu’un défaut dans l’écriture défigure le nombre des années113 ». Il conserve comme seul système fiable et unifiant l’ère de l’Incarnation, une technique pratiquée par les hagiographes depuis un siècle et enseignée à Elnone par Milon.
Saint-Hubert d’Andage (937)
26En 937, un hagiographe des Ardennes se livre dans sa Vie de Bérégise, fondateur du monastère d’Andage devenu Saint-Hubert, à une réflexion à voix haute qui rappelle les préoccupations de Milon114. L’hagiographe répond par avance à ceux qui lui reprocheraient d’écrire au xe siècle la Vie d’un abbé du début du viiie siècle sans autre source que le témoignage oral. Ce faisant, il va très loin dans l’exposé de son raisonnement chronologique :
Quant à l’époque où vécut cet homme, on se souvient sans hésitation qu’il a habité au palais sous Pépin, ce qui pousse à se demander sous quel Pépin ! puisqu’on lit qu’ils furent trois connus pour avoir été à la tête du duché des Francs d’Austrasie. C’est le dernier d’entre eux, quand s’éteignirent les descendants de la souche de Clovis, premier roi chrétien des Francs, qui avaient été investis par Dieu du gouvernement du royaume, selon la croyance de ceux qui ont écrit l’histoire des rois francs, qui fut le premier de cette souche de rois, qui s’éteint désormais, à être élevé au trône. Comme j’hésitais sur ces sujets, j’ai découvert un document qui avait été placé dans le trésor de l’église et s’y trouvait conservé. L’acte, contemporain de ce vénérable abbé [Bérégise], avait été établi à son nom de la part d’un comte de cette époque nomméGrimbert : il s’agissait d’une donation de vignes à Trèves, vignes qui dépendent aujourd’hui encore du monastère. Après l’avoir examiné, et décrypté avec peine du fait de la difficulté de l’écriture barbare, j’ai compris à la fin que l’acte disait lui-même avoir été rédigé la cinquième année du roi Thierry115.
27Partant d’un synchronisme connu – Bérégise est contemporain de Pépin – l’hagiographe utilise un document d’archive pour en élargir la portée : Bérégise est contemporain de Pépin qui est contemporain du roi Thierry. Une fois la concordance chronologique établie, il se documente sur l’époque du « roi Thierry » à partir d’une source narrative, LHF ou Historia vel gesta Francorum116. L’hagiographe n’est pas particulièrement favorable aux Carolingiens117. La Vie met d’ailleurs en scène une confrontation entre un Bérégise « sans considération aucune pour le prince qu’élevaient une gloire et une puissance de ce monde » et un Pépin ii que le saint reprend pour s’être « soumis au diable après avoir rejeté Dieu118 ». Il ne retrace donc pas une longue histoire des Carolingiens en signe d’allégeance, mais bien en spécialiste, suivant peut-être l’Histoire des Francs carolingienne (ap. 774-av. 787)119 mais en évitant toute mention de victoire militaire (Tétry contre Berchaire ; en Frise contre Radbod). Il comble à grands traits la durée qui sépare 714 de 937, en expédiant le règne de Pépin iii sans mentionner le sacre et celui de Charlemagne sans faire état du titre impérial. Ce qui intéresse l’hagiographe est de faire savoir, comme l’avait fait Milon, qu’il peut justifier sa reconstitution chronologique :
Je suis donc retourné aux volumes où l’histoire des rois susdits est écrite, et j’ai découvert que sous le roi des Francs Thierry, Pépin dit le Jeune, fils d’Ansgise [sic], était à la tête du ducatus des Austrasiens avec un certain Martin. Ce Martin une fois tué par Ébroïn qui était maire du palais, et Ébroïn étant lui-même mort dans l’intervalle, Pépin avait cependant été chargé du gouvernement en premier après le roi ; le même Pépin avait eu une très noble épouse nommé Plectrude, qui lui donna des fils Drogon et Grimoald ; lequel Drogon, devenu duc en Champagne, mourut avant son père. Quant à Grimoald, alors qu’il était un maire du palais au pieux comportement, il fut tué à Liège par l’infâme Raingarius dans la basilique du martyr Lambert. De quelque noble femme, on dit que le même Pépin engendra un fils, qu’il appela Charles en langue vulgaire et qui, devenu un adulte d’un courage farouche, se livra après le décès de son père à d’innombrables massacres d’ennemis et fut partout vainqueur – la puissance d’en-haut l’avait distingué. Après son décès à lui, ils furent deux sur son trône, puisque Carloman et Pépin reçurent le ducatus. Mais Carloman se rendit à Rome et devint moine. Quant aux Francs, ils déposèrent le roi de la souche de Clovis qui avait continué jusque-là à vivre sans noblesse aucune et le tonsurèrent : ils firent de Pépin leur roi. Ce Pépin, surnommé le Bref, homme d’une grande dévotion et d’une grande puissance, fit venir des chantres de Rome et ordonna qu’ils ennoblissent les Églises des Francs. Il fut le père de Charles le Grand, roi très puissant des Francs et de tous les Gaulois, Germains, Saxons et Italiens, et de nombreux autres peuples. On voit donc que c’est à l’époque de ce Pépin, fils d’Ansgise, c’est-à-dire Pépin le jeune que vécut l’homme vénérable [Bérégise], puisque c’est bien pendant qu’il tenait l’Austrasie sous sa direction que Thierry, au nom de qui l’acte dont il a été question a été confirmé, exerçait le gouvernement du royaume. Ce Pépin, comme on le trouve dans son histoire, mourut l’an 714 de l’Incarnation du Seigneur. Nous pouvons en conclure combien de temps s’est écoulé depuis la fondation première de cet établissement, que le religieux prêtre commença le premier à habiter et à créer sous le regard de Dieu et selon Sa volonté : puisque c’est la seconde année du règne d’Otton [ier], fils d’Henri sur les Saxons, à savoir la 937e depuis l’Incarnation du Seigneur, c’est donc que se sont écoulées 223 années depuis la mort de Pépin, à l’époque duquel, le bois ayant été coupé, on ménagea la place nécessaire pour l’installation120.
28Helmut Reimitz a montré qu’on réfléchissait au ixe siècle à Saint-Hubert à l’histoire franque121. La Vie de Bérégise s’inscrit dans la continuité de ces travaux. Elle suit l’histoire franque, considérée comme un tout depuis le baptême de Clovis, et regarde les familles royales se succéder pour situer Bérégise dans une chronologie ferme. L’auteur revendique un traitement libre des sources : il utilise le diplôme comme une source primaire, exploite les gesta regum sans les citer et en s’affranchissant de leur propos politique. Il faut dès lors entendre le long prologue pour ce qu’il est le plus évidemment, une démonstration de compétence intellectuelle : à un endroit où les hagiographes se lamentent si souvent sur leur impuissance et leur petitesse, l’hagiographe de Saint-Hubert explique qu’il est capable de remplir la mission qu’on lui a confiée, parce qu’il maîtrise la chronologie. Il utilise l’AD comme l’outil technique qui coordonne des documents de nature diverse ; elle peut cependant aussi avoir une portée idéologique typique du xe siècle dans la mesure où elle assure une continuité des Mérovingiens aux Carolingiens, puis à ce duc de Saxe contemporain sous lequel écrit l’hagiographe. Recourir à l’ère de l’Incarnation n’est en effet jamais banal dans les Vies : quand les Annales écrivent AD l’irrésistible succès des Carolingiens aux viiie et ixe siècles, la technique a une portée politique légitimiste immédiate ; ce n’est plus le cas au tournant des ixe et xe siècles, où l’ère de l’Incarnation renvoie à une lecture plus universaliste de l’histoire impériale.
Interpréter l’histoire par la chronologie
Synchronismes
29Les deux Passions composées à la gloire du martyr de Vienne Didier au cours des années 610 ne disent rien de l’époque à laquelle il a vécu122 ; elles s’attacheraient plutôt à dissimuler le contexte historique immédiat, partie par prudence politique, partie du fait de cet éloignement qu’on a qualifié au premier chapitre entre l’hagiographie et l’histoire, la première prétendant révéler l’envers éternel de la seconde qu’elle tient pour une simple chronique événementielle. Le fait est frappant à propos d’un homme victime d’un complot politique et aussitôt célébré, mais révèle une tendance plus générale : une Vie de saint des viie et viiie siècles ne dit jamais d’entrée de jeu sous quel roi il a vécu, mais plutôt comment il a fui le monde – et ce, même s’il a fait carrière à la cour123. La situation change avec la fin du viiie siècle, quand un hagiographe ambitieux que W. Levison a appelé Donat se met à relire le passé mérovingien où a vécu son héros Hermeland : « Ils étaient nombreux déjà sur toute la surface de la terre, les rois qui avaient soumis leurs cous au joug de la religion chrétienne : la foi de la sainte Église jouissait d’une paix tranquille maintenant que, l’obscuritédes erreurs dissipée, la lumière de la vérité évangélique resplendissait sur tout ce qui obéissait au roi des Francs Clotaire124. » Le tableau harmonieux d’un contexte politique favorable à l’expansion de l’Église, avec mention des rois francs valant datation, caractérise des textes rédigés sous le règne de Charlemagne. C’est ce nouveau langage hagiographique qu’Alcuin utilise quand il choisit ca. 801-804 de commencer sa réécriture de la Vie de Riquier par le roi Dagobert. Il est clair qu’il pense moins à la chronologie pour elle-même qu’il ne s’adresse à Charlemagne, dédicataire de l’œuvre commandée par Angilbert abbé de Saint-Riquier :
C’était à l’époque du très glorieux Dagobert, roi des Francs qui brilla de l’éclat de sa puissance dans le siècle et de la noblesse de la religion chrétienne ; car il éleva aux dignités ses grands et confia des honneurs aux serviteurs de Dieu. C’est la raison pour laquelle durant les jours de sa vie, des pères saints commencèrent à construire des monastères en grand nombre tandis qu’on voyait beaucoup de laïcs revêtir l’habit religieux. Parmi eux, Riquier125...
30De fait, c’est à partir du règne de Charlemagne que la contextualisation liminaire devient fréquente dans l’hagiographie, dont elle signe l’instrumentalisation politique. Elle est cantonnée à l’incipit et parfois à l’explicit, sans se traduire en date mais plutôt en noms propres, puisque le synchronisme est subordonné à l’évocation d’un âge d’or. Une telle contextualisation est sans rapport par ailleurs, ni avec la qualité de l’information de la Vie, ni avec sa propre chronologie. Par exemple, la Vie de Liutbirga (m. 870), adoptée par une noble Saxonne nommée Gisla, fille du comte Hessi, contient une profusion de détails sur cette famille et ses possessions dans un récit mis par écrit immédiatement après la mort de la sainte (av. 875) ; mais elle ne situe pas autrement l’action dans l’histoire contemporaine que par sa première et de sa dernière phrase, qui se répondent. L’incipit décrit le rôle décisif de Charlemagne dans l’adoption du christianisme par les Saxons ; l’explicit place la mort de Liutbirga sous le règne de son arrière-petit-fils Louis126 ; aucun des deux empereurs ne joue de rôle dans l’existence de la sainte, mais l’hagiographe a choisi de saluer ensemble la dynastie carolingienne et la puissance de la famille fondatrice de Wendhausen :
À l’époque de l’empereur Charlemagne, qui porta le premier dans les confins de Germanie le nom de César Auguste, qui soumit au royaume des Francs des nations nombreuses, au nombre desquelles à cette époque la très noble, et très considérablement puissante nation des Saxons, qu’il obtint partie par des guerres, partie par son habileté personnelle et le zèle de sa grande intelligence, et par-dessus tout par des dons abondants, et soumit à la religion chrétienne après l’avoir arrachée aux rites du paganisme, il [Charlemagne] combla de grandes responsabilités un certain Hessi, membre de l’élite des nobles de cette nation, hommes nombreux auxquels il avait donné rang de comtes– il avait reconnu en lui parmi tous les autres un homme qui lui était fidèle127.
31L’usage d’une contextualisation liminaire contribue ainsi à la transformation des histoires dynastiques en histoires saintes, nouant l’éloge de tel saint à l’éloge du roi qui a été son patron ou simplement son contemporain. Le phénomène sera donc plus marqué dans « l’hagiographie ottonienne », au sens précis que Walter Berschin a donné à l’expression128. Peu après 973, la première biographie de la reine Mathilde (m. 968), épouse d’Henri ier duc de Saxe et mère d’Otton ier, constitue un point d’aboutissement de la tendance engagée sous les Carolingiens129. Selon Monique Goullet, « le renforcement du contexte historique » caractérise les réécritures des xe et xie siècle en Gaule du nord130 et se manifeste notamment par ces « hors-d’œuvre historiographiques », cadres de nos synchronismes liminaires.
32L’historicisation en question, visible car militante, relève du discours idéologique. Elle ne demande pas de compétence technique ; un hagiographe des années 870 n’a pas besoin d’avoir lu Bède pour situer approximativement l’action sous Charlemagne. Mais à partir du moment où l’évolution générique engagée au début du ixe siècle demande qu’un saint apparaisse dans un contexte politique, et dès lors que l’hagiographie carolingienne relit les temps mérovingiens ou tardo-antiques, les auteurs doivent vérifier par des calculs l’adéquation du contexte qu’ils évoquent avec la vie de leur saint131. Un tel retour aux Mérovingiens ne pose pas un problème insoluble à l’hagiographe qui s’attaque à la première Vie de Calais d’Anille. La première Vie de Calais l’avait montré croisant, mais seulement au chapitre 7, un « roi des Francs Childebert » parti à la chasse132. L’hagiographe carolingien qui pense remettre le texte à l’endroit situe donc Calais dès le prologue « à l’époque de l’excellent roi Childebert133 » et inaugure son remaniement par un long paragraphe de contextualisation :
Le prince en question et son frère Clotaire dirigeaient l’État (respublica) du royaume des Francs et, comme le veut l’usage en de telles circonstances, avaient partagé en deux la puissance royale sur leur royaume, mais de telle sorte que, l’unité étant maintenue dans l’amour fraternel, chacun d’eux exerce le pouvoir sur la partie du royaume que l’autre lui avait transmise. Désireux d’avoir des enfants, ils entreprirent de se marier. Clotaire prit pour reine Radegonde… [long éloge de la sainte reine selon BHL 7048-7049]. Le grand roi Childebert s’unit à Ultrogothe, dont les mérites faisaient une reine vénérable134. Et c’est à cette époque que le serviteur du Christ Calais…
33L’hagiographe n’a exploité pour ce paragraphe aucune source d’histoire. Il a simplement déduit de la mention des deux acteurs de la première Vie, Childebert et Ultrogothe, que le Childebert en question est Childebert ier (m. 558), connu comme époux d’Ultrogothe depuis Grégoire de Tours, donc le contemporain de Clotaire ier (m. 561) qu’il connaît uniquement par l’hagiographie comme époux de Radegonde. Le reste tient du roman édifiant – les frères s’aiment, les royaumes se partagent de bonne grâce, on ne se marie que pour avoir des enfants – construit sur la base de ce qui pourrait être un tableau généalogique des Mérovingiens. Insistons : l’hagiographe n’intervient pas en érudit pour mentionner une source historique (phénomène qu’on saisira au chapitre « Retour aux sources ») ni au nom de son interprétation religieuse de l’histoire (comme ses collègues du chapitre « Histoire sainte »), mais en témoin moyen d’une mode inaugurée au ixe siècle dans l’espace franc, qui consiste à planter un décor politique sur la base de synchronismes. Il faut jouer avec des tableaux et des listes, sur le modèle des colonnes parallèles passées d’Eusèbe à Jérôme, mais avec un contenu réactualisé. Pour des Mérovingiens sans numéro d’ordre, il faut un certain sang-froid, comme chez l’hagiographe de Leufroy qui situe le patron de son abbaye sous « le très noble prince Charles Martel, maire du palais [717-741] qui, au temps où le roi Dagobert [iii, 711-715], fils du très glorieux et très juste roi Childebert [iv, 695-711] tenait le royaume des Francs, était responsable de l’État et le gouvernait avec noblesse135 ». La colonne a apparemment subi un léger décalage ; tout le monde n’est pas Frédéric de Saint-Hubert. L’une des réécritures de la Vie de Geneviève136 après 870 est l’expérience des plus révélatrices en la matière : elle montre en même temps qu’il est désormais courant de nourrir un projet chronologique ambitieux et qu’il est extrêmement difficile de le mener à bien. L’hagiographe ne modifie pas la tradition mérovingienne, sinon pour dire à quel moment a vécu Geneviève au cours du ve siècle :
… Il est bien vrai que nous ignorons le jour précis de sa naissance ; nous pouvons cependant déduire des histoires des anciens que c’est à l’époque des empereurs Honorius [m. 423], qui régnait en Occident, et Théodose [ii] le jeune [m. 450], qui régnait en Orient, qu’elle vit si heureusement le jour dans la paroisse de Nanterre, où demeuraient son père Sévère et sa mère Gérontie. Et bientôt après, Dieu voulut que le saint évêque d’Auxerre Germain qui se rendait en Bretagne, révélât à bien des gens qu’elle serait pour toujours la servante du Christ, conservant intacts son corps autant que son esprit. Croissant en taille comme en droiture de comportement, elle demeura pourtant chez ses parents depuis cette époque jusqu’à celle de Valentinien [iii, m. 455], où l’empire romain connut une fin précipitée sur le territoire de la Gaule, quand les Francs s’y emparèrent du pouvoir par la violence et nommèrent la région d’après leur propre nom. Elle était déjà jeune fille naturellement quand elle fut par la suite consacrée par l’évêque de Chartres Vilicus ; elle resplendit d’innombrables vertus et miracles du vivant des saints prélats de Reims Nicaise, qui reçut la couronne du martyre sous la violence des Huns, puis Remi, c’est-à-dire sous les rois des Francs Childéric, Clovis [m. 511], jusqu’à l’époque du roi Clotaire [Ier m. 561] et de Childebert [Ier m. 558], époque à laquelle son âme reçut la grâce, une fois déposée la fragile enveloppe de son corps, de passer la porte du paradis.
34Les suites homogènes sont correctes, soit la succession d’Honorius à Valentinien iii d’une part, la succession des rois francs de l’autre, et même, avec des lacunes entre Nicaise et Remi, l’enchaînement de la liste épiscopale rémoise, bien qu’on situe plus volontiers le martyre de Nicaise sous les Vandales (ca. 406) que sous les Huns (ca. 451). Pour l’encadrement de l’existence terrestre de Geneviève en revanche (ca. 420-500/502), il y a au moins vingt ans de décalage ; un moindre mal si on veut, en même temps qu’un curieux aveu d’impuissance à propos d’une sainte qui fréquente avec Childéric, Germain d’Auxerre, Clovis et Clotilde, des personnages d’une certaine notoriété. Il n’y a pas besoin de critiquer la formation reçue par l’hagiographe ; un excellent intellectuel comme Thierry de Saint-Trond échoue lui-même dans la deuxième moitié du xie siècle quand il veut commencer sa nouvelle Vie de Bavon par un synchronisme inconnu de la tradition antérieure. Bavon est un disciple de l’évêque Amand, que son propre dossier met en relation avec les rois Dagobert (m. 638) et Childéric ii (m. 675)137 :
Le glorieux athlète de Dieu Allowinus, surnommé Bavon, que Dieu a élu par avance et prédestiné avant les siècles, né de la race des princes des Francs et héritier des ducs des Austrasiens, naquit et fut élevé au pagus de la Hesbaye – lieu fameux ! – en Gaule Belgique, tandis que Pélage [ii, 579-590] prédécesseur du bienheureux Grégoire, présidait au pontificat universel, que gouvernait Justin le jeune [Justin ii, 565-578], et que Clovis [sic, m. 511] régnait sur le royaume de Francie138.
35On pourrait penser que Thierry ne date pas à proprement parler l’existence de Bavon ; il dit la réalisation du plan de Dieu à travers la succession des dynasties franques et la distinction de sa région de la Hesbaye où se trouve Saint-Trond ; il écrit surtout en nostalgique d’un passé englouti139, où « Clovis » pourrait incarner la perfection d’une monarchie catholique. L’hagiographe cependant n’a pas énuméré les noms d’une façon arbitraire. Il s’est servi des tables de concordance du type de celles dont a parlé Milon, et qui essaient, le long d’une ligne AD, de conduire des histoires parallèles des papes et des empereurs. De fait, en introduction comme en conclusion, il met en rapport, avec la même approximation, les empereurs de Byzance, les papes, et l’existence de Bavon :
... la glorieuse assomption [de Bavon] à l’honneur de l’éternité eut lieu le premier jour des calendes d’octobre [1er octobre], trois ans moins quarante jours après sa conversion l’an 631 de l’Incarnation du Seigneur, tandis qu’Heraclius [614-640] présidait à l’empire romain et Martin [649-655] au pontificat universel, sous le règne de notre Seigneur Jésus Christ, avec le Père et le Saint Esprit pour l’éternité des siècles des siècles140.
36En dehors de l’aberration initiale qui voit intervenir Clovis, l’hagiographe donne de son mieux une fourchette raisonnable, sans intention affabulatrice, mais en comptant sur les listes les plus complètes dont il peut disposer, celles des papes et des empereurs. Comme l’histoire des Mérovingiens n’a pas été écrite sous cette forme standardisée des listes chronologiques, il se trompe de cinquante ans quand il écrit à six siècles de distance. Reste pour nous le réflexe essentiel, qui lui fait inventer par déduction les dates de Bavon. Il n’est pas le seul141 ; vraisemblablement au cours du xe siècle, des clercs se sont émus qu’à Vérone, l’existence de l’évêque Zénon soit située dans un passé d’opérette, tiré des Dialogues, où le saint croise « un roi Gallien ». On trouve dans la version liturgique de la Vie la correction qui s’impose, dont on voit rapidement comment elle a été obtenue : « Aux jours de l’empereur Gallien, qui vient dans la liste de succession des empereurs en vingt-septième position, et à l’époque où le très vénérable Denys était à la tête de l’Église romaine, le vingt-sixième depuis le bienheureux apôtre Pierre142… »
37À force d’exemples, on peut en effet reconstituer les méthodes et constater que les difficultés techniques restent pour beaucoup d’auteurs insurmontables. Pour l’analyse historique, il est aussi utile de qualifier le moment et l’endroit où survient ce réflexe de la date. L’évolution de la Passion de l’évêque de Trente Vigile vient confirmer que le goût de la date caractérise les royaumes francs avant l’Italie143. Vigile, évangélisateur de Trente, Vérone et Brescia, a été lapidé par des païens dont il avait jeté l’idole dans une rivière. Son corps est rapporté triomphalement à Trente après quoi un hagiographe a conclu sa Passion par les dates qui intéressent la communauté locale : « Évêque de la cité de Trente pendant douze ans, le saint évêque Vigile mourut le 6 des calendes de juillet [26 juin] sous le consulat de Stilichon et le règne de notre Seigneur Jésus Christ, à qui l’honneur et la gloire aux siècles des siècles144... ». Cette conclusion est identique aux variantes orthographiques près dans les Passions BHL 8602f et BHL 8603, mais dans le texte édité par les Bollandistes, la datation a été modifiée : « Le bienheureux Vigile évêque de la cité de Trente mourut pour finir en martyr glorieux, à l’époque du règne des empereurs Théodose et Honorius, sous le consulat à Rome de Stilichon, comme le pape Hormisdas tenait le siège apostolique, mais sous le règne de notre Dieu et Seigneur Jésus Christ… pour l’éternité des siècles des siècles145. » Les détails qui intéressent la commémoration liturgique (obit) et l’histoire locale (durée d’épiscopat) ont donc disparu au profit d’un cadre chronologique impérialo-chrétien entre le ixe siècle où la Passion est diffusée au nord des Alpes et la copie du légendier source des Acta sanctorum au xiie siècle. L’intervention est plus que maladroite : faire coïncider le consulat de Stilichon (400 ; 405) avec les empereurs Théodose (m. 395) et Honorius (m. 423) ne pose pas trop problème, mais l’arrivée du pape Hormisdas (514-523) s’explique mal. Bien qu’il ne soit donc pas un spécialiste de chronologie, l’auteur a cru nécessaire de situer Vigile de Trente au cours de l’Antiquité tardive, alors que son premier biographe avait trouvé la chose inutile. Une telle correction traduit une évolution dans la conception de l’hagiographie, dont le discours se rapproche de celui de l’histoire, y compris chez des auteurs qui ne pratiquent pas l’hagiographie documentaire. La naissance de ce réflexe peut être datée de la fin du viiie siècle grâce à l’indice offert par l’usage de l’ère de l’Incarnation.
Une célébration de la monarchie carolingienne (ixe s.)
38Les années 780-830 voient l’apparition d’une génération d’auteurs qui, après le modèle précoce de la Vie de Ceolfrith146, utilisent l’annus Domini pour les deux dates qui peuvent faire l’objet d’une commémoration spécifique, c’est-à-dire une fondation147 et surtout la mort du saint. Les premières occurrences d’obit AD sont classées ci-dessous par ordre chronologique de rédaction ; on ne s’étonnera pas de retrouver ce Willibald qu’on a supposé lecteur de Bède, parmi les premiers hagiographes qui utilisent la technique :
– av. 786 : obit de Boniface AD 755148 (sic)
– ca. 780-800 : obit d’Ermin de Lobbes le 7 des calendes de mai 737149
– ca. 780-810 : obit de Vulfran le 13 des calendes d’avril 720150
– 822-823 : obit de Benoît d’Aniane le 3 des ides de février 821151
– ap. 821-av. 829 : obit d’Alcuin le 14 des calendes de juin 804152
– apr. 827, ca. 835-840 : obit de Denis le 7 des ides d’octobre 96153
– ca. 839-849 : obit de Liudger le 7 des calendes d’avril 809154.
39Pour presque tous ces textes, il s’agit finalement d’utiliser le calendrier annalistique qui a cours pour dater un décès récent de l’année en plus du jour et du mois : même si c’est aller contre les habitudes hagiographiques, la démarche n’est pas révolutionnaire. Mais donner la date de mort d’un saint des temps apostoliques dans la Passion de Denis (BHL 2175) fait de cette réécriture un cas exceptionnel – aucun des deux textes antérieurs, BHL 2171 et BHL 2178, ne contenait la précision. Hilduin donne de plus une ampleur inédite au procédé :
Leur [celle de Denis, Rustique et Éleuthère] très glorieuse et mémorable passion… f ut célébrée le 7 des ides d’octobre [9 octobre],l’an 96 de l’Incarnation de notre Seigneur Jésus Christ, la 64e depuis Sa Passion, alors que le très bienheureux Denis était âgé d’environ 90 ans, et que l’empire du très cruel César Domitien entrait dans sa 16e année. La punition divine poursuivit ce dernier sans aucun retard, comme cela avait été le cas, après le meurtre des apôtres, de Néron dont il était le double : frappé, il perdit comme de juste d’une façon déplorable la vie avec son principat tyrannique155.
40Le fait qu’Hilduin désigne Domitien comme la « doublure » (portio) de Néron signale le recours à l’Histoire ecclésiastique, car l’expression vient de Tertullien via Rufin156, que répète Fréculfe157. L’Histoire ecclésiastique suffit encore pour savoir que Domitien a succédé à son frère Titus, mais pas pour fixer leurs dates de règne : d’après les résultats auxquels Hilduin parvient, il a utilisé les chroniques de Bède (ou un dérivé du type Chronicon universale) qui placent la mort de Tite (pour nous AD 81) en 4033 AM et celle de Domitien (AD 96) en 4049 AM. Domitien est donc mort en 4049 AM-3952 AM = 97 AD, avec l’année d’hésitation inhérente à ce type de calcul. Et puisque la mort de Domitien est la punition immédiate de la passion qu’il a infligée à Denis, Denis est mort en 96 AD. Dans tout le reste de la Passion, Hilduin utilise les rapprochements habituels – Paul est venu à Athènes « à l’époque où régnait l’empereur Claude158 » ; Denis arrive à Rome après le martyre de Pierre et Paul « la 14e année » du règne de Néron159 – mais il a adopté la nouvelle mode d’un décès solennisé AD. Contrairement aux hagiographes de Fontenelle, il n’a pourtant aucun document à mettre à profit.
41Les autres dates données AD dans les Vies du début du ixe siècle, sont les dates fondatrices, fondations d’églises à proprement parler, translations inaugurant un culte, points de départ ou dates de naissance symboliques. L’une des plus précoces est, ca. 790/818-820160, la fondation de Fulda par Sturm au lieu-dit Eihloha, donné par le roi Carloman à la demande de Boniface (cap. 12). Sturm, avec sept frères, « se rendit dans ce lieu où est aujourd’hui placé le monastère et, l’an de l’Incarnation du Christ 744, comme régnaient sur le peuple des Francs les deux frères Carloman et Pépin, à la 12e indiction, au premiermois, en son 12e jour, entra dans le lieu saint que Dieu avait prédestiné longtemps auparavant161 ». L’hypothèse que la date est surtout inspirée par la mention des deux rois carolingiens semble s’imposer. Elle est confirmée par la Vie du missionnaire Willehad, évêque fondateur de Brême (m. 789), dans laquelle, vers 838-855, la conversion des Saxons et des Frisons du pagus Wigmodia grâce à la prédication de Willehad est datée « AD 781162 ». La date de 781 n’est pas celle de la consécration de Willehad, ni celle de la fondation du siège épiscopal. Elle est donnée de fait par l’hagiographe comme une cheville qui lui permet de rattacher l’évangélisation de la région entre Elbe et Weser (pagus Wigmodia) à un dessein de Charlemagne, et d’intégrer ainsi la région à une « Europe » impériale et chrétienne. Le chapitre 5 fait commencer l’histoire avec le « très glorieux roi des Francs Charles [Charlemagne] » qui travaille sans relâche à convertir des Saxons infidèles quand il entend parler de Willehad. Charlemagne mandate alors le saint, dont il a éprouvé la foi et les bonnes mœurs : « il [Charlemagne] l’envoya au pagus appelé Wigmodia pour qu’avec l’autorité royale, il y établisse des églises... ». Willehad accomplit donc un ministère reçu d’un roi, qui devient empereur :
Ce ministère reçu avec dévotion, il [Willehad] le mena à bien le plus soigneusement possible… si bien qu’en deux ans, les Saxons comme les Frisons qui demeuraient dans la région qu’il avait parcourue promirent tous, les uns comme les autres, de devenir chrétiens. Ce fut donc fait l’an de l’Incarnation du Seigneur 781, la 14e du règne de ce prince Charles, qui n’avait pourtant pas encore été élevé au faîte sublime de l’empire. Il fut par la suite consacré à Rome de la main du très respectable pape Léon la 34e année de son règne, et l’Église du Christ fondée en Europe le reçut comme empereur, pleine à la fois d’honneur et d’allégresse163.
42Le chapitre continue sur un ton encore plus solennel par une célébration de la translatio imperii164, conclue par un retour aux questions pratiques de Willehad : « C’est donc à l’époque de son règne que le serviteur de Dieu Willehad commença à construire des églises en Wigmodia... » Comme dans la Vie de Sturm – et tant d’autres Vies de la première moitié du ixe siècle – l’apparition de l’annus Domini vient en fait donner de l’importance à un événement qui mêle le saint à la célébration de la politique pippinide ou carolingienne. Sans la Vie de Willehad, on pourrait penser qu’il s’agit d’un effet secondaire de l’utilisation de sources diplomatiques – c’était le cas à Fontenelle, cela pourrait être le cas pour Sturm. Mais la Vie de Willehad permet de saisir la dimension idéologique intrinsèque au système de datation : la date AD coïncide avec un moment de célébration politique au cœur de la Vie165. À la même époque, l’usage que Jonas d’Orléans fait de l’AD dans sa réécriture de la Vie de l’évêque Hubert prouve qu’il s’agit fort peu de dater un événement et davantage de magnifier l’intervention des Carolingiens dans la vie de l’Église. La réécriture est motivée par l’organisation récente de la translation d’Hubert, de son siège de Liège vers le monastère d’Andage (825) ; mais est-ce bien elle qu’on situe en 813, ou l’arrivée au pouvoir de Louis fils de Charles ?
L’an de la très-bienheureuse Incarnation de notre Seigneur Jésus Christ 813, après que le très renommé empereur Charles, très victorieux, très pieux auguste, a été délivré des préoccupations humaines, lui qui dilata en tout sens les territoires du royaume des Francs et accrut à l’intérieur de ses limites la gloire du Christ – lui qui dissipa surtout avec grande vigueur l’aveuglement de nations nombreuses et les rendit à l’éclat de la lumière et de la clarté après les avoir arrachées aux ténèbres profondes – son glorieux fils Louis prit heureusement après lui le gouvernement impérial qui lui était dû et que Dieu lui avait confié. Car il convenait que le Christ établît à la tête de son empire un prince si bon et si capable que non seulement resplendirait en lui le modèle du gouvernement impérial de ses ancêtres, mais qu’il serait aussi pour tous ses sujets un excellent exemple de vertus à imiter puisqu’il brillait par la noblesse de son esprit, sa prudence singulière, l’innocence de ses mœurs166...
43Ce n’est là que le tout début d’un passage qui inaugure l’une des pages les plus éloquentes sur ce que « réforme de l’Église » signifie au début du règne de Louis le Pieux. Louis donc, que l’évêque Walcaud de Liège aide de son mieux, souhaite relever le monastère d’Andage où la vie canoniale a dépéri ; des moines sont installés, ils réclament les reliques d’Hubert, transfert auquel consentent le métropolitain dûment consulté et l’empereur lui-même à l’occasion des conciles d’Aix. « La 16e année de son ordination [celle de Walcaud], en l’an 825 de l’Incarnation du Seigneur 167 », la translation peut avoir lieu. Dans une Vie où seuls apparaissent les dénombrements habituels, repris par Jonas à la première Vie, les deux dates AD sont ainsi celles qui correspondent à l’accomplissement bénéfique de la volonté impériale168.
Ère de l’Incarnation et dessein divin universel
44La lecture de Bède a mis en valeur la portée religieuse inhérente à l’ère de l’Incarnation. Certes, elle sert à l’intérieur du royaume carolingien à scander le temps politique mais elle a par nature une valeur universelle. Si les Carolingiens l’utilisent, c’est entre autres parce qu’elle sert à signifier qu’ils ont été placés par Dieu à la tête du peuple élu pour mener à bien la christianisation du monde, parce qu’ils prennent la suite de l’empire romain chrétien169. Il n’y a donc pas de raison pour que l’ère de l’Incarnation ne soit utilisée que dans le contexte franc, même si elle n’apparaît ailleurs qu’avec parcimonie170. L’usage qu’en fait Paul Diacre conforte sa signification catholico-impériale fondamentale171. L’historien ne donne qu’une seule date AD dans son Histoire des Lombards rédigée à la fin des années 780, au moment de présenter l’entrée des Lombards en Italie sous les allures d’une entrée en Terre promise. Tout y est, l’exil après l’exode, la Pâque et même Moïse sur le Mont Nébo :
Laissant la Pannonie, les Lombards s’étaient donc avancés avec leurs femmes, leurs enfants et tout leur bagage, pour prendre possession de l’Italie. Or ils étaient demeurés en Pannonie 42 ans. Ils en sortirent au mois d’avril, à la première indiction, le lendemain du saint jour de Pâques qu’on fêtait cette année, selon le calcul du comput, le jour même des calendes d’avril, comme 568 années s’étaient déjà écoulées depuis l’Incarnation du Seigneur. Comme le roi Alboin était donc parvenu aux frontières de l’Italie avec toute son armée mêlée à la masse du peuple, il monta sur le mont qui domine ces confins et contempla d’en haut la partie de l’Italie qu’il pouvait apercevoir172.
45En ce moment unique où ils prennent la suite de l’histoire romaine, les Lombards peuvent prétendre au titre de peuple élu. Ils quittent alors le régime d’une histoire seulement nationale, évaluée en durées relatives et intervalles, pour entrer dans l’histoire envisagée dans une perspective catholique, à la fois universelle, providentielle et potentiellement impériale. L’interprétation paraîtra moins audacieuse quand on aura lu ce que le même Paul Diacre avait dit de l’AD dans son Histoire romaine. L’Historia romana est présentée par son auteur comme une réponse à la demande d’Adalperge de Bénévent de disposer d’une version christianisée du Bréviaire d’Eutrope, qui s’arrête avec Constantin : « ... Outre son extrême brièveté, ce texte t’a déplu parce que ce païen n’a fait aucune mention de l’histoire divine et de notre religion173. » Paul Diacre se propose donc un double travail : tout en continuant l’histoire de Rome jusqu’en 553, il l’« accorde » (consonam reddidi) avec l’« histoire très sainte », autre nom de la Révélation. Ce propos passe entre autres choses par un ajustement des usages de datation. La première mention de l’annus Domini coïncide avec la mort de l’empire d’Auguste, datée selon la triple perspective de la fondation de Rome (ab urbe condita 1209), du principat fondé par Jules César (a Gaio 570) et de l’Incarnation (AD 475)174. Paul Diacre explicite alors ce qui sera son principe directeur dans son dernier livre :
Puisque l’empire s’est interrompu dans la Ville de Rome, il me semble plus commode et plus pratique de suivre le fil du calcul en fonction des années de l’Incarnation du Seigneur, moyen plus facile de donner à comprendre à quel moment unévénement s’est produit. En AD 492, au décès de Zénon, Anastase revêtit la pourpre : il prit le 47e rang au nombre des rois. C’est lui qui souilla de l’ordure de l’hérésie d’Eutychès l’honneur de l’empire romain175.
46En vérité, Paul n’utilise plus l’année de l’Incarnation qu’à deux reprises dans le reste du texte. Il a dit l’essentiel en parlant de son changement de méthode : une rupture est survenue en 476 et les hommes qui continuent à porter le titre impérial en Orient n’en sont pas dignes. L’ère nouvelle, qui justifie qu’on passe d’une chronologie ab urbe condita à l’AD, dépend d’un rapport religieux à l’exercice du pouvoir, et plus d’une succession institutionnelle – ni d’une origine ethnique d’ailleurs.
47Les hagiographes qui utilisent l’AD le font donc aussi en pensant à cette histoire longue de l’empire chrétien, surtout constantinien. Au milieu d’une série de textes qui voient les hagiographes revenir au passé impérial, la Vie d’Hélène d’Almann de Hautvillers (av. 882) se distingue par la complexité de sa construction et l’ambition de son propos historique176. Almann célèbre en Hélène, mère de Constantin, celle qui a découvert la vraie Croix, mais aussi une figure de l’Église. Après qu’il a raconté d’après Orose les débuts du règne de Constantin, il conclut son bref rappel historique par un décompte solennel et utilise alors seulement l’ère de l’Incarnation pour saluer avec Hélène et Constantin, les fondateurs de l’empire chrétien : « Constantin, le 34e empereur depuis Auguste, prit les rênes de l’empire l’an 1069 depuis la fondation de la Ville, qui fut l’année 305 de l’Incarnation du Seigneur. Et c’est ainsi que la bienheureuse Hélène devint mère et maîtresse non seulement de la Ville mais encore de l’univers entier ; à juste titre, puisque c’est elle qui devait retrouver pour le monde le bois de la vie par la grâce de Dieu177. » Almann exprime ici la conviction qui fonde l’hagiographie, d’une rencontre entre l’histoire du monde (histoire de Rome) et les buts de la Providence (histoire de l’Incarnation) à travers des individus (Hélène et Constantin). Pour établir sa chronologie, il dépend toujours d’Orose : « L’an 1061 depuis la fondation de Rome, Constantin fut le 34e à recevoir les rênes de l’empire, qu’il tint de son père Constance et conserva seul trente et une années durant pour le plus grand bonheur178. » Il ajoute au synchronisme fondateur qui associe Constantin à la redécouverte de la vraie croix, la datation selon l’Incarnation propre à l’idéologie carolingienne : la naissance d’un empire chrétien a du sens dans la perspective d’un dessein divin, puisque l’empire est le moyen de rendre le Salut vraiment universel.
48Dans ce récit eusébien dans l’esprit, qui associe l’empire à la propagation de la foi, Constantin est un symbole important, mais le règne d’Auguste aussi prend la dimension d’un règne providentiel : Auguste est le premier à avoir réuni les circonstances favorables à l’Incarnation. De fait, l’annus Domini est datée d’Auguste. Le même sujet, qui vient combiner idéologie impériale et histoire de l’Église, est traité avec une certaine application par Hucbald de Saint-Amand vers 885. Hucbald, élève de Milon et son successeur comme écolâtre d’Elnone, montre que la réflexion chronologique était bien enseignée à Saint-Amand comme une technique d’écriture hagiographique. Comme Milon, Hucbald part du Liber de Bède et de textes d’histoire, peut-être traduits en calendriers synoptiques179 ; il ne dispose pas cependant de documents d’archive puisqu’il écrit une Passion de Cyr et Julitte qui ont vécu au début du iiie siècle. Sans aucune nécessité, Hucbald remonte à Auguste, c’est-à-dire à Jésus180 :
Au commencement du sixième âge qui se déroule à présent – cet âge que le Seigneur Jésus Christ, vrai Dieu et homme a bien voulu sanctifier par sa venue la 42e année du gouvernement impérial d’Octavien César Auguste – après avoir dirigé cet empire qu’il tint 56 ans durant selon la volonté de cette Paix en personne alors manifestée dans la chair, un empire pacifié sur tout le pourtour de l’océan puisque tous les peuples avaient été assujettis à une paix unique, et avoir détenu le pouvoir souverain sur toute la surface de la terre, Auguste quitta cette puissance impériale. Parmi ses successeurs, Aurelius Alexandre vint après lui, vingtième empereur – deux cent vingt-six ans, à peu de chose près 181, s’étaient déroulés depuis la naissance du Seigneur. Comme les Églises connaissaient une très grande persécution, ce fut l’époque d’illustres martyres, combats que livrèrent les soldats du Christ par piété : et en échange des supplices qu’ils endurèrent, ils reçurent de Dieu la couronne d’immortalité. Le bienheureux père Callixte est de ce nombre, le seizième après le très bienheureux Pierre prince des apôtres182...
49Hucbald est un auteur subtil, qui réécrit sans copier ; on entend bien cependant sa dépendance à l’égard du Liber de ratione temporum183. Pour le reste, il semble avoir fait ses propres calculs. Dans les outils de chronologie systématique développés après le couronnement impérial de Charlemagne et édités par A. Borst, on trouve le bon matériau – « D’Octavien Auguste jusqu’au Christ, 42 ans. Il [Auguste] régna 14 ans de la naissance du Seigneur jusqu’à Tibère. Le total de ses années de règne est de 56 ans184 » – les empereurs rangés en listes, avec les durées de leurs règnes. Dans l’édition de Borst cependant, la somme des durées atteint 228 années entre la naissance du Christ et le règne d’Alexandre185. L’étonnant n’est pas la compétence qu’Hucbald partage avec d’autres bons élèves, mais l’usage qu’il fait de la chronologie. Alors que les tables, comme les Chroniques qui les inspirent, composent des histoires continues du monde, de l’empire romain puis de l’empire carolingien, Hucbald renvoie toute histoire à l’an zéro de l’ère chrétienne, date de naissance d’une histoire de l’Église fondée sur la succession apostolique. Auguste n’a aucun rapport avec Cyr et Julitte, mais l’Incarnation inaugure le sixième âge qui est celui des saints, et l’empire pacifié qui permet l’universelle Église. Dans l’œuvre d’Hucbald, la Passion de Cyr et Julitte est précoce (av. 885 ?) ; trente ans plus tard, dans le contexte d’une vacance du trône impérial carolingien, Hucbald date sa Passion de Rictrude de la seule date qui tienne, la seule date universelle, « 907 AD186 ».
50Ces essais savants montrent qu’il devient peu à peu normal d’appliquer l’ère de l’Incarnation, référentiel universel, à des époques qui l’ignoraient. L’outil est commode, et il renvoie désormais aussi à un climat impérial. L’auteur de la Passion des martyrs Savin et Cyprien187 – ce pourrait être un pastiche de Passion épique tant les clichés s’y accumulent – place ainsi crânement l’actiondans un ve siècle d’opérette qualifié par une datation romano-antique jumelée à la datation universelle, « l’année de l’Incarnation du Seigneur 458, la sixième année du consulat de Ladicius et Maximus à Amphipolis, cité d’Italie188 ».
L’annus Domini dans l’école hagiographique de Naples
51La lecture la plus exhaustive possible des Vies et Passiones rédigées en Italie entre le viiie et le ixe siècle conduit à penser que l’ère de l’Incarnation n’est pas utilisée avant la création de ce qu’on appelle « l’école hagiographique de Naples », la « plus riche de toute l’Italie méridionale » sous l’évêque Athanase ii (875-898)189. La production de cette école se caractérise par l’abondance des traductions du grec dans un milieu bilingue, le recours à des variantes du prosimetron et la domination des Passions sur les Vies. Les textes sont, de ce fait, dans leur majorité, imperméables aux dates, puisque les hypotextes grecs n’en contiennent pas. Les exceptions sont signifiantes, mais très peu nombreuses. Elles font apparaître la même scansion que dans le monde franc, soit une utilisation politique pro-carolingienne de l’ère de l’Incarnation au ixe siècle, suivie par une interprétation plus universaliste et/ou impériale au xe siècle.
Tableau 8 : Emploi de l’AD dans les Vitae et Passiones de l’école de Naples des ixe et xe siècles
Saint | BHL | Auteur | Date de rédaction | AD |
Arethas | 671 | Athanase ii évêque de | 876-898 | oui |
Théophile | 8121 | Paul Diacre | Avant 877 | non |
Marie | 5415 | Paul Diacre | Avant 877 | non |
Eustrathe | 2778 | Guarimpotus | À Athanase ii | non |
Fébronie | 2843 | ? Guarimpotus | Fin ixe s. | non |
Pierre évêque | 6692-6693 | ? Guarimpotus | Fin ixe s. | non |
Athanase ier | 735 | ? Guarimpotus | Fin ixe s. | oui |
Grégoire | 3664 | ? Guarimpotus | Fin ixe s. | non |
Janvier | 4134-4135 | Jean Diacre | À l’évêque | non |
Euthyme | 2778d | Jean Diacre | av. 902, | non |
Quarante martyrs | 7540 | Jean Diacre | av. 907, | non |
Nicolas | 6104-6113 | Jean Diacre | ca. 900 | non |
Maxime | 5847 | Jean Diacre | ca. 890-910 | non |
Anastase | 411 | Grégoire | Mi-xe s. | non |
Theodore | 8086 | Bonitus | 939-955 | non |
Blaise | 1379-1380 | Bonitus | Mi-xe s. | non |
Gurias, Samonas et Habib | 8c-7747e | Bonitus ? | Mi-xe s. | non |
Basile évêque | 1024 | Orso | 939-955 | non |
52Le tableau fait apparaître la règle, soit l’absence de l’ère chrétienne dans l’hagiographie italienne, et deux exceptions. La première est due à l’évêque Athanase ii, auteur d’une traduction, conservée de façon fragmentaire, qui se distingue par son incipit en forme de date : « Vers l’an de l’Incarnation du Seigneur 521 selon les Latins, la cinquième du règne de Justin l’Ancien qui gouvernait l’empire romain depuis Constantinople, le pape Jean agissant en qualité de prince des apôtres tandis que Jean n’en était pas moins patriarche de Jérusalem, Euphraise celui d’Antioche et Timothée celui d’Alexandrie, le très-juste Helesbas régnait sur la cité d’Axoum dans les provinces d’Éthiopie190 ». L’énumération des noms vient de la version grecque, qui place l’action « la cinquième année du règne impérial de Justinien Ami du Christ, à la deuxième indiction ». Athanase ii a ajouté le pontificat du pape Jean et surtout « l’année 521 AD selon les Latins » : il a donc traduit le système de datation grec dans l’esprit de ce que pratique l’école de Naples, soit une traduction selon le sens et non selon la lettre. C’est une forme d’acculturation, capable d’intégrer Arethas dans le sanctoral latin. Au même moment, le même Athanase ii commande à un hagiographe qu’on peut identifier avec Guarimpotus la Vie de son oncle et prédécesseur Athanase ier (849-872)191. Dans cet essai, unique dans le contexte napolitain, d’hagiographie contemporaine, l’auteur commence par une date selon l’année de l’Incarnation192. Une lacune empêche de comprendre ce qui s’est produit cette remarquable année 835 pour Sergius quidam uir, père d’Athanase ; ce n’est pas la naissance du saint (831)193, ni l’élévation de Serge au duché de Naples (840-846). Les nombreuses autres dates d’un récit qui cite papes, rois et empereurs byzantins sont pour le reste données à la romaine, et toujours avec le même détachement hagiographique : le lecteur ignorera par exemple la date d’élection ou de consécration d’Athanase (850) et jusqu’à l’année de sa mort, alors que le jour en est soigneusement indiqué194 après récapitulation des durées notables195. La datation Anno Domini est donc une formule inaugurale prestigieuse sans utilité pratique. Elle se comprend dans un texte destiné à commémorer la fidélité des ducs à l’égard des Carolingiens d’Italie (Le duc Serge et Athanase son fils sont présentés comme des fidèles de Louis le Pieux et de Lothaire ier puis de Louis ii196.) et plus largement la politique desdits Carolingiens. Louis ii est notamment loué pour ses expéditions militaires contre les musulmans.
53Il faut attendre le milieu du xe siècle pour observer une utilisation plus régulière de l’ère de l’Incarnation à Naples. La réécriture de la Passion de Potite par un moine anonyme de Saint-Potite de Naples raconte comment l’enfant-modèle a converti son propre père païen avant de mourir sous la torture sous Antonin197. Le nom d’Antonin mis à part, la première Passion n’avait pas de cadre historique ; or, comme l’a bien noté Thomas Granier, le moine reconstruit ce contexte sitôt après son prologue : « C’était sous le règne d’Antonin quatorzième empereur des Romains, c’est-à-dire la 166e année de l’Incarnation du Rédempteur, quand commença, à travers la terre entière, la quatrième persécution des chrétiens depuis Néron198. » Dans un tiers des textes de Pierre Sousdiacre (actif ca. 930-962), on trouve une date AD.
Tableau 9 : Emploi de l’AD dans les Vies et Passions de Pierre Sousdiacre de Naples
Saint | BHL | Dédicataire | AD |
Christophe | 1778d | à Pierre évêque de Naples (957-962) | oui |
« Le Christ suscita un homme croyant et le premier empereur chrétien en la personne de Philippe. Il fut choisi comme empereur la 1000e année depuis la fondation de Rome, 224e année de l’Incarnation du Seigneur, désigna son fils pour partager l’empire avec lui et fut la cause pour les fidèles du Christ dans l’univers entier d’une grande paix », Passio s. Christophori, § 2, 2, p. 201. | |||
Erasme évêque en Campanie | 2585bγ | à Pierre évêque de Naples (957-962) | non |
Marguerite | 5308 | Milieu du xe s. | oui |
« Une durée de 290 ans environ s’était écoulée depuis l’Incarnation du Seigneur et Sauveur et Dioclétien, fils d’un scribe dalmate, tenait les rênes de l’empire romain de la plus tyrannique et cruelle des manières. La première année de son gouvernement impérial, il se donna pour collègue et associé de son règne un païen épouvantable, ce Maximien qu’on surnommait Hercule. Ils se mirent de conserve à exercer à l’encontre des chrétiens la plus implacable sauvagerie », Passio s. Margaritae, § 2, 1-2, p. 244 (incipit après prologue). | |||
Cyr et Julitte Passio incomplète | 1814b | à Pierre évêque de Naples (957-962) | ? |
Georges | 3393-3394 | à Pierre évêque de Naples (957-962) | oui |
« Vers l’an 291 de l’Incarnation du Seigneur, tandis que le souverain pontife et pape universel Marcel résidait à Rome, le César de Dioclétien avait commencé dans la province de Cappadoce à soumettre à l’enquête les fidèles de la religion chrétienne », Passio s. Georgii, § 2, 10, p. 68. | |||
Julienne de Nicomédie | 4526 | à Pierre évêque de Naples (957-962) | oui |
[Après le martyre de la Légion thébaine, Dioclétien donne sa fille en mariage à son César Maximien]. « Lequel, fait roi vers l’an 290 de l’Incarnation de notre Seigneur Jésus Christ au moment où le très saint pape Eusèbe occupait le siège du bienheureux Pierre, ne manqua pas, une fois qu’il eut institué dans tout l’Orient des préfets et des gouverneurs, de nommer un sénateur nommé Eleusius comme préfet de Nicomédie [chargé de l’élimination des chrétiens] », Passio s. Julianes, § 2, 3, p. 100. | |||
Quatre Couronnés | 1838-1839 | à Pierre évêque de Naples (957-962) | non |
Artemas de Pouzzoles | 717 | à Étienne évêque de Pouzzoles (956-962) | non |
Canion d’Atella | 1541d + e | à Étienne évêque de Pouzzoles (956-962) | non |
(Abba)Cyr et Jean | 2078 | apr. 933-av. 955 | oui |
« Vers l’an 290 de l’Incarnation de notre Seigneur Jésus Christ, le César Dioclétien possédait le pouvoir absolu sur l’empire romain et l’exerçait par une épouvantable tyrannie », Passio ss. Abbacyri et Iohannis, § 2, 1, p. 21 | |||
Grégoire le Thaumaturge | 3677m + 3678 + 3678d | av. 944 | non |
Catherine | 1659-1661b | Milieu du xe s. | non |
Restitute | 7190 | Milieu du xe s. | non |
Tryphon | 8339 | Milieu du xe s. | non |
54Dans quatre cas sur cinq cependant, Pierre Sousdiacre utilise la même formule, toujours pour placer Dioclétien vers 290. Et si l’utilisation se fait plus fréquente, elle n’en reste pas moins strictement limitée aux paragraphes d’introduction qui plantent le décor. L’ère de l’Incarnation inscrit l’événement de la passion d’un martyr dans l’histoire du Salut, ce n’est pas une technique pour se repérer dans l’histoire politique. Cette utilisation peu fluide de l’AD est importante parce que l’auteur est par ailleurs le plus intéressé de tous les hagiographes napolitains par les questions de chronologie : pour résumer simplement les observations d’Edoardo D’Angelo, Pierre se sert de la Chronique de Jérôme et du Liber pontificalis pour donner des synchronismes en prélude à ses textes199. Dans la Passion des saints Cyr et Jean qu’il a entamée par la formule automatique de l’année 290 AD, Pierre Soudiacre prend par exemple le temps de camper le partage du monde entre Dioclétien et Maximien puis de dire qui étaient les évêques contemporains du pape martyr Marcellin à partir des informations contenues dans la Chronique de Jérôme200. Ce sont les repères utiles pour savoir dans quel contexte géographique et historique s’est déroulée l’existence du médecin Abbacyrus/Cyr201. Le procédé est suffisamment récurrent202 pour qu’on puisse parler d’une technique appliquée consciemment et détailler, par exemple à partir de sa Passion de Marguerite, comment l’hagiographe du xe siècle construit une armature chronologique. L’AD, à portée idéologique et esthétique, est combinée à Jérôme et Bède pour former un contexte203. Il ajoute le martyre du pape Marcel sans citer les mots du Liber pontificalis, mais dans le respect de sa chronologie. Ce long chapitre n’aboutit cependant pas à la conclusion attendue : Marguerite ne croisera jamais Dioclétien, elle vit seulement à cette époque des persécutions qui explique qu’elle soit confrontée à l’abominable Olibrius. En rappelant une vérité historique jalonnée de noms et de dates connues, Pierre est en fait en train de donner une vraisemblance au martyre de la jeune fille : il a existé une époque attestée où les chrétiens, et même les papes, mourraient par milliers.
Le cours de la 290e année depuis l’Incarnation du Seigneur et Sauveur s’écoulait ; Dioclétien, fils d’un secrétaire dalmate, tenait les rênes de l’empire romain et exerçait un gouvernement extrêmement cruel. La première année de son règne impérial, il s’associa pour partager sous pouvoir souverain un homme sans droiture ni religion, ce Maximien surnommé Hercule [Jérôme, Chronique, p. 225]. L’un et l’autre ennemi des chrétiens, ils se mirent à exercer sur eux la plus violente cruauté… Durant la 19e année de son gouvernement impérial, Dioclétien en Orient, Maximien en Occident, ne cessaient de détruire les églises et d’anéantir les chrétiens. Mais, par le jugement du Dieu tout-puissant, Dioclétien à Nicomédie et Maximien à Milan, abandonnèrent la dignité impériale durant la deuxième année de la persécution. Une fois la fièvre de persécution excitée, avec sa cruauté, elle ne cessa cependant pas jusqu’à la septième année de Constantin, fils d’Hélène, au point de passer les côtes de l’océan et de faire succomber là-bas des hommes nombreux, sous différentes peines [Bède, Liber de ratione 66, l. 1366-1379]. C’est en ce temps-là que Marcel était pontife apostolique dans la Ville de Romulus – lui-même reçut aussi la couronne du martyre.
55De récit possible, la Passion devient après le chapitre de contextualisation un récit crédible204. L’observation peut être généralisée aux autres Passions citées. Elles gagnent aux ajouts de chronologie générale de Pierre de passer de Passions répétitives donc suspectes au statut de témoignages véridiques. De ce point de vue, les techniques de datation de Pierre Sousdiacre, archaïques au regard du rythme d’adoption de l’AD dans l’écriture historique franque, apparaissent comme des stratégies rhétoriques d’authentification, nécessaires parce que l’hagiographe s’intéresse au passé le plus distant possible.
Entre histoire et hagiographie : expériences limites et dates
56Un hagiographe comme Pierre Sousdiacre n’a pas sorti des documents des archives pour établir sa chronologie. Il lit les historiens capables de l’informer sur l’Antiquité. Cette consultation des sources historiographiques se répand au ixe siècle. Or plus ils les consultent, plus les hagiographes trouvent dans ces histoires des dates difficiles à concilier avec les traditions hagiographiques qu’ils reprennent. En les voyant évaluer la crédibilité relative de telle ou telle source, c’est aux relations entre histoire et hagiographie qu’on les voit réfléchir : sont-elles compatibles ? Laquelle doit primer sur l’autre si elles se contredisent ?
Rétablir la vérité de l’histoire par la chronologie
57La question de la compatibilité des chronologies historique et hagiographique est posée de façon aiguë à propos de l’évangélisation des Gaules. Grégoire de Tours a situé sous Dèce, au iiie siècle, l’apostolat de Gatien, Trophime, Paul, Sernin, Denis, Austremoine et Martial205. Cependant, la tradition hagiographique dionysienne est en décalage structurel depuis le vie siècle avec cette datation basse donnée par les Histoires de Grégoire206. Dans la Passion carolingienne qui précède celle d’Hilduin (BHL 2178), il est clairement établi que Denis est un envoyé du pape Clément successeur de Pierre. Un hagiographe carolingien qui a lu la Passion de Denis207 pratique le même réajustement du iiie au ier siècle en faveur d’Austremoine :
Tandis que l’empereur éternel gouvernait avec sagesse tous les royaumes du monde, après que son Fils notre Seigneur Jésus Christ a porté au-dessus des cieux l’apparence charnelle qu’il avait daigné assumer avec la puissance due, les saints apôtres se répandirent aux quatre directions de la terre et transmirent à toutes les nations la règle de la foi qu’ils avaient reçue du Seigneur. Et comme à cette même époque Néron, cet impie souverain, avait lâché la bride à son pouvoir sur terre comme sur mer et déchaînait contre les serviteurs du Christ sa rage implacable avec la plus grande âpreté, il arriva que le bienheureux pape Clément, successeur des apôtres, prit le gouvernement suprême du saint et souverain siège romain. Le très bienheureux et glorieux homme de Dieu Austremoine, collègue distingué des apôtres du Christ, fut reçu avec grand honneur par ce même bienheureux prêtre Clément à cette même époque et tenu en vénération extrême208.
58L’hagiographe n’a pas dit comment il était parvenu à une telle datation, mais il est clair qu’il obéit en même temps au désir de ne pas être en reste vis-à-vis de Denis, et à un impératif logique : deux contemporains ont vécu à la même époque. La chose peut paraître évidente, mais c’est seulement à partir du ixe siècle que l’incohérence chronologique des origines apostoliques des Gaules est explicitement pointée, considérée comme problématique, et résolue par la critique rationnelle – on a entendu dans le chapitre II, p. 109, Hilduin de Saint-Denis s’en charger dans sa lettre de 835, en traitant avec une condescendante indulgence les historiens ses prédécesseurs. Or Hilduin n’est pas le seul : comme l’hagiographe d’Austremoine, bien des auteurs se mettent à rectifier les dates ce qui leur semblent mal fondées quand ils sont confrontés aux flottements des chronologies des temps apostoliques. Paschase Radbert par exemple, dans sa Passion de Rufin et Valère209, refuse de faire des deux martyrs des contemporains de Denis de Paris. Depuis le viiie siècle pourtant, des points de contact ont été créés entre la légende apostolique dionysienne et le cycle de Riciovare : une Passion de Fuscien et Victoric affirme notamment que onze ou douze compagnons ont suivi Denis depuis Rome et ont connu le martyre, dont Rufin et Valère210. Cela ne suffit pas à convaincre Paschase Radbert, qui oppose au témoignage de l’hagiographie le raisonnement de la chronologie :
La rumeur veut qu’ils soient entrés sur le territoire des Gaules avec le bienheureux Denis, qui avait été envoyé par le bienheureux pontife romain Clément pour ranimer de la chaleur de la foi les cœurs froids des païens ; mais la chronologie s’y oppose. Car saint Denis a remporté la couronne du martyre la deuxième année du règne impérial du César Domitien, alors que ces deux-là reçurent la gloire de l’immortalité sous les Augustes Maximien et Dioclétien. Ce laps de temps ne représente pas moins de 210 ans, nombre d’années qui, chez nous comme chez les hommes de cette époque, non seulement interdit d’être capables d’assumer la charge d’un combat si grand, mais empêche même totalement que leur corps soit resté vivant211.
59Paschase a fait ses comptes, et rétabli la succession des faits. Son travail de critique achevé, il poursuit sans douter davantage de la valeur des faits racontés par la Passion212 qu’il réécrit. Comme Hilduin, il sait faire la part des « choses crédibles pour autant qu’on s’en tienne à la fiabilité des événements » et des inventions malheureuses qui touchent « à la vérité des moments », parce qu’il n’est pas crucial pour la mémoire des martyrs Rufin et Valère qu’ils soient inscrits au nombre des apôtres. L’incohérence chronologique est plus critique à la même époque pour l’évêque de Beauvais Lucien.
60Compagnon de martyre de Quentin dans la Passion de ce dernier213, compagnon d’un petit groupe de quatre évangélisateurs victimes de Dioclétien et Maximien dans la Passion de Crépin et Crépinien214 mais aussi cité parmi les compagnons de Victoric et Fuscien, Lucien dispose en même temps d’une première Passion indépendante du cycle, qui raconte comment, envoyé par Pierre, il a quitté Rome pour Beauvais sous Néron avant de mourir victime d’une persécution conduite par un césar Julien215. Face à ces traditions divergentes, l’hagiographe qui écrit au ixe siècle une deuxième Passion de Lucien (BHL 5010)216 choisit une solution de compromis dont on peut penser qu’elle est fondée sur la recherche de cohérence chronologique : il fait disparaître les noms des empereurs Néron, Dioclétien ou Maximien, ne conserve qu’un « césar Julien » peu compromettant, puis cite Quentin et Denis à tour de rôle comme compagnons de voyage et d’évangélisation. Cette solution consensuelle n’a pas plu à Odon évêque de Beauvais, dont la réécriture éminemment politique sépare Lucien du cycle régional de Riciovare pour le faire entrer dans le cercle des premiers évangélisateurs de Gaule. Odon connaît certainement la Passion écrite par Hilduin217, mais son Lucien obéit moins à Denis218 qu’à Pierre, dont il tire toute son autorité : « Il fut en vérité le disciple de l’apôtre Pierre, il fonda sur lui sa foi et fut instruit des disciplines célestes : le récit, l’époque et le déroulement des faits le disent assez (quod satis series gestorum, tempus et ordo loquuntur)219. » Le retour aux origines donc la proximité avec Pierre sont essentielles pour le statut de l’évêque de Beauvais. L’argument d’Odon pour établir que Lucien est un apôtre ne relève cependant pas de l’autorité supérieure de la tradition, mais de la déduction chronologique220. Le problème chronologique posé par les légendes apostoliques court de la sorte jusqu’à Létald de Micy, qu’on a déjà entendu prendre position à propos de Julien du Mans221. Tous ces hagiographes disent qu’il est légitime d’user de l’histoire comme d’une science auxiliaire de l’hagiographie pour déduire des dates fiables. À partir du début du ixe siècle au plus tard, on attend d’un bon hagiographe qu’il sache recourir à cette technique qui n’oblige à aucun respect de la lettre des historiens.
Qu’est-ce qu’une Vie historiographique ?
61Pour les saints qui leur sont contemporains en revanche, les mêmes hagiographes peuvent écrire des biographies que leur précision chronologique rattacherait presque au genre des Annales tant elles sont émaillées de dates. Walter Berschin n’a pas été le premier à relever qu’une série de Vies ottoniennes et saliennes sont sous ce regard « historiographiques » ; Gebehard d’Augsbourg s’en plaignait déjà. Réécrivant vers 1000 la Vie d’Ulrich d’Augsbourg222, il explique pourquoi il ne peut pas se satisfaire de celle qu’a rédigée Gerhard223 dix ans plus tôt : « ... On dirait presque un enfantillage… l’œuvre se répand en une telle profusion qu’on dirait qu’elle suit davantage l’issue des guerres et l’histoire des rois et des empereurs que l’ordre et le sujet qu’elle s’était donnés224. » Ce ne sont pas les dates à l’évidence qui gênent Gebehard, mais qu’on parle de sujets profanes et d’hommes encore vivants225. Le « caractère historiographique » de ces textes vient en effet de ce que les hagiographes citent des événements et des personnages contemporains, empereurs, rois, papes et saints vivants qu’ils ont bien connus226, d’où une certaine tonalité autobiographique et surtout l’enregistrement méthodique des actions au détriment d’un éloge des vertus227. W. Berschin parle de « l’ouverture de la biographie à l’historiographie, avec une perspective historique plus large… trait typique de cette période et de son style228 ». Le sujet est celui de la grande histoire par la force des choses – il est question de l’Église impériale – mais qu’en est-il des moyens de l’écriture historique ? L’ère de l’Incarnation sert ici d’indice quantifiable d’une utilisation de documents d’archive et d’un rapprochement avec le ton des Annales. La méthode est rudimentaire, mais le tableau qui étudie les Vies dites « historiographiques229 » met rapidement en évidence l’hétérogénéité réelle de l’ensemble. Sur 25 Vies de saints contemporains rédigées dans l’espace ottonien-salien, dont 18 concernent des saints évêques en liens étroits avec le pouvoir impérial, seules quatre Vies adoptent le principe d’une série de dates AD – dont les deux Vies de Godehard par Wolfhere d’Hildesheim – pour trois évêques, des Vies rédigées entre 1020 et 1070 et qui recourent à l’intégration documentaire. Cette généralisation même est excessive : on doit distinguer en effet l’école d’Hildesheim d’un côté, l’œuvre de Sigebert de Gembloux de l’autre230.
Tableau 10 : Vies « historiographiques » (années 960-1070)
Date de rédaction | Auteur | BHL | Saint | Dates AD |
968-969 | Ruotger | 1468 | Brunon de Cologne | 1 |
936 : sacre d’Otton ier (cap. 5, p. 6) | ||||
968-973 | Gumpold de Mantoue | 8821 | Wencezlas | d.n. |
974 | 5683 | Mathilde | d.n. | |
974-984 | Jean de Saint-Arnoul | 4396 | Jean de Gorze | 2 |
933 : entrée à Gorze (cap. 43, p. 250) | ||||
982-993 | Gerhard | 8359 | Ulrich d’Augsbourg (prima) | 2 |
955 : invasion hongroise (cap. 12, p. 401) | ||||
996-1000 | Gebehard | 8361 | Ulrich (secunda) | 0 |
999 | [Jean Canaparius] | 37 | Adalbert (prima) | d.n. |
1002 | 5684 | Mathilde (secunda) | d. n. | |
1004 | Brun de Querfurt | 38-39 | Adalbert (secunda) | 0 |
1005 | Constantin de Saint-Symphorien | 29 | Adalbéron de Metz | 2 |
984 : élection épiscopale à Metz (cap. 2, p. 660) | ||||
1003-1009 | Brun de Querfurt | 1147 | Cinq frères | 0 |
1019-1031 | Bern de Reichenau | 8362 | Ulrich (tertia) | 1 |
973 : mort d’Ulrich (cap. 24, p. 617) | ||||
1020 | « Thangmar » | 1253-1254 | Bernward d’Hildesheim | 9 |
993 : consécration épiscopale (cap. 4, p. 759) | ||||
1025-1027 | Ebbon de Worms ? | 1486 | Burchard de Worms (m. 1025) | 0 |
1027-1049 | Widric de Saint-èvre | 3431 | Gérard de Toul (m. 994) | 1 |
963 : consécration épiscopale (cap. 3, p. 493) | ||||
1038 | Wolfhere d’Hildesheim | 3581 | Godehard (prima) | 11 |
852 : Liudolf et Oda obtiennent à Rome les reliques d’Anastase et Innocent pour Gandersheim (cap. 19, p. 180) | ||||
apr. 1049-av. 1066 | « Wibert » de Toul | 4818 | Léon ix pape (m. 1054) | 4 |
1002 : naissance de Brunon (lib. I, cap. 2, p. 92) | ||||
1050 | Lampert de Deutz | 3827 | Héribert de Cologne | d.n. |
apr. 1050 | Sigebert de Gembloux | 8055 | Thierry de Metz (m. 984) | 9 |
962 : mort d’Adalbéron de Metz (cap. 3, p. 465) | ||||
1054-1059 | Vulcaud de Mayence | 976 (minor) | Bardon de Mayence (m. 1051) | 0 |
Moine de Fulda | 977 (major) | Bardon de Mayence | 0 | |
apr. 1054 | Wolfhere d’Hildesheim | 3582 | Godehard (secunda) | 6 |
741 : mort de Charles Martel, débuts de Nideraltaich (cap. 2, p. 198) | ||||
1056-1057 | Bertha de Vilich | 67 | Adelheid abbesse de Vilich (m. 1018) | 0 |
1058-1063 | Odulf d’Hautmont | 6898 | Poppon de Stavelot (m. 1048) | d.n. |
1060 | Otloh de Saint-Emmeram | 8990 | Wolfgang de Ratisbonne | 0 |
62Dans la majorité des Vies du tableau, on ne voit guère que la perpétuation de phénomènes déjà décrits pour le ixe siècle : l’AD sert à magnifier certains moments cruciaux de la vie du saint, surtout s’ils peuvent être mis en rapport avec des rois. Dans la Vie qu’il écrit pour Jean de Gorze, Jean de Saint-Arnoul réserve par exemple la première mention AD à l’entrée du groupe des clercs réformateurs à Gorze, en même temps qu’il trace un contexte politique régional :
Ils entrèrent donc dans ce monastère cette année 933 de l’Incarnation du Seigneur où le roi des Germains Henri obtint cette partie du royaume de Francie qui avait jadis été celle de Lothaire – c’est de lui que naquit le très glorieux empereur Otton qui dépassa les exploits de ceux qui l’avait précédé tant pour la gloire que pour le profit du monde entier – tandis que la Francie des confins occidentaux revenait à Louis, fils de ce Charles [le Simple] qui fut gardé en captivité jusqu’à sa mort après la fameuse bataille de Soissons dont il ne sortit ni vainqueur, ni vaincu231.
63La date en soi peut venir de l’acte de dotation d’Adalbéron de Metz conservé dans le cartulaire de l’abbaye232. Ce n’est pas l’acte en tout état de cause qui est responsable de la glose contextuelle qu’elle semble appeler. C’est seulement par exception que les hagiographes ajoutent au xe siècle des documents d’archive dans le texte233 ou en annexe234. À partir du xie siècle en revanche, les Vies d’Hildesheim se présentent comme ces histoires que l’on raconte à partir de documents écrits. La Vie de Bernward d’Hildesheim (m. 1022) écrite par un auteur qui se désigne sous le nom de Thangmar235 suit la même technique que les Vies du successeur de Bernward, Godehard (m. 1038) écrites par Wolfhere, une première fois vers 1038236, puis à nouveau vers 1054-1061237. La dénomination de « Vies annalistiques » est tentante pour des textes écrits dans une Église où l’on tient des Annales, sans doute à Saint-Michel même : les Annales Hildesheimenses maiores sont perdues, mais leur postérité sous la forme des Annales Hildesheimenses238 ou leur transmission indirecte dans d’autres annales saxonnes comme les Annales de Quedlinbourg239 permettent de savoir que Thangmar et Wolfhere pouvaient avoir les Annales locales sous les yeux quand ils ont rédigé leurs Vies240. Une étape singulière de rédaction des Annales d’Hildesheim (années 1000-1040) a même été identifiée dans le manuscrit édité par Waitz, qui coïncide à peu près avec la période d’activité des deux hagiographes sans être de leur main241. Si on ne peut pas démontrer que Wolfhere copie verbatim des Annales disparues, il imite au moins le style du genre. Il commence par exemple le chapitre 26 de sa Vita prior par un paragraphe sur l’itinéraire royal qui pourrait avoir été extrait d’Annales contemporaines :
L’empereur inaugura donc l’année 1023 de l’Incarnation du Seigneur à Paderborn, et célébra aussi glorieusement la Purification de sainte Marie à Hildesheim avec son évêque bien aimé ; quant au temps du Carême, il le passa à Goslar, et il fêta Pâques à Mersebourg. Il commença l’année suivante à Bamberg cependant, suivit Pâques à Magdebourg, Pentecôte à Goslar et gagna de là les régions occidentales pour pourvoir aux besoins du royaume, puis en revint pour Gronau et là, hélas ! s’alita sous l’effet d’une maladie accablante et… mourut la 12e année de son empire, la 22e de son règne, au 3 des ides de juillet242.
64Cependant, les Vies de Bernward et Godehard (prima) ont surtout en commun d’avoir été rédigées du vivant des saints évêques, à partir d’un matériau d’archive. Le conflit de juridiction sur le monastère de Gandersheim est raconté par Thangmar puis par Wolfhere, qui commémorent de la même façon les dédicaces faites par leur évêque d’après des documents connus de première main. Quand il se présente dans son prologue, Thangmar dit d’ailleurs qu’il est « le bibliothécaire et secrétaire de notre Église », ce qui le qualifie pour écrire la Vie de l’évêque243. Les sources d’archive sont fondamentales dans la première Vie de Godehard. Wolfhere y trace une sorte de cartographie des réseaux religieux et sociaux du diocèse d’Hildesheim, au fil d’un chapitre topographique244 ou de notices biographiques et nécrologique245. La rédaction par dossiers documentaires est responsable de l’hétérogénéité des datations : Wolfhere n’a pas utilisé l’ère de l’Incarnation avant d’inclure, des chapitres 19 à 26, le récit du conflit qui oppose l’Église d’Hildesheim à celle de Mayence à propos du monastère de Gandersheim. Il demande alors seulement à ses « contemporains et ceux qui les suivront » de se reporter « depuis le commencement à une série de récits » qui prouvent les droits d’Hildesheim246. Ailleurs, il donne les dates telles qu’elles sont connues par des documents, mais sans millésime si l’affaire ne concerne pas l’empereur. Il place par exemple au 10 des calendes de juillet la réunion du synode de Pöhlde (cap. 22, p. 183), parce qu’il cite le document envoyé à Rome après l’échec de la réunion de conciliation247. Toute citation littérale d’un témoignage se trouve ainsi précédée d’une date précise, mais sans AD248. Wolfhere indique par exemple la dédicace de l’église de Gandersheim « aux nones de janvier, c’est-à-dire la veille de l’Épiphanie », parce qu’il mentionne aussitôt après l’accord public conclu entre Bernward d’Hildesheim et Willigis de Mayence, et rapporte mot à mot les paroles de Willigis249. Dans la Vita prior, ces datations coexistent encore avec la pratique toujours fréquente des datations relatives. En aucun cas, ces dernières ne sont utilisées comme un pis-aller. Dans le chapitre 19 par exemple, où Wolfhere dispose de toutes les informations nécessaires pour produire une chronologie absolue AD, il choisit de construire le système plus souple, mais plus efficace en contexte polémique, qui rapproche deux à deux telle abbesse de Gandersheim et tel évêque d’Hildesheim son contemporain.
65Le caractère somme toute expérimental et peu satisfaisant de cette première Vie est confirmé par l’absence de diffusion manuscrite et la nécessité ressentie de la réécrire. L’esprit de la réécriture est clair : il n’y a pas une seule date AD commune entre les deux versions (tableau supra). Wolfhere utilise l’ère de l’Incarnation avec parcimonie, seulement pour les pouvoirs temporels, sans référence à des documents mais « comme les chroniques l’attestent250 ». Quant aux autres dates, elles disparaissent presque entièrement. Dans le cas du conflit autour de Gandersheim (Vita posterior, résumé de la situation cap. 17, p. 204-206), on peut penser que c’est parce qu’il a perdu de son actualité : l’hagiographe le raconte au passé plus qu’il ne cherche à peser dans la solution à donner au conflit par des preuves. À une autre occasion cependant, on peut aussi sentir que le discours des dates qui avait tant séduit le jeune Wolfhere lui paraît désormais désuet. Il avait été question dans la première Vie de Godehard d’une vision nocturne du saint : encore abbé, Godehard à son réveil avait longuement décrit à ses frères comment il avait vu un arbre, et un surgeon sortir de ses racines « à cette époque, alors qu’il avait célébré entièrement comme à son habitude les offices des vigiles en cette nuit du dimanche qui marque le début de l’Avent du Seigneur251 ». L’hagiographe avait attendu d’avoir raconté la consécration épiscopale de Godehard pour revenir sur l’interprétation prophétique à donner à la vision, qu’il estime confirmée par le fait que « c’est le même jour, c’est-à-dire le dimanche de l’Avent du Seigneur, qu’ont eu lieu, à un an d’intervalle, et cette vision et son élévation épiscopale252 ». La coïncidence des dates prouvait que c’était bien l’élection épiscopale de Godehard qu’annonçait sa vision. L’hagiographe a réécrit le passage en entier dans la Vita posterior : il est cette fois question d’un olivier que les jardiniers de l’empereur ont le plus grand mal à déraciner de son cloître (cap. 11, p. 203), mais sans aucun commentaire sur les dates.
66Grâce à l’existence de deux Vies écrites par le même auteur, le caractère exceptionnel de l’école historiographique d’Hildesheim des années 1020-1040 apparaît avec évidence. Le projet de consigner les événements au plus près, y compris en écrivant les Vies d’évêques vivants, conduit à une surreprésentation dans l’écriture hagiographique des techniques de l’écriture annalistique à partir d’un matériau d’archive. C’est un échec patent, dont témoigne la réécriture d’une Vita posterior de Godehard. La réaction de Gebehard d’Augsbourg n’était donc peut-être pas seulement isolée ou conjoncturelle : à l’envie de quelques hagiographes de donner une allure et un contenu historiographique à leurs Vies répond la résistance d’un public voire des auteurs eux-mêmes qui ne voient pas l’intérêt ni l’agrément de cette forme hybride. Le porte-parole d’une hagiographie autonome, distincte de l’historiographie contemporaine, pourrait être Lambert de Deutz253. Friedrich Lotter a caractérisé sa Vie d’Héribert de Cologne comme le texte d’un écrivain plus soucieux de « prose rimée, de cursus et de figures de styles » que de narration historique254. Comme l’a noté son dernier éditeur, Lampert est capable de renvoyer son lecteur vers des chroniques contemporaines255, mais ne pense pas qu’il relève de son rôle d’hagiographe de les imiter : « Quant à [Héribert], il ne quittait pas le prince et s’acquittait avec efficacité de ce qu’on lui confiait, à l’immense satisfaction et des clercs, et des grands, et du peuple. Toutes les occurrences de ses allées et venues avec Rome en compagnie de l’empereur, pour que l’Auguste gouverne la Citadelle de l’empire en administrant les affaires italiennes, me semblent davantage à consigner dans les chroniques royales que devoir être ajoutées de force à la louange du saint256. » L’interprétation de cette remarque n’est pas évidente : elle peut relever aussi bien d’une conscience claire de limites génériques, que d’une défense proto-grégorienne du futur évêque, dont l’hagiographe voudrait minimiser l’engagement dans les affaires séculières. Dans le contexte de la Lectio 4, l’interprétation idéologique a ses droits, et c’est elle qui l’emporte dans l’historiographie contemporaine ; l’hagiographe poursuit en effet : « Un jour, l’empereur l’avait laissé à Ravenne pour qu’il travaille à la réconciliation des différends tandis qu’il se rendait lui-même à Rome pour réprimer par la force des armes les rebelles ennemis. Héribert dominait les problèmes parce qu’il transformait l’opposition par la mansuétude et la justice ; rien ne résistait à la puissance de l’empereur, dont la majesté terrorisait ses adversaires257. » Autrement dit, Héribert a beau être encore un grand laïc de l’entourage royal, il gouverne déjà comme un évêque. Quand on observe néanmoins le soin avec lequel Lampert évite continûment de donner la moindre armature chronologique apparente à sa Vie et de citer le moindre document258, on doit conclure que la préoccupation idéologique rencontre un projet rhétorique : Lampert rechigne à écrire une Vie annalistique. Pour l’intelligence du phénomène, on devra distinguer le fait que des hagiographes s’intéressent à des saints contemporains, qui ont été en liens privilégiés avec les pouvoirs politiques – phénomène majoritaire qui donne un grand intérêt historique à leur narration – et le fait qu’ils utilisent des méthodes historiographiques, dont l’inclusion documentaire – phénomène très minoritaire et manifestement contesté par les contemporains. Pour autant qu’on puisse rapprocher pour les comparer ces deux expériences, les dates de Pierre Sousdiacre sont d’autant plus nombreuses qu’elles permettent de raccrocher les saints d’un passé très distant à la logique d’une histoire connue sur le temps long ; les Vies de Germanie des xe et xie siècles cherchent au contraire, sauf exceptions, à dégager leurs saints des méandres trop concrets des temps présents.
Ce que les Gesta ont à dire des Vitae : le témoignage d’Adam de Brême
67Tous les Gesta episcoporum intègrent des Vies. Entre le viiie et le xiie siècle, Michel Sot compte dix-huit histoires locales rédigées sous cette forme dont quatorze datent d’avant le xiie siècle259. Quand il a qualifié les préfaces de ces Gesta, Michel Sot a insisté sur le fait qu’elles recourent aux lieux communs de la rhétorique antique et médiévale, modestie ou incompétence de l’auteur, obéissance à un commanditaire qui insiste, puis corrige et autorise l’œuvre, ce qui la protège contre la malveillance des envieux, utilité morale d’une commémoration du passé, nécessité de l’écriture260. Ce sont, mot pour mot, les traits récurrents des préfaces aux Vies, au point qu’il est impossible de distinguer les unes des autres. La parenté ne s’arrête pas là : les auteurs des Gesta reconnaissent dans des hagiographes leurs égaux voire leurs maîtres en matière de méthode. À Fontenelle de fait, les Vies ont été des préalables aux Gesta, parfois leurs brouillons, et pour leurs auteurs leurs gammes en manipulations chronologiques. À Lobbes à la fin du xe siècle, Hériger explique d’une façon exceptionnelle les détails de la manipulation : il se propose d’ajouter à la première Vie de Remacle les dates qui lui manquent en revenant au cartulaire de Stavelot ; la deuxième Vie améliorée peut alors servir de noyau aux Gesta de Liège261. Plus les Vies recourent à des documents d’archive, plus la question de leur différence avec les Gesta se pose : les Gesta pourraient-ils n’être que des Vies rangées dans l’ordre de la chronologie, parfois entrecoupées de quelques inventaires après décès ? Plutôt que d’essayer une reconstruction a posteriori des relations entre les Gesta et les Vies, il est intéressant d’écouter Adam de Brême qualifier ce qui constitue à son avis une différence essentielle entre les Vies qu’il connaît et son propre projet d’écriture historique. Au cours des années 1070, Adam réfléchit aux méthodes d’écriture qu’il applique à ses Gesta des évêques de Hambourg262. Il revendique l’utilisation des Vies, sources dignes d’attention puisqu’elles donnent des informations fiables qu’on ne trouvera pas ailleurs263. Il les utilise d’autant plus volontiers qu’il s’intéresse aux époques les plus lointaines : pour le ixe siècle, les Vies d’Ansgar et Rimbert sont indispensables ; pour le xie siècle, Adam préfère ce qu’il a appris personnellement et dont il se souvient. Le trait se retrouverait à l’identique dans les autres Gesta episcoporum. Adam ne témoigne aucun respect particulier aux Vies, ni pour leur ancienneté, ni pour leur sujet, ni pour leurs auteurs : que saint Rimbert ait écrit la Vie d’Ansgar lui est indifférent, de même que lui est étrangère l’idée que ces Vies soient écritures « saintes ». Ce sont des histoires, qu’on peut confirmer ou infirmer par comparaison avec d’autres textes d’histoire, comme il le fait au chapitre 28 du premier livre des Gesta :
Sur ce, on écrit dans la Vie du bienheureux évêque [Ansgar] comment « il trouva Horik le jeune sur le trône quand il vint au Danemark » [cap. 32]. À cette époque correspond ce que l’Histoire des Francs rappelle en ces termes au sujet des Danois : […] « Comme se battaient l’un contre l’autre Gudrum, prince des Normands, et son oncle paternel Horik, roi des Danois, ils s’entretuèrent si bien que dans un immense massacre, tout le peuple fut anéanti et qu’il ne resta aucun membre de la famille royale à l’exception d’un enfant » appelé Roric. « Et c’est lui qui reçut alors le royaume des Danois »264.
68L’éditeur pense que l’Histoire des Francs en question sont les Annales de Fulda. Pour Adam de Brême, il est raisonnable de combiner les deux textes, Vie et Annales, en restituant à ces dernières le nom de Roric/Horik qui apparaît dans la Vie. Il n’y a pas entre hagiographie et histoire de différence de sérieux ni de crédibilité. Le seul problème vient plutôt de ce que les Vies se perdent en détails : il faut donc les abréger, ou y renvoyer le lecteur patient265. Elles racontent bien « ce qui s’est passé », gestorum narratione, mais sans toujours observer cette concision (breuitas) qui est le propre de l’historiographie réussie266. Le traitement par Adam de la biographie de l’évêque Rimbert (m. 888) est éclairant : « Saint Rimbert siégea 32 années. Nous avons trouvé le nombre d’années et la date de son décès dans un calendrier venu de Corvey. Pour le reste, sa Vie, que des frères de ce monastère ont donnée aux nôtres, rapporte avec clarté et concision (breuiter et dilucide) quel homme il fut et comment il vécut267. » Adam peut passer sur les dix premiers chapitres de cette Vie, lui emprunter le nom des consécrateurs de Rimbert avant de décrire sa prédication d’après le chapitre 16 : la Vie est reconnue dans sa double dimension historiographique (utile) et encomiastique (superflue) ; surtout, elle a dû être complétée par le retour à un calendrier : Adam le déplore, les Vies racontent mais ne datent pas bien268. « Ces événements, dit-il en parlant du remplacement d’Ebbon de Reims par son neveu Gaudbert pour assister l’évêque Ansgar dans sa mission d’évangélisation, sont abondamment détaillés dans la Vie de saint Ansgar, ce qui nous a permis de les abréger. Sa façon de distinguer la chronologie est pourtant incertaine : nous l’avons donc modifiée à partir d’autres textes pertinents269. » Adam explique peu après en quoi consistent ces « textes » (scripta) plus clairs. Le problème est de connaître la durée d’épiscopat d’Ansgar :
Louis le Pieux… confia à Ansgar l’évêché de Brême… Ansgar résista longtemps... et n’y consentit qu’à la condition que cela pût se faire sans susciter les reproches des fidèles. Ces événements sont intégralement racontés dans la Vie de notre évêque, mais leur date y est consignée d’une façon obscure. Le livre des donations (liber donationum) permet de la connaître plus clairement : c’est la neuvième année de Louis ii qu’Ansgar fut conduit à son évêché par les représentants de l’empereur. C’est écrit au livre iii, chapitre 20, alors que sa Vie dit : « Bien du temps passa, à partir du moment où le bienheureux Ansgar reçut l’évêché de Brême, avant que le pape Nicolas ne confirme [son élection]270. »
69L’historien, selon une échelle de valeur qui lui paraît évidente, corrige donc la Vie par un cartulaire comme il sait aussi la compléter par un calendrier. Adam donne au total, dans la deuxième moitié du xie siècle, une définition subtile de la Vie du point de vue de son rapport à l’écriture historique : la Vie, qui tient un discours fiable sans être infaillible, est une source d’histoire narrative dont le discours excède par nature le seul propos historiographique, et qui entretient avec la chronologie une relation lâche voire inexistante.
70Quand ils estiment avoir besoin de fixer une date précise dans un calendrier universel, les hagiographes des viiie-xie siècles reconnaissent l’efficacité de l’ère de l’Incarnation, qui n’est pas adoptée plus tard dans l’hagiographie que dans les Annales carolingiennes. Ils utilisent l’annus Domini pour mettre des documents de datation relative en concordance. Certains font valoir en la matière une certaine compétence et on retrouve chez Milon d’Elnone ou chez l’auteur de la Vie de Bérégise, l’écho de cette conscience professionnelle qualifiée dans le premier chapitre. À l’occasion d’un problème de comput, ces auteurs font entendre qu’ils savent identifier des sources pertinentes pour le résoudre. Le véritable hagiographe est bien un spécialiste de la critique des documents, si on écoute l’auteur au ixe siècle de la deuxième Vie de Laurian :
Parcourant avec grande attention le texte de la Vie en question, j’ai découvert qu’elle avait été défigurée par une erreur du scribe, dont l’incompétence avait déplacé la célébration du glorieux martyre aux calendes. Car le saint évêque Laurian rendit son heureux témoignage le quatre des nones de juillet : en témoignent les manuscrits les plus anciens des martyrologes, tant romain que gaulois. J’en ai vu plusieurs et, au terme d’une enquête approfondie, crois bon d’ajouter ce que j’ai trouvé à ce petit préambule : « Le quatre des nones de juillet, dans le territoire de la cité de Bourges, au bourg de Vatan, naissance au ciel de saint Laurian évêque et martyr, dont la tête fut portée à Séville en Espagne271. »
71Il ne reste plus à l’hagiographe qu’à confronter sa source avec le martyrologe en vers de Wandalbert de Prüm : il justifie sa réécriture par l’obligation où il se trouve de corriger l’erreur qu’il a mise en évidence. Une telle compétence critique justifie qu’on consacre un chapitre « retour aux sources » à cette gymnastique intellectuelle qui consiste à corriger un texte hagiographique par des écrits d’autre nature.
72Pour s’en tenir aux dates cependant, le recours à une échelle chronologique explicite et objective reste une différence majeure entre discours historique et discours hagiographique : les Vies usent de la chronologie comme d’un langage symbolique plus que comme une fin en soi. Une Vie n’a pas besoin par nature de dates. Si elle en mentionne une selon l’ère de l’Incarnation, ce peut être par décalque du langage politique des Annales carolingiennes, qui associent les dates AD à l’affirmation de la puissance impériale. Si on élargissait l’enquête à des textes hagiographiques d’autres natures, on trouverait un nombre considérable de dates dans les Miracles et surtout les Translations, qui sont par essence des enregistrements du contemporain272. Il n’est pas sûr pourtant que ces dates aient jusqu’au ixe siècle une portée idéologique moindre. Quand Aimoin de Saint-Germain-des-Prés rédige ses Miracles après 874 et livre une histoire globale de l’invasion normande de Paris en 845 et des événements qui l’ont suivie, son livre premier s’ouvre par une datation solennelle de l’ère de l’Incarnation qui ne donne pas la date d’un miracle, mais le sens du texte et du contexte : l’empire est divisé et le peuple pécheur va être mis en garde par l’invasion des païens273. La solennisation par l’ère de l’Incarnation promet la révélation sur le sens religieux d’un événement historique, au premier chef ces translations que les rois patronnent274.
73Plus tardivement, les dates viennent contribuer à Naples à créer un effet de réel en donnant à un contexte lointain les traits les plus visibles de la vérité historique. Là encore, l’observation serait confirmée mutatis mutandis par l’examen des Miracula contemporains, rédigés d’une façon réelle ou alléguée aux xe et xie siècles comme des compte rendus au jour le jour des guérisons : ils enregistrent les miracles sous une forme annalistique, et la date de l’événement, au même titre que le sexe du miraculé, son lieu d’origine, la nature et la durée de ses maux, son nom et celui de ses compagnons, ou la présence de témoins, soit des informations que l’hagiographe consigne comme autant de signes de sa bonne foi. À partir de cette pratique, il arrive que des Vies, parce qu’elles intègrent des récits de miracles post mortem, voient les indications de dates se multiplier, sans conséquence sur le récit de la vie elle-même. Le moine de Saint-Hubert qui écrit la Vie de Thierry d’Andage au xie siècle montre à quel point se conjuguent pour lui datation, vérité de l’événement, existence de témoins et consignation historiographique ; à propos d’un orage exceptionnel qui a conclu un prêche de Thierry, il écrit : « Ceci s’est produit l’an de l’Incarnation du Seigneur 1076, et d’un commun accord, l’événement fut transcrit dans les annales dans la cité de Reims : il y a de ce fait autant de témoins qu’il y avait alors d’hommes dans la ville, pour ceux qui sont encore vivants275. » La Vie est à sa façon un double de ces annales rémoises.
74L’étude des dates dans les Vies contribue ainsi à mettre en évidence deux traits à approfondir : les hagiographes d’une part cherchent à construire un discours de vérité, exactement comme les historiens eux-mêmes, c’est-à-dire par la consultation de documents, qu’ils ne peuvent pas pour autant se contenter de reproduire. D’autre part, même quand ils recourent aux sciences auxiliaires de l’histoire, chronologie ou diplomatique, les hagiographes ont toujours en vue un peu plus que le récit fidèle des événements : une Vie doit contribuer à intégrer une trajectoire individuelle dans le grand récit de l’histoire sainte. De l’ère de l’Incarnation en somme, les hagiographes retiennent surtout l’Incarnation – c’est cette histoire sainte qu’il va désormais être question.
Notes de bas de page
1 Fin accidentelle de la Vie de l’évêque de Metz Sigebaud par un moine de Saint-Symphorien de Metz, Vita s. Sigibaldi episcopi Metensis (BHL 7709), éd. P. de Buck, AASS, Oct. XI, Bruxelles, 1864, p. 939-942 [xiie s.] : le texte est interrompu au § 13, au moment où l’hagiographe commémore des travaux de réfection dans l’église.
2 Bernier de Saint-Remi, abbé d’Homblières (m. 982), Translatio Ia s. Hunegundis (BHL 4047), éd. J. Stiltingh, AASS, Aug. V, Anvers, 1741, p. 232-234, prologue col. 232F. Bernier conclut : « C’est à ce prix que la qualité des personnes ôtera le soupçon d’inconséquence, la cause de la plus assurée des raisons la faute de témérité, le nombre précis des années nous apportera le sens spirituel inhérent à ce nombre même, et la chronologie accroîtra l’éclat des miracles. »
3 Reims, BM 1402, fol. 143v, éd. Br. Krusch, Vita s. Remigii (BHL 7152-7164), MGH, SRM III, Hannover, 1896, p. 341. Le même compte figure dans les manuscrits de Saint-Nicaise (Reims, BM 1417, xie s., fol. 48) et Saint-Thierry (Reims, BM 1410, xiie s., fol. 27).
4 Tírechán, Collectanea de s. Patricio (BHL 6496), éd. L. Bieler, The Patrician Texts in the Book of Armagh, Dublin, 1979, p. 122-162, ici p. 124. Pour le caractère historiographique de cette œuvre, voir D. Santos, « Muirchú’s Vita Patricii and Tirechán’s Collectanea », História da Historiografia : International Journal of Theory and History of Historiography (2020) DOI: 10.15848/hh.v13i33.1548.
5 Muirchú, Vita s. Patricii (BHL 6497), éd. L. Bieler, The Patrician Texts in the Book of Armagh, Dublin, 1979, p. 62-122, ici p. 62.
6 « Fin du premier livre qui contient 5 596 années, si on part de la Création jusqu’au trépas de l’évêque Martin », DLH I, 48, explicit, p. 34.
7 DLH IV, 51, explicit, p. 189-190.
8 Jérôme, Eusebii Caesariensis Chronicon, Hieronymi continuatio, éd. R. Helm, Berlin, 1956, p. 250.
9 La geste des rois des Francs. Liber historiae Francorum, cap. 19, éd. Br. Krusch, trad. St. Lebecq, Paris, 2015, p. 66-67.
10 Adon de Vienne, Chronicon, PL 123, col. 23-138D, à la col. 106B-C : Adon situe par rapport au décès de Martin de Tours l’épiscopat de Martin évêque de Vienne et celui de Mamert.
11 Chunna, ancien moine de Luxeuil, voir Y. Fox, Power and Religion in Merovingian Gaul. Columbanian Monasticism and the Frankish Elites, Cambridge, 2014, surtout p. 97-98 pour son abbatiat à Réôme.
12 Jonas de Bobbio (?), Vita s. Ioannis abbatis Reomiensis (BHL 4424), éd. Br. Krusch, MGH, SRM III, Hannover, 1896, p. 505-517.
13 Paris, BnF, latin 11748, fol. 145, col. B, éd. Br. Krusch p. 505. La notice est expurgée dans le manuscrit de Moûtiers-Saint-Jean, auj. Saumur-en-Auxois, BM 1, fol. 50, voir H. Aubert, D. Russo, El. Magnani, « Le manuscrit 1 de Semur-en-Auxois », BUCEMA 14 (2010), p. 101-112 https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cem.11561 qui sert à l’édition de Vita s. Ioannis abbatis Reomiensis (BHL 4426), éd. J. Bolland, AASS, Ian. II, Anvers, 1643, p. 856-862. Présentation en 2018 de la valeur respective des éditions modernes et de l’ensemble du dossier par El. Magnani, « Le manuscrit 1 de Semur-en-Auxois et le dossier hagiographique de Jean de Réôme », Collection CBMA, BUCEMA 2018, http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cem/15493 Lors de la même journée d’étude, l’attribution à Jonas de BHL 4424 a été mise en doute par N. Perreaux, « Attribution d’auteurité. Jonas de Bobbio, Cluny et les Vies de saint Jean de Réôme », http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cem/15493 Cela n’enlève pas tout crédit à la notice, au contraire : elle dit bien que Jonas s’est contenté de polir rapidement un matériau rassemblé à Réôme.
14 Victorius Aquitanus, Cursus paschalis a. CCCCLVII, éd. Th. Mommsen, MGH, Auct. Ant. IX, Hannover, 1892, p. 677-735. Fixation de la date de la Passion, G. Declercq, « Dionysius Exiguus and the introduction of the Christian Era », Sacris Erudiri 41 (2002), p. 165-246, notamment p. 180-181.
15 Colomban milite auprès de Grégoire le Grand contre Victorius, en faveur du cycle alexandrin d’Anatolius (Lettre 1, éd. W. Grundlach, MGH, Epist. 3, Berlin, 1892, p. 156-160), et stigmatise encore dans sa lettre au concile de Châlons-sur-Saône (603) ce qu’il estime être une déviance propre à l’Église gauloise (Ibid. n° 2).
16 Notamment dans les Églises d’Angleterre qui l’adoptent par volonté de cohérence avec les usages romains. En dernier lieu, avec bibliographie J. Story, « The Frankish Annals of Lindisfarne and Kent », Anglo-Saxon England 34 (2005), p. 59-109, avec mise en perspective du rôle de Wilfrid p. 88-90.
17 Th. Mommsen édite une chronologie des consuls des ve et vie siècles poursuivie au viie siècle, dont il situe la rédaction en Campanie, qui suit les dates du cycle de Victorius (Paschale Campanum, MGH, Auct. Ant. IX, Hannover, 1892, p. 745-750).
18 Le chiffre rond qui a le plus impressionné les hagiographes reste l’an mil ab Urbe condita qui coïncide avec la conversion au christianisme de Philippe, premier empereur romain chrétien, selon Orose (supra chapitre I, p. 65 à propos de la Passion de Calocère et Parthenius). L’hagiographe de Pons imagine par ex. que c’est l’évêque de Cimiez qui a converti l’empereur Philippe à la date anniversaire de Rome dans la Passio Pontii Cimellensis (BHL 6896), éd. G. Henskens, AASS, Mai. III, Anvers, 1680, p. 274-279, qui pourrait dater des années 775-800 selon J. P. Weiss, « Une œuvre de la renaissance carolingienne. La Passion de Pons de Cimiez », Hommage à René Braun. Autour de Tertullien, vol. 2, Paris, 1991, p. 203-222. L’auteur de la Passion de l’évêque Félicien de Foligno [ixe s.] date la persécution de Dèce d’après l’assassinat de Gordien « au terme de la millième année depuis la fondation de la Ville », Passio sancti Feliciani (BHL 2846), éd. M. Faloci Pulignani, La Passio sancti Feliciani e il suo valore storico, Perugia, 1918, p. 45-51, ici p. 48. Jean de Gaète se souvient d’Orose dans cet incipit de sa Passion d’Anatolie (BHL 417) : « La mille quatrième année depuis la fondation de la Ville, Philippe, premier chrétien de tous les empereurs, le dix-septième depuis Auguste, après qu’un immense concours de peuple a célébré durant sa troisième année l’anniversaire des mille ans de la Ville… fut assassiné par des soldats à l’initiative de Dèce, etc. », éd. Fr. Dolbeau, « Une œuvre de jeunesse de Jean de Gaète : la Passio sancte Anatolie (BHL 417) », Lateinische Biographie von der Antike bis in die Gegenwart. Scripturus vitam. Festgabe für Walter Berschin zum 65. Geburstag, dir. D. Walz, Heidelberg, 2002, p. 887-902, ici p. 897. Voir encore infra la Passion de Christophe par Pierre Sousdiacre, tableau 9 p. 164.
19 Vita s. Ioannis (BHL 4424), cap. 2, p. 507.
20 Vita s. Ioannis (BHL 4424), cap. 19, p. 516. Moïse est mort à 120 ans, ce qui explique sans doute que ce soit aussi l’âge de Samson de Dol au moment de sa mort selon la Vita antiqua [IIa] s. Samsonis (BHL 7480, 7483), II, 26, éd. Fr. Plaine, AB 6 (1887), article p. 77-150, édition p. 82-150, ici p. 149 [ca. 850-860] ; le prêtre Vivant lui-même meurt à 120 ans selon sa première Vie connue, Vita s. Viventii (BHL 8724), Paris, BnF, latin 13762, fol. 1-33, au fol. 29. Le détail est repris à l’identique dans la réécriture BHL 8725, § 35.
21 Au milieu de nombreux exemples, le biographe de Solein de Chartres explique que Clovis fut baptisé en compagnie de « 364 nobles satrapes » pour que soit atteint le chiffre parfait des jours d’une année complète. Vita s. Sollemnis Carnutensis (BHL 7816), § 9, éd. W. Levison, MGH, SRM VII, Hannover/Leipzig, 1920, p. 311-321, ici p. 319 [viiie s.]. Le fétichisme des chiffres est particulièrement visible dans l’hagiographie polémique, du fait de leur valeur probatoire. Andrea de Sturmi notamment conclut en 1075 sa Passion d’Ariald de Milan par un décompte en base 10 destiné à prouver que toute la vie du martyr était prévue dans le plan de Dieu, voir Andrea de Sturmi, Vita s. Arialdi (BHL 673), cap. 26, éd. Fr. Baethgen, MGH, SS 30-2, Leipzig, 1934, p. 1047-1075, ici p. 1072. Les mêmes constats numériques ont été formulés par le promoteur de la sainteté d’Ariald, le chevalier Erlembald, voir cap. 23, p. 1071.
22 Parmi les exemples intéressants, voir comment Bernier d’Homblières (m. 982) présente la durée de la vie d’Hunegonde, qui vient de recevoir le baptême de la main d’Éloi de Noyon : « ... dans les sept étapes du baptême, elle reçut les sept dons du Saint Esprit… la jeunette s’appliqua à vivre le déroulement d’une semaine de sept années pour acquérir dès cette vie le fruit du jubilé par le total de sept fois sept plus un et, ayant multiplié ce nombre par deux dans le corps et dans l’âme, pour percevoir au centuple le fruit réservé aux vierges consacrées une fois parvenue au terme de sa course », Vita Hunegundis (BHL 4046), § 3, éd. J. Stiltingh, AASS, Aug. V, Anvers, 1741, p. 227-232, col. 227F. Contexte de rédaction dans Fr. McNair, « A saint, an abbot, his documents and her property: power, reform and landholding in the monastery of Homblières under abbot Berner (949-982) », Journal of Medieval History 41 (2015), p. 155-168. Vivre par période de sept fois sept plus un soit 50 ans correspond la recommandation du Lévitique 25, 8-9 sur le jubilé ; la récompense des vierges au centuple est l’exégèse traditionnelle de la parabole du semeur en Mt 13, 8 depuis Jérôme au moins, qu’on trouve souvent dans l’hagiographie féminine. La combinaison peut être connue par l’intermédiaire des Moralia : « De là qu’en ajoutant un à la durée de sept ans multipliée par sept, on arrive à cinquante, pour que l’observance du très saint repos du jubilé soit le signe de la béatitude sans fin », Grégoirele Grand, Moralia in Iob, 35, 8.
23 Sur les âges du monde chez Grégoire, voir aussi infra le chapitre « Histoire sainte ».
24 Isidore de Séville consacre la deuxième partie du livre v des Étymologies au temps : après des définitions terminologiques (cap. 28-38), il livre au cap. 39 une chronique brève de l’histoire du monde (de descriptione temporum) qui conduit le sixième âge jusqu’au moment de la rédaction, en faisant coïncider âge du monde (5 824 pour le § 42), durée des règnes impériaux (17e année d’Héraclius) et événements notables (conversion des juifs d’Espagne).
25 Quand l’auteur d’une Vie de Firmin d’Amiens (BHL 3012-3013) veut donner la date de fondation de la cité d’Amiens sous Antonin le Pieux (138-161), il utilise une datation ab Urbe condita (867) périmée à l’époque à laquelle il écrit (ixe-xe siècle ? voir F. Peloux, « L’écriture hagiographique dans le diocèse d’Amiens (ca. viiie-xiie s.) », Hagiographies viii, 2020, p. 409-450, ici p. 420). Elle lui a valu les remarques accablées de J. Stiltingh puisque le synchronisme est faux (867-753 = 114), mais elle contribue efficacement à la tonalité antiquisante de la légende.
26 Passio Cethei (BHL 1730), éd. N. Everett, « The Passion of Cetheus of Pescara and the Lombard Invasion of Italy. With a diplomatic edition of Passio Cethei based on Venice, Biblioteca Marciana lat. Z 356 », Hagiographica 22 (2015), p. 79-132, aux p. 118-128, et traduction anglaise dans Id., Patron Saints of Early Medieval Italy, Durham, 2016, p. 112-123. Des corrections sont apportées par Id., « The Cult of Saint Peregrinus in early medieval Zadar », Vjesnik za Arheologiju i Povijest Dalmatinsku 108 (2015), p. 245-266.
27 Nicholas Everett insiste pour une datation haute (années 600-640). Giorgia Vocino pense qu’un texte qui annonce la conversion des Lombards date d’après 774 (G. Vocino, Santi et Luoghi santi al servizio della politica carolingia (774-877). Vitae e Passiones del regno italico nel contesto europeo, thèse de doctorat, Université Ca’Foscari de Venise, 2009, p. 297, avec renvoi à E. Paoli, « Tradizioni agiografiche dei ducati di Spoleto e Benevento », I Longobardi dei ducati di Spoleto e Benevento, Spoleto, 2004, p. 289-315). La Vie compile plusieurs strates d’écriture, ce qui peut expliquer cette divergence.
28 Passio Cethei (BHL 1730), § 1, éd. p. 118, trad. p. 112. N. Everett a tort de traduire ce passage comme s’il s’agissait d’une vérité objective. La qualification des deux Lombards comme « fils des concubines » est une allusion savante à l’exégèse augustinienne de Gn 25, 7 (Abraham donne son héritage à Jacob, mais seulement des cadeaux aux fils des concubines qu’il renvoie. Voir par ex. De ciuitate Dei, 16, 34) : il faut donc distinguer les catholiques, qui jouissent de la plénitude des dons de Dieu, et les juifs, schismatiques et hérétiques qui en sont privés. J’y vois donc une allusion à l’arianisme des deux ducs.
29 Passio Cethei (BHL 1730), § 15, éd. p. 127, trad. p. 122. Placer la Passion en AM 5552 n’est pas le choix d’Eusèbe-Jérôme ni celui ’Isidore (AM 5228), encore moins celui de Bède (AM 3984) ; peut-être faut-il supposer une erreur matérielle ?
30 Le cloisonnement générique reste efficace et peut expliquer qu’un auteur comme Hériger de Lobbes (m. 1007) se montre compétent et curieux en matière de comput sans que cette préoccupation ne reçoive le moindre écho dans son œuvre hagiographique. Sur Hériger computiste, P. Verbist, Duelling with the Past. Medieval authors and the problem of the Christian Era (ca. 990-1135), Turnhout, 2010, chap. 1 p. 15-33.
31 Pour la période carolingienne comme période de renouvellement des pratiques computistiques, synthèse dans J. Palmer, The Apocalypse in the Early Middle Ages, Cambridge, 2014. L’auteur n’a pas inclus les textes hagiographiques dans ses sources. Pour la curiosité encyclopédique pour le passé, voir notamment l’œuvre de Fréculfe, Historiarum libri XII, éd. M. I. Allen, Turnhout, 2002 (CCCM 169A), p. 17-724. Hélisachara demandé à l’évêque de Lisieux une histoire « depuis la création du premier homme jusqu’à la naissance du Seigneur […] en suivant la succession des âges » ; et que Fréculfe « conserve et garde avec beaucoup de vigilance le compte des années », Prologue, p. 17.
32 À défaut, le saint est célébré à la date anniversaire d’une élévation ou d’une translation. L’hagiographe de Sever (dioc. Coutances) le confesse avec franchise : « Même si on ignore tout du jour où il expira, puisque tous les frères prirent la fuite après sa mort devant la tourmente des invasions barbares [les vikings vraisemblablement] au point qu’il ne resta personne et que l’endroit fut longtemps privé de toute occupation humaine, on le commémore cependant la veille des nones de juillet, jour où ses reliques furent apportées depuis Rouen jusqu’ici [Saint-Sever-Calvados] », Vita s. Severi (BHL 7668), éd. J. Bolland, AASS, Febr. I, Anvers, 1658, p. 188-192.
33 Les Vies qui relèvent des coïncidences entre dies natalis et telle ou telle fête religieuse sont innombrables. Parmi les auteurs plus originaux, celui de la Vie de Jean de Gorze, ou Hystoria de vita domni Iohannis Gorzie coenobii abbatis (BHL 4396), éd. P. Ch. Jacobsen, MGH, SRGerm 81, Wiesbaden, 2016, p. 150-446 [peu après 974] commence sa Vie par dater la mort du saint (p. 150) et fait coïncider le début de sa dernière maladie avec le premier jour du Carême, sans doute en écho à la pratique des deux Carêmes annuels à laquelle Jean était particulièrement attaché (cap. 93, p. 364).
34 Osbern de Cantorbéry, Vita s. Elphegi (BHL 2518), éd. G. Henskens, AASS, Apr. II, Anvers, 1675, p. 631-642, pour l’entrée dans le huitième jour de l’éternité § 32-33, p. 639. L’hagiographe se souvient qu’Augustin a décrit la période qui sépare le dernier âge du monde (6e âge) de l’éternité au-delà du Jugement Dernier (8e âge) comme un septième âge d’attente qui « sera notre sabbat : il n’aura pas le soir pour fin, mais le jour du Seigneur comme une éternelle octave », Augustin, De ciuitate Dei, 22, 30.
35 Pierre Damien, Vita s. Odilonis (BHL 6282), PL 144, col. 925-944, à la col. 943B. L’auteur inverse l’ordre dans lequel Jotsald avait présenté la même série, Jotsald, Vita Odilonis (BHL 6281), I, 19, éd. J. Staub, MGH, SRGerm 68, Hannover, 1999, p. 141-254, ici p. 184. Les hagiographes du xie siècle aiment accumuler les détails numériques, comme André à propos de son abbé : « Le vénérable Gauzlin, abbé de Fleury et archevêque de Bourges, mourut l’an de l’Incarnation du Seigneur 1029, douzième indiction, en la 25e année de son abbatiat, la 4e année de la restauration de l’église, le 8 des ides de mars, le dimanche de mi-carême, à la première heure de la première partie de la nuit, en s’en allant vers le Seigneur en qui tout vit dans les siècles des siècles et l’éternité, amen », André de Fleury, Vita Gauzlini, § 78, d. et trad. R.-H. Bautier et G. Labory, Paris, 1969, p. 32-151, p. 150 [1042-1043].
36 Vita Ia Judoci (BHL 4504), cap. 15, éd. J. Mabillon, AASS, OSB, Saec. II, Paris, 1669, p. 566-571, ici p. 571 [fin ixe s.-av. 925].
37 Hypothèse de J. Howe, « The date of the Vita Judoci by abbot Florentius (BHL 4511) », AB 101 (1983), p. 25-31, note 6.
38 Isembart de Fleury, Vita IIa Judoci (BHL 4505), à lire dans München, BSB, Clm 12642, fol. 182-192v (xive s.), ici fol. 187. L’ajout de précisions calculées à la faveur d’une réécriture est fréquent à partir de l’an Mil : un exemple éloquent apparaît dans la troisième version de la Vie d’Aldegonde de Maubeuge, Vita IIIa s. Aldegundae (BHL 247), cap. 3, éd. J. Bolland, AASS, Ian. II, Anvers 1643, p. 1040-1047, à la p. 1041. L’auteur donne la date de naissance de la sainte selon l’ère de l’Incarnation, apparemment d’après des tables où figurent aussi une liste de papes, une liste d’empereurs, une liste de rois francs.
39 Édité comme un cap. 30 de la Vita Amati longior (BHL 363-364) d’Hucbaldde Saint-Amand dans le Catal. Cod. Hag. Bruxellensis I-2, Bruxelles, 1889, p. 55. Il s’agit en vérité d’une note qui n’apparaît que dans le légendier manuscrit Bruxellensis 7482 (xiiie s.), fol. 146v, si bien que François Dolbeau doute qu’on puisse l’attribuer à Hucbald dans « Le dossier hagiographique de S. Amé vénéré à Douai. Nouvelles recherches sur Hucbald de Saint-Amand », repr. Sanctorum societas I, Bruxelles, 2005, p. 231-255. Commentaire dans Dolbeau, « Les hagiographes au travail », p. 54.
40 C. Philipp, E. Nothaft, Dating the Passion. The Life of Jesus and the Emergence of Scientific Chronology (200-1600), Leiden/Boston, 2012, p. 76-78 pour le détail de l’innovation de Denys le Petit et de ses conséquences ; jusqu’au viie siècle, G. Declercq, Anno Domini. Les origines de l’ère chrétienne, Turnhout, 2000 ; pour le rôle des Annales irlandaises, et notamment celles de Tigernach, dans la transmission des calculs de Rufin à Bède, D. P. McCarthy, « The Status of the Pre-Patrician Irish Annals », Peritia 12 (1998), p. 98-152.
41 Bède, Historia abbatum (BHL 8968), dans Abbots of Wearmouth and Jarrow, éd. et trad. Ch. Grocock et I. N. Wood, Oxford, 2013, p. 22-77.
42 « L’an de l’Incarnation du Seigneur 674, 2e indiction, dans la 4e année du gouvernement du roi Egfrid », Bède, Historia abbatum, cap. 4, p. 26. C’est sans doute cette indication qui explique l’usage exceptionnel de l’AD dans la Vita Ceolfridi (BHL 1726), cap. 7, Ibid. p. 84, dans des termes identiques.
43 « Le 7e jour des calendes d’octobre, l’an 716 de l’Incarnation du Seigneur, au 6e jour, après la 9e heure », Bède, Historia abbatum, cap. 23, p. 72.
44 K. Harrison, The Framework of Anglo-Saxon History to A.D. 900, Cambridge, 1976 ; P. Darby, Bede and the End of Time, Farnham/Burlington, 2012, p. 17-34 ; M. MacCarron, « Bede, Irish computistica and Annus Mundi », EME 23 (2015), p. 290-307.
45 Pour un ex. parmi des dizaines d’autres possibles : « L’année de l’Incarnation du Seigneur 725, qui était la septième d’Osric roi de Northumbrie successeur de Cenred, Victred, fils d’Ecgbert, roi du Kent, mourut le 9 des calendes de mai. Il laissa au royaume qu’il avait gouverné 34 années et demi durant, trois héritiers, ses fils Aedilbert, Eadbert et Alric », Bède, HE V, 23, p. 170.
46 Bède, HE I, 2, § 1, p. 120.
47 Bède, HE II, 18, § 4, p. 388 : « Donné le trois des ides de juin, sous le gouvernement de nos pieux et augustes empereurs, 24e année d’Héraclius, 23 ans après son consulat, et 23e année de son fils Constantin et la troisième depuis son consulat, qui est aussi la troisième de son fils le très propice César Héraclius, à la septième indiction, c’est-à-dire [ajoute Bède] en l’an de l’Incarnation du Seigneur 634. »
48 Bède, HE III, 4, § 1, p. 30 : « C’est bien l’an de l’Incarnation du Seigneur 565, au temps où Justin le jeune reçut après Justinien le gouvernement de l’empire romain, que vint d’Hibernie un prêtre et abbé nommé Colomban… »
49 Karlsruhe, Cod. Aug. Perg. 167 (ixe s.), fol. 5 voir https://digital.blb-karlsruhe.de/blbhs/content/structure/20736
50 Bède, HE II, 1, § 1, p. 268.
51 De temporum ratione : Bedae Venerabilis Opera, Pars VI : Opera Didascalica 2, éd. Ch. W. Jones, Turnhout, 1977 (CCSL 123B), p. 463-544.
52 Le chapitre 66 et dernier du Liber de ratione temporum circule aussi bien avec que sans le traité dès le viiie siècle, sous la forme d’une Chronica indépendante ; voir éd. Ch. W. Jones, introduction p. 241-242 pour la double tradition manuscrite ; R. McKitterick, Histoire et mémoire dans le monde carolingien, Cambridge 2004, trad. française Turnhout, 2009, p. 100-106 ; pour un essai de transformation de la Chronique de Bède en usuel franc avant 775 sous la forme du Chronicon universale, voir S. Kaschke, « Enhancing Bede. The Chronicon Universale to 741 », Historiography and Identities: Carolingian Approaches, éd. H. Reimitz, R. Kramer, Gr. Ward, Turnhout, 2021, p. 201-230.
53 R. Corradini, « The Rhetoric of Crisis. Computus and Liber annalis in early Ninth-Century Fulda », The Construction of Communities in the Early Middle Ages. Texts, Resources and Artifacts, éd. R. Corradini, M. Diesenberger, H. Reimitz, Leiden/Boston, 2003, p. 269-321. D’une façon plus générale, pour la diffusion de l’œuvre de Bède, voir R. McKitterick, « Exchanges between the British Isles and the Continent, c. 450-c. 900 », The Cambridge History of the Book in Britain, dir. R. Gameson, vol. 1, Cambridge, 2011, p. 313-337, surtout p. 330-335.
54 Philipp et Nothaft, Dating the Passion, p. 80-85, avec bibliographie complémentaire ; MacCarron, « Bede, Irish computistica », p. 292 rappelle que le décalage tient au choix que fait Bède de se référer à la Vulgate et non à la Septante dans le contexte d’une réflexion apocalyptique. Le compte d’Isidore est plus proche de celui d’Eusèbe, sans être identique : le sixième âge commence avec l’Incarnation (Chronica 237, p. 454) et la Passion est située en AM 5228 (Chronica 239, p. 454).
55 De temporum ratione cap. 10, p. 310-312, trad. R. McKitterick, Perceptions of the Past in the Early Middle ages, Notre Dame, 2006, p. 12-13.
56 Passio s. Terentiani martyris (BHL 8000), éd. Mombritius II, p. 595-598 [vie-viie s.] ; BHU 192 dans E. D’Angelo, « Bibliotheca Hagiographica Umbriae – pars altera », Hagiographies vii, 2017, p. 269-344, à la p. 337.
57 Acta s. Terentiani martyris (BHL 8003), éd. J. Stiltingh, AASS, Sept. I, Anvers, 1746, p. 112-116 ; BHU 194, p. 338 [avec datation des vie-viie s.]. Le premier mot de BHL 8003 est Anno, mis en valeur par un scribe du légendier de Moissac (Paris, BnF, latin 17002, ark:/12148/btv1b52500999h fol. 239).
58 Vita s. Laurentii (BHL 4748b), éd. Em. Paoli, « L’agiografia umbra altomedievale », Umbria cristiana. Dalla diffusione del culto al culto dei santi (secc. iv-x), vol. 2, Spoleto, 2001, p. 479-529 à la p. 526. Par rapport au Liber pontificalis, éd. L. Duchesne, p. 70, l’hagiographe a glissé de Constance à Constantin.
59 Ibid. Dioclétien est consul pour la première fois en 284. Carus est consul en 282 puis 283, avec son fils Carin pour collègue. Le pontificat de Gaius se trouve donc placé en 283/284-295/296.
60 M. Innes, « Kings, Monks and patrons. Political identities and the Abbey of Lorsch », La royauté et les élites dans l’Europe carolingienne, dir. R. Le Jan, Villeneuve-d’Ascq, 1998, p. 301-324 ; H. Reimitz, History, Frankish Identity and the Framing of Western Ethnicity, 550-850, Cambridge, 2015, p. 360-363. Pour Lorsch et la chronologie, voir aussi R. McKitterick, « Liturgy and History in the Early Middle Ages », Medieval Cantors and their craft. Music, Liturgy and the Shaping of History, 800-1500, éd. K. A. Bugyis, A. B. Kraebel, M. E. Fassler, York, 2017, p. 23-40.
61 Annales Laureshamenses, éd. G. H. Pertz, MGH, SS 1, Hannover, 1826, p. 19-39, ici p. 22.
62 L’AD et le pouvoir pippinide ont partie liée dès Willibrord, propagateur en Angleterre puis sur le continent des principes du comput irlandais. Willibrord note dans la marge de gauche de son calendrier pour le mois de novembre les trois dates qui importent pour lui, et qui sont fermement données AD : 690 AD, arrivée en Francie, 695 AD consécration épiscopale, 728 AD année en cours. Le texte édité par W. Levison, MGH, SRM VII, Hannover/Leipzig, 1920, p. 92, est lisible en ligne dans le manuscrit Paris, BnF, latin 10837, fol. 39. C’est le même Willibrord qui s’est préparé en Irlande un calendrier en vue de sa mission en Frise : I. Warntjes, « The Computus Cottonianus of AD 689. A compustical formulary written for Willibrord’s Frisian mission », The Easter Controversy of Late Antiquity and the Early Middle Ages, Galway, 2008, p. 173-212. Noter l’intégration postérieure d’une clause de datation « la 748e année de l’Incarnation, la 184e du cycle de Victorius, la première de Childéric roi des Francs avec ses consuls Carloman et Pépin ».
63 Die ostfränkische Ahnentafel von 807 (Series annorum mundi nova), éd. A. Borst, MGH, Quellen zur Geistesgeschichte 21 : Schriften zur Komputistik im Frankenreich von 721 bis 818, vol. 2, Hannover, 2006, p. 971-1006.
64 Annales antiquissimi, éd. F. Kurze, MGH, SRGerm 7, Hannover, 1891, p. 137-138.
65 J. E. Raaijmakers, « Memory and identity. The Annales necrologici of Fulda », Texts and identities in the early Middle Ages, éd. R. Corradini, R. Meens, Ch. Pössel, Wien, 2006, p. 303-322.
66 L. Trân Duc, « L’écriture hagiographique dans le diocèse de Rouen (env. 750-950) », Hagiographies viii, 2020, p. 261-286, aux p. 261-275.
67 (Pseudo ?)-Aigradus, Vita Ansberti (BHL 520), éd. W. Levison, MGH, SRM V, Hannover/Leipzig, 1910, p. 613-641 ; Berschin, Biographie, III, p. 239. Pour W. Levison, l’auteur du prologue à la Vie d’Ansbert qui dit s’appeler Aigradus et écrire à la demande de l’abbé Hildebert (m. ca. 701) est un faussaire qui écrit peu avant 811. Selon John Howe cependant, une Vita deperdita écrite par un certain Aigradus pourrait avoir existé, dont l’auteur carolingien de la Vita Ansberti utiliserait le prologue. Voir J. Howe, « The Hagiography of Saint-Wandrille (Fontenelle) », L’hagiographie du Haut Moyen Âge en Gaule du nord, dir. M. Heinzelmann, Paris, 2001, p. 127-192, ici p. 130. Noter que le recyclage d’un prologue mérovingien ca. 700 en tête d’une Vie carolingienne des années 780-810 est aussi l’hypothèse la plus vraisemblable pour expliquer l’allure actuelle de la Vie de Vulfran rédigée au même endroit au même moment. Voir Vita Vulframni (BHL 8738), éd. W. Levison, MGH, SRM V, Hannover/Leipzig, 1910, p. 661-673 et sa lecture dans St. Lebecq, « Vulfran, Willibrord et la mission de Frise : pour une relecture de la Vita Vulframni », L’évangélisation des régions entre Meuse et Moselle et la fondation de l’abbaye d’Echternach (ve-ixe siècles), éd. M. Polfer, Luxembourg, 2000, p. 429-451.
68 Vita Lantberti ou Gesta domni Lanberti (BHL 4675), éd. W. Levison, MGH, SRM V, Hannover/Leipzig, 1910, p. 608-612 ; J. Howe, « The Hagiography of Saint-Wandrille », p. 151-154.
69 Selon les Gesta abbatum Fontanellensium, le prêtre et ermite Harduin (m. 811) a copié « un manuscrit des Vies des confesseurs du Christ les saints Wandrille, Ansbert et Vulfran », Chronique des abbés de Fontenelle (Saint-Wandrille), cap. 12, § 3, éd. et trad. P. Pradié, Paris, 1999, p. 141-143 ; J. Howe, p. 140. Selon Pascal Pradié (introduction p. xxxi-xxxii) les détails donnés par l’auteur des Gesta sur Harduin pourraient indiquer qu’il fut son élève : il reconnaît en Harduin un maître capable d’enseigner « plusieurs disciples dans la discipline de l’art arithmétique ». L’auteur des Gesta aurait retenu des leçons d’Harduin un goût marqué plus qu’une compétence réelle pour la chronologie. Harduin enfin est commémoré pour avoir copié entre autres « un manuscrit d’arithmétique avec des lettres sur le calcul de la date de Pâques… et un volume de Bède sur la nature des choses et sur les temps ». Pascal Pradié indique n. 5 p. 221 que le manuscrit du De temporum ratione copié par Harduin est conservé à Rouen, BM 524/I.49.
70 Vita Lantberti, cap. 1, p. 608. Clotaire iii règne sur la Neustrie de 663 à sa mort en 673.
71 Vita Lantberti, cap. 1, p. 608.
72 Vita Lantberti, cap. 2, p. 609.
73 Vita Lantberti, cap. 2, p. 609-610. La correction de DCLX (660) en DCLXIII (663) est une intervention de Br. Krusch en fonction du pontificat de Vitalien (657-672) et de la combinaison des jours cités, voir note 11 p. 609.
74 Vita Lantberti, cap. 3, p. 610-611.
75 Dons d’Osmoy et de Warinna, avec dépendances en Vita Lantberti, cap. 3, p. 611 ; les dons sont confirmés à Fontenelle par « deux diplômes royaux », Vita Lantberti, cap. 3, p. 611.
76 Vita Lantberti, cap. 3, p. 611.
77 LHF cap. 145, Lebecq p. 152-155. Pour Fontenelle, P. Pradié souligne que les dates des Gesta sont singulièrement fautives aussi : « Les accumulations de chiffres et les erreurs de chronologie sont propres à l’auteur des Gesta. Il compte volontiers mais mal, notamment lorsqu’il tente d’établir la concordance des dates d’abbatiats avec celles de l’Incarnation, celles des souverains et des papes à l’aide des Annales franques, etc. », introduction p. xxxi-xxxii, xlviii-xlix.
78 La Vie de Vulfran (BHL 8738) est un patchwork de l’Histoire ecclésiastique, comme la très brève Vie d’Erembert de Toulouse (BHL 2587), éd. W. Levison, MGH, SRM V, Hannover/Leipzig, 1910, p. 653-656 et, du même auteur, la Vie de Condède (BHL 1907), Ibid. p. 646-651. W. Levison a aussi retrouvé des passages de l’Histoire de Bède dans la Vie d’Ansbert (BHL 520) que J. Howe, p. 140 ne juge pas convaincants.
79 N. Middleton, « Early Medieval port customs, tolls and controls on foreign trade », EME 13 (2005), p. 313-358 pour un commentaire du rôle de l’abbé Gervold selon les Gesta de Fontenelle ; nuances dans R. Le Jan, « Écriture de l’histoire et compétition : l’échec du projet de mariage entre Charles le Jeune et la fille d’Offa de Mercie », Rerum gestarum scriptor. Mélanges Michel Sot, éd. M. Coumet et al., Paris, 2012, p. 453-464.
80 Hugues, fils de Drogon, petit-fils de Pépin ii, est l’agent du contrôle des grandes abbayes et des sièges épiscopaux de Normandie par la famille pippinide (Rouen, Bayeux). Sa biographie peut être retracée à travers ce qu’en disent les Gesta de Fontenelle (BHL 4032) mieux qu’à travers sa Vie rédigée par un moine de Jumièges qui le confond avec l’évêque de Rouen m. 844, voir J. Van der Straeten, « La Vie inédite de s. Hugues évêque de Rouen m. 844, voir J. Van der Straeten, « La Vie inédite de s. Hugues évêque de Rouen », AB 87 (1969), p. 215-260 et la datation de J. Le Maho, « La production éditoriale à Jumièges vers le milieu du xe siècle », Tabularia 1 (2001), p. 11–32.
81 Eigil, Vita Sturmi (BHL 7924), cap. 16, éd. partielle G. H. Pertz, MGH, SS 2, Hannover, 1829, p. 373-374.
82 Pour l’intégration antérieure de Jumièges dans un réseau irlandais, J.-M. Picard, « L’Irlande et la Normandie avant les Normands », Annales de Normandie 47 (1997), p. 3-24.
83 Vita Ansberti, cap. 18, p. 631-632.
84 Vita Ansberti, note 1, p. 631. Il est possible que la date se soit trouvée dès l’origine dans le diplôme puisque, parmi les diplômes de Thierry iii, le n° 132 du 9 février 672 est daté AD : Die Urkunden der Merowinger : I, éd. Th. Kölzer, MGH, DD Mer., Hannover, 2001, p. 336.
85 Chronique des abbés, éd. cit. ; pour ces Gesta comme collection d’actes, L. Morelle, « La mise en ‘œuvre’ des actes diplomatiques. L’auctoritas des chartes chez quelques historiographes monastiques (ixe-xie siècle) », Auctor et auctoritas. Invention et conformisme dans l’écriture médiévale, dir. M. Zimmermann, Paris, 2001, p. 73-96, qui note « L’auteur témoigne d’un souci presque constant de fixer la date des documents qu’il utilise », p. 76.
86 Bien qu’il ne s’agisse pas d’une Vie, les Gesta Aldrici peuvent aider à comprendre la démarche : un auteur anonyme du Mans a réuni du vivant de l’évêque Aldric (m. 857), vers 840 ?, des documents tirés des archives épiscopales et les a intégrés à une trame narrative, éditée comme Gesta Aldrici (BHL 260) par G. Waitz, MGH, SS 15-1, Hannover, 1887, p. 308-327. Les Gesta ont été par la suite fondus dans les Actus carolingiens des évêques du Mans. L’auteur des Gesta organise toute sa matière AD.
87 Loup de Ferrières, Vita Wigberti, cap. 1, p. 39 : tout le tableau de la « Bretagne » est emprunté à Bède, HE I, 14-15 comme l’a vu O. Holder-Egger, note 1.
88 Loup de Ferrières, Vita Wigberti (BHL 8879), p. 37 : « AD 836, 14e indiction ».
89 Loup de Ferrières, Vita Maximini (BHL 5824), cap. 25, éd. Br. Krusch, MGH, SRM III, p. 74-82, ici p. 82.
90 P. Bourgain, M. Heinzelmann, « L’œuvre de Grégoire de Tours. La diffusion des manuscrits », Grégoire de Tours et l’espace gaulois, Tours, 1997, p. 273-317, aux p. 300-306 ; depuis, voir surtout M. Hellmann, « Die Auszeichnung der Textstruktur in einer biographischen Sammeledition der Karolingerzeit am Beipsiel des ‘Weissenburger Martinellus’ », Lateinische Biographie von der Antike bis in die Gegenwart. Scripturus vitam. Festgabe für Walter Berschin zum 65. Geburstag, éd. D. Waltz, Heidelberg, 2002, p. 243-262, à propos d’un Martinellus de Tours (première moitié du ixe s.), auj. Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, Cod. Guelf. 82 Weiss. ; du seul point de vue des modèles de sainteté, M. Vielberg, Der Mönchsbishof von Tours im ‘Martinellus’. Zur Form des hagiographischen Dossiers und seines spätantiken Leitbilds, Berlin/New York, 2006.
91 Soit la mort de Martin (I, 48), l’épiscopat de Brice (II, 1) et la description de la basilique de Tours (II, 14), Bourgain, Heinzelmann, « L’œuvre de Grégoire de Tours », p. 301-302. C’est l’exact contenu du Cod. Guelf. 82 Weiss. (note précédente). Il est difficile de qualifier rigoureusement ce que représentent les ajouts de Grégoire de Tours : par exemple, l’ajout assez répandu de DLH II, 1 (comme dans les Martinelli Paris, BnF, lat. 10848, premier tiers du ixe s. à Tours, et Paris, BnF, lat. 5325, idem, fol. 128-132) peut être commenté comme l’insertion d’un fragment d’histoire dans un recueil hagiographique ; mais ce chapitre constitue aussi pour le Moyen Âge la première Vie de l’évêque de Tours Brice (BHL 1452), voir le chapitre V, infra p. 281.
92 Pour l’ajout des pièces alcuiniennes, voir notamment Paris, BnF, latin 5325, fol. 137-142.
93 Vita s. Germani interpolata (BHL 3454), éd. P. van den Bossche, AASS, Iul. VII, Anvers, 1731, p. 201-220 ; W. S. van Egmond, Conversing with the Saints, Turnhout, 2006, p. 107-127.
94 Vita Amatoris, Revelatio Corcodemi, Vita Genovefae, Passio Albani, De virtutibus Iuliani de Grégoire de Tours, Vita Lupi Trecensis : détails dans le tableau synoptique de W. S. van Egmond, Conversing with the Saints, p. 110-111.
95 Il utilise les passages à forte tonalité hagiographique, dont l’éloge posthume de Népotien (lettre 60 à Héliodore) et la description idéalisée de la vie monastique de la lettre 58.
96 Vita s. Desiderii (BHL 2143-2144), éd. Br. Krusch, MGH, SRM IV, Hannover/Leipzig, 1902, p. 563-602. La Vie en l’état date des années 780-820. Inclusion des lettres d’Herchenfreda, mère de Didier en cap. 9-11, p. 569-570 ; du précepte de Dagobert cap. 13, p. 571 ; de l’indiculus Dagoberti cap. 14, p. 572 ; liste des dons de Didier à l’Église de Cahors cap. 30, p. 586-588 ; reproduction des tituli en l’honneur de Didier, cap. 54, p. 600-601. L’effet produit par la citation des lettres est l’objet de M.-C. Isaïa, « Les lettres dans l’hagiographie médiolatine (ixe-xiie siècle) », Cahiers de civilisation médiévale 61 (2018), p. 109-127, pour la Vie de Didier p. 116-117.
97 Uurdisten de Landévennec, Vita Winwaloei longior (BHL 8957-8958), éd. C. de Smedt, AB 7 (1888), p. 167-264, aux p. 172-261 ; le diplôme est cité lib. II, cap. 13, p. 227. Pour l’hagiographie bretonne, voir J.-Cl. Poulin, « L’hagiographie bretonne avant l’an mil », Hagiographies viii, 2020, p. 189-242.
98 Uurdisten, Vita Winwaloei, lib. II, cap. 12, p. 226.
99 Uurdisten, Vita Winwaloei, lib. II, cap. 13, p. 227.
100 Uurdisten conserve le diplôme dans la Vie abrégée (BHL 8960) qu’il envoie à Jean évêque d’Arezzo, voir Ch. Garavaglia et Y. Morice, « Clôture et ouverture. Landévennec et l’ouverture de la Bretagne au domaine culturel carolingien », Corona monastica. Mélanges Marc Simon, dir. L. Lemoine et B. Merdrignac, Rennes, 2004, p. 19-33.
101 Uurmonoc de Landévennec, Vita Pauli Aureliani (BHL 6585), préface, éd. Ch. Cuissard, « Vie de saint Paul de Léon en Bretagne », Revue Celtique 5 (1881), p. 413-460, aux p. 417-457, ici p. 417.
102 Uurmonoc, Vita Pauli Aureliani, explicit du prologue p. 418.
103 Hériger de Lobbes, préface à la Vita IIa s. Remacli (BHL 7116), éd. Br. Krusch, MGH, SRM V, Hannover/Leipzig, 1910, p. 109-110 [attribuée à Notker de Liège].
104 Ch. Mériaux, « Hagiographie et histoire à Saint-Amand : la collection de Milon d’Elnone (m. 872) », Rerum gestarum scriptor. Mélanges Michel Sot, dir. M. Coumert et al., Paris, 2012, p. 87-98.
105 Milon, Vita IIa s. Amand (BHL 544), éd. Br. Krusch, MGH, SRM V, Hannover/Leipzig, 1910, p. 450-483 ; détail des erreurs de datation en introduction p. 408-409.
106 Milon, Vita IIa s. Amand, p. 457.
107 Milon, Vita IIa s. Amand, p. 459.
108 Milon, Vita IIa s. Amand, p. 457.
109 Milon, Vita IIa s. Amand, p. 458.
110 À l’intention du lecteur suspicieux : « le souvenir de l’année de son décès, 661 ans après la naissance du Seigneur, est fermement établi puisque ceux qui nous ont précédé ont évité qu’il ne puisse être oublié en l’écrivant, non seulement dans des livres, mais encore dans la pierre », Milon, Vita IIa s. Amand, p. 459.
111 « Une fois qu’on a scrupuleusement établi ces deux chiffres, date de naissance et de décès, on n’a qu’à recourir aux histoires des rois qui étaient au pouvoir à cette époque, complétées par les chroniques des pères vénérables et le livre qui concerne les pontifes du Siège apostolique ; il faudra les examiner d’une intelligence dégourdie, et comme “pourvue d’yeux et devant et derrière” [Ap 4, 6] pour déterminer habilement qui étaient les papes, empereurs et princes du vivant du bienheureux Amand : personne à mon avis ne trouvera rien à redire à nos affirmations quand on aura été capable de découvrir la vérité sur le sujet, au terme d’un certain labeur. »
112 Réginon de Prüm, Chronicon, éd. F. Kurze, MGH, SRGerm 50, Hannover, 1890, p. 1-153 ; traduction anglaise S. MacLean, History and Politics in Late Carolingian and Ottonian Europe. The Chronicle of Regino of Prüm and Adalbert of Magdeburg, Manchester, 2009. Nouveauté du principe d’une Chronique universelle rédigée d’emblée AD : H. W. Goetz, « Historiographisches Zeitbewusstsein im frühen Mittelalter. Zum Umgang mit der Zeit in der karolingischen Geschichtsschreibung », Historiographie im frühen Mittelater, dir. A. Scharer, G. Scheibelreiter, Wien, 1994, p. 158-178. La nouveauté de Réginon s’apprécie bien par comparaison avec l’œuvre d’Adon de Vienne écrite à la génération précédente : dans la partie la plus personnelle de sa Chronique universelle, Adon utilise l’ère de l’Incarnation, mais sans renoncer pour les premiers temps à la présentation traditionnelle en âges. Cela dépend des sources exploitées, Adon part d’Isidore de Séville quand Réginon dépend des Annales carolingiennes : en dernier lieu Ch. West, « Knowlegde of the past and the judgement of history in tenth-century Trier : Regino of Prüm and the lost manuscript of bishop Adventius of Metz », EME 24 (2016), p. 137-159 ; « en vérité, l’intégralité de la chronique de Réginon est une amplification des Annales Royales Franques », p. 150. Pour la Chronique d’Adon, voir aussi M.-C. Isaïa, « La Chronique d’Adon de Vienne (m. 875). Méthode, projet et public », Revue d’Histoire de l’église de France 108, 2022, p. 225-254.
113 Réginon, Chronicon, p. 2.
114 C’est l’auteur qui date son texte « la seconde année du règne sur les Saxons d’Otton, fils d’Henri, soit la 937e depuis l’Incarnation du Seigneur », Vita s. Beregisi Andaginensis (BHL 1180), § 5, éd. C. de Bye, AASS, Oct. I, Bruxelles, 1765, p. 520-529, à la p. 521. Hypothèse d’attribution à l’abbé de Saint-Hubert Frédéric, A. Dierkens, « L’auteur de la Vita sancti Beregisi abbatis (BHL 1180) : Frédéric, prévôt de Gorze puis abbé de Saint-Hubert (m. 942) », Scribere sanctorum gesta, p. 417-440. Voir aussi, sur la documentation de l’hagiographe, A. Dierkens, « Note sur un passage de la Vie de saint Bérégise (BHL 1180) », Le Luxembourg en Lotharingie. Mélanges Paul Margue, éd. P. Dorstert, M. Pauly, J. Schroeder, Luxembourg, 1993, p. 101-111, aux p. 109-110.
115 Vita s. Beregisi (BHL 1180), § 1, p. 520 puis § 2, p. 520-521.
116 Le LHF est la source pointée par A. Dierkens, mais l’Histoire des Francs a incorporé les éléments du LHF pour les années 680-720, R. Collins, Die Fredegar-Chroniken, MGH, Studien und Texte, 44, Hannover, 2007, p. 136-139. L’hagiographe appelle l’œuvre qu’il exploite « gesta regum », nom que la tradition manuscrite donne au Liber comme à l’Historia vel gesta, voir LHF, Lebecq introduction p. vii-x.
117 Son faible légitimisme avait étonné C. de Bye puisque le Carolingien Louis d’Outremer (m. 954) règne théoriquement en 937 sur la Francie occidentale. Le Bollandiste explique : « Je crois que c’est parce que… les grands ayant usurpé toute autorité royale, il [Louis] n’avait plus que le nom de roi, et surtout parce qu’en Austrasie ou plutôt en Lotharingie, régnait alors Otton… qui n’était pas de la dynastie carolingienne », note g p. 522.
118 Pépin ii assiste à la messe de Bérégise la tête couronnée (d’une guirlande ?) ; le saint refuse de lui donner le baiser de paix, § 9-10, p. 525.
119 Continuations, éd. Br. Krusch, MGH, SRM II, Hannover, 1888, p. 168-193, datée selon Collins, Die Fredegar-Chroniken, p. 89-96. L’hagiographe mentionne dans le bon ordre le roi des Francs Thierry : HF § 2, p. 168-169. Pépin le Jeune, fils d’Anségise ; ducatus des Austrasiens avec Martin : HF § 3, p. 170. Martin tué par Ébroïn : HF § 3, p. 170. Pépin maire du palais après la mort d’Ébroïn : HF § 5, p. 171. Pépin épouse Plectrude ; naissance de Drogon et Grimoald : HF § 5, p. 171. Drogon duc en Champagne ; sa mort : HF § 6, p. 172. Grimoald, maire du palais, tué à Liège par Raingarius : HF § 7, p. 173. Pépin père de Charles : HF § 8, p. 173.
120 Vita s. Beregisi (BHL 1180), § 3-5, p. 521.
121 H. Reimitz, « The early medieval editions of the Histories », A Companion to Gregory of Tours, éd. A. C. Murray, Leiden/Boston, 2016, p. 519-565, aux p. 549-554 pour Saint-Hubert.
122 Sisebut, Vita s. Desiderii (BHL 2148), éd. J. C. Martín, « Une nouvelle édition critique de la Vita Desiderii de Sisebut, accompagnée de quelques réflexions concernant la date des Sententiae et du De viris illustribus d’Isidore de Séville », Hagiographica 7 (2000), p. 127-180, aux p. 147-163. Passio s. Desiderii (BHL 2149), éd. Br. Krusch, MGH, SRM III, Hannover, 1896, p. 638-645. Contexte Y. Fox, « The bishop and the monk : Desiderius of Vienne and the Columbanian movement », EME 20 (2012), p. 176-194. En dernier lieu pour l’œuvre de Sisebut, J. C. Martín-Iglesias et S. Iranzo Abellán, « Dos nuevos fragmentos manuscritos del s. xi de la Vita vel Passio s. Desiderii (BHL 2148) de Sisebuto de Toledo (612-621) : transcripción y estudio », AB 138 (2020), p. 338-367.
123 Saints et éducation à la cour : sources et bibliographie dans A.-M. Helvétius, « Hagiographie et formation politique des aristocrates dans le monde franc (viie-viiie siècles) », Hagiographie, idéologie et politique au Moyen Âge en Occident, éd. Ed. BozÓky, Turnhout, 2012, p. 59-80. La mention de Dagobert au tout début de la Vie d’Aldegonde pourrait donc faire hésiter à placer sa rédaction trop haut au viiie siècle ; discussion et arguments pour une datation mérovingienne (années 710-720) dans A.-M. Helvétius, « Sainte Aldegonde et les origines du monastère de Maubeuge », Revue du Nord 295 (1992), p. 221-237. La Vie commence par « Un texte ancien rappelle que la bienheureuse Aldegonde vécut à l’époque du grand roi des Francs Dagobert… », Vita Ia s. Aldegundae (BHL 244), § 2, éd. J. Mabillon, AASS OSB, Saec. II, Paris, 1669, p. 807-815.
124 Donat (de Metz ?), Vita s. Ermenlandi abbatis (BHL 3851), éd. W. Levison, MGH, SRM V, Hannover/Leipzig, 1910, p. 682-710 [viiie s.]. Levison propose qu’il soit aussi l’auteur de la Vie de Trond (BHL 8321-8322). Bruno Judic a mis en ligne une traduction française de la Vie : https://halshs.archives-ouvertes.fr/hal-00975522
125 Alcuin, Vita Richarii (BHL 7223-7227), § 1, éd. Chr. Veyrard-Cosme, L’œuvre hagiographique en prose d’Alcuin, Firenze, 2003, p. 110-136, ici p. 110 et lettre de dédicace à Charles, introduction p. xliii-xlv.
126 « Elle mourut à l’époque de Louis le jeune, très-glorieux roi des Francs, fut inhumée avec honneur dans l’église même, à la louange du Nom de Jésus Christ, lui qui aime être le gardien de tous ceux qui espèrent en Lui, Dieu qui vit et règne avec le Père et le Saint Esprit dans les siècles des siècles. Amen », Vita Liutbirgae virginis (BHL 4936), § 46, Das Leben der Liutbirg. Eine Quelle zur Geschichte der Sachsen in karolingischer Zeit, éd. O. Menzel, Leipzig, 1937, p. 10.
127 Vita Liutbirgae virginis, § 1, p. 10.
128 Berschin, Biographie, IV-1, p. 60 : sont représentatives de « l’hagiographie ottonienne » 23 Vitae rédigées entre les années 960 et 1070 à propos de saints récents, parce qu’elles contiennent « la description d’un événement historique au moins… L’ouverture de la biographie à l’historiographie, dans une perspective historique large, est le trait typique de cette période et de son style ». Corpus résumé dans le tableau 10, p. 172.
129 « À l’époque de feu le roi des Francs Conrad, le prince qui dirigeait toute la Germanie s’appelait Otton, par naissance d’une noblesse sans égale selon la dignité du monde : ses richesses faisaient sa puissance, ses responsabilités le plaçaient au-dessus de tous les autres, parce qu’il était doué de vertus, la vénérable dame Haduwich devint son épouse – elle n’était en rien différente de lui sous le regard des mœurs… », Vita Mathildis reginae antiquior (BHL 5683), § 1, éd. B. Schütten, MGH, SRGerm 66, Hannover, 1994, p. 109-142, ici p. 111. Berschin, Biographie, IV-1, p. 93-101. P. Corbet, Les saints ottoniens, Thorbecke, 1986, surtout p. 133-152, et passim.
130 M. Goullet, « Vers une typologie des réécritures hagiographiques à partir de quelques exemples du nord-est de la France », La réécriture hagiographique dans l’Occident médiéval, Ostfildern, 2003, p. 109-144, ici p. 123-124.
131 Pour un autre exemple d’insertion d’une chronologie « carolingienne » avec ère de l’Incarnation dans un dossier mérovingien, voir la réécriture au ixe siècle de la première Vie d’Ouen (BHL 750) sous la forme BHL 751 analysée dans M.-C. Isaïa, « Les hagiographes de la Normandie ducale ou le passé sans histoire », Maîtriser le temps et façonner l’histoire, dir. F. Paquet, Caen, 2022, p. 283-306.
132 Vita Ia s. Carileffi (BHL 1568), cap. 7, éd. partielle Br. Krusch, MGH, SRM III, Hannover, 1896, p. 389-394, ici p. 391.
133 Vita IIIa s. Carileffi (BHL 1570), § 3, éd. J.-B. du Sollier, AASS, Iul. I, Anvers, 1719, p. 90-99, aux p. 90-91.
134 Ibid., § 4, p. 91.
135 Vita Leutfredis, abbatis Madriacensis (BHL 4899), § 20, éd. G. Henskens, AASS, Iun. IV, Anvers, 1707, p. 105-112, col. 109D [ixe s.].
136 M. Heinzelmann, « Manuscrits hagiographiques et travail des hagiographes : l’exemple de la tradition manuscrite des Vies anciennes de sainte Geneviève de Paris », Manuscrits hagiographiques et travail des hagiographes, dir. M. Heinzelmann, Sigmaringen, 1992, p. 9-16, ici p. 14-15. Vie de sainte Geneviève, éd. et trad. M.-C. Isaïa et Fl. Bret, Paris, 2020 (SC 610), p. 280-355 et introduction p. 117-121 et p. 133-136 sur les méthodes de l’hagiographe.
137 Vita « Ia » s. Amandi (BHL 332), éd. Br. Krusch, MGH, SRM V, Hannover/Leipzig, 1910, p. 428-449 [fin viie-déb. viiie s.], avec la présentation d’A. Verhulst et G. Declercq, « L’action et le souvenir de saint Amand en Europe centrale », Aevum inter utrumque, éd. M. Van Uytfanghe, R. Demeulenaere, La Haye, 1991, p. 503-526, notamment p. 515.
138 Thierry de Saint-Trond, Vita IIIa s. Bavonis (BHL 1051), éd. J. Périer, AASS, Oct. I, Anvers, 1765, p. 243-252, col. 243F. Commentaire gêné de l’éditeur § 92-99, p. 217-218, surtout § 95. Thierry de Saint-Trond ne confond pas les Clovis entre eux (Clovis ii m. 657 ; Clovis iii m. 676 ; Clovis iv m. 695). L’erreur n’arrête pas les copistes : pas de variante manuscrite dans l’Hagiologium Brabantinorum de Jean Gielemans, Wien, ÖNB, Ser. N 12706, fol. 41B (xve s.) ; ni dans le légendier de Corsendonk, Wien, ÖNB, Ser. N 12754, fol. 96A (xve s.).
139 La Vie se termine par un remarquable épilogue sur les malheurs des temps, où l’hagiographe déplore l’actualité – division des royaumes, ruine des monastères, etc. : « Qui traverserait les yeux secs des royaumes qui se divisent – signe de désolation – etc. ? », Vita IIIa s. Bavonis, § 46, col. 252D.
140 Thierry de Saint-Trond, Vita IIIa s. Bavonis (BHL 1051), § 42, col. 251F.
141 Lucile Trân-Duc a attiré mon attention sur le manuscrit connu comme « Grande chronique de Fontenelle », Majus Chronicon Fontanellense, auj. Le Havre, BM 332 (A34) dont la partie primitive contient les dossiers hagiographiques majeurs pour l’histoire de Fontenelle (Wandrille, Ansbert, Vulfran, Condède, Erembert). Le copiste a mis les trois premiers en rapport avec des listes évidemment destinées à permettre au lecteur de situer le saint dans son contexte, soit une liste des rois francs après le dossier de Wandrille, une liste des archevêques de Rouen après celui d’Ansbert, une liste des archevêques de Sens après celui de Vulfran. Les listes ont apparemment été établies dans la deuxième moitié du ixe siècle, voir L. Trân-Duc, « Une entreprise mémorielle dans l’abbaye de Fontenelle au xie siècle : l’œuvre du moine Guillaume », Maîtriser le temps et façonner l’histoire, dir. F. Paquet, Caen, 2022, p. 105-121.
142 Vita s. Zenonis (BHL 9007), PL 11, col. 727-731. Après cette attaque, c’est l’histoire connue de BHL 9001-9002 qui est répétée.
143 Passio s. Vigilii martyris (BHL 8602), éd. D. Papebroch, AASS, Iun. V, Anvers, 1709, p. 165-166, ne représente pas l’état originel du texte, qu’on trouve sous deux variantes manuscrites : Passio BHL 8602f en St. Gallen, Stiftsbibliothek, Cod. Sang. 566, p. 260-267 (ixe s.), cf. Paris, BnF, latin 5593, fol. 89v-94 (xie s.), et Passio BHL 8603 en Città del Vaticano, BAV, Palat. Lat. 846, fol. 13r-14v (xe s.). Les deux manuscrits servent à l’édition du texte par G. Verrando, « La trasmissione manoscritta per una nuova edizione della Passio sancti Vigilii espicopi », Vigilio vescovo di Trento tra storia romana e tradizione europea, éd. R. Codroico, D. Gobbi, Trento, 2000, p. 291-326, édition p. 311-326.
144 Passio s. Vigili (BHL 8602f), p. 267 = Passio (BHL 8603), fol. 14v.
145 Passio s. Vigilii martyris (BHL 8602), § 13, p. 166. Peut-être une confusion entre deux papes Anastase, le premier (399-401) contemporain de Stilichon, le deuxième (496-498) prédécesseur à Rome de Symmaque puis d’Hormisdas, peut-elle expliquer la disparition du ve siècle ?
146 Ceolfrith, abbé de Wearmouth-Jarrow (m. 716), dont la Vie (BHL 1726) a été composée après 717 par un moine qui n’est pas Bède. Il en a déjà été question au chapitre II, p. 87.
147 Eigil, Vita Sturmi (BHL 7924), éd. partielle G. H. Pertz, MGH, SS 2, Hannover, 1829, p. 366-377.
148 Willibald donne la date en deux temps : « le Seigneur a bien voulu… glorifier son serviteur [Boniface] au terme des quarante ans de son pèlerinage, donc en l’an de l’Incarnation 755. Il siégea comme évêque 36 ans, 6 mois, 6 jours. Et c’est aux nones de juin, on l’a écrit plus haut, après avoir reçu le prix du triomphe du martyre, qu’il rejoignit le Seigneur », Vita Bonifatii (BHL 1400), cap. 8, p. 55-56 (note 2, p. 55 pour situer l’année plutôt en 754).
149 Anson de Lobbes (m. 800), Vita Erminonis (BHL 2614), cap. 12, éd. W. Levison, MGH, SRM VI, Hannover/Leipzig, 1913, p. 461-470, ici p. 470.
150 Vita Vulframni (BHL 8738), cap. 14, p. 672.
151 Ardo-Smaragde, Vita s. Benedicti abbatis Anianensis (BHL 1096), cap. 42, éd. G. Waitz, MGH, SS 15-1, Hannover, 1887, p. 198-220, ici p. 219. La datation est une démonstration des compétences apprises via Bède : « Il mourut septuagénaire, le 3 des ides de février, l’an de l’Incarnation du Seigneur 821, 14e indiction, concurrent 1, épacte 14, la 9e année du très pieux empereur Louis. »
152 Vita Alcuini (BHL 242), cap. 26, éd. W. Arndt, MGH, SS 15-1, Hannover, 1887, p. 184-197, ici p. 196 ; la même Vie contient une remarquable notice biographique sur Bède, présenté comme premier maître d’Alcuin, et conclut par le même type d’obit AD 731, cap. 4, p. 187. Il faut rappeler qu’elle a été rédigée d’après le témoignage de Sigulf, prêtre anglo-saxon. Une lecture de la Vie d’Alcuin figure dans le chapitre IV, p. 204-208.
153 Hilduin de Saint-Denis, Passio IIIa s. Dionysii (BHL 2175), cap. 36, éd. M. Lapidge, Hilduin of Saint-Denis. The Passio s. Dionysii in prose and verse, Leiden, 2017, p. 300 et 302.
154 Altfrid, Vita Liutgeri (BHL 4937), explicit du livre I, éd. W. Diekamp, Die Vitae sancti Liudgeri, Münster, 1881, p. 3-53, ici p. 38.
155 Hilduin de Saint-Denis, Passio IIIa s. Dionysii (BHL 2175), p. 300 et 302.
156 Eusèbe/Rufin, HE, III, 20, § 7, p. 235.
157 Fréculfe de Lisieux, Historiarum libri XII, II, lib. 2, cap. 7, p. 510.
158 Hilduin, Passio s. Dionysii (BHL 2175), cap. 1, p. 234. Claude règne après l’assassinat de Caligula (41) et jusqu’en 54.
159 Hilduin, Passio s. Dionysii (BHL 2175), cap. 17, p. 270.
160 La Vita Sturmi est traditionnellement datée d’après l’autobiographie d’Eigil dans le prologue – « j’ai partagé la vie [de saint Sturm] plus de vingt ans, moi, Eigil, comme son disciple, et c’est sous la discipline de cette communauté que j’ai été élevé et instruit depuis l’enfance jusqu’à présent » – en considérant qu’Eigil, qui ne porte pas le titre d’abbé, a écrit là une œuvre de jeunesse. Eigil, Vita Sturmi (BHL 7924), prologue, éd. partielle G. H. Pertz, MGH, SS 2, Hannover, 1829, p. 366-377, p. 366. Néanmoins, Janneke Raaijmakers pense que c’est dans le contexte de la reprise en main de Fulda par Eigil devenu abbé (818-822) qu’une histoire normative des origines a le plus de chances d’avoir été écrite.
161 Eigil, Vita Sturmi (BHL 7924), cap. 13, p. 370.
162 Pseudo-Ansgar, Vita s. Willehadi (BHL 8898), cap. 5, éd. G. H. Pertz, MGH, SS 2, Hannover, 1829, p. 378-390, ici p. 381 ; avec la datation de G. Niemeyer, « Die Herkunft der Vita Willehadi », Deutsches Archiv für Erforschung des Mittelalters 12 (1956), p. 17-35, acceptée par I. Wood, The Missionary Life, 2001, p. 90-91.
163 Ibid.
164 Ibid., avec démonstration de la vacance de fait du trône impérial à Byzance puisqu’il est occupé par une femme. La présence inattendue de la translatio imperii dans ce contexte est l’argument le plus convaincant de Niemeyer, « Die Herkunft », en faveur d’une rédaction de la Vie sous Lothaire Ier.
165 Même situation dans la Vie de l’évêque de Metz Chrodegang, où le 5 des calendes d’août 754, marque au début du chapitre 26 une vision nocturne de Chrodegang, suivie du sacre de Pépin iii et de l’octroi du pallium avec rang archiépiscopal pour Chrodegang. « Pépin, sainte fondation, fut donc béni et devint roi des Francs, tandis que saint Chrodegang fut élevé à l’archiépiscopat par le pallium, pour que soit toujours utile à la dignité de l’Église celui que Dieu avait entièrement sanctifié par sa grâce et ses vertus », Vita Chrodegangi (BHL 1781), cap. 26, éd. M. Goullet, M. Parisse, A. Wagner, Paris, 2010, p. 36-103, ici p. 87. Les éditeurs situent sa rédaction ca. 983-987. C’est l’hypothèse la plus tardive dans une fourchette qui va du ixe au xe siècle : résumé dans M. A. Claussen, The Reform of the Frankish Church, Cambridge, 2004, note 2, p. 19.
166 Jonas d’Orléans, Vita IIa s. Hucberti (BHL 3994-3995), § 29, cap. 16, éd. C. de Smedt, AASS, Nov. I, Paris, 1887, p. 806-818, à la p. 817. La translation est présidée par l’évêque Walcaud de Liège (811-ap. 831).
167 Jonas d’Orléans, Vita IIa s. Hucberti, § 33, p. 818.
168 Si une Vie contient un récit de translation, la translation est l’occasion la plus normale de voir apparaître une date AD à partir du ixe siècle. Parmi de nombreux exemples, voir le dossier de Liboire, dont la biographie écrite ca. 900 ne contient pas de date sinon celle de la translation de 836, Vita s. Liborii (BHL 4912-4913), éd. J. Bolland, rééd. AASS, Iul. V, Anvers, 1727, p. 409-424, à la p. 418.
169 Parmi les sources éloquentes sur le projet de continuité politique, et l’importance de l’AD pour les Carolingiens, les généalogies éditées par Th. Mommsen sous le titre Generationum regnorumque laterculus Bedanus cum continuatione Carolingica Altera, MGH, Auct. Ant. XIII, Berlin, 1898, p. 349-353 dont les rédactions successives (après 809) combinent AM et AD ; I. H. Garipzanov, « The Carolingian abbreviation of Bede’s World Chronicle and Carolingian imperial ‘genealogy’ », Hortus Artium Medievalium 11 (2005), p. 291-298.
170 Si l’édition de Baluze fait connaître une rédaction d’un même tenant, la Passion d’Ansanus de Sienne doit être l’une des premières en Italie à mentionner l’ère de l’Incarnation : « Ansanus mourut sous le règne des empereurs Dioclétien et Maximien, sous le consulat de Lisias : 296 années s’étaient écoulées depuis la naissance du Seigneur », Passio s. Ansani (BHL 515), éd. Ét. Baluze, Miscellanea novo ordine digesta… iv, Lucca, 1764, p. 61-63. La datation viie-viiie s. (Hagiographies vii, 2017, p. 129) semble un peu haute : sans doute plutôt déb. ixe s.
171 Aucune utilisation de l’AD dans la Vie que Paul Diacre rédige pour le pape Grégoire le Grand (BHL 3639), Vita IIa s. Gregorii, éd. H. Grisar, « Die Gregorsbiographie des Paulus Diakonus in ihrer ursprünglischen Gestalt, nach italienischen Handschriften », Zeitschrift für Katholische Theologie 11 (1887), p. 158-173, ici p. 162-173. Il s’agit d’une œuvre de jeunesse antérieure à l’Histoire des Lombards : S. Boesch Gajano, « La memoria della santità : Gregorio Magno autore e oggetto di scriture agiografiche », Gregorio Magno nel XIV centenario dalla morte, Roma, 2004, p. 321-348.
172 Paul Diacre, Historia Longobardorum, II, 7-8, éd. G. Waitz, MGH, SRGerm 48, Berlin, 1878, p. 49-242, ici p. 89.
173 Paul Diacre, Lettre de dédicace à Adalperge, éd. H. Droysen, MGH, SRGerm 49, Berlin, 1879, p. 1.
174 Paul Diacre, Historia Romana, XV, 10, éd. H. Droysen, MGH, SRGerm 49, Berlin, 1879, p. 3-135, ici p. 122. La date de naissance de César sert à dater le principat.
175 Paul Diacre, Historia Romana XVI, 1, p. 127.
176 Almann de Hautvillers (m. 904), Vita s. Helenae imperatricis (BHL 3772), éd. J. Pien, AASS, Aug. III, Anvers, 1737, p. 580-599. La Vie est aussi étudiée ici p. 309-315.
177 Almann, Vita s. Helenae, § 13, p. 584.
178 Orose, Aduersum paganos, VII, 26, § 1. Je mets la différence entre MLXI (Orose) et millesimo sexagesimo nono (Almann) sur le compte d’un problème de lecture entre uno et nono. Alman pourrait aussi avoir combiné les informations d’Orose avec l’esprit de Grégoire de Tours : « Constantin obtint le 34e l’empire des Romains ; il régna pour le mieux trente ans. […] C’est à son époque que le bois vénérable de la croix du Seigneur fut retrouvé par le zèle de sa mère Hélène : le juif Judas la livra, qui reçut après son baptême le nom de Cyriaque », DLH I, 36, p. 26.
179 Aucun outil de type chronologie n’est recensé dans le catalogue de la bibliothèque de Saint-Amand du xiie siècle (éd. L. Delisle, Le cabinet des manuscrits de la bibliothèque impériale, vol. 2, Paris, 1868, p. 448-455), mais le même catalogue mentionne Hucbald comme le propriétaire d’un Bréviaire d’Eutrope (n° 33, p. 449-450, avec en préface une lettre inconnue d’Hincmar « sur les histoires de l’Église »), d’une Chronique de Jérôme (n° 58, p. 450) et d’une Chronique d’Isidore jumelée à un Orose (n° 59, p. 450, Paris, BnF, latin 1863).
180 Hucbald de Saint-Amand, Passio ss. Cyrici et Iulittae (BHL 1809), PL 132, col. 851-858.
181 Après le martyre de Cyr et Julitte, Hucbald donne comme date « le 16 des calendes de juillet, à l’époque de l’empereur Alexandre qui commença [à régner] l’an du Seigneur 224 et gouverna 13 ans », Hucbald de Saint-Amand, Passio ss. Cyrici et Iulittae (BHL 1809), col. 858A.
182 Hucbald de Saint-Amand, Passio ss. Cyrici et Iulittae (BHL 1809), col. 852B-C.
183 « 3952. La quarante-deuxième année du César Auguste… c’est-à-dire cette année où, puisque les soulèvements de toutes les nations avaient été réprimés par toute la surface de la terre, César imposa – et Dieu disposa – une paix parfaitement inébranlable et véritable, Jésus Christ, fils de Dieu, sanctifia par sa venue le sixième âge du monde », Bède, De temporum ratione, cap. 66. L’expression « ce sixième âge qui se déroule actuellement » vient d’Augustin, mais elle est passée principalement chez Isidore et chez Bède (passim).
184 Die Ahnentafel von 807, [26], éd. A. Borst cit. supra note 63, p. 990.
185 Die Ahnentafel von 807, [1-20], éd. A. Borst, p. 992-995. Hucbald (supra) a donné une fois « vers 226 », une fois « 224 ».
186 « ... Omettant les noms de nos rois, qu’on sache que l’année de publication de cet écrit est la 907e qui passe depuis la naissance du Christ souverain, le cours de la dixième indiction étant achevé », Hucbald de Saint-Amand, Vita s. Rictrudis (BHL 7247), éd. prologue W. Levison, MGH, SRM VI, Hannover/Leipzig, 1913, p. 94.
187 Acta ss. Savini et Cypriani (BHL 7447), éd. J. Pien, AASS, Iul. III, Anvers, 1723, p. 193-198 [ca. xe-xie s.]. Savin et Cyprien sont les deux martyrs vénérés à Saint-Savin sur Gartempe. Pseudépigraphe, la Passion est présentée comme l’œuvre des prêtres Asclepius et Valerius, témoins oculaires du martyre.
188 Acta ss. Savini et Cypriani (BHL 7447), § 2, col. 193C. La Passion cherche à donner une histoire cohérente avec ce qu’a dit de Savin et de Cyprien la Translation antérieure (BHL 7450), attribuée à tort à Aimoin de Saint-Germain-des-Prés, éd. PL 126, col. 1051-1056. Voir Kl. Krönert, « L’activité hagiographique à Paris à l’époque carolingienne », Hagiographies viii, 2020 aux p. 550-554.
189 E. D’Angelo, « Agiografica latina del Mezzogiorno continentale d’Italia », Hagiographies iv, 2006, p. 41-134, ici p. 69-70.
190 L’auteur se désigne dans le prologue, Passio s. Arethae (BHL 671), § 2, éd. E. Carpentier, AASS, Oct. X, Bruxelles, 1861, p. 761. La date est § 3, p. 761.
191 Vita et translatio s. Athanasii Neapolitani episcopi (BHL 735e e 737) sec. IX, éd. A. Vuolo, Roma, 2001, p. 113-145 pour la Vie (BHL 735e), p. 146-165 pour la Translation.
192 Vita s. Athanasii (BHL 735e), § 2-1, p. 119.
193 Vita s. Athanasii (BHL 735e), § 3-1, p. 122.
194 « Le serviteur du Seigneur Athanase se trouvait dans l’entourage de l’empereur quand il célébra la fête des apôtres [Pierre et Paul] le 3 des calendes de juillet… Il expira aux ides de juillet, 5e indiction, sous le règne de l’empereur Basile [ii] », Vita s. Athanasii (BHL 735e), § 9, 23-25, p. 141-142. Athanase était avec Louis ii à Veroli (Latium) après que l’empereur, libéré de sa captivité à Bénévent (août-septembre 871), a rencontré le pape Hadrien ii (867-872) à Rome, où Athanase devait obtenir la levée de l’interdit sur sa province.
195 18 ans avant l’épiscopat, 22 ans d’épiscopat, 21 mois d’exil par la faute de son neveu le duc Serge ii (870-878), Vita s. Athanasii (BHL 735e), § 9, 26-27, p. 142.
196 La faveur de deux premiers explique, dit Guarimpotus, l’élévation d’Athanase à l’épiscopat. Vita s. Athanasii (BHL 735e), § 2, 11-12, p. 120.
197 Passio s. Potiti (BHL 6908), éd. J. Bolland, AASS, Ian. I, Anvers, 1643, p. 754-758 [av. ca. 750].
198 Passio IIa s. Potiti (BHL 6911), § 1, p. 758.
199 Ed. D’Angelo, L’opera agiografica, Firenze, 2002, p. cl-clii. En lisant le même volume, j’ajouterais Bède, dont le Liber de ratione sert à trois endroits de la Passio s. Margaritae (BHL 5308). Le Liber est certainement connu, mais réécrit alors que Jérôme est cité.
200 Pierre Sousdiacre, Passio ss. Abbacyri et Iohannis (BHL 2078), II, 5, éd. Ed. D’Angelo, p. 19-41, aux p. 21-22.
201 Pierre Sousdiacre, Passio ss. Abbacyri et Iohannis (BHL 2078), II, 7, p. 22.
202 Outre les exemples de Cyr (supra) et de Marguerite (infra) : en tête de la Passion de Julienne, Passio s. Julianes (BHL 4526), II, 1-2, éd. Ed. D’Angelo, p. 99-116, ici p. 100, débuts du règne de Dioclétien d’après la Chronique de Jérôme, p. 225-226, avec mention du martyre de la Légion thébaine et du nom du pape Eusèbe ; en tête de la Passio s. Restitutae, 1-5, Ibid., p. 186-199, aux p. 186-187, mort de Carus, puis de ses deux fils (Carin au combat et Numérien assassiné par Aper), qui laissent l’empire à Dioclétien (Chronique, p. 224-225), ajout du nom du pape martyr Gaius ; en tête de la Passio s. Christophori (BHL 1778d), II, 1-4, Ibid., p. 201-207, aux p. 201-202, succession de Philippe à Dèce (Chronique p. 218), mention du pape martyr Sixte avec le diacre Laurent. Sans que la Chronique soit explicitement citée, la Passio s. Caterinae (BHL 1659-1661b), Ibid., p. 122-146, commence II, 1-2, p. 122 par « Sous le règne du César Maxence » puis mentionne le pape Sylvestre.
203 Pierre Sousdiacre de Naples, Passio s. Margaritae (BHL 5308), II, 1-8, éd. Ed. D’Angelo, L’opera agiografica, Firenze, 2002, p. 243-262, aux p. 244-245 ; l’identification des sources a été faite par l’éditeur.
204 Ed. D’Angelo relève p. cxxxii-cxxxiii chez Pierre Soudiacre la recherche de simplification des outrances ou des inventions : Pierre cherche « à augmenter le réalisme ». Le travail sur les dates contribue à augmenter la réalité des faits.
205 DLH I, 30, p. 23.
206 L’hagiographe parisien de la première moitié du vie siècle, auteur de la première Vie de Geneviève, sait que Denis a été envoyé évangéliser Paris par le pape Clément, contemporain de Pierre : Vita Ia Genovefae (BHL 3335), § 17, Vie de sainte Geneviève, éd. et trad. M.-C. Isaïa et Fl. Bret, Paris, 2020 (SC 610), p. 162-229, à la p. 184.
207 Comparer Vita vel Passio s. Austremonii (BHL 845), § 2, p. 55 : Cumque per id tempus Nero impiissimus terra marique imperii sui frena laxasset et in Christi famulos dira ejus rabies nimia accerbitate debaccharet… et Passio s. Dionysii (BHL 2178), § 2, p. 42 [av. 830] : ... cum impiissimus Nero terra marique imperii sui iura laxasset et furor crudelitatis eius dira rabie in Christi famulos ebullisset…
208 Vita vel Passio s. Austremonii (BHL 845), § 1-2, col. 55.
209 Paschase Radbert, Passio ss. Rufini et Valerii (BHL 7374), PL 120, col. 1489-1506.
210 Passio ss. Fusciani et Victorici (BHL 3226), éd. J. Ghesquière, AASS Belgii selecta I, Bruxelles, 1783, p. 166-169. Le texte est daté d’après le légendier de Corbie (Paris, BnF, latin 12598, fol. 32v-37v, vers 800 ?). Les saints sont énumérés § 1, p. 166, soit Fuscien et Victoric, Piat, Ruffin, Crépin, Crépinien, Valère, Lucien, Marcel, Quentin et Rieul. Il manque Gentien pour atteindre douze. L’énumération est répétée dans une Passion de Quentin (BHL 7009) du ixe siècle, Passio IIIa s. Quintini, éd. B. Bossue, AASS, Oct. XIII, Paris, 1883, p. 794-801.
211 Paschase Radbert, Passio ss. Rufini et Valerii (BHL 7374), col. 1494B-C. Quand Paschase date la mort de Denis « la deuxième année de Domitien », il en dit plus que la Passion (BHL 2178) qui situe seulement le martyre sous Domitien (§ 18, éd. Lapidge, p. 702) et autre chose que la Passion (BHL 2175) d’Hilduin (§ 36, éd. Lapidge, p. 300). Il est difficile d’en dire plus en l’absence d’une édition critique de la Passion de Rufin et Valère.
212 Acta martyrii Ruffini [sic] et Valerii (BHL 7373), éd. G. Henskens, AASS, Iun. II, Anvers, 1698, p. 796-797.
213 Passio s. Quintini (BHL 6999-7000), § 1, éd. B. Bossue, AASS, Oct. XIII, Paris, 1883, p. 781-787, à la p. 781 [av. 800].
214 Passio s. Crispinus et Crispinianus (BHL 1990), éd. B. Bossue, AASS, Oct. XI, Bruxelles, 1864, p. 535-537.
215 Passio s. Luciani (BHL 5008), éd. H. Moretus Plantin, Les passions de saint Lucien et leurs dérivés céphalophoriques, Paris/Louvain, 1953, p. 66-73 [viiie s.].
216 Passio s. Luciani (BHL 5010), éd. Moretus Plantin, Les passions de saint Lucien, p. 74-82 [ixe s.].
217 Il lui emprunte le nom de Fescennius Sisinnius, qui est le persécuteur de Denis, donc de Lucien.
218 [le pape Clément] « choisit son compagnon Lucien qui était le plus solide en sainteté, et l’ordonna évêque, parce qu’il avait été pleinement instruit dans la foi par l’enseignement de l’apôtre Pierre… Et pour cette raison qu’il avait été le plus ancien disciple et du Christ et de Pierre, il l’associa à saint Denis comme son traducteur, et pour tous les autres comme leur vénérable père et maître illustre... », Passio IIIa s. Luciani (BHL 5009), p. 87.
219 Passio IIIa s. Luciani (BHL 5009), p. 85.
220 Au milieu de nombreux autres exemples, le même type de déduction conduit un hagiographe anonyme du xe siècle à faire du saint prêtre Vivant un contemporain de Dioclétien, Vita et translatio s. Viventii (BHL 8725-8726), § 1, éd. J. Bolland, AASS, Ian. I, Anvers, 1643, p. 804-813, à la p. 804, ce que sa première Vie (BHL 8724) n’avait pas suggéré. L’hagiographe peut tirer argument du baptême de Vivant par le martyre Georges de Cappadoce.
221 Létald de Micy, Vita s. Iuliani Cenomanensis (BHL 4544), supra chapitre II, p. 110.
222 Gebehard évêque d’Augsbourg, Vita s. Udalrici (BHL 8361) inachevée, éd. M. Welser, De Vita s. Udalrici Augustanorum Vindelicorum episcopi quae exstat, Augsburg, 1595, p. 177-188.
223 Gerhard, Vita s. Udalrici (BHL 8359), éd. G. Waitz, MGH, SS 4, Hannover, 1841, p. 384-425.
224 Gebehard d’Augsbourg, Vita s. Udalrici, prologue p. 177. Berschin, Biographie IV-1, p. 148-151.
225 D’où l’utilisation d’Horace à rebours de son sens premier en conclusion du prologue : Sed illud merito dignitate praestabit quod iam Libitina sacrauit, Ibid. p. 178.
226 Thangmar pour Bernward, Wolfhere pour Godehard (infra) ; c’est aussi le cas de l’hagiographe de Toul qui écrit la Vie de Brunon-Léon ix dès 1049. Après avoir rappelé dans son prologue qu’il a connu personnellement le saint : « Je vais à peine toucher deux mots des informations [des témoins fiables] et passer même sous silence des faits que je connais pour ne pas dépasser la juste mesure, être accusé de louanges flatteuses ou, dans la mesure où il est encore vivant, contredire le proverbe de Salomon : “Tu ne feras pas l’éloge d’un homme durant sa vie” », Vita s. Leonis IX papae (BHL 4818), éd. H.-G. Krause et al., Die Touler Vita Leos IX, MGH, SRGerm 70, 2007, p. 80-243, p. 84. La note 14 p. 85 identifie l’origine Vieille Latine de la citation Ne laudes hominem in vita sua qui pourrait donc venir d’Ambroise, Expl. in Ps. 37, cap. 5. Je crois plutôt que l’hagiographe l’a apprise en lisant Hilaire d’Arles, qui a une longue réflexion sur le sujet au cap. 3 de sa Vie de saint Honorat (BHL 3975), éd. et trad. M.-D. Valentin, Paris, 1977 (SC 235), p. 72 : « L’Écriture dit quelque part : “La sagesse est chantée au moment du départ”, ce qui est une façon de dire qu’on loue l’existence du sage quand elle prend fin. De là cet autre passage : “Tu ne feras pas l’éloge d’un homme durant sa vie” et encore “On ne loue pas quelqu’un avant sa mort”, ce qui revient à dire “La louange est post mortem”. La louange adressée aux vivants en effet offre à celui qui est loué une occasion de vanité sans fondement et justifie au plus haut point qu’on accuse celui qui loue d’être un flatteur. »
227 La proximité personnelle est soulignée par Thangmar, surtout dans le prologue et le premier chapitre de sa Vita Bernwardi episcopi Hildesheimensis (BHL 1253-1254), éd. G. H. Pertz, MGH, SS 4, Hannover, 1841, p. 757-782 ; idem pour Wolfhere dont on a déjà mentionné au chapitre 2, p. 117-118 l’autobiographie en élève naviguant entre Hersfeld et Nideraltaich. Elle tient davantage de la confession autobiographique dans la Passion des cinq frères de Brun de Querfurt, Vita fratrum martyrum in Polonia (BHL 1147), éd. E. Kade, MGH, SS 15-2, Hannover, 1888, p. 716-738. Le récit à la première personne avec pathos dans le prologue à la Vie de Burchard relève d’une mode favorable à l’autobiographie (Ebbon (?), Vita Burchardi episcopi Wormatiensis (BHL 1486), éd. G. Waitz, MGH, SS 4, Hannover, 1841, p. 830-846, aux p. 830-831) : les craintes exprimées (se faire « déchirer par les critiques », « tant sont vicieux les hommes d’aujourd’hui ! ») sont rebattues, leur expression en discours direct rapporté l’est moins.
228 Tableau récapitulatif en Berschin, Biographie, IV-1, p. 60-61.
229 Selon les critères de Berschin, Biographies IV, p. 60-61, conformes à l’esprit des éditeurs des MGH, qui ont placé les premiers de ces textes sous la catégorie « Historiae » dans le volume 4 des Scriptores, après les Annales minores et des Chroniques. Même réaction de M. Manitius, Geschichte der lateinischen Literatur des Mittelalters, vol. 2, München, 1923 pour les dossiers de Brunon, Wencelsas, Mathilde, Ulrich, Adalpert, Burchard, Godehard, Héribert et Léon ix, rangés dans la catégorie « Geschichtschreibung » et non « Hagiographie (prosa) », où figure Adelheid (p. 469), sans doute à cause des miracles. J’ai retiré de la liste les textes qui sont biographiques mais pas hagiographiques (Wipo, Gesta Chuonradi, etc.) ; « d. n. » dans la colonne date signifie « pas de date en dehors de celle du dies natalis ». Ces Vies sont présentées pour partie dans F. Lotter et S. Gäbe, « Die hagiographische Literatur im deutschen Sprachraum unter den Ottonen und Saliern (ca. 960-1130) », Hagiographies iv, 2006, p. 273-520, pour partie dans G. Philippart et A. Wagner, « Hagiographie lorraine (950-1130). Les diocèses de Metz, Toul et Verdun », Ibid. p. 585-743.
230 Sur Sigebert de Gembloux, hagiographe et historien, T. Licht, Untersuchungen zum biographischen Werk Sibeberts von Gembloux, Heidelberg, 2005 ; en particulier p. 30-48 pour la Vita Deoderici.
231 Vita Iohannis ab. Gorziensis (BHL 4396), cap. 43, éd. Jacobsen, p. 250 et 252.
232 La Vie de Jean, abbé de Gorze, trad. M. Parisse, Paris, 1999, p. 78-79, d’après le cartulaire du xiie siècle édité par A. d’Herbomez, Cartulaire de l’abbaye de Gorze, ms. 826 de la Bibliothèque de Metz, Paris, 1898.
233 Charte d’Ulrich d’Augsbourg, dans Gerhard, Vita s. Udalrici (BHL 8359), cap. 28, p. 418.
234 Ruotger place le testament de Brunon de Cologne en annexe de sa Vie (BHL 1468, éd. I. Ott, cap. 49, p. 51-55) ; il suit un ordre strictement chronologique. Il ne donne pas d’autre date que celle du couronnement d’Otton ier.
235 Thangmar, Vita Bernwardi episcopi Hildesheimensis (BHL 1253-1254), éd. G. H. Pertz, MGH, SS 4, Hannover, 1841, p. 757-782 ; Berschin, Biographie, IV-1, p. 187-193 parle d’une « biographie qui suit occasionnellement la structure d’Annales ». L’histoire du texte a été retracée par M. Stumpf, « Zum Quellenwert von Thangmars Vita Bernwardi », Deutsches Archiv für Erforschung des Mittelalters 53 (1997), p. 461-496 : l’attribution à Thangmar du noyau initial, rédigé d’après des notes prises du vivant du saint, est indiscutable ; la Vie a cependant été augmentée par Thangmar lui-même après la mort de Bernward, notamment du prologue ; puis par un anonyme du xiie siècle en vue du procès de canonisation. Présentation dans F. Lotter, Hagiographies iv, 2006, p. 323-329 ; voir aussi S. Haarländer, Vitae episcoporum, Stuttgart, 2000, p. 84-87 pour l’auteur.
236 Wolfhere d’Hildesheim, Vita prior Godehardi episcopi (BHL 3581), éd. G. H. Pertz, MGH, SS 11, Hannover, 1854, p. 167-196 ; Berschin, Biographie, IV-1, p. 198-199 ; Coué, Hagiographie im Kontext, p. 223-227. Kl. Krönert, « Le dossier hagiographique de saint Godehard évêque d’Hildesheim au xie siècle », AB 135 (2017), p. 359-401. La Vita prior n’est pas à mon sens un « brouillon » de la deuxième, expression que Kl. Krönert discute avec une judicieuse prudence. Le caractère hétérogène et documentaire de la Vie ne la discrédite pas ipso facto comme œuvre achevée, comme l’exemple de la Vie contemporaine rédigée par Thangmar le prouve. La préface n’est pas non plus aux dimensions de ce qu’on attend d’un essai confidentiel. Il est évident en revanche que cette Vie n’a pas reçu un accueil favorable.
237 Wolfhere d’Hildesheim, Vita posterior (BHL 3582), Ibid., p. 196-218.
238 Annales Hildesheimenses, éd. G. Waitz, MGH, SRGerm 8, Hannover, 1878 (de la création du monde à 1137).
239 Die Annales Quedlinburgenses, éd. M. Giese, MGH, SRGerm 72, Hannover, 2004, p. 143 : intégration des Annales Hildesheimenses maiores jusqu’à l’année 1002.
240 Die Annales Quedlinburgenses, p. 144.
241 Annales Hildesheimenses, introduction p. vii.
242 Wolfhere, Vita prior, cap. 25, p. 186.
243 Thangmar, Vita Bernwardi, p. 757.
244 Wolfhere, Vita prior : à partir du chapitre 37 commence une partie thématique du type topographie chrétienne et vie canoniale.
245 Un ex. parmi d’autres de ces sortes de fiches : « Le vénérable Erkambald, abbé de Fulda, lui [à Willigis] succéda ; consacré par le seigneur Bernward aux calendes d’avril, il renonça tout à fait à la vacuité du désaccord précédent et dirigea cette Église neuf années durant avec la plus grande attention aux choses divines comme humaines. Parvenu à l’accomplissement de la maturité tant en âge qu’en valeur, il mourut le 15 des calendes de septembre, pour triompher éternellement avec le Christ », Wolfhere, Vita prior, cap. 24, p. 185.
246 Vita prior, cap. 18, p. 180. Le dossier est refermé en fin de chapitre 25 « maintenant qu’une version brève et véridique des histoires » à propos de Gandersheim a été donnée à suffisance aux lecteurs curieux Wolfhere, Vita prior cap. 25, p. 186.
247 Wolfhere, Vita prior, cap. 22, p. 183.
248 Par ex. en Vita prior, cap. 27, p. 187 : témoignage de Godehard devant le concile après la mention de sa convocation au 17 des calendes de novembre.
249 Wolfhere, Vita prior, cap. 24, p. 185.
250 Wolfhere, Vita posterior, cap. 2, p. 198 : Nideraltaich fondée au début du principat de Pépin iii a connu cent ans de prospérité jusqu’aux dissensions du règne de Louis le Pieux. Les « chroniques » en question selon l’éditeur seraient les Annales de Hersfeld.
251 Vita prior cap. 15, p. 178.
252 Vita prior cap. 17, p. 179-180.
253 Lampert de Deutz (Lampert de Liège), Vita s. Heriberti Coloniensis (BHL 3827), éd. B. Vogel, MGH, SRGerm 73, Hannover, 2001, p. 135-201 [1046-1056].
254 Hagiographies iv, 2006, p. 359-366, citation p. 360.
255 Invasion hongroise de Worms « comme on le lit dans les chroniques », Lampert de Deutz, Vita s. Heriberti, lectio 1, p. 139. L’éditeur note prudemment « sans que l’on puisse renvoyer à une source connue pour cette événement », Einleitung, p. 14. Ce peut être un trompe-l’œil de l’hagiographe qui s’amuse.
256 Lampert de Deutz, Vita s. Heriberti, lectio 4, p. 147-148.
257 Lampert de Deutz, Vita s. Heriberti, lectio 4, p. 148 et note 71.
258 À l’exception d’un billet parodique de trois lignes qu’Otton envoie à son ami, lectio V, p. 152.
259 M. Sot, Gesta episcoporum, Gesta abbatum, Turnhout, 1981, 2e éd. complétée 1985 (TSMAO 37) ; depuis, voir R. Kaiser, « Die Gesta episcoporum als Genus der Geschichtsschreibung », Historiographie im frühen Mittelalter, éd. A. Scharer, G. Schreibelreiter, Wien, 1994, p. 459-480. Le constat serait différent pour les Gesta abbatum ; ceux de Redon par ex. (ca. 870) sont la source de la Vie de Conuuoion (BHL 1946, xie s.), voir The Monks of Redon, éd. et trans. C. Brett, Woodridge, 1989.
260 M. Sot, « Rhétorique et technique dans les préfaces des gesta episcoporum (ixe-xiie s.) », Cahiers de civilisation médiévale 110-111 (1985), p. 181-200, surtout p. 186-190.
261 Supra p. 142-143 à propos de BHL 7116. Datation dans J. R. Webb, « The Decrees of the Fathers and the Wisdom of the Ancients in Heriger of Lobbes’ Vita Remacli », Revue bénédictine 120 (2010), p. 31-58. A. Dierkens, « La production hagiographique à Lobbes au xe siècle », Revue bénédictine 93 (1983), p. 245-259 s’intéresse à la tradition antérieure (dossiers d’Ursmer, Ermin, Landelin) avec un tableau p. 257 des textes qui irriguent les Gesta. Le prologue de la deuxième Vie de Remacle est repris à l’identique pour les Gesta pontificum Tungrensium et Leodensium, éd. R. Koepke, MGH, SS 7, Hannover, 1846, p. 164-189 ; l’attribution à Hériger ou à Notker de Liège ne revêt pas une importance décisive pour notre propos ; sur ce problème, R. G. Babcock, « Heriger or Notger ? The authorship of the Gesta episcoporum Leodiensium, the Vita Remacli and the Vita Landoaldi », Latomus 68 (2009), p. 1027-1049. Le contexte de création à Lobbes et Liège est l’objet de N. Mazeure, « Le Codex Stabulensis et la recréation du passé à Stavelot-Malmédy », Revue d’Histoire ecclésiastique 107 (2012), p. 863-896.
262 Adam de Brême, Gesta Hammaburgensis ecclesiae pontificum, éd. B. Schmeidler, MGH, SRGerm 2, Hannover/Leipzig, 1917, p. 1-283.
263 Par exemple sur la divinisation des héros dans le paganisme wotanique : « Ils rendent aussi un culte à des hommes dont ils font des dieux immortels en raison de leurs exploits : c’est ce qu’on lit qu’ils firent pour le roi Henri dans la Vie de saint Ansgar », Adam de Brême, Gesta, IV, 26, p. 258. Voir aussi à propos d’Helgoland, « Nous avons appris dans la Vie de saint Willibrord que cette île s’appelle Fosetisland », Gesta, IV, 3, p. 232 ; à propos de l’évêque Rimbert, « c’est au chapitre 16 du livre de sa Vie que nous avons emprunté les éléments qui vont suivre », Gesta, I, 35, p. 38.
264 Adam de Brême, Gesta, I, 27, p. 33.
265 Adam résume les étapes majeures de la vie de Willehad selon dates et durées : durée de sa prédication (« deux ans, trois mois, 26 jours ») « trente-cinq ans » après le martyre de Boniface, lieu de mort, lieu d’inhumation, dates de commémoration de mort et de consécration, puis renvoie à la Vie pour le reste : « Il existe un grand livre sur sa vie et ses actes qu’Ansgar, son quatrième successeur, a mis par écrit avec sincérité. Nous y renvoyons le lecteur désireux de savoir, puisque nous allons quant à nous vers d’autres sujets. » Adam de Brême, Gesta, I, 12, p. 17. Il écrit aussi à propos d’un miracle de Rimbert : « Voir sa Vie, chapitre 20 », Gesta, I, 40, p. 44, ou renvoie à la Vie d’Ansgar pour d’autres miracles, Gesta, I, 29, p. 35, etc.
266 « Le récit de ces actions est détaillé dans la Vie de saint Ansgar : nous l’interrompons par souci de brièveté », Gesta, I, 26, p. 32.
267 Gesta, I, 34, p. 32.
268 À propos de l’évêque Adalgar (m. 909) successeur de Rimbert : « L’archiépiscopat d’Adalgar dura 20 ans. Nous avons appris le nombre de ses années dans le calendrier cité plus haut, sa vie dans le chapitre 12 du livre [Vita] de saint Rimbert », Gesta, I, 45, p. 46.
269 Gesta, I, 17, p. 24.
270 Gesta, I, 24, p. 30. Adam appelle Louis le Pieux « Louis ii » puisqu’il est le deuxième du nom après Clovis ier.
271 Vita IIa s. Lauriani (BHL 4796), préface, éd. J.-B. du Sollier, AASS, Iul. II, Anvers, 1721, p. 35-38, à la col. 35F ; M. Coens, « La plus ancienne Passion de saint Laurian martyr céphalophore en Berry », AB 82 (1964), p. 57-86.
272 Dans une Vie hybride, puisque composée pour les trois-quarts des miracles post mortem d’Ida (m. ca. 825) et après la translation de ses reliques en 980, la seule date est celle de la translation ; c’est le cas le plus courant. La date sert de conclusion magnifiée combinée avec la doxologie : « Ces événements se déroulèrent la 980e année de l’Incarnation du Seigneur, au 6 des calendes de décembre, quatrième jour, huitième indiction, sous l’empire du très victorieux César Otton, la vingtième année depuis qu’il avait commencé à régner avec son père l’empereur en titre de divine mémoire, la huitième depuis qu’il avait reçu d’exercer seul la monarchie impériale, sous le règne éternel de notre Seigneur Jésus Christ dont le gouvernement s’exerce au-dessus de tout et dont l’autorité et l’empire tiennent les rênes du monde entier au gré de son seul jugement, lui que toutes les créatures célèbrent, louent et adorent dans les siècles des siècles. Amen. » Uffing moine de Werden, Vita Idae (BHL 4143), cap. 32, éd. C. Suyskens, AASS, Sept. II, Anvers, 1748, p. 260-269, col. 269B.
273 Aimoin de Saint-Germain-des-Prés, De miraculis sancti Germani Libri duo, PL 126, col. 1009-1056, date col. 1029.
274 Voir, au milieu d’exemples très nombreux, la datation qui inaugure l’Historia relationis du moine Rotgar de Saint-Remi, cap. 1 p. 464 : « L’an 882 de la très bienheureuse Incarnation de notre Seigneur Jésus Christ fils du Dieu tout-puissant, la première que le roi orthodoxe Carloman tenait le sceptre du royaume des Francs, la 38e de l’épiscopat de l’archevêque Hincmar, voici que, conformément à ce qu’exigeait l’énormité des crimes du peuple franc, etc. », M.-C. Isaïa, « Retour à Reims. L’Historia relationis de Rotgar de Saint-Remi. Édition critique et commentaire », Parva pro magnis munera, éd. M. Goullet, Turnhout, 2009, p. 453-494, aux p. 461-494.
275 Vita Theoderici Andaginensis (BHL 8050), cap. 26, éd. W. Wattenbach, MGH, SS 12, 1856, p. 37-57, ici p. 52.
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