La construction d’un partenariat au Cambodge
Négociations et attentes nationales dans le contexte de la lutte contre le sida et le paludisme
p. 143-162
Texte intégral
Introduction
1Notre propos consiste à passer en revue la nature et la composition de deux partenariats dans le domaine de la santé successivement élaborés par un anthropologue de l’IRD et un biologiste de l’institut Pasteur affecté au Cambodge. Le choix de regrouper une portion du trajet des deux chercheurs n’a pas pour but d’apporter une synthèse de leurs approches, encore moins un bilan de leurs activités de collaboration, mais de montrer la particularité de leurs parcours, fonction des variables distinctes (institution, discipline, engagement, itinéraire personnel). Pour le premier, la relation de partenariat commença avec le Centre national de lutte contre le sida et les maladies sexuellement transmissibles (NCHADS) en 2004 et l’Université Royale de Phnom Penh en 2008. Grâce à la venue du second en 2010, les deux chercheurs, réunis dans le cadre d’un programme interdisciplinaire1, sont amenés à travailler de concert avec le Centre national de malarialogie (CNM). Si ces trois institutions nationales n’en sont pas à leur première mise en partenariat avec des établissements étrangers, aucune d’entre elles (en dehors des relations historiques entretenues par l’institut Pasteur du Cambodge) n’avait jusqu’à présent établi des liens à caractère scientifique associés à des activités de recherche, de développement et de formation avec des institutions françaises.
2Les pages qui suivent montrent un processus en cours. La présentation est divisée en quatre parties. Nous partons d’un contexte, celui d’un pays du Sud-Est asiatique et de son histoire tourmentée. Cette première section aide à comprendre comment certains verrous sociopolitiques pèsent sur l’application sereine des liens scientifiques. On voit par la suite que le rétablissement des rapports avec le monde extérieur ne se fait pas sans difficulté, d’autant plus qu’il fut dans un premier temps établi unilatéralement : d’où la tentation contestable, car souvent exprimée par des intervenants extérieurs méconnaissant le contexte2, de percevoir le partenariat comme une alliance approximative entièrement recomposée, manipulée et réagencée de l’intérieur3 ; ce qu’elle n’est pas, comme nous allons le voir.
3Les troisième et quatrième parties évoquent la trame évolutive de ce double héritage (traumatisme civil et reconstruction dirigée). Deux expériences de recherche seront présentées. Une première incursion rapide dans le cadre d’une recherche franco-cambodgienne sur l’épidémie sociale du VIH permet de pénétrer dans un labyrinthe de hiérarchies sans mode d’emploi précis pour en déchiffrer les ressorts. Peut-être est-ce l’excès d’attention sur une institution, et non pas sur les acteurs, qui rend le chemin ombrageux. Il n’empêche que les attentes locales sont bel et bien là, quitte à ce qu’elles surgissent à un moment où l’anthropologue français s’y attend le moins. Le second exemple, révélé dans la dernière section, se penche sur un partenariat que les deux chercheurs développent, tantôt chacun de leur côté, tantôt ensemble, avec le CNM. Avant tout, le rapprochement institutionnel se crée en favorisant des relations de proximité entre les partenaires du Sud et du Nord, indépendamment de leur discipline. Il n’en reste pas moins que la qualité des contacts humains, plus que l’appartenance institutionnelle, joue pour beaucoup dans une mise en partenariat reposant sur un échange équilibré. Concrètement, cela signifie que les chercheurs du Sud attendent d’être conviés à réfléchir sur des problématiques qui les interpellent (s’il s’agit d’une donnée scientifique nouvelle) ou les rapprochent avec les orientations de travail émises soit par la biologie, soit par l’anthropologie (quand une complémentarité interdisciplinaire qui se construit est jugée profitable). Les itinéraires de collaboration dépendent fortement de la discipline, de son utilité perçue et de la façon dont celle-ci est comprise par les interlocuteurs nationaux. À ce titre, si les attentes scientifiques des partenaires cambodgiens diffèrent énormément vis-à-vis d’un anthropologue et d’un biologiste, une conception assez similaire envers « l’expert international » se repère, comme nous le verrons en conclusion.
4Reste à souligner que le fait d’appartenir à l’IRD ou bien à l’institut Pasteur pèse différemment sur la construction du partenariat. Avec toutefois un dénominateur commun : l’utilité de la recherche dépend de son applicabilité concrète qui à son tour justifie la présence de scientifiques internationaux. C’est ainsi que les institutions nationales demandent à ce que la mise en partenariat ait pour finalité l’amélioration de leurs programmes de développement, en général et de santé publique, en particulier. L’aboutissement d’une recherche doit se traduire non pas uniquement par des publications scientifiques, mais par la mise en place d’actions concrètes pour le bénéfice de la population cambodgienne. Comme nous le verrons, une plateforme de travail est d’emblée facilitée par l’établissement historique d’une coopération entre le gouvernement cambodgien et l’institut Pasteur du Cambodge. Une recherche avec un important volet intervention censé répondre aux priorités nationales de santé publique est solidement mise en place et facilite la construction sereine d’un partenariat. Il n’en est pas de même en ce qui concerne l’IRD qui, jusqu’à une période très récente (2010), négligea toute implantation scientifique dans le pays. L’absence de l’IRD en tant qu’institution dans le texte qui suit est donc significative de son inexistence institutionnelle. Suite à cette décision de ne pas s’impliquer dans le pays, il en ressort que la nature de l’institution d’appartenance n’influe guère sur les efforts de partenariat qui demeurent sous l’entière responsabilité du chercheur concerné. Jusqu’à présent, celui-ci doit faire preuve de sa capacité à assumer une certaine visibilité sociale et scientifique. Si le fait d’être de l’IRD ne joue pas, en tous les cas pour l’instant, sur les formes de mise en partenariat, ce qui reste par contre déterminant est d’être connu et reconnu, soit directement, soit par ouï-dire comme un chercheur étranger appartenant à une institution publique d’un pays dont on pressent la réputation et son avancée scientifique. Le rattachement à un centre de recherche, même si les gens du pays en ignorent les véritables tenants et aboutissants, témoigne en partie de la légitimité du travail d’un chercheur qui « représente » son institut. Le statut d’anthropologue, quant à lui, fut accueilli avec circonspection et l’individu chercheur fut amené à montrer, en répondant à des propositions locales comme cela sera passé brièvement en revue plus bas, son utilité scientifique.
Mainmise internationale et déni des capacités locales
5Toute élaboration d’un partenariat à vocation scientifique ne peut s’effectuer sans tenir compte des contextes de collaboration, très inégaux en l’occurrence, qui jalonnent l’histoire récente. En effet, tout nouvel établissement de liens ne s’effectue pas dans le vide, mais s’imprègne des expériences passées qui débutèrent avec la mainmise des ONG internationales et des grandes agences de développement, dès le début 1990.
6À l’aube de cette décennie, le Cambodge avait déjà connu sa première phase de reconstruction post-khmère rouge grâce à l’intervention vietnamienne qui apporta assistance technique et intervention militaire pour éviter le retour des troupes polpotistes soutenues par la Chine. La libération facilitée par le pays voisin se transforma en ingérence politique illégitime aux yeux de l’opinion internationale, Nations unies compris (Jennar, 2010) qui refusèrent de reconnaître le gouvernement en place et imposèrent des sanctions économiques drastiques à l’État cambodgien renaissant de ses cendres (Mysliwiec, 1988). Les premières élections démocratiques de 1993 changèrent la donne, et les ONG, ainsi que les agences internationales, commencèrent à affluer dans un contexte d’intervention caractérisé successivement par des situations d’urgence (Bernander, 1995), de réhabilitation (Council for the Development of Cambodia, 1995), puis de transition (Clayton, 1996) à résoudre.
7Au-delà des positions idéologiques et des modalités d’intervention prises par la quantité d’organisations de tout acabit qui se déversa dans la contrée4, le Cambodge connut indéniablement une longue période où les responsables de l’aide extérieure occupèrent volontairement, et ostensiblement, les rôles de dirigeants, souhaitant accorder au mieux un pouvoir consultatif et une fonction d’observation à la nouvelle vague du personnel khmer recruté, ainsi qu’aux autorités locales, fraîchement formés mais jugés sans maturité ni expérience et formation réelle5. Les premières formes de pseudo-partenariat se construisirent suivant cette logique, alliant hiérarchie (justifiée par l’insuffisance perçue de leaderships locaux) et déni des potentialités intrinsèques. L’irruption de l’épidémie à VIH illustre de manière éclatante cette mainmise allogène (Crochet, 1998), privilégiant, à côté d’actions certes légitimes, un rayonnement social soutenu par une présence géostratégique rendue indispensable et mise en place par les bailleurs et les développeurs.
8Cette volonté d’affichage fut de tout temps considérée à double tranchant par les Cambodgiens. Oscillant entre leur appréciation devant la venue d’un savoir-faire importé, ils restèrent consternés par la façon « arrogante » et « unidirectionnelle » qui caractérisa cette relation. Le souhait d’une certaine discrétion et d’une empathie accompagnant cette forme balbutiante de partenariat était attendu par les Cambodgiens, mais il ne fut pas exaucé durant la première décennie6. Qui plus est, le vieil adage anthropologique (comprendre avant d’agir) qui n’aurait pu qu’aider à installer les tréteaux pour une collaboration plus équitable, fut rarement dans les priorités des développeurs qui ne cessaient de déclarer n’avoir guère le temps de se pencher sur de tels détails.
9Cet héritage allait peser lourd dans la nouvelle volonté gouvernementale de rétablir des rapports de coopération mieux équilibrés, en tous les cas moins dirigés unilatéralement de l’extérieur, comme ce fut trop souvent le cas dans le passé.
Un parcours délicat sur fond de tournant historique
10Il n’est guère surprenant que dans un tel contexte marqué par un esprit de domination parfois doublé de paternalisme, les ressortissants du pays montrèrent un souci singulier – et que certains résidants étrangers trouvèrent excessif – de réaffirmer leur position en évoquant puis cherchant à montrer leur capacité à régler eux-mêmes les problèmes essentiels qui touchaient le pays. « La présence des autres est justifiée, disaient des cadres cambodgiens, uniquement car ils apportent les indispensables devises et des savoirs pointus qu’il s’agit de capter en vue de s’autonomiser ». Cette réaction ne se fit pas du jour au lendemain mais elle affecta les définitions, jamais stables ni consensuelles, d’une coopération qui allait marquer les premières activités de partenariat dans la recherche.
11Si des organisations internationales savent habilement faire abstraction de leurs stratégies globales et restreignent l’étendue des rapports de partenariats à l’aune de ce qui se réalise au niveau microlocal (World Bank, 2004), Marshal Sahlins, quant à lui, analyse le changement historique, notamment les relations de pouvoir qui s’y retrouvent, comme conséquence d’une articulation entre les dynamiques locales et transnationales (2000). Tout ce qui va suivre dans ce chapitre va mettre l’accent sur cette perspective d’approche cherchant à rendre compte de ce qui s’opère sur ces niveaux d’échelle différenciés. Mais qu’en est-il de la construction des attentes locales ? Rappelons que ce qui est recherché au sein de l’environnement cambodgien est l’applicabilité d’une méthode en adéquation avec leur vision du monde. Les cycles évolutifs de la vie réajustent un mouvement d’horloge et, inspirés par la doctrine bouddhiste, rappellent que rien n’est immuable ni définitif. Il est donc plus judicieux d’identifier des questionnements qui surviennent à des moments précis, quitte à constituer une problématique « du moment » susceptible de nourrir une recherche doublée d’une intervention, sans pour autant essayer d’en tirer des conclusions générales « atemporelles » ni en formaliser les propriétés en guise de modélisation. En d’autres termes, un certain pragmatisme règne.
12On est donc parti d’un partenariat sans réel partenaire « en chair et en os », au mieux représenté par un gouvernement qui a été injustement, et l’est encore, accusé d’être la marionnette du Vietnam, portant en soi les reliquats d’un communisme qui bloque la marche du progrès et du modernisme que sont prêtes à apporter les agences internationales et des ONG. Mettons-nous un instant à la place des Cambodgiens : se positionner puis traiter avec des entités impliquées dans l’aide7 ne coule pas de source. Surtout quand la réponse conventionnelle des bailleurs de fonds et des acteurs du développement augmente la relation de dépendance, dès lors qu’il est répétitivement souligné que le pays est encore sous perfusion économique et que rien ne peut aboutir sans la coopération internationale pensée de l’extérieur.
13Fréquents furent les décideurs et développeurs nationaux à avoir le pressentiment que la souveraineté de leur pays leur échappait8. Des accords de partenariat avaient pourtant été scellés, mais la nature des liens fraîchement établis restait encore entachée d’un rapport de subordination où les terminologies de « bénéficiaires », de « receveurs », voire même d’» assistés »9, tendaient à caractériser confusément et négativement les rapports entre l’État et la multitude des pays engagés dans l’aide au développement local.
14La sérénité idéale espérée faisant place à des rapports de force disparates, une réaction sociologiquement prévisible commença à se dessiner dans plusieurs secteurs d’activité du développement, notamment ceux incluant une composante « recherche ». Ce que l’on avait tendance à oublier est que la population du Cambodge n’était plus celle du 7 janvier 197910. Des cadres étaient depuis longtemps formés, des compétences locales essaimaient, de nouvelles générations entraînées et dégagées des stigmates du passé voyaient le jour et avaient leur mot à dire. Une demande de formation et d’accès à l’excellence pour la réalisation de travaux scientifique émergeait, mais les rouages, les diplomaties et les attentes qui participaient à l’avènement d’une nouvelle collaboration prirent une autre tournure. En certaines occasions elles se radicalisèrent11. L’attitude générale peut se résumer dans cette remarque souvent prodiguée, « Un jour, on n’aura plus besoin de vous ». L’instrumentalisation des acteurs sociaux étrangers (coopérants, experts, consultants, développeurs) ne se présentait pas de façon homogène mais allait, tout de même, en augmentant. Leur présence ne fut jamais récusée car leur dimension utilitaire était reconnue. L’important consistait à se dégager de leur aura privilégiée qui leur conférait un statut de personne irremplaçable. L’un des arguments souvent évoqués par les Cambodgiens pour minimiser la présence étrangère est le coût financier que représente cet appui, d’autant plus que des critiques nationales remettent en question, à tort ou à raison, son efficacité12. Certaines accusations allèrent bien plus loin : répondant à l’accusation de corruption endémique dans le pays, des ministres en profitèrent en 2008 pour fustiger les économistes et autres chercheurs surpayés de la Banque mondiale et du FMI dont le travail profitait davantage à leurs organisations qu’au pays d’accueil qui, de surcroît, se voyait contraint in fine de rembourser les salaires inclus dans la dette.
Flexibilité et jeux d’acteurs au sein de leurs institutions
15Où en est-on aujourd’hui, et que peut-on dire suite aux trajectoires de partenariat des deux auteurs de ces lignes ? Un premier point méritant d’être soulevé tient à la spécificité de l’évolution d’un partenariat patiemment établi après de prudentes négociations. Chacune des expériences personnelles tend à montrer que le développement d’un partenariat se concrétise moins avec l’institution d’ancrage qu’avec les membres de ces institutions. Si dans un premier temps ces membres peuvent être choisis, voire imposés par la charge de travail, en fonction de l’orientation de leurs centres d’intérêt, le déroulement du partenariat obéit à des critères bien plus subjectifs associant qualité des relations humaines, compréhension mutuelle, rassemblement autour d’objectifs partagés et intérêts portés à la discipline de l’autre.
16Frédéric Bourdier retourne au Cambodge en 2004 en tant que coordinateur d’un programme Sidaction sur l’accès aux antirétroviraux, suivi d’un second projet sur l’émergence de la société civile dans la lutte contre l’épidémie à VIH financé par l’ANR. Il avait auparavant effectué, pendant sept années, des recherches sur le sida en partenariat avec les autorités tamoules en Inde du Sud, puis avec le programme national de lutte contre le sida au Brésil. La réception au Cambodge différa sensiblement. Alors que les partenaires indiens et brésiliens avaient perçu la recherche en science sociale comme une source de réflexion positive susceptible de mettre à jour des priorités jusque-là négligées ou passées sous silence, le NCHADS considéra au contraire que toute critique sociale remettant en question la pertinence, si minime soit-elle, des choix accordés serait une atteinte à la souveraineté locale. Toute recherche en sciences humaines, récente il est vrai dans le pays, doit rester sur le qui-vive si elle ne veut pas être accusée d’être politiquement déstabilisatrice. Plutôt que de se pencher inutilement sur le suivi des politiques nationales, disait-on à l’anthropologue, penchez-vous de plus près sur les comportements des populations ainsi que sur les agissements des ONG13.
17Néanmoins le travail ethnographique, perçu par les autorités locales comme « preuve à conviction » envers les agissements d’acteurs internationaux de santé, peut en certaines occasions susciter de l’intérêt. C’est ce qui arriva à deux reprises dans les années qui suivirent. La première fois, nos enquêtes nous entraînèrent dans les locaux d’une grande ONG internationale dont un des volets d’intervention consistait à héberger des femmes séropositives, sélectionnées selon des critères de pauvreté, veuves ou abandonnées, avec leurs enfants également victimes du sida dans un centre d’accueil en milieu rural (juin 2005). Intrigués par le discours (trop) élogieux de leur programme de réinsertion sociale et familiale, nous nous rendîmes sur les lieux où il fut découvert que le traitement par les ARV (antirétroviraux) était exclusivement réservé aux enfants. Si une mère voulait y avoir droit, elle devait signer une décharge parentale, laisser l’enfant à l’association (connectée à un orphelinat bâti à côté), s’engager à ne pas revenir et quitter les lieux pour se débrouiller comme elle l’entendait. Il était bien entendu éthiquement impossible de ne pas réagir. Informée aussitôt, une institution gouvernementale considéra la nouvelle, sous-entendit qu’elle ne pouvait pas agir directement14, et demanda, qu’en cette occasion, l’anthropologue de l’IRD établisse un partenariat avec une ONG des droits de l’Homme capable de régler ce litige. Ce que nous fîmes, après avoir appris que l’ONG internationale responsable de cette politique criminelle et discriminatoire était finalement un des consortiums étrangers disposant d’un des plus importants budgets annuels pour l’aide au développement au Cambodge. C’était un groupe dont le NCHADS et le ministère de la Santé préféraient qu’il soit attaqué non point par eux, mais par une association humanitaire reconnue intègre, couvert par un scientifique dont la probité et le sérieux furent « soudainement » reconnus, vu qu’il agissait dans le cadre de la bonne gouvernance nationale.
18La seconde demande d’intervention s’effectua en 2009 quand le NCHADS et le département de Nutrition du ministère de la Santé se décidèrent à commanditer une étude sur l’acceptabilité d’une noix vitaminée (la plumpy nut : PN) pour les enfants malnutris15 porteurs du VIH. Cette évaluation faisait suite à un projet pilote de quatre ans financé par la Fondation Clinton. Sans rentrer dans les détails ici (voir Bourdier, 2009), toute la chaîne des acteurs impliqués s’accordait à reconnaître que ce projet battait de l’aile. Le service public de santé de l’hôpital pédiatrique, les deux ONG collaboratrices et le département de Nutrition regardaient avec un œil on ne peut plus dubitatif l’aide encombrante apportée. Nombreux étaient les témoignages attestant le refus du produit et la solitude du personnel de santé confronté, sans aucune préparation logistique, à organiser la distribution et le suivi de la prise régulière de la PN.
19D’un autre côté, les deux Américaines diplômées de Harvard recrutées par la Fondation Clinton pour mettre en place le projet au Cambodge, ainsi que les nombreux experts américains de passage se rendaient bien compte également que « quelque chose » ne fonctionnait pas et constataient le trop-plein de réticences chez les partenaires locaux. Mais, comme il faut s’y attendre dans ce genre de projet financé par une organisation prestigieuse, aucune des deux parties n’était en mesure de décider quoique ce soit en ce qui concerne le déroulement, le changement et l’évolution du projet. Leur tâche, sans cesse soulignée dans les réunions de cabinet, était de faciliter l’implantation et de veiller à promouvoir répétitivement l’action intentée.
20Ce qui devait arriver arriva et il fut demandé à l’un des rares anthropologues qui se trouvait à Phnom Penh de réaliser ladite évaluation avec son équipe locale. Il est important de se rappeler qu’il était fortement espéré de voir aboutir une expertise déconstruisant patiemment une œuvre pourtant louable, sans y omettre les obligatoires bémols et les passages positifs. Or l’anthropologie, fidèle à sa réputation critique auprès de nombreux acteurs de santé au Cambodge, était perçue comme étant la science qui avait la capacité, moyennant les acrobaties les plus diverses (selon eux), de décortiquer et critiquer fortement le projet. De telles craintes ne furent pas exprimées directement à l’anthropologue mais furent rapportées par des intermédiaires que nous connaissions personnellement, répétant ce qu’ils avaient entendu dans les coulisses des bureaux du département du NCHADS et de Nutrition. L’autorité présumée de la discipline et l’institution française à laquelle était rattaché le chercheur ajoutaient à la force de frappe du rapport attendu et c’est en ces termes qu’un partenariat fut signé.
21Du coup, tout le monde y trouvait son compte. À peine remis au ministère, le document de recherche fut l’étincelle attendue qui permit au responsable de la lutte contre la nutrition de ne pas donner son aval pour l’extension nationale du projet PN soutenu par la Fondation Clinton. Le projet arrivait donc à son terme et la justification de sa fin était marquée par l’estampe d’un chercheur estimé sans parti pris16, appartenant à une institution scientifiquement autonome et réputée pour déléguer une certaine responsabilité scientifique à ses chercheurs (Schlemmer, 1998). D’un autre côté, les membres de la Fondation se voyaient débarrassés d’une démarche qui piétinait de plus en plus à Phnom Penh, mais s’en tiraient la tête haute en assimilant l’échec du projet à une mauvaise volonté locale, en rappelant à tout le monde, population, administrateurs et staff de santé, la pugnacité de la Fondation qui n’hésite pas à aller contre vents et marées pour sauver les êtres les plus démunis. Certains pro- PN n’hésitèrent pas à présenter l’idée du projet comme une réussite dans la mesure où cette tentative avortée servirait de fil déclencheur pour renforcer le système de santé et de nutrition.
Ensemble contre le paludisme ? Un partenariat composite
22Didier Ménard est un scientifique de l’institut Pasteur. Après avoir séjourné en Nouvelle-Calédonie, en République centrafricaine, puis à Madagascar, sa dernière lettre de mission en tant qu’expert technique international (ETI) du ministère des Affaires étrangères et européennes (MAEE) lui signifie les objectifs à atteindre et les points à développer dans l’unité d’épidémiologie moléculaire du paludisme à l’institut Pasteur du Cambodge (IPC). Responsable de cette unité, une part de son travail consiste en un transfert de compétences scientifiques par le montage de projets de recherche conduits de concert avec les scientifiques du CNM ou par l’apport de son expertise technique et la mise en place d’ateliers formation pour des formateurs (cascade training)17. Cette formation s’accompagne d’un enseignement théorique (le cycle des parasites, etc.), considéré comme un « rafraîchissement » des connaissances. L’autre partie de son travail réside dans sa contribution scientifique à divers projets nationaux et régionaux sur le paludisme, y compris un projet interdisciplinaire (Sorema – Sociétés, résistance, malaria) essentiellement tourné vers une approche en sciences sociales.
23La construction du partenariat ne se duplique pas d’un pays à l’autre, mais se réalise en premier lieu par le développement des relations humaines. Elles commencèrent au Cambodge à partir d’un cercle concentrique allant s’agrandissant : le personnel de son unité dont il a la responsabilité, ses collaborateurs à l’IPC, et enfin les gens du dehors afin de comprendre d’abord comment fonctionne la recherche hors partenariat. La première découverte est que le CNM, en comparaison avec le programme national de lutte contre le paludisme à Madagascar où une certaine marge d’action existe en dehors de la structure nationale, cherche tant que faire se peut à exercer un leadership sur les programmes de recherche menés sur le paludisme. Il exige d’être impliqué en tant que principal investigateur pour tout projet présenté au comité national d’éthique sur la recherche en santé. Cette volonté affirmée de gérer financièrement et scientifiquement ce qui se fait sur le paludisme surprend celui qui, comme lui, vient d’horizons géographiques et politiques (Madagascar, Afrique centrale…) moins regardants sur la mainmise des projets soutenus par des intervenants extérieurs. Un excès de contrôle, transformé en conflit d’intérêts, brouille encore davantage les cartes quand le principal investigateur se positionne à la fois comme acteur privilégié (recherche et opérateur) et évaluateur.
24Très vite, les premières rencontres avec le CNM lui font apparaître plusieurs cercles emboîtés les uns aux autres : le premier regroupe des proches du directeur (incluant des parents et d’anciens « collègues » connus avant sa nomination), tandis que d’autres plus éloignés, sans pour autant qu’ils soient en dehors du système, gravitent autour. Un certain équilibre règne. La délégation du pouvoir, qui reste malgré tout cloisonné, est habilement distillée de façon à ce que chacun des membres au sein du CNM trouve son compte dans chaque forme de partenariat initié, qu’il s’agisse de la distribution des tâches de travail, de la répartition des bénéfices sociaux et budgétaires et de la participation aux travaux académiques. Plus subtilement, la reconnaissance de chacun est évaluée à l’aune du réseau patiemment élaboré, à celui qui « sait frapper avec succès à plus de portes » que d’autres ; c’est-à-dire à celui qui sait s’entourer de personnalités influentes susceptibles de lui garantir sécurité d’emploi, promotion institutionnelle et apports financiers.
25À l’intérieur de ce corps social donnant l’apparence d’une homogénéité, trois catégories de personnes se distinguent : une première série d’associés exprime une demande de collaboration spécifiquement scientifique. Ils appartiennent à la vieille génération des francophiles ou bien à une nouvelle génération désireuse d’obtenir un poste à l’université des Sciences de la santé, d’avoir une reconnaissance internationale et de publier dans des revues indexées. Certains d’entre eux rentrent dans la logique d’une demande de transfert de connaissances qu’ils espèrent temporaire. Une fois sa tâche accomplie, il est attendu que la personne retourne d’où elle vient car on a plus besoin d’elle. Dans son rôle d’ETI, Didier Ménard ne trouve rien à redire à ce genre de comportement, car ce n’est après tout que le reflet d’un certain succès du mécanisme de transmission des savoirs qu’il a effectué. Une autre catégorie de personnes perçoit le partenariat comme une opportunité à la fois scientifique, mais également financière dans la mesure où ils escomptent des rémunérations providentielles de la part de tout projet passant par ou près d’eux. Proche du fonctionnement par la dot, cette démarche est très ouverte et se justifie par le très bas niveau des salaires des fonctionnaires qui doit être compensé par une source supplémentaire de revenus. Un échange s’instaure : le projet passe, son exécution sera facilitée par l’équipe du CNM et la mise en partenariat permettra de niveler les inégalités économiques provenant du décalage entre les émoluments du personnel local et international18. Ce système n’obéit pas à une propension individuelle, car il existe un système de redistribution de l’argent récupéré par ce truchement (la stratégie du « gagnant-gagnant » devient un leitmotiv). Une partie des émoluments est donnée aux subordonnés qui deviennent alors liés par des rapports de paternalisme et parfois même de clientélisme (quand il s’agit d’obtenir un poste avancé) avec celui qui orchestre la distribution. Enfin, une troisième catégorie de personnes oscille entre les deux tendances, c’est-à-dire l’épanouissement scientifique mais sous condition d’être en mesure de voir son train de vie s’améliorer. Un des arguments entendu une fois est que « rien ne sert d’être une personne de connaissance si l’on continue à porter des haillons et circuler en vélo ».
26Il en ressort que le partenaire du CNM sélectionne sa stratégie suivant la personnalité des gens fréquentés (imposés ou tacitement choisis). Comprenant la position du CNM qui voit passer des dizaines d’experts, le biologiste se rappelle qu’au début il se mit dans la peau d’une personne affable, ouverte, disponible afin de faire apparaître les valeurs essentielles à établir au sein d’un partenariat que sont la confiance et la fiabilité. Sans confiance, rajoute-t-il, on ne voit pas très bien comment établir des ponts susceptibles d’aboutir à un partenariat équitable. Il est important aussi de jouer sur le facteur « génération », c’est-à-dire de savoir naviguer entre la « vieille promotion » et la « nouvelle » ; la première ayant l’expérience sur la manière d’être et les façons de se couler dans un système de multipartenariat, et la seconde, plus pugnace et avide d’enrichir son bagage scientifique en travaillant de concert avec des seniors de la recherche issus de centres réputés hors du Cambodge. La perception acquise au bout de deux ans par les responsables CNM sur le biologiste est qu’il est fiable. Mais celui-ci ne sait pas si la relation de partenariat est marquée par de la confiance, vu, admet-il, qu’il n’y a pas d’intimité pour l’instant.
27Il n’en reste pas moins que les priorités du CNM en matière de santé publique doivent être honorées. Didier Ménard qui représente l’IPC et le MAEE (ministère des Affaires étrangères et européennes) se doit d’adopter une approche de type « conduite d’étude et projet de recherche ». Ces projets de recherche sont l’objet de demandes de la part du CNM, mais certains peuvent être réalisés dans l’urgence en fonction de circonstances particulières. C’est ainsi qu’une étude fut demandée en urgence (sollicitée en dehors du temps de travail de bureau) par le ministre de la Santé qui nécessitait l’utilisation d’une technique sophistiquée non disponible au CNM (PCR19). Ce type d’étude ne provient pas tout le temps des partenaires directs habituels. Dans ce cas, il ne s’agit pas d’une demande formelle mais d’une aide personnelle conditionnée par la proximité et la certitude d’une compréhension mutuelle associée à la durabilité du partenariat. En cas d’hésitation ou de refus non motivé, les rapports établis de confiance s’en trouveraient altérés.
28Le partenariat établi par Didier Ménard n’est aucunement exclusif, étant donné son insertion dans plusieurs projets internationaux. Au contraire, tout laisse à penser que cette position est bien perçue par le CNM, y voyant probablement un tremplin pour élargir ses propres connexions. C’est ainsi qu’une rencontre fortuite avec une personne du CNM lors d’un colloque international en Corée fut l’occasion d’un rapprochement partenarial. La personne du CNM, qui l’ignorait poliment jusqu’à ce moment, remarqua lors de cette rencontre le regard porté sur le scientifique français par d’autres experts internationaux et en déduisit que ses travaux étaient reconnus, donc que ses conseils pouvaient être précieux.
29Les relations de Frédéric Bourdier avec le CNM sont plus récentes et ne transitent pas par un protocole d’accord signé entre le président de l’IRD et un ministère cambodgien. Il n’en reste pas moins qu’il est aisé d’approcher le CNM. Celui-ci travaille avec tout le monde et reste ouvert à toute nouvelle étude. L’anthropologie n’était pas totalement inconnue mais marginalisée, moins par intention directe que par absence de clarté sur ce à quoi elle pouvait contribuer. À la lecture du projet Sorema (dans lequel un axe consiste à analyser politiques de santé et contextes d’intervention), l’attention portée aux populations pauvres fut très bien ressentie. Enfin des scientifiques qui vont aller sur le terrain ! Par contre, aller voir ce qui se passe au sein du CNN, suivre l’évolution de ses interventions est une autre histoire. Didier Ménard avait déjà noté que la critique, même constructive, quelle que soit la tournure qu’elle prend, n’a pas sa place dans un système qui est déjà en place avec une tradition de planification fonctionnant sur des résultats comptabilisables à obtenir moyennant des échéances précises. Il n’empêche qu’une étude qui vise à mieux comprendre les mécanismes sociaux ainsi que les dynamiques à l’œuvre a l’avantage de dévoiler quelque chose de plus « concret » et de plus « parlant » (selon deux expressions employées par des chercheurs du CNM) que la multitude de données chiffrées, analysées et maintes fois projetées par des procédures statistiques complexes avant de finir dans des tentatives de modélisation à la présentation scientifique irréprochable, mais un peu trop éloignées de l’homme et de son contexte de vie. Un partenariat mobilisateur avec le CNM a pris justement ses racines à partir de la réalité sociale qu’il s’agit de déchiffrer. Celle-ci est facilitée par le décryptage de l’interface milieu/homme/santé (une des composantes majeures de Sorema) qui apporte une forme de documentation encore inédite et qui intéresse certains chercheurs du CNM.
30Reconnaissons, de concert, qu’il n’est pas aisé pour le CNM de développer et maintenir un leadership devant la multitude des intervenants extérieurs et des puissants bailleurs de fonds. Il est possible que ce que l’observateur étranger perçoit comme un « abus de fonctionnement » (la tentative nationale affichée de contrôler toutes les activités sur le paludisme, par exemple) ne soit qu’une façon, habile et compréhensible, de se réapproprier la souveraineté sur leur politique de santé. Il est arrivé, rarement au départ, mais semble-t-il, plus fréquemment de nos jours, que des personnalités du CNM refusent la mise en place de projets présentés par des bailleurs influents ou renvoient des expatriés recrutés par des organisations comme l’OMS, s’ils ne sont pas capables de suivre les protocoles de partenariat proposés par les acteurs locaux. En cas de démarches non éthiques ou de parcours de travail jugé dangereux pour le déroulement du projet national, une lettre écrite par le CNM à l’organisation d’appartenance peut induire la démission forcée de la personne.
31On ne sera pas surpris de reconnaître l’existence d’un certain nationalisme doublé néanmoins d’une certaine intelligence à convenir que toutes les dépenses nécessaires ne peuvent être actuellement prises en charge par le pays. Il y a toutefois des espaces où les membres du CNM cherchent à se rendre maîtres (nonobstant le côté financier), comme le domaine de la logistique, de l’implantation du projet, du suivi au niveau provincial et de la présence sur le terrain où ils excellent grâce à l’élaboration d’un réseau parfaitement ramifié. Il n’y a peut-être pas de lien direct entre la revendication nationaliste et l’échange des connaissances, mais plusieurs indications tendent à montrer que le CNM n’est pas toujours « partageant ». Didier Ménard parvient avec une grande difficulté à obtenir les données épidémiologiques, reconnaissant que cette rétention est liée aux expériences négatives d’un « faux partage » dans le passé où toutes leurs informations furent littéralement « pillées » par des personnes de passage qui, les prenant à leur compte, se positionnèrent en principal acteur sans mentionner l’énorme travail de compilation patiemment effectué par le CNM. Frédéric Bourdier, quant à lui, estime que la collaboration dans le cadre du programme Sorema est en train d’induire un exercice d’anthropologie réflexive où chacun des deux membres se rend compte qu’il a tout à gagner à montrer, en bonne entente, le cheminement intellectuel qui est en train de contribuer à l’avènement du programme de l’élimination du paludisme prévu pour 2025. Cela compte tenu du fait que la politique de santé du pays pourrait servir d’inspiration à d’autres contrées voisines.
Conclusion
32L’exemple du Cambodge, comme cela a été rapporté ailleurs (Baré, 2001), montre qu’il n’y a pas de prototype de partenariat universel.
33Le biologiste est en appui, tandis que l’anthropologue se fixe pour objectif de montrer ce qui ne se voit pas avec des chiffres ou avec un microscope. Plusieurs années d’expérience nous amènent à penser qu’un véritable partenariat peut difficilement voir le jour sans réussir à pénétrer les arcanes de la société khmère reposant sur un système compartimenté, mû par une dynamique de « clan », c’està- dire de groupe assez fermé, portant en lui un événement fondateur qui légitime ses « idéo-logiques » et qui fonctionne à partir d’intérêts partagés. On hérite également du passé, de ce que les prédécesseurs ont accompli ou pas. En se restreignant aux deux parcours, le partenariat prend la forme d’un engagement, au sens où l’entend Jean Copans (1998), ou bien d’un investissement dans un domaine plus politique, comme le définit Pierre Bourdieu. Il suffit de se rappeler l’encouragement discret du NCHADS à ce que le chercheur français assume son partenariat en effectuant de son côté ce qu’eux n’étaient pas en mesure de faire, diplomatie oblige, c’est-à-dire arrêter les abus de l’ONG qui refusait de délivrer les ARV (antirétroviraux) aux femmes seules. Ce fait mis à part, si l’on admet cette parabole sociologique signifiant qu’il existe une correspondance étroite entre la structure sociale et les structures mentales, entre les divisions objectives du monde social (les rapports dominants/dominés ou de sexe, par exemple) et les principes de vision et de division que les agents leur appliquent (Bourdieu et Wacquant, 1992), le comportement du CNM, dans sa globalité, rentre tout à fait dans cette logique et son cheminement partenarial s’inscrit en accord avec cette démarche relationnelle.
34Si l’on y ajoute ce que Sherry Ortner (2006 : 107-128) appelle « the acting subject », un concept qui insiste sur la part d’autonomie relative dont un sujet dispose en agissant et pensant à l’intérieur d’un cadre culturel donné sans y être emprisonné, on est en mesure de mieux comprendre comment la notion de partenariat s’est forgée au Cambodge. Elle a été conditionnée et subie par l’expérience du passé, mais reprise et réappropriée, non seulement par des institutions, mais plus précisément par les membres d’institutions qui voient dans le partenariat, à tout le moins dans la plupart des expériences qui nous concernent, un espace de travail à partager, mais aussi un moment ainsi qu’un temps précieux où règnent aussi la confiance et la convivialité. Terminons sur une anecdote qui n’en a que les apparences, car elle est très révélatrice de l’attente de collaboration « élargie » : un directeur adjoint du CNM qui ne tarissait pas d’éloges à propos du biologiste quant à sa contribution scientifique regrettait toutefois qu’ils n’aient pas eu encore l’occasion d’aller ensemble dans un karaoké, autrement dit, là où les langues se délient, dans un espace de détente où les confidences qui scellent la confiance s’élaborent.
Notes de bas de page
1 Projet Sorema (Sociétés, résistance, malaria), financé pour 3 ans par l’ANR (2012- 2014).
2 Discussions auprès des chargés de mission sur le court terme (enquêtes personnelles, F. Bourdier, 1996, 2003-2006).
3 Cette conception du partenariat continue, trente ans après, à être mise en avant dans le milieu de l’expertise et de la consultance.
4 On estime qu’après 1990, tous secteurs confondus, arrivèrent plusieurs centaines d’ONG, quelques dizaines d’agences bilatérales et toutes les grandes agences multilatérales. L’un des deux auteurs, anthropologue, entreprit ses ethnographies sur les minorités du Nord-Est à cette époque (1994-1995).
5 Témoignages rapportés par de jeunes professeurs d’université et des Khmers associés aux projets de développement par la santé (1995 et 2003). En outre, les enseignements reçus au cours des années 1980 dans les pays de l’Est restaient déconsidérés par les acteurs des pays non communistes.
6 Discussion avec une ancienne professeure khmère de géographie, recrutée en tant que chargée d’études par la Banque mondiale (2005).
7 Des agences qui sont, ne l’oublions pas, des postes d’avant-garde de la mondialisation dans le domaine de la santé et du développement socio-économique (Bourdier, 2006).
8 Interviews répétées de personnes chargées du développement rural dans les zones reculées (1995 et 2004).
9 Révélations faites par des personnes dépendant du ministère de la Santé et de l’Agriculture (2004).
10 Date du renversement du Kampuchea Democratic (gouvernement des Khmers rouges).
11 Les déclarations du type « la communauté des Cambodgiens n’a pas besoin des autres pour s’en sortir » sont monnaie courante. L’un des directeurs d’un département de santé affirmait ainsi, en 2006, que les non-Cambodgiens étaient utiles pour lever des financements, assurer les formations essentielles et rien de plus.
12 Des Cambodgiens avaient commencé dans les années 1990 à tenter des essais de classification, entremêlés de discernement, entre des personnalités étrangères (européennes, asiatiques, américaines, etc.) en recherchant les façons les mieux adaptées pour construire une forme de partenariat spécifique en fonction de leur culture d’appartenance.
13 Notons que cette volonté au Cambodge de cantonner l’anthropologie dans l’étude des « représentations des populations » et non des acteurs de santé (politiques, soignants…) n’a rien d’original. Même si elle semble fondée sur le contexte politique et l’histoire du pays, elle rejoint une demande assez universelle qui reste toujours prégnante, en dépit de la volonté des anthropologues d’élargir l’analyse à ceux qui font, décident, interviennent et mettent en place les actions de santé.
14 Outre la manne financière apportée, cette organisation avait des réseaux dans plusieurs sphères d’activités de développement et ne pouvait pas être remise au pas par les représentants du gouvernement.
15 Répondant aux critères -2S et -3S (moyennement sévère et sévère).
16 En fait, des membres du NCHADS connaissant certaines des interventions de l’anthropologue (pas toujours appréciées pour leur caractère un peu trop « scrutateur »), estimèrent qu’en cette occasion il était opportun de faire appel à un expert de cet acabit qui n’hésiterait pas à émettre un avis scientifique sans compassion.
17 Il doit faire en sorte que des personnes du CNM, une fois encadrées avec la rigueur scientifique qui s’impose, puissent former à leur tour les acteurs de la lutte contre le paludisme dans les provinces.
18 Il existe plusieurs expressions en khmer et en anglais, facilement décodables, pour signiýer cet accord entre partenaires.
19 « Polymerase chain reaction ». Technique scientifique destinée à amplifier des copies d’ADN pour les reproduire en plus grand nombre.
Auteurs
Anthropologue n° 11E1, rue 374 Toul Svay Prey 1, Phnom Penh, Cambodge
fredericbourdier@hotmail.com
Paludologue
Institut Pasteur du Cambodge
Unité d’épidémiologie moléculaire du paludisme
5 bd Monivong
BP 983
Phnom Penh, Cambodge
dmenard@pasteur-kh.org
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