Chapitre 6
La théorie juridique féministe. Un outil d’intervention pour les études de développement
p. 183-212
Texte intégral
1On ne trouve pas, dans la théorie juridique féministe, de prise de position spécifique sur le développement ou encore sur le rôle du droit dans le développement2. Les féministes et les expert-es genre ont pourtant inclus le droit dans les stratégies de développement, et les juristes ont eux-elles aussi traité du rôle attribué au droit dans le développement3. L’objectif de cet article est de décrire ces deux approches en montrant, d’une part, l’intérêt que peuvent revêtir, pour les militant-es et expert-es, les réflexions approfondies sur le droit longuement mûries par la théorie juridique féministe et, d’autre part, que la pression qu’exerce la question du développement dans le champ politique pourrait être utile pour faire avancer la théorie. Je vais commencer par exposer quatre points de vue féministes sur le droit ; j’analyserai ensuite deux projets féministes relatifs au droit, ainsi que leurs liens avec le développement ; et je conclurai en évoquant les champs de recherche et les perspectives critiques qu’un rapprochement entre ces deux domaines pourrait ouvrir.
La théorie juridique féministe
2On pourrait succinctement décrire la théorie juridique féministe comme une théorie visant à expliquer les modalités par lesquelles le droit produit et/ou reproduit la subordination/oppression/discrimination des femmes. Cette théorie a été essentiellement élaborée aux États-Unis par des femmes juristes, qui ont récemment été rejointes par des chercheures en droit d’autres juridictions4. Je vais décrire ce que je considère comme les quatre principales approches auxquelles s’associent ces théoriciennes féministes du droit. Ces approches peuvent être pensées dans une perspective chronologique, mais je crois plus utile de les concevoir comme des réponses simultanées qui créent des mondes alternatifs dans lesquels nous sommes contraints de prendre des décisions et d’en assumer les conséquences. Au sens strict du terme, ces approches traduisent des positions politiques différentes. Je n’essaierai donc pas de les situer dans un contexte historique ou géographique spécifique.
La discrimination
3Une partie importante de la littérature féministe a pour objectif de montrer que la situation des femmes résulte du traitement inégal, et injustifiable, des femmes par la loi. Ayant commencé par dénoncer le fait que les femmes sont exclues des postes publics, des processus électoraux, du marché – autant comme propriétaires que comme salariées –, de certaines professions et enfin privées d’éducation, ces auteures ont ensuite remis en cause toute utilisation du paramètre de sexe en droit.
4L’affirmation de l’existence de discriminations, pour évidente que celles-ci puissent paraître à certain-es, a requis un travail théorique considérable et d’intenses mobilisations féministes. Au-delà de l’explication lucide de Carol Pateman (Pateman, 1988) et de Joan Landes (Landes, 1988) – qui ont défini le contrat social bourgeois comme un contrat sexuel inspiré par la misogynie et explicitement construit dans le but d’exclure non seulement les femmes, mais tout ce qui est féminin –, la nécessité concrète de montrer que ces différences de traitement n’étaient pas fondées sur une réalité matérielle rendait cette affirmation complexe dans le cadre de l’appareil juridique.
5D’une part, les exclusions subies par les femmes étaient contrebalancées par la rhétorique de la complémentarité énoncée dans le mariage consensuel (companionate marriage)5 (Stone, 1979). Comme l’a montré Olsen, ces idées ont donné naissance à la doctrine des sphères séparées, qui cautionnait la réclusion des femmes dans la sphère domestique, soulignait les capacités naturelles des femmes à donner une âme à un foyer, à offrir du réconfort dans un monde agressif et compétitif, et à prodiguer l’affection et la compassion qui faisaient défaut dans toutes les autres sphères de la vie (Olsen, 1983). Pour remettre en question cette rhétorique, il fallait renoncer au pouvoir de la séduction et du flirt et entrer dans un monde dépeint comme froid, sans merci et violent (Landes, 1988 ; Lasch, 1997).
6D’autre part, au moins depuis le milieu du xixe siècle, des scientifiques de tous horizons ont tenté de prouver que la physiologie des femmes avait une influence sur leurs compétences et leur comportement, et qu’il fallait par conséquent en tenir compte dans l’élaboration des règles juridiques (Fox-Keller, 1996 ; Scott, 1986)6.
7Ainsi, les revendications pour une égalité de traitement se fondent sur des arguments forts affirmant la centralité de la raison – par opposition à la vertu, à ce qui est raisonnable ou encore au bon sens – pour la reconnaissance de droits civils et politiques, ainsi que sur une critique du foyer, considéré comme le lieu d’une violence intense qui a été rendue possible, justifiée et reproduite par l’exclusion forcée des femmes des espaces publics.
8Malgré plusieurs cycles de discussions sur l’« égalité », le droit considère toujours le sexe comme une catégorie, et les juges comme les législateurs continuent à se fonder sur des critères différents pour les hommes et pour les femmes. Mais la rhétorique justifiant ce traitement a changé. Ce ne sont plus les sphères séparées qui justifient l’introduction et la perpétuation de différences de traitement, mais la vulnérabilité ou la position de faiblesse historiques des femmes, elles-mêmes dues à l’exclusion initiale des femmes. La caractéristique biologique qui est le plus souvent mise en avant est celle de la maternité et de la charge qu’elle entraîne sur le corps et le temps des femmes. Comme je vais l’expliquer, ces deux arguments ont été en partie avancés par des femmes et soutenus par certaines féministes.
9Les nouveaux défis de l’approche par la discrimination consistent à montrer que les mesures protectrices finissent par nuire aux femmes plus qu’elles ne les aident, et que la maternité ne devrait pas donner lieu à un traitement spécifique. Ces deux arguments ont été mis en avant, mais pas toujours entendus. Trois affaires peuvent nous aider à mieux cerner les luttes menées par les féministes de la discrimination. La première concerne la loi indienne relative à l’interdiction pour les femmes de travailler dans des hôtels ou des établissements servant des boissons alcoolisées7. Les défendeurs – l’association Hotel Association of India et le Territoire national de Delhi – ont argumenté en faveur de la loi et avancé le prétexte qu’en Inde, les femmes couraient le risque d’être agressées, voire tuées, si elles travaillaient dans ce type d’établissements. Dans l’affaire Anug Garg & Ors versus Hotel Association of India & Ors, la Cour suprême de l’Inde a invalidé la loi au motif que, compte tenu de l’importance du tourisme dans l’économie indienne et de la portée de l’interdiction – les femmes pourraient au final se voir interdire l’exercice d’une profession comme celle d’hôtesse de l’air –, et en considérant les bénéfices attendus de la mesure, le fait de sacrifier le droit des femmes à choisir leur emploi, et donc leur droit au respect de la vie privée, à l’autonomie et à l’égalité des chances, était disproportionné. La Cour suprême a souligné le fait que le gouvernement avait certes la responsabilité de garantir la sécurité des femmes, mais que le prix ne devait pas en être un renforcement de normes traditionnelles contraires à l’égalité.
10De même, la Cour d’appel du Botswana a considéré que la règle 6 de la faculté des Sciences de l’éducation Molepolole violait le droit des femmes à l’égalité garanti par la Constitution du Botswana8. La règle contestée imposait un congé maternité d’une durée minimale d’un an aux étudiantes enceintes. Le directeur de la faculté a expliqué que cette mesure visait à aider ces mères étudiantes en leur donnant le temps de prendre soin de leurs bébés. Mais la Cour n’a pas été convaincue par le caractère bénéfique de cette règle, dans la mesure où aucune explication n’avait été avancée pour justifier la durée du congé et où la règle n’incluait aucune « disposition permettant à l’étudiante de déposer un recours pour demander à abréger son absence et de montrer qu’elle avait organisé la prise en charge de son enfant »9. La Cour a jugé cette dernière interdiction particulièrement surprenante, étant donné que « dans les sociétés africaines, les familles s’organisent pour prendre les enfants en charge dès leur plus jeune âge, afin de permettre aux mères de poursuivre leur carrière, qu’il s’agisse de leurs études, de leur travail ou de leur emploi ». La Cour a donc conclu à la nature punitive plutôt qu’au caractère bénéfique de cette mesure qu’elle a jugée incompatible avec le droit des femmes à l’égalité.
11Les issues de ces deux affaires sont néanmoins loin d’être représentatives. L’approche par la discrimination perd encore de nombreuses batailles, même sur des sujets fondamentaux comme l’obtention d’un salaire égal pour un travail égal. Dans le dossier Akhtar versus Union of India & Ors (Inde), par exemple, et dans le cas T-044 de 1994 (Colombie), les tribunaux indien et colombien ont considéré raisonnable d’octroyer des salaires différents à des personnes occupant le même poste et ayant des responsabilités similaires si leurs employeurs considéraient qu’elles avaient des niveaux d’éducation différents10. Les Cours n’ont pas pris en compte le fait que les plaignantes étaient des femmes, ni les arguments avancés par celles-ci et selon lesquels leurs salaires étaient inférieurs précisément parce qu’elles étaient des femmes. Pire encore, dans le cas colombien, la Cour a rejeté certaines preuves apportées par les plaignantes et qui montraient que les employés ne possédaient pas tous les diplômes qu’ils avaient fait valoir auprès de leurs employeurs, au motif que la décision avait pour but de construire une norme, et pas d’établir des faits11.
L’inclusion
12À l’inverse des féministes qui luttent pour la fin des discriminations, les féministes qui considèrent que la loi devrait être utilisée à des fins d’inclusion sont convaincues que : a) la position défavorisée des femmes ne résulte pas entièrement, ni même principalement, d’un traitement différencié par la loi, mais d’autres forces qui pèsent sur la répartition des ressources, comme les forces matérielles de production, les conditions biologiques, les normes culturelles et sociales ; b) allouer certaines ressources en fonction du sexe peut contribuer à améliorer la position des femmes dans la société ; et c) la loi peut être utilisée pour rendre l’attribution de ressources aux femmes obligatoire. Les féministes inclusives considèrent donc la loi comme un instrument de transformation de la société.
13Les projets relatifs aux lois ont été inspirés par au moins trois explications de l’exclusion. Selon la première, l’exclusion résulte de la différence biologique qui fait que les femmes procréent. Les féministes de cette tendance estiment que la loi doit impérativement prendre en compte la vulnérabilité des femmes en tant que mères, réelles ou potentielles, à la fois du point de vue des ressources économiques et de la santé, et du point de vue du pouvoir. Les congés maternité ont été l’une des premières et des plus évidentes réponses à cette différence liée à la maternité. Mais si l’on prolongeait le raisonnement de cette tendance, il faudrait également défendre les femmes, en tant que mères, dans pratiquement tous les domaines, comme l’a proposé Fineman (1995). Pour inclure les femmes dans la société par le biais de la loi, on pourrait ainsi mettre en place les mesures juridiques suivantes : donner aux femmes plus de pouvoir sur les enfants qu’elles mettent au monde ; leur donner le droit de décider du nombre d’enfants qu’elles veulent avoir et de l’espacement entre ceux-ci ; leur offrir des salaires plus élevés ; et leur accorder de meilleures prestations sociales.
14La deuxième explication impute l’exclusion actuelle aux exclusions passées et au cumul des avantages dont profitent les hommes, en tant que groupe, qui leur permettent d’évoluer au sein du système tel qu’il existe aujourd’hui. Les féministes de cette tendance affirment qu’une inégalité de traitement se justifie dans la mesure où elle constitue un raccourci menant à l’égalité vers laquelle nous nous dirigeons lentement. Elles ont préconisé, avec un certain succès, des quotas en politique et au sein du marché.
15Une troisième explication est davantage centrée sur les conséquences des différences de présence que sur les causes de celles-ci, mais les féministes qui défendent cette approche plaident également en faveur de la mise en place d’une inégalité de traitement afin de permettre aux femmes d’accéder à une plus grande égalité. Ces féministes, que j’appelle les féministes de la parité, considèrent que la ségrégation entre les hommes et les femmes est la cause principale de la position défavorisée des femmes. Cette ségrégation devrait donc être remise en question dans tous ces aspects, que la majorité des personnes concernées soit constituée d’hommes ou de femmes. L’objectif des féministes de la parité est que les femmes et les hommes soient présents en nombre égal dans tous les domaines, sphères ou espaces. Cela signifierait véritablement que le sexe est devenu socialement « non pertinent ». La loi devrait permettre d’atteindre ce but en mettant en application la parité. La décision de la Haute Cour du Transvaal (Afrique du Sud) dans l’affaire Krugel versus Krugel12 illustre cette perspective. La Cour a établi la garde partagée comme règle par défaut dans les cas de divorce, en considérant que, même s’il a été montré que la garde partagée pouvait « enfermer les femmes dans une situation de dépendance […], [la] favoriser [allait aider] à redéfinir les rôles de genre dans la parentalité »13.
La domination
16Les féministes de la domination sont convaincues que le droit est constitutif du patriarcat de trois manières au moins : 1) il produit une description du monde selon laquelle l’allocation actuelle des ressources est juste, et la situation des femmes le résultat de leurs choix individuels ; 2) il induit une tolérance pour la douleur et la souffrance causées aux femmes ; 3) il contribue à véhiculer le caractère érotique de la douleur et de la souffrance des femmes.
17Ainsi, selon cette approche, le droit n’est pas neutre quant au sexe, mais exprime plutôt le point de vue masculin. S’il en est ainsi, c’est parce qu’il a été écrit, appliqué et administré par des hommes, et parce que les concepts utilisés dans les représentations descriptives et normatives sont masculins. Pourtant, la pensée et la formation juridique insistent sur le caractère objectif de la loi (MacKinnon, 1989). Elles contribuent ainsi à légitimer le statu quo, car elles occultent le fait que le droit a contribué à produire la situation actuelle et elles apportent les outils qui permettent de définir cette situation comme le résultat de règles objectives et neutres.
18Prenons par exemple le cas de l’avortement. Partout dans le monde, des tribunaux tiennent à présenter l’avortement comme un conflit entre le droit à la vie, celle du fœtus, et la liberté personnelle, celle des femmes. Cette approche masque le fait que les choix des femmes sont restreints par les règles juridiques existantes : celles qui autorisent les hommes à ne pas prendre en charge les coûts de la reproduction et à menacer les femmes sans que cela porte à conséquence – entre autres les règles juridiques relatives à la paternité et à la pension alimentaire, celles relatives au respect des ordonnances judiciaires et celles relatives aux sanctions dans les cas d’abus physiques et psychologiques ; les règles juridiques qui favorisent la dépendance des femmes vis-à-vis des salaires des hommes – comme par exemple les règles relatives à la discrimination salariale et celles sur la communauté des biens. Les féministes qui ont adopté l’approche par la domination se sont battues pour que l’avortement soit considéré comme une lutte contre le contrôle des hommes sur le corps des femmes et donc considéré comme relevant de l’égalité (Siegel, 1991-1992 ; Jaramillo et Alfonso, 2008). Mais adopter cette approche par l’égalité impliquerait de faire accepter l’idée qu’il y a de la contrainte là où on voit de la liberté et que, dans les sociétés contemporaines, les hommes se sont vu accorder l’autorisation de faire du mal à autrui (Kennedy, 1992).
19Pour ces féministes, la loi est constitutive du patriarcat également parce que, lorsqu’elle reconnaît les dommages causés aux femmes, elle nourrit en même temps une logique de tolérance et de résignation plutôt qu’une logique de compensation et de réparation (Jaramillo et Alfonso, 2008). On invoque, entres autres raisons, le fait que le système judiciaire est trop coûteux et qu’une procédure ne devrait être engagée que si les dommages sont suffisamment importants pour justifier l’effort financier, le fait qu’aucun des remèdes existants ne compensera ni ne réparera les dommages causés, le fait que les familles qui dépendent des hommes coupables ne devraient pas souffrir, le fait qu’il est nécessaire de réunir toutes les preuves pour que des sanctions puissent être prises, et enfin le fait qu’il est si difficile d’obtenir complète réparation que les femmes devraient se contenter de ce qu’elles obtiennent. Nous pourrions tous convenir de la pertinence de ces arguments mais, pour les féministes de la domination, le fait est que ces raisons sont plus souvent invoquées quand des femmes sont concernées, et qu’elles ne sont valables pour les femmes que dans une proportion exactement similaire à celle qui serait considérée comme pertinente dans tout autre dossier traité par le système. Ces féministes soulignent donc le fait que ces arguments, par ailleurs valides pour le système judiciaire dans son ensemble, tendent à être utilisés plus souvent lorsque des femmes sont impliquées.
20Dans le cas de l’avortement, cette exagération apparaît de façon particulièrement claire lorsque des tribunaux refusent de prendre en compte des exceptions au droit à la vie, comme la légitime défense ou l’état de nécessité, qui sont bien acceptées lorsque l’existence de personnes vivantes est menacée. De plus, ce refus n’est même pas exprimé ouvertement ; s’il était bien argumenté et énoncé en détail, on verrait qu’il ne tient pas compte des demandes mêmes des plaignantes, ce qui serait, de manière générale considéré comme inadmissible (Jaramillo et Alfonso, 2008).
21Enfin, selon les féministes de la domination, la loi contribue à érotiser la douleur et la souffrance des femmes en les représentant comme le résultat des choix des femmes et comme désirables pour les hommes (Kennedy, 1992 ; MacKinnon, 1989). Le traitement de la pornographie représente l’une des illustrations les plus élaborées de cet argument. Dans ce cas précis, les tribunaux considèrent que sont en jeu la liberté d’expression de ceux qui achètent et produisent de la pornographie, ainsi que la liberté des femmes à vendre leur travail comme mannequins et actrices. Selon les féministes de la domination, cette approche ignore le fait que ceux qui produisent la pornographie exploitent la vulnérabilité économique des femmes ; que les femmes ne sont pas libres de vendre leur force de travail dans les société patriarcales ; et que la permission qui est donnée de faire une représentation érotique de la souffrance des femmes alimente cette même souffrance et augmente le niveau de tolérance vis-à-vis de celle-ci (MacKinnon, 1993 ; Jaramillo, 2007).
22Les féministes de la domination ont œuvré pour mettre au jour les biais et les angles morts du droit, ont exigé que de nouveaux crimes et délits soient inscrits dans la législation et ont agi en faveur du rejet des circonstances atténuantes dans les affaires où les victimes sont des femmes. Leurs campagnes ont porté en particulier sur le viol, le harcèlement sexuel, la pornographie, les abus sexuels en temps de guerre et la violence domestique.
Le féminisme postmoderne
23Dans le domaine juridique, les féministes postmodernes ont développé l’idée que le droit ne représente ni ne reflète les circonstances dans lesquelles il s’exerce, pas plus qu’il ne s’impose à elles, mais qu’il est une réalité avec laquelle nous devons composer. Elles mettent ainsi davantage l’accent sur le caractère injuste des textes et sur les différences qu’ils créent plutôt que sur leurs causes ou leurs effets (Frug, 1991-1992a ; Olsen, 1990)14.
24Parmi les stratégies développées par les féministes postmodernes dans le domaine du droit, on peut citer les suivantes : 1) faire apparaître les femmes et/ou le féminin comme étant un autre implicite dans les règles et arguments juridiques, et demander la raison de la suppression de cet autre ; 2) démontrer les dichotomies inscrites dans ces règles et arguments juridiques, ainsi que les hiérarchies que ces derniers établissent ; 3) montrer que le genre est indéterminé et indécidable ; et 4) examiner la construction des différences de sexe dans des contextes ou des champs légaux spécifiques.
25On trouve une illustration de cette approche du droit dans l’article de Mary Joe Frug sur la doctrine de l’impossibilité appliquée au droit des contrats (Frug, 1991-1992b). Dans cet article – malheureusement inachevé en raison du décès tragique de son auteure –, Frug montre que le débat sur les conditions dans lesquelles il peut être admis que les parties d’un contrat ne se conforment pas à leurs obligations au motif de la survenue d’un événement « extraordinaire » peut avantageusement être lu comme une opposition entre un point de vue masculin et un point de vue féminin. Le premier souligne le fait qu’il ne devrait y avoir qu’une seule norme, et que celle-ci devrait être la norme de « celui qui prend le plus de risques », alors que le second défend « un modèle de relations contractuelles pluraliste et tenant compte du contexte, et souligne que, dans le monde réel, de nombreux contrats reposent sur des relations à long terme fondées sur la bonne foi, la tolérance et la volonté de partage des parties plutôt que sur une interprétation littérale des termes du contrat » (Frug, 1991-1992b : 1036).
26En faisant ainsi apparaître le genre, Frug ne souhaite pas privilégier un genre aux dépens de l’autre ou encourager la recherche d’une mixité androgyne. Introduire le genre dans ce débat lui permet plutôt de faire progresser celui-ci dans deux directions nouvelles. Tout d’abord, elle nous incite à prendre comme élément de comparaison les processus de développement des régimes d’exemption ou des motifs légitimes dans les lois régissant le mariage et le divorce. Elle montre que le mariage et le divorce ont été interprétés comme des contrats « exceptionnels » et que, de ce fait, les chercheur-es en droit des contrats n’ont pas tenu compte des arguments avancés dans les discussions qui ont porté sur les conditions d’obtention d’un divorce ou sur les conséquences que ce dernier devrait entraîner. Le débat sur le divorce est pourtant pertinent dans la réflexion sur les contrats, lorsque ceux-ci sont pensés du point de vue féminin que nous avons évoqué plus haut : « des relations à long terme fondées sur la bonne foi, la tolérance et la volonté de partage des parties ». Ce débat pourrait en particulier clarifier quelles sont les ouvertures et les contraintes que le respect ou le non-respect des règles contractuelles pourraient créer dans ces scénarii.
27En second lieu, Frug nous contraint à considérer l’« autre » de la doctrine de l’impossibilité comme un élément indispensable à la compréhension même de la doctrine. Selon Frug, cet « autre » est la responsabilité objective. Elle montre qu’il est impossible de prévoir l’écart entre l’une – la doctrine de l’impossibilité – et son autre – la responsabilité objective. Cela signifie que « la recherche d’une norme prévisible est illusoire », mais pas que « la doctrine de l’impossibilité [devrait] être limitée au domaine du subjectif, de l’irrationnel, du nihilisme et du non-juridique » (Frug, 1991-1992b : 1046). Frug affirme plutôt que cette doctrine nous contraint à conserver une grille d’analyse binaire, alors même que nous tentons de la déconstruire.
Les projets féministes dans le domaine « droit et développement »
28Parler du rôle du droit dans le développement pourrait revenir à rendre compte des liens entre le droit et l’économie (Kennedy, 2006). Le champ du droit et du développement est indéniablement caractérisé par un biais colonial dans la mesure où il ne considère l’économie que comme une science permettant d’expliquer la situation des pays riches dans le but de faciliter le rattrapage des pays pauvres, et parce qu’il est hanté par une angoisse coloniale : quoi que l’on fasse, cela ne devrait jamais apparaître comme une mesure imposée d’en haut (Trubek et Gallanter, 1974 ; Merryman, 1977). Mais, lorsque les chercheur-es qui travaillent sur le droit et le développement analysent les relations entre ces deux domaines, catégories, institutions et pratiques, ils convoquent souvent le discours macro-économique de base et la théorie juridique générale, ce qui inspire le parallèle dont j’ai parlé.
29Il ne s’agit pas ici d’élaborer des théories sur les liens entre le droit et l’économie. Je pense plus utile de présenter brièvement deux courants du champ du droit et du développement, ainsi que les projets féministes qui leur sont associés, explicitement ou non.
Le néolibéralisme et les sanctions contre les violences sexuelles et domestiques
30Dans la majorité des débats sur le développement, le néolibéralisme est sévèrement critiqué car son fonctionnement repose en grande partie sur une brutale mise au rebut des institutions que les chercheur-es du domaine du développement appelaient de leurs vœux et défendaient depuis plus de trente ans. Tout comme le programme interventionniste néoclassique qui l’a précédé, le néolibéralisme a entretenu une relation très forte avec le droit, dans les processus d’élaboration des théories, mais aussi dans la diffusion et la pratique (Alviar et Jaramillo, 2012). Le néolibéralisme s’est appuyé sur une série de concepts juridiques spécifiques, mais il a également confié aux juristes le soin d’assurer la transition entre les régimes économiques par le biais d’une réforme du droit et des procédures judiciaires, en particulier dans les domaines du droit pénal et du droit privé (Harcourt, 2011).
31En effet, la critique et le programme néolibéraux ont tablé sur la capacité de la loi à garantir, par l’intermédiaire de droits, deux éléments essentiels à la construction et au développement du marché : la liberté et la propriété des biens (North, 1990). À l’inverse de leurs cousins libéraux du xixe siècle, les néolibéraux ont pu observer les « défaillances » du droit et n’ont pas considéré les réformes juridiques comme acquises. Ils se sont principalement préoccupés de la clarté, de la formalisation et des titres de propriété (de Soto, 2000). L’ampleur des transformations des systèmes juridiques qu’ils ont tenté de mettre en place est comparable à celle des processus de codification qui s’étaient développés antérieurement. Les changements les plus importants se sont produits au niveau constitutionnel et dans le droit des contrats et des sociétés. Au niveau constitutionnel, ces changements ont visé à donner plus d’indépendance au pouvoir judiciaire et à réduire les pouvoirs présidentiels. Dans les pays à faibles revenus et à revenus intermédiaires, le droit des contrats et des sociétés a été revu pour garantir les échanges de biens et la possibilité d’une accumulation progressive de ceux-ci. Sur le terrain, les institutions ont déployé le personnel et les ressources nécessaires à la « formalisation » des droits de propriété à tous les niveaux. Elles ont notamment procédé à une répartition des territoires des communautés indigènes et modifié les lois relatives aux successions, ainsi que le droit matrimonial qui privaient les femmes de l’accès à la propriété (Nyamu-Musembi, 2006).
32Dans l’ombre de la libéralisation, le droit pénal a connu un regain d’intérêt en raison de sa capacité à modeler les comportements. Dans les pays en développement, les systèmes pénaux ont été décrits en des termes qui ont largement repris la rhétorique de l’échec du droit utilisée auparavant dans le cadre de la réforme du droit privé : fonctionnaires mal formés, procès très longs, prisons surpeuplées et sentences clémentes. Les réformes ont principalement porté sur les procédures pénales et ont privilégié les modèles oraux et contradictoires aux dépens des modèles inquisitoires et chirographaires qui avaient prévalu par le passé (Langer, 2007). Mais on a également pu observer une forte tendance à l’utilisation du droit pénal à des fins de contrôle de la violence, par la création de nouveaux crimes et par l’alourdissement des peines infligées pour les crimes déjà inscrits dans la loi (Iturralde, 2007).
33L’un des projets juridiques féministes qui s’est inscrit dans la pensée et les politiques néolibérales a été le projet de réforme de la loi relative aux violences sexuelles et domestiques dans les pays en développement. Le projet de réforme relatif aux crimes sexuels comportait trois volets. Le premier visait, d’une part, à éliminer toutes les définitions de la violence sexuelle limitant les sanctions pénales aux cas de pénétrations vaginales imposées par la force et, d’autre part, à imposer une définition de la violence sexuelle qui tienne compte de la vulnérabilité sexuelle des corps dominés et de la coercition structurelle exercée sur ceux-ci15 – ces corps étant ceux des femmes, mais également les corps féminisés par la violence exercée à leur encontre. Le deuxième volet visait à supprimer du droit et des pratiques judiciaires l’utilisation de preuves relatives au passé sexuel de la victime, ainsi que les normes discriminatoires régissant les preuves, par exemple les règles de corroboration16. Enfin, le projet contenait des propositions visant à alourdir les peines encourues par les individus reconnus coupables de crimes sexuels. Ce projet avait pour objectif global d’incarcérer un plus grand nombre d’hommes coupables d’abus sexuels commis à l’encontre de femmes et d’enfants. Le projet de réforme relatif à la violence domestique incluait la formation de fonctionnaires de police ou la création d’unités administratives spécifiques, la création de crimes de violence domestique, et un alourdissement des peines infligées aux auteurs de violences domestiques (Engle-Merry, 2006)17.
34Le biais néolibéral de ce projet féministe relatif aux violences sexuelles et domestiques tient au fait que la violence y est caractérisée comme une anomalie attribuable à un échec moral et que l’on pourrait réparer sans modifier les positions de négociation des hommes et des femmes dans la société (Harcourt, 2011). Dans cette perspective, si l’on agit en faveur de la préservation du libre arbitre d’un individu, on rend ce dernier responsable de son manque de retenue. De même, la capacité d’une personne à faire des choix pertinents ne dépendrait donc pas de sa situation économique, situation qui elle-même résulte des choix de la personne.
Le nouvel État développementaliste et la parité de genre
35Depuis la fin des années 1990, le cadre néolibéral a été sévèrement critiqué et profondément révisé. Selon certain-es chercheur-es, ces échanges ont fait bien plus qu’entraîner des adaptations mineures du cadre original et ont véritablement donné naissance à un nouveau modèle de développement (Trubek, 2010 ; Amdsen, 2007). La nouvelle économie politique du développement (New Political Economy of Development – NPED), ainsi baptisée par Trubek, reposerait sur deux présupposés théoriques. Le premier consiste à dire qu’il n’existe pas de solution unique applicable à tous les cas. Selon le deuxième, « les signaux du marché sont importants, et les acteurs privés disposent d’une grande partie de l’information dont ils ont besoin pour élaborer des stratégies efficaces. Mais, […] à moins que l’État ne leur fournisse certaines indications et certaines directives, les acteurs privés pourraient ne pas disposer de la vue d’ensemble nécessaire pour réaliser de bons investissements ou pour tirer profit de leur savoir » (Trubek, 2010 : 8). Les chercheur-es qui défendent ce modèle insistent donc sur :
36a) l’apprentissage et la découverte, ce qui implique des investissements importants dans l’éducation et les systèmes de partage de l’information ; b) la collaboration entre le privé et le public ; c) un encouragement à l’entreprenariat par le biais de l’action publique ; et d) des prestations sociales qui accroissent la solidarité sociale et aident les individus dans leur carrière ou à changer d’orientation professionnelle.
37Les défenseur-es du cadre de la NPED considèrent que le rôle du droit et de la pensée juridique pourrait être de synthétiser les paradigmes antérieurs et leurs dichotomies : marché/État, public/ privé, égalité/innovation, et sécurité/entreprenariat (Trubek, 2010 : 21). Ils pensent également que la loi pourrait fournir les outils permettant d’instaurer l’égalité et de réduire la pauvreté, sans créer un grand État providence qui étoufferait la croissance du secteur privé et découragerait l’innovation (Trubek, 2010 : 22).
38Dans ce contexte de transition paradigmatique, le projet visant à instaurer la parité de genre apporte quelques précisions sur les types d’interventions relatives au droit que le nouveau cadre pourrait permettre d’envisager. Rodríguez et Rubio ont défini les mesures en faveur de la parité comme étant « des mesures permettant d’aboutir à une présence paritaire, équilibrée ou comparable des deux sexes (par exemple, approximativement proportionnelle à la répartition de la population selon le genre) » (Rodríguez-Ruiz et Rubio-Marin, 2008-2009). De manière plus générale, l’instauration de la parité de genre pourrait se définir comme un projet visant à favoriser l’avènement de l’utopie féministe qui consisterait à faire du sexe une variable neutre pour la distribution sociale des ressources, en imposant la présence d’hommes dans des domaines dominés par des femmes et vice versa. Les mesures en faveur de la parité incluent, entre autres, une participation égale des hommes et des femmes à la représentation politique, des dispositions en faveur de la garde partagée, une participation égale des femmes aux conseils d’administration des entreprises et une représentation égale des femmes dans les médias.
39L’idée qui sous-tend ce projet est la suivante : aucune des raisons invoquées pour justifier la ségrégation verticale et horizontale en fonction du sexe, à savoir la spécialisation et le choix, n’est suffisamment pertinente pour justifier la répartition actuelle des ressources entre les hommes et les femmes.
40L’argument de la spécialisation repose sur la conviction que les hommes, d’une part, et les femmes, de l’autre, sont naturellement doués pour certaines tâches et qu’ils se sont si fortement spécialisés dans celles-ci que toute tentative d’établir une autre division du travail entre les sexes se solderait par un gaspillage important (Becker, 1981). Pour les tenant-es de ce point de vue, même si les hommes et les femmes ne diffèrent que par leur capacité à donner naissance à d’autres êtres humains, les effets de cette différence sur la spécialisation et la socialisation sont suffisamment importants pour expliquer dans sa grande majorité la division sexuelle du travail.
41L’argument du choix s’oppose, quant à lui, à toute tentative de quantification des coûts de la ségrégation et met l’accent sur les bienfaits de l’exercice sans contrainte du libre arbitre de chaque individu (Hayeck, 1944). Les défenseur-es de ce point de vue exigent de leurs contradicteurs qu’ils prouvent que les individus n’ont pas « choisi » leur situation actuelle.
42Selon les partisan-es de la parité, la capacité des femmes à procréer n’entraîne pas nécessairement leur spécialisation dans le travail de care et le gaspillage réside en fait dans la sous-utilisation des capacités des hommes dans ce type de travail (Perking-Gilman, 1900). En réalité, étant donné les hauts niveaux de qualification dont disposent certaines femmes, et le bas niveau de formation exigé par le travail de care, on pourrait dire que l’utilisation du sexe comme critère conduit à un gaspillage bien plus important que celle de critères comme le niveau d’éducation, le fait de disposer d’une formation dans le domaine du care, ou encore d’autres qualités directement liées à ce type de travail.
43Le fait que le choix n’ait rien à voir avec la division du travail actuelle est plus difficile à prouver dans la mesure où il existe des désaccords fondamentaux sur la nature de l’exercice du libre arbitre. Pour ceux et celles qui considèrent que la plupart des personnes ont choisi leur vie, seuls des préjugés caractérisés peuvent occasionner une distorsion de choix. En revanche, pour les défenseur-es de l’égalité, les différences dans la socialisation et la coercition sont à ajouter à la liste des facteurs pouvant influencer la répartition. Dans tous les cas, les féministes ont rassemblé suffisamment de preuves pour démontrer, une fois de plus, que ce sont des préjugés, et non des différences de compétences ou de choix, qui déterminent l’essentiel des différences existant entre la situation des hommes et celle des femmes. De plus, elles ont montré que l’argument du choix ne pourrait s’avérer réellement pertinent que s’il se fondait sur l’idée que les choix des hommes et des femmes, qui sont relativement contrastés tout en reflétant des tendances marquées, s’expliquent par l’existence de caractéristiques naturelles.
44D’autre part, les défenseur-es du projet de parité soutiennent que non seulement nous n’avons pas de justification à invoquer pour expliquer les inégalités actuelles, mais qu’en outre la répartition actuelle repose sur une définition problématique des êtres humains censés être indépendants et autonomes. C’est en insistant sur l’interdépendance que les défenseur-es de ce projet réaffirment l’importance du concept de solidarité, qui permet de penser les relations interpersonnelles au-delà de la différenciation binaire entre travail productif et travail reproductif (Rodríguez-Ruiz et Rubio-Marin, 2008-2009).
45Accorder une place centrale à la solidarité permet de justifier certaines mesures paternalistes en faisant intervenir la notion de partage des risques dans les actions mises en place pour atteindre des objectifs sociaux importants. On pourrait, entre autres mesures, modifier le principe de la charge de la preuve afin de s’assurer que la partie la plus faible ait la possibilité de remettre en question la partie la plus forte, imposer des conditions formelles réalisables au profit de la partie la plus faible ou encore assigner à la partie la plus forte un régime de responsabilité objective. Dans le domaine de la parité, les mesures qui pourraient être appliquées sont, entre autres, les quotas de parité, l’attribution de parts égales dans la répartition des biens communs et la garde partagée obligatoire. Cette nouvelle orientation permettrait également un déplacement de l’argument du choix et du hasard, car l’interdépendance nous oblige à considérer l’influence systématique, et non occasionnelle, du hasard sur notre situation. Au final, il est vital que la notion de choix ne soit plus centrale pour rendre caduque la pertinence de l’opposition entre le public et le privé dans la résolution des conflits.
46Le projet de la parité laisse à la notion de choix suffisamment d’espace pour encourager la diversité et l’innovation institutionnelles, et dépend très peu de la fonction publique pour atteindre ses objectifs. Avant tout, il prône la mise en place de règles, formellement réalisables, qui devraient laisser très peu de place au débat, à la discussion, ou à d’autres contentieux.
La théorie juridique féministe : aller-retour du centre vers les marges
47Dans les sections précédentes, j’ai présenté deux approches que je pense essentielles à la compréhension du rôle que la théorie juridique féministe pourrait jouer dans le domaine du droit et du développement. J’ai commencé par rendre brièvement compte des positions féministes au sein de la théorie juridique, et je suis ensuite revenue sur certains projets féministes relatifs au droit, ainsi que sur leurs liens avec les cadres généraux de la réflexion sur le droit et le développement. Dans cette section, je souhaite montrer, dans un premier temps, que les projets féministes de développement pourraient s’inspirer du débat général sur le féminisme et le droit, et, dans un deuxième temps, que le débat général sur le féminisme et le droit pourrait progresser grâce à l’éclairage apporté par les débats généraux sur le développement.
Quand le temps est venu d’abandonner les mauvaises idées
48Aux États-Unis, les juristes féministes élaborent, depuis les années 1970, une critique de l’approche punitive de la lutte contre les violences sexuelles et domestiques. Cette critique prend en compte des arguments issus de la théorie de l’inclusion, de celle de la domination et des féminismes postmodernes tels que je les ai définis. Elle souligne la futilité d’une démarche qui nécessite d’investir autant de ressources pour punir les hommes au lieu de consacrer ces dernières directement aux femmes, elle montre les paradoxes de l’argument qui place la liberté de choix au centre de la compréhension de la violence, et, enfin, les conséquences de l’utilisation du système pénal en termes de classe et de race.
49Aux États-Unis, de nombreux travaux de recherche ont été consacrés à l’évaluation du surplus de ressources qui serait nécessaire pour adapter les cadres administratifs et pénaux aux femmes. Ces travaux portent essentiellement sur les obstacles à l’accès à la justice, par exemple la faible qualité de la représentation juridique des victimes, le peu de sensibilité aux questions de genre et la faiblesse du système dans les cas de récidive (Becker, 2003). À l’inverse, d’autres travaux ont montré que les ressources consacrées à ces questions sont sans doute trop importantes au regard de la faiblesse des résultats obtenus et des biais de classe et de race qui marquent la rationalisation de la sanction et la compréhension de l’utilité de la solution carcérale (Gruber, 2007).
50Certaines féministes, en se saisissant du problème des solutions punitives opposées aux violences sexuelles et domestiques, ont également remis en cause les idées fondamentales selon lesquelles les femmes sont libres de demander de l’aide et de mettre fin à une relation abusive. Elles ont développé des arguments convaincants pour étayer le fait que ni les femmes aisées ayant une bonne situation professionnelle, ni les femmes pauvres, noires ou immigrées clandestines, n’ont véritablement le « choix » (Crenshaw-Williams, 1990-1991). En effet, le fait de s’imaginer en victime de crime semble dépasser de beaucoup la capacité de représentation des premières, notamment parce cela aurait des répercussions trop importantes sur leur pouvoir de négociation dans les relations autres que la relation abusive (Mahoney, 1991-1992). Et le système n’est pas en mesure d’assurer la sécurité des secondes, ni de leur garantir la perception d’une pension alimentaire, ni le maintien de leur relation avec leurs enfants.
51Les études de développement pourraient, je crois, bénéficier de la somme de données accumulées qui montrent que ce n’est pas une bonne idée de tenter de résoudre le « problème » de la violence à l’égard des femmes en recourant au système pénal. Il faut donc résister à la tentation de remédier à un retard : si un pays n’a pas adopté une solution testée ailleurs par le passé, cela ne signifie pas qu’il doive le faire (en particulier, si les coûts de fonctionnement de la solution en question sont trop élevés).
Avoir conscience des risques de contagion
52Par ailleurs, certains débats sur le développement pourraient être utiles aux féministes impliquées dans les réformes relatives aux violences sexuelles et domestiques, notamment ceux qui remettent en question l’obsession néolibérale pour la liberté de choix et qui montrent que privilégier cette liberté aux dépens d’autres concepts peut conduire à une augmentation spectaculaire des inégalités. Sans adopter vis-à-vis de la contagion l’attitude hypervigilante d’un structuraliste paranoïaque (Kennedy, 2001), on peut toutefois estimer qu’il est trop naïf d’ignorer l’impact des réformes du droit pénal sur la répartition des ressources dans la société toute entière. Au-delà des questions de l’accès à la justice et des coûts de la criminalisation pour les personnes pauvres et non blanches, cette observation nous invite à nous interroger sur d’éventuels changements dans les inégalités entre différentes catégories de femmes, mais aussi dans le groupe des femmes aisées ayant une bonne situation professionnelle et dans celui des hommes pauvres (Halley, 2004).
La parité en tant que projet de développement
53De la même façon que les réformes relatives aux violences sexuelles et domestiques semblaient à la fois déconnectées du programme de développement et concomitantes et conceptuellement apparentées au programme néolibéral, le projet de parité est concomitant et conceptuellement apparenté au paradigme de la nouvelle économie du développement. Pourtant, le projet de parité est né dans le Nord où il trouve son ancrage. Il est passé inaperçu parmi les chercheur-es du domaine du développement, bien que des institutions aussi conservatrices que la Banque mondiale aient fait de la « capacité à s’exprimer » l’un des piliers de l’introduction de la perspective de genre dans le développement (Rittich, 2003). Dans les faits, les réformes politiques et celles ayant trait au droit de la famille – deux des multiples dimensions de la parité – paraissent hors de portée pour les pays en développement.
54Ainsi, si l’on devait comprendre la parité comme un projet de développement, nous devrions de nouveau faire face aux conséquences de cette parité sur la répartition des ressources au sein des juridictions nationales, mais aussi entre les pays développés et les pays en développement. Si l’« intérêt des entreprises » qui a permis au projet de la parité de prospérer en Europe et dans certains pays scandinaves s’avère correct, le projet devrait être exportable. Si nous ne pouvons pas tenter de le mettre en œuvre dans d’autres juridictions, nous serons au moins dans l’obligation de chercher à identifier les caractéristiques qui, dans un contexte spécifique, rendent pertinente l’idée de mettre en place des mesures en faveur de la parité dans certains domaines, et celles qui feront échouer le projet de parité abordé comme un projet d’entreprise.
L’excès féministe
55Le projet de parité pourrait également tirer parti des critiques de l’identité qui ont été développées et utilisées par les féministes postmodernes dans la théorie juridique féministe. En effet, alors que les féministes postmodernes soulignent le fait que « le concept d’identité ne perdrait pas nécessairement de sa pertinence » si l’on mettait fin à la binarité dans le langage courant, le projet de la parité utilise les catégories d’homme et de femme de manière si incisive qu’il tend à faire ressortir les exclusions qui leur sont associées, non seulement en termes hiérarchiques, mais également en termes identitaires. En fait, dans la mesure où il exige des réformes légales fondées sur les catégories des « hommes » et des « femmes » avec l’objectif d’une redistribution radicale des ressources, le projet de la parité pourrait donner un nouvel ancrage à ces catégories et nourrir d’intenses débats visant à en établir les délimitations, au lieu d’encourager un processus paisible de bannissement de cette distinction « inutile ».
Conclusions
56Les théoriciennes féministes du droit n’ont pas élaboré de critique spécifique relative au développement ou aux rapports entre le droit et le développement. En se consacrant à la question de la production du pouvoir par l’intermédiaire du genre et de l’identité, ces théoriciennes ont développé un ensemble distinct d’idées sur le droit. Les féministes de la discrimination ont montré la résistance opposée par nos systèmes légaux à la notion d’égalité de genre : nous avons peur d’abandonner la différence féminine, car nous pensons qu’elle est liée à la notion de privilège féminin, et nous rejetons aussi l’idée d’égalité biologique des sexes parce que les zoologistes, les psychologues et les neurologues ont apporté des preuves « tangibles » de l’existence de différences. Pour leur part, les féministes de l’inclusion ont préconisé l’utilisation du droit pour changer nos habitudes de pensée. Nous avons si profondément assimilé l’idée que tout allait « bien » que nous avons perdu de vue l’utilité de débattre ou de persuader. Nous avons besoin de toutes nos forces pour transformer les schémas : protéger les femmes en tant que mères, en tant que participantes de la sphère publique, ou simplement imposer la « parité » dans les sphères publique et privée. Les féministes de la domination, quant à elles, ont montré que le féminisme devait, parmi les autres tâches qui lui incombent, expliquer en quoi le droit contribue à la perpétuation du patriarcat. Selon ces féministes, le droit crée la définition d’un monde censé être juste, dans lequel la situation des femmes serait par conséquent le résultat d’un choix. De même, il induit une forme de tolérance vis-à-vis de la douleur et de la souffrance des femmes, car elle nous incite à penser que cette douleur et cette souffrance n’existent pas, ou encore qu’elles sont justifiées, ou enfin qu’on y a remédié. Enfin, le droit autorise des représentations érotisées de cette douleur et de cette souffrance des femmes.
57Finalement, les féministes postmodernes nous invitent à recentrer notre travail théorique sur les textes, posés comme étant notre réalité, et ainsi à mettre l’accent sur l’occultation des femmes et/ ou du féminin dans les textes juridiques, sur les conséquences de cette absence pour les femmes, et sur le caractère indéterminé et indécidable du genre.
58Si ces développements théoriques ont été possibles, c’est en partie parce que les féministes ont laissé de côté la question du pouvoir dans le colonialisme et le néocolonialisme, ainsi que dans les rapports de race et de classe. Elles ont adopté une attitude critique vis-à-vis de leur propre vie quotidienne au lieu de porter leur regard vers d’« autres » à secourir (Burris, 2000). Cette prise de distance a été importante également, parce qu’elle a permis le développement d’une critique et d’une réflexion sur l’élan missionnaire qui sous-tend un grand nombre d’actions dans le champ du développement (Engle, 1991-1992).
59Mais la distance qui sépare les théoriciennes féministes du droit des théoriciennes féministes du développement a conduit, comme j’ai tenté de le montrer, à un appauvrissement des deux domaines. D’une part, les interventions de développement ne tiennent pas compte des critiques émises par les théoriciennes féministes du droit dans leur pays d’origine et ne font, au mieux, que reproduire des institutions mises en place il y a trente ou quarante ans et qui ont montré leur échec. D’autre part, la prise de distance avec les débats sur le pouvoir international et les institutions formelles n’a pas engendré la solidarité internationale tant annoncée. Dans de nombreux cas, elle a au contraire renforcé les attitudes coloniales dans le domaine de la connaissance et des ressources et conduit les féministes à défendre un crédo dogmatique qui devrait être vrai partout (Halley, 2004).
60J’ai illustré par deux exemples les modalités selon lesquelles le dialogue entre ces deux champs pourrait s’établir. L’exemple de la législation sur la violence de genre visait à montrer que les mesures mises en œuvre pour lutter contre la violence de genre dans le monde en développement depuis une vingtaine d’années sont celles qui avaient été utilisée aux États-Unis vingt ans plus tôt, et dont l’efficacité reste à démontrer. Avec l’exemple de la parité, j’ai tenté de montrer que les chercheures du Nord n’essaient pas d’élaborer un plan d’action mondial, mais qu’elles réfléchissent plutôt aux possibilités qui « leur » sont offertes, reportant le débat sur le Sud à des jours meilleurs, c’est-à-dire au moment où le décalage auquel fait référence l’expression « développement » sera comblé. Les théoriciennes du développement pourraient s’inspirer des critiques émises par les théoriciennes féministes du droit pour élaborer leurs modèles d’interventions, et, dans la même logique, les théoriciennes féministes du droit ne devraient pas invoquer une certaine distance pour justifier éthiquement le fait de ne pas construire de plan d’action commun avec leurs homologues des pays « en développement ».
61Je souhaiterais conclure en évoquant deux voies par lesquelles ce conflit a influencé mon travail et mon expérience. En premier lieu, mes principales interlocutrices en Colombie ne sont pas des chercheures travaillant sur la théorie juridique féministe, mais des militantes féministes. Cela résulte à la fois du fait que le monde juridique universitaire n’est pas entièrement professionnalisé et de mon intérêt pour l’étude des processus de réforme juridique et de plaidoyer. Dans mes échanges avec ces militantes, j’ai tenté de dépasser les trois arguments qu’elles utilisent pour ne pas collaborer avec les juristes : 1) l’urgence de la situation nous oblige à mettre en place n’importe quelle solution, même si ce n’est pas la bonne ou que nous ne savons pas à quoi elle aboutira ; 2) les connaissances produites ailleurs sont « contaminées » par le colonialisme ; 3) théoriser les interventions conduira à diviser le mouvement. J’ai opposé à cela les arguments suivants : en donnant à voir la différence et en en montrant la nature politique, il serait possible de construire une représentation du conflit libérée des motivations personnelles et des émotions négatives, ce qui permettrait une plus grande unité ; le Nord est également un lieu de production de connaissances sur le développement et d’un discours sur les droits humains ; enfin, c’est précisément parce que nos ressources sont si limitées que nous ne devrions pas les gaspiller. Dans mes travaux sur la loi des quotas, adoptée par le Sénat en 2000 (Jaramillo, 2006), et sur le traitement judiciaire de l’avortement (Jaramillo et Alfonso, 2008), je critique des mesures qui ignorent les spécificités du contexte local, ainsi que les théories élaborées pour comprendre ces particularités et pour y apporter des réponses adaptées. Auprès des militantes, j’ai tenté de comprendre les restrictions auxquelles elles doivent faire face, j’ai pris leurs préoccupations en compte pour essayer de mieux les faire entendre et me suis risquée à émettre des recommandations quant à de possibles modalités d’actions dans des situations en apparence impossibles à gérer.
62La seconde influence de ce conflit sur mon travail tient au fait que j’enseigne et que j’écris en espagnol dans un pays « en développement ». Cette situation m’a encouragée à travailler à la création d’alliances avec des collègues d’Amérique latine18, mais elle m’a éloignée des nombreux débats qui agitent actuellement les milieux académiques juridiques aux États-Unis et en Europe. Malheureusement, ces deux configurations du débat sont encore assez différentes, et intervenir efficacement au sein des deux requiert une énergie et des ressources qui dépassent les moyens dont j’ai disposé jusqu’à maintenant. J’y vois l’illustration du caractère illusoire d’un plan d’action féministe global.
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Notes de bas de page
2 C’est aussi ce qu’affirme Elisabetta Bartolino dans son article de 2006 (Bartolino, 2006). Sa réponse à cette problématique est assez différente de la mienne : elle tente d’intégrer les deux champs en procédant à une analytique du sujet, alors que je vois ces deux champs comme étant liés, mais pas nécessairement soumis à un seul système logique.
3 Pour un aperçu général des débats sur le droit et le développement, voir Trubek et Santos, 2006 ; Trubek et Gallanter, 1974 ; Kennedy, 2003.
4 Le fait que la théorie juridique féministe ait été aussi abondamment étudiée aux États-Unis pourrait être lié à l’obsession américaine pour l’étude du droit, au fait que les femmes ont longtemps été exclues de la pratique du droit aux États-Unis, ou même au fait que certaines facultés de droit sont devenues des centres de recherche qui comptent des professeurs à plein temps, et non des professeurs à mi-temps ou adjoints. Pour d’autres approches sur la théorie juridique féministe et les interventions féministes, voir Jaramillo (1999) et Alviar et Jaramillo (2012).
5 NDT : Désigne une forme de mariage (ou un concubinage) basé sur le principe d’égalité entre l’homme et la femme. Les rôles des époux sont considérés comme interchangeables, le dialogue et la collaboration sont favorisés, et les responsabilités – économiques, domestiques, etc. –, ainsi que les intérêts, sont partagés. Si le couple n’a pas d’enfants, le divorce peut se faire par consentement mutuel (et, en cas de divorce, aucun des époux n’a la responsabilité de soutenir financièrement l’autre).
6 Sur le thème de l’élaboration de lois visant à refléter la réalité, voir Gordon (1984).
7 Anuj Garg & Ors v. Hotel Association Of India & Ors [2007] INSC 1226 (6 décembre 2007).
8 Conseil des représentants des élèves de la faculté des sciences de l’éducation du Molepolole versus le procureur général du Botswana, pour et au nom du directeur de la faculté des sciences de l’éducation du Molepolole et du secrétaire permanent du ministre de l’Éducation, Cour d’appel civile, affaire n° 13 de 1994, Misca n° 293 de 1993.
9 Ibid.
10 Akhtar versus Union of India & Ors Appeal (civil) 5087 de 2007, 1er novembre 2007 ; T-044/1994, Cour constitutionnelle de Colombie. J’espère qu’il est évident que ces affaires sont de « mauvais cas », choisis pour illustrer la manière dont l’égalité de traitement est utilisée contre les femmes.
11 T-044/1994, Cour constitutionnelle de Colombie.
12 Krugel v. Krugel, 2003 (6) SA 220 (T).
13 À l’opposé, la Cour constitutionnelle de Colombie a expliqué que lorsqu’une mère ne bénéficiait pas d’un temps de visite égal, elle était victime de discrimination, car cela l’empêchait de se réaliser pleinement en tant que femme et en tant que mère. Voir T-523/1992, Cour constitutionnelle de Colombie.
14 Il est crucial de mentionner l’influence des féministes françaises dans le monde académique juridique sur leurs homologues étasuniennes. Les auteures les plus citées sont Cixous, 1981 ; Kristeva, 1980 ; Irigaray, 1985a, 1985b.
15 Fanueil Sitakeni Masiya v. Procureur général & Ors, affaire CCT 54/06 [2007] ZACC 9.
16 Dans l’État versus Michael Katamba, la Cour suprême de Namibie a considéré que, dans les cas de viol, le principe de précaution était contraire au droit des femmes à l’égalité. Bien que la règle soit neutre en apparence, la Cour a considéré que, parce que 95 % des plaintes pour viol étaient déposées par des femmes, elle était contraire au droit de celles-ci à l’égalité. État v. Katamba, SA/2/99, 7 décembre 1999.
17 Dans l’État versus Baloyi, la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud a établi que l’inefficacité de l’État à lutter contre la violence domestique violait le droit des femmes à l’égalité. État v. Baloyi et Autres (CCCT29/99) [1999] ZACC 19 ; 2000 (1) BCLR 86 ; 2000 (2) SA 425 (CC), 3 décembre 1999.
18 Je suis l’une des membres fondatrices de Red Alas, un réseau de chercheures féministes du droit en Amérique latine (http://www.redalas.net/a2/index.cfm?aplicacion=pak024&cnl=13&opc=9), et je participe régulièrement à Sela, le séminaire constitutionnel latino-américain (http://www.law.yale.edu/intellectuallife/SELA.htm)
Auteurs
Isabel Cristina Jaramillo est directrice de la recherche de la faculté de droit de l’Universidad de los Andes où elle enseigne le droit familial, le droit constitutionnel et la théorie du droit depuis février 2012. Elle a coécrit trois ouvrages et coordonne le groupe de recherche Genre et droit. Elle a été consultante pour le Center for reproductive policy, Women’s link worldwide et le ministère de la Protection sociale sur des questions telles que les droits sexuels et reproductifs et le droit constitutionnel comparé, et elle a reçu de nombreuses distinctions : la bourse Colfuturo (consortium privé colombien, 1999) ; la bourse Gammon (Harvard Law School, 1999) ; la bourse Harvard-Los Andes (Harvard-Los Andes Fund, 1999-2004) ; la bourse Byse (Harvard Law School, 2003). Elle a également été experte auprès du Sénat colombien sur des questions telles que la participation politique des femmes, le divorce et les discriminations dues au genre. Elle a été sollicitée en tant qu’amicus curiae au cours de certaines des procédures les plus controversées de la Cour constitutionnelle colombienne.
ijaramil@uniandes.edu.co
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