La lutte contre les moustiques
p. 69-108
Texte intégral
1Les insecticides d’origine végétale comme le pyrèthre, la roténone ou la nicotine ont été pendant longtemps les seules substances utilisées par les hommes pour se défendre contre les insectes nuisibles. Il fallut attendre le milieu du XXe siècle pour qu’apparaissent sur le marché mondial les premiers insecticides de synthèse. Si, de nos jours encore, la lutte contre les moustiques demeure l’une des principales méthodes de prévention collective, les stratégies modernes de lutte antivectorielle doivent désormais prévenir les risques de résistances aux insecticides, faire face à la diversité toujours plus grande des situations écologiques et anticiper les conséquences possibles du changement climatique sur une nouvelle et plus large distribution des espèces culicidiennes. Nous avons vu que l’homme offre aux moustiques toutes les chances de proliférer. Voyons maintenant quelles sont les stratégies de lutte capables de limiter efficacement ces pullulations, désormais fréquentes dans les villes et les campagnes.
LES GRANDES CAMPAGNES DU PASSÉ
Les actions de lutte centrées sur l’assèchement des zones humides
2La lutte contre les moustiques est devenue un concept trop général, et de ce fait difficile à cerner. Au cours des siècles d’âpres combats contre cet ennemi, les hommes ont inventé mille manières de le détruire. Aujourd’hui, quand les entomologistes parlent de lutte contre les moustiques, ce sont les termes « insecticides », « lutte biologique » et « protection de l’environnement » qui viennent à l’esprit. Les insecticides sont assurément les molécules de synthèse les plus utilisées au monde et, même s'ils ne représentent pas une solution miracle au problème que posent les insectes en général, ils ont été et demeurent une arme de choix. Mais, avant l’avènement des insecticides de synthèse, les hommes avaient compris que, puisque les stades larvaires des moustiques prennent place dans l’eau, il était alors possible de réduire les densités agressives de ces derniers en détruisant physiquement les gîtes de ponte et de vie des larves. En témoigne l’histoire de l’assèchement des marais Pontins. Situés au sud de Rome, les marais Pontins ont de tout temps été victimes du paludisme. Dans la Rome antique, Jules César avait voulu détourner le cours du Tibre pour noyer le marais sous ses eaux, mais il mourut avant de réaliser son projet. Par la suite, certains empereurs envisagèrent au contraire l’assèchement de la zone marécageuse. Bien des siècles plus tard, Napoléon Bonaparte eut à son tour la même ambition, mais les études menées de 1805 à 1812 restèrent lettre morte, les guerres menées par l’Empereur ayant littéralement absorbé toutes les ressources financières. En 1899, les autorités italiennes rassemblèrent des fonds pour assainir la région, mais ce fut finalement sous l’administration de Benito Mussolini que les 20 000 hectares de marais furent asséchés et mis en culture. Le drainage des eaux sur une région aussi vaste que les marais Pontins fut à l’origine de la construction des villes de Latina et de Terracina.
3En France, l’endémie palustre a longtemps sévi dans la région parisienne, à Strasbourg et ses alentours, en Sologne, dans le Marais poitevin, dans les Landes, dans le Morbihan, en Camargue et en Corse. En 1810, un savant naturaliste issu d’une vieille famille agenaise, Jean Florimond Boudon de Saint-Amans, entreprit la traversée des Landes comme s’il s’en était allé en expédition dans un pays lointain (Saint-Amans, 1818). Les Landes de Gascogne souffraient d’une bien mauvaise réputation. Elles renvoyaient l’image d’un pays inculte, recouvert de sable, de bruyère et de marécages qui s’étendaient à perte de vue. Les géographes s’obstinaient à imaginer en son centre une chaîne de montagnes. Le premier travail de Saint-Amans fut d’aller vérifier la topographie des lieux. Il y trouva des étendues sableuses et desséchées, des marécages et des tourbières gorgées d’eau, mais point de massif montagneux. La région était certes réputée insalubre, mais ce que vit Saint-Amans dépassait ce qu’il pouvait attendre. « Les hommes sont petits et maigres, les femmes noires et laides, les enfants pâles et bouffis. Ce peuple, au premier coup d’œil, paraît bon, mais triste », écrivait l’explorateur. Pour Saint-Amans, les eaux des marécages, où pullulaient les moustiques, étaient à l’origine de tous ces maux. Il écrit : « Le moyen de remédier à ces inconvénients d’une manière aussi prompte qu’efficace […] d’y ouvrir beaucoup de ces larges fossés, nommés “crastes” en langage du pays. Ces crastes, dirigées dans un système général, bien entretenues, conduites avec intelligence, sur les pentes et les lits des ruisseaux, serviraient de dégorgeoirs aux eaux, et délivreraient la contrée de tous les maux qu’elles produisent. » Avec ses seules facultés d’observation et de déduction, Saint-Amans avait ébauché en quelques lignes le plan des actions d’assainissement qui allaient, plus tard, délivrer le territoire des Landes du fardeau du paludisme. En juin 1788, Nicolas Brémontier, ingénieur des Ponts et Chaussées, eut l’idée d’arrêter l’avancée des dunes à l’intérieur des terres en y ensemençant des plantations de pins maritimes. De 1834 à 1857, François Jules Hilaire Chambrelent, lui aussi ingénieur des Ponts et Chaussées, s'attaqua plus spécifiquement au problème des marécages en creusant des fossés destinés à drainer les eaux de pluie vers une myriade de petits lacs. Les surfaces ainsi drainées profitèrent aux pins maritimes qui devinrent très vite plus vigoureux. Enthousiasmé par la transformation de la lande rendue salubre par ces actions d’assainissement des sols, Napoléon III décida du boisement de toute la région. En 1867, 90 000 hectares d’espaces sableux étaient plantés de pins maritimes, tandis que 3 000 hectares de dunes littorales étaient couverts d’oyats et de genêts. Ainsi au fil des années, la lande s’est transformée en une immense forêt. Tout un réseau de routes et de voies ferrées fut construit, ce qui favorisa les échanges et le travail. La vie rurale, jusque-là tournée vers l’élevage des moutons, s’orienta naturellement vers l'exploitation de la forêt. La forêt des Landes de Gascogne est aujourd’hui le plus grand massif de résineux d’Europe, avec une superficie de plus d’un million d’hectares.
Les grandes campagnes d’éradication du paludisme
4Au début du XXe siècle, le paludisme était encore présent dans presque tous les pays, y compris en Europe et en Amérique du Nord. De nos jours encore, cette endémie provoque de un à trois millions de décès dans le monde, dont les trois quarts d’enfants de moins de cinq ans. Avant la découverte des cinq espèces de Plasmodium responsables de la maladie, les mesures de prophylaxie se limitaient au traitement des fièvres par la quinine. À la fin du XIXe siècle, les découvertes d’Alphonse Laveran et de Ronald Ross permirent de lutter simultanément contre le parasite et son vecteur, l’anophèle. Les mesures de lutte antivectorielle ont longtemps reposé sur l’assèchement des régions marécageuses où pondent les anophèles. Ainsi, durant le premier quart du XXe siècle, les premiers grands travaux de drainage et d’assèchement des zones humides furent entrepris dans les pays économiquement développés tels que l’URSS, les États-Unis, l’Italie, la France et la Hollande. En 1911, le traitement des locaux d’habitation et des baraquements militaires avec le pyrèthre fut mené en Éthiopie pour éliminer les moustiques adultes, mais le coût prohibitif de l’insecticide freina son utilisation sur une grande échelle. Dans les pays tropicaux, dont la plupart étaient placés sous domination coloniale, la lutte contre les moustiques se limitait aux centres urbains ayant une importance à la fois politique, économique et militaire. En 1930, les expériences ponctuelles qui avaient été menées jusque-là au niveau mondial amenèrent les entomologistes et les médecins à réfléchir sur la faisabilité de campagnes de démoustication réalisées sur de plus grandes échelles. La Seconde Guerre mondiale mit malheureusement un terme à la réflexion. Peu de temps après la guerre, l’apparition du DDT pour détruire les moustiques et celle de la chloroquine pour lutter contre les plasmodies enrichirent l’arsenal de la lutte contre le paludisme. Un insecticide puissant appuyé par un antipaludique efficace : deux armes essentielles qui furent à l’origine du Programme mondial d’éradication du paludisme décidé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1948. En 1955, les paludologues proposèrent un programme en trois phases. La première, dite d’attaque, consistait en des traitements de masse au DDT pour interrompre la transmission. Au cours de la deuxième phase, dite de surveillance, les malades étaient soignés et les derniers foyers résiduels traités avec du DDT. Enfin la troisième phase, dite de consolidation, prévenait la réintroduction des vecteurs et des parasites.
5En 1959, la campagne d’éradication du paludisme réunissait 70 pays. L’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie furent de ceux qui déployèrent les plus grands moyens financiers et techniques. Par manque d’informations scientifiques sur la bioécologie des anophèles, d’une part, et sur l’action des insecticides disponibles, d’autre part, l’Afrique ne put s’intégrer au programme. Après quinze années de lutte acharnée, l’OMS fut en mesure d’annoncer que le paludisme était éradiqué en Australie, en Europe et en Amérique du Nord, sur certaines îles d’Amérique du Sud, au Japon, en Corée, à Taïwan et dans la partie orientale de l’URSS. Dans les autres pays concernés par le programme, les résultats furent plus mitigés et dépendants de la situation politique, socio-économique et épidémiologique. Sur le continent africain, où la lutte contre les vecteurs était restée limitée à des zones pilotes géographiquement déterminées (encadré 10), la situation de la maladie n’évolua presque pas (Hamon et al., 1959). Cette tentative d’éradication du paludisme en Afrique, pourtant mise en œuvre sur des zones restreintes, a souffert d’être trop généraliste et de ne pas prendre en compte les caractéristiques spécifiques des vecteurs, des parasites et des populations humaines mises à contribution. À l’issue de ces campagnes, un catalogue des erreurs à ne plus commettre fut établi, mais surtout, les entomologistes médicaux et les médecins comprirent que la lutte antivectorielle ne pouvait plus être envisagée de manière généraliste, mais qu’elle devait s’adapter à la région, à la spécificité de ses populations urbaines et villageoises et à la bioécologie locale des moustiques. Forts de ces enseignements, les programmes de lutte antivectorielle bannirent de leur vocabulaire le terme « éradication » pour le remplacer par celui de « contrôle » des moustiques.
Encadré 10
Les zones pilotes en Afrique
Encouragés par le succès du Programme mondial d’éradication du paludisme dans les pays économiquement développés, les paludologues ont pensé qu’il était possible d’éradiquer cette maladie partout sur la planète, exception faite des pays situés au sud du Sahara où les programmes se déroulèrent, par mesure de prudence, au sein de zones pilotes rigoureusement délimitées situées au Libéria, en Haute-Volta (aujourd’hui Burkina Faso), au Cameroun et à Madagascar. Les zones pilotes ont été créées au début des années 1950 pour évaluer dans les zones rurales de savane et de forêt les méthodes de lutte contre le paludisme les plus efficaces et les moins coûteuses. Au niveau du contrôle des vecteurs, les villages ont été traités avec du DDT et de la dieldrine (organochlorés). Les enquêtes parasito-cliniques eurent pour objectif de chiffrer à l’intérieur des périmètres traités et non traités les indices plasmodiques (IP) et spléniques (IS) des populations urbaines et villageoises. Ces indices représentent respectivement les pourcentages des sujets examinés qui présentent des hématozoaires dans le sang (IP) et ceux qui sont porteurs de grosses rates (IS). Les enquêtes entomologiques ont de leur côté cherché à établir les indices sporozoïtiques (s) des anophèles (qui représentent le pourcentage d’anophèles chez lesquels il est retrouvé des sporozoïtes dans les glandes salivaires), tout en chiffrant au mieux leurs densités agressives à l’intérieur et à l’extérieur des habitations. Les enquêtes ont porté également sur les comportements endophiles, exophiles, les préférences trophiques et le suivi de la sensibilité des vecteurs au DDT et à la dieldrine. Dans la zone pilote de Bobo-Dioulasso (sud-ouest de la Haute-Volta), il a été établi que la transmission des paludismes était en grande partie causée par A. gambiae et A. funestus, et secondairement par A. nili. Le DDT modifiant le comportement du moustique en l’éloignant des supports traités, celui-ci se mit à piquer à l’extérieur des habitations. Ce phénomène d’irritabilité de l’insecticide à l’encontre du moustique est appelé « exophilie induite ». La dieldrine a donné des résultats plus encourageants que le DDT, mais des souches d’A. gambiae résistantes à cet insecticide sont rapidement apparues. Au final, et après plusieurs années de traitements intradomiciliaires, l’éradication tant espérée des vecteurs du paludisme dans les zones pilotes est restée un vœu pieux, totalement irréalisable.
Vers l’élaboration de nouvelles stratégies de lutte
6La lutte contre les moustiques est aujourd’hui plus active que jamais, d’autant que des épidémies de dengue et de chikungunya sévissent dans de nombreux endroits de la planète. Les services de santé estiment à deux milliards le nombre de personnes vivant dans la centaine de pays où existe un risque potentiel de transmission de la dengue. En 2005, l’île de la Réunion a été confrontée à une épidémie de chikungunya d’une ampleur exceptionnelle. La persistance d’Ae. albopictus – vecteur de la maladie – et des foyers viraux à la fin de l’hiver austral a fait prendre conscience aux pouvoirs publics que les efforts déployés par les services de démoustication de l’île n’avaient réussi à éliminer efficacement ni le moustique vecteur, ni le virus. Comme l’ont démontré à maintes reprises les expériences du passé, il ne suffit pas de traiter de vastes milieux pour éliminer les moustiques. Il est temps désormais que les scientifiques dirigent efficacement leurs recherches vers l’élaboration de nouvelles stratégies de lutte. Mal utilisés, les insecticides font plus de mal que de bien : ils déciment les abeilles et les prédateurs, tuent un grand nombre de poissons, de reptiles et de petits mammifères. Afin de contrer la résistance des moustiques aux insecticides, il est à la fois normal et logique de penser que si l’on augmente les doses, les insectes finiront par succomber au pouvoir toxique du biocide. Cette logique est singulièrement dangereuse pour l’homme et son environnement, et parfaitement inefficace ! Les doses ne peuvent pas être augmentées indéfiniment, et il est de loin préférable d’utiliser des insecticides nouveaux qui agissent sur des cibles différentes et ne présentent pas de résistance croisée avec les insecticides conventionnels. Ces insecticides de nouvelle génération peuvent-ils être utilisés efficacement en santé publique ? Nous allons maintenant nous pencher sur la nature de ces nouvelles substances et tenter de comprendre pourquoi telle ou telle molécule est plus adaptée pour détruire les larves de moustiques et telle autre, plus apte à éliminer les moustiques adultes.
LA DESTRUCTION OU LE TRAITEMENT DES GÎTES LARVAIRES
7Les premières actions entreprises par l’homme pour limiter la pullulation des moustiques ont consisté, nous l’avons vu à travers les exemples des marais Pontins et des Landes de Gascogne, à assécher les marécages. Certes, l’aménagement des zones humides réduit les densités en moustiques, mais il modifie aussi les habitudes de vie de nombreux animaux. Les premiers à pâtir de ces changements sont les oiseaux migrateurs, qui ne trouvent plus dans ces milieux auparavant riches en nutriments un endroit où nidifier. Une fois les sols drainés et asséchés, les marécages deviennent des terres agricoles ou constructibles, où les moustiques se font plus rares, c’est vrai, mais, en retour, la biodiversité est affectée dans son ensemble. Les ingénieurs ne peuvent de toute façon pas assécher toutes les terres marécageuses, le labeur serait par trop colossal avec des coûts extrêmement élevés. Ne reste donc plus comme alternative que de traiter les milieux où les moustiques prolifèrent avec des insecticides chimiques ou biologiques. Dans les années 1950, le Programme mondial d’éradication du paludisme avait orienté sa campagne de lutte contre les anophèles en traitant toutes les zones humides avec du DDT. Les résultats ne se firent pas attendre, les densités en moustiques chutèrent mais, en même temps, les écotoxicologues eurent la mauvaise surprise de constater que le DDT s’accumulait dans les graisses animales. Le DDT possède une demi-vie de 10 à 20 ans, ce qui signifie qu’un traitement effectué avec cet insecticide ne disparaît des sols et des eaux qu’après de très nombreuses années.
Des traitements désormais plus ciblés
8Le traitement des gîtes larvaires est de nos jours plus spécifique, les opérateurs prenant désormais en compte la nature du milieu et l’espèce de moustique à combattre. On a aujourd’hui intégré l’idée que la lutte contre les larves d’anophèles ne peut être menée que dans certains milieux précis. En savane et en forêt, l’étendue même des territoires ajoutée à la multiplicité des gîtes larvaires (empreintes d’hommes et d’animaux, trous d’eau, mares, flaques…) rend toute opération de lutte larvicide totalement inenvisageable. Seuls certains biotopes bien déterminés comme les milieux insulaires, les marécages, les rizières, les étangs et les abords des lacs peuvent faire l’objet de traitements. À Mayotte et à la Réunion par exemple, les gîtes larvaires à A. gambiae et A. arabiensis ont pendant longtemps été traités avec du téméphos. En milieu urbain, où les gîtes larvaires à C. p. quinquefasciatus sont pour beaucoup localisés dans les caniveaux, les latrines et les puisards, il est plus aisé de les repérer et de les traiter régulièrement. Le problème est plus délicat avec Ae. aegypti et Ae. albopictus, dont les femelles peuvent pondre un peu partout pourvu que les gîtes abritent des eaux calmes et pas trop polluées. La première chose à faire pour limiter la pullulation de ces moustiques serait d’éliminer les petits gîtes qui, bien souvent, résultent uniquement de la négligence humaine. Le service de démoustication de Fort-de- France à la Martinique a initié en 1998 un procédé à la fois simple et efficace capable de limiter les densités agressives d’Ae. aegypti (photo 16). Lors de la fête de la Toussaint, les tombes fleuries par milliers dans les cimetières – et qui dit fleurs, dit vases remplis d’eau – forment un nombre incalculable de gîtes potentiellement colonisables par le moustique. Désormais, les fleurs qui ornent les tombes sont disposées à l’intérieur de vases qui ne sont plus remplis d’eau mais de sable humide. Cette opération est renouvelée chaque année. Les femelles d’Ae. aegypti ne peuvent donc plus pondre dans ces contenants qui, il y a quelques années encore, constituaient autant de collections d’eau propices au bon développement du vecteur de la dengue.
Une lutte chimique qui évolue
L’éviction des larvicides chimiques conventionnels au profit des bio-larvicides
9En ce qui concerne la lutte chimique, le téméphos (organophosphoré) a été ces trente dernières années l’insecticide le plus utilisé pour lutter contre les larves d’Ae. aegypti. À la concentration de 1 mg/l, le téméphos peut être incorporé sans danger pour l’homme dans les jarres et les citernes de stockage des eaux de boisson (OMS, 2009 a). Si Ae. albopictus est resté relativement sensible au téméphos, nombreuses sont les populations d’Ae. aegypti qui lui sont devenues résistantes (Rawlins, 1998 ; Paeporn et al., 2003 ;Marcombe et al., 2009 a). Au cours d’une étude réalisée à la Martinique en 2008, Ae. aegypti a montré des niveaux de résistance particulièrement élevés au téméphos (fig 8). À ce problème de résistance s’est ajoutée, récemment, une contrainte liée à l’homologation de l’insecticide. L’industriel qui fabrique le téméphos n’ayant pas réitéré sa notification dans le cadre des directives européennes, le larvicide ne peut plus être utilisé par les services de démoustication en Europe.
10Ne sont donc plus présentes sur le marché européen que des substances actives en accord avec les directives biocides. Le Bacillus thuringiensis var. israelensis (Bti) est devenu en quelques années le « fer de lance » des opérations de lutte contre les moustiques. Le Bti fabrique des toxines dont l’ingestion est fatale pour les larves – surtout pour celles du genre Aedes – tout en restant inoffensive pour l’homme et la faune non cible. Il est utilisé pour traiter les eaux de boisson à des concentrations comprises entre 1 et 5 mg/l (OMS, 2006 a). Avec l’éviction des organophosphorés du domaine de la santé publique, les services de démoustication en Europe n’ont pas d’autres solutions que d’utiliser prioritairement le Bti. Or, pour agir, le Bti doit être consommé par les larves de moustiques, a contrario du téméphos qui, lui, agit par contact. L’efficacité du Bti dépend aussi de la profondeur des gîtes larvaires, de la nature et de la densité du couvert végétal, de la température et de l’ensoleillement des eaux, de la teneur en matière organique et, enfin, de la sédimentation plus ou moins rapide de ses principes actifs au fond des gîtes. De surcroît, il est efficace sur les jeunes stades larvaires, moins sur les larves de quatrième stade, et pas du tout sur les nymphes. Cette action limitée aux larves impose une vigilance opérationnelle permanente, qui complique singulièrement les opérations de traitement. L’impact financier est énorme, dans la mesure où les traitements doivent être rapprochés dans le temps et les volumes de bouillies épandus plus importants que la plupart des autres préparations élaborées avec des insecticides chimiques. Un autre larvicide d’origine biologique, le Bacillus sphaericus (Bs), se caractérise par la stabilité de ses spores dans les eaux polluées, d’où son utilisation occasionnelle pour limiter les densités agressives de C. p. quinquefasciatus. Le spinosad également a été très étudié ces dix dernières années en laboratoire (Darriet et al., 2005 a ; Romi et al., 2006) et sur le terrain (Darriet et al., 2010 b ; Marcombe et al., 2011 a). Depuis 2007, l’OMS recommande son utilisation pour lutter contre les larves de moustique à des doses comprises entre 0,1 et 0,5 mg/l (OMS, 2007).
Les inhibiteurs de développement des insectes
11Si la plupart des larvicides agissent sur les larves rapidement, il n’en est pas de même des inhibiteurs de développement des insectes, dont les effets létaux se font sentir plusieurs jours après le traitement. Le succès d’une campagne de démoustication s’apprécie par le niveau de destruction des larves et des nymphes 24 à 48 heures après le traitement. Pour les inhibiteurs comme le diflubenzuron, le triflumuron, le novaluron ou le teflubenzuron, qui bloquent la synthèse de la chitine après les mues larvaires, il n’est possible de déceler leur action que trois à cinq jours après leur épandage. Pour les mimétiques de l’hormone juvénile qui agissent sur les nymphes (méthoprène, fenoxycarb et pyriproxyfen), il est même impossible d’évaluer leur action sur le terrain sans recourir à des bio-essais en laboratoire. La cyromazine, qui appartient à la famille chimique des aminotriazines, possède une action sur la sclérification de la cuticule après les mues larvaires et une autre, pas totalement élucidée, sur l’ADN contenu dans le noyau des cellules. Cette double action, centrée à la fois sur la cuticule et sur le matériel génétique de l’insecte, fait de la cyromazine un larvicide singulier qui mériterait d’être davantage étudié ; de surcroît, cette molécule ne montre pas de résistance croisée avec les insecticides organophosphorés, carbamates et pyréthrinoïdes (Darriet et al., 2008). Efficaces dans l’absolu, les inhibiteurs de croissance des insectes ne sont que peu ou pas utilisés par les services de démoustication, car les échecs éventuels des traitements ne se font sentir que trop tardivement et rendent de ce fait tout effort de lutte onéreux et aléatoire. De plus, dans des milieux aussi complexes biologiquement que le sont les marécages, les rizières, les étangs et les lagunes, beaucoup de ces larvicides se révèlent trop toxiques vis-à-vis de la faune non cible, et en particulier des crustacés (daphnies, crevettes) et des insectes prédateurs (nèpes, ranatres, notonectes…).
Un arsenal qui doit être respectueux de l’environnement
12Il faut se rendre à l’évidence, l’arsenal des larvicides utilisables selon la législation européenne ne regroupe plus aujourd’hui que quelques composés, tous de toxicités différentes et dotés de mécanismes d’actions très spécifiques. Ainsi, il est inutile de vouloir diriger une lutte contre les larves d’anophèles – dont chacun sait maintenant qu’elles cherchent leur nourriture à la surface des eaux – avec des épandages de Bti, dont les principes actifs (du moins avec les formulations conventionnelles) sédimentent au fond des gîtes. Il est dangereux également d’utiliser des inhibiteurs de croissance qui agissent sur la synthèse de la chitine dans des environnements riches en crevettes et en crabes. Les crustacés comme les insectes sont des arthropodes qui passent par une succession de mues larvaires avant d’arriver au stade de l’adulte. L’efficacité d’un larvicide n’est donc plus un critère suffisant pour décider de la réussite ou non d’une campagne de lutte. Il faut dorénavant que le composé épandu ne soit toxique ni pour l’homme, ni pour l’environnement. Contraintes écologiques versus destruction des moustiques, ce bras de fer ne cesse de se durcir avec le temps et complique la tâche de ceux qui ont pour mission de limiter la pullulation.
LA LUTTE CONTRE LES ADULTES AILÉS
L’utilisation des insecticides chimiques en aspersions intradomiciliaires
13Le Programme mondial d’éradication du paludisme a entamé ses campagnes de démoustication par le traitement au DDT de toutes les collections d’eau susceptibles d’abriter des larves d’anophèles. Quelques années plus tard, quand il fut constaté que cette méthode n’apportait pas de baisse notable de la transmission, les paludologues en arrivèrent à la conclusion qu’il fallait, cette fois, appliquer le DDT à l’intérieur des habitations.
14Dans une maison qui ne reçoit pas de traitement insecticide, les moustiques piquent les hommes durant la nuit, à l’intérieur ou à l’extérieur des habitations. Les moustiques qui piquent les hommes sont dits « anthropophiles », et ceux qui piquent les animaux, « zoophiles ». Si le repas de sang est pris à l’intérieur de la maison, le moustique est endophage. Si au contraire il pique à l’extérieur des habitations, il est exophage. Aussitôt après le repas de sang, certains moustiques restent à l’intérieur des maisons pour y assurer la maturité de leurs œufs, ils sont endophiles. D’autres au contraire préfèrent quitter les habitations et se réfugier dans les abris disséminés un peu partout dans la nature, dans ce cas ils sont dits exophiles. A. gambiae et A. funestus, les deux vecteurs majeurs du paludisme en Afrique, sont des anophèles anthropophiles, endophages et endophiles qui, 48 à 72 heures après leur repas de sang, quittent les habitations pour pondre leurs œufs dans diverses collections d’eau.
15Dans une maison traitée avec un insecticide rémanent (photo 17), la plupart des anophèles meurent s’ils sont sensibles au composé toxique. Si les traitements sont appliqués à l’échelle d’une ville ou d’un village, la transmission du parasite est fortement diminuée (effet communautaire). En zone d’endémie palustre, le DDT a été l’insecticide le plus utilisé au monde. Son temps d’activité à l’intérieur des habitations s’échelonnant sur six mois, le DDT était appliqué à raison d’une à deux fois par an, selon que le mode de transmission était pérenne ou saisonnier.
16Or, le DDT est un insecticide doté de propriétés excito-répulsives qui éloignent les moustiques des supports traités. Les anophèles, naturellement endophiles, ont commencé à piquer à l’extérieur des maisons, ne reprenant leur comportement endophile habituel que lorsque l’activité du DDT baissait. Il devint vite évident que la lutte antivectorielle devait s’appuyer sur l’utilisation d’insecticides aussi actifs que le DDT, mais dotés de propriétés moins irritantes pour les moustiques. La zone pilote de Bobo-Dioulasso au Burkina Faso a joué un rôle décisif dans le choix des nouveaux insecticides. La station expérimentale de Soumousso (photo 18), située à une quarantaine de kilomètres au sud-est de Bobo-Dioulasso, a été construite en 1968 à la demande de l’Organisation mondiale de la santé. La station comprenait vingt cases-pièges de type bobo et mossi équipées de vérandas et constituées chacune d’une pièce d’habitation. Les matériaux utilisés pour la construction des maisons étaient principalement issus de la savane environnante : des briques en terre compactée (banco), ainsi que du bois et de la paille. Durant sa période d’activité (1968-1993), la station a tenu le rôle de Centre collaborateur de l’OMS avec mission d’évaluer de nombreux insecticides. En 1979, Hervy et al. ont présenté une synthèse qui référençait l’efficacité d’une trentaine d’insecticides. Les auteurs concluaient leur étude en sélectionnant les meilleurs composés, à savoir cinq organophosphorés – le malathion, le fénitrothion, le chlorphoxim, le pirimiphos-méthyl et le bromophos – ainsi que trois carbamates – le landrin, le propoxur et le moban.
17Pour lutter contre les vecteurs du paludisme, le malathion était utilisé à 2 g/m2, or, à quantité égale avec le DDT, son efficacité ne dépassait pas trois mois. D’autres organophosphorés ont été appliqués à l’intérieur des maisons, comme le fénitrothion et le fenthion, tous deux employés à la dose de 2 g/m2. Dans le groupe des carbamates, le propoxur et le bendiocarb ont été utilisés dans de nombreux pays, mais leur toxicité sur les mammifères exigeait – et demande encore aujourd’hui – des précautions d’emploi très rigoureuses. C’est à la fin des années 1970, avec l’apparition sur le marché des premiers pyréthrinoïdes, que la lutte contre les moustiques a pris un nouvel essor. Cette famille de composés peu toxiques sur les animaux à sang chaud se caractérise par des produits qui agissent pendant six mois à des doses de traitement plus faibles que pour la plupart des autres insecticides. Les pyréthrinoïdes génèrent un effet de Knock-down (KD) qui assomme puis tue les moustiques après seulement quelques minutes de contact avec les matériaux traités. L’effet excito-répulsif de ces composés entraîne de concert une limitation importante du contact entre l’homme et le moustique. Mortalité rapide des moustiques combinée à un effet excito-répulsif qui les éloigne, ces deux actions font baisser à l’intérieur des habitations le taux de gorgement des moustiques, et donc le risque de piqûre infectante. La perméthrine et la deltaméthrine ont été les deux premiers pyréthrinoïdes évalués en casespièges. Beaucoup d’autres sont arrivés par la suite ; en fait, des années de travail leur ont été consacrées, les recherches ayant été menées essentiellement sur A. gambiae et A. funestus (Hervy et al., 1982 ; Darriet, 1991). Lorsque les pyréthrinoïdes sont appliqués sur les murs et le plafond des maisons, ils tuent une partie des moustiques tout en éloignant l’autre partie. En raison de cette action d’évitement des supports traités, beaucoup d’anophèles ne franchissent plus le seuil des habitations, et il s’ensuit une recrudescence du nombre de piqûres à l’extérieur des maisons.
Les limites de la lutte contre les moustiques adultes
18Les pyréthrinoïdes dans leur ensemble n’ont pas été épargnés par ce fléau mondial qu’est devenue la résistance aux insecticides. Au cours d’un programme de recherche conduit de 1995 à 2000 en Côte d’Ivoire sur la résistance d’A. gambiae, nous avons montré que la quasi-totalité des populations de savane et de forêt de ce pays étaient résistantes à la perméthrine et à la deltaméthrine (Chandre et al., 1999) (fig. 9). La figure 9 fait apparaître que les niveaux de résistance du vecteur A. gambiae sont d’autant plus élevés que la ville ou le village se trouvent situés plus au nord du pays. La raison de cette plus forte résistance des anophèles au nord plutôt qu’au sud de la Côte d’Ivoire est directement liée à la culture du coton – grosse consommatrice d’insecticides –, intensive dans le nord du pays alors qu’elle est rare dans le sud.
19À la Martinique, Ae. aegypti s’est également révélé résistant à la deltaméthrine (Marcombe et al., 2009 a ; 2009 b). Dans les départements français d’Amérique (Martinique, Guadeloupe et Guyane), la dengue transmise par Ae. aegypti est devenue une préoccupation majeure de santé publique, avec l’apparition d’épidémies récurrentes de tous les sérotypes, y compris celui de la dengue hémorragique. En remplacement du DDT, jugé trop toxique pour l’environnement, les services de démoustication ont utilisé pendant plus de vingt ans le malathion et le fénitrothion. En 2006, soit peu de temps après l’épidémie de chikungunya sur l’île de la Réunion, les organophosphorés ont à leur tour été bannis du panel des insecticides utilisables en santé publique. La raison de ce retrait tient principalement à leur manque de sélectivité vis-à-vis de la faune non cible et à leur toxicité pour l’homme. Ne restent donc plus actuellement que les pyréthrinoïdes pour traiter l’intérieur et l’extérieur des habitations.Or, si la deltaméthrine est reconnue comme l’un des meilleurs insecticides pour traiter l’intérieur des habitations, elle montre en revanche certaines limites quand les traitements sont effectués à l’extérieur des maisons. La dose de deltaméthrine recommandée par l’OMS pour le traitement spatial des espaces publics est de 1 g/ha (OMS, 2006 a). À cette dose de produit actif, il a été montré à la Martinique, à Fort-de-France, qu’une succession de trois traitements réalisés à trois jours d’intervalle ne présentait plus la moindre efficacité sur les adultes d’Ae. aegypti résistants aux pyréthrinoïdes (Marcombe et al., 2011 b). Cette résistance généralisée sur toute l’île, vieil héritage de l’emploi du DDT et peut-être même de l’usage abusif de la chlordécone dans les bananeraies, a sans doute été aggravée par l’utilisation plus récente des pyréthrinoïdes en hygiène domestique (aérosols, serpentins, plaquettes diffusantes…).
20La lutte contre les adultes de moustiques par le biais des aspersions intradomiciliaires et/ou spatiales nécessite une planification rigoureuse des traitements, génère des coûts de personnel importants, implique des déplacements de véhicules incessants, une forte consommation en insecticides et en équipements divers. Il est évident qu'aucune communauté urbaine ou villageoise ne peut entreprendre de telles opérations sans recourir à des services agréés et financés par l’État. Avec la distribution toujours plus importante de moustiquaires imprégnées de pyréthrinoïdes s’est développée une alternative durable aux aspersions intradomiciliaires, à la fois plus simple à mettre en œuvre, plus économique et moins astreignante, aussi bien pour les services de santé que pour les populations. Les moustiquaires imprégnées d’insecticide ne sont toutefois pas apparues en un jour ! Quelle est la raison d’un aussi fulgurant succès planétaire ?
LES MOUSTIQUAIRES IMPRÉGNÉES D’INSECTICIDES
Un usage très ancien des moustiquaires
21L’usage des moustiquaires de lit remonte à des temps très anciens. Il en est fait mention dans la Bible et les écrits de la Rome antique. Hérode (73 - 4 av. J.-C.) rapporte que les pêcheurs en Égypte s'enveloppaient dans des filets de pêche, l'odeur de poisson empêchant les mouches et les moustiques de venir les piquer. La reine Cléopâtre dormait sous une moustiquaire cousue de fil d'or. Des récits chinois datant du IIIe siècle après J.-C. attestent de l’utilisation des moustiquaires de lit par les riches familles du royaume. Au XIXe siècle, époque des grandes expéditions scientifiques et militaires, les explorateurs firent de la moustiquaire leur arme de prédilection contre les insectes piqueurs. Si les moustiquaires de lit sont utilisées depuis des temps immémoriaux, ce n'est que depuis un quart de siècle qu’elles font partie intégrante des programmes mondiaux de lutte contre le paludisme. Les premières moustiquaires imprégnées d’insecticide (le DDT) furent utilisées par l’armée américaine pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1960, les Chinois procédèrent à de nouveaux essais d’imprégnation avec du DDT, mais ceux-ci ne furent pas concluants, et les recherches furent abandonnées.
L’avantage des moustiquaires imprégnées d’insecticides
22Une moustiquaire en parfait état est en elle-même une protection mécanique simple, qui limite efficacement le contact entre l’homme et le vecteur (Darriet et al., 2000 a). Cependant, une moustiquaire intacte ne confère pas une protection totale, dans la mesure où, pendant son sommeil, l’usager peut malencontreusement garder une partie du corps contre la moustiquaire et permettre aux moustiques de piquer à travers le tulle. Une moustiquaire intacte constitue donc une barrière physique efficace mais pas infaillible, d’où l’idée toute simple de l’imprégner avec un insecticide rémanent appartenant à la famille chimique des pyréthrinoïdes. Quand les résultats des deux premières études (Darriet et al., 1984 ; Ranque et al., 1984) parvinrent dans les rangs de la communauté scientifique internationale, la première réaction fut circonspecte. En effet, ces études révélaient que les moustiquaires imprégnées avec 80 mg de perméthrine/m2 avaient réduit de 70 %le taux d’entrée des anophèles à l’intérieur des habitations. De surcroît, l’exophilie induite par l’insecticide s’était élevée à 97 %, alors qu’elle ne dépassait pas 30 % avec les moustiquaires non traitées (Darriet et al., 1984). De même, les premières moustiquaires imprégnées de deltaméthrine à la dose de 8 mg/m2 ont montré que cette méthode de prévention contre les piqûres d’anophèles assurait un rôle protecteur vis-à-vis de la maladie (Ranque et al., 1984). La question que se posèrent alors bon nombre d’entomologistes, de médecins, d’épidémiologistes et de parasitologues était de savoir comment un outil aussi rudimentaire et ancestral qu’une moustiquaire – même imprégnée d’insecticide – pouvait conférer un tel niveau de protection contre les vecteurs du paludisme. Ces deux études pionnières firent couler beaucoup d’encre, elles furent discutées dans de nombreux congrès, des dizaines d’évaluations similaires furent réalisées dans le monde pour vérifier la validité des données initiales. Et c’est alors que le verdict tomba, catégorique et définitif : les moustiquaires imprégnées de perméthrine ou de deltaméthrine protègent l’homme des piqûres de moustiques comme aucun autre moyen de lutte ne l’avait fait auparavant. Une moustiquaire imprégnée de pyréthrinoïdes protège l'utilisateur par une barrière chimique qui renforce la barrière physique, bien souvent altérée par des trous et des déchirures. Or, et c’est là que l’outil devient intéressant, les pyréthrinoïdes qui servent à traiter les moustiquaires induisent une dynamique nouvelle des populations de moustiques au pourtour et à l'intérieur des habitations. La mortalité importante des moustiques, combinée à la diminution du contact entre l’homme et le vecteur, fait que les moustiquaires imprégnées demeurent actuellement le meilleur moyen de protection personnelle. Une moustiquaire imprégnée confère une protection individuelle lorsque son effet se fait sentir au niveau de la personne ou de la cellule familiale. Quand les moustiquaires traitées sont distribuées dans un ou plusieurs villages avec un taux de couverture proche ou supérieur à 80 %, les effets de l'insecticide sont constatés à l'intérieur de toutes les habitations. En fait, la réduction du contact homme/vecteur, combinée à la mortalité élevée des anophèles, aboutit à une protection communautaire dont les bénéfices s’expriment par une baisse de la transmission du paludisme. La distribution de moustiquaires imprégnées de perméthrine dans plusieurs villages de Gambie a, de la sorte, entraîné une réduction de 90 % des taux de gorgement d’A. gambiae, ce qui, sur des enfants âgés de 1 à 9 ans, aurait réduit de 63 % les épisodes fébriles liés au paludisme (Snow et al., 1988). Au Burkina Faso, la mise en place de moustiquaires imprégnées de deltaméthrine dans des villages proches de Bobo-Dioulasso a entraîné des réductions de 80 à 90 %de la transmission du paludisme (Carnevale et al., 1988 ; Robert et Carnevale, 1991). L’exemple le plus spectaculaire reste néanmoins l’impact des moustiquaires imprégnées en Chine. Dans le district de Buji, situé au sud du pays, leur utilisation a permis une réduction de 93 % des densités d’A. sinensis et d’A. anthropophagous. Après trois années d’étude seulement, l’incidence palustre avait diminué de 98 % (Li et al., 1989).
Des efforts à mener pour une meilleure distribution
23Encouragée par des résultats aussi spectaculaires, l’OMS décida en 1992 de multiplier les projets susceptibles d’améliorer le contrôle du paludisme partout dans le monde, et en particulier en Afrique. Parmi les mesures proposées figurait la lutte antivectorielle, et en particulier l’usage des moustiquaires imprégnées de pyréthrinoïdes. Les moustiquaires imprégnées ont généré un important courant de recherche dans beaucoup de domaines de la santé publique. Ces recherches ont porté avec objectivité sur les aspects liés à la moustiquaire elle-même, aux insecticides et sur les déterminants ethnologiques, sociologiques et économiques qui décident de l’acceptabilité ou du rejet de cette méthode de lutte par les populations. Même si la moustiquaire imprégnée représente à l’heure actuelle le meilleur moyen de protection contre les vecteurs du paludisme, cet outil demeure encore, pour beaucoup de personnes vivant dans les zones rurales, inaccessible et trop onéreux. Nombreux sont encore de nos jours les villages isolés, éloignés des voies de communication et des commodités de la ville. Dans les centres urbains en revanche, où les moyens de communication sont plus rapides et les revenus des ménages supérieurs, l'usage de la moustiquaire imprégnée pourrait être généralisé.
24Mais distribuer dans les villes et les campagnes des millions de moustiquaires n’est pas chose facile. Au niveau opérationnel, l’imprégnation d’une moustiquaire peut se faire chez l’habitant mais, le plus souvent, cette opération se déroule de façon collective dans les villages et/ou dans des centres d’imprégnation. Pour conserver une efficacité optimale, une moustiquaire doit être imprégnée par la méthode de trempage tous les six mois. Or le manque de financement et l’indisponibilité récurrente de l’insecticide ont toujours constitué un frein à l’essor des moustiquaires. C’est donc pour résoudre les problèmes liés à l’insecticide et à l’acte même de l’imprégnation que sont apparues les moustiquaires pré-imprégnées. Ces moustiquaires, dites de « longue durée », sont fabriquées en usine et possèdent une durée d’action de trois ans au moins. Avec du matériel ainsi prêt à l’emploi et ne nécessitant aucune ré-imprégnation, toutes les conditions sont enfin réunies pour que les moustiquaires puissent prendre un nouvel essor (photo 19).
25L’avènement des moustiquaires durablement imprégnées a ouvert des opportunités nouvelles au sein des programmes nationaux de lutte contre le paludisme : on a mis à profit par exemple des campagnes de vaccination pour les vendre à des prix abordables ou simplement les donner. Cette politique de distribution très large possède aussi l’avantage de protéger les femmes enceintes et les enfants de moins de cinq ans, principales victimes du paludisme dans le monde. Il est temps que TOUS les enfants des villes et des villages puissent enfin dormir sous une moustiquaire imprégnée. En ce début de XXIe siècle où la technologie pousse l’espèce humaine vers les étoiles et où l’information circule jusque dans les endroits les plus reculés de la planète, il est inacceptable que des enfants meurent encore de paludisme, faute de pouvoir dormir sous une simple moustiquaire imprégnée. La distribution de masse peut être résolue sans grande difficulté : pour cela, il faudrait que les pays du Sud et du Nord s’entendent sur les moyens à mettre en œuvre. La distribution des moustiquaires sur de vastes échelles n’est qu’une question de volonté et de logistique ! Le seul véritable problème que rencontrent les moustiquaires imprégnées réside dans l’expansion mondiale des résistances aux insecticides. Il viendra d’ailleurs un jour où même les pyréthrinoïdes deviendront totalement inefficaces. La recherche scientifique s’emploie à trouver de nouveaux insecticides, d’associer les meilleurs d’entre eux afin de générer des mécanismes de synergie, de trouver des stratégies de lutte sans cesse plus innovantes. De quoi sera faite la lutte antivectorielle de demain ? Personne ne le sait vraiment, pour la raison toute simple que le moustique s’adapte aux environnements humains beaucoup plus vite que l’homme n’est capable de le faire lui-même !
DES STRATÉGIES DE LUTTE SANS CESSE RENOUVELÉES
26Désormais, l’utilisation d’un insecticide en santé publique dépend plus de ses caractéristiques toxicologiques et écotoxicologiques que de son efficacité réelle sur le moustique. Il est en effet inenvisageable d’épandre une substance toxique dans les milieux naturels, surtout si la molécule en question s’accumule dans les sols et dans les êtres vivants. Les directives européennes qui encadrent les produits biocides sont très strictes à ce sujet. S'agissant des produits adulticides, seuls les pyréthrinoïdes sont encore utilisables en Europe. Cette situation quelque peu déséquilibrée ne permet pas une gestion raisonnée des actions de lutte. De ce fait, inévitablement, l’usage répété dans le temps et à grande échelle du même insecticide génère d’intenses pressions de sélection qui aboutissent à l’émergence de mécanismes de résistance. Lorsqu’une résistance est déclarée, il est inutile d’augmenter les doses, cela ne fait que sélectionner davantage de résistance et polluer plus l’environnement. L’accumulation des xénobiotiques dans les nappes phréatiques contamine l’eau potable consommée par les hommes et les animaux. La présence d’insecticides dans les eaux de surface entraîne, en plus de leur propre contamination, une véritable hécatombe chez les animaux prédateurs tout en générant des dynamiques de sélection soutenues chez les moustiques. Cette situation est d’autant plus préoccupante que les engrais NPK polluent les eaux souterraines et de surface, et que ce type de pollution attire les moustiques à la recherche d’un lieu de ponte. Des eaux riches en engrais, en matière organique et en pesticides : les conditions sont réunies pour attirer les moustiques, sélectionner ceux qui sont porteurs des gènes de résistances et favoriser leur prolifération.
27Pour développer et mettre sur le marché un nouvel insecticide, les industriels doivent investir beaucoup d’argent. Or, le marché de la lutte antivectorielle ne présente que peu d’intérêt financier, à tel point que lorsqu’une molécule nouvelle est découverte, les laboratoires ne cherchent même pas à savoir si elle est active sur les moustiques. Il n’y a que peu d’espoir de voir apparaître dans les années à venir des insecticides nouveaux, efficaces sur les larves ou les adultes de moustiques. Face à ce constat, il ne reste donc plus pour combattre les résistances que l’élaboration de stratégies innovantes, dont l’une des plus prometteuses consiste à associer plusieurs composés possédant des modes d’action différents.
Les mélanges d’insecticides et de synergistes avec des modes d’action différents
28Pour A. gambiae sensible aux insecticides, une action de synergie (phénomène par lequel plusieurs substances mises ensemble créent un effet plus important que la somme des effets attendus) a été observée sur moustiquaire avec un mélange composé de carbosulfan (carbamate) et de bifenthrine (pyréthrinoïde) (Corbel et al., 2002). Avec le temps, le carbosulfan se transforme en carbofuran, un insecticide beaucoup plus toxique que la molécule initiale et qui ne peut être toléré sur un support aussi proche de l’homme que le sont les moustiquaires imprégnées. Les recherches se sont alors orientées vers les organophosphorés, en particulier vers le chlorpyriphos-méthyl qui se caractérise par une structure thiophosphate (P=S). Durant le processus de désulfuration des thiophosphates par les oxydases de l’insecte, l’atome de soufre est remplacé par un atome d’oxygène (P=S → P=O), rendant la forme oxon ainsi générée 3 000 fois plus toxique que le composé originel. Le chlorpyriphos-méthyl mélangé à de la bifenthrine a de nouveau induit une interaction synergique sur les adultes d'A. gambiae sensibles aux insecticides, mais pas sur ceux résistants aux pyréthrinoïdes (Darriet et al., 2003). L’explication en est que les effets excito-répulsifs des insecticides s’additionnent et se renforcent, ce qui au niveau du moustique se traduit par un fort évitement des matériaux traités (Darriet et al., 2005 b). Les recherches effectuées sur les combinaisons d’insecticides sont restées rares ces dernières années. C’est la raison pour laquelle nous avons cherché à combiner à la deltaméthrine – l’un des insecticides les plus utilisés en santé publique –, un représentant de la famille des néonicotinoïdes – le dinotéfuran – et le pypéronyl butoxide (PBO), un inhibiteur des oxydases d’insectes. Le mélange ainsi composé a été évalué en laboratoire sur une souche d’A. gambiae résistante aux pyréthrinoïdes (Darriet et Chandre, 2013).
29La deltaméthrine est un pyréthrinoïde qui modifie la cinétique d’inactivation des canaux sodium (Na+) situés le long de l’axone, tout en provoquant une libération plus importante du neurotransmetteur acétylcholine dans les terminaisons synaptiques (Salgado et al., 1983). L’action neurotoxique résultant de ces deux effets provoque une transmission continue de l’influx nerveux, qui aboutit à des convulsions puis à la tétanie de l’insecte. Les moustiques résistants aux pyréthrinoïdes se caractérisent par des canaux sodium mutés, qui limitent l’affinité de certaines de leurs protéines membranaires avec la molécule toxique. Le pipéronyl butoxide (PBO) quant à lui bloque l’activité des oxydases du moustique. La synergie induite par la combinaison deltaméthrine + PBO est forte, mais elle ne suffit pas à restaurer l’efficacité du pyréthrinoïde. C’est alors que le dinotéfuran entre en action en se fixant en lieu et place du neurotransmetteur acétylcholine sur les récepteurs nicotiniques situés dans les synapses (Tomizawa et Yamamoto, 1993). La synergie globale du mélange peut s’expliquer par le blocage des oxydases par le PBO, puis par les actions combinées de la deltaméthrine et du dinotéfuran au niveau des fentes synaptiques, l’effet résultant de cette double action étant une concentration anormalement élevée d’acétylcholine dans les neurones. D’autres combinaisons « deltaméthrine + PBO » associées cette fois avec les néonicotinoïdes thiamethoxam, nitenpyram et thiacloprid ont aussi généré des mécanismes de synergie puissants qui mériteraient d’être davantage étudiés sur le terrain (Darriet et Chandre, 2013).
30Les applications de telles associations sont sans conteste nombreuses, en particulier dans la lutte contre les vecteurs du paludisme résistants aux pyréthrinoïdes. Lorsque cette résistance se limitait à la seule mutation Kdr, il n’y avait pas vraiment à s’inquiéter pour l’avenir des moustiquaires imprégnées. Les études de laboratoire et de terrain avaient montré en effet qu’un moustique résistant était moins irrité par les pyréthrinoïdes que son homologue sensible et restait, de ce fait, plus longtemps en contact avec les supports traités (Chandre et al., 2000 ; Darriet et al., 1998 b ; Darriet et al., 2000 b). Bien que les moustiques résistants soient capables de tolérer des quantités plus élevées d’insecticides, ils absorbent en fin de compte plus de toxique par contact tarsal et finissent par mourir. Les choses se sont hélas compliquées ces dernières années avec l’expansion géographique des résistances métaboliques. Il est urgent désormais de trouver des mélanges d’insecticides originaux, capables de générer des mécanismes de synergie nouveaux. Ce n’est plus seulement l’avenir des moustiquaires imprégnées qui est en jeu, mais la vie de centaines de millions de personnes qui vivent dans les régions de forte endémie palustre.
31Pour les mêmes raisons que dans le cas des adulticides, la lutte contre les larves a elle aussi besoin de mélanges originaux. Lutter contre les larves de moustique demeure un exercice difficile, dans la mesure où, outre le fait qu’ils ne peuvent traiter la totalité des gîtes larvaires, les services de démoustication ne peuvent s’appuyer que sur un nombre très limité de composés larvicides. Fabriquer un mélange avec deux molécules différentes revient à créer un composé nouveau doté de propriétés nouvelles. Cette définition colle à la perfection au mélange que nous avons élaboré avec le spinosad (naturalites d’origine bactérienne) et le pyriproxyfen (inhibiteur de développement des insectes) : combinaison de deux larvicides alliant, à travers un fort effet de synergie, l’efficacité du premier sur les larves avec celle du deuxième, plus spécifiquement actif sur les nymphes (Darriet et al., 2006) (fig. 10).
32Ce mélange doté de propriétés larvicides et nymphicides a d’ailleurs fait l’objet d’une étude approfondie dans les gîtes naturels à A. aegypti de la Martinique (Darriet et al., 2010 b). L’évaluation a été menée dans la commune du Vauclin, située sur le littoral atlantique, au sud-est de l’île. Cette région montagneuse se caractérise par un climat tropical humide, avec des précipitations (2 000 mm) qui s’échelonnent de mai à novembre. Les gîtes « hors sol » traités ont été ceux trouvés chez l’habitant, des fûts en plastique de 200 litres exempts de faune associée placés le plus souvent sous les gouttières des maisons pour récupérer les eaux de pluie (photo 11). Le pyriproxyfen est décrit dans la littérature comme un composé relativement stable dans l’eau ; pourtant, dans les fûts utilisés lors de notre étude, ce larvicide n’a montré qu’une efficacité de trois semaines. Selon les mêmes critères d’évaluation, le spinosad est resté actif durant trois mois et demi, et le mélange pyriproxyfen + spinosad pendant plus de quatre mois.
33Utilisés seuls et pendant longtemps, les insecticides génèrent de fortes pressions de sélection. Les mécanismes de résistances qui en résultent ne sont souvent pas sélectifs envers un seul insecticide, ils affectent bien souvent l’efficacité de toute une famille chimique, de plusieurs familles même si le mode d’action de ces dernières est similaire. En témoignent les résistances croisées qui sont apparues entre le DDT et les pyréthrinoïdes, et entre les organophosphorés et les carbamates. Il existe aussi une résistance de type Rdl (résistance dieldrine) qui affecte l’efficacité du fipronil (phénylpyrazoles). La résistance croisée dieldrine/fipronil est associée au site GABA qui régule la circulation des ions chlore (Cl-) dans le neurone. Presque tous les moustiques sont aujourd’hui résistants à la dieldrine, et c’est cette résistance croisée qui a signé l’arrêt de mort du fipronil avant même qu’il ne soit utilisé en santé publique. La mutation Rdl inquiète aussi les spécialistes de la lutte antivectorielle, dans la mesure où le spinosad, dont nous avons découvert les extraordinaires capacités larvicides, agit lui aussi en partie sur cette cible, son autre action étant focalisée sur les récepteurs nicotiniques. Ainsi, face à de telles menaces de résistances programmées, les mélanges pourraient avoir dans les années à venir la délicate mission de sauvegarder l’intégrité opérationnelle des insecticides. Il est en effet préférable de ne pas attendre que la résistance à un insecticide soit établie pour l’associer à un autre composé ; le fait d’associer d’emblée plusieurs molécules à mode d’action différent protège l’efficacité insecticide de chacune d’entre elles, tout en créant un mélange qui agit sur plusieurs cibles à la fois. Les voies de recherche dans ce domaine restent encore nombreuses, mais il faut garder à l’esprit que, du laboratoire où germent les idées jusqu’au terrain où elles sont appliquées, de nombreuses années d’expérimentation sont nécessaires sur tous les moustiques, à la fois sur ceux qui vivent dans les gîtes « hors sol » créés par l’homme et sur les espèces qui se développent dans les milieux naturels.
Des méthodes de lutte centrées sur les manipulations physiques ou biologiques des moustiques adultes
34Les entomologistes médicaux s’intéressent aussi à des méthodes de lutte qui modifient ou manipulent les capacités reproductives des moustiques. Ainsi, la technique de l’insecte stérile (TIS) imaginée par l’Américain E. F. Knipling en 1937 consiste à contrôler les populations de moustiques vecteurs de pathogènes par des lâchers de mâles stériles. Cette technique, utilisée en agriculture depuis plus de cinquante ans pour lutter contre certaines mouches (lucilie bouchère, mouche du melon, mouche tsé-tsé et mouche du fruit), consiste à disséminer dans les milieux naturels des insectes élevés en laboratoire, rendus stériles par irradiation. Les femelles sauvages qui s’accouplent avec les mâles stériles engendrent une descendance non viable, ce qui entraîne à la longue un déclin des populations naturelles. Cette stratégie alternative à l’utilisation des insecticides se veut plus respectueuse de l’environnement, dans la mesure où elle se substitue à l'épandage des insecticides. Actuellement, plusieurs projets dans le monde évaluent la méthode TIS sur les moustiques, notamment sur Ae. albopictus en Italie et sur l’île de la Réunion (Bellini et al., 2010 ; Boyer et al., 2012). Les biologistes étudient aussi la bactérie intracellulaire Wolbachia et l’intérêt que cet organisme peut présenter dans la lutte contre les moustiques. Ainsi, après avoir acclimaté sur Ae. aegypti une souche de Wolbachia qui infecte originellement la mouche du vinaigre (Drosophila melanogaster), des chercheurs de l’université du Queensland en Australie ont réussi à produire des moustiques infectés par cette bactérie qui se sont avérés vivre deux fois moins longtemps que leurs homologues sains. Sachant qu’une femelle d’Ae. aegypti contaminée par le virus de la dengue ne devient vectrice qu’après deux semaines d'incubation, les chercheurs suggèrent que ce raccourcissement drastique de la durée de vie du moustique peut diminuer efficacement la transmission du virus pathogène (Hoffmann et al., 2011).
LA LUTTE INTÉGRÉE
35La lutte intégrée est appliquée en agriculture depuis plusieurs décennies pour optimiser les tentatives de lutte contre les parasites et les insectes ravageurs des cultures. Elle a été définie par Smith et Van der Bosh (1967) comme un système faisant appel à toutes les techniques visant à réduire les populations de ravageurs ou, plus simplement, à les maintenir au-dessous d’un seuil n’occasionnant aucun dommage pour les plantes. D’après Hogan (1973), la lutte intégrée doit prendre en compte toutes les informations relatives au ravageur et à la culture atteinte afin de pouvoir élaborer des programmes de lutte adaptés. En extrapolant l’ensemble de ces concepts agricoles à la santé publique, il est facile de se rendre compte que ces deux domaines de compétences obéissent aux mêmes exigences techniques et environnementales. Pendant longtemps, les hommes ont cru pouvoir éradiquer les moustiques par le seul emploi des insecticides chimiques. De nos jours, on ne peut plus ignorer que le choix et le mode d’action et d’application des insecticides sont les facteurs déterminants du succès ou bien de l’échec d’une campagne de lutte.
36L’usage excessif des substances chimiques en agriculture – qu’elles soient dotées de propriétés insecticides, fongicides ou herbicides – provoque d’importants déséquilibres écologiques. Dans son habitat naturel, un insecte nuisible est accompagné d’un certain nombre d’arthropodes prédateurs qui en limitent bien souvent la pullulation. Sous toutes les latitudes, les environnements sont fragilisés par l’épandage des substances biocides, mais c’est de toute évidence sous les climats tropicaux et équatoriaux que la vie animale et végétale est la plus menacée. Il existe dans ces milieux une telle profusion de proies et de prédateurs que beaucoup d’insectes, aussi nuisibles soient-ils, se trouvent bien souvent jugulés avant de se révéler nuisibles pour la plante. Or, détruire les animaux prédateurs revient à favoriser la pullulation des insectes nuisibles. La leçon à en tirer dans le domaine de la santé publique est qu’il faut éviter la stratégie unique mise en avant par de trop nombreux programmes de lutte contre les moustiques. Les caractéristiques épidémiologiques d’une maladie à transmission vectorielle ne sont en effet pas les mêmes selon la région, le climat, le relief, les vecteurs et le comportement des communautés urbaines et villageoises. Il importe donc d’identifier certains de ces paramètres et de répondre aux questions que soulève chacun d’entre eux, afin que les actions de lutte antivectorielle puissent être à la fois plus efficaces et plus ciblées.
Identification du moustique vecteur, étude de sa bioécologie et de son comportement
37À partir de l’espèce identifiée, une série de recherches doivent être menées sur l’écologie larvaire, sur le type de gîte où pond la femelle et où se développent les larves. Les études sur le comportement des adultes devront déterminer quels sont les moments du jour ou de la nuit où les femelles sont les plus agressives, et si le moustique en question est anthropophile ou zoophile, c’est-à-dire s’il pique les hommes ou les animaux, et s’il est endophage ou exophage. Ces notions d’anthropophilie/zoophagie et d’endophagie/exophagie sont importantes dans la mesure où elles décideront en grande partie du choix des méthodes de lutte à mettre en œuvre. En Afrique, les deux vecteurs du paludisme A. gambiae et A. funestus sont des espèces anthropophiles et endophages, dont les pics d’agressivité se situent entre minuit et six heures du matin. Le meilleur moyen de lutter contre ces deux anophèles est donc de traiter l’intérieur des habitations ou, mieux encore, de dormir sous une moustiquaire imprégnée d’insecticide.
Intensité de la transmission des pathogènes a l’homme
38L’intensité de la transmission des pathogènes à l’homme est estimée en capturant les moustiques au moyen de moustiquaires-pièges, de pièges lumineux de type CDC, et par des captures de faune matinale résiduelle (à l’intérieur des habitations), ou bien encore par la capture des moustiques sur les jambes de captureurs expérimentés. Les moustiques récoltés sont dénombrés puis identifiés. Pour la recherche des virus (dengue, chikungunya, fièvre jaune, West Nile, fièvre de la Vallée du Rift, encéphalite japonaise…), on congèle les moustiques dans de l’azote liquide afin que des laboratoires spécialisés en virologie puissent y rechercher ultérieurement la présence d’arbovirus. Pour les vecteurs des différentes formes de paludisme, les sporozoïtes – le stade du parasite qui est transmis à l’homme durant la piqûre – sont recherchés dans les glandes salivaires. L’âge physiologique, c'est-à-dire l’état de parturité (femelle qui a pondu des œufs au moins une fois) ou de nulliparturité (femelle qui n’a jamais pondu), est déterminé après dissection des ovaires et observation des trachéoles ovariennes.
39Nombreux sont les insecticides, pyréthrinoïdes surtout, qui réduisent le contact entre l’homme et le moustique et donc les chances du vecteur de prendre un repas de sang. Quant à l’action létale des insecticides, elle agit sur la longévité des vecteurs, diminuant leur probabilité de survie jusqu’à un âge épidémiologiquement dangereux.
Nature des mécanismes et niveaux de résistance des moustiques aux insecticides
40Outre les résistances métaboliques qui se caractérisent par la détoxification des insecticides par des enzymes, les autres principaux mécanismes de résistance sont représentés par des mutations de cibles : Kdr (DDT, pyréthrinoïdes), Ace1R (organophosphorés, carbamates) et mutation Rdl (dieldrine, fipronil). Il est désormais indispensable de faire la différence entre niveaux de résistance et mécanismes de résistance. Élaborer des programmes de lutte sans connaître auparavant les niveaux de résistance du vecteur aux insecticides et les mécanismes mis en œuvre pour lui assurer cette résistance ne peut que conduire à des échecs opérationnels.
Découvrir des insecticides dotes de propriétés nouvelles
41Pour faire face aux résistances développées par les moustiques, il est devenu urgent de trouver des insecticides pourvus de modes d’action nouveaux. Nombreuses sont les molécules de synthèse et d’origine naturelle qui demanderaient des investigations plus approfondies en santé publique. Ces substances doivent posséder une efficacité au moins aussi puissante que celle des produits déjà utilisés par les services de lutte antivectorielle, agir si possible sur des cibles différentes et ne se montrer toxique ni pour l’homme, ni pour l’environnement. Les nouveaux insecticides de synthèse potentiellement utilisables en santé publique regroupent des molécules appartenant à différentes familles chimiques comme les néonicotinoïdes, les oxadiazines et les inhibiteurs de croissance des insectes (ANSES, 2012). Sont utilisées depuis plus de trente ans les bactéries entomopathogènes B. thuringiensis var. israelensis (Bti) et B. sphaericus (Bs).D’autres bactéries tueuses de moustiques ont été identifiées, comme B. brevis et B. alvei, isolées à partir de larves de moustiques récoltées en Inde (Balaraman et al., 1979), Clostridium bifermentans, extrait de boue de Malaisie (de Barjac et al., 1990), et B. circulans, découvert dans une larve de C. p. quinquefasciatus au Cameroun (Darriet et Hougard, 2002). Extraits des fleurs, des feuilles et des racines de végétaux, des composés comme le pyrèthre, la nicotine et la roténone sont utilisés depuis longtemps pour lutter contre les insectes. Plus récemment, le métabolite bactérien spinosad a montré des propriétés insecticides nouvelles qui se sont révélées très intéressantes pour lutter contre les larves d’Ae. aegypti. Il existe probablement une multitude d’autres plantes, demicro-organismes et d’invertébrés dont le métabolisme fabrique des composés aux propriétés inattendues. Encore faut-il identifier la plante ou l’animal porteurs des précieuses molécules. Ce travail de recherche demande beaucoup de temps, mais aussi d’énormes moyens financiers et techniques. Ce secteur de la recherche ne doit absolument pas être négligé, car l’insecticide de demain se trouve peut-être caché dans l’immense réservoir de la diversité biologique.
Définir le bénéfice et le risque de chaque insecticide
42Le passé nous le rappelle trop souvent, détruire les moustiques avec des insecticides rémanents et non sélectifs rime avec appauvrissement de la biodiversité. En utilisant les pyréthrinoïdes pour traiter l’intérieur des maisons ou pour procéder à des imprégnations de moustiquaires, on limite leur utilisation à des aires domestiques qui n’ont que peu ou pas d’impacts sur la faune utile. Pour ce qui est de l’emploi des larvicides, le problème est plus délicat dans la mesure où bon nombre d’environnements traités sont des régions marécageuses, des lacs et des étangs où cohabitent de riches communautés animales. Traiter des milieux aussi complexes sans tenir compte de la diversité biologique est considéré de nos jours comme un acte totalement irresponsable. Inversement, il ne serait pas judicieux de classer les insecticides sur leurs seules caractéristiques toxicologiques sans prendre en compte, en retour, les usages qui pourraient en être faits. Toute action de lutte antivectorielle doit tenir compte de la nature du gîte et de la richesse de sa faune associée. Il existe deux types de collections d’eau où pullulent les moustiques. Les premières sont représentées par les milieux naturels, où vivent bon nombre d’animaux et de végétaux, alors que les secondes sont des gîtes hors sol créés par l’homme et où ne vit pratiquement aucun être vivant, hormis les moustiques. Selon la réglementation en vigueur, une substance est classée « défavorable » pour l’environnement si les DL50 (dose létale 50, qui correspond à la quantité de substance active qui cause la mort de 50 % d’une population animale donnée) orale et de contact sur l’abeille (Apis mellifera) sont < 0,01 μg/abeille. Si les DL50 sont < 1 et ≥ 0,01 μg/abeille, la substance est classée « moyennement favorable ». Enfin si les DL50 sont ≥ 1 μg/abeille, la substance est classée « favorable » pour l’environnement (Anses, 2012). Le spinosad représente à l’heure actuelle l’un des meilleurs nouveaux insecticides pour lutter contre les larves des moustiques résistants aux insecticides conventionnels. Son manque de sélectivité à l’égard de l’entomofaune aquatique doublé d’une grande toxicité vis-à-vis des abeilles (DL50 de contact de 0,0029 μg/abeille) limite son utilisation au traitement des collections d’eau créées par l’homme. Il n’est pas envisageable de pulvériser le spinosad en aspersion spatiale, ni même de le disperser sur des hectares d’écosystèmes réputés complexes et fragiles ; son action biocide sur les insectes utiles serait immédiatement dénoncée et à juste titre condamnée. Nous avons vu précédemment que certains insecticides néonicotinoïdes engendraient des mécanismes de synergie puissants une fois qu’ils étaient associés avec le pyréthrinoïde deltaméthrine. Comme le spinosad, la plupart des néonicotinoïdes sont toxiques pour les abeilles, ce qui limiterait leur utilisation en santé publique à l’intérieur des habitations. Pour le moins toxique d’entre eux – le thiacloprid – (profil « favorable » pour l’environnement avec une DL50 orale de 17,32 μg/abeille et une DL50 de contact de 38,83 μg/abeille), il pourrait être envisagé de l’utiliser en association avec le couple deltaméthrine + PBO en aspersions spatiales, pour lutter contre les vecteurs urbains Ae. aegypti et Ae. albopictus. À travers ces deux exemples, nous venons de définir le fondamental bénéfice/risque : bénéfice de ce que peut apporter un insecticide ou un mélange de plusieurs substances actives dans une action de lutte bien précise et, inversement, analyse du risque induit par le traitement d’un milieu naturel avec ce même insecticide ou ce même mélange.
Appliquer les traitements insecticides au bon moment
43Cette notion paraît de peu d’importance, mais elle est pourtant capitale dans les impacts que génère un traitement insecticide. Avec le retrait progressif des larvicides chimiques (le dernier en date étant le téméphos), la lutte contre les moustiques dans les milieux naturels n’est désormais plus assurée qu’avec le larvicide biologique Bti. Le Bti est devenu la « bonne à tout faire » des services de démoustication. Il est utilisé pour traiter les marais et les étangs qui se trouvent dispersés sur le territoire européen comme, en zone tropicale, les myriades de gîtes qui servent de refuges aux larves d’Ae. aegypti et Ae. albopictus. La sélectivité du Bti à l’encontre de la faune non cible en a fait un larvicide quasi universel qui, toutefois, est porteur de quelques inconvénients. N’agissant que par ingestion (au contraire des larvicides chimiques, qui agissent par contact), le Bti ne tue pas les nymphes, ce qui pose problème lorsque les traitements sont appliqués sur des populations de moustiques âgées. Un traitement en partie inopérant, et ce sont des millions de moustiques qui émergent en quelques jours. De plus, le Bti ne reste actif que pendant 3 à 4 semaines dans les milieux fermés (fûts, citernes), et beaucoup moins encore dans les milieux ouverts (mares, étangs, lagunes…). Pour atteindre à l’efficacité optimale des traitements, le Bti doit être appliqué sur les larves jeunes, et à une cadence soutenue qui, inévitablement, augmente les budgets de fonctionnement et les risques de voir apparaître, un jour, un ensemble de mécanismes affectant l’efficacité des quatre toxines à la fois.
Le rôle des engrais et des insecticides agricoles dans la prolifération des moustiques
44Il n’est désormais plus nécessaire de prouver que l’agriculture joue un rôle prépondérant dans la prolifération des moustiques. Une eau qui contient de la matière végétale et de l’engrais génère d’importantes propriétés attractives envers des femelles à la recherche d’un lieu de ponte. Dans le cas des eaux pauvres en matière organique, et donc incapables de nourrir la totalité des larves qui y vivent, le seul fait de les traiter avec un insecticide accroît les chances de survie des larves résistantes. Sur toute la planète, les rizières sont connues pour favoriser la pullulation des anophèles. Les engrais attirent les moustiques à l’endroit précis où ils sont épandus en même temps que les insecticides sélectionnent les mécanismes de résistance. Ces actions combinées d’attraction à la ponte et de pression de sélection montrent combien il est important d’éliminer le moustique au moment de son cycle où il est le plus vulnérable. Juste après l’éclosion des œufs, les larves de stade 1 sont particulièrement sensibles aux insecticides. Appliquer un larvicide au moment du repiquage du riz éliminerait efficacement une bonne partie des larves présentes dans les casiers. Il suffirait pour cela de composer des associations engrais + larvicide et d’épandre les mélanges au moment où les rizières entretiennent de fortes colonies de moustiques.
45Au vu de ces sept points particuliers, il devient évident que la lutte contre les moustiques ne se limite plus aux notions simplistes de vecteurs, de nuisances et d’insecticides. La lutte intégrée doit prendre en compte des pièces maîtresses telles que la bioécologie du vecteur, la capacité vectorielle, l’écologie fonctionnelle, les caractéristiques physico-chimiques et biologiques des milieux, l’interface agriculture/santé, les niveaux de résistance aux insecticides et la nature des mécanismes génétiques et/ou biochimiques de cette résistance (fig. 11). Il faudra également réfléchir sur la notion de bénéfice/ risque apportés par les insecticides, sur les conséquences écologiques induites par leur utilisation à de vastes échelles et prendre en compte les environnements socio-économiques qui conditionnent la faisabilité des campagnes de lutte. En définitive, la lutte antivectorielle observée au prisme de la lutte intégrée apparaît comme une question de stratégie, apparemment simple dans sa conception, mais plus complexe dans sa mise en œuvre car il n’existe pas de solution clé en main universelle.
LES ACTIONS DE LUTTE INDIVIDUELLE
46Nous pouvons tous individuellement nous défendre de la gêne occasionnée par les moustiques. Cependant, pour le consommateur non averti, les « armes » sont difficiles à choisir tant elles sont nombreuses sur le marché. Alors comment choisir dans l’offre hétéroclite proposée dans les supermarchés et les drogueries ? La stratégie à adopter dépend essentiellement du moustique à éliminer.
47Dans les pays du Sud où sévissent de fortes endémies palustres, le meilleur moyen de se protéger des anophèles est de dormir sous une moustiquaire imprégnée d’insecticide. Les anophèles piquent la nuit avec un pic d’agressivité qui se situe entre minuit et six heures du matin. Les enfants de moins de cinq ans sont à protéger prioritairement, car toute fièvre due au paludisme peut évoluer à cet âge en neuropaludisme grave et souvent mortel.
48Pour ce qui est des autres moustiques, et plus particulièrement ceux qui appartiennent aux genres Aedes et Culex, les actions de lutte peuvent être menées sur plusieurs fronts. Il existe des méthodes de lutte qui limitent les densités culicidiennes, et des méthodes qui protègent, sans nécessairement éliminer les moustiques. Les femelles d’Ae. aegypti et d’Ae. albopictus, vecteurs de la dengue et du chikungunya, pondent leurs œufs dans des collections d’eau de petite et moyenne taille. Les gîtes artificiels dispersés par l’homme en milieu urbain et dans les environnements agricoles peuvent être éliminés facilement. La destruction physique de l’ensemble de ces « nids » à moustiques est une action citoyenne, écologique et qui a un impact très important en termes de salubrité publique. Nous avons vu au long des chapitres précédents que les engrais NPK présentaient la fâcheuse propriété d’attirer les moustiques à la ponte. Lors de l’épidémie de chikungunya sur l’île de la Réunion en 2005, les prospections entomologiques ont montré qu’en milieu urbain, les larves d’Ae. albopictus proliféraient préférentiellement dans les soucoupes placées sous les pots de fleurs (Delatte et al., 2008). Les engrais NPK sont utilisés partout, que ce soit en agriculture, en horticulture, dans les jardins et les plantes en pot d’intérieur ou d’extérieur. Les collections d’eau pouvant contenir des engrais sont nombreuses et variées, mais les soucoupes sous les pots de fleurs sont assurément les gîtes les mieux placés pour en contenir des quantités attractives pour les moustiques. Pour que les eaux souillées par les engrais ne produisent plus de moustiques, il suffirait d’ajouter à l’engrais un larvicide chimique ou biologique qui détruirait les larves à l’éclosion des œufs. Au final, ce serait un « engrais anti-moustiques » simple et efficace qui pourrait, s’il était distribué sur le marché, diminuer efficacement la prolificité d’un grand nombre de petits gîtes situées chez l’habitant (encadré 11).
Encadré 11
Le concept de l’engrais anti-moustiques
Le concept de l’engrais anti-moustiques est une application directe de l’ensemble des recherches menées sur l’impact des engrais NPK sur les larves et les adultes de moustiques. Les inventeurs de cette méthode innovante de lutte antivectorielle ont imaginé un mélange composé d’un engrais de type NPK et d’un larvicide chimique ou biologique, la combinaison des deux éléments permettant la fertilisation du milieu de croissance de la plante tout en assurant la destruction des larves de moustiques présentes dans l’eau que contient généralement la coupelle. Cette invention a fait l’objet d’un dépôt de brevet français auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi) et d’une demande internationale auprès de l’Office européen des brevets.
49Pour réduire le contact entre l’homme et le vecteur, l’OMS préconise l’usage des répulsifs et des serpentins insecticides en complément de la moustiquaire (OMS, 1986). Est qualifié de répulsif l’ensemble des molécules naturelles et de synthèse qui possèdent la propriété d’éloigner les insectes hématophages. Les répulsifs les plus utilisés sont le DEET, la picaridine (KBR3023), l’IR3535 et le PMD (p-menthane-3,8-diol). Un bon répulsif doit répondre aux critères suivants : 1) une efficacité prolongée sur de nombreuses espèces de moustiques ; 2) l’absence d’effet irritant pour la peau ; 3) l’absence de toxicité ; 4) pas de résidus gras sur la peau ; 5) une bonne résistance au lavage ; 6) un prix raisonnable ; 7) une odeur agréable. Les huiles essentielles extraites de la lavande et de la citronnelle sont commercialisées sous forme de lotion, de bougie et de bracelet. Ces huiles ont des durées d’efficacité généralement courtes (pas plus de 20 minutes) et peuvent être responsables d’irritations cutanées. Ainsi, en raison des risques allergiques et photosensibilisants que peuvent entraîner certaines de ces substances chez l’utilisateur, il est déconseillé de les appliquer directement sur la peau. Parmi les moyens de protection individuelle, on trouve très souvent les spirales anti-moustiques. Alors que certaines instances de santé publique recommandent aux usagers de n'utiliser les spirales qu'à l'extérieur des maisons ou bien dans une pièce bien aérée, l’OMS indique qu’elles peuvent être utilisées dans les chambres à coucher pendant la nuit. Ces recommandations sont singulièrement contradictoires et difficiles à décrypter, d’une part par les fabricants de ces produits, et d’autre part par le consommateur lui-même. Ce qu’il est important de savoir, c’est que des études scientifiques ont montré que la fumée de combustion dégagée par les serpentins occasionne une irritation des voies respiratoires et que, par conséquent, il est déconseillé d’utiliser les spirales en présence de populations sensibles telles que les enfants, les personnes âgées, les asthmatiques et autres malades qui souffrent de troubles respiratoires (AFSSET, 2010).
50Lorsque les insectes sortent au printemps de leur longue diapause hivernale, fleurissent sur les rayons des supermarchés une myriade de « bombes insecticides » de toutes les couleurs et de toutes les tailles. Les indications sur les flacons mentionnent des effets actifs sur « tous les insectes », ou sur « les insectes rampants », ou sur « les insectes volants », ou sur le « moustique tigre ». Quelle que soit la cible visée, les insecticides contenus dans les aérosols appartiennent pour la plupart à la famille des pyréthrinoïdes. La pulvérisation d’un pyréthrinoïde au moyen d’un aérosol entraîne une action de contact immédiate (effet de KD) sur les moustiques, mais la persistance des produits pulvérisés est limitée dans le temps. Les bombes insecticides sont vendues en grande quantité partout dans le monde, or le consommateur ignore souvent que les directives biocides afférentes à ces produits sont très différentes d’un continent à l’autre. Les insecticides qui en Europe sont répertoriés comme dangereux pour l’homme et donc retirés de l’arsenal de lutte contre les moustiques sont encore, très souvent, en usage dans d’autres pays du monde.
51Dans une logique de lutte intégrée, la protection individuelle nécessite la mise en œuvre d’un ensemble de méthodes dont il est préférable que les actions se complètent (PPAV Working group, 2011 ; Duvallet et de Gentile, 2012). Chacune de ces méthodes devra être choisie en fonction de l’environnement, de l’habitat et de la nature des moustiques à combattre, sachant que les moustiques des genres Anopheles et Culex piquent la nuit, et les Aedes pratiquement toute la journée. La hiérarchisation de ces mesures dépend aussi de la nature du séjour (voyage de courte durée ou expatriation), de la saison (saison sèche ou saison des pluies) et de l’état de santé de la personne qui veut se protéger (âge, grossesse, hypertension, asthme…).
52Pour lutter contre les moustiques – que la lutte soit institutionnelle ou individuelle –, il n’existe pas d’insecticides ou de stratégies miracles mais seulement des insecticides et des stratégies efficaces. Pulvérisés ou épandus au bon moment en tenant compte de l’environnement et de la bioécologie des vecteurs, les insecticides permettent, dans la plupart des cas, un contrôle relativement efficace des populations de moustiques. Des questions se posent cependant ! De quoi sera faite la lutte antivectorielle de demain, dans un monde où il est désormais possible aux moustiques de migrer, par le biais des transports aériens, d’un continent à l’autre en moins d’une journée ? Il est légitime aussi de se poser la question de l’impact du réchauffement climatique sur les aires de distribution des nombreuses espèces de moustiques. Pour tenter de répondre à ces questions, il est nécessaire de se livrer à un exercice de prospective dans le chapitre qui suit.
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