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Chapitre 5

L’économie féministe du développement. Une approche institutionnelle de l’analyse du ménage

Traduit par Yolande Cavallazzi et Aurélie Cailleaud (trad.)

p. 151-182


Texte intégral

Introduction : le caractère connexe des inégalités de genre et de l’économie

1En économie, le genre n’est plus seulement analysé sous l’angle des inégalités de genre appliquées à des variables économiques, telles que l’emploi ou les salaires, et sous celui des différences d’impact des politiques et des processus économiques pour les hommes et pour les femmes. Il est également perçu comme un facteur qui, en premier lieu, façonne les mécanismes du marché déterminant l’accès à des ressources comme l’éducation ou les revenus et leur contrôle ; en deuxième lieu, il conditionne les choix des individus qui évoluent, par exemple, sur un marché du travail segmenté ; enfin, il est considéré comme un facteur intrinsèque des tendances macro-économiques, par exemple par l’intermédiaire des fluctuations du taux de participation de la main-d’œuvre féminine ou par une augmentation de l’offre de travail non rémunéré dans les contextes de crise. Ainsi, le genre est de plus en plus souvent interprété comme une variable non seulement exogène (provenant de l’extérieur du système économique, de la culture, des rapports sociaux, de la nature ou des lois), mais aussi endogène – qui détermine des processus, des conditions et des résultats particuliers dans le domaine de l’économie et qui est, en retour, influencée par ceux-ci.

2Nous proposons une analyse du genre en économie, en particulier en économie du développement, par l’approche de l’économie institutionnelle. Celle-ci permet de mieux comprendre la relation de réciprocité qui unit le genre et l’économie. Nous allons affirmer que les institutions genrées sont la clé pour comprendre l’influence de l’économie sur les rapports de genre ainsi que celle des rapports de genre sur les processus et les résultats économiques. Avant de développer notre cadre analytique sur les institutions genrées, nous allons expliquer ce que sont les institutions dans le champ de l’économie et les façons dont le genre a été compris dans l’économie institutionnelle. Nous sommes conscientes du fait que d’autres domaines des sciences sociales considèrent les institutions auxquelles nous faisons référence comme relevant des normes sociales ou de la culture. L’économie utilise le terme d’institutions pour signifier que les normes sociales et la culture influencent les décisions économiques et que le comportement économique contribue à la construction des normes sociales et des modèles culturels. Nous allons détailler cette idée dans la partie suivante.

Les normes de genre en tant qu’institutions

3Alors qu’il y a un siècle, le père fondateur de l’économie institutionnelle, Thorstein Veblen, reconnaissait que les normes de genre étaient une parfaite illustration de l’influence des schémas culturels et historiques sur le processus économique par lequel les agents économiques se procurent les moyens matériels d’assurer leur subsistance2, l’économie institutionnelle semble être, aujourd’hui, moins intéressée par les institutions genrées. À l’heure actuelle, les normes de genre sont certes identifiées comme des institutions influentes, mais le vif intérêt de Veblen pour les institutions patriarcales ne joue plus un rôle essentiel dans l’analyse institutionnelle. S’intéresser explicitement aux normes de genre semble être devenu un domaine de spécialisation parmi d’autres. Ce n’était pas l’approche de Veblen qui n’a pas analysé le rôle des normes patriarcales uniquement par intérêt pour la position désavantagée des femmes3, mais pour comprendre l’influence du pouvoir et de l’idéologie sur l’économie. Comme Jennings (1993 : 113) l’a affirmé en parlant de Veblen (1964) : « Les idées de Veblen concernant “le statut barbare des femmes” relevaient d’une opposition plus générale à la hiérarchie sociale enracinée dans des distinctions injustes ». Le fait d’avoir intégré les normes de genre à son raisonnement a permis à Veblen de formuler plusieurs idées importantes, notamment sur le rôle du ménage dans les États-Unis de la fin du xixe siècle, où les loisirs (supposés) des femmes de la classe moyenne étaient l’expression du statut de leur mari. Dans Théorie de la classe de loisir, il constate que : « … la condition de la femme est l’indice le plus frappant du niveau de culture atteint par une société, et, pourrait-on ajouter, par telle ou telle classe de cette société. Cette remarque est peut-être plus vraie encore du stade où en est l’économie que des autres stades de l’évolution. D’autre part, la condition faite à la femme dans le mode de vie reçu, quelle que soit la société ou la culture, est l’éminent interprète de traditions qui ont pris forme dans les circonstances d’une phase antérieure. Ces traditions ne se sont adaptées qu’en partie aux conditions économiques existantes ; elles ne sont pas entièrement ajustées aux nouvelles nécessités du tempérament et du penser qui poussent les femmes à agir dans la situation économique moderne. » (Veblen, 1931 : 233)4

4À l’heure actuelle, les économistes institutionnels qui s’intéressent aux normes de genre préconisent une prise en compte plus systématique, veblenienne, du genre dans l’économie institutionnelle. Cette position se fonde en partie sur les apports de l’économie féministe. Jennings (1993) a, par exemple, affirmé que l’institutionnalisme pouvait s’inspirer de la critique féministe des dualismes cartésiens occidentaux – public/ privé, économie/famille, esprit/corps, rationnel/émotionnel et compétitif/nourricier. Elle a montré que ces catégories ne sont pas neutres, mais qu’elles sont imprégnées de références symboliques relatives au genre, par exemple à des représentations stéréotypées de la féminité et de la masculinité. Elle affirme que la nature genrée des dualismes qui sous-tendent la pensée économique dominante sur la rationalité, les ménages et la division du travail est essentielle à la compréhension des différents niveaux auxquels les institutions opèrent. Mais nous devons également être conscients du caractère culturellement spécifique de ces dualismes et ne pas supposer qu’ils sont les mêmes dans toutes les cultures, comme cet article le montrera. Comme l’affirme Harding (1986 : 167-79), les visions africaines du monde, notamment, ne correspondent pas parfaitement à l’interprétation des dualismes cartésiens. Nous devrions nous méfier des catégories universalisantes comme « la femme africaine » (Olson, 1994 : 88-89) ou la polygamie (Hale, 1995), car elles recèlent des intersections avec la classe, l’ethnicité ainsi qu’avec d’autres différentiations sociales. En se fondant sur cette conscience culturelle, Mayhew (1999) a souligné le fait que l’économie institutionnelle, comme l’économie féministe, concevait la réalité économique comme une construction sociale et culturellement spécifique. Elle constate que, dans les deux écoles de pensée, le pouvoir est reconnu comme une force centrale de l’économie et que, par conséquent, le pouvoir des normes de genre devrait logiquement faire partie de l’analyse institutionnelle. Dugger (1996) a rassemblé les différents rapports de pouvoir sous « quatre modes d’inégalité » (race, genre, classe et nation), chacun étant soutenu par des dispositifs institutionnels reposant sur des mythes. Dans une autre contribution sur les similarités entre l’économie féministe et l’économie institutionnelle, Whalen et Whalen (1994) concluent que les deux approches représentent une ontologie holistique, une épistémologie pragmatique et une vision d’ensemble des valeurs. Enfin, Waller et Jennings (1990) nous mettent en garde contre le risque couru par les institutionnalistes de retomber dans les dualismes cartésiens qui dominent l’économie traditionnelle. Ils nous sensibilisent à l’influence de la culture sur les processus de création du savoir et sur sa capacité à nous rendre aveugles à certaines questions, par exemple le genre. Par conséquent, ils nous conseillent de « … nous placer en position d’observateurs extérieurs pour examiner la méthode culturelle d’enquête de façon à mieux identifier les préjugés qu’elle recèle, et d’utiliser une méthode similaire à celle que Veblen a employée dans son exploration des économies industrielles modernes » (Waller et Jennings, 1990 : 618).

5Nous rejoignons Dugger (1996) et beaucoup d’autres qui ont qualifié le patriarcat de système d’inégalité de genre (Odebode et van Staveren, 2007). Ce système est soutenu par des institutions genrées qui, par conséquent, fonctionnent de façon asymétrique pour les hommes et pour les femmes, ont des effets différents pour les hommes et pour les femmes et, généralement, profitent davantage aux premiers. Comme le fait remarquer Martin (2004), les usages qui sont faits des institutions sociales de nos jours mettent en lumière les pratiques, le conflit, l’identité, le pouvoir et le changement. Traiter le genre comme une institution permet de mieux en faire connaître le caractère profondément social et de faire apparaître plus clairement sa dynamique invisible et ses relations complexes avec d’autres institutions, lesquelles peuvent alors être soumises à une analyse critique et devenir susceptibles de changer. Comme expliqué dans la définition de l’Index Institutions sociales et égalité homme-femme (2012), le concept d’institutions sociales a été adopté par plusieurs disciplines pour attirer l’attention sur la capacité de la « culture » ou des relations sociales à limiter ou à favoriser l’action individuelle ou collective. North (1990) a décrit les institutions comme « des contraintes conçues par les êtres humains, qui structurent l’interaction politique, économique et sociale. Elles incluent à la fois des contraintes informelles (sanctions, tabous, coutumes, traditions et codes de conduite) et des règles formelles (constitutions, lois, droits de propriété) ». Le caractère « social » des institutions sociales tient à l’influence exercée par les lois formelles et informelles, les normes sociales et les pratiques sur les rapports sociaux ou les interactions humaines. Comme l’explique encore la définition de l’index, les institutions sociales discriminatoires sont celles qui limitent ou excluent les femmes et les filles et restreignent par conséquent les possibilités qui leur sont offertes, ainsi que leur accès aux ressources et au pouvoir, ce qui a une influence négative sur le développement. Par leur influence sur les inégalités dans la répartition du pouvoir entre les hommes et les femmes dans la sphère privée de la famille, dans la sphère économique et dans la vie publique, les institutions sociales discriminatoires (que nous appelons asymétriques) limitent les possibilités offertes aux hommes et aux femmes, ainsi que leur capacité à vivre comme ils veulent.

6La partie suivante développe la notion d’institutions asymétriques. Nous établirons ensuite un lien entre les normes de genre et le ménage, en tenant compte du fait qu’au sein des ménages, les normes de genre interagissent avec d’autres normes sociales, notamment celles relatives à la culture, à l’ethnicité et à la classe.

Institutions symétriques et asymétriques

7Les institutions ne sont évidemment pas toutes asymétriques – si c’était le cas, il ne serait pas nécessaire de les distinguer des institutions symétriques. De nombreuses institutions sont symétriques, c’est-à-dire qu’elles ont des effets similaires sur différents groupes sociaux. Parmi ces institutions symétriques, on peut citer l’enseignement primaire universel, les taux de change ou la langue (bien que celles-ci puissent être affectées dans une certaine mesure par les différentiations sociales). Dès lors, la distinction entre institutions symétriques et asymétriques mérite d’être clarifiée. Le portrait sociologique des institutions dressé par Martin (2004) peut être utile, puisqu’elle a décrit les institutions dans le détail en combinant de nombreux points de vue de la sociologie allant de celui de Parsons à celui de Giddens. L’une des forces de la pensée sociologique sur les institutions tient au fait qu’elle reconnaît les asymétries aux niveaux des structures, de l’identité et des références symboliques. Martin (2004 : 1256-1258) analyse notamment cinq caractéristiques des institutions qui revêtent un caractère pertinent pour l’économie féministe institutionnelle par leur lien avec les asymétries. Les institutions :

  • limitent tout autant qu’elles facilitent le comportement des membres du groupe ;

  • sont caractérisées par des attentes, des règles et des procédures spécifiques ;

  • sont assimilées par les membres du groupe comme étant des identités ;

  • sont porteuses d’une idéologie légitimante ;

  • et sont organisées et traversées par des rapports de pouvoir.

8Les liens entre ces caractéristiques et les normes de genre sont brièvement discutés ci-dessous, sur la base des connections établies par Martin elle-même.

« Les institutions limitent et facilitent le comportement des membres du groupe »

9Les contraintes et les facilités relatives au genre sont créées par ce que Folbre (1994) a qualifié de structures de contrainte genrées. Ces structures limitent, mais aussi définissent le comportement des personnes : « Les citoyens peuvent faire telle chose, les non-citoyens ne peuvent pas. Les hommes peuvent faire telle autre chose, les femmes ne peuvent pas » (Folbre, 1994 : 40). Mais les femmes remettent en cause, contournent, infléchissent et négocient ces normes de genre, provoquant ainsi un processus de changement institutionnel. En fait, comme l’explique Folbre, « les groupes organisés selon le genre et l’âge font des efforts particulièrement remarquables pour renforcer les dispositifs institutionnels qu’ils trouvent avantageux, et pour changer ceux qu’ils trouvent pesants » (Folbre, 1994 : 1).

« Les institutions sont caractérisées par des attentes, des règles et des procédures spécifiques »

10Comme l’a noté Jennings (1993), les hommes et les femmes ont, en partie, des pratiques sociales différentes, comme celles qui sont liées à la division sexuelle du travail. Les attentes relatives aux rôles de genre s’expriment très tôt dans la socialisation de l’enfant et orientent son développement vers des rôles typiquement masculins ou féminins. Les attentes et les rôles conditionneront ensuite les choix que feront les hommes et les femmes dans leur vie. C’est par exemple le cas sur le marché du travail, où la ségrégation est entretenue par un assortiment complexe de barrières institutionnelles à l’entrée, d’images et de valorisation des emplois étiquetés comme étant masculins ou féminins selon une hiérarchie invisible et stéréotypée (Elson, 1999).

« Les institutions sont assimilées par les membres du groupe comme étant des identités »

11À partir de son étude empirique sur le statut économique des femmes en Asie du Sud, Agarwal a reconnu que les normes de genre « apparaissent non seulement dans la division du travail et la répartition des ressources entre les femmes et les hommes, mais également dans les idées et les représentations – qui attribuent aux femmes et aux hommes différentes compétences, attitudes, différents désirs, traits de personnalité, schémas comportementaux, etc. » (2007 : 1). Ainsi, les normes de genre peuvent influer sur l’identité d’un agent, idée précisément identifiée par Hodgson comme étant indissociable de l’ancienne économie institutionnelle veblenienne : « L’action de certaines institutions peut aller au-delà de l’exercice de contraintes sur le comportement : ces institutions peuvent réellement changer le caractère et les croyances de l’individu » (Hodgson, 2004 : 257). Dans le cas des significations symboliques du genre relatives aux hommes et aux femmes, s’intéresser aux identités genrées implique « de reconnaître que la “masculinité” et la “féminité” comptent dans la prise de décision et l’allocation de ressources » (Katz, 1997 : 26).

« Les institutions sont porteuses d’une idéologie légitimante »

12Les normes de genre sont légitimées par des croyances communes, ainsi que par l’intérêt des hommes à protéger ces normes. Cette démarche peut finir par être un obstacle à l’élaboration et à la mise en œuvre de solutions plus efficaces aux problèmes de coordination, notamment lorsque ces solutions passent par un éclatement de ces normes de genre. Veblen avait précisément identifié ce phénomène en constatant que les normes patriarcales menaient souvent à l’inefficacité. Hodgson (1984) en a offert une bonne illustration dans le domaine de la gestion des ressources humaines en citant un cas où des responsables masculins ont retiré aux femmes le contrôle de leur cadence de travail, croyant que ce contrôle leur donnait beaucoup trop de liberté. Cette décision a entraîné un recul de la productivité.

« Les institutions sont organisées et traversées par des rapports de pouvoir »

13Waller et Jennings soulignent le rôle du pouvoir dans les institutions et reconnaissent la place centrale accordée par la pensée institutionnelle à l’étude du pouvoir. « Les institutionnalistes ont toujours abordé l’exercice du pouvoir par l’intermédiaire de systèmes multidimensionnels régissant les statuts et les hiérarchies » (Waller et Jennings, 1990 : 620). Le statut et la hiérarchie permettent aux hommes, comme le fait remarquer Goetz, « d’agir souvent de façon plus cohérente que les femmes, en dépassant les divisions de classe ou de race, pour défendre certains intérêts de genre, et ils le font de manière à ce que les institutions publiques contribuent à établir des liens entre le pouvoir détenu par les hommes dans la sphère publique et celui qu’ils exercent dans la sphère privée » (Goetz, 1997 : 17). Il est important de constater également que le genre n’est pas une institution unifiée et homogène, car les rapports de pouvoir qui lui sont associés évoluent constamment, ouvertement ou de façon dissimulée. En s’inspirant des travaux de Commons, Mayhew affirme par exemple que « l’organisation économique a été considérée comme le résultat des intérêts contradictoires des différents groupes qui utilisent le pouvoir et les processus d’arbitrage acceptés dans la société en question » (Mayhew, 1999 : 484). Harriss-White (2000 : 236) reconnaît, par conséquent, que le marché, en tant qu’institution, « peut être aussi bien un lieu de subordination fondée sur l’ethnie ou le genre que de libération ».

14En conclusion, les cinq caractéristiques asymétriques des institutions identifiées par Martin nous permettent de définir le genre comme une institution complexe et multidimensionnelle, qui fonctionne différemment pour les hommes et les femmes, les hommes étant placés dans une position plus favorable que les femmes dans les domaines de l’accès aux ressources et de leur contrôle, de la division du travail au sein du ménage, de la distribution des avantages et du pouvoir de décision. Cette conception du genre comme institution asymétrique permet une appréhension des normes de genre plus riche que celle proposée par les approches économiques qui définissent généralement le genre comme une contrainte comportementale individuelle (c’est le cas dans la nouvelle économie institutionnelle), comme une émanation des choix individuels (dans la nouvelle économie domestique) ou encore comme un élément des possibilités de recours (telles que définies par la théorie de la négociation au sein du ménage). Cette approche nous incite à affiner la définition symétrique des institutions généralement utilisée en économie pour inclure plus explicitement le fait que celles-ci peuvent ne pas être des règles/normes sociales neutres dont les effets sont les mêmes pour tous les groupes sociaux. En nous inspirant du travail de Hodgson (2004 : 424), nous définirions les institutions comme des systèmes durables de règles sociales établies et bien ancrées qui structurent les interactions s’établissant dans la société de sorte qu’elles sont identiques, différentes ou inégales entre différents groupes sociaux. Lorsque l’effet est différent ou inégal pour différents groupes, nous parlons d’institutions asymétriques.

Une approche institutionnelle de l’économie féministe du développement

15Les recherches récentes sur l’empowerment des femmes ont délaissé l’approche fondée sur l’individu pour mettre l’accent sur le niveau social, soulignant que le contexte institutionnel constitué par les normes de genre, les pratiques culturelles et les croyances genrées, influence très fortement le pouvoir de négociation des femmes, leur capacité à prendre des décisions, ainsi que leur bien-être. Cette influence est décrite dans le tableau 1 (voir également van Staveren, 2009). La cellule A correspond à l’approche par l’individu appliquée à l’analyse et à l’élaboration des politiques relatives au nexus ressources-empowerment. Ce nexus se compose des contraintes que font peser sur l’accès des femmes aux ressources (et dans une moindre mesure sur leur contrôle des ressources) les institutions formelles genrées telles que les droits de propriété inégaux, les règles de succession asymétriques, ou les inégalités propres aux systèmes scolaires et aux marchés du travail. Mais dès que cet accès des femmes aux ressources est rendu possible, les hypothèses individualistes priment et on s’attend à ce que les femmes transforment simplement ces ressources en empowerment.

Tableau 1. Empowerment des femmes, ressources et institutions genrées.

Institutions genrées formelles

Institutions genrées informelles

Ressources et empowerment

A. par exemple, inégalité des droits de propriété, asymétrie des règles de succession, inégalité des systèmes scolaires et des marchés du travail

B. par exemple, ségrégation du marché du travail, biais de genre du marché du crédit

Accès aux ressources

C. par exemple, nécessité qu’un homme approuve légalement les achats et ventes de biens réalisés par une femme

D. par exemple, normes patriarcales attribuant aux hommes le contrôle sur les ressources du ménage en tant que chefs de ménage

Accès aux ressources, mais contrôle limité sur celles-ci

E. lois autorisant les mariages précoces et, par conséquent, une différence d’âge moyenne importante entre époux

F. division du travail genrée, normes sociales définissant quels sont les comportements adéquats pour les femmes et pour les hommes

Accès aux ressources et contrôle sur celles-ci Transformation des ressources en réalisations – le processus n’est pas automatique, mais dépendant de la capacité d’action

Source : les auteures.

16Les questions évoquées dans les autres cellules (B-F) sont moins souvent au centre des préoccupations des chercheur-es et des pouvoirs politiques. Elles sont pourtant tout aussi déterminantes pour l’empowerment des femmes et pour les effets indirects évoqués plus haut. Ce sont précisément ces éléments qui introduisent la perspective sociale. La cellule B évoque les institutions informelles genrées qui limitent l’accès des femmes aux ressources, notamment la ségrégation sur le marché du travail et les biais de genre du marché du crédit. Les cellules C et D traitent de la situation des femmes quand elles ont accès aux ressources, mais ne peuvent que partiellement les contrôler : le contrôle des ressources est généralement influencé par les institutions formelles et informelles, comme les droits de propriété et les normes patriarcales qui favorisent le contrôle des ressources du ménage par les hommes. Enfin, les cellules E et F montrent que, même lorsque les femmes contrôlent les ressources, les institutions formelles et informelles genrées exercent toujours leur influence, en limitant la capacité d’action des femmes. Les ressources ne sont pas automatiquement source d’empowerment. Les femmes doivent utiliser leur capacité d’action pour les faire fructifier. Mais cette capacité d’action peut être limitée par des institutions formelles (cellule E), comme les lois qui autorisent le mariage précoce et, donc, une différence d’âge moyenne importante entre époux, qui, au final, aura une influence négative sur le pouvoir de négociation des femmes au sein du ménage (en Éthiopie, par exemple, la différence d’âge moyenne au moment du mariage est de 7 ans, selon les données DHS de 2005). Il est encore plus probable que la capacité d’action des femmes soit influencée par les institutions genrées informelles (cellule F) – comme la division sexuelle du travail, le phénomène répandu de la violence conjugale et les normes sociales déterminant le comportement adéquat des femmes – qui, toutes, vont imposer des limites à l’utilisation, potentielle ou réelle, par les femmes des ressources dont elles disposent : leur éducation, leurs revenus, leurs biens, leur terre ou les crédits qui leur ont été accordés.

17Certaines études récentes montrent que les revenus des femmes n’ont aucun impact sur le pouvoir de négociation de ces dernières, tandis qu’une variable institutionnelle telle que la différence de salaire entre hommes et femmes abaisse considérablement la charge de travail non rémunéré des femmes (MacPhail et Dong, 2007) et fait reculer la violence domestique (Aizer, 2007). D’autres variables, qui ne concernent pas le ménage, semblent avoir un effet sur le pouvoir de négociation. On a par exemple montré que des lois sur le divorce plus sensibles au genre réduisaient le taux de suicide parmi les femmes mariées, la violence domestique et le nombre de meurtres de femmes par leurs partenaires (Stevenson et Wolfers, 2006). Mais une partie de la littérature sur le sujet révèle une tendance plus préoccupante. Il semble en effet que le fait que les femmes aient des revenus propres, une éducation, conscience de leurs droits ou le fait qu’elles soient formellement propriétaires de biens, soient des facteurs qui n’ont aucun impact sur leur pouvoir de décision et leur bien-être au sein du ménage, voire qu’ils les détériorent. Certaines femmes à qui un crédit a été accordé voient reculer leur revenu net (Goetz et Sen Gupta, 1996), sont davantage exposées à la violence domestique (Rahman, 1999) ou doivent augmenter leurs heures de travail salarié dans des conditions très défavorables et aux dépens de leurs propres affaires (Garikipati, 2008). Une autre étude, menée principalement en Afrique subsaharienne, a montré que plus les revenus des femmes étaient élevés, plus la contribution des hommes aux dépenses du ménage était faible et plus la part des revenus utilisée par les hommes pour leur consommation personnelle était importante (Bruce et Dwyer, 1988 ; Odebode et van Staveren, 2007).

18Selon Bina Agarwal (2007), les normes sociales genrées forment une sorte de précondition au pouvoir de négociation au sein du ménage, tout en représentant un pouvoir extérieur au ménage. Les normes sociales, les croyances et les pratiques genrées, qui donnent forme aux institutions genrées, nous semblent être à la fois une précondition à la négociation au niveau individuel et au sein du ménage et la source d’un pouvoir de négociation en dehors du ménage pour le partenaire en position de force. Les institutions genrées constituent donc une sorte d’« aubaine » dans la négociation, échappant au contrôle des deux partenaires, mais donnant à l’un un net avantage sur l’autre. Ainsi, les institutions genrées peuvent neutraliser le pouvoir de négociation acquis par les femmes grâce à leurs ressources, car elles peuvent restreindre leur position de repli en cas d’échec de la négociation (Heath et Ciscel, 1996), limiter leur capacité à négocier – en les contraignant par exemple à reconnaître l’autorité masculine, alors qu’elles sont formellement égales en droits (Blumberg, 1991a ; Nikièma et al., 2008) –, orienter leurs préférences en les contraignant à les adapter à ce qui est jugé adéquat pour les femmes (Sen, 1990), et limiter leur rôle au sein du ménage en déterminant ce qui peut ou ne peut pas être négocié (voir par exemple Cuesta (2006), sur le machisme en tant que règle de répartition au sein du ménage au Chili). Pour schématiser la façon dont le genre opère dans l’économie, nous distinguons trois niveaux dans le pouvoir de négociation. Ces trois niveaux sont classés par ordre décroissant en fonction du niveau de contrôle individuel exercé, ou sont simplement donnés (voir tabl. 2).

Tableau 2. Cadre élargi de la négociation au sein du ménage illustrée par des exemples de pouvoir de négociation.

Pouvoir de négociation individuel

Pouvoir de négociation au sein du ménage

Pouvoir de négociation institutionnel

Objectif/ formel

Revenus, biens, âge, éducation

Différence d’âge, différence d’éducation richesse

Inégalités de genre dans la loi et les règles

Subjectif/informel

Conscience des droits, attitude envers la violence contre les femmes

Différence d’attitude envers la violence contre les femmes

Inégalités de genre dans les normes sociales, les croyances culturelles et pratiques traditionnelles

Source : les auteures.

19Le modèle économique de l’empowerment des femmes figurant ci-après (fig. 1) résulte d’une appréhension institutionnelle du genre dans le cadre de l’économie du développement. Les réalisations des femmes sont mesurées par les écarts de genre dans les domaines de la santé, de l’éducation et du pouvoir de décision. On parle là de différences entre les femmes et les hommes. Les ressources sont définies en termes d’accès à l’éducation, au crédit et à l’emploi. Chacune des deux catégories d’institutions, formelles et informelles, peut être évaluée grâce aux éléments fournis par la base de données en ligne l’OECD-GID (Genre, Institutions et Développement). Ces données concernent, entre autres, les lois sur la violence contre les femmes ; la prévalence des mutilations génitales féminines ; la prévalence des mariages d’enfants ; les obstacles à l’octroi de prêts bancaires aux femmes ; et les obstacles aux droits fonciers des femmes.

Figure 1. Modèle d’empowerment des femmes.

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Les facteurs influençant les actions ou les décisions des femmes

20Ce modèle a été testé grâce à une analyse empirique des données recueillies dans des centaines de pays en développement (van Staveren, 2013). Cette analyse a montré, comme on s’y attendait, que l’accès des femmes aux ressources a un effet positif sur leurs réalisations. Mais elle a également souligné le fait que de puissantes institutions genrées annulent cet effet. Les institutions genrées posent des obstacles considérables à la capacité d’action des femmes, ce qui leur interdit de faire de leurs ressources des outils d’amélioration de leur bien-être. Dès lors, l’accès des femmes aux ressources apparaît comme important, mais insuffisant pour assurer leur empowerment. Il est par conséquent crucial pour l’économie féministe du développement de mieux comprendre les institutions genrées.

Normes de genre et intersections avec la culture, l’ethnicité et la classe

21Les normes interagissent souvent entre elles et, par voie de conséquence, on constate souvent une interconnexion des institutions. Au sujet de ces interactions entre institutions en économie, Harriss-White (2000 : 237) affirme que « les processus d’échange sont déterminés par une large gamme d’institutions sociales – État, localité, classe, ethnie, caste, religion, parenté, âge et genre – qu’ils déterminent en retour ». Ainsi, les normes de genre dans leur généralité peuvent être considérées comme une institution asymétrique, mais elles s’expriment de façon spécifique par l’entremise d’autres institutions qui finissent par constituer des ensembles complexes et stratifiés d’institutions tels que le marché du travail, l’entreprise, les droits de propriété, le système fiscal ou les services publics. Ces institutions deviennent alors « porteuses du genre », comme l’a noté Elson (1999).

22Le ménage est une institution qui mérite une attention particulière en tant que porteuse du genre. Veblen a déjà souligné son imbrication avec le patriarcat : « Le “foyer”, c’est la maisonnée avec un mâle à sa tête » (Veblen, 1931 : 235). Cette description est encore valable aujourd’hui, comme le fait remarquer Goetz, car la famille et le ménage sont encore « les institution[s] fondamentales au sein desquelles les droits et les aptitudes des femmes sont si altérés que la capacité de ces dernières à gérer à leur avantage les transactions dans d’autres institutions s’en trouve compromise » (Goetz, 1997 : 5). Le ménage est donc très souvent une institution genrée qui joue également un rôle de médiation pour d’autres institutions comme la classe, la race et l’ethnicité (Peterson, 1994 ; Olson, 1994 ; Andersen et Collins, 1997 ; Marchand et Parpart, 1995 ; Harriss-White, 2000). Mais les ménages ne sont pas genrés, et donc asymétriques, par définition. Parmi les idéaux féministes de société où règnerait l’égalité de genre, figure la vision d’un ménage dans lequel un respect égal serait accordé à tous ses membres. Ces visions des ménages post-patriarcaux comprennent des idéaux de ménages unisexes, de ménages d’une personne et de ménages constitués d’hommes et de femmes qui pourraient jouer des rôles pour partie différents sans que cette situation ne produise des statuts inégaux.

23Dans les pays en développement, le ménage est un concept assez flexible en raison de la grande variété des types de ménages (ménages élargis, ménages résultant de l’émigration ou de l’immigration, ménages multiples dans les mariages polygames) et des différences complexes entre les concepts de « ménage » et de « famille » (Guyer, 1981). Alors que pour Wallerstein et Smith (1991), le point commun entre les différents types de ménages est d’ordre essentiellement économique, à savoir qu’ils représentent une mise en commun des revenus, les chercheur-es qui connaissent bien l’Afrique subsaharienne contestent cette idée et affirment que la mise en commun des revenus entre le mari et la femme et/ou d’autres membres du ménage n’est pas nécessaire pour qu’une institution soit identifiée comme un ménage (Fapohunda, 1988 ; Blumberg, 1991a ; Clark, 1994). Par conséquent, les ménages sont une institution médiatrice du genre, mais également de différences sociales comme la classe (Harriss-White, 2000). En Afrique – où nous avons mené notre étude de cas –, la notion de classe dépasse les catégories occidentales typiques, comme capitaliste/ouvrier ou col blanc/col bleu, et implique souvent un processus personnel d’auto-identification (Jackman, 1994). Dans les pays en développement, les frontières entre les classes sociales sont plus clairement déterminées par l’opposition entre économie formelle et économie informelle, c’est-à-dire par le statut des activités économiques et par le degré de sécurité qu’elles procurent, en tenant compte du fait que la frontière entre les deux n’est pas très claire.

Exemple : les femmes pauvres yoruba à Ibadan (Nigeria)

24Notre étude de cas constitue le prolongement d’une étude plus vaste portant sur les moyens de subsistance des femmes yoruba des zones urbaines à Ibadan, au Nigeria (Odebode, 2004). L’étude comporte une enquête, réalisée en 2001 auprès de 191 femmes yoruba vivant en milieu urbain, et des entretiens, effectués en 2002 avec 31 femmes (sélectionnées dans l’échantillon de l’enquête). Pour les Yoruba, de forts liens de parenté patrilinéaires permettent de maintenir la cohésion sociale et cela se traduit par un système de famille patrilocale élargie.

25Les institutions nigérianes sont très fortement genrées (Saad, 2001). Les institutions familiales reposent sur des normes de genre strictes relatives au mariage, au divorce, à la garde des enfants et aux successions, qui se révèlent toutes très restrictives pour les femmes. Sa’ad affirme que les femmes mariées deviennent de facto la propriété de leur mari, elles n’héritent ni de la terre ni des ressources, le divorce est fortement désapprouvé et donc rare, et la garde des enfants est confiée automatiquement au père. Au sujet de la succession, Sa’ad déclare que « les femmes, en tant que propriété des hommes et non en tant que leurs égales, sont elles-mêmes des biens dont on hérite dans de nombreuses communautés rurales traditionnelles au Nigeria » (Saad, 2001 : 74). Il a constaté que les femmes ne disposent pas de droits de propriété individuels, que leur travail dans les fermes familiales n’est pas rémunéré, et que leur charge de travail domestique non rémunéré est très lourde, les hommes ne contribuant que très peu à ces activités. Dans une étude sur les décisions des femmes au sein du ménage, Gammage (1997) a révélé d’importantes différences de genre entre les ethnies au Nigeria. L’indice de pouvoir de décision des femmes yoruba, sur une échelle allant de 0 à 1, a été estimé à 0,73, comparé à 0,83 pour les femmes ibo et à 0,89 pour les femmes hausa et peul. L’étude de Gammage dresse un portrait contradictoire des femmes yoruba : elles sont mieux éduquées et contribuent plus souvent aux dépenses du ménage que les femmes des autres ethnies, mais en même temps leur pouvoir de décision dans le ménage est plus faible. Notre étude de cas donne quelques clés de compréhension de ce paradoxe grâce à une analyse des données primaires dans une perspective féministe institutionnelle.

26Sur les 191 femmes de notre enquête, 66 % étaient chrétiennes et 34 % étaient musulmanes, et presque toutes les femmes étaient mariées (ou l’avaient été – seules deux femmes étaient célibataires). Le niveau d’éducation de ces femmes vivant en milieu urbain s’est révélé étonnamment haut, ce qui confirme les résultats de l’étude menée par Gammage révélant un taux de scolarisation élevé chez les filles yoruba. Bien que de nombreuses femmes travaillent à la fois dans l’économie formelle et dans l’économie informelle, les données indiquent que l’emploi le plus important est de type informel, essentiellement dans le commerce. Les quatre emplois informels représentés dans notre étude (commerçante, coiffeuse, tailleuse et divers) apportaient du travail à 99 femmes, soit 51,8 % de l’échantillon (90 femmes avaient un emploi formel, soit 47,1 %). À Ibadan, l’économie informelle est caractérisée par une instabilité relativement forte des revenus, des revenus moyens bas et un fort sous-emploi, alors que l’économie formelle urbaine tend à fournir des revenus et des emplois relativement stables, des conditions de travail raisonnables et un certain niveau de protection sociale. Enfin, nous avons tenté de recueillir des données sur le revenu des femmes, ce qui s’est avéré très difficile. Nous les avons néanmoins recueillies au cours des entretiens sous forme de fourchettes larges. Les résultats sont présentés dans la figure 2. La plupart des femmes, 13 (42 %), se trouvaient dans la catégorie des très bas revenus, 4 (13 %) dans la catégorie des bas revenus, 5 (16 %) dans la catégorie des revenus moyens, alors qu’un nombre relativement important, 9 (29 %), appartenaient à la catégorie des revenus modérés (la fourchette de revenu de cette dernière catégorie correspond approximativement à la classe moyenne à Ibadan, composée en majorité par des personnes travaillant dans le secteur formel – soit une minorité des ouvriers nigérians). La figure montre une répartition des revenus peu commune, qui doit sans doute être attribuée au faible nombre d’observations et à l’échantillon choisi qui incluait une proportion relativement importante de femmes travaillant dans l’économie formelle.

Figure 2. Niveaux de revenu individuel en % (n = 31).

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Source : nos propres calculs.

27Ces données font apparaître une image contrastée. D’une part, le niveau moyen d’éducation de l’échantillon est élevé si on le compare à celui des femmes en Afrique ; d’autre part, le taux de dépendance des ménages auxquels elles appartiennent est lui aussi élevé, un tiers des femmes vivant dans des ménages de 7 à 9 personnes, ce qui abaisse considérablement le revenu par tête. Environ la moitié des femmes ont un revenu qui provient de l’économie informelle, le commerce étant cité comme l’activité primaire et secondaire la plus fréquente. L’échantillon le plus petit, comportant 31 femmes, a fourni quelques indications sur les salaires et montré que la majorité des femmes ont un revenu situé dans les catégories très bas et bas. Enfin, le croisement des données sur l’emploi avec celles sur le niveau de revenu montre que les emplois formels sont souvent plus rémunérateurs que les emplois informels.

28Les deux sous-sections suivantes analyseront les principales normes identifiées dans cette étude de cas comme prévalentes au sein des ménages yoruba, ainsi que la nature genrée de ces normes. Elles seront divisées en deux types : les normes économiques et les normes familiales.

Les normes économiques

29Nous avons identifié deux normes économiques intervenant dans le fonctionnement des ménages yoruba, toutes deux en rapport avec l’indépendance financière :

  • chaque partenaire5 est censé percevoir un revenu et participer aux dépenses du ménage ;

  • les partenaires gardent un contrôle direct sur leur revenu et ne le mettent pas en commun6.

30Il est intéressant de constater que ces deux normes diffèrent nettement des normes économiques occidentales dominantes où l’homme est soutien de famille et les revenus mis en commun au sein du ménage. Alors que le patriarcat occidental, comme Veblen l’a constaté, rend les femmes dépendantes au sein du ménage, le patriarcat ouest-africain confère plutôt aux femmes la responsabilité de gagner leur vie, de subvenir à la plupart des besoins de leurs enfants et, partiellement, à ceux de leur mari. Les deux normes économiques semblent symétriques, en particulier si on les compare aux normes occidentales de l’homme soutien de famille et de la mise en commun des revenus.

31La première norme économique, portant sur les revenus et la participation aux dépenses du ménage, reflète l’importance qu’accorde la culture yoruba à l’indépendance et à la responsabilité individuelle dans les affaires économiques. Lors des entretiens, il a été mentionné à maintes reprises que les Yoruba, hommes comme femmes, ont une aversion pour la dépendance financière. Une femme l’a exprimé de la façon suivante :

« Une femme qui a des enfants – pas un ou deux mais beaucoup – et qui attend que l’homme subvienne à tous ses besoins et à ceux des enfants sans avoir elle-même un revenu est “morte”. »

32190 femmes (99,5 %) disposent d’un revenu et participent au budget du ménage. Nous avons constaté que différentes catégories de dépenses sont culturellement assignées aux hommes et aux femmes. Les femmes contribuent plus que les hommes à un certain nombre de dépenses majeures et mineures. Les femmes consacrent davantage de revenus notamment aux besoins scolaires quotidiens (repas, fournitures, transport), à la nourriture et aux autres besoins du ménage, aux vêtements des enfants, au combustible de cuisine, à l’eau potable et aux dépenses sociales. Les hommes contribuent davantage au loyer, aux frais de scolarité, aux frais d’hospitalisation et à l’électricité. La seule catégorie à laquelle les femmes et les hommes contribuent de façon plus ou moins égale est celle des frais médicaux. Nous avons estimé que la contribution moyenne des femmes aux dépenses du ménage était d’environ 50 %, ce qui montre que la norme de la symétrie de contribution aux dépenses du ménage est bien suivie dans la pratique par les ménages yoruba.

33Les femmes de notre échantillon ont exprimé une forte adhésion à la seconde norme économique, celle de la non-mise en commun des revenus au sein des ménages. Mais dans ce cas, les raisons qu’elles ont invoquées pour expliquer cette norme et leur adhésion à celle-ci ne s’apparentent pas aux valeurs morales d’indépendance, d’égalité et de responsabilité, mais à la nécessité de se protéger contre la tendance des hommes à vivre comme des rentiers ou même à s’approprier les salaires et les biens des femmes. Celles-ci ont clairement dit qu’elles ne voulaient pas prendre le risque de voir leur mari utiliser leur revenu pour aider ses autres femmes et enfants ou pour se marier avec une autre femme.

« Il ne sait rien de mon épargne ni de mes contributions, car nous sommes plusieurs femmes et il ne m’aide pas à prendre en charge les enfants. »

« Une femme sensée n’essaiera jamais d’avoir un compte d’épargne commun avec un homme, car c’est le jour où il meurt que vous connaissez réellement le nombre de ses enfants. »

34Nos données sur la seconde norme économique révèlent que la grande majorité des femmes (mariées et l’ayant été), 85,7 %, ne mettent pas/ne mettaient pas leur revenu en commun au sein du ménage. Ceci s’applique également à l’épargne : une majorité écrasante de femmes gèrent leurs économies séparément : 86,2 % (163 femmes sur 189).

35Les résultats de notre enquête – un pourcentage élevé de femmes ayant leur propre revenu, de femmes contribuant aux dépenses, une forte part de la non-mise en commun des revenus et de l’épargne – indiquent que les normes économiques sont très fortes dans les ménages yoruba. Cette situation, cependant, contraste vivement avec la description du statut socio-économique défavorisé des femmes yoruba que l’on trouve dans la littérature sur le statut des femmes au Nigeria. C’est sans doute dans l’analyse d’une autre catégorie de normes, que nous évoquons ci-après, que nous trouverons une partie de l’explication de ce paradoxe.

Les normes familiales

36Les principales normes familiales observées dans les ménages yoruba sont clairement asymétriques :

  • les normes régissant le mariage, en particulier la propriété des biens, la succession, la polygamie et la garde des enfants, sont plus favorables aux hommes/pères/fils qu’aux femmes/mères/filles ;

  • les normes portant sur la division du travail, qui allouent la majorité des tâches non rémunérées aux femmes.

37Les femmes interrogées ont unanimement déclaré qu’elles ne disposaient d’aucun droit de succession et n’avaient pas accès à la propriété individuelle – ce qu’elles possédaient était la propriété du ménage, dirigé par leur mari, à l’exception des biens commerciaux de celles qui avaient une activité indépendante dans l’économie informelle. Les droits de propriété et de succession sont manifestement inégaux chez les Yoruba et sont régis par des règles et des procédures culturellement ancrées et favorables aux hommes. Une des personnes que nous avons interrogée a expliqué que :

« Chez les Yoruba, le garçon est considéré comme “Arole”, ce qui signifie “celui qui reste au foyer et le remplit”. Il y a un dicton qui dit qu’une fille à la naissance n’est qu’une passagère dont la destination finale est la maison de son mari. Ainsi, une femme n’est qu’une charge pour son père jusqu’à ce qu’elle se marie. »

38Au sujet de la norme qui régit la garde des enfants, les entretiens ont montré que les femmes ne pouvaient pas prétendre à un droit de garde en cas de séparation ou de divorce. Les rares femmes, qui s’étaient séparées ou avaient divorcé, n’ont pu garder leurs enfants avec elles que s’ils étaient très jeunes et seulement jusqu’à ce qu’ils atteignent un certain âge. Notre enquête montre que le fait que les femmes ne puissent avoir le droit de garde des enfants s’est avéré un facteur explicatif important du faible taux de divorce (6 %). Nos données ont également montré que 48 femmes (25,4 %) vivaient au sein de ménages polygames. Cependant, nous avons constaté que la frontière entre mariage monogame et mariage polygame semblait incertaine, car un mariage monogame peut devenir polygame à tout moment. Dans notre étude de cas, les trois quarts des mariages étaient certes monogames, mais les femmes peuvent passer d’une catégorie de mariage à l’autre, parfois même sans avoir été informées des nouvelles dispositions conjugales prises par leur mari. Nous avons en effet constaté que, sur 189 femmes mariées, 20 (11 %) avaient vu leur mari prendre une autre femme au cours des six derniers mois.

39La seconde norme familiale qui est ressortie de notre étude concerne la répartition du travail non rémunéré entre les membres du ménage. Lorsque nous avons demandé aux femmes si elles attendaient une aide de leur mari pour s’occuper des enfants, faire la cuisine, faire le ménage, collecter le bois et faire les travaux de réparation, 53 % d’entre elles ont déclaré n’attendre aucune aide (sauf pour certains travaux de réparation). La participation des maris aux différentes tâches ménagères oscille entre 0 % et 29 % (11 % en moyenne). Les maris ne contribuent absolument pas au ménage, et moins de 10 % d’entre eux aident pour la cuisine et le puisage de l’eau.

« Certains hommes aident leurs femmes, alors que d’autres ne le font pas. Mais en présence d’invités, un homme qui aide habituellement sa femme ne le fera pas. Il agit ainsi pour ne pas nuire à la réputation de sa femme, car on croit généralement qu’elle contrôle son mari – si ce n’était pas le cas, il n’accomplirait pas de tâches féminines. C’est par exemple ce que la belle-mère n’hésitera pas à croire. »

40En conclusion, les normes familiales favorisent indéniablement les hommes, qui peuvent épouser plusieurs femmes, hériter de biens sans être obligés de les partager avec leurs sœurs, obtenir automatiquement la garde des enfants, et quasi totalement s’abstenir de participer aux tâches ménagères et de s’occuper des enfants. Ces normes asymétriques s’appuient sur une idéologie genrée, sur le processus de socialisation, ainsi que sur des règles et des sanctions pour ancrer solidement les différences de pouvoir entre les hommes et les femmes. Toutes ensemble, elles forment la base institutionnelle des normes familiales très genrées des Yoruba, qui glorifient les croyances, les règles et les pratiques masculines, tout en dénigrant ce qui est considéré comme féminin. Mais ces normes ne sont pas entièrement fixes dans le temps et l’espace : elles sont parfois contestées. Cet aspect a été évoqué par les 11 femmes de notre échantillon (6 %) qui ont quitté leurs maris malgré la forte réprobation sociale.

L’interaction entre les normes symétriques et asymétriques

41Dans cette partie, nous revenons sur le paradoxe précédemment évoqué : comment est-il possible que la majorité des femmes yoruba aient un pouvoir de décision si faible au sein des ménages, alors que les normes et les pratiques économiques d’indépendance financière y sont si fortes ? Nous pensons que les normes symétriques et asymétriques ne devraient pas être considérées comme rivalisant les unes avec les autres. Nous pensons qu’elles sont, au contraire, interdépendantes. Notre étude de cas montre que les normes économiques, fondées sur des valeurs d’indépendance et de responsabilité partagée, sont influencées par les normes familiales qui prévalent parallèlement au sein du ménage et qui, elles, mettent en avant la position de force de l’homme, ainsi que les idéaux et le pouvoir masculins. Les normes apparemment symétriques qui veulent que les femmes comme les hommes aient un revenu et que chacun contribue aux dépenses du ménage reflètent bien des valeurs d’autonomie et d’égalité. Mais lorsqu’elles sont mises en œuvre dans un contexte institutionnel caractérisé par d’autres normes qui, elles, sont asymétriques et ont des effets très inégaux pour les hommes et les femmes, les conséquences pratiques du respect des normes symétriques se révèlent asymétriques. Cette réalité apparaît lorsque l’on constate les implications pratiques des normes familiales asymétriques sur la capacité des femmes des ménages yoruba à se conformer aux normes économiques symétriques. Ces femmes, ne bénéficiant que de droits de propriété et d’un accès aux ressources limités, se trouvent en situation défavorable pour générer des revenus, en comparaison avec les hommes. Du fait de ces contraintes de genre, le travail rémunéré des femmes est moins productif et leur travail non rémunéré est maintenu à de très faibles niveaux de productivité. La combinaison des deux limite en outre les possibilités offertes aux femmes de s’investir, de s’orienter vers des activités plus rémunératrices, et d’épargner. De plus, le fait que le droit de garde des enfants soit accordé aux hommes dissuade les femmes de quitter leurs maris, car, comme elles l’ont déclaré lors des entretiens, elles ne veulent pas voir leurs enfants souffrir « sous la férule d’une belle-mère ». Pour quitter leur mari et prendre leurs enfants avec elles, les femmes doivent disposer d’un revenu minimum pour payer elles-mêmes le loyer, et être dotées d’une force de caractère qui leur permette de surmonter les critiques de la belle-famille et le manque de respect généralisé des Yoruba pour les femmes séparées. Ainsi, par leur interaction, les normes genrées – symétriques et asymétriques qui prévalent au sein du ménage font de celui-ci une institution porteuse du genre, mais elles conditionnent aussi les résultats inégaux produits par des normes pourtant symétriques. Notre étude de cas nous a permis de retranscrire ce processus paradoxal en quatre points.

  • Parce qu’ils bénéficient de droits de propriété et d’un accès aux ressources plus importants que ceux des femmes, et parce qu’ils consacrent moins de temps à des activités non rémunérées et à s’occuper des enfants, les hommes ont la possibilité de mieux gagner leur vie que les femmes.

  • Les idéaux masculins du chef de ménage et du soutien de la lignée familiale confèrent une forte signification symbolique au statut des hommes, même quand les femmes ont des revenus supérieurs à ceux de leurs maris : 30 % des femmes ont déclaré que leur mari réduisait leur contribution financière au ménage dès qu’elles pouvaient augmenter la leur, et 48 % d’entre elles ont avoué qu’elles payaient régulièrement les dépenses traditionnellement assumées par les hommes, en particulier les frais de scolarité.

  • La conjugaison du droit coutumier des pères à se voir attribuer la garde des enfants avec le principe de patrilocalité du ménage est un facteur fortement dissuasif empêchant les femmes de prendre des mesures de « rétorsion » – comme abaisser leur propre contribution ou quitter leur mari – à l’égard des maris qui diminuent leur participation aux dépenses du foyer.

  • Le fait que les revenus ne soient pas mis en commun permet aux hommes de dissimuler ce qu’ils gagnent et ainsi d’empêcher les femmes de revendiquer une partie de leur revenu.

42Ces résultats ont des conséquences sur l’approche par la négociation au sein du ménage. Dans l’approche par la négociation, les femmes acquièrent une position plus favorable si elles disposent de revenus, d’épargne et de biens plus importants. Mais notre étude a montré que ce n’est pas nécessairement le cas. Au contraire, la contribution des femmes peut dépasser de loin celle des hommes sans que cela ne modifie le statut social de ces derniers. Ainsi, l’approche institutionnelle féministe propose une autre appréhension de ce phénomène généralement perçu comme un pouvoir de négociation ; il s’agirait d’une forme masculine d’utilisation à des fins personnelles d’une norme économique symétrique dans un contexte institutionnel dominant asymétrique. En outre, dans l’approche par la négociation, deux parties sont supposées négocier pour servir leurs intérêts respectifs, à moins qu’une position de repli soit plus favorable pour l’une des parties. Notre étude de cas montre que les intérêts d’une tierce partie – les enfants – importent également. Pour les hommes, le fait d’avoir des enfants suffit à confirmer leur masculinité alors que c’est la mère, ou une autre femme, qui s’occupe des enfants. Tandis que les femmes ne se préoccupent pas seulement du statut social que leur confère la maternité – qui est considérable. Elles se préoccupent également du bien-être et de l’éducation de leurs enfants, dont la responsabilité leur incombe directement. De ce fait, certaines femmes acceptent de rester dans leur foyer pour s’occuper de leurs enfants et assurer leur avenir, alors même qu’elles pourraient accéder à une bien meilleure qualité de vie sans leur mari. Ainsi, même si les femmes disposent de meilleures positions de repli, elles ne pourront pas nécessairement accéder à un meilleur bien-être dans un contexte où prévalent le droit de garde du père et la patrilocalité.

Conclusion

43De notre analyse des institutions genrées en tant qu’institutions asymétriques ressortent des conclusions importantes pour l’approche du ménage par la négociation en économie du développement. Si nous intégrons notre analyse institutionnelle genrée dans cette approche par la négociation, nous observons que les institutions genrées modifient les positions de repli, la capacité d’action dans la négociation, la détermination de ce qui est négociable, ainsi que le pouvoir de négociation. Et pour ce dernier élément, nous avons montré qu’un meilleur accès des femmes aux ressources – comme l’éducation et le revenu – et un meilleur contrôle sur celles-ci n’améliorent pas nécessairement leur pouvoir de négociation et leur bien-être. La force des institutions genrées peut parfois annihiler un gain de pouvoir économique de telle sorte que les hommes peuvent tirer profit du statut économique de leur femme, tout en dégradant la situation économique de celle-ci. Pour les hommes, il s’agit d’une véritable aubaine qu’ils n’ont même pas à négocier. En outre, les intérêts d’une tierce partie, presque invisible, sont en jeu : ceux des enfants. La division sexuelle du travail traditionnelle conférant aux femmes un rôle de care très important, celles-ci sont plus susceptibles que les hommes de prendre en compte les intérêts des enfants dans leur propre prise de décision. Le processus de négociation des femmes dépasse donc leur intérêt personnel.

44De notre analyse institutionnelle genrée découle une implication théorique importante pour l’économie du développement. L’approche par la négociation au sein du ménage est peu adaptée aux contextes dans lesquels existent de fortes institutions asymétriques genrées, de même qu’à l’analyse des décisions du ménage lorsque le bien-être des enfants est en jeu. Ce paramètre peut en effet réduire la capacité des femmes à négocier pour leur propre compte. Dans de tels contextes – répandus dans le monde en développement (et dans le monde développé) –, l’analyse du ménage devrait être complétée par une analyse institutionnelle genrée, axée sur les institutions genrées formelles et informelles.

45Notre contribution théorique et nos résultats empiriques ont également des implications dans le domaine des politiques. En effet, les politiques de soutien à l’empowerment des femmes ne devraient pas être essentiellement axées sur le renforcement des facteurs économiques individuels des femmes, mais devraient inclure le contexte institutionnel plus large formé par les lois sur la famille, les droits de propriété et les sources non matérielles du statut des hommes. De plus, ces politiques devraient reconnaître les intérêts des enfants et s’attacher à déterminer lequel des deux partenaires de la négociation prend (le mieux) en compte ces derniers et de quelle façon. L’accès aux ressources et leur contrôle ne pourront contribuer au bien-être des femmes, et donc à leur empowerment, que lorsque ces institutions genrées seront prises en considération.

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Notes de bas de page

2 NDT : « Provisioning » en anglais.

3 Les féministes travaillant dans la tradition de l’économie institutionnelle admettraient certainement l’idée que Veblen s’intéressait à la position défavorisée des femmes. Dugger (1994 : 3) affirme même que « Thorstein Veblen était un féministe de premier ordre ». Cependant, Waller (1995) conseille aux économistes institutionnels de faire preuve de prudence dans leur utilisation des idées de Veblen, et de les soumettre à un examen minutieux pour repérer les biais culturels propres au temps et au lieu d’où Veblen a écrit.

4 Parution originale en anglais en 1899.

5 La notion de « partenaire » concerne le mari et la femme. En cas de polygamie, chaque femme a son propre ménage, dont le mari fait partie. Ce dernier appartient donc à plusieurs ménages.

6 Par non-mise en commun, on entend un contrôle séparé des revenus individuels et des dépenses des hommes et des femmes dans le ménage (pas de pots communs ou de comptes joints).

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