4. Pour une gestion de la résistance de Anopheles gambiae aux insecticides
p. 71-94
Texte intégral
1La recherche d’insecticides de remplacement qui présentent des performances au moins équivalentes aux pyréthrinoïdes devient une priorité. C’est d’ailleurs dans cette optique qu’ont été évalués en cases-pièges plusieurs composés appartenant aux familles chimiques des carbamates et des organophosphorés. En imprégnation de moustiquaires, ces insecticides se sont révélés efficaces pour réduire la densité des moustiques à l’intérieur des habitations (Kolaczinsky et al., 2000 ; Guillet et al., 2001). Cependant, ces produits agissent à des doses élevées. Ils sont également moins rémanents et plus toxiques pour l’homme. C’est pourquoi les recherches s’orientent désormais vers l’association, sur une même moustiquaire, d’un pyréthrinoïde et d’un non-pyréthrinoïde. Cette stratégie s’avère d’autant plus intéressante à explorer que l’existence d’interactions positives (effet de synergie) a été mise en évidence en agriculture entre les pyréthrinoïdes et les organophosphorés (Asher et al., 1986). En santé publique, un effet de synergie a été observé avec un mélange de bifenthrine (pyréthrinoïde) et de carbosulfan (carbamate) (Corbel et al., 2002). Or le carbosulfan se transforme en carbofuran, un composé hautement toxique qui ne peut être toléré sur un support aussi proche de l’homme que le sont les moustiquaires imprégnées (OMS, 1986). La recherche sur les effets de synergie entre insecticides s’est donc poursuivie en laboratoire et sur le terrain, impliquant des populations de A. gambiae sensibles et résistantes aux pyréthrinoïdes. Encore faudrait-il auparavant cerner l’efficacité de quelques insecticides non pyréthrinoïdes, afin de sélectionner celui ou ceux qui présentent la meilleure activité sur les vecteurs du paludisme.
L’EFFICACITÉ DES NON-PYRÉTHRINOÏDES SUR ANOPHELES GAMBIAE
2La sensibilité des populations naturelles de Yaokoffikro et de la vallée du M’bé à quatre insecticides non pyréthrinoïdes a été comparée à celle de la souche de référence sensible Kisumu. Rappelons que la souche de Yaokoffikro s’était révélée résistante aux pyréthrinoïdes et au DDT, alors que celle de la vallée du M’bé affichait seulement une forte résistance à la perméthrine.
3Les tests ont été effectués dans des cylindres-tests OMS avec des papiers imprégnés aux doses diagnostiques des quatre insecticides suivants :
organochlorés : dieldrine à 0,4 % (146 mg/m2) ;
phénylpyrazoles : fipronil à 0,25 % (91 mg/m2) ;
carbamates : carbosulfan à 0,4 % (146 mg/m2) ;
organophosphorés : chlorpyriphos-méthyl à 0,4 % (146 mg/m2).
4La souche Kisumu s’est révélée sensible aux doses diagnostiques de tous les insecticides évalués avec des pourcentages de mortalité compris entre 96 % et 100 % (fig. 9).
5Les populations naturelles de Yaokoffikro et de la vallée du M’bé restent sensibles au chlorpyriphos-méthyl (organophosphorés) mais, en revanche, elles présentent de fortes résistances aux autres insecticides (organochlorés, phénylpyrazoles et carbamates). La résistance au couple dieldrine/fipronil est commune chez les moustiques. Le fipronil est un insecticide qui bloque le transport des ions Cl- au niveau du système nerveux central en agissant sur les mêmes sites que la dieldrine, ce qui explique la résistance croisée entre les deux composés. Étant donné la résistance généralisée des moustiques à la dieldrine, les organochlorés cyclodiènes et les phénylpyrazoles offrent peu de perspectives en santé publique (Darriet et al., 2002).
6Un point particulier reste à débattre pour ce qui concerne les carbamates et les organophosphorés. Des titrages biochimiques ont révélé que les deux souches de A. gambiae étudiées étaient pourvues d’une acéthylcholinestérase insensible (mutation Ace.1R), responsable de la résistance croisée entre les carbamates et les organophosphorés. La fréquence allélique de cette mutation était de 19 % pour la vallée du M’bé et de 40 % pour Yaokoffikro (N’Guessan et al., 2003). De fait, il est établi que la résistance d’un insecte à un composé de la famille des carbamates entraîne une résistance croisée avec les insecticides organophosphorés. Ce postulat n’est apparemment pas toujours confirmé, puisque les populations sauvages de Yaokoffikro et de M’bé, bien que résistantes au carbosulfan (carbamate), restent parfaitement sensibles au chlorpyriphos-méthyl (organophosphoré).
7Les oxydases sont naturellement présentes chez les moustiques, mais leur activité s’avère d’autant plus importante que le niveau de résistance des moustiques aux insecticides est élevé. Le chlorpyriphos-méthyl est un thiophosphate, ce qui signifie que dans sa molécule un atome de soufre est lié à l’atome de phosphore (P = S). Au cours du processus de désulfuration des thiophosphates par les oxydases, l’atome de soufre est remplacé par un atome d’oxygène (P = S à P = O) (Hassal, 1982). Or la molécule générée (forme oxon) s’avère 3 000 fois plus toxique pour l’insecte que le composé originel. En conséquence, cette réaction d’oxydation n’entraîne pas la désactivation de l’insecticide mais son activation. Une réaction d’anti-résistance en quelque sorte, qui fait que le chlorpyriphos-méthyl s’avérerait un candidat de choix pour la recherche des actions de synergie entre insecticides.
L’ÉTUDE EN LABORATOIRE DE L’ASSOCIATION BIFENTHRINE ET CHLORPYRIPHOS-MÉTHYL
8La bifenthrine a été sélectionnée car cet insecticide s’est montré particulièrement efficace sur les vecteurs du paludisme (Hougard et al., 2002). Comme tous les pyréthrinoïdes, ce composé agit sur les axones en maintenant ouverts les canaux sodium, ce qui provoque une interruption de l’influx nerveux et la mort rapide de l’insecte. La bifenthrine est peu toxique sur les mammifères (DL50 pour le rat par ingestion de 54,5 mg/kg) (Tomlin, 2000) et ne présente pas d’effet irritant pour la peau ou les yeux.
9Le chlorpyriphos-méthyl, qui appartient au groupe des organophosphorés, agit sur une cible différente des pyréthrinoïdes en inhibant l’acéthylcholinestérase, enzyme intervenant dans la régulation de l’influx nerveux. Outre le maintien de son efficacité sur certaines populations de A. gambiae identifiées résistantes aux carbamates, cet insecticide ne présente aucune toxicité sur les mammifères (DL50 pour le rat par ingestion supérieure à 3 000 mg/kg) (Tomlin, 2000).
10Les recherches qui sont présentées ci-dessous ont été conduites avec la souche Kisumu, qui ne possède pas de mécanisme de résistance aux insecticides, et la souche VKPR homozygote résistante pour le gène Kdr et homozygote sensible pour la mutation Ace.1R.
Les tests en cylindres-tests OMS
11Les deux souches ont été testées aux doses diagnostiques de la bifenthrine (0,25 % = 91 mg/m2) et du chlorpyriphos-méthyl (0,4 % = 146 mg/m2) (fig. 10).
12La souche Kisumu est sensible aux deux insecticides testés. VKPR par contre se révèle résistante à la bifenthrine mais sensible au chlorpyriphos-méthyl.
Les imprégnations de moustiquaires
13Nous avons cherché à préciser l’efficacité et le mode d’action d’un mélange de ces deux insecticides sur ces deux souches de A. gambiae génétiquement différentes. Pour mener à bien cette recherche, nous avons utilisé deux méthodes d’évaluation couramment utilisées en laboratoire : les cônes OMS (cf. encadré 9) et les tunnels expérimentaux (encadré 15).
14Dans les deux cas, les insecticides seuls ont été testés à des concentrations qui n’induisent pas plus de 40 % de mortalité chez les souches de A. gambiae sensibles et résistantes aux pyréthrinoïdes. Au-delà de cette valeur, il devient en effet difficile de mettre en évidence un phénomène de synergie, car la mortalité attendue [calculée selon la formule 1 – (% survivants avec la bifenthrine x % survivants avec le chlorpyriphos-méthyl)] serait peu différente de la mortalité observée, sauf en cas d’interaction négative où le pourcentage de mortalité observée serait inférieur au pourcentage de mortalité attendue (phénomène d’antagonisme). Les insecticides sont déposés sur des tulles en polyester (100 deniers) de 0,25 mètre de côté (0,0625 m2), imprégnés avec un volume de solution insecticide qui est égal à la capacité de rétention en eau de l’échantillon testé.
Encadré 15
Les tests sur les adultes en tunnels expérimentaux
Les tunnels expérimentaux sont utilisés pour évaluer l’impact des moustiquaires imprégnées d’insecticides sur les moustiques adultes, dans des conditions de laboratoire bien plus proches de la réalité du terrain que les tests en cônes. L’équipement de base est constitué d’une armature rectangulaire en verre (tunnel) de 0,25 m x 0,25 m de section et de 0,75 m de longueur. Le tunnel est divisé en deux compartiments séparés au deuxième tiers de sa longueur, par un cadre en carton tendu d’un tulle moustiquaire imprégné d’insecticide, et dans lequel sont percés neuf trous d’un centimètre de diamètre. Cent femelles âgées de 7 jours et n’ayant jamais pris de repas de sang sont placées dans le grand compartiment (C1) tandis qu’un cobaye maintenu en contention dans une cage grillagée est introduit dans l’autre (C2). Après une nuit (18 h 00 – 9 h 00) passée dans un environnement chaud et humide (27 °C – 80 % d’humidité relative), les moustiques sont prélevés dans les deux compartiments puis classés selon leur état physiologique (gorgés/non gorgés), vivants et morts. Pour estimer l’effet excito-répulsif des insecticides, ils sont comptabilisé comme « moustiques passés à travers la moustiquaire » les effectifs à jeun et gorgés récoltés dans le compartiment C2 plus ceux retrouvés gorgés en C1. Trois répliques de cent moustiques issus de générations différentes sont testées pour chaque configuration témoin et traitée.
Insecticides | Formulations | Doses d’imprégnation |
bifenthrine (bif ) | SC* à 8 % en cônes : | 25 mg/m2 |
chlorpyriphos-méthyl (CM) | CS* à 46 % en cônes : | 4,5 mg/m2 |
mélange bif + CM | en cônes | 25 + 4,5 mg/m2 |
mélange bif + CM | en tunnels | 5 + 50 mg/m2 |
Les tests en cônes OMS
15L’efficacité de la bifenthrine et du chlorpyriphos-méthyl utilisés seuls et en mélange est exposée sur la figure 11.
16À la dose de 25 mg/m2, la bifenthrine induit 33,5 % de mortalité sur la souche Kisumu avec des Kdt50 et Kdt95 de respectivement 22 et 82 minutes. La mortalité se chiffre seulement à 4 % sur VKPR avec des temps de KD supérieurs à 2 heures.
17À 4,5 mg/m2, le chlorpyriphos-méthyl engendre des mortalités de 22,4 % sur Kisumu et de 12,9 % sur VKPR. Comme tous les organophosphorés, le chlorpyriphos-méthyl ne possède pas d’effet KD, ni sur la souche sensible, ni sur la souche résistante aux pyréthrinoïdes.
18Le mélange constitué de bifenthrine à 25 mg/m2 et de chlorpyriphos-méthyl à 4,5 mg/m2 produit un effet de synergie sur la souche Kisumu sensible, perceptible à la fois sur les temps de KD et la mortalité. Les Kdt50 et Kdt95 de respectivement 18 et 57 minutes diminuent significativement par rapport aux Kdt enregistrés avec la bifenthrine seule [pas de chevauchement des intervalles de confiance (cf. tabl. 4 en annexe)]. De même, la mortalité observée avec le mélange (85 %) est près de deux fois supérieure à la mortalité attendue (48 %) (P < 0,0001). Il n’a pas été relevé de phénomène analogue sur VKPR, tant au niveau du KD que de la mortalité. En effet, la mortalité observée de 10,7 % n’est pas significativement différente (P = 0,3) de la mortalité attendue (16,4 %).
19Les tests en cônes montrent donc un effet de synergie du mélange sur les anophèles sensibles aux insecticides. En revanche sur VKPR résistante aux pyréthrinoïdes, l’efficacité de la combinaison ne s’exprime plus que par un effet additif de ses deux parties (Darriet et al., 2003).
Les tests en tunnels expérimentaux
20Dans le tunnel pourvu d’un tulle moustiquaire non traité, le taux de passage des moustiques se chiffre à 75 %, ce qui se traduit par un taux de gorgement de 57 % et une mortalité naturelle de 9 %. La mortalité relevée dans le tunnel témoin étant supérieure à 5 %, toutes celles observées dans les tunnels traités ont été corrigées par la formule d’Abbott (encadré 16 ; fig. 12).
Encadré 16
La correction des mortalités observées
Lorsque la mortalité dans les témoins est comprise entre 5 et 20 %, il convient de corriger les taux de mortalités des conditions traitées en appliquant la formule d’Abbott (1925) :
21Avec la bifenthrine à 5 mg/m2, les taux de passage (49 %) et de gorgement (27 %) sont réduits de respectivement 35 % et 53 % par rapport au tunnel témoin. Ces informations montrent que la bifenthrine, même utilisée à dose réduite, reste irritante pour les moustiques. C’est d’ailleurs cette action d’évitement du moustique face au substrat traité qui explique le faible pourcentage de femelles gorgées (27 %).
22De surcroît, la bifenthrine testée en tunnel montre une action insecticide non négligeable avec 36 % des anophèles trouvés morts.
23À la dose de 50 mg de chlorpyriphos-méthyl/m2, les taux de passage (57 %) et de gorgement (37 %) sont diminués de 25 % et 35 % respectivement, révélant l’existence d’un pouvoir irritant avec ce composé. Par contre, la mortalité des anophèles s’élève à 25 % seulement, et ce malgré la parfaite sensibilité de VKPR à cet organophosphoré.
24Avec le mélange des deux insecticides, le taux de passage de 33 % (qui correspond à une réduction de 56 % par rapport au témoin) est significativement plus faible que ceux de la bifenthrine (49 %) et du chlorpyriphos-méthyl (57 %) seuls (P < 0,001). Cependant, ce plus fort effet irritant n’a pas eu de répercussion sur le taux de gorgement des moustiques. En effet, le pourcentage de femelles ayant pris un repas sanguin avec le mélange s’élève à 21 %, ce qui n’est pas significativement différent (P = 0,12) de celui enregistré avec la bifenthrine seule (27 %). L’association ne génère pas non plus d’effet de synergie au niveau de l’effet létal. La mortalité observée (46 %) n’est pas significativement différente (P = 0,89) de la mortalité attendue (52 %). Les tests en tunnels où le comportement du moustique s’exprime normalement corroborent les observations obtenues avec les cônes OMS, c’est-à-dire l’absence d’effet de synergie entre la bifenthrine et le chlorpyriphos-méthyl sur une souche de A. gambiae résistante aux pyréthrinoïdes (Darriet et al., 2005 a).
Synthèse des résultats
25Aux doses diagnostiques de la bifenthrine et du chlorpyriphos-méthyl, la sensibilité de Kisumu aux deux insecticides est totale, alors que sur VKPR, seul l’organophosphoré reste actif à 100 %. Ces résultats ne sont pas surprenants dans la mesure où la souche Kisumu ne possède aucun mécanisme de résistance et où VKPR est homozygote résistante pour le gène Kdr et homozygote sensible pour la mutation Ace.1R.
26Les tests effectués à l’intérieur de cônes en polyéthylène montrent la forte synergie du mélange bifenthrine et chlorpyriphos-méthyl sur Kisumu. En revanche sur VKPR, l’association testée n’induit pas de synergie, mais seulement un effet additif de l’efficacité des deux insecticides pris séparément. Enfin, en tunnel expérimental, le mélange ne produit toujours pas de synergie sur la souche VKPR et ce malgré le temps de contact de 15 heures des anophèles avec le substrat traité. Les tests en tunnels mettent en évidence les propriétés irritantes de la bifenthrine et du chlorpyriphos-méthyl. Avec le mélange des deux produits, cet effet irritant se renforce, ce qui écourte encore davantage le temps de contact des moustiques avec la moustiquaire traitée. Cette relation directe de cause à effet a pour conséquence de ne pas induire d’effet de synergie mais seulement un effet additif au niveau de la mortalité. Le comportement du moustique s’avère donc capital dans l’efficacité des insecticides utilisés seuls et en association.
27L’existence d’une synergie limitée à la seule souche sensible laisse néanmoins entrevoir des possibilités intéressantes pour la gestion de la résistance dans des zones où la prévalence du gène Kdr est peu importante. En effet, les probabilités d’apparition simultanée d’une résistance à deux insecticides à modes d’action différents sont faibles (Curtis, 1985). De plus, le gène Kdr étant semi-récessif, les moustiques hétérozygotes (RS) se comportent pratiquement comme les moustiques homozygotes sensibles (SS) vis-à-vis de la mortalité (Chandre et al., 2000). Il est alors possible que l’effet de synergie obtenu entre la bifenthrine et le chlorpyriphos-méthyl puisse faciliter l’élimination des individus hétérozygotes (RS), évitant ainsi la sélection du gène Kdr responsable de la résistance aux pyréthrinoïdes. En revanche, sur des souches de A. gambiae fortement résistantes à ces composés, l’association testée n’induit pas d’action de synergie et le concept de mélange s’avérerait dans ce cas beaucoup moins avantageux.
28Maintenant, pour apprécier la véritable efficacité du mélange de ces deux insecticides sur le terrain, il est nécessaire de réaliser une évaluation en cases-pièges où, cette fois, le comportement du moustique ne s’exprime plus face à un simple morceau de tulle manipulé dans des conditions de laboratoire, mais devant une moustiquaire grandeur nature dans des conditions normales d’utilisation.
L’ÉTUDE SUR LE TERRAIN DE L’ASSOCIATION BIFENTHRINE ET CHLORPYRIPHOS-MÉTHYL
29L’évaluation des moustiquaires bi-traitées sur le terrain s’est déroulée dans les cases-pièges de Malanville (nord du Bénin). La plaine de Malanville se situe dans une zone de savane soudanienne qui se caractérise par une longue saison sèche de novembre à juin. Dans cette vallée où coule le fleuve Niger, un périmètre rizicole de 500 hectares permet deux récoltes de riz par an.
30A. gambiae s.l. est le principal vecteur du paludisme dans la région. Il est constitué à 95 % de A. gambiae et à 5 % de A. arabiensis. La population de A. gambiae de Malanville est exempte des gène Kdr et Ace.1R (Djogbenou, 2003). Les données les plus récentes sur la sensibilité de ces anophèles datent de 1999. Elles indiquent une résistance faible à la perméthrine mais une sensibilité parfaite à la deltaméthrine et à la lambda-cyhalothrine (Akogbéto et Yacoubou, 1999). Cette baisse de sensibilité à la perméthrine découle très certainement de l’usage qui a été fait de la dieldrine et de l’HCH contre les ravageurs des cultures. Depuis plus de dix ans maintenant, ces composés sont interdits et remplacés par un bio-pesticide d’origine fongique.
Insecticides | Formulations | Doses d’imprégnation |
bifenthrine (bif) | SC* à 8 % | 5 et 50mg/m2 |
chlorpyriphos-méthyl (CM) | CS* à 45,7 % | 50 et 250mg/m2 |
mélange bif + CM | 5 + 50mg/m2 |
31La mortalité de 20,3 % observée avec la moustiquaire non traitée (cf. tabl. 5 en annexe), représente un taux de létalité légèrement supérieur à ce qui est autorisé pour une condition témoin. Cependant, afin de ne pas perdre l’information relative au ratio I/D, les mortalités induites par les moustiquaires traitées n’ont pas été corrigées par la formule d’Abbott.
32Aux doses opérationnelles de la bifenthrine (50 mg/m2) et du chlorpyriphos-méthyl (250 mg/m2), les mortalités globales se sont élevées respectivement à 100 % et à 86,5 %. Pour la bifenthrine, le rapport I/D de 26 confirme l’effet knock-down des pyréthrinoïdes. En revanche, la valeur de I/D de seulement 3,1 pour le chlorpyriphos- méthyl traduit l’absence d’action de choc avec cet organophosphoré.
33L’action dissuasive du chlorpyriphos-méthyl de 72 % s’avère deux fois supérieure à celle de la bifenthrine (36 %). L’organophosphoré limite donc efficacement le taux d’entrée des anophèles dans la case. Pour les effets d’expulsion qui traduisent l’irritabilité proprement dite, les pourcentages de moustiques récoltés dans les vérandas-pièges se chiffrent à 27 % pour la bifenthrine et à 59 % pour le chlorpyriphos-méthyl. Le chlorpyriphos-méthyl semble plus irritant que la bifenthrine. Toutefois, l’irritabilité de la bifenthrine est en partie masquée par la forte mortalité immédiate qu’elle engendre (96 %). Le rapport I/D de 26 révèle, en effet, une mortalité rapide des anophèles dans la case, ce qui explique les faibles effectifs retrouvés dans la véranda-piège (fig. 13).
34Aux doses retenues pour le mélange (5 mg/m2 pour la bifenthrine et 50 mg/m2 pour le chlorpyriphos-méthyl), les mortalités globales restent encore élevées, avec 77 % pour la bifenthrine et 55 % pour le chlorpyriphos-méthyl. Par contre, le rapport I/D du pyréthrinoïde n’est plus que de 2,7 et celui du chlorpyriphos-méthyl de 0,2, ce qui montre, en particulier pour la bifenthrine, un effet choc dix fois moins important que pour sa dose opérationnelle. Cet effet KD moins puissant autorise d’ailleurs les anophèles à gagner la véranda-piège, ce qui explique le taux d’exophilie de 43 %. Pour le chlorpyriphos-méthyl où l’effet KD ne se manifeste pas, une dose plus petite entraîne des effets de dissuasion et d’expulsion également moins marqués.
35Pour le mélange, les résultats sont décevants, quels que soient les critères analysés. La mortalité globale observée se chiffre à 69 % alors que la mortalité attendue se situe aux alentours de 90 %. De surcroît, la mortalité observée est significativement moins importante que le simple effet additif (P = 0,0002). L’évaluation sur le terrain montre donc cette fois une action antagoniste des deux insecticides en mélange, action antagoniste d’autant plus surprenante que la population sauvage de A. gambiae de Malanville est sensible aux deux composés (fig. 14).
36Le rapport I/D du mélange de 1,4 est deux fois moins important que celui de la bifenthrine seule, comme si le chlorpyriphos-méthyl masquait une partie de l’effet choc du pyréthrinoïde. Pour les effets de dissuasion et d’expulsion du mélange, les deux paramètres ne manifestent pas non plus beaucoup plus d’activité que les deux fractions prises séparément. Enfin, quelles que soient les doses des deux insecticides utilisés seuls ou en mélange, les pourcentages de gorgement des moustiques ont toujours été très faibles (de 0 à 2,6 %). Ces taux s’expliquent par l’utilisation de moustiquaires intactes dont la barrière physique prouve, une fois encore, le degré de protection non négligeable engendré par les moustiquaires, même non imprégnées d’insecticide. Ces faibles taux de gorgement nous enseignent aussi que pour mesurer les différentes actions d’un insecticide sur une moustiquaire, il est préférable de mener une évaluation avec des moustiquaires trouées, comme ce fut le cas lors de l’étude réalisée à Yaokoffikro sur l’impact de la résistance de A. gambiae aux pyréthrinoïdes sur l’efficacité des moustiquaires imprégnées.
LES MÉLANGES INSECTICIDES ONT-ILS UN AVENIR ?
37Les expérimentations en cases-pièges ont montré que certains insecticides carbamates et organophosphorés réduisaient la densité des moustiques à l’intérieur des habitations (Darriet, 1998 ; Kolaczinski et al., 2000 ; Hougard et al., 2003 ; Asidi et al., 2004). Certains auteurs ont aussi décrit ces produits comme moins irritants que les pyréthrinoïdes, générant ainsi un contact plus long du moustique avec la moustiquaire et donc une mortalité plus importante (Curtis et Mnzava, 2000). En revanche, cette action excito-répulsive plus faible permet aux insectes hématophages de piquer plus facilement à travers les tulles traités, ce qui confère une protection individuelle d’autant moins importante que la moustiquaire est détériorée (Miller et al., 1991). Enfin, la plupart des organophosphorés agissent moins rapidement et à des doses plus élevées que les pyréthrinoïdes. Ils sont aussi moins stables dans le temps et plus toxiques pour l’homme aux doses opérationnelles (Tomlin, 2000). En tenant compte de toutes les données recueillies sur les carbamates, les organophosphorés et les pyréthrinoïdes, il était légitime d’espérer qu’une association composée de deux insecticides de classes et de modes d’action différents éliminerait – sauf pour le cas des insectes multi-résistants – les individus qui leur seraient génétiquement sensibles. À partir de cette hypothèse de travail, des études sur la bifenthrine et le chlorpyriphos-méthyl utilisés seuls et en mélange sur des souches de A. gambiae sensibles et résistantes aux pyréthrinoïdes ont permis de mieux comprendre l’efficacité des deux insecticides.
38En laboratoire, les tests de phase I ont montré un effet de synergie du mélange sur la souche de A. gambiae sensible aux insecticides. En revanche, sur la souche de A. gambiae résistante aux pyréthrinoïdes, l’association testée n’induisait plus de synergie, mais seulement un effet additif de l’efficacité des deux composés pris séparément.
39L’évaluation de phase II du mélange bifenthrine/chlorpyriphos-méthyl en cases-pièges a montré à son tour que l’association des deux composés n’induisait pas de synergie sur la population de A. gambiae sensible de Malanville (nord du Bénin). La synergie observée sur les moustiques sensibles de laboratoire disparaît donc à la station de Malanville, pourtant colonisée par des populations de A. gambiae exemptes des mutations Kdr et Ace.1R (Djogbénou, 2003). Il est fort probable que cette même combinaison n’engendrerait pas non plus de synergie dans une zone où les anophèles sont résistants aux pyréthrinoïdes. D’ailleurs, à la station de Yaokoffikro en Côte d’Ivoire où A. gambiae se caractérisait par une prévalence du gène Kdr de 95 %, le traitement de moustiquaires avec un mélange de lambda-cyhalothrine (18 mg/m2) et de chlorpyriphos-méthyl (100 mg/m2) n’a pas généré le moindre effet de synergie (Asidi et al., 2005). Il conviendrait maintenant de mieux apprécier l’efficacité de la combinaison bifenthrine/chlorpyriphos-méthyl dans une zone où A. gambiae posséderait un mécanisme de résistance de type métabolique (oxydases) capable de transformer la forme thiophosphate d’un organophosphoré en une forme oxon beaucoup plus toxique sur les insectes.
40Pour ce qui est de la gestion de la résistance de A. gambiae, des études ont été réalisées dans les cases-pièges de la vallée du M’bé en Côte d’Ivoire avec des moustiquaires imprégnées de bifenthrine, de carbosulfan (carbamate) et d’un mélange des deux composés (Corbel et al., 2003).
41Les moustiquaires imprégnées de bifenthrine à 50 mg/m2 n’ont pas sélectionné le gène Kdr chez la population de A. gambiae de la vallée du M’bé où la prévalence de la mutation était inférieure à 10 % (Chandre et al., 1999 b). Ces observations confirment une autre étude réalisée dans des cases-pièges de Cotonou au Bénin, avec des moustiquaires imprégnées de perméthrine (Corbel et al., 2003). Cette absence de sélection du gène Kdr est liée au temps de contact plus long des moustiques résistants avec les substrats traités. De plus, le gène Kdr étant semi-récessif, les hétérozygotes (RS) se comportent comme des homozygotes sensibles (SS) face à l’action létale du pyréthrinoïde.
42Les moustiquaires imprégnées de carbosulfan à 300 mg/m2 ont en revanche sélectionné le gène codant de l’acétylcholinestérase insensible (Ace.1R) dont la prévalence à M’bé se chiffrait à 19 % (N’Guessan et al., 2003). À l’inverse du Kdr, la mutation Ace.1R est dominante, ce qui se traduit par des individus hétérozygotes (RS) possédant une résistance aussi forte que les moustiques homozygotes résistants (RR). La sélection de ce gène est inquiétante, car les carbamates et plus encore les organophosphorés étaient considérés comme des produits prometteurs pour les imprégnations des moustiquaires. L’utilisation de ces composés en santé publique pourrait même contribuer à augmenter la pression de sélection du gène Ace.1R et, de fait, accroître les niveaux de résistance à tous les insecticides agissant sur cette cible.
43Avec les moustiquaires traitées avec le mélange de bifenthrine à 25 mg/m2 et de carbosulfan à 6,25 mg/m2, il n’y a pas eu de sélection du gène Kdr, ni de la mutation Ace.1R.
44Les doses de bifenthrine et de carbosulfan qui entrent dans la composition du mélange sont celles qui en laboratoire avaient donné les meilleurs effets de synergie (Corbel et al., 2002). L’absence de sélection du gène Kdr est compréhensible, puisque le pyréthrinoïde seul ne sélectionne pas ce type de résistance. En revanche, bien que la mutation Ace.1R soit sélectionnée par le carbosulfan seul, celle-ci ne l’est plus lorsque ce carbamate est associé avec la bifenthrine. Cette observation pose évidemment la question de savoir quelle est l’utilité du carbosulfan dans le mélange, puisque la bifenthrine à elle seule détruit à la fois les moustiques possédant la mutation Kdr et ceux possédant la mutation Ace.1R. Question d’autant plus pertinente que des évaluations de moustiquaires imprégnées de bifenthrine seule ont montré des efficacités comparables, quels que soient les niveaux de résistances des populations de A. gambiae étudiées.
Stations expérimentales | Prévalences Kdr | Prévalence Ace.1R |
Yaokoffikro (2003) | 95 % | 40 % |
Vallée du M’bé (2003) | < 10 % | 19 % |
Malanville (2003) | 0 % | 0 % |
45Dans les trois stations, les moustiquaires imprégnées de bifenthrine à la dose de 50 mg/m2 ont été particulièrement actives, avec des taux de mortalité de 63 % dans la vallée du M’bé, de 80 % à Yaokoffikro et de 100 % à Malanville (fig. 15).
46L’activité de la bifenthrine est excellente dans la zone sensible de Malanville. Dans les zones de faible et de forte prévalences Kdr, la bifenthrine se comporte comme la deltaméthrine, à savoir que les anophèles les plus résistants sont moins irrités par l’insecticide et absorbent plus de toxique par contact tarsal. Sur les trois sites, les rapports I/D, toujours très largement supérieurs à 10, révèlent les fortes mortalités immédiates induites par le pyréthrinoïde (cf. tabl. 6 en annexe).
47Même si la bifenthrine seule s’avère encore efficace sur les populations de A. gambiae résistantes aux pyréthrinoïdes, il ne faut pas pour autant freiner la recherche sur les mélanges insecticides. Les spécialistes de la lutte antivectorielle savent qu’il leur sera impossible de fabriquer la combinaison « miracle », mais une association de plusieurs insecticides peut néanmoins s’avérer intéressante, notamment en terme de gestion de la résistance chez les insectes nuisants et vecteurs de maladies (Hougard et al., 1997). À l’avenir, l’objectif est d’élaborer une combinaison moins irritante qui permette de maintenir un contact suffisant entre le substrat traité et les moustiques afin que ces derniers absorbent une dose mortelle. L’action qui réduit bien souvent l’effet létal d’un insecticide est générée par son propre effet excito-répulsif. Cette action d’évitement n’est pas constante, elle varie non seulement d’un insecticide à un autre mais aussi selon la nature des matériaux traités (bois, paille, boue, ciment, moustiquaire…). Il faut savoir aussi qu’un effet excito-répulsif faible peut faciliter la prise d’un repas sanguin par le moustique, notamment si celui-ci possède un gène de résistance (Corbel et al., 2004 a) et, par conséquent, augmenter les chances de transmission d’un agent pathogène à l’homme.
48Enfin, les mélanges présentent l’avantage de réduire les doses de traitement, avantages non négligeables en santé publique où souvent les moyens financiers et techniques sont limités. Il faut toutefois rester prudent quant à l’utilisation des insecticides en mélange, car cette stratégie de lutte ne doit pas compromettre les règles de sécurité propres à l’utilisation des moustiquaires imprégnées. Un mélange de deux molécules doit être considéré comme un nouveau composé, et donc satisfaire aux exigences toxicologiques avant d’être utilisé en santé publique (Zaim et al., 2000). De nos jours, rares sont les nouvelles familles chimiques qui apparaissent sur le marché des pesticides. C’est pourquoi dans les années à venir, il sera nécessaire d’utiliser pour l’élaboration des mélanges des insecticides rigoureusement sélectionnés, tant sur le plan toxicologique que sur le plan de leurs propriétés excito-répulsives et létales vis-à-vis des moustiques.
POUR LA RECHERCHE DE NOUVEAUX INSECTICIDES
49La recherche de composés possédant une action insecticide remonte à l’Antiquité. Les pyréthrines ne sont malheureusement pas stables au rayonnement solaire, ce qui limite leur emploi à l’hygiène domestique. Dans les années 1970, les chimistes ont conçu les premiers pyréthrinoïdes de synthèse, plus stables à la lumière et pourvus d’une durée d’efficacité plus longue. Cette nouvelle famille d’insecticides a fait une apparition remarquée sur le marché des pesticides car la plupart de ses composés agissent sur les insectes à des doses si faibles qu’elles demeurent sans effet sur les animaux à sang chaud.
50L’exemple des pyréthrines a encouragé des recherches analogues à partir d’autres substances naturelles. C’est ainsi que, dérivé de la nicotine, le groupe des néonicotinoïdes se caractérise par des produits qui agissent comme l’acétylcholine mais qui, contrairement à cette dernière, restent fixés sur les récepteurs nicotiniques et ne sont donc pas dégradés par l’acéthylcholinestérase. Ils entraînent une sur-stimulation des synapses cholinergiques suivie d’une hyperexcitation de l’insecte qui entraîne sa mort. L’un des principaux représentants de ce groupe, le dinotéfuran, a été étudié en applications topiques (encadré 17) sur les moustiques (Corbel et al., 2004 b). Il est d’ailleurs intéressant de comparer l’efficacité de ce nouvel insecticide avec la bifenthrine (pyréthrinoïde) et le chlorpyriphos-méthyl (organophosphoré) dont les actions par applications topiques ont été aussi largement étudiées (Bonnet et al., 2004) (fig. 16).
Encadré 17
Les tests sur les adultes par applications topiques
Pour évaluer l’efficacité intrinsèque d’un insecticide au niveau du spécimen, on pratique des applications topiques. Ces tests sont communément effectués sur des insectes de grande taille (glossines, punaises, blattes…) mais ils ont été récemment adaptés sur les moustiques adultes. Cette technique fournit une mesure précise de l’activité d’un insecticide, en ne prenant pas en compte les effets liés au comportement de l’insecte face à l’agression de la substance toxique, en particulier l’effet irritant. Les femelles de moustiques âgées de 3 à 5 jours sont préalablement endormies au CO2 et maintenues en léthargie sur une table réfrigérante à 4 °C. À l’aide d’un capillaire calibré à 0,1 µl, l’expérimentateur dépose une microgoutte de solution d’insecticide à la concentration requise sur le thorax d’un moustique endormi. Il répète l’opération avec un autre spécimen jusqu’à l’obtention de 50 moustiques qu’il transfère par lots de 25 dans deux gobelets en plastique recouverts d’un tulle moustiquaire sur lequel est déposé un coton imbibé de jus sucré. Pour les doses suivantes, les manipulations sont identiques. Les gobelets sont maintenus en observation pendant 24 heures, puis les moustiques morts et vivants sont décomptés pour chaque concentration.
51D’après l’analyse des DL50 qui représentent les doses les plus robustes sur le plan statistique, le dinotéfuran se révèle deux fois moins efficace sur les anophèles résistants aux pyréthrinoïdes (VKPR) que sur les anophèles sensibles (Kisumu). Néanmoins, ce produit reste quatre fois plus actif que la bifenthrine sur VKPR et semble posséder sur les deux souches étudiées une efficacité presque sept fois supérieure au chlorpyriphos- méthyl. Des évaluations plus poussées en laboratoire et sur le terrain permettraient de mieux cerner l’efficacité réelle de ce composé en imprégnation de moustiquaire, dans des zones où les populations anophéliennes présentent de fortes prévalences en mutations Kdr et Ace.1R.
52La ryanodine, extraite d’une plante tropicale (Ryana speciosa), bloque les canaux calcium (action pré-synaptique), ce qui entraîne une forte concentration de ces ions au niveau des muscles qui, dès lors, se tétanisent rapidement. Aucun dérivé synthétique de ce produit naturel ne semble avoir été produit à ce jour.
53Le spinosad aussi, déjà connu pour ses remarquables propriétés larvicides (Bond et al., 2004 ; Darriet et al., 2005 b ; Romi et al., 2006) pourrait faire l’objet d’études plus détaillées sur les adultes de moustiques. Le spinosad est une combinaison de deux métabolites, les spinosynes A et D fabriqués dans les sols par la bactérie Saccharopolyspora spinosa, du groupe des actinomycètes. Le mode d’action des spinosynes s’apparente à celui des néonicotinoïdes mais n’agit pas tout à fait sur les mêmes sites. Les premiers essais réalisés sur des adultes de A. gambiae sensibles et résistants aux pyréthrinoïdes avec des papiers imprégnés à 1 % de spinosad (364 mg/m2) ont montré des efficacités adulticides plutôt modestes. Sur la souche Kisumu sensible, seulement 25 % des moustiques meurent après une heure de contact avec les papiers imprégnés. Sur VKPR résistante aux pyréthrinoïdes, la même dose de spinosad entraîne 50 % de mortalité, soit une action adulticide deux fois supérieure aux anophèles sensibles aux insecticides. L’effet neurotoxique du spinosad, plus élevé sur les anophèles Kdr +, mériterait d’être plus approfondi, ainsi que sur les populations de A. gambiae sauvages qui se caractérisent par d’autres mécanismes de résistances.
54Les actinomycètes du genre Streptomyces produisent aussi des substances possédant des propriétés insecticides. Streptomyces avermitilis synthétise les avermectines, des lactones macrocycliques encore onéreux à la production mais remarquablement efficaces. Les avermectines paralysent puis tuent les insectes en activant les canaux chlorés tout en bloquant les récepteurs glutamate. Ces composés, dont les usages demeurent très spécifiques en agriculture en raison de leur grande toxicité vis-à-vis des insectes pollinisateurs, n’ont pas trouvé d’application directe dans la lutte contre les moustiques.
55Des insecticides nouveaux dont les origines n’ont rien de naturelles ont aussi vu le jour dans les laboratoires des industriels. C’est le cas de l’indoxacarbe, qui appartient à la famille des oxadiazines. Cet insecticide bloque le transport des ions sodium (Na +) dans la membrane des neurones, en affectant toutefois une autre cible que celle visée par les pyréthrinoïdes. Sa toxicité faible sur les mammifères en fait un composé prometteur pour lutter contre les moustiques, surtout ceux qui ont développé des résistances aux autres insecticides (N’Guessan et al., 2006). De même, avec le problème de la résistance croisée qui existe entre les organophosphorés et les carbamates due à la mutation Ace.1R, des chercheurs pensent pouvoir, dans un avenir pas trop lointain, fabriquer des insecticides capables d’inhiber l’acéthylcholinestérase mutée (Weill et al., 2004). Il s’agirait d’une avancé scientifique de grande importance, qui aurait l’avantage de détruire préférentiellement les moustiques résistants à ces deux classes de produits.
56La recherche de nouveaux insecticides d’origine biologique a elle aussi apporté des résultats. C’est ainsi que furent découvertes les bactéries entomopathogènes Bacillus thuringiensis var israelensis (Bti) et Bacillus sphaericus (Bs). Extraits de fleurs, de feuilles et de racines de végétaux, des composés comme le pyrèthre, la nicotine et la roténone sont utilisés depuis très longtemps dans la lutte contre les insectes. Plus récemment, des métabolites bactériens comme le spinosad et les avermectines ont non seulement été identifiés comme possédant des propriétés insecticides, mais ils sont désormais produits en quantité industrielle. Il existe certainement une multitude d’autres plantes, de micro-organismes et d’invertébrés dont le métabolisme fabrique ce genre de composés. Encore faudrait-il connaître la plante ou l’animal porteur afin d’en isoler le principe actif. Ce travail de recherche demande beaucoup de temps, mais aussi des moyens financiers et techniques considérables. Ce secteur de la recherche n’est pas à négliger, car l’insecticide de demain se trouve peut-être encore caché dans l’immensité de la diversité biologique.
57Il existe donc de nos jours des molécules d’origine naturelle et de synthèse qui demanderaient des investigations plus approfondies en santé publique. Les évaluations de ces composés en laboratoire et sur le terrain aideraient à mieux gérer la résistance des moustiques aux insecticides. Or, toutes ces substances isolées à partir d’organismes vivants ou bien créées de toutes pièces par les chimistes doivent afficher des efficacités au moins aussi puissantes que les produits déjà commercialisés, agir si possible sur des cibles différentes et, enfin, ne se montrer toxiques ni pour l’homme, ni pour l’environnement.
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