Émergence de la réglementation
p. 47-54
Texte intégral
1Les débordements entraînés par la naïveté – ou l’inconscience – des chercheurs, mais aussi par leurs ambitions personnelles parfois soutenues par l’industrie pharmaceutique, ont été limités, évités ou corrigés par l’émergence de règles éthiques, administratives et légales : « Le besoin de normes naît souvent avec l’indignation » (Fagot-Largeault, 2000 : 27). Il est donc difficile de séparer l’élaboration de la réglementation des avancées de l’éthique médicale, notamment en ce qui concerne l’expérimentation humaine. Pour des raisons de commodité, on peut distinguer la législation sur la pratique médicale, qui renvoie plutôt à la déontologie, et celle qui concerne l’expérimentation humaine, notamment les essais cliniques, plus souvent présentée sous la forme de recommandations éthiques. Il existe une nette séparation entre la réglementation ou les recommandations concernant les essais cliniques, dont l’objectif est de protéger les participants, et la législation de l’enregistrement, qui intéresse la mise sur le marché du médicament. Curieusement, la seconde a précédé la première, pourtant préalable a priori, dans tous les pays industrialisés. Il faut probablement y voir la suprématie du pragmatisme sur l’éthique.
RÉGLEMENTATION DE LA PRATIQUE MÉDICALE
Organisation de l’exercice ordinaire
2La première législation parvenue jusqu’à nous, le Code d’Hammourabi, concernait le fabricant de médicaments (le pharmacien) et le prescripteur (le médecin), autant dans le but de protéger le patient que d’éviter l’exercice illégal de ces deux professions. Elle revêtait un caractère technique et déontologique. Contrairement à une opinion répandue, Hippocrate n’est pas l’instigateur de l’éthique dans l’expérimentation clinique ; d’une part, la notion d’expérimentation clinique lui était étrangère et, d’autre part, son propos était davantage de définir une déontologie de l’acte thérapeutique (Pariente-Butterlin, 2000). Le fondement du principe hippocratique repose sur deux principes : d’abord ne pas nuire, ensuite aider l’effet bénéfique de la nature. Le « serment d’Hippocrate » a inspiré toutes les législations occidentales. En France, le Code de santé publique organise les professions médicales et paramédicales et leur exercice. La nécessité du consentement du malade apparaît dans la législation en 1942 sous la forme d’une jurisprudence (Arrêt Teyssier du 28 janvier 1942). Le Conseil de l’Ordre des médecins, créé en 1945, exerce un contrôle à la fois technique et moral.
3Aux États-Unis, le consentement du patient est requis depuis 1957 dans des circonstances similaires (Jugement Salgo en Californie, 22 octobre 1957).
4Les pays d’Afrique francophone ont repris pour l’essentiel les dispositions françaises qui font encore référence à la fois pour l’exercice de la médecine ou de la pharmacie et la recherche clinique.
Législations du médicament
5Dans les pays industrialisés, cette législation tend à devenir extrêmement contraignante. Aux États-Unis, le premier texte de réglementation pharmaceutique, Pure Food & Drugs Act, remonte à 1906, mais la réglementation de l’enregistrement du médicament date de 1938 (Federal Food, Drug and Cosmetic Act). Toutefois, l’autorisation de commercialisation d’un médicament avant sa distribution n’est obligatoire que depuis 1962. Elle est délivrée par la Food & Drug Administration qui publie régulièrement les règles de constitution du dossier (ou NDA, New Drug Application). Les essais cliniques sont étroitement suivis par la FDA sous la forme de l’IND (Investigational New Drug) application, à la fois demande d’autorisation de procéder à des essais cliniques et dispositif de surveillance disposant d’experts et de spécialistes dans tous les domaines requis (chimie, pharmacologie, clinique, statistique, etc.).
6En Europe, les législations initiales étaient très hétérogènes et l’harmonisation commencée en 1965 se réalise finalement à la fin des années 1990. Toutefois, les dispositions actuelles laissent encore le choix au promoteur de répondre aux exigences de la législation de l’un des États, sous réserve de suivre la procédure de reconnaissance mutuelle, ou aux procédures européennes (ou procédure centralisée) effectives depuis 1998.
7La demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM) est basée sur des critères de qualité de fabrication, de sécurité pharmacologique et toxicologique et d’efficacité clinique, incluant la tolérance du médicament. Ces différents éléments doivent donc être scrupuleusement documentés en ce qui concerne les caractéristiques physicochimiques du produit, y compris les méthodes de fabrication, les résultats toxicologiques et pharmacocinétiques chez l’animal et chez l’homme ainsi que l’étude clinique. L’ensemble est validé par un rapport d’experts qui présente la synthèse des différentes parties du dossier.
8Les procédures françaises et européennes sont détaillées en annexe 1.
9En Afrique francophone, ce sont le plus souvent les règles françaises, aujourd’hui celles de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), qui s’appliquent, bien qu’aucun laboratoire ne puisse exercer sur place un contrôle effectif faute de moyens appropriés. En conséquence, les pays exigent que les médicaments importés possèdent l’AMM du pays exportateur ou d’un pays industrialisé disposant d’un organisme de surveillance agréé et fonctionnel (annexe 4).
RÉGLEMENTATION DE L’EXPÉRIMENTATION HUMAINE
10L’introduction de la réglementation dans le cadre de l’expérimentation humaine, avec la connotation éthique que cela recouvre, n’apparaît qu’à la fin du XIXe siècle dans des documents scientifiques sans portée contractuelle ou juridique (Ternon, 2001). La première règle qui s’est imposée, bien avant que les atrocités nazies ne la fassent apparaître comme incontournable, est la nécessité d’obtenir le consentement du sujet. Une directive ministérielle allemande requiert spécifiquement, dès 1900, le consentement éclairé du sujet, en même temps que sa compétence juridique, qui concerne essentiellement la majorité légale. Curieusement, cette obligation, peut-être parce qu’elle a été bafouée par les nazis, passe aujourd’hui pour être un des acquis du procès de Nuremberg.
11Après la Seconde Guerre mondiale et le procès de Nuremberg, qui qualifie le crime à partir de l’absence de consentement volontaire du sujet, la règle de visibilité ou de publicité, prônant la transparence préalable du projet, a été établie. Elle apparaît nettement dans le premier alinéa du code de Nuremberg, où l’information du sujet est explicitement désignée comme devant être préalable à son consentement (Langlois, 2000 ; Ternon, 2001). Ce concept figure dans la déclaration d’Helsinki, initialement dans le second article puis développé dans les révisions ultérieures (cf. articles 20, 22 et 31 de la version d’octobre 2000). Par la suite furent énoncées les limites de la compétence du sujet. Outre les critères juridiques ont été mentionnées les capacités mentales, économiques et, beaucoup plus récemment, culturelles. Ainsi, quatre notions primordiales définissent et valident le consentement informé (Mariner, 1993) : la qualité de l’information (qui doit être sincère, objective, complète et accessible), la compétence légale, le volontariat (qui implique l’indépendance vis-à-vis du promoteur et de l’investigateur) et la capacité physique (notamment intellectuelle, mais aussi l’absence de handicap).
12En France, il faudra attendre la loi Huriet-Serusclat du 20 décembre 1988 et son décret d’application (septembre 1990) pour disposer d’un cadre juridique précis. C’est reconnaître implicitement, avec le vide juridique qui a précédé cette loi (Edelman, 1991 ; Martin, 2001), que les essais cliniques, exigés par la législation du médicament, ont été conduits pendant deux décennies en toute illégalité !
13La loi Huriet-Serusclat stipule en préliminaire que les expérimentations humaines sont menées pour le développement des connaissances biologiques et médicales. De plus, la loi leur reconnaît deux objectifs : le bénéfice direct du sujet et l’intérêt collectif. Le consentement du sujet est, en principe, nécessaire, mais la loi fait preuve d’un grand laxisme et admet des dérogations, notamment en cas de mort cérébrale ou de patients en situation d’urgence, chez qui peuvent être entreprises des études à finalité non thérapeutique directe, supposées devenues inutiles. La loi repose sur cinq fondements :
la compétence des investigateurs et la justification scientifique de la recherche ;
le parfait équilibre bénéfice/risque ;
l’objectif d’amélioration des connaissances ;
le volontariat ;
la gratuité, quoiqu’une indemnisation soit prévue dans certains cas.
14Selon Edelman (1991), cette loi est en contradiction avec le système juridique et moral français pour qui le corps humain n’est pas une marchandise négociable, y compris par son propriétaire. En outre, la loi s’oppose aux déclarations d’Helsinki et de Manille au sujet du consentement. Elle ne considère pas la relation singulière médecin-malade qui altère l’autonomie du patient et remet l’arbitrage à un comité dont la composition n’est pas démocratique (absence de représentativité de la société civile et représentation excessive des scientifiques) et dont le mode de fonctionnement manque de transparence puisqu’il statue à huis clos. De nombreux juristes ajoutent que les modalités de recueil du consentement déséquilibrent obligatoirement le rapport bénéfice/risque, puisque le malade est dépendant de son médecin et que le sujet en bonne santé accepte tous les risques pour le bénéfice exclusif de la collectivité et du tandem promoteur-investigateur (Edelman, 1991 ; Gromb, 1992). Enfin, on peut y voir un risque de dérive scientiste et la soumission de l’éthique à la recherche scientifique (Benasayag, 2001 ; Comte-Sponville, 2001).
15Pour restreindre les risques d’exploitation de la population des pays en développement dans lesquels les contraintes sont moindres en raison d’une carence de la réglementation ou d’une surveillance moins sévère, la déclaration de Manille, régulièrement actualisée depuis 1982, fixe une ligne directrice aux promoteurs et investigateurs effectuant des essais cliniques dans des pays considérés comme vulnérables.
16L’essai clinique est d’apparition récente. Il s’est imposé au cours d’une double construction : celle de la pratique médicale, plus empirique et intuitive que rationnelle, et celle de l’expérimentation issue du raisonnement cartésien.
17Paradoxalement, la nécessité d’une réglementation est davantage liée au constat d’anomalies et de dysfonctionnements qu’à la volonté de formaliser et de normaliser a priori cette étape essentielle du développement du médicament. La mise en place dans les pays industrialisés d’une législation appropriée remonte à une trentaine d’années et reste encore largement en devenir. Dans les pays africains, en l’absence de législation spécifique, la protection des sujets relève de directives internationales connues sous le nom de déclaration de Manille (annexe 2).
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