Chapitre 10. Les AMP : nouvel outil de gouvernance côtière ?
Le cas du Maroc
p. 186-196
Résumé
La difficulté de création des AMP et le respect d’une bonne gouvernance se heurtent aux intérêts souvent contradictoires attachés aux zones marines littorales. Mais la position particulière de ces zones à l’interface entre les milieux continentaux et marins en fait aussi une particularité en termes juridiques. De fait, les AMP s’appuient‑elles sur un arsenal juridique suffisant pour devenir, comme certains le souhaiteraient, un nouvel outil de gestion côtière ? C’est la question soulevée par Idllalène et Masski à partir du cas d’étude du Maroc.
Texte intégral
Introduction
1Les conséquences du réchauffement climatique risquent d’aggraver la situation de fragilité des peuplements marins dont les capacités de résilience sont mises à mal par des décennies d’exploitation intensive. En l’absence d’un régime juridique spécifique aux zones côtières, en mesure d’assurer leur protection (Idllalène, 2009), il est possible de voir dans le nouveau texte relatif aux aires protégées, un outil adapté à cette fin.
2Adoptée en juillet 2010, la loi sur les aires protégées64 englobe aussi bien les aires protégées terrestres que marines. Dans ce sens, elle apporte une vision intégrée qui fait défaut dans le droit existant65. Par ailleurs, sur le plan du risque climatique, la loi encadre la création d’aires marines protégées (AMP) dont l’apport en la matière est important. Les AMP constituent, en effet, à la fois un outil d’adaptation aux changements climatiques et d’atténuation face à leurs effets. L’atténuation signifie la réduction des émissions des gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère (y compris par le renforcement des puits de carbone), alors que l’adaptation est définie comme « l’ajustement des systèmes naturels ou humains en réponse à des stimuli climatiques ou à leurs effets, afin d’atténuer les effets néfastes ou d’exploiter des opportunités bénéfiques » (Bijlsma et al., 1996).
3L’objet de cet article est d’examiner quelles sont les applications possibles des aires marines protégées en matière de lutte contre les impacts des changements climatiques en zone côtière dans le contexte du droit marocain en soulignant les contraintes éventuelles.
LES AMP, instruments de protection de la zone côtière dans un contexte de changement climatique ?
4En favorisant l’institution d’AMP, la nouvelle loi sur les aires protégées comble les lacunes du droit marocain en matière d’adaptation au changement climatique mais aussi, plus globalement, dans le domaine de la gestion du littoral. Les catégories d’aires protégées qu’elle adopte reprennent largement les classifications des Sites d’intérêt biologique et écologique (Sibe) identifiées par l’administration et qui à défaut de tenir clairement compte du risque climatique, s’inscrivent dans les stratégies dites « sans regret ».
La loi sur les AMP au secours du droit applicable aux zones côtières
5En application du principe de « responsabilités communes, mais différenciées », l’effort en matière d’atténuation incombe d’abord aux pays riches, principaux responsables des émanations de gaz à effet de serre. Quant aux pays en développement, la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC)66 leur enjoint de s’adapter (Maljean‑Dubois et Wemaëre, 2010).
6En zone côtière, le Giec préconise trois démarches d’adaptation : la protection, l’« accommodement » et le retrait. (Bijlsma et al., 1996 ; Klein et Nicholls, 1999 ; Mani et al., 2008).
7Les AMP peuvent correspondre à l’une ou à l’ensemble de ces démarches. Elles peuvent en effet servir en tant qu’outil de protection de la zone côtière contre les effets de l’élévation du niveau de la mer, mais aussi en tant que mode d’« accommodement » en permettant d’exploiter autrement la zone littorale.
8Or, la loi sur les aires protégées ne traite ni de l’atténuation du changement climatique ni de l’adaptation à ses effets. Son apport en la matière se déduit des catégories qu’elle met en place qu’il est possible de considérer comme des stratégies « sans regret ». Ces stratégies se traduisent par des mesures à adopter qui ont un double effet, d’abord en tant que mesures « classiques » de protection de l’environnement, ensuite comme dispositif pouvant accessoirement servir à diminuer les effets des changements climatiques. Il s’agit d’« actions générant des bénéfices sociaux, quels que soient les futurs scénarios des changements climatiques et des impacts » (Heltberg et al., 2009 : 89). Elles ont de ce fait un moindre coût que les mesures spécifiquement dédiées à l’atténuation ou à l’adaptation.
La typologie des AMP retenues par la loi
9La loi sur les aires protégées intègre les AMP dans la catégorie générale des aires protégées en précisant que celles-ci peuvent être aussi bien terrestres que maritimes (article premier67). La typologie des aires protégées retenue par la loi (article 2) est calquée sur les catégories classiques de l’UICN (Dudley, 2008). Elle se base aussi sur la classification faite par le Plan directeur des aires protégées (PDAP) établi depuis 1996 par le Département des Eaux et Forêts68. Cette typologie retient certaines catégories qui préexistent à la loi sur les aires protégées, à savoir les parcs nationaux et les réserves, mais modifie leur statut juridique69.
10Le PDAP classe des Sites d’intérêt biologique et écologique (Sibe) en fonction de leur degré de dégradation et des mesures de protection dont ils doivent faire l’objet par priorité70. Or, la majorité des Sibe classés ne sont pas des Sibe littoraux. Ceci s’explique par l’implication forte et ancienne de l’administration des eaux et forêts dans la montagne marocaine (Milian, 2007). Les Sibe littoraux (carte 1), dont la superficie ne dépasse pas 205 000 ha, sont au nombre de 38 dont 12 de priorité 1, 17 de priorité 2 et 12 de priorité 3.
11I. Parc national d’Al Hoceima, II. Parc national Souss Massa, III. Parc national de Dakhla, et IV. Réserve naturelle des phoques moines.
12Ces catégories de Sibe ont été dépassées, car la majorité de ces espaces ont été anthropisés, ce qui a nécessité leur reclassement. En effet, plusieurs Sibe classés par le PDAP en tant que réserves biologiques domaniales, ont été intégrés dans la catégorie des parcs nationaux (Abou El Abbes, 2004‑2005 : 39) avec des superficies beaucoup plus importantes. La loi sur les aires protégées va consacrer ce nouveau classement. Or, le reclassement en parc national offre moins de protection par rapport aux autres catégories. L’impact des changements climatiques vient donc exacerber le risque de dégradation de ces espaces.
13Par ailleurs, le Maroc a classé un certain nombre de sites sur la liste de la convention de Ramsar. Contrairement aux Sibe, les sites inscrits sur la liste de Ramsar sont majoritairement côtiers et marins. Ils se juxtaposent d’ailleurs parfois aux Sibe identifiés et parfois aussi aux parcs nationaux institués par la loi (carte 1).
14Aux Sibe du Plan directeur pour les aires protégées (PDAP), aux zones humides inscrites sur la liste Ramsar et aux catégories anciennes (parcs nationaux et réserves, institués par le dahir sur la création des parcs nationaux et le dahir sur la police de la chasse71), la loi sur les aires protégées ajoute de nouvelles catégories (parc naturel, réserve biologique, réserve naturelle, site naturel). Cependant, cette loi ne précise pas quelles sont les mesures à adopter en vue d’assurer la synergie, avec les autres dispositions de protection de la nature, en matière de lutte contre les changements climatiques, comme préconisé par la Convention sur la diversité biologique (COP 9 Décision IX/16 sur la biodiversité et les changements climatiques). Son potentiel en matière d’adaptation aux changements climatiques ou d’atténuation face à leurs effets peut néanmoins provenir de l’institutionnalisation de nouvelles catégories d’aires protégées où les mesures de conservation de la nature sont renforcées. Il s’agit notamment des catégories instituées par les articles 5, 6 et 7. Dans ce sens, l’article 5 de la loi parle de « maintien des fonctions écologiques » qui peuvent aussi bien être liées à la lutte contre les changements climatiques. Mais la mise en œuvre de la loi en matière d’AMP risque d’être confrontée à des contraintes juridiques et institutionnelles.
Contraintes juridiques et institutionnelles
15Pour favoriser le rôle des AMP dans le contexte du changement climatique, le droit international de l’environnement a adopté des principes et notions fondamentales comme l’approche écosystémique, le principe de précaution, l’adaptation et la résilience, qu’on ne retrouve pas dans le droit relatif aux aires marines protégées au Maroc. À ces lacunes s’ajoutent des entraves structurelles.
La défaillance des outils de flexibilité
16Bien que la loi sur les aires protégées soit adoptée dans le cadre de la mise en œuvre de la CDB, elle n’en retranscrit pas tous les principes72. Or, le rôle des AMP dans la protection du littoral contre le réchauffement du climat exige une certaine flexibilité de la loi qu’offrent d’une part, les principes généraux du droit de l’environnement et d’autre part, l’interprétation jurisprudentielle. Ces deux outils de flexibilité font défaut en droit marocain.
17Le droit international a en effet souligné l’importance de certains principes de base comme le principe de précaution73, l’approche écosystémique74 ou la gestion adaptive. Il a adopté également des notions clés comme la résilience, la vulnérabilité, l’adaptation, l’atténuation (Levina et Tirpak, 2006). Appliqué en matière de gestion côtière, le principe de précaution exige d’adopter une démarche flexible afin d’anticiper le risque. Or, le droit marocain n’offre pas toujours cette possibilité ; sachant que le plus souvent les arrêtés d’interdiction de pêche ou de ramassage de certaines espèces sur le littoral75 s’inscrivent dans une approche de prévention, car le risque est généralement avéré. Le principe de précaution est, de fait, absent des textes régissant l’environnement au Maroc. Il ne figure pour l’instant que dans le projet de loi-cadre portant Charte de l’environnement et de développement durable qui dispose que le principe de précaution « consiste à prendre des mesures adéquates, économiquement viables et acceptables, destinées à faire face à des dommages environnementaux hypothétiques graves ou irréversibles, ou à des risques potentiels, même en l’absence de certitude scientifique absolue au sujet des impacts … ».
18Quant à l’approche écosystémique76, elle est au sens de la Convention sur la diversité biologique « une stratégie de gestion intégrée des terres, des eaux et des ressources vivantes, qui favorise la conservation et l’utilisation durable d’une manière équitable (…) qui aidera à assurer l’équilibre entre les trois objectifs de la Convention que sont la conservation, l’utilisation durable et le partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques » (COP 5 Décision V/6). La conférence des parties à la CDB a établi un certain nombre de principes qui régissent cette approche comme la gestion adaptive77 et décentralisée (principe 2), le maintien des services écosystémiques (principe 5), la prise en compte du long terme (principe 7). Dans ce sens, elle est considérée comme le fondement essentiel des AMP, notamment sous l’angle du risque climatique (COP 9 Décision IX/16). Or, la loi sur les aires protégées n’y fait pas référence. Il en est de même de la stratégie de développement du secteur des pêches à l’horizon 2020 (Plan Halieutis). Il est vrai que l’adoption d’une telle approche constitue pour le Maroc, en tant que pays émergent, un choix lourd de conséquences sur ses finances publiques (Kifani et al., 2008).
19Faut-il en déduire que cette loi néglige complètement le risque climatique ? L’étude des objectifs de cette loi montre l’utilisation de termes généraux qui ne visent pas spécifiquement tel ou tel impact. La loi compte en effet assurer « la protection, le maintien et l’amélioration de la diversité biologique, la conservation du patrimoine naturel et culturel, sa mise en valeur, sa réhabilitation pour un développement durable, ainsi que la préservation de sa dégradation » (article premier). Par ailleurs, la loi prévoit la mise en place d’un « réseau national d’aires protégées couvrant l’ensemble des écosystèmes naturels à travers tout le Royaume » (préambule), ce qui est en soi une application de l’approche écosystémique, même si la loi ne la cite pas expressément. Notons aussi que les rapports envoyés par le Maroc au secrétariat de la CDB soulignent l’importance de la prise en compte de l’approche écosystémique (Département de l’Environnement, 2009 : 72). Il est donc tout à fait normal qu’elle soit présente dans l’esprit des rédacteurs de la loi, mais regrettable qu’elle ne figure pas dans le dispositif du texte.
20Un autre obstacle pour l’effectivité de cette loi réside dans la faible interprétation jurisprudentielle du droit de l’environnement au Maroc. Le contentieux environnemental au Maroc est quasi inexistant. Or, la jurisprudence joue un rôle fondamental dans l’interprétation de la loi lorsque celle-ci est assez générale, comme c’est le cas de la loi sur les aires marines protégées78. C’est au juge que reviendrait par exemple la tâche de dire si une AMP peut être instituée en haute mer, lorsque la protection d’une ressource menacée par les changements climatiques l’exige (les changements climatiques peuvent induire la mobilité des ressources et donc nécessiter peut-être aussi la mobilité des AMP). C’est aussi au juge de dire si le critère d’utilité publique est respecté dans l’adoption de telle ou telle AMP, lorsque l’expropriation des terrains nécessaires fait l’objet de contestations de la population concernée. Force est de constater que d’une manière générale, l’interprétation du critère d’utilité publique par le juge n’est pour l’instant pas motivée par la protection de l’environnement. C’est aussi ce que révèle le contentieux de la domanialité publique qui fait ressortir un penchant du juge vers l’encouragement des investissements au détriment de la protection du domaine public maritime (Rousset, 1997), alors qu’en droit comparé, le contentieux, que suscite l’application de la directive Natura 2000 dans le contexte des changements climatiques, est important (Cliquet et al., 2009). À ces entraves, s’ajoutent l’enchevêtrement des institutions et l’incertitude de l’étendue de leurs compétences en matière de gestion des AMP.
Incertitudes et enchevêtrement des attributions
21Bien que la loi ne le détermine pas clairement, les AMP peuvent être aussi bien proprement côtières (terre‑mer) ou exclusivement maritimes. Dans les deux cas, l’approche écosystémique nécessite de prendre en considération les écosystèmes littoraux dans leur complexité. Or on assiste, plus particulièrement pour les AMP côtières (les seuls types d’AMP qui existent actuellement, carte 1), à l’enchevêtrement des compétences des acteurs impliqués dans la gestion, cela est dû à la nature même de ces zones d’interface entre terre et mer. L’incertitude quant à l’étendue des champs d’action de ces acteurs accentue cette difficulté.
22L’État et les collectivités locales sont impliqués dans la gestion des AMP. Néanmoins, les textes ne précisent pas si les collectivités locales peuvent intervenir ou non en mer. Par ailleurs, ils restent silencieux sur l’étendue des leurs compétences éventuelles en mer. Or, comme préconisé par le Giec, la contribution des collectivités locales en matière de gestion des AMP dans le contexte du changement climatique est essentielle.
23En vertu de la loi sur les aires protégées, les collectivités locales peuvent contribuer à la création des AMP (article 9) en proposant la zone de localisation de ces aires. Elles doivent aussi valider le choix de création d’une AMP dans un délai de trois mois suivant la date de proposition du projet de création. Les collectivités locales sont également consultées par l’administration avant la validation du Plan d’aménagement et de gestion (PAG) de l’AMP (article 22) et elles sont tenues de le mettre en œuvre et d’en respecter les prescriptions (article 23). Dans ce sens, elles interviennent dans la gestion de l’AMP en préparant le projet de PAG, en aménageant l’AMP selon ce plan, en assurant le droit d’usage des populations et en garantissant la surveillance de l’AMP en vue de prévenir, contrôler et interdire « certaines activités humaines de nature à perturber le milieu naturel ».
24Cependant, la loi ne précise pas, bien qu’elle reconnaisse la possibilité d’instaurer des aires protégées marines et côtières, quelle est l’étendue des compétences des collectivités locales en mer. Si cette question est laissée aux soins des décrets d’application qui ne sont pas encore adoptés, le retour aux règles générales n’apporte pas plus d’éclairage en la matière (Idllalène, 2009).
25En effet, il ressort donc de la lecture de la loi relative à la protection et à la mise en valeur de l’environnement (article 35) que celle-ci adopte une approche intégrée de l’espace littoral qui ne peut exclure sa partie marine. Mais il n’est pas sûr que cette approche soit également celle adoptée par la Charte communale79. Rien ne permet de le penser et même si l’on admet le contraire, il est difficile de savoir jusqu’où s’étendent les pouvoirs des communes en mer.
26Le domaine public maritime (DPM), tel que défini par la loi80, relève surtout de la compétence du ministère de l’Équipement. Le décret relatif à la lutte contre la pollution par les hydrocarbures81 en mer n’accorde également qu’un rôle très timide aux collectivités locales, notamment les communes, dans le cadre des opérations de lutte en mer. Ces opérations sont dirigées par l’inspection de la
27Marine royale avec l’aide des provinces et préfectures. Le dahir fixant la limite des eaux territoriales et de la zone de pêche exclusive marocaines82 précise dans son article 5 que « la souveraineté de l’État marocain s’étend à toutes les ressources biologiques de la colonne d’eau de [la mer territoriale] », mais ne dit pas si les collectivités locales y interviennent. Il en est de même du dahir portant promulgation de la loi n° 1‑81 instituant une zone économique exclusive de 200 milles marins au large des côtes marocaines83 (article 2). La jurisprudence au Maroc reste également silencieuse sur cette question.
28L’incertitude quant à la limite des pouvoirs des communes en mer peut s’expliquer par la faiblesse des ressources octroyées à ces institutions (BOUACHIK, 2005). En effet, leurs compétences en mer sont difficilement envisageables, étant donné les moyens importants que cela exige. Aux incertitudes s’ajoutent le chevauchement des compétences d’une part, entre l’État et les collectivités locales, comme l’illustre l’exemple du DPM et d’autre part, entre les administrations étatiques intervenant sur la zone côtière (fig. 1).
29La création d’une aire protégée relève de la compétence de l’« administration », de sa propre initiative ou suite à une demande des collectivités locales (article 9, al. 1). Tout porte à croire que c’est l’administration des Eaux et Forêts qui aura cette fonction sachant qu’elle représente le principal point focal des conventions relatives à la protection des ressources naturelles (aux côté du département de l’Environnement) et que c’est elle qui a élaboré la stratégie nationale des aires protégées dont le PDAP fait partie.
30Quant aux autres administrations concernées, dont l’avis est nécessaire pour la création d’une aire protégée, la loi ne dit pas si elles sont les mêmes pour toutes les aires protégées ou si leur désignation dépend de la nature de celles-ci. Ainsi, en cas de création d’une AMP, il serait normal de consulter les départements en charge de la gestion des milieux côtiers. Or, ces départements sont multiples dans la mesure où ces espaces font intervenir aussi bien des administrations à vocation « terrestre » que des administrations purement maritimes. En effet, des divergences peuvent surgir en raison du caractère original des AMP et du fait qu’elles sont incluses dans un texte général qui ne prend pas en compte leurs spécificités. Ces divergences peuvent notamment se manifester à l’occasion de l’institution des AMP aux fins de pêche. En effet, la création de cette catégorie d’AMP (qui n’est pas expressément citée dans la loi sur les aires protégées) relève en principe du ministère des Pêches. Or, l’objectif poursuivi par ce ministère ne correspond pas toujours à la vision adoptée par l’administration des Eaux et Forêts qui défend son rôle historique dans le domaine de la création des aires protégées (Abou El Abbes, 2004‑2005 : 16).
31Par ailleurs, le plan Azur (Jiménez et Guerrero, 2010) initié par le département du Tourisme qui focalise sur le produit balnéaire constitue une contrainte à prendre en compte pour l’institution d’une AMP. Ce genre de conflit est illustré par le nouveau parc national d’Al Hoceima où un projet de complexe touristique vient menacer la pérennité de cette AMP (Nibani et al., 2009).
32Le choix des zones côtières comme espace de prédilection des AMP-pêche (MCA, 2011) est en mesure d’exacerber les conflits d’attributions avec l’administration des Eaux et Forêts, mais aussi avec le département de l’Équipement. En effet, les estuaires et les dunes maritimes sont des espaces qui illustrent parfaitement ces conflits. D’une part, sur les estuaires les départements des Pêches, de l’Équipement et de l’Agriculture sont fortement présents et leurs attributions peuvent se confronter notamment à l’occasion de la délivrance des autorisations d’exploitations aquacoles, mais aussi à l’occasion des rejets en mer en amont. D’autre part, sur les dunes maritimes, la présence d’un couvert végétal les fait relever de l’administration des Eaux et Forêts (article premier du Dahir du 10 octobre 1917 sur la conservation et l’exploitation des forêts), alors que leur présence dans les limites du DPM les fait ressortir de la compétence du département de l’Équipement (fig. 1).
33En raison des forts enjeux présents sur la zone côtière, les AMP auront un rôle important à jouer en matière d’adaptation, notamment en l’absence d’une loi sur le littoral. Pour ce faire, les décrets d’application de la loi sur les aires protégées doivent préciser les attributions des acteurs dans le domaine de l’institution et de la gestion des AMP. La loi doit par ailleurs être fondée sur des principes novateurs, susceptibles d’assurer sa flexibilité. L’adoption de la loi-cadre relative à la Charte nationale de l’environnement et du développement durable, en cours de préparation, sera-t-elle l’occasion d’intégrer ces principes au plus haut niveau de la hiérarchie des normes ?
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http://ma.chm-cbd.net/manag_cons/esp_prot/
Notes de bas de page
64 Dahir n° 1‑10‑123 du 16 juillet 2010 portant promulgation de la loi n° 22‑07 relative aux aires protégées, BO n° 5866 du 19 août 2010.
65 Notamment le dahir du 11 septembre 1934 sur la création de parcs nationaux, BO du 25 octobre 1934.
66 Adoptée lors de la conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement en juin 1992. http://unfccc.int/
67 En vertu de cet article : « (…) on entend par aire protégée tout espace terrestre et/ou marin, géographiquement délimité et spécialement aménagé et géré aux fins d’assurer la protection, le maintien et l’amélioration de la diversité biologique, la conservation du patrimoine naturel et culturel, sa mise en valeur pour un développement durable, ainsi que la prévention de sa dégradation ».
69 Ainsi, les dispositions du dahir du 11 septembre 1934 sur la création des parcs nationaux sont abrogées (article 41).
70 http://ma.chm-cbd.net/manag_cons/esp_prot/manag_cons/esp_prot/sibe_ma
71 Dahir du 11 septembre 1923 relatif à la police de la chasse, BO du 7 août 1923.
72 Ces principes ont été énoncés par les conférences des parties et majoritairement repris de la déclaration des Nations unies sur l’environnement et le développement adoptée lors de la Cnued à Rio De Janeiro en 1992.
73 Principe 15 de la Déclaration de la Cnued.
74 Décision 11/10 de la conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique, relative à la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine et côtière. Unep/CBD/COP/2/19 et déclaration de Reykjavik sur une pêche responsable dans l’écosystème marin (adoptée lors de la conférence de Reykjavik du 1er au 4 octobre 2001).
75 Par exemple : arrêté du ministre des Pêches maritimes et de la Marine marchande n° 2134‑93 du 26 octobre 1993 relatif à l’interdiction temporaire de pêche des phoques-moines et autres mammifères marins, ainsi que de certaines autres espèces marines, BO n° 4229 du 17 novembre 1993.
76 Paragraphes 2 à 14 de l’annexe à la décision IV/5 COP 4 sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine et côtière et programme de travail.
77 Principe 9 de l’annexe 1‑B de la cinquième conférence des parties à la CDB https://www.cbd.int/ecosystem/
78 C’est aussi le rôle de la réglementation. Dans ce sens, les décrets d’application de la loi ne sont pas encore adoptés.
79 Dahir n° 1‑02‑297 du 3 octobre 2002 portant promulgation de la loi n° 78-00 portant Charte communale, BO du 21 novembre 2002.
80 « Font partie du domaine public (…) : a) Le rivage de la mer jusqu’à la limite des plus hautes marées, ainsi qu’une zone de 6 m mesurée à partir de cette limite ; b) Les rades, ports, havres et leurs dépendances ; c) Les phares, fanaux, balises et généralement tous les ouvrages destinés à l’éclairage et au balisage des côtes et leurs dépendances ; (…) ». Dahir du 7 juillet 1914 (article 1).
81 Décret n° 2 ‑95‑717 relatif à la préparation et à la lutte contre les pollutions marines accidentelles, BO du 19 décembre 1996.
82 Dahir portant loi n° 1‑73‑211 du 2 mars 1973, BORM n° 3149 du 7‑03‑1973.
83 Dahir n° 1‑81‑179 du 8 avril 1981, BO n° 3575 du 06‑05‑1981.
Auteurs
Chercheur en droit de l’environnement, faculté polydisciplinaire de Safi, université CadiAyad, Maroc. s.idllalene@uca.ma
Biologiste des pêches, Institut national de recherches halieutiques, Casablanca, Maroc. hmasski@gmail.com
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Parcours de recherche à Madagascar
L’IRD-Orstom et ses partenaires
Christian Feller et Frédéric Sandron (dir.)
2010
Pratiques et représentations linguistiques en Guyane
Regards croisés
Isabelle Léglise et Bettina Migge (dir.)
2008
Les sociétés rurales face aux changements climatiques et environnementaux en Afrique de l’Ouest
Benjamin Sultan, Richard Lalou, Mouftaou Amadou Sanni et al. (dir.)
2015
Aires marine protégées ouest-africaines
Défis scientifiques et enjeux sociétaux
Marie Bonnin, Raymond Laë et Mohamed Behnassi (dir.)
2015