Chapitre 4
Le sociologue et « la femme pauvre du Tiers Monde ». Sociologie du développement : un éclairage par les rapports sociaux de sexe
p. 129-150
Note de l’éditeur
Bruno Lautier nous a quittés en février 2013, date à laquelle ce texte était rédigé. Les corrections subséquentes ont donc été prises en charge par Blandine Destremau.
Texte intégral
1Le « genre » est une préoccupation qui prend une place croissante dans les travaux consacrés à l’étude de la pauvreté dans les pays en développement et dans les différentes politiques ou mesures préconisées pour l’amoindrir, voire, pour les plus optimistes, l’éradiquer. Cette prise en considération n’a pas atteint ses objectifs affichés – faire de la question des femmes, ou des rapports sociaux de sexe un élément central de la lutte contre la pauvreté – et vraisemblablement pas même réussi à réduire la pauvreté, et tout particulièrement celle des femmes. Néanmoins, elle a contribué à modifier l’espace des débats en sociologie du développement : aucune analyse, aucune controverse ou proposition de politique ne peut plus se permettre d’être « aveugle au genre », comme l’a été la sociologie du développement pendant des décennies. Mais cette référence apparemment consensuelle à la question du « genre » masque l’hétérogénéité des points de vue et des paradigmes, l’adoption commune d’un mot ne signifiant en rien une communauté de problématique.
2Le développement, et sa sociologie, recouvrent bien des domaines, des angles d’intervention et d’analyse : le travail, l’agriculture, les infrastructures, la santé, l’industrie, la ville, les migrations, pour n’en citer que quelques-uns. Le développement, qu’on l’appréhende comme champ d’études, comme domaine d’intervention ou comme processus, en est venu à englober tous les types de transformations dans des espaces issus de la décolonisation, dont les trajectoires se sont diversifiées, ce qui a amené la construction de sous-ensembles (pays émergents, pays en transition, pays les moins avancés, pays très endettés, pays « fragiles », etc.), dont la cohérence est beaucoup plus le produit d’une tentative de rationalisation de l’intervention des institutions que d’une similarité objectivable.
3Nous choisissons ici d’aborder la question du développement sous l’angle de la lutte contre la pauvreté : tout d’abord, parce que c’est un des domaines auxquels nous avons consacré nos recherches depuis deux décennies, et que c’est essentiellement à partir de notre expérience de chercheur-es que nous nous exprimerons ici. Mais aussi parce que la lutte contre la pauvreté occupe dans le champ du développement, depuis le début des années 1990, une place particulière qui en a fait à la fois le moyen et l’objectif du développement, tant la pauvreté a été considérée comme une manifestation du sous-développement, en même temps qu’un obstacle au développement (en général, et dans ses dimensions spécifiques – développement humain, social, économique, sanitaire, etc.).
4Jusqu’aux années 1990, la pauvreté était essentiellement appréhendée en termes d’insatisfaction des besoins fondamentaux, d’archaïsme, de sous-développement en somme ; elle n’était pas posée comme objet central de la question du développement, mais se trouvait subsumée sous ses diverses manifestations, et traitée de façon indirecte. C’est à partir de la décennie 1990, qui suivait celle de la mise en œuvre des ajustements structurels et de l’installation de l’hégémonie du libéralisme, que la question du développement est formulée explicitement en termes de pauvreté, tant par la Banque mondiale (voir Lautier, 2002) que par les agences des Nations unies et par un nombre croissant de gouvernements et d’organisations non gouvernementales. Au cours de cette décennie, la « pauvrétologie » se construit pratiquement en domaine de connaissances, partagé par des expert-es, universitaires, professionnel-les des institutions publiques, militant-es d’ONG, etc.
5Depuis les années 2000, dans les discours prescripteurs au plan international et souvent national, la pauvreté, le développement (social) et les politiques sociales ou la protection sociale tendent à converger, sinon à se confondre, en un unique objet d’intervention et de politique publique ; en témoigne la position des institutions internationales à propos de la protection sociale. Celle-ci, qui était vue jusqu’à la fin des années 1990 comme l’instrument de renforcement de privilèges (ceux des « salariés formels », opposés aux « vrais pauvres », objets des politiques d’assistance), est désormais présentée comme le socle de l’universalisation des droits sociaux et un instrument privilégié de lutte contre la pauvreté et d’« investissement social » (Lautier, 2006a). Et les travaux portant sur la pauvreté ont ainsi tendu à se déplacer de l’économie vers la sociologie (voire la psychosociologie) et l’anthropologie.
6Cette contribution tente de discuter la valeur heuristique des approches en termes de genre dans des travaux de sociologie de la pauvreté et du développement. On avancera que la banalisation du terme de genre, sous une forme institutionnalisée et technicisée, tend à effacer la dimension politique de la question des rapports sociaux de sexe et à appauvrir certaines analyses des inégalités et des mécanismes de domination. Pour autant, cette banalisation a permis de faire émerger et diffuser une certaine conscience de ce que le lien entre pauvreté et « genre » n’est pas seulement descriptif (« les femmes sont “plus” victimes de la pauvreté que les hommes… »), mais surtout explicatif (« la pauvreté – des femmes comme des hommes – est en partie une conséquence des rapports de genre, les plus universels des rapports sociaux structurellement inégalitaires, et reproduite par eux »). Plus largement, on se posera la question de savoir si la diffusion des matrices analytiques en termes de genre en sociologie du développement n’a pas conduit à favoriser les approches microsociologiques, au détriment de visions plus larges – et plus politiques – de rapports de domination intégrant production et reproduction, classes et appartenances ethniques et/ou culturo-identitaires.
Du pauvre désincarné à la « femme pauvre du Tiers Monde »
7Quand elle apparaît dans le discours des institutions internationales1, la pauvreté est appréhendée tout d’abord comme une question économique, qu’il faut mesurer et chiffrer. Elle donne lieu à des représentations en termes statistiques et de seuils, dans un premier temps construites à partir d’une vision réductrice de la pauvreté : la pauvreté monétaire. La mesure monétaire de la pauvreté, qui constitue avant tout un expédient méthodologique (il est plus facile de ramener l’ensemble des besoins, ressources et consommations à des unités monétaires), opère de fait un glissement vers une posture explicative, voire théorique (la pauvreté découle du manque de ressources monétaires2, elle résulte d’« imperfections » du marché, ou de processus et situations de marginalisation – exclusion des marchés, et c’est par le marché qu’elle doit se résoudre). Le reproche « d’unidimensionnalité » de la définition comptable de la pauvreté a, dès l’origine, été admis par la Banque mondiale. Mais c’était, disait cette institution, le prix à payer pour se donner le moyen de faire des comparaisons internationales et des classements3.
8Le pauvre du début des années 1990 apparaît ainsi avant tout comme une unité comptable, selon une vision individualiste et classificatoire. Le pauvre est essentialisé, substantialisé, décontextualisé, réifié. Il est un individu abstrait, celui que prend en compte le marché. Il est caractérisé par ses déficits, des manques, au regard de normes de satisfaction de besoins fondamentaux présumés universels, parce que avant tout biologiques – alimentation, logement, eau, santé… –, mais aussi déclinés selon des catégories d’âge, de sexe, d’activités. Il en vient aussi à se trouver caractérisé et classifié selon les types de pauvreté qui le distinguent : absolue, relative, proche ou éloignée du seuil de pauvreté, structurelle ou temporaire …
9En parallèle, se construit une vision tout aussi comptable, mais complexifiée, de la pauvreté « multidimensionnelle ». Deux innovations méthodologiques y président : les IDH – indicateurs de développement humain – (IDH généralistes et déclinaisons spécifiques) et les cartographies de la pauvreté. Le pauvre reste abstrait, mais est plus situé, localisé ; il acquiert, sinon un visage, du moins un profil. Tout en étant plus « sociale », puisque les indicateurs qui l’étayent – démographiques, éducatifs… – sont censés être plus « sociaux » que le revenu par tête, la pauvreté n’en est pas pour autant plus sociologique. Les visions sociologiques de la pauvreté, en particulier les visions constructivistes (qu’on peut faire remonter à Simmel, 1998 [1907]) n’ont que peu droit de cité à la Banque mondiale, car elles remettent en question l’idée de l’existence « objective », souvent naturalisée – ou du moins radicalement extérieure à l’intervention des agences internationales – de la pauvreté. La seule science sociale à avoir droit de cité aux côtés de l’économie est une anthropologie réduite à la description admirative (le storytelling) du pauvre qui s’en sort, pour peu qu’on lui indique comment faire.
10Les mesures qui vont être recommandées par tous les « plans de lutte contre la pauvreté » tentent de concilier les impératifs de la « justice productive » et ceux de la « justice distributive ». Pour atteindre la première, il faut que les marchés fonctionnent « bien » (lutte contre les discriminations, contre les « défaillances du marché » de tous ordres et les rigidités4), mais il faut aussi que les pauvres puissent accéder au marché (par des formations, des incitations, du microcrédit, le développement de cultures commerciales, le désenclavement des zones rurales marginalisées, etc.). Pour atteindre la seconde – au nom d’impératifs moraux –, il faut mettre en place des politiques plus ou moins ciblées (selon les best practices à la mode) en matière de santé, d’éducation, de vente de produits de première nécessité à des tarifs subventionnés, ou d’allocations monétaires (pour les familles, les personnes âgées…). Justice productive et justice distributive se rejoignent quand la seconde est censée concourir à la formation du « capital humain » des pauvres, qui leur permettra d’échapper à la pauvreté, au moins à la génération suivante.
11Toutes ces politiques restent ancrées dans la vision évolutionniste de rattrapage, de progression sur un axe, qui prédomine depuis trois quarts de siècle : pour la pauvreté monétaire, il s’agit de « sauter » la ligne de pauvreté, pour l’IDH, de progresser sur l’axe de « ranking », pour la vision cartographique de changer de couleur sur la carte. L’autocritique n’est pas absente : on a trop, ou au contraire pas assez « ciblé » l’intervention. On a trop centré l’évaluation sur les moyens mis en œuvre et leur usage, et peut-être pas assez sur les résultats5.
12La figure de « la femme pauvre du Tiers Monde » émerge précisément sur ce fond de tentatives d’amélioration du ciblage des interventions en faveur des pauvres qui seraient les plus méritants, et les plus susceptibles de rentabiliser ce qui était de façon croissante considéré comme de l’investissement social.
13La généalogie intellectuelle fait remonter à 1978 l’invention du terme de « féminisation de la pauvreté »6. Cette idée a fait florès, portée tant par les institutions internationales que par un bon nombre d’organisations féministes, au Nord comme au Sud. Parallèlement, les débats autour de cette affirmation, de sa robustesse méthodologique et de ses implications politiques, ont été particulièrement foisonnants et virulents tout au long des années 1980 et une bonne partie des années 1990. Le postulat méthodologique et sociologique sous-jacent n’est pas clair : s’agit-il de femmes qui vivent de façon individualisée (femmes célibataires ou cheffes de famille) ? Ou opère-t-on un découpage dans les ménages de façon à en extraire comptablement des femmes-individus dont la part de ressources est inférieure à celle des hommes7 ? Comment appréhender et mesurer la féminisation de la pauvreté comme processus, quelle référence prendre ? Fait-il sens de comparer le taux de pauvreté et son évolution dans chacun des « groupes de sexe », indépendamment des structures familiales et de leurs transformations, de l’âge des individus, du vieillissement de la population, des inégalités sociales et régionales, etc. ?
14L’idée de féminisation de la pauvreté a conduit à en examiner les mécanismes de production et de reproduction dans les espaces sociaux et économiques du travail, de l’éducation, de la santé, de la nutrition, de la propriété et du mariage, en particulier autour des constats de fortes corrélations entre pauvreté féminine et maternité célibataire, ou entre pauvreté féminine et poids des ménages dirigés par des femmes. Un grand nombre d’études montrent que la propension des femmes à la pauvreté est plus forte que celle des hommes, du fait des inégalités structurelles entre eux. Les femmes sont exposées plus que les hommes à des risques de discrimination, à tous les stades de leur vie, et dans la plupart des sphères (éducation, santé, propriété, agencéité, droits personnels, héritage, accès à la propriété et au crédit, droits sociaux et économiques, accès au marché du travail « formel », droit à la ville et à la mobilité, à la décision…). Alors que leur contribution en travail – domestique, de production de subsistance, de production marchande et, de façon croissante, salarié – est égale ou supérieure8 à celle des hommes, leur accès aux diverses ressources – revenus, alimentation, éducation, reconnaissance, santé… – demeure inférieur. Les femmes sont particulièrement vulnérables à certains moments de leur cycle de vie, qui peuvent les faire plonger dans la pauvreté (divorce, veuvage, vieillesse/retraite). Or, des travaux d’anthropologie et de sociologie font également le constat que le développement, conçu comme impulsion à la modernisation, ne tient pas compte de ces vulnérabilités, voire contribue à marginaliser les femmes9.
15Dans les années 1990, la lutte contre la pauvreté des femmes fait consensus entre ses diverses parties prenantes – politiques, académiques, militantes –, comme problème tant éthique que social et économique. Elle permet de diluer les controverses politiques et s’appuie sur une ingéniérie sociale de plus en plus élaborée. Aux côtés de la promotion de réformes institutionnelles et de mesures correctrices des « imperfections des marchés », la logique du targeting prévaut : l’efficacité de la lutte contre la pauvreté passe désormais explicitement par un ciblage des femmes, au titre de travailleuses et/ou de mères de famille.
16De surcroît, d’un point de vue rationnel de smart economics, le développement et la lutte contre la pauvreté ont besoin des femmes : leur « activation » vers l’emploi, le développement social et la citoyenneté, la construction de leur « capital humain » et l’augmentation de leur productivité économique doivent favoriser la modernisation sociale, la croissance économique, la réduction de la fécondité, le recul des logiques patriarcales et tribales, et finalement la démocratie. La cause des femmes tend ainsi à être instrumentalisée et mise au service d’objectifs économiques, démographiques et politiques. C’est la perspective dominante du rapport 2001 de la Banque mondiale Engendering Development, maintenue dans le rapport de 2012, Gender Equality and Development.
17Plus qu’une figure sociologique, « la femme pauvre du Tiers Monde » représente donc une catégorie d’analyse et d’intervention publique issue d’un affinement des visions classificatoires désincarnées des pauvres et de la pauvreté, subdivisée en sous-catégories statistiques plus ou moins ciblées. Les « femmes-mères » seront destinataires de mesures spécifiques, au détriment, comme on le réalisera plus tard, des filles, adolescentes, ou encore de celles dont on s’apercevra, dans les années 2000, qu’elles représentent une forte proportion des femmes pauvres : les femmes âgées vivant seules. De surcroît, cette vision se croise avec d’autres paramètres plus ou moins racialisés10, incorporés dans les politiques publiques, et se reconfigure avec l’institutionnalisation du genre au plan international. On assiste alors à la construction de figures assez stéréotypées, telle « la femme indienne rurale pauvre » ou « la femme africaine réfugiée vulnérable », qui cumulent les handicaps et les vulnérabilités et pourront bénéficier de programmes particuliers. Ces constructions sont dénoncées par des mouvements subalternistes, postcoloniaux ou communautaires, qui pointent leur soubassement « racialisé » ou « néocolonial ».
La famille pauvre et la mère courage
18La microsociologie et l’anthropologie s’invitent aux premières loges de la lutte contre la pauvreté lors du tournant microéconomique et comportementaliste des années 2000. Ce changement de paradigme est consacré par le constat de l’échec des seules interventions macro-économiques, de l’impasse des hypothèses mécanicistes de « ruissellement » de la croissance pour l’élimination des situations de pauvreté, mais aussi des limites des mesures catégorielles trop ciblées. Il est corrélé à l’adoubement consensuel des approches en termes de capacités ou d’empowerment, entendues sous un angle individualiste : ce sont les caractéristiques propres des pauvres, leurs attitudes, cultures, rationalité, modes de décisions… qui causent et perpétuent leur pauvreté, mais en même temps leur permettront d’en sortir.
19La multiplication des attentes envers les femmes, dans le cadre du développement et de la lutte contre la pauvreté, se greffe sur le constat de la réduction tendancielle, et dans de multiples pays tout à fait remarquable, de la fécondité : des familles aux effectifs réduits libèrent du temps maternel et reproductif tant pour l’éducation des enfants que pour d’autres activités, en particulier économiques. Lutter contre la pauvreté des femmes et par les femmes leur enjoint désormais de s’investir dans une série de domaines : éducation de leurs enfants, suivi scolaire et sanitaire ; développement d’elles-mêmes, par la « conscientisation », la formation, l’éducation ; et responsabilisation à l’égard des revenus familiaux, sous la forme en particulier d’« activités génératrices de revenus », tout particulièrement grâce à l’accès à du microcrédit. Ainsi, les femmes tendent-elles à passer de la catégorie des pauvres méritants, dispensés d’obligation d’emploi (c’est-à-dire femmes peu éduquées chargées de nombreux enfants et méritant l’assistance de plein droit) à celle des pauvres valides, auxquelles l’assistance est octroyée sous conditions (en particulier, celle de s’assumer comme individu autonome, de prendre toute responsabilité parentale à l’égard de sa famille, et éventuellement – dès qu’elles auront montré qu’elles y aspirent, en particulier à travers la formation – de travailler).
20La famille devient l’unité sociale pertinente pour l’analyse et l’intervention publique, loin devant les structures sociales, économiques ou politiques. C’est dans la famille que s’acquièrent, et peuvent se modifier, les compétences, représentations, aspirations des individus, notamment à l’égard du travail et de l’emploi et des responsabilités parentales et communautaires. Médiation entre l’État et les individus, la famille est destinataire – et intermédiaire – de politiques publiques qui oscillent entre assistance et protection, incitation et responsabilisation, prennent appui sur des modèles familiaux normatifs et des rôles sexués naturalisés, et contribuent à les produire et les reproduire. Ces normes sous-jacentes sont assez évidentes, quoiqu’implicites, dans les politiques de lutte contre la pauvreté qui se sont attachées avant tout à mettre les hommes au travail et à faire des femmes de meilleures mères, afin que leurs enfants deviennent à leur tour des individus productifs et non dépendants de l’assistance. C’est particulièrement le cas des politiques d’investissement social et spécifiquement des CCTs (Conditional Cash Transfer Programmes), développées au cours des années récentes dans un nombre croissant de pays, et qui transforment les femmes en leviers de lutte contre la pauvreté à venir en participant au renforcement du capital humain de leurs enfants.
21Certains mouvements et sociologues féministes pointent la rematernalisation des rôles encouragée par ces trains de mesures, au détriment de la liberté et de l’autonomisation des femmes11. Ils dénoncent la surcharge de travail induite par ces dispositifs, les femmes étant incitées à assumer une part de plus en plus grande du travail de production (au nom de l’augmentation de leur taux d’activité), du travail reproductif (au nom du développement social et de la sortie de la pauvreté) et du travail propre à l’initiative institutionnelle (participation sous ses diverses formes, en particulier la gestion par les femmes elles-mêmes – ou du moins certaines de leurs représentantes – des programmes d’assistance)12. Réactualisant des débats déjà anciens, qui mettaient au jour les matrices inégalitaires des rapports sociaux et de division du travail sexués au sein des couples et des familles, ces travaux rappellent que les inégalités entre hommes et femmes ne sauraient être réduites à une question de rattrapage d’un retard ou d’intégration correctrice d’exclusion. Les contributions des femmes en termes de travail reproductif, mais aussi de travail productif de subsistance, constituent des causes majeures de leur différentiel de pauvreté : la naturalisation du travail de care, la dévalorisation de ce travail et sa non-monétarisation engendrent dépendance et privation de ressources. Or, les appels à la « bonne parentalité », s’ils manifestent la valeur sociale du travail domestique et parental, ne contribuent pas à sa reconnaissance politique. Au contraire, ils tendent à renforcer la soumission des femmes aux ordres familiaux et patriarcaux. Ils contribueraient ainsi à la reproduction des inégalités de genre.
22D’un autre côté, le développement de réflexions en termes d’exclusion sociale a conduit à prendre en compte le fait que la famille produit non seulement des modelages de rôles sociaux sexués et générationnels, mais également, et peut-être surtout, de la protection, de la solidarité et de la cohésion sociale, aussi patriarcale et traversée de rapports de pouvoir qu’elle puisse être13. Les défaillances et dislocations familiales engendrent exclusion et isolement, désaffilient l’individu des relations de réciprocité, aggravent et perpétuent des situations de pauvreté. Les enfants « des rues », les personnes âgées isolées, mais aussi des adultes, hommes et femmes, vivant seuls ou avec des enfants à charge, témoignent a contrario de l’importance de la famille comme premier cercle de solidarité et, plus largement, de socialisation et de sécurité. Et, comme le montre Robert Vuarin (2000), lorsque la pauvreté rend les individus incapables de continuer à s’inscrire dans la réciprocité et les échanges rituels au sein et autour de la famille, elle débouche sur des situations d’exclusion sociale difficilement réversibles : le pauvre dépend alors de dispositifs charitables ou, lorsqu’ils existent, assistantiels.
23Insister sur la dimension protectrice de la famille ne signifie pas nécessairement l’acceptation de la faiblesse de l’offre institutionnelle de protection sociale et des inégalités entre groupes ou classes qu’elle engendre : aux riches les assurances contributives privées ou publiques, aux pauvres le recours à des solidarités « traditionnelles ». Plus que procédant de cultures atemporelles, les solidarités familiales sont en effet inscrites dans des histoires et exposées aux effets des transformations sociales. Pas plus que les solidarités dites communautaires, la famille ne peut, dans un contexte de capitalisme globalisé, contenir les réponses à la pauvreté, qui en appelle nécessairement au rôle des institutions publiques.
24L’attention portée à la dimension féminine de la pauvreté a ainsi permis de rendre plus visible la diversification des façons de faire famille, et tout particulièrement l’importance statistique parmi les pauvres des ménages dirigés par des femmes. Que leur compagnon soit mort, séparé, instable, enrôlé dans des conflits armés, emprisonné, ou en migration, les femmes cheffes de ménage se retrouvent exposées à une forte vulnérabilité – sociale, économique, physique – et souvent surchargées de tâches reproductives – à l’égard des enfants et des personnes âgées, malades ou handicapées – et productives. Ces familles sont aujourd’hui les premières cibles des programmes de lutte contre la pauvreté, au nom de leur plus grande vulnérabilité et de leurs caractéristiques de genre.
25La place de la famille dans les politiques récentes de lutte contre la pauvreté apparaît comme ambiguë : certains individus en son sein sont ciblés au titre de bénéficiaires (les enfants) ou acteurs (les mères), sur la base des relations et responsabilités qui les relient (parentalité, care), alors que la famille est rarement abordée comme telle, et que le rôle des pères est peu visible. Les relations d’obligations au sein des réseaux de parentèle sont ignorées, sauf comme contraintes, alors que c’est de façon non négligeable au sein de familles – ou de lignées – féminines plurigénérationnelles que s’effectue la division du travail entre femmes vouées au travail reproductif, au travail de réciprocité et de maintien du lien de proximité, au travail de petite production d’autosubsistance ou marchande, et au travail salarié. En outre, les politiques d’activation économique s’adressent à des individus (femmes) autonomes et responsables, dont l’agencéité doit être renforcée, sans que soient prises en considération les tensions multiples qu’engendre, au sein des familles, le fait de transformer les femmes en cheffes de microentreprise, de les obliger à l’égard des organismes de prêt en leur enjoignant en contrepartie de se libérer de leurs obligations à l’égard de leurs conjoint ou parents, etc.
26De façon croissante, des travaux critiques s’attachent à analyser les tensions entre, d’une part, les postulats individualistes projetés à partir de l’Occident par le biais des politiques « actives » de lutte contre la pauvreté, avec une perspective de genre, mais fondées sur des postulats sociologiques simplifiés (sur la composition et le fonctionnement des familles, la distribution des rôles sociaux et de genre, la responsabilité maternelle…), et, d’autre part, les fonctionnements de matrices relationnelles familiales et de proximité que mettent au jour les travaux de terrain en sociologie et anthropologie. Ces tensions se situent non seulement sur un plan théorique, mais également pratique, annulant parfois tout bénéfice à la promotion de l’empowerment des femmes (voir par exemple Guérin et Palier, 2005). Certains de ces travaux renouent avec ce qui était, durant les années 1975-1995, un axe central des travaux historiques sur la famille européenne au xixe siècle dans une optique foucaldienne : l’étude de la façon dont les politiques de la famille sont en même temps des politiques de domination sociale passant par la famille, et des politiques de domination au sein de la famille14.
Les femmes pauvres dans l’œil des dominations
27La perspective féministe décoloniale a favorisé l’émergence d’analyses critiques articulant le champ « genre et développement » et les pensées post ou décoloniales. Cette perspective prête une attention particulière à l’insertion des femmes dans la nouvelle division internationale du travail reproductif et productif. Elle analyse les ordres idéologiques, politiques, économiques, environnementaux et sociaux, familiaux et de genre, sur lesquels s’est appuyée la mondialisation du capitalisme au cours du dernier demi-siècle et, sous son couvert, le développement et la lutte contre la pauvreté15.
28Cet espace de pensée critique a mis au jour l’intersectionnalité, ou la coextensivité, de divers rapports sociaux, de classes et de genre, mais aussi entre « races », âges, religions, origines, langues, etc., qui résultent de la construction historique d’une hiérarchisation de différentes formes d’altérité, traduite dans des rapports de domination et d’exploitation structurels. Les institutions et leur fonctionnement, les politiques publiques et leur mise en œuvre, ont été passées au crible de cette posture critique ; sous leur apparente « neutralité de genre », a été dénoncée leur participation à la reproduction des inégalités dans la reconnaissance du travail, les rémunérations, les droits, les capacités, etc., qui rendent les situations extrêmement résistantes à toute mesure ciblée, particulariste ou individualisée.
29Toutefois, on ne peut que constater que, dans les travaux de sociologie du développement, la question de la pauvreté est pour une bonne part déconnectée des débats sur les dominations et leur intersectionnalité ou coextensivité. La rencontre entre analyses des rapports de pouvoir, y compris la critique féministe, et analyses de la pauvreté ne s’est ainsi pas réellement réalisée. Soit les porteurs et porteuses de ce débat se soucient peu de pauvreté, considérée comme un problème construit de façon démagogique, consensuelle et dépolitisée (à l’écart des analyses marxistes, plus nobles), qu’ils laissent à des institutions gestionnaires. Soit les personnes concernées par la pauvreté sont jugées trop éloignées du combat féministe : une affaire de philanthropes et de femmes peu éclairées, enclines – fût-ce inconsciemment – à reproduire les visions les plus traditionnelles de la famille et de la division sexuelle des rôles. C’est là une des fractures (fondée sur l’ethnicité et la classe) qui traverse les mouvements féministes au Nord comme au Sud, et que dénoncent certains courants communautaires, post- ou décoloniaux (Destremau et Verschuur, 2012) Soit encore la pauvreté, réduite au rang de manifestation desdites dominations, est présumée se résoudre toute seule, une fois celles-là combattues. Quoiqu’il en soit, la recherche sociologique sur la pauvreté et les politiques publiques (protection sociale, famille) qui lui sont adressées dans les pays en développement semble mal résister à l’ombre portée d’une altérité surplombante : celle construite et héritée entre « nous » et « eux » ou « elles », avatar et manifestation de la persistance de formes de colonialité dans la sociologie, et qui met à distance politique et épistémologique ce qui se passe hors des sphères occidentales.
30De leur côté, les politiques publiques concernées par le champ « genre et pauvreté » sont soit dominées par des approches économistes et fonctionnalistes (au niveau macro), soit informées par une sociologie quelque peu naturalisante et non conflictuelle, résistant mal à l’usage d’un discours euphémisé et consensuel. Une perspective de sociologie féministe décoloniale et intersectionnelle reste ainsi largement clivée de la lutte institutionnalisée contre la pauvreté féminine, assise sur des compromis politiques et opérationnels, qui diluent son potentiel politique en instruments tels que gender mainstreaming, empowerment, capacity building, etc. La perte de charge politique, collective et conflictuelle du terme empowerment tel qu’il est mobilisé dans les entreprises de développement, analysée dans une perspective sociologique par des auteures comme Isabelle Guérin et Jane Palier (2005), ou Anne-Emmanuelle Calvès (2009), constitue une illustration parlante de cette césure entre analyse des dominations et opérationnalisation consensuelle de la lutte contre la pauvreté féminine.
31Ainsi, le développement comme champ discursif et institutionnel internationnal exerce une pression, dans le sens de la dépolitisation, sur les analyses sociologiques, en particulier celles investies dans les questions liées au genre et à la pauvreté, qui tendent ainsi à se détacher des épistémologies de la domination. La circulation de visions expertes, passant des organisations internationales aux institutions nationales et à bon nombre d’ONG, y a certainement joué un rôle important, en contribuant à des processus de diffusion et d’hybridation : les sources, les objets, les financements sont en effet – de plus en plus fréquemment – liés à des organisations et institutions impliquées en tant qu’agents de développement. Les travaux universitaires se nourrissent des indicateurs et statistiques produits par ces mêmes organismes, adoptant ainsi leurs classifications et catégories. Et, de façon croissante, la légitimité dans le champ académique repose sur des jugements « d’opérationnalité » et d’efficacité émis par ces institutions. Une partie des carrières des chercheur-es passe souvent par les institutions de développement, ne serait-ce que pour avoir accès aux sources, aux terrains et au financement, et les experts professionnels interviennent également en milieu universitaire. Entremêlés et parfois conflictuels dans leurs trajectoires et leurs protagonistes, ces processus d’hybridation ont contribué à normaliser la prise en compte du genre dans les analyses sociologiques portant sur la pauvreté dans les pays en développement, trop souvent dans des termes peu distanciés.
32Si le « pourquoi » de la lutte contre la pauvreté n’est plus réellement posé comme une question politique, semblant aller de soi (même si le repérage des « faux pauvres » reste une préoccupation constante), le « comment » est devenu affaire technique et bureaucratique. Les techniques d’intervention, les programmes de développement et de lutte contre la pauvreté et les dispositifs de mise en œuvre des politiques publiques articulent dimensions de sexe, de génération, d’appartenance sociale, ethnique, religieuse… qui imprègnent les relations entre administrations et administrés, dispensateurs d’aide et clients, institutions et ONG, professionnels et bénévoles, intervenants extérieurs et bénéficiaires locaux, concepteurs urbains et destinataires ruraux, etc. Cette sphère du développement, traversée de rapports de pouvoir et de domination, se prête à des analyses en termes de techniques de pouvoir16 et fait de façon croissante l’objet de travaux sociologiques et surtout anthropologiques critiques (Atlani-Duault et Vidal, 2009).
Conclusion : genre, sociologie et pauvreté, des alliances compliquées
33L’émergence de la pauvreté comme matrice générale du développement (en tant que manifestation la plus visible et publicisée du sous-développement, et que thème qui polarise les ressources de la « guerre » contre le sous-développement) a tendu à maintenir une césure avec les analyses plus politiques de la pauvreté et des inégalités, et n’a intégré que des versions soft ou consensuelles des théories féministes de la domination dans les rapports sociaux de sexe. Une fois rabattue sur le « problème » institutionnalisé de la pauvreté et de son éradication, la question des rapports sociaux de sexe a tendu à se voir réduire à un problème d’équité, de discrimination, et de retard entre femmes et hommes, sans considération marquée pour les différences de classe. Ainsi, la banalisation du terme de genre, sous une forme dépolitisée et bureaucratisée, par le biais de la lutte contre la pauvreté menée par les institutions internationales, nationales et les ONG, a tendu à effacer la dimension politique de la question des rapports sociaux de sexe et de leur intersection avec d’autres rapports sociaux, et à appauvrir certaines lectures des inégalités entre hommes et femmes.
34De son côté, la sociologie de la pauvreté, développée comme une des branches de la sociologie du développement, et déployée comme microsociologie – proche de l’anthropologie – ou comme sociologie des politiques publiques, a intégré « le genre » comme objet. Pour autant, ses analyses et constats au regard des rapports sociaux de sexe sont moins cohérents que ne l’étaient ceux de certaines autres sociologies, et particulièrement celle du travail, de la petite production marchande ou du travail informel, de la paysannerie, ou encore de la famille. Moins cohérents ou peut-être plus encombrés par ce qui est devenu un corpus de lieux communs concernant les relations entre genre et pauvreté.
35La sollicitation de chercheur-es et universitaires comme « expert-es en genre » et « pauvrétologues » tant dans les pays du Nord que du Sud, et l’essor de ce marché au plan international, accroissent la porosité entre les champs scientifique et institutionnel. L’épaississement de cette « communauté épistémique », qui traverse diverses frontières, peut favoriser des mouvements très divers : contribuer à insuffler plus de politique dans les institutions de développement et à y faire pénétrer les préoccupations des mouvements féministes ; satisfaire aux exigences conventionnelles du gender mainstreaming et de la transversalisation de la lutte contre la pauvreté sans remettre en cause le business as usual ; renforcer la responsabilité sociale d’une sociologie qui ne pourrait renier sa dimension publique ; ou encore légitimer dans les sphères universitaires des instruments consensuels, des présupposés et « allant-de-soi », et y cautionner la circulation de vocables discrets mais vite indispensables, sans les accompagner de la vigilance critique nécessaire17. Le brouillage des délimitations entre recherche et intervention, tant des parcours professionnels qu’au sein des équipes, n’est pas nécessairement une « victoire » ni d’un point de vue critique, ni d’un point de vue politique.
36Sous l’emprise des exigences consensuelles qui ont envahi le champ du développement quand le projet politique que représentait celui-ci s’est effacé au profit de la lutte contre la pauvreté, tant la sociologie de la pauvreté que celle du genre ont tendu à voir s’émousser leur dimension critique. L’apparition de la thématique du genre sur le devant de la scène (« ce que le genre fait à l’analyse de la pauveté ») a pu sembler une avancée, voire une victoire, à certains mouvements féministes. Mais le rabattement de la question du « genre » sur celle de la pauvreté que nous avons analysé plus haut (« ce que la pauvreté fait aux analyses de genre »), et l’effacement à son profit du thème de la question des rapports sociaux de sexe, amène à se demander s’il ne s’agit pas là d’une « victoire à la Pyrrhus18 ». Si l’on veut y échapper, la question à reposer est, en partant de la propension de certains courants de sociologie féministe à intégrer des perspectives intersectionnelles, celle des possibilités de sa rencontre avec les analyses de la pauvreté et des rapports de pouvoir. C’est à cette condition qu’une sociologie féministe du développement pourra développer tout son potentiel heuristique et politique.
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Notes de bas de page
1 On peut dater cette origine du « Rapport sur le développement dans le monde » de la Banque mondiale de 1990, bien qu’on trouve des textes centrés sur la pauvreté dès 1987 à l’Unicef, au Pnud et à la Banque mondiale elle-même.
2 Les discussions scientifiques et institutionnelles autour de la mesure de la pauvreté et le réductionnisme inhérent à l’approche monétaire ont produit des centaines de milliers de pages. Un essai de synthèse a été réalisé dans Destremau et Salama (2002).
3 Ce qui ne va pas sans poser des problèmes méthodologiques, dont, en particulier, celui de la « parité des pouvoirs d’achat », qui invalident une bonne partie des discours de cette institution sur la pauvreté. Voir à nouveau Destremau et Salama (2002), Destremau (1998).
4 Ce qui mène à des propositions difficiles à comprendre pour un non-économiste. Par exemple, la Banque mondiale a toujours soutenu que la fixation d’un salaire minimum serait particulièrement néfaste pour les femmes, car elles seraient les premières à souffrir, via la hausse de leur niveau de chômage, de l’introduction de cette « rigidité ».
5 La mode actuelle est à faire de l’économie du développement une « science expérimentale », débarrassée de tout présupposé idéologique ; en faisant des comparaisons entre « échantillons aléatoires », aidés et non-aidés, on pourrait faire la mesure de l’efficacité de l’aide (Duflo et Banerjee, 2009). Pour une critique, cf. Barbier (2012).
6 Dans un article, Diana Pearce, professeure en travail social à l’université de Washington et engagée dans des travaux de recherche sur différents aspects des conditions de vie et de travail des femmes pauvres, montre l’accroissement de la proportion de femmes parmi les pauvres aux États-Unis entre les années 1950 et 1970. Les femmes représentent près des deux tiers des pauvres, et l’auteure examine les facteurs en cause, en particulier les sources de revenus et les dispositifs d’assistance.
7 Si une femme salariée a des revenus inférieurs de moitié à ceux de son compagnon, on peut comprendre qu’elle soit classée comme pauvre et lui non. Mais qu’en est-il des petites exploitations paysannes (la majorité des pauvres du Tiers Monde), des micro-entreprises familiales, voire des contrats matrimoniaux par lesquels l’épouse est présumée entretenue par son époux… ? Bref, le discours selon lequel « les femmes sont les premières victimes de la pauvreté », sans que soit introduite la médiation de la famille, manque de rigueur.
8 Cela pose un problème largement soulevé par les féministes européennes des années 1970, celui de l’équivalence entre les travaux « masculins » et « féminins » : quatre heures consacrées quotidiennement par une femme africaine à la recherche d’eau ou de bois de chauffage « valent-elles » quatre heures passées par un homme à l’usine ? Quelle serait la « valeur » de l’élevage des enfants à l’aune de travaux productifs ? L’absence de solution théorique à cette question dans le champ de la science économique a fait qu’il valait mieux ne plus l’évoquer.
9 Voir par exemple Copans (1987), Mignot-Lefebvre (1980), et la réflexion synthétique construite sur ces questions dans Destremau (2013). Dès les années 1970, ces constats ont débouché sur un courant promouvant l’intégration des femmes dans le développement, au moyen d’actions les ciblant au premier chef, tant pour leur faire rattraper leur retard que pour leur donner les moyens de sortir de leur propre pauvreté (formulé plus tard en termes de « renforcement des capacités »).
10 L’appel à la notion « d’intersectionnalité », s’il peut être considéré comme une avancée dans le sens de la recherche d’une compréhension « systémique » des inégalités, n’éclaircit pas pour autant la recherche des enchaînements causaux : la pauvreté d’une femme maya, cheffe de famille paysanne dans les Chiapas mexicaines, peut trouver des dizaines de causes ou d’enchaînement de causes, et autant de justifications de politiques mises en place.
11 Voir à ce sujet Molyneux (2006, 2007, 2008), Jenson (2009, 2011), Ceballos (2012), Bey (2009), Marquès-Pereira et Pfefferkorn (2011), Debonneville et Diaz (2011), ainsi que d’autres travaux menés dans le cadre du programme de recherche coordonné par François-Xavier Merrien à l’Université de Lausanne (Unil) « Development Myths in Practice : the “Feminisation” of Anti-Poverty Policies and International Organisations. Conditional Cash Transfer Programmes in Comparative Perspective ».
12 Pour une brève synthèse sur les relations entre genre, travail et développement, voir notamment Lautier (2006b) et Destremau (2013).
13 Dans une série de travaux, Nancy Fraser développe une analyse critique du triptique marchandisation, protection sociale, émancipation, qui oppose les formes patriarcales de protection sociales à celles émancipatrices.
14 Cf. par exemple : Donzelot, 1977 ; Procacci, 1993. Bruno Lautier avait ausssi travaillé cette question dès les années 1970 pour la France, voir notamment Bourgeois et al., 1980.
15 On peut lire à ce sujet le numéro récent de la Revue Tiers Monde sur Féminismes décoloniaux, genre et développement, coordonné par Blandine Destremau et Christine Verschuur (2012). Le terme de « colonialité » veut insister sur la continuité et la recomposition des processus de domination, ainsi que sur leur nature épistémique, et échapper aux ambiguïtés de celui de « postcolonial » qui peut se prêter à des interprétations réduites au champ historique, et sembler affirmer une vision linéaire du temps. Voir en particulier Quijano (1998) et Sanna et Varikas (2011).
16 Sur ce « retour du politique » par le biais de formes de gouvernementalité et de bureaucratie, voir notamment l’ouvrage collectif Penser le politique en Amérique latine, coordonné par Borgeaud-Garcianda et al., 2009. Le programme de recherche ANR Latinassist « Offre institutionnelle et logiques d’acteurs : femmes assistées dans six métropoles d’Amérique latine » s’attache à analyser certaines de ces relations, notamment entre professionnels de l’assistance et femmes bénéficiaires. Voir aussi Destremau (2011).
17 Voir, sur cette question, le numéro spécial de la Revue Tiers Monde, Les mots du développement (Cartier-Bresson et al., 2009).
18 La mythologie n’a pas imaginé de féminin à cette expression.
Auteurs
Blandine Destremau est sociologue, directrice de recherche au CNRS, membre du Laboratoire interdisciplinaire de sociologie économique (Lise, Paris). Elle a enseigné à l’Institut d’études du développement économique et social (Iedes, université Paris-I Panthéon-Sorbonne) et participé activement à la Revue Tiers Monde. Elle travaille sur les questions de développement depuis de nombreuses années, notamment dans le monde arabe : développement agricole, politiques publiques de lutte contre la pauvreté et de protection sociale, migrations et marchés du travail, solidarité et interventions pour le développement, genre et développement. Elle s’est engagée récemment dans une recherche collective (ANR Latinassist, coordination avec Bruno Lautier) qui l’a conduite à travailler sur les politiques sociales à Cuba et leurs dimensions sexuées.
blandine.destremau@gmail.com
Bruno Lautier était professeur de sociologie à l’Iedes de l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne. Après des études d’économie (sa thèse de doctorat portait en particulier sur le travail domestique), il a travaillé depuis le milieu des années 1980 sur les pays du Sud, principalement latino-américains. Les thèmes principaux de ses recherches sont l’économie informelle, les politiques sociales, les questions liées à la citoyenneté. Il est décédé en 2013.
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