5. Conclusion et perspectives
p. 95-99
Texte intégral
1Le paludisme est la maladie parasitaire la plus répandue dans le monde. Dans les années 1940 à 1960, le traitement des habitations à l’aide d’insecticides rémanents – à l’époque le DDT – et l’assèchement des marais représentaient les deux principaux moyens de réduire la transmission de cette maladie.
2Les espèces A. gambiae et A. funestus, naturellement endophiles et anthropophiles, ont des comportements qui se prêtent bien à un contrôle des adultes. Pendant près de trente ans sur les hauts plateaux malgaches, le traitement des maisons à l’aide du DDT avait presque réussi à éliminer les populations de A. funestus. L’arrêt des campagnes de lutte dans les années 1970 entraîna de nouveau leur prolifération, qui se traduisit par des vagues de paludisme de type épidémique (Blanchy et al., 1993). La lutte contre les moustiques, conçue dans un premier temps dans le traitement des habitations, a peu à peu été repensée en termes de protection individuelle et familiale. En 1911, Ronald Ross préconisait l’usage des moustiquaires comme méthode de prévention contre le paludisme. Or une moustiquaire non traitée ne confère pas une protection totale, puisque 15 % à 25 % des anophèles sont retrouvés gorgés à l’intérieur des maisons (Darriet et al., 2000). Durant son sommeil, le dormeur peut avoir en effet une partie du corps en contact avec les parois de la moustiquaire, permettant ainsi aux moustiques de piquer à travers le tulle. Pour renforcer la barrière physique de la moustiquaire par un écran chimique létal pour les insectes, il fut recommandé de traiter les tissus avec un insecticide rémanent. C’est durant la Seconde Guerre mondiale que les forces armées soviétiques, américaines et allemandes ont commencé à imprégner différents matériaux avec du DDT. Après la guerre, force fut de constater que les moustiquaires imprégnées étaient tombées dans l’oubli et ce jusque dans les années 1980, date à laquelle furent évalués en santé publique les premiers pyréthrinoïdes de synthèse. Cette famille de composés peu toxiques sur les mammifères se caractérise par des propriétés insecticides remarquables. Efficace à des doses de traitement beaucoup plus faibles que la plupart des autres insecticides, il fut proposé d’imprégner des moustiquaires de lit avec le pyréthrinoïde le plus utilisé à l’époque : la perméthrine (Darriet et al., 1984). Les résultats de l’étude ont montré que des moustiquaires traitées à 80 mg de perméthrine/m2 réduisaient de 70 % le taux d’entrée des anophèles dans les habitations. De surcroît, l’exophilie induite par l’insecticide s’élevait à 97 %, alors que celle-ci ne dépassait pas 30 % avec les moustiquaires non traitées. Pour la première fois, une évaluation sur le terrain mettait en évidence les propriétés excito-répulsives des pyréthrinoïdes, effets maintenant bien connus dans la limitation du contact homme/vecteur. C’est d’ailleurs à partir de cette étude pionnière de phase II que se sont succédé ces vingt dernières années de nombreuses actions de recherche en phase III. La distribution de moustiquaires imprégnées de perméthrine dans plusieurs villages de Gambie a entraîné une réduction de 90 % des taux de gorgement de A. gambiae, ce qui aurait, sur des enfants âgés de 1 à 9 ans, réduit les épisodes fébriles liés au paludisme de 63 % (Snow et al., 1988 b). Au Burkina-Faso, la mise en place de moustiquaires imprégnées de deltaméthrine dans des villages proches de Bobo-Dioulasso a entraîné des réductions de 80 % à 90 % de la transmission du paludisme (Carnevale et al., 1988 ; Robert et Carnevale, 1991). Dans une localité du Zaïre, des moustiquaires également imprégnées de deltaméthrine ont abaissé la densité de A. gambiae de 94 % (Karch et al., 1993). Nous ne citerons que ces trois exemples, mais il faut savoir que les évaluations de moustiquaires imprégnées en Afrique ont été nombreuses et qu’à l’échelle de ce continent, le recours systématique à ce mode de protection pour les enfants de moins de cinq ans éviterait des centaines de milliers de décès par an. L’exemple le plus spectaculaire reste néanmoins l’impact des moustiquaires imprégnées en Chine. Dans le district de Buji, leur utilisation a entraîné une réduction de 93 % des densités de A. sinensis et de A. anthropophagous. À la troisième année de l’étude, l’incidence palustre avait diminué de 98 % et aujourd’hui encore, des dizaines de millions de Chinois dorment sous des moustiquaires imprégnées d’insecticides (Li et al., 1989).
3Encouragée par ces résultats, l’Organisation mondiale de la santé a conseillé en 1992 d’intensifier davantage les activités susceptibles de maîtriser cette maladie. Parmi les mesures proposées figurait la lutte antivectorielle et en particulier l’usage des moustiquaires imprégnées de pyréthrinoïdes. Depuis la première évaluation de moustiquaires imprégnées à la station expérimentale de Soumousso (Burkina Faso), nombre d’études en laboratoire et sur le terrain ont été réalisées un peu partout dans le monde. Il n’est pas exagéré de dire que les moustiquaires imprégnées ont généré un fort courant de recherche dans beaucoup de domaines de la santé publique. Un moteur de recherche dynamique qui a su aborder avec objectivité les aspects techniques liés à la moustiquaire elle-même et aux insecticides ainsi que les considérations ethnologiques, sociologiques et économiques qui décident de l’acceptabilité de la méthode de lutte. Ces domaines de compétences variés ont été renforcés dans les années 1990 par des généticiens et des spécialistes de la résistance des moustiques aux insecticides.
4C’est en effet l’utilisation massive des insecticides en agriculture qui a favorisé la sélection de gènes de résistance chez plusieurs moustiques d’intérêt médical. Les insecticides concernés sont les organochlorés et les pyréthrinoïdes, dont la résistance croisée est assurée par le gène Kdr, mais aussi les carbamates et les organophosphorés, dont le mécanisme dépend de la mutation Ace.1R.
5L’utilisation de doses croissantes de pesticides se traduit par une pollution de l’environnement qui affecte les nappes phréatiques et les eaux de surface. L’accumulation de produits toxiques dans les nappes phréatiques contamine l’eau des puits consommée par les hommes et les animaux domestiques. La présence d’insecticides dans les eaux de surface entraîne, en plus de leur contamination, une pression de sélection sur les larves de moustiques, surtout sur celles de A. gambiae qui pullulent dans les flaques, les mares et les rizières. À la longue, ces sélections naturelles augmentent la prévalence du gène Kdr au sein des populations anophéliennes, et ce jusqu’à les rendre presque homozygotes résistantes, comme ce fut le cas à Yaokoffikro dans le centre de la Côte d’Ivoire, où cette mutation avait atteint le taux de 95 %.
6Les évaluations de moustiquaires imprégnées de deltaméthrine dans des zones où A. gambiae est sensible et résistant aux pyréthrinoïdes ont induit, contre toute attente, des efficacités comparables, révélant ainsi le maintien de leur efficacité au niveau individuel (Darriet et al., 1998, 2000) et communautaire (Henry et al., 2005). Cette information est capitale pour les pays d’Afrique qui ont investi et investissent toujours dans la promotion des moustiquaires imprégnées. Les efforts déployés par les institutions publiques et privées doivent être soutenus par des actions de recherche visant à améliorer toujours plus l’efficacité de cet outil de lutte. C’est d’ailleurs dans cet esprit d’initiative que les premiers mélanges insecticides ont été testés en laboratoire et sur le terrain. Dans l’étude développée dans ce livre, l’étude d’un mélange constitué du pyréthrinoïde (bifenthrine) et de l’organophosphoré (chlorpyriphos-méthyl) a montré que l’association testée n’a pas induit d’action de synergie sur une souche de A. gambiae résistante aux pyréthrinoïdes, car les effets irritants des deux insecticides s’additionnent, ce qui écourte plus encore le temps de contact du moustique avec le support traité. Cette observation riche d’enseignements nous montre combien il est important de prendre en compte le comportement du moustique. Il est également inutile de multiplier à l’infini les associations d’insecticides. Le concept de la moustiquaire imprégnée doit rester simple, et surtout ne pas tomber dans la spirale de la complexité qui en définitive ne ferait que provoquer son rejet par les utilisateurs. Si les pyréthrinoïdes présentent encore une certaine toxicité sur les moustiques qui leur sont résistants, il devient néanmoins urgent de découvrir des insecticides qui agissent sur des cibles nouvelles. D’autant que la résistance de P. falciparum à un nombre croissant d’antipaludiques complique passablement les actions de lutte contre le parasite.
7Au niveau opérationnel, l’imprégnation d’une moustiquaire peut se faire de manière individuelle mais, le plus souvent, cette opération se fait de façon collective par trempage dans les villages et/ou dans des centres d’imprégnation. Pour conserver une efficacité optimale, une moustiquaire doit être imprégnée tous les six mois. Or en Afrique, où les villages ne sont pas d’un accès facile, le problème de la réimprégnation se pose presque toujours. De plus, le manque de financement ainsi que la disponibilité ou non de l’insecticide représentent un frein à l’essor des moustiquaires. C’est pour éliminer les problèmes liés aux insecticides et à l’acte même de l’imprégnation qu’est né le concept des moustiquaires préimprégnées. Ces moustiquaires dites de « longue durée » sont traitées à l’usine et possèdent une durée d’efficacité de trois ans au moins. Avec du matériel ainsi acquis prêt à l’emploi, sans se soucier des réimprégnations successives, toutes les conditions se trouvent enfin réunies pour que les moustiquaires prennent un nouvel élan. L’avènement des moustiquaires durablement imprégnées a ouvert des opportunités nouvelles au sein des programmes nationaux de lutte contre le paludisme, en profitant par exemple des campagnes de vaccination pour les vendre à des prix abordables ou pour tout simplement les donner. Toutefois, il ne faut pas oublier qu’en Afrique des millions de moustiquaires conventionnelles ne sont pas traitées ; aussi la mise en œuvre de stratégies pour faciliter les imprégnations sera-t-elle encore nécessaire pendant de nombreuses années.
8En Chine, il a été établi que le traitement d’une maison avec du DDT coûte 0,15 US$ par personne et par an, alors que l’imprégnation d’une moustiquaire avec de la deltaméthrine n’excéderait pas 0,065 US$. (Li et al., 1988). Pour mesurer la véritable action des deux méthodes de lutte sur les vecteurs du paludisme, il a été conduit dans douze villages de Tanzanie une évaluation comparative avec des moustiquaires imprégnées et des maisons traitées avec de la lambda-cyhalothrine. Les deux techniques de lutte ont été assurées gratuitement avec un taux de couverture des populations proche de 100 %. Il ressort de cette étude que quel que soit le critère évalué, la pose de moustiquaires imprégnées dans les habitations se révélait aussi efficace que le traitement complet des maisons (Curtis et al., 2000). La surface d’une moustiquaire étant de surcroît inférieure à celle d’une habitation, il en résulte des économies en insecticides qui se traduisent par un coût/efficacité très largement réduit.
9S’il est maintenant admis que les moustiquaires imprégnées d’insecticides représentent une méthode appropriée de lutte contre les moustiques, rares sont les pays en Afrique qui peuvent assumer une distribution de masse. Les centres de santé, qu’ils soient urbains ou ruraux, demeurent les institutions les mieux placées pour remplir cette fonction. Toutefois les moustiquaires imprégnées restent encore onéreuses (de 3 à 5 US$) et ne peuvent pas être achetées par les plus démunis. Le meilleur moyen d’accroître les taux de protection serait de mettre sur le marché des moustiquaires subventionnées. Et mieux encore de les distribuer gratuitement avec l’insecticide qui servira à leur imprégnation. Par ailleurs, les moustiquaires qui sont introduites en Afrique tiennent rarement compte des habitudes, des goûts, et des attentes des populations concernées. La mise au point des nouvelles générations de moustiquaires devra prendre en compte les habitudes et les pratiques de couchage, sachant que les représentations sociales afférentes à l’utilisation des moustiquaires varient d’un groupe socio-culturel à un autre. Les scientifiques ont travaillé pendant plus de vingt ans pour mettre au point cet outil de lutte remarquablement efficace contre les vecteurs du paludisme. Maintenant, il est du devoir des chercheurs d’expliquer le rôle majeur que tiennent les moustiquaires imprégnées dans la protection contre les piqûres de moustiques. C’est d’ailleurs très certainement au prix d’un dialogue soutenu et constructif entre les hommes que les moustiquaires imprégnées d’insecticides deviendront un jour le bien incontournable de beaucoup de familles en Afrique.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Tiques et maladies à tiques
Biologie, écologie évolutive, épidémiologie
Karen D. McCoy et Nathalie Boulanger (dir.)
2015
Initiation à la génétique des populations naturelles
Applications aux parasites et à leurs vecteurs
Thierry De Meeûs
2012
Audit des décès maternels dans les établissements de santé
Guide de mise en oeuvre
Alexandre Dumont, Mamadou Traoré et Jean-Richard Dortonne (dir.)
2014
Les anophèles
Biologie, transmission du Plasmodium et lutte antivectorielle
Pierre Carnevale et Vincent Robert (dir.)
2009
Les champignons ectomycorhiziens des arbres forestiers en Afrique de l’Ouest
Méthodes d’étude, diversité, écologie, utilisation en foresterie et comestibilité
Amadou Bâ, Robin Duponnois, Moussa Diabaté et al.
2011
Lutte contre la maladie du sommeil et soins de santé primaire
Claude Laveissière, André Garcia et Bocar Sané
2003