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Les ressources minérales profondes en Polynésie française / Deep-sea mineral resources in French Polynesia

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Pierre-Yves Le Meur
, 
Pierre Cochonat
, 
Carine David
, 
et al.

III. Synthèse

2. Connaissance de la ressource et des milieux : une approche plurielle

Texte intégral

1La connaissance du patrimoine minéral marin profond de la Polynésie française est bien sûr un préalable à toute décision d’exploitation. Cette connaissance relève de la première phase du projet minier, celle des campagnes d’exploration régionale, qui font souvent partie d’études scientifiques sans lien direct avec les ressources minérales. Cinq autres phases au total seront encore nécessaires pour arriver au stade de l’exploitation, sachant que le projet peut être abandonné à la fin de chacune d’entre elles si les perspectives de rentabilité sont insuffisantes pour l’investisseur qui développerait un projet.

2Dans cette section, nous présenterons l’état des connaissances en la matière, dans l’objectif d’orienter les décisions en matière de production des connaissances et de campagnes d’exploration dont les enjeux sont exposés dans la quatrième partie de ce rapport. La présentation de l’état de la ressource et des connaissances actuelles ne se réduira pas à ses dimensions géologiques et économiques. Elle portera aussi sur les représentations polynésiennes de la ressource et de l’environnement dans lequel cette ressource s’insère, ainsi que sur les connaissances des milieux et des écosystèmes qui lui sont liés.

3La reconnaissance de l’ensemble des dimensions de l’enjeu minier sous-marin, incluant la dimension culturelle, rend possible la construction d’une politique minière sous-marine originale, adaptée aux réalités du pays. Les choix effectués en matière de dispositifs (création d’une autorité minière spécifique, par exemple) et de découpages institutionnels (par exemple : la création d’une agence marine intégrant l’enjeu minier versus le maintien de politiques sectorielles : mine, pêche, environnement…) pourront se nourrir de cette reconnaissance plurielle. Elle passe donc par un état des connaissances, connaissances multiples du point de vue des disciplines mobilisées et des acteurs détenteurs de savoirs.

Croiser les différentes connaissances et représentations de la ressource et des milieux

  • 18 Une ressource minérale est une concentration ou une occurrence d’une substance solide d’intérêt éc (...)
  • 19 Les réserves minérales désignent la partie économiquement exploitable des ressources minérales mes (...)

4Les représentations (normes, savoirs, valeurs) des différents acteurs jouent un rôle essentiel dans la construction d’une politique publique autour des ressources minérales maritimes profondes. En effet, la valeur de la ressource fait l’objet de lectures multiples, parfois contradictoires : le minéral est à l’origine de la vision polynésienne du monde, il a également une valeur potentielle du point de vue économique et environnemental. Les travaux d’exploration permettent de caractériser les types de formations minérales, et d’acquérir les informations précises nécessaires pour estimer avec justesse les teneurs, la composition, la géométrie (épaisseur, distribution des teneurs…) des minéralisations, afin d’aboutir à un calcul de ressources, selon la norme NI 43-10118. La dimension économique est déjà présente dans la définition des ressources et joue un rôle essentiel dans la définition au sein de ces ressources de ce qui est qualifié de « réserves »19.

5Les différences entre les enjeux perçus par les différents acteurs tiennent alors une place d’autant plus importante que l’information concernant les ressources est partielle, que les facteurs économiques et environnementaux sont incertains, et que les règles concernant la répartition de la rente minière entre les différents acteurs ne sont pas définies. Ainsi, la valeur attribuée à une ressource minière par les différents acteurs concernés par un projet minier va résulter de la confrontation de ces différents niveaux d’analyse.

6Les conditions de réussite d’un projet minier renvoient donc, au-delà même du critère du profit, non seulement à l’existence d’un gisement, à la disponibilité des savoir-faire et technologies, à l’accès aux financements, mais aussi à l’adhésion de l’ensemble des parties prenantes concernées et donc à la prise en compte de leurs savoirs, valeurs, intérêts et représentations.

L’état des connaissances géologiques du patrimoine minéral sous-marin

7Notre connaissance du patrimoine minéral sous-marin de la Polynésie française est très limitée, tant en termes de couverture globale de la ZEE que de qualité de l’information disponible. L’exploration de la ZEE a été conduite très partiellement lors du programme Zepolyf avec les moyens de l’époque dans les années 1990 (Bonneville et Sichoix, 1998). Des informations récoltées lors des campagnes Nodules et Nodco dans les années 1970-1980 avaient révélé des indices favorables de l’existence en Polynésie française d’un potentiel minéral intéressant. Parmi ces découvertes, la plus notable est celle de la richesse exceptionnelle en cobalt d’encroûtements polymétalliques observés sur des reliefs sous-marins du plateau des Tuamotu principalement à des profondeurs allant de 800 à 2 500 m. (Bonneville, 2002 ; Bougault et Saget, 2011 ; Fouquet et Lacroix, 2012). Ces encroûtements restent parmi les plus concentrés en cobalt connus sur le plancher océanique à l’échelle mondiale. D’autres indices suggèrent la présence de nodules polymétalliques qui pourraient être abondants sur les plaines abyssales au nord-ouest de la ZEE (Hein et al., 2015). Toutefois, à l’heure actuelle, il est impossible de dire avec certitude si des métaux d’intérêt peuvent être extraits de manière acceptable, tant du point de vue économique qu’environnemental, et donc si ce potentiel minéral pourrait constituer une ressource. Beaucoup de recherche et d’exploration marines seront nécessaires avant d’établir leur statut de ressources.

8Quatre principaux types de ressources sont connus sur le plancher océanique. Ces ressources minérales marines profondes se déclinent en :

  • boues enrichies en terres rares ou en d’autres métaux ;
  • amas sulfurés sous-marins ;
  • nodules polymétalliques ;
  • encroûtements polymétalliques.

9Dans la ZEE de la Polynésie française, ce sont les encroûtements cobaltifères et, à un moindre degré, les nodules polymétalliques qui apparaissent aujourd’hui les plus intéressants.

10En outre, des gisements divers sont exploités dans les eaux côtières peu profondes : phosphates, diamants, accumulations de minéraux lourds. Ils se situent en dehors du périmètre de cette expertise, sauf le phosphate dont la présence sous forme de phosphorite dans le substratum des encroûtements cobaltifères a été constatée (Pichocki et Hoffert, 1987).

Terres rares

  • 20 Sondage 597 A, situé à l’est des îles Gambier, en dehors des limites de la ZEE de Polynésie frança (...)

11Le buzz autour de la publication de l’article de Kato et al. (2011) est probablement en grande partie injustifié. Ces auteurs ont signalé des concentrations de terres rares dans les boues échantillonnées sur de nombreuses régions de l’océan Pacifique, et ils ont conclu que ce matériel représente une source potentielle importante de ces métaux. L’examen des données publiées par Kato et al. montre une grande hétérogénéité des teneurs en terres rares observées dans les 78 forages réalisés. En effet, la somme des terres rares contenues en moyenne dans un forage varie entre moins de 250 g/t et 2 228 g/t20. Ces teneurs sont très modestes par rapport à celles observées dans de nombreux gisements « à terre ».

12Dans ces conditions, en l’état actuel des connaissances disponibles, il est peu probable qu’un investisseur se manifeste pour chercher à développer l’exploitation des terres rares contenues dans les boues sédimentaires.

13Cependant, les gouvernements chinois, japonais ou coréen pourraient être disposés à exploiter les terres rares à perte, le premier pour protéger son monopole, les deux autres pour échapper au monopole du premier.

Amas sulfurés sous-marins

  • 21 Un système hydrothermal se forme quand de l’eau chaude circule à travers les roches de la croûte. (...)

14Des gisements de sulfures massifs sous-marins sont situés dans des bassins d’arrière-arc ou bien dans la croûte océanique volcanique, associés soit à des dorsales médio-océaniques, soit à des zones de subduction en arcs insulaires (Dyment et al., 2014). Les principaux métaux dans des gisements de sulfures massifs sous-marins sont le cuivre et l’or, avec des quantités moins importantes de zinc et d’argent. Les projets d’exploitation de ceux-ci sont beaucoup plus avancés que ceux des autres ressources sous-marines. La société canadienne Nautilus Minerals a exploré dans la mer de Bismarck à l’ouest de la Papouasie-Nouvelle-Guinée depuis plus de 10 ans et, en dépit de nombreuses difficultés, elle prévoit de commencer l’exploitation du gisement de Solwara-1 en 2018. Produire une grande quantité de sulfures nécessite un système hydrothermal21 de longue durée (plusieurs millions à plusieurs centaines de millions d’années), tel qu’il existe au niveau des dorsales médio-océaniques ou marges convergentes ; de tels systèmes sont éphémères sur les îles volcaniques ou les monts sous-marins et les précipités de sulfure n’y existent qu’en quantités infimes.

15La totalité de la ZEE de la Polynésie française se situe dans un contexte intra-plaque et, par conséquent, n’a pas les conditions requises pour la formation de gisements importants de ce type.

Nodules polymétalliques

16Ce sont des concrétions de roches composées essentiellement de couches concentriques d’oxydes/hydroxydes de fer et de manganèse. On les trouve en grandes concentrations sur la surface des plaines abyssales, recouverts de sédiments, à des profondeurs d’eau d’environ 3 500 à 6 500 m. Les nodules polymétalliques sont enrichis en métaux qui sont, par ordre d’importance en termes de proportion : le manganèse, le nickel, le cuivre, le cobalt, le molybdène et les terres rares. Le manganèse ajoute considérablement à la valeur totale de la minéralisation. La région la plus favorable connue à ce jour est la zone encadrée par les fractures de Clarion et de Clipperton dans le Pacifique centre-est, où l’Agence internationale des fonds marins a délivré 14 permis d’exploration à de nombreux pays : 18 au total, dont la France. L’existence de ce type de ressource en Polynésie française est indiquée par l’exploration menée à la périphérie de la ZEE (SPC-EU EDF10 Deep Sea Minerals (DSM) Project, Brochure 6) et décrite par Hein et al. (2015).

17Une forte abondance de nodules est signalée dans la ZEE des îles Cook, dans la partie ouest de la ZEE de la Polynésie française et principalement hors ZEE en eaux internationales.

Encroûtements polymétalliques

18Ce sont des couches d’oxydes de fer et de manganèse, enrichies en métaux comme le cobalt, le titane, le nickel, le platine et les terres rares, qui se forment sur un substrat volcanique ou sédimentaire sur le plancher océanique (photo 1). Épaisses de quelques centimètres jusqu’à 25 cm (2 à 10 cm en moyenne), ces formations sont associées aux volcans intra-plaques, aux monts sous-marins isolés, aux alignements volcaniques et aux plateformes volcaniques ou carbonatées. Elles se trouvent à des profondeurs d’eau allant de 400 à 4 000 m et peuvent couvrir des surfaces du plancher océanique de plusieurs kilomètres carrés à des centaines de kilomètres carrés. Leur répartition est liée à leur mode de formation et elles se trouvent principalement sur les parties très anciennes du plancher océanique dans des endroits où le taux de sédimentation est faible, voire quasi nul, le plus souvent sur des reliefs qui s’élèvent d’au moins 1 000 m au-dessus du plancher océanique.

19Certaines parties de la ZEE de Polynésie française sont très prometteuses pour ce type de ressource, mais les données manquent pour permettre des calculs précis, comme l’indiquent Dyment et al. (2014).

20Notre évaluation de la valeur potentielle des encroûtements polymétalliques en Polynésie française repose sur trois critères : âge, profondeur, pente. Selon Hein et al. (2013), les encroûtements se forment à des vitesses de 1 à 6 mm par million d’années à des profondeurs comprises entre 400 m et 4 000 m dans des zones de faible sédimentation. Ils sont donc potentiellement plus épais – et donc plus prometteurs – sur des structures plus anciennes. On peut a priori considérer que plus faibles seront la profondeur et la pente, plus facile sera l’exploitation. Au-dessus de 800 m, la productivité biologique augmente la sédimentation. Au-dessous de 2 500 m, les encroûtements sont moins abondants et plus difficiles à exploiter. Nous avons donc considéré une gamme de profondeurs plus restreinte, de 800 à 2 500 m pour déterminer les zones favorables. Dans cette gamme de profondeur, les reliefs les plus favorables sont le plateau des Tuamotu, les Australes et, à un moindre degré, la chaîne des monts sous-marins Tarava, au sud-ouest des îles de la Société, celle-ci présentant des reliefs moins étendus. Si l’on élimine les zones trop pentues (plus difficiles à exploiter), ce sont les Tuamotu et les Australes qui apparaissent les plus prometteuses. L’âge des unités volcaniques et la durée de l’érosion après l’arrêt de l’activité volcanique permettent d’affiner le diagnostic et de conclure qu’en l’état actuel des connaissances (elles concernent surtout la zone de Kaukura, du plateau de l’archipel des Tuamotu (Martel-Jeantin et al., 2001 ; Bonneville, 2002 ; Bougault et Saget, 2011) et des monts Tarava), les reliefs submergés les plus anciens de la ZEE de Polynésie française les plus susceptibles d’être couverts par de grandes surfaces d’encroûtements cobaltifères épais se trouvent sur les parties sud-ouest et nord-est du plateau des Tuamotu. Les reliefs des Marquises sont en revanche trop jeunes pour avoir développé des encroûtements épais et les surfaces sont trop pentues pour permettre une exploitation facile

  • 22 Voir coordonnées exactes sur le site : http://expeditions.mnhn.fr/campaign/tarasoc/event/DW3352?ar (...)

Photo 1. Contenu d’une drague remontée lors de la campagne Tarasoc montrant les roches à encroûtements polymétalliques, 600-850 m de profondeur, sud-ouest de Kaukura22.
© IRD-MNHN/S. Samadi

21Le croisement des critères d’âge, de profondeur, de pente et de surfaces potentiellement intéressantes permettent d’avancer que ce sont les encroûtements polymétalliques qui présentent le potentiel le plus intéressant en matière de formations minérales sous-marines et que les lieux les plus prometteurs se situent dans les zones nord-est et sud-ouest du plateau des Tuamotu. Ces critères devront être croisés avec d’autres paramètres, portant sur les écosystèmes (vulnérabilité, résilience, rareté) et les usages de ces espaces (voir infra).

Les enjeux de l’expansion de la ZEE

22Si le programme Extraplac (Programme français d’extension du plateau continental) est chargé d’instruire juridiquement les dossiers de demande d’extension du plateau continental, il offre aussi l’opportunité de produire des données nouvelles et contribue ainsi à la définition d’une stratégie d’inventaire des ressources potentielles de la ZEE et de son extension (voir I-4). Cette stratégie se développera nécessairement dans le cadre de programmes de recherche futurs, car l’aspect ressource minérale est indissociable de l’exploration scientifique et multidisciplinaire des grands fonds océaniques, comme cela a été rappelé à maintes reprises (Dyment et al., 2014).

23Le dossier Polynésie est le dernier en cours de préparation. À la suite de l’étude théorique concernant la Polynésie française, il a été jugé nécessaire d’acquérir des données bathymétriques récentes et complémentaires sur des localisations clés. Une première campagne géophysique nommée Polyplac s’est déroulée en 2012 dans une zone située au sud-est des îles Marquises. Une seconde campagne, Polyplac 2, a été conduite en avril/mai 2015 dans la zone située à l’est des Tuamotu. À ces deux zones s’en ajoute une troisième à l’est des Australes, qui a également été jugée pertinente pour une demande de délimitation du plateau continental. À la suite de la seconde campagne géophysique et en exploitant également les données existantes, le dépôt du dossier de demande de délimitation du plateau continental pour la Polynésie française pour les trois zones évaluées comme les plus pertinentes, toutes situées dans la partie orientale de la ZEE, pourra être envisagé à l’horizon 2016. Cependant, il ne peut pas être escompté un examen du dossier avant plusieurs années, du fait de la liste d’attente actuelle des dossiers reçus par la Commission des limites du plateau continental (CLPC). Il s’agira d’apporter les éléments en matière d’évaluation des ressources et de préservation des environnements.

24Un tel projet pourrait se positionner comme une action de service public post-Extraplac.

Écosystèmes et milieux environnant la ressource

25La connaissance géologique de la ressource doit être contextualisée et ce de deux manières : d’une part, en la situant dans les milieux et les écosystèmes marins qui se sont développés à proximité d’elle (voir IV-1 et IV-2) ; d’autre part, en l’abordant du point de vue des représentations culturelles de l’environnement marin (voir I-1).

  • 23 Voir définition complète dans la contribution glossaire.

26L’espace maritime concerné par l’exploration des ressources minérales profondes en Polynésie française est vaste. Les ressources potentielles identifiées sont les encroûtements cobaltifères (les nodules polymétalliques à un moindre degré), qui se forment sur des reliefs sous-marins tels que des plateaux ou des sommets de guyots (monts sous-marins d’origine volcanique présentant un sommet aplati)23. L’épaisseur des encroûtements reste à préciser, mais l’exploitation peut potentiellement concerner des surfaces considérables. Une caractéristique importante des environnements marins est l’interdépendance entre compartiments éloignés verticalement (le long de la colonne d’eau) et horizontalement (entre sites distants). Ces couplages résultent, d’une part, des cycles de vie des organismes, qui peuvent inclure des phases dans différents compartiments le long de la colonne d’eau, et, d’autre part, des connexions trophiques entre ces différents compartiments (Shank, 2010 ; voir IV-1).

27Les connaissances sur les organismes et les habitats directement impactés par une exploitation de ces ressources sont quasi nulles en ce qui concerne la Polynésie française et guère plus avancées à l’échelle mondiale. Le peu de données disponibles sont des données naturalistes issues des campagnes d’exploration françaises déployées depuis une quarantaine d’années dans le sud-ouest du Pacifique (Bouchet et al., 2008). Ces données apportent des connaissances sur la diversité des organismes, mais peu d’éléments sur l’écologie et le fonctionnement des écosystèmes. Le peu de résultats disponibles suggère que la faune benthique profonde, à l’instar des faunes et flores récifales de Polynésie française, est relativement moins diversifiée que celles du triangle d’or de la diversité marine centrée sur l’Indonésie et la Papouasie ; toutefois, elle présente une proportion plus grande d’espèces endémiques.

  • 24 Organismes pélagiques : vivant en pleine mer, dans la partie supérieure de la colonne d’eau.
  • 25 Invertébrés benthiques : vivant dans la partie inférieure de la colonne d’eau, sur les grands fond (...)

28Les reliefs sous-marins sont cependant bien connus des pêcheurs, car ils correspondent à des zones de concentration des organismes pélagiques24 et des prédateurs. L’écologie des grands vertébrés marins – oiseaux, mammifères et poissons – est mieux documentée que celles des invertébrés benthiques25. Nombre de ces pélagiques se déplacent en fonction des saisons et des stades de leur cycle de vie sur de vastes espaces maritimes pouvant aller pour certains, des eaux froides au sud de la Nouvelle-Zélande, jusqu’à l’archipel des Marquises.

29Pour la faune benthique, même si les données écologiques sont plus rares, la biologie des organismes implique le plus souvent une phase mobile pélagique permettant la dispersion entre habitats distants favorables (Shank, 2010). Une partie de la faune benthique associée aux reliefs sous-marins sur lesquels les encroûtements sont susceptibles de se former est fixée ou peu mobile au stade adulte (éponges, coraux, gorgones, etc.). La plupart de ces organismes ont une grande longévité et jouent un rôle d’architectes dans les écosystèmes (Samadi et al., 2007). Cette longévité est permise par la stabilité des structures qui est également un des facteurs permettant la formation des encroûtements. Le peu de données disponibles (Schlacher et al., 2014) ne permet pas d’exclure que les faunes associées aux encroûtements soient différentes de celles associées aux reliefs non encroûtés. La réponse à cette question est déterminante pour proposer un plan de gestion et de protection des faunes profondes impactées par une potentielle exploitation.

Représentations polynésiennes de la ressource et du milieu

30L’approche culturelle de la ressource enrichit le référentiel et donc le « récit de politique publique » dans lequel un projet minier sous-marin pourrait s’inscrire (voir I-1).

31L’intérêt est double. D’une part, dans la mesure où l’on se situe en amont de toute exploitation, il est possible d’élaborer une stratégie minière sous-marine originale qui soit adaptée aux réalités du pays. D’autre part, la prise en compte des représentations et pratiques culturelles de l’environnement abritant la ressource aidera à mieux saisir et anticiper les réactions des populations concernées. L’objectif est que l’exploitation minière soit utile au développement du territoire.

32Le rapport nature-culture en Polynésie est conçu comme un rapport généalogique, en vertu d’un principe de continuité où les dieux et les humains sont généalogiquement liés à la nature, qui inclut l’univers minéral, (voir I-1). Le minéral, le végétal peuvent être considérés comme une extension de la parentèle ou comme une manifestation du divin dans le monde visible. C’est en ce sens que l’extraction des ressources minérales ne relève pas seulement d’un processus industriel, mais aussi d’un désenchâssement culturel.

33La reconnaissance du caractère culturellement marqué ou « habité » de l’espace marin constitue un préalable essentiel au développement de toute activité risquant d’affecter ce milieu.

34Il est également essentiel dans ce contexte de prendre en compte la politique des identités et de reconnaissance culturelle très active en Polynésie française depuis deux décennies environ (Saura, 2009) pour mieux comprendre et peut-être anticiper la manière dont le développement possible d’une nouvelle activité affectant l’environnement peut être reçu et éventuellement repris dans les arènes politiques locales. Ce registre, qui est celui de la mobilisation active de l’identité et de la culture, diffère de celui, plus quotidien, des représentations et pratiques culturelles individuelles et collectives portant sur l’environnement et reproduisant le continuum nature/culture polynésien.

35Du point de vue de l’enjeu minier sous-marin, comprendre la manière dont l’environnement marin dans ses différentes composantes (humaines et non humaines) s’inscrit dans un continuum culturellement construit, aidera à mieux saisir, voire à anticiper les réactions des groupes d’acteurs concernés, face à un possible développement minier sous-marin. Il ne s’agit pas ici seulement des conflits d’usage potentiels sur les espaces concernés, mais éventuellement de conflits de représentations. Sur ce plan, il faut prendre en compte l’hétérogénéité des positionnements individuels et collectifs : savoirs et représentations culturelles ne sont pas distribués de manière homogène et ils peuvent être instrumentalisés politiquement.

Notes

18 Une ressource minérale est une concentration ou une occurrence d’une substance solide d’intérêt économique sur/dans l’écorce terrestre, dans une forme, teneur ou qualité telle qu’elle présente des perspectives raisonnables d’extraction économique (voir glossaire pour plus de détails).
Cette définition simple, qui a cours dans le secteur minier et les instances internationales, a été contestée et enrichie dans le champ de sciences sociales, par des économistes, des géographes ou des anthropologues, qui mettent en avant le caractère relationnel et socialement construit, via différents processus idéels, pratiques, marchands, technologiques de la notion de ressource, par opposition à la « matière » qui serait naturelle (par exemple STRANG, 1997 ; BRIDGE, 2014).

19 Les réserves minérales désignent la partie économiquement exploitable des ressources minérales mesurées ou indiquées (voir glossaire pour plus de détails).

20 Sondage 597 A, situé à l’est des îles Gambier, en dehors des limites de la ZEE de Polynésie française, coordonnées du sondage : 18°48.43’S, 129°46.22’W.

21 Un système hydrothermal se forme quand de l’eau chaude circule à travers les roches de la croûte. Dans les bassins océaniques, l’eau de mer pénètre dans la croûte, puis sort sur le plancher océanique, formant des sources hydrothermales appelées fumeurs noirs. La précipitation de sulfures peut alors produire des dépôts de minerai (amas sulfurés).

22 Voir coordonnées exactes sur le site : http://expeditions.mnhn.fr/campaign/tarasoc/event/DW3352?area=1

23 Voir définition complète dans la contribution glossaire.

24 Organismes pélagiques : vivant en pleine mer, dans la partie supérieure de la colonne d’eau.

25 Invertébrés benthiques : vivant dans la partie inférieure de la colonne d’eau, sur les grands fonds.

Table des illustrations

Légende Photo 1. Contenu d’une drague remontée lors de la campagne Tarasoc montrant les roches à encroûtements polymétalliques, 600-850 m de profondeur, sud-ouest de Kaukura22.© IRD-MNHN/S. Samadi
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