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Les ressources minérales profondes en Polynésie française / Deep-sea mineral resources in French Polynesia

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Pierre-Yves Le Meur
, 
Pierre Cochonat
, 
Carine David
, 
et al.

Axe IV. Enjeux environnementaux de l’exploration et de l’exploitation

IV-4. Recommandations socio-environnementales

Tamatoa Bambridge, Sarah Samadi, Pierre-Yves Le Meur et Christian Jost

Texte intégral

1Cette contribution dépasse le seul cadre de l’impact de l’exploitation minière sur les écosystèmes pour prendre en compte les imbrications et interactions entre les dimensions sociales et environnementales. Il s’agit in fine d’inscrire l’enjeu de l’exploitation des ressources minérales sous-marines dans un cadre politique plus large qui intègre de manière forte la question de la soutenabilité (développée dans la contribution I-6) et réfléchisse aux enjeux de territorialisation et donc de planification spatiale (marine) qu’impliquerait cette exploitation.

1. Des impacts environnementaux aux enjeux socio-environnementaux

2Les enjeux environnementaux liés à l’activité minière sous-marine ne sont pas uniquement écologiques et nous les traitons ici dans une perspective qui intègre également l’aspect sociologique et culturel, et ce pour trois raisons.

3Tout d’abord, cette approche correspond à la perspective polynésienne d’un continuum nature/culture (l’autre continuum océanien étant celui liant terre et mer dans des représentations et des institutions communes) (voir contribution I-1).

4Ensuite, les impacts environnementaux dans le milieu marin ne se cantonnent pas aux zones exploitées mais s'étendent spatialement parfois sur de grandes échelles (voir contribution IV-2) et de ce fait sont étroitement liés à des questions d’usages de l’espace marin. Ils ont donc une dimension intrinsèquement sociétale. Il faut en particulier prendre en compte les impacts possibles de l’exploration/exploitation minières sous-marine sur d’autres activités à base environnementale et utilisant potentiellement les mêmes espaces ou des espaces connectés (la prise en compte des notions de colonne d’eau et de connectivité écologique sont ici importantes).

5Enfin, les dispositifs qui seront proposés renvoient à des modalités diverses de participation des populations et/ou de groupes d’acteurs spécifiques, ce qui oblige à les penser également d’un point de vue sociologique.

6Les thèmes de la gouvernance et des acteurs impliqués ont été traités dans la contribution II-4, les enjeux de participation en II-5, les dispositifs administratifs spécifiques en II-6, les écosystèmes risquant d’être impactés et les impacts prévisibles ont été discutés en IV-1 et IV-2, les interférences entre activités minières sous-marines et usages non miniers de l’espace marin en IV-3.

7Cette contribution-ci fait donc le point sur les dispositifs permettant de comprendre et de suivre les impacts socio-environnementaux de l’exploration et de l’exploitation minière sous-marine. Cette question sera déclinée en termes de besoins de connaissances, de dispositifs de suivi, d’études d’impact, de plans de gestion et de mesures de compensation écologique ou socio-environnementale. Il s’agit in fine de poser la question socio-environnementale en termes de soutenabilité et d’interroger les outils de la planification spatiale marine. Notons en préalable que la notion d’impact peut être indexée négativement (diminution de la biodiversité par exemple) ou positivement (augmentation des connaissances).

2. Un besoin urgent de connaissances

8Le premier constat – qui est en même temps la première recommandation – est celui d’un besoin crucial de connaissances en matière géologique, écologique, industrielle, sociale.

9La connaissance des ressources minières en eaux profondes en PF ne repose sur aucune donnée « indiquée » ou « estimée », mais sur quelques points de prélèvements épars, parfois dus au hasard.

10L’impact écologique d’une exploration et d’une exploitation de l’activité est méconnu. Ni les autres exemples évoqués ailleurs, ni la faible disponibilité des connaissances scientifiques mondiales ne permettent d’affirmation. Tout au plus en sommes-nous au stade d’hypothèses dont certaines sont contradictoires. Non seulement les études relatives à la structure de la biodiversité du milieu profond et de la faune benthique doivent, pour certaines, débuter, mais les études écologiques sur les monts sous-marins concernant les oiseaux et les grands mammifères doivent être poursuivies.

11Sur les cinq exemples cités dans la contribution comparative (contribution V) de la présente expertise, aucune n’est comparable aux situations analysées en Polynésie française. Un seul cas (extraction de diamant en Namibie) ne semble pas souffrir d’opposition de la part des populations concernées ou d’organisations de la société civile, tandis que le projet Solwara connaît des critiques croissantes et que les autres ont été abandonnés en raison de l’insuffisance de connaissances sur les conséquences écologiques et sociales des projets.

12Dans ce contexte d’incertitude cognitive forte, l’expertise collégiale recommande une prise en compte approfondie et précoce des enjeux socio-environnementaux dans la conduite d’un projet d’exploration ou d’exploitation des ressources minières en eau profonde dans la ZEE de la Polynésie française. La conduite de projet implique plusieurs échelons politico-administratifs (local/communal, territorial, Etat français, voire l’Union européenne) en impliquant en amont les acteurs concernés par les enjeux socio-environnementaux dans une logique participative. Ce processus peut se placer sous l’auspice d’un organisme public capable de garantir la transparence des informations, la préservation de l’intérêt général, une bonne exposition des enjeux afin de prendre des décisions éclairées, un financement adéquat pour combler les manques de connaissances écologiques, minières et sociaux (voir contribution II-6). Ces éléments sont exposés dans la suite de ce chapitre.

3. Singularités du contexte polynésien

13La singularité du cas de la Polynésie française repose sur quelques éléments saillants discutés auparavant que nous synthétisons ici :

  • pour des raisons géologiques et économiques, les ressources qui semblent les plus intéressantes sont les encroûtements cobaltifères situés en particulier sur les pentes de monts sous-marins ;
  • la variabilité écologique de ces monts pourrait être importante notamment en termes de productivité ;
  • compte-tenu de ce que nous savons, ces monts pourraient être le support d’une variété d’espèces à longue durée de vie rendue possible par une grande stabilité temporelle. A priori, la résilience de ces espèces pourrait être faible et la vitesse de récupération des écosystèmes très lente ;
  • en Polynésie française, les conditions sont réunies pour émettre l’hypothèse d’un fort taux d’endémisme (unicité géographique) de la faune benthique mais possiblement aussi d’une spécificité fonctionnelle (unicité fonctionnelle) liée aux enrichissements des substrats en métaux ;
  • la prise en compte écologique des espèces nécessiterait d’aborder les études selon des échelles spatiales importantes pour tenir compte des phénomènes de connectivité liés aux espèces (des cycles de vie du benthos et du pélagos) ;
  • à travers des études locales et régionales de la courantologie et des conditions physico-chimiques des zones océaniques à potentiel minier, l’analyse des flux, de la dispersion à la fois des espèces et des rejets miniers devra être étudiée ;
  • dans le contexte d’écosystèmes benthiques à encore explorer, l’enjeu écologique de la disparition d’une espèce dans l’une ou l’autre des chaînes trophiques devra être le corollaire des études de ces milieux… ;
  • l’évaluation des impacts des méthodes qui seraient utilisées pour la recherche ou la confirmation de gisements (prises d’échantillons géologiques et biologiques, techniques vidéo et photographiques impliquant lumière et perturbations physiques, méthodes acoustiques), quoique estimées comme engendrant peu d’impacts, devra être d’autant plus développée que l’emprise spatiale est importante. Ne sont ainsi par exemple pas connus les effets sur les chaînes trophiques de la mortalité d’une espèce endémique ;
  • la question écologique de la substituabilité des sites doit être clairement posée afin d’accumuler des connaissances scientifiques permettant une prise de décision publique éclairée ;
  • Comme il a été rappelé en introduction à cette contribution (voir aussi I-1), les représentations et pratiques polynésiennes s’inscrivent dans une perspective de continuum nature/culture qui oblige à repenser et renforcer l’articulation entre les dimensions environnementales et sociales des études d’impact et des dispositifs de suivi.
  • Développer la question de la gouvernance, abordée précédemment, de l’adaptation du droit (environnement, minier, fiscal).

4. Etudes d’impact et dispositifs de suivi socio-environnemental

14Les études d’impact environnemental font désormais partie de l’arsenal des dispositions encadrant l’activité minière et plus largement les grands projets d’exploitation des ressources naturelles ou de constructions d’infrastructures dont les effets sur l’environnement risquent d’être massifs.

15Considérant que quatre types de milieux seront impactés (les fonds marins par les prélèvements et particules associés les rejets des navires miniers, la colonne d’eau par les rejets des navires et les particules en suspension, certains milieux à terre par les processus à terre incluant eaux usées, résidus et scories et, le milieu humain (perception, réactions, économie locale…), plusieurs types et formes d’études d’impact en phase exploratoire seront à réaliser dont certaines impliquant de lourds moyens techniques et un suivi dans la phase d’éventuelle exploitation,

16L’imbrication homme/nature invite à intégrer les dimensions sociales et environnementales dans les études d’impact préalables et celles-ci doivent être continuées via des dispositifs adaptés de suivi socio-environnemental. Cela suppose d’aller au-delà des habituelles distinctions entre études d’impact social (Esteves et al., 2012) et études d’impact environnemental (Morgan, 2012) d’une part, et, d’autre part, prendre en compte les apports d’études d’impact centrées sur la durabilité/soutenabilité (sustainability impact assessment, Bond et al., 2012), l’évaluation des politiques publiques (policy assessment, Adelle & Weiland, 2012) et les évaluations environnementales stratégiques (strategic environmental assessment, Tetlow & Hanusch, 2012). Au-delà des effets de mode et de label, ces réflexions encore peu développées en France (on pense en particulier à l’évaluation des politiques publiques) peuvent contribuer à une approche plus intégrée des impacts d’un nouveau secteur minier sous-marin.

17D’un point de vue pratique, les études d’impact socio-environnemental devront recueillir et analyser, dans la phase exploratoire, les craintes et les attentes des différents acteurs par rapport à un possible développement de la mine sous-marine. Il conviendrait de situer dans le temps et de localiser dans l’espace, même maritime, les valeurs socio-environnementales accordées par la population aux différents espaces. L’objectif, in fine, est de fournir un ensemble d’informations capable d’éclairer les décisions des partis prenantes et d’obtenir éventuellement un consentement éclairé des populations et acteurs concernés, à défaut, dans l’absolu, d’obtenir une participation pleine et éclairée, voire une appropriation du projet minier, garante de l’absence de blocages éventuels et donc de sa réussite. On pense ici aux études effectuées en Australie très en amont de toute activité minière (présentées dans la contribution II-5).

18Les craintes, attentes, intérêts, représentations des populations sont pratiques, informés par des expériences passées et influencés par des projections dans le futur. Ils ne s’expriment pas en suivant les découpages sectoriels et disciplinaires habituels (économique, social, environnemental). C’est en ce sens que l’enjeu environnemental s’insère naturellement dans une logique plus large, « socio-environnementale ». L’idée est donc d’établir sur cette base une sorte d’état zéro socio-environnemental à côté des études biologiques/écologiques sur l’impact environnemental, et en dialogue avec elles.

19Ces études devront être menées par des équipes interdisciplinaires d’experts scientifiques et inclure des experts locaux/traditionnels. L’indépendance des équipes fournissant ces études vis-à-vis des intérêts des minéraliers semble une condition importante pour permettre un consentement éclairé de la part de toutes les parties concernées.

5. Mesures de compensation socio-environnementale

20La question des compensations monétaires et non-monétaires ne doit pas être oblitérée, notamment dans les échanges impliquant les acteurs sectoriels et locaux. Il est toutefois difficile à ce stade d’être précis et de proposer des options opérationnelles étant donné la faiblesse des connaissances sur les milieux concernés et a fortiori sur les impacts socio-environnementaux possibles d’une activité minière sous-marine.

21On peut toutefois noter que la question de la compensation représente typiquement un enjeu de débat sur les frontières entre l’environnemental et le social. Les réflexions menées actuellement, souvent sans grande coordination, par les administrations publiques, les opérateurs miniers, les populations locales et/ou autochtones et les ONG internationales, s’inscrivent dans la séquence désormais classique « éviter, restaurer, compenser ». Elles se focalisent sur la construction d’un indice synthétique permettant de classer les écosystèmes et ensuite d’évaluer les compensations correspondant à leur destruction (Le Meur & Levacher, 2015). Ces indices sont souvent assez pauvres, basés sur des critères de diversité et de rareté des espèces animales et végétales, et incapables d’intégrer les éléments constitutifs du fonctionnement des écosystèmes.

22La notion de compensation a par ailleurs une longue histoire dans le Pacifique et elle a fait l’objet d’une abondante littérature, en particulier anthropologique (Filer, 1999 ; Kirsch, 2001), qui insiste sur sa dimension sociale et son insertion dans des logiques de réciprocité et d’échanges.

23La réflexion sur la politique de compensation à mettre en place dans le cadre de l’exploitation minière sous-marine devra s’efforcer de combiner ces deux dimensions pour proposer une compensation socio-environnementale à la fois juste et pertinente socialement. Elle devra aussi considérer la question de la spatialisation et de la localisation de la compensation. Ceci oblige à insérer la politique minière sous-marine dans le cadre d’une planification spatiale marine.

6. Gouvernance socio-environnementale, planification spatiale marine et soutenabilité

24A ce stade de l’expertise, il nous paraît prématuré d’émettre des recommandations en termes de plan de gestion et de planification spatiale marine. L’étude exploratoire éventuellement menée préciserait les conditions économiques, écologiques et sociales d’une exploitation.

25Toutefois, en Polynésie française, on observe le déploiement de dynamiques impliquant des acteurs variés et portant souvent sur des enjeux environnementaux, voire des dispositifs environnementalistes. Elles prennent la forme de processus de concertation, parfois de participation d’acteurs institutionnels, sectoriels, non-gouvernementaux, locaux, variés. Ces processus sont par exemple à l’œuvre dans le cas de l’AMP des Marquises, comme dans celui de la biosphère de la commune de Fakarava. Ils doivent permettre d’aboutir à un zonage de la ZEE en tenant compte de nombreux facteurs environnementaux, sociaux, culturels et économiques.

26Il nous semble toutefois que les facteurs à prendre en compte dans les démarches précitées, sont insuffisamment précis et exhaustifs. Cette démarche, en l’état actuel des connaissances, a certes abouti aux Marquises, à un macro-zonage, mais les informations collectées tant d’un point de vue écologique qu’humain et culturel, sont insuffisantes pour proposer un schéma directeur qui satisfasse notamment les acteurs institutionnels et les possibles sources de financement publics, nationaux et européens.

27On a vu que les impacts environnementaux des projets miniers doivent être pris en compte, évalués et compensés dans une perspective plus large, socio-environnementale. Ceci invite à considérer les questions socio-environnementales dans le cadre d’une orientation, à préciser, de type développement durable, posant de manière claire la question de la soutenabilité qui, on l’a vu (voir contribution I-6), s’organise autour d’une tension entre version faible (les formes de capitaux sont substituables) et version forte (tout n’est pas substituable : on peut par exemple estimer que certains écosystèmes, certaines espèces rares ou encore des formes immatérielles, culturelles par exemple, ne sont pas remplaçables). On peut très bien jouer sur des « effets de seuil » pour délimiter les domaines de acceptions « fortes » et « faibles » de la substituabilité, sachant que le choix de l’exploitation minière valide mécaniquement l’option faible, via les politiques de compensation.

28Pour aller dans ce sens, il faut prendre en compte dans les évaluations des impacts socio-environnementaux l’ensemble des valeurs attachées aux espaces concernés, au-delà de la seule valeur économique de la ressource extraite. Les coûts associés à la compensation et à la restauration permettent d’intégrer de manière indirecte et très rustique des valeurs de non usage (valeur d’option, d’héritage), mais cette conversion comptable, utile techniquement, est insuffisante. Il est essentiel de passer d’une logique d’évaluation monétaire à une logique de négociation politique et de reconnaissance de la diversité des valeurs et des acteurs. Pour ce faire, il faut ouvrir des espaces de débat et de participation pour traiter ces enjeux dans le cadre d’une politique publique mobilisant par exemple les outils de la planification spatiale marine et permettant de définir une géographie concertée de la mine et de l’environnement.

Bibliographie

Bibliographie

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Kirsch S., 2001 – Property effects. Social networks and compensation claims in Melanesia, Social Anthropology 9 (2): 147-163. Levacher C et Le Meur P.Y., 2015 – Governmentality, politics, and mining compensation in New Caledonia. 10th EsFO Conference ‘Europe and the Pacific’, Working Session 3 “Land, resources and state formation”, 24-27 June 2015, Brussels.

O'faircheallaigh C., 2010 – Public participation and environmental impact assessment: Purposes, implications, and lessons for public policy making, Environmental Impact Assessment Review 30: 19–27.

Morgan R.K., 2012 – Environmental impact assessment: the state of the art, Impact Assessment and Project Appraisal 30 (1): 5-14.

Auteurs

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