Chapitre 2
Rencontre de l’anthropologie féministe et du développement
p. 73-98
Remerciements
J’adresse tous mes remerciements à Yvan Droz, Gisela Dütting, Adriella Shanie Gautier, Dorine Plantenga, Saraswati Raju, Joke Schrijvers et Christine Verschuur pour leur lecture critique d’une version antérieure de ce chapitre et pour leurs commentaires constructifs.
Texte intégral
Introduction
1Ce chapitre livre une réflexion sur l’émergence de la recherche féministe dans le domaine de l’anthropologie et sur sa contribution au « genre et développement » défini comme un champ social où s’exercent des politiques et des pratiques. De manière générale, l’anthropologie a toujours été une discipline propice à l’étude de la diversité des systèmes humains d’organisation sociale et de références culturelles. À la suite de la Seconde Guerre mondiale, au moment où les colonies étaient le théâtre des luttes de libération, le paysage scientifique de l’anthropologie a progressivement vu apparaître une division entre un courant scientifique « pur » – dans le sens où il préconisait une approche libre de tout système de valeur – et un courant « critique » qui considérait les connaissances produites comme des outils d’émancipation des groupes « opprimés » du « Tiers Monde » tels que les paysans, les cultivateurs sans terre et les femmes (Wertheim, 1974 ; Huizer et Mannheim, 1979).
2Pour contribuer à l’émancipation des femmes et pour comprendre les différences des effets de la planification et des politiques de développement sur les hommes d’une part, et sur les femmes de l’autre, il fallait combler les lacunes des données empiriques recueillies au niveau des communautés. Aux Pays-Bas, dès le milieu des années 1970, les anthropologues féministes se sont investies dans des recherches de terrain de type critique et ont ouvert de nouvelles voies2. La relation dialectique entre les anthropologues féministes et la pratique du « genre et développement », nourrie de ces premières initiatives, a permis de nombreuses avancées théoriques. Dans ce chapitre, je montrerai que les femmes anthropologues, et après elles les anthropologues féministes, ont permis de saisir la grande variété des contributions des femmes et des hommes à la société, de sorte que les mécanismes de pouvoir qui sous-tendent l’exclusion sociale et les inégalités de genre ont pu être révélés.
3Après avoir brièvement relaté l’histoire de la production de savoir scientifique par les femmes dans le domaine de l’anthropologie, je montrerai la convergence de l’anthropologie féministe et du tournant culturel-critique qu’a connu l’anthropologie, et évoquerai un exemple néerlandais pionnier. Je poursuivrai le débat en proposant quelques réflexions sur ce qu’apporte, dans l’anthropologie, l’utilisation du puissant outil d’analyse que constitue le genre, sur les frustrations et la fascination qu’il suscite. Je démontrerai qu’en dépit de nombreux revers et de l’absence chronique de volonté politique réelle d’améliorer les conditions de vie des groupes sociaux marginalisés, subalternes ou exclus, en particulier celles de diverses catégories de femmes, les anthropologues féministes ont politisé les rapports sociaux entre les hommes et les femmes, alors qu’ils étaient jusque-là considérés comme allant de soi. L’émergence du concept de genre est allée de pair avec une forte volonté de comprendre et de résoudre les difficultés auxquelles se heurtent les luttes contre l’injustice sociale et contre les nombreuses formes de discrimination à l’égard des femmes.
Les (premières) femmes anthropologues et le genre
« … l’anthropologie est sans doute la discipline qui a le plus influencé la façon dont on a rendu compte du genre en Amérique du Nord (ou parmi les sociologistes3)… » (Visweswaran, 1997 : 593).
4L’histoire de l’anthropologie montre que les femmes ont d’emblée joué un rôle, timide mais pertinent, dans la description des divers rôles sociaux des femmes et des hommes, ainsi que des nombreuses représentations symboliques de la féminité et de la masculinité. Elles ont étudié le rôle des femmes sans nécessairement s’inscrire dans un projet féministe. C’est en effet à un moment précis de l’histoire que l’épithète « féministe » a fait son apparition, en référence à un changement majeur dans l’interprétation, la représentation et l’appréhension des rapports entre les hommes et les femmes. Dans son essai sur l’ethnographie féministe, Visweswaran (1997) distingue quatre grandes phases d’édification du corpus féministe en anthropologie4.
5Durant la première période (1880-1920), les rôles sociaux étaient considérés comme la conséquence directe du sexe biologique. En apportant des données empiriques détaillées sur le rôle des femmes indiennes autochtones dans la politique et dans les rituels, ainsi que sur la reconnaissance dont elles bénéficiaient dans ces domaines, des anthropologues américaines (Elsie Clews Parsons, Matilda Cox Stevenson et Alice Fletcher) ont remis en cause la conception victorienne de la féminité et le paradigme de l’évolution qui plaçait le modèle de société victorien au sommet de la civilisation. Ces recherches ethnographiques ont posé les premières bases de l’anthropologie critique, mais aussi celles du féminisme d’inspiration anthropologique.
6Durant la deuxième période (1920-1960), les rôles de genre ont de plus en plus souvent été compris comme étant indépendants du sexe biologique et plutôt attribuables à des mécanismes culturels.
7Grâce à l’étude de Margaret Mead sur « Mœurs et sexualité en Océanie » (1963, parution originale Mead [1935]), une distinction théorique a pu être effectuée entre le sexe biologique et les rôles de genre sociologiquement différents. Les psychologues, les sociologues et les philosophes débattaient depuis longtemps de l’inné et de l’acquis. Mais ce n’est qu’avec la publication de Sexe, genre et société, l’ouvrage d’Ann Oakley, qu’un concept distinct a permis de rendre compte des rôles sociologiquement déterminés des hommes et des femmes ; le genre était né.
8La troisième période (1960-1980), la mieux connue dans les études de genre et développement, a coïncidé avec l’apparition des mouvements féministes de la deuxième vague et avec la rébellion politique contre la détermination du destin par la biologie. En étudiant la grande diversité des rôles sociaux des femmes et des conceptions de la féminité dans d’autres cultures, l’anthropologie féministe a permis aux féministes occidentales de comprendre leur propre oppression (Reiter, 1975). Certaines anthropologues féministes américaines (Rosaldo et Lamphere, 1974 ; Reiter, 1975) ont produit des œuvres monumentales qui sont aujourd’hui encore des références.
9L’idée de l’existence d’un système sexe/genre est à mettre au crédit de Gayle Rubin (1975)5. Après avoir systématiquement analysé certaines grandes théories sociales (Marx, Engels, Lévi-Strauss, Freud et Lacan), elle a défini le système sexe/genre comme « un ensemble de dispositions par lesquelles le matériel biologique brut du sexe et de la procréation est façonné par l’intervention humaine, sociale, et satisfait selon des conventions […] » (ibid. : 159).
10Rubin a ouvertement appelé à une refonte de l’anthropologie traditionnelle qui permette d’inclure « les répercussions du mariage matrilatéral des cousins croisés, du surplus dégagé sous forme de filles, de la conversion du travail féminin en richesse masculine, de la conversion des vies de femmes en alliances matrimoniales, de la contribution du mariage au pouvoir politique, et des transformations que tous ces divers aspects de la société ont subies au cours du temps » (ibid. : 210). Comprenant de nombreuses descriptions détaillées de l’organisation sociale des sociétés, son article a été pensé comme une « “économie politique” du sexe » (il est à noter que Rubin met entre guillemets économie politique et pas sexe) et a été au fondement de la construction ultérieure des théories de l’anthropologie féministe.
11Mais, alors même que se développaient les mouvements de libération des femmes des années 1960, le système sexe/genre n’a pas expliqué l’universalité du statut inférieur des femmes dans les domaines économiques, politique et symbolique. Dans son texte – désormais quasiment « culte » – « Le féminin est-il au masculin ce que la nature est à la culture ? », Sherry Ortner (1974) a tenté de lier la division entre féminin et masculin à un autre principe d’ordonnancement du monde : l’opposition nature-culture. Elle explique que « les variables locales que sont l’économie, l’écologie, l’histoire, la structure politique et sociale, ainsi que les valeurs et la vision du monde peuvent expliquer les variations dans cet universel, mais elles ne peuvent expliquer l’universel lui-même. Et si nous décidions de ne pas accepter l’idéologie du déterminisme biologique, il me semble alors que l’explication ne pourrait découler que d’autres universels de la situation culturelle humaine » (ibid. : 83). Ortner affirme que les femmes sont considérées comme étant plus proches de la nature que les hommes aux plans physiologique, psychologique et social. Mon propos n’est pas d’exposer ici les termes du débat que cette thèse a déclenchés. Je souhaite plutôt montrer en quoi le texte d’Ortner répond au désir des anthropologues féministes de compléter les connaissances sur la variabilité des rôles sociaux des hommes et des femmes et sur les significations culturelles associées, ainsi qu’à leur volonté de théoriser l’asymétrie de la construction sociale du genre.
12Au même moment, d’autres anthropologues féministes, influencées par les courants structuraliste et structuro-fonctionnaliste alors dominants, ont porté leur réflexion sur d’autres oppositions binaires universelles telles que le public-privé et/ou le formel-informel. Les femmes étant beaucoup plus actives dans la sphère privée, on a considéré comme logique qu’elles soient exclues des sphères publiques de la politique, de l’économie et de la religion (Reiter, 1975 pour la France ; Nelson, 1974 pour le Proche-Orient). Mais au même moment, Carole Rogers (1975) déconstruisait le mythe de la domination masculine en dévoilant les dynamiques de pouvoir formelles et informelles en France.
13En outre, les anthropologues féministes d’inspiration marxiste ont remis en cause le fondement matériel de la production économique et mis en lumière le rôle des femmes dans la sphère de la reproduction sociale. La recherche et la construction des théories dans le domaine de l’anthropologie féministe, en partie explorées par Rubin, ont évolué autour des questions de l’organisation du travail et du travail invisible et non rémunéré réalisé par les femmes, ce dernier contribuant à enrichir non seulement les hommes, mais aussi le système capitaliste. Dans cette période, toutes les tentatives de construction théorique précédemment évoquées se sont inspirées de l’idéologie de la solidarité entre femmes et du projet politique visant à les libérer de l’oppression patriarcale partout dans le monde.
14Durant la quatrième période (1980-1996) identifiée par Visweswaran, la catégorie sociale homogène de « la femme » a été problématisée et la vision du sexe comme un construit social est apparue. Sous l’influence d’une conception foucaldienne de la réalité sociale, le genre a été perçu comme l’origine discursive du sexe. Si quelques anthropologues féministes ont adopté le virage postmoderniste de l’anthropologie, ce ne fut pas le cas de celles qui travaillaient sur le thème du genre et du développement.
15L’essai critique de Visweswaran (1997) a clairement montré qu’à différentes périodes historiques de textes ethnographiques écrits par des femmes anthropologues ont correspondu diverses manières de comprendre le genre. Mais sa critique principale a porté sur le fait que la majorité de ces chercheures étaient basées en Occident. Les femmes du Tiers Monde ont revendiqué l’espace nécessaire à l’expression de leurs propres visions de l’oppression et de leurs définitions du féminisme (Amos et Parmar, 1984 ; Amadiume, 1987 ; Mohanty, 20106). L’analyse sociale, dans ses préoccupations réflexives et politiques, a donc pris en compte les divers positionnements fondés sur des facteurs géopolitiques, de classe, d’ethnie, d’âge, de préférences sexuelles, etc. En outre, les théoricien-nes queer ont fortement contribué à la révision des théories et à faire naître de nouvelles lectures du genre. De nouvelles formes de féminité, comme les female chauvinist pigs (Levy, 20077) ou les top-girls (McRobbie, 2007), ont également fait leur apparition dans la société et ont été intégrées à l’élaboration des théories postféministes.
L’anthropologie féministe comme critique culturelle
16La valeur heuristique du genre comme catégorie d’analyse utile est étroitement liée à la volonté des anthropologues féministes de développer un projet intellectuel à portée critique. Les premières anthropologues américaines s’attachaient déjà à décrire précisément d’autres cultures pour nourrir le processus de réflexion nécessaire à la remise en cause de leur propre société. Ce projet s’accompagne d’une double critique culturelle et de prises de positions épistémologiques et méthodologiques. Conformément aux principes de l’anthropologie dominante, ces anthropologues ont examiné les valeurs et les visions du monde des Autres par le biais d’une rupture épistémologique (Bourdieu et al., 1969), processus cognitif de défamiliarisation (Marcus et Fischer, 1986 : 128) qui vise à questionner les préconceptions les plus basiques sur le fonctionnement et la signification « des choses ». L’analyse porte, par exemple, sur des questions de base relatives à ce que signifie le fait d’être marié-e (ou non), employé-e (ou non), d’être un-e paysan-ne, un-e citoyen-ne, d’être privilégié-e, etc. Mais, avant que se développe l’anthropologie féministe, peu d’anthropologues (hommes) s’étaient interrogés sur ce que signifiait le fait d’être un homme. La critique de l’androcentrisme s’est précisément centrée sur la référence à l’Homme universel, ainsi que sur l’absence des femmes parmi les acteurs sociaux évoqués dans les monographies écrites par les anthropologues (hommes).
17Par ailleurs, l’anthropologie, en tant que praxis, ne pouvait pas échapper à un examen critique. Ce dernier a commencé par une critique de l’ethnocentrisme et de l’androcentrisme pour prendre ensuite la forme d’une analyse critique des rapports entre les chercheur-es et les sujets d’études (personnes ressources). Les connaissances anthropologiques n’étaient pas simplement des informations extraites des personnes ressources, mais aussi le résultat d’un processus coopératif et interpersonnel : un dialogue entre deux (ou plusieurs) sujets coproduisant un savoir culturel chargé de sens. La posture épistémologique était marquée par une impartialité consciente (Mies, 1979) et permettait l’affirmation d’une subjectivité dans la science.
Femmes et développement
« Le travail qui consiste à faire prendre “conscience du genre” est fait. Après tout, l’idée fait son chemin. Les plus grandes agences de développement et les bailleurs de fonds les plus importants se sont déjà clairement engagés à faire en sorte que les femmes soient prises en compte de manière pertinente à tous les niveaux de la politique de développement. » (Molyneux, 2007 : 227)
18L’Année internationale des femmes (1975) et la première conférence mondiale sur les Femmes à Mexico (1975) ont marqué des moments importants et ont fait naître le besoin d’en savoir plus sur les expériences de vie des femmes dans le contexte de ce que l’on nommait alors des « conditions sociales et économiques changeantes » (Postel-Coster et Schrijvers, 1980 : i). Le travail pionnier de Boserup, une économiste danoise (1970), a mis en lumière deux arguments importants : tout d’abord, le fait que le développement affecte la vie des femmes et des hommes de manière différente et, ensuite, le fait que les modèles de développement sont tous nés des conceptions occidentales de la féminité et du rôle social des femmes. Boserup a, par exemple, constaté que l’introduction des technologies modernes dans l’agriculture et les biais masculins dans les services d’aide au développement des exploitations agricoles avaient fait des paysannes africaines des mères au foyer8 confinées à leur domicile (un processus appelé housewifization). Boserup n’est pas restée seule. Un certain nombre études d’anthropologie féministe ont montré les effets indésirables des interventions de développement sur le statut des femmes dans les communautés et les pays où celles-ci avaient lieu. L’anthropologue néerlandaise Risseeuw (1988) a montré que l’action des autorités britanniques avait eu des effets négatifs sur les liens de parenté locaux au Sri Lanka, car elle avait notamment abouti à ce que les femmes soient « gentiment expulsées de leurs propriétés » (ibid. : 61). Lors de son troisième séjour au sein de la communauté mafia en Tanzanie, l’anthropologue britannique Pat Caplan (1988 : 11) a remarqué que la nourriture se faisait rare dans les villages et que l’état de santé des femmes s’était détérioré. Les nouveaux modes de production agricole et l’implication croissante des hommes dans les cultures de rente avaient rendu les femmes et les enfants plus dépendants du « contrôle des hommes sur la nourriture achetée au sein des ménages » (ibid. : 11).
19Des critiques se sont élevées pour demander que les politiques de développement soient en accord avec les « cultures locales ». Deux propositions principales ont été faites dans ce sens : produire des données de nature plus empirique et utiliser des approches participatives pour élaborer des projets de développement fondés sur une évaluation des besoins des populations locales. Cette période a été celle des évaluations des besoins essentiels qui, souvent, se sont transformées en évaluations (rurales) rapides. L’anthropologie féministe et le « genre et développement » ont évolué en deux champs professionnels distincts. En effet, alors que les anthropologues féministes ont produit des études empiriques très riches grâce à des séjours relativement longs au sein des communautés, à des échanges dialogiques authentiques et à une compréhension approfondie du fonctionnement des rapports de pouvoir de genre, les anthropologues, formées en « genre et développement », se sont davantage consacrées aux évaluations des besoins essentiels et aux évaluations (rurales) rapides. Cette deuxième profession a été soumise à de nombreuses contraintes de la part de décideurs imposant leurs besoins et leur rythme dans le cadre du cycle de projet. Où et quand les tensions se sont-elles manifestées ? Où et quand les deux professions se sont-elles rencontrées ?
Anthropologie féministe et développement : une étude de cas néerlandaise
20Cette étude de cas nous ramène dans les années 1970 aux Pays-Bas. À cette époque, l’anthropologie était une discipline institutionnalisée en diverses catégories : l’anthropologie sociale, l’anthropologie culturelle, la sociologie des sociétés non occidentales, ainsi que l’anthropologie/la sociologie du développement. Dans ce contexte de science critique et d’agitation sociétale, Jan Pronk (parti travailliste), le ministre de la Coopération au développement, a été invité à s’exprimer lors de la première conférence internationale des Femmes à Mexico (1975). Pour se préparer, le ministre s’est mis en contact avec les anthropologues Els Postel et Joke Schrijvers de l’université de Leyde. En moins de deux mois et avec l’aide de femmes collègues et étudiantes, ces dernières ont rédigé un rapport intitulé « Les femmes en route » (Women on their way) et ainsi sous-titré : « un développement à visée émancipatrice »9. Avec le recul, il est difficile d’imaginer à quel point la situation des femmes du Tiers Monde était méconnue.
21L’émancipation était définie comme « un développement visant à une égalité de fait entre les deux sexes, une situation dans laquelle la domination d’un sexe sur l’autre serait totalement abolie » (Postel-Coster et Schrijvers, 1976 : 102). Les obstacles à l’émancipation des femmes étaient perçus comme le résultat de contraintes à la fois naturelles et culturelles. Il est intéressant de noter que les auteures ont choisi de n’utiliser ni le concept de « pouvoir » ni le terme « féministe ». À cette époque, la représentation des rapports entre les hommes et les femmes du point de vue de leurs différences de « pouvoir » était (encore) un tabou et l’épithète « féministe » était trop étroitement associée à la diffusion de l’idéologie occidentale.
22Après la conférence de Mexico, le ministre était bien conscient du fait que le programme d’action ne pourrait être mis en œuvre sans une meilleure compréhension des conditions de vie des femmes. Il a donc estimé que des recherches anthropologiques complémentaires étaient nécessaires. L’équipe de Postel et Schrijvers, à l’université de Leyde, s’est vue confier un mandat afin de poursuivre ses recherches au Sri Lanka, en Égypte et au Burkina Faso (entre 1976 et 1981).
23Les résultats des quatre projets de recherche menés au Sri Lanka en 1977 et 1978, ainsi que les recommandations de politiques subséquentes ont été publiés en 1980 sous le titre « Une femme voit plus loin que le bout de sa louche » (A woman’s mind is longer than a kitchen spoon)10. Les auteures ont étudié les conditions de vie des femmes dans différents secteurs : « le travail, l’emploi et la mobilité », « l’éducation, la formation et l’information », « l’organisation et la participation politique ». Elles ont aussi ajouté une analyse détaillée des différentes étapes de la vie des femmes dans le but de « montrer pleinement la réalité de la vie et des problèmes des femmes » (Postel-Coster et Schrijvers, 1980 : ii).
24Cette recherche devait comporter un volet action : une coopérative agricole de femmes dans la province du Centre-Nord (village de Kurunduwila), un projet de fabrication de fibre de coco et de confection de nattes à Mahagoda (côte sud-ouest), ainsi qu’un projet de tissage à Siriyagama, ont ainsi été mis en œuvre. Ces projets pilotes ont mis au jour, dans la pratique, « diverses possibilités et différents problèmes propres aux femmes dans le contexte d’un changement planifié » (ibid. : ii). Ils se sont en effet heurtés à la résistance des élites locales et des fonctionnaires de niveau intermédiaire et ont été accueillis avec méfiance par les maris et les autres membres de la famille.
25La recherche de terrain a été menée dans le respect des règles méthodologiques de l’anthropologie de l’époque : les chercheures se sont immergées dans les communautés (certaines d’entre elles avec leur famille), ont appris la langue locale et sont restées sur place pendant une longue période (un an). Une innovation méthodologique a toutefois été ajoutée dans la mesure où les anthropologues néerlandaises ont tenu à collaborer en équipe avec des chercheures sri-lankaises11. La question centrale de la recherche portait sur les contraintes culturelles qui freinent l’accès des femmes aux ressources vitales (ibid. : 6). Les chercheures ont observé dans le détail : « les limites à la liberté de mouvement des femmes, sur le plan physique mais aussi social, la valorisation extrême de la maternité comme seul rôle acceptable pour les femmes, l’éventail limité d’activités considérées comme adaptées aux femmes, ainsi que le manque d’estime accordée, par les hommes et par les femmes, à ces activités et aux personnes de sexe féminin » (ibid. : 6).
26Cependant, les contraintes culturelles se sont révélées malléables et adaptables aux situations concrètes lorsqu’il fallait satisfaire des besoins immédiats. Selon Postel-Coster et Schrijvers, « des changements frappants peuvent survenir dans ce domaine (celui des contraintes culturelles) si la base structurelle peut le permettre » (ibid. : 7). L’emploi régulier était si fortement valorisé qu’il était possible pour certaines femmes de parcourir d’assez longs trajets pour aller travailler. Il est intéressant de noter que certaines des contraintes ont été identifiées comme « le résultat direct de la modernisation et de la planification du développement. Le passage de l’agriculture de subsistance aux cultures de rente a, par exemple, (…) privé les femmes de leurs ressources économiques traditionnelles. C’est également vrai de l’introduction de l’industrie et du commerce à grande échelle (…) » (ibid. : 7). Le rapport détaille également le mode opératoire des références culturelles : « La peur d’être exclue pour cause de comportement “non féminin” prévaut » (Postel-Coster et Schrijvers, 1980 : 51). Ainsi, dans les activités politiques, ce sont presque exclusivement les hommes qui dominent, alors que les femmes restent exclues : le système se perpétue pour des raisons culturelles. En outre, « les obligations relatives aux travaux domestiques et à l’éducation des enfants empêchent les femmes de participer aux réunions » (ibid. : 51). Il est frappant de constater que, sans avoir utilisé le concept de genre, qui n’avait pas (encore) franchi les frontières du Royaume-Uni (Oakley, 1985) pour atteindre les Pays-Bas, le rapport traite explicitement des éléments empiriquement observables, tels que les comportements dignes/indignes des femmes, la division du travail au sein du ménage et de la société, ainsi que les rapports de pouvoir entre les femmes et les hommes.
27Les références culturelles, l’organisation sociale et l’accès aux ressources vitales, étudiés au niveau local, ont été analysés en regard des caractéristiques macro-économiques et structurelles du pays du « Tiers Monde » qu’est le Sri Lanka, mais aussi des conséquences qu’ils ont pour les femmes pauvres : « Dans un pays pauvre comme le Sri Lanka, les contraintes les plus importantes pour les femmes pauvres dans les processus de développement sont le résultat des mécanismes macrostructurels de l’inégalité. Ces derniers placent le pays tout entier en situation très défavorable dans le contexte international. Des mécanismes similaires opèrent au sein des structures économiques et politiques nationales. (…) Les conceptions sur la culture ont jusqu’ici renforcé ce processus » (ibid. : 119). Le développement économique, au sens de l’expansion de l’économie capitaliste, a accru les inégalités entre les femmes et les hommes. Il apparaît donc que les écarts ne se sont pas creusés seulement dans la période de mondialisation et de néolibéralisme que nous connaissons actuellement. Le processus avait déjà commencé avec « les changements dans les processus de production et la pénétration de l’économie monétaire (qui) n’ont fait qu’accroître les inégalités qui existaient déjà entre la valorisation du travail des hommes et celle du travail des femmes » (ibid. : 119 et chapitre II).
28Le volet action de la recherche a montré la forte résistance des élites locales (essentiellement des hommes), ainsi que les conflits entre les femmes elles-mêmes qui peuvent résulter de la première phase d’un projet de développement visant à améliorer les conditions de vie des femmes pauvres (ibid. : 122). Selon les auteures, il n’est pas réaliste de supposer l’existence d’« une base sociale ou économique de solidarité entre les femmes. La pauvreté ne fait qu’accroître la concurrence entre elles pour accéder aux maigres ressources. Il leur faut du temps et de l’aide pour pouvoir faire l’expérience des avantages qu’apporte la conjonction des efforts au service d’une cause commune » (ibid. : 122). En d’autres termes, les femmes pauvres organisent leurs activités génératrices de revenu en fonction des impératifs quotidiens qu’impose la survie de leur famille. Leur gestion du temps et de l’énergie vise à répondre aux urgences relatives à leur fonction de mère et d’épouse au sein d’une famille pauvre. Elles ne sont donc que peu motivées à l’idée de participer à des activités visant à déclencher des changements à moyen ou long terme.
29Le volet action a permis aux chercheures de comprendre que les femmes de la base n’avaient aucune conscience du « rôle des différents services gouvernementaux et locaux, des modalités d’accès à la justice légale et à la protection, etc. (…) Cela s’explique d’une part, par un déficit d’information et d’autre part, par un défaut d’accessibilité propre à tous les niveaux intermédiaires de la bureaucratie locale. Les fonctionnaires ne sont pas encouragés à prendre la responsabilité d’améliorer le bien-être des personnes pauvres et dépourvues de pouvoir. L’attitude de ces fonctionnaires est principalement due à leur insatisfaction professionnelle. Leurs salaires sont relativement bas, ils sont fréquemment mutés, les avantages de fonction qui leur sont offerts ne correspondent pas à leur classe, etc. En outre, l’organisation hiérarchique de la bureaucratie locale représente un obstacle sérieux au développement de la capacité de décision et de la prise de responsabilités parmi les fonctionnaires des plus bas échelons, qui sont généralement ceux qui prennent en charge les priorités les plus immédiates des villageois » (ibid. : 54).
30Cette recherche avec action menée au Sri Lanka, et dont les résultats ont été publiés dans le rapport Kitchen spoon, peut sembler dépassée. Une partie de la terminologie utilisée est obsolète et les auteures n’avaient pas eu accès à certains concepts nouveaux, notamment au concept de genre lui-même, mais aussi à ceux de pouvoir, de capacité d’action et d’empowerment. Pourtant, je pense qu’il s’agit d’un travail de premier plan. Il a en premier lieu permis de mettre en avant les (nouveaux) canons de l’anthropologie féministe : les expériences vécues par les femmes, les perspectives de la base, l’approche par le cycle de vie, la mise en relation des conditions structurelles et des contraintes culturelles avec un contexte d’inégalité des rapports de pouvoir. Il s’agit également de l’une des premières tentatives anthropologiques visant à tordre le cou à l’androcentrisme (appelé viricentrisme par Schrijvers [1979]).
31La force de ce travail pionnier tient au fait qu’il a apporté la base empirique nécessaire à l’induction du concept de genre. Les rôles sociaux des femmes et des hommes, leur perception d’eux-mêmes et des comportements masculins et féminins, les différences locales de niveau de pouvoir en fonction de critères de stratification sociale et du cycle de vie, ainsi que le fonctionnement des bureaucraties, sont tous des facteurs individuels, mais ils forment un ensemble englobé dans le concept de « genre ». Et si Postel-Coster et Schrijvers n’ont pas inventé le terme, elles ont, par leurs recherches, apporté les éléments empiriques qui sont au fondement de ce concept.
32Il est important d’avoir conscience de cette évolution historique, compte tenu de la critique qui reproche actuellement au genre d’être un mot à la mode (Smyth, 2007). Dans la perspective de l’anthropologie féministe, le genre est devenu, pour beaucoup, une sorte d’abstraction désincarnée. Le regroupement de tant de phénomènes culturels, sociaux, économiques et politiques sous un même terme a contribué à créer la confusion. Le genre est, en effet, un concept complexe car, outre le fait qu’il permet une analyse descriptive des rôles sociaux et de la division sexuelle du travail, il se réfère intrinsèquement aux rapports de pouvoir entre femmes et hommes. Le genre, en rassemblant toutes ces réalités empiriques dans un unique concept, s’est éloigné de ses références empiriques. Lorsqu’il est utilisé en dehors de contextes sociaux concrets, il tend à circuler comme un concept désincarné.
Les avancées théoriques postérieures
« Différentes formes du féminisme ont produit différentes acceptions du genre, dans lesquelles le genre lui-même ne peut être séparé des catégories de race, de classe ou d’identité sexuelle qui le déterminent. » (Visweswaran, 1997 : 592)
33Avec le temps, de nouvelles visions du genre et des dimensions genrées de l’organisation sociale sont apparues. Après avoir initialement visé à analyser les rapports de pouvoir entre les femmes et les hommes dans leur place prépondérante dans l’organisation sociale, le genre a été remis en question. Les chercheures féministes de couleur, noires et celles appartenant aux hyphenated feminisms12, ont reproché aux chercheures occidentales blanches d’homogénéiser la catégorie sociale des femmes (Mohanty, 2010 ; Moraga et Anzaldúa, 1981 ; Hooks, 1984). En inventant la notion d’intersectionnalité, elles ont mis en évidence l’articulation entre des structures d’oppression coexistantes (Crenshaw, 1991 ; Hill Collins, 2010). En outre, elles se sont opposé au fait que l’on présente les femmes du Sud global comme des victimes dépourvues de la moindre capacité d’action. Ces femmes ne sont pas de simples pions pris dans des jeux de pouvoir qui les dépassent (contraintes à des mariages précoces ou forcés et à des grossesses non désirées, privées de moyens contraceptifs, exploitées sur le marché du travail, soumises aux maris, privées de droits fonciers, manipulées par la techno-médicalisation des services de santé, ignorées par les religions patriarcales, etc.). Logiquement, à la suite de ces critiques, des voix ont demandé que soient pris en compte des positionnements multiples (sociétés multiculturelles) et ainsi se sont développées les épistémologies du point de vue (Hartstock, 1987 ; Harding, 1986).
34Les anthropologues féministes ont toujours été sensibles à la pluralité des catégories de femmes, ainsi qu’à la diversité de leurs conditions de vie, de leurs besoins et de leurs intérêts. Les pratiques qui prévalaient dans la recherche en anthropologie féministe n’en ont pas moins été influencées par le tournant postcolonial qu’ont pris les mouvements de femmes. D’une part, comme nous l’avons vu dans l’exemple du projet « Kitchen spoon », les anthropologues féministes, dont les recherches comportaient un volet action, ont souhaité collaborer avec des chercheur-es et des militant-es féministes des pays concernés. Des approches novatrices ont été adoptées, comme la dialectique du dialogue ou encore des méthodes de studying up, studying down et studying sideways13 (Schrijvers, 1991). Chacune des actrices impliquées (les anthropologues féministes occidentales, les chercheures et les militantes féministes locales) se situait à une position de pouvoir spécifique pour agir sur les conditions de vie des femmes pauvres ou marginalisées.
35D’autre part, progressivement, des anthropologues « locales » ont fait leur apparition. Nombre d’entre elles ont été formées dans des universités occidentales. En outre, plusieurs universités du Sud ont créé leurs propres départements d’anthropologie ou d’études de genre (voir Amina Mama, 2007 pour l’Afrique). La pluralité des appartenances a parfois permis des coopérations fructueuses (Reysoo et al., 1995 pour le Bangladesh). Dans d’autres cas, malheureusement, le paradigme de l’« économie politique » de l’appartenance14 a produit des sources de malentendus et d’exclusion mutuelle.
Frustrations15
36Dans le milieu académique, les anthropologues féministes ont, à quelques exceptions près, toujours été considérées avec méfiance par les anthropologues des courants dominants qui doutaient de la pertinence du volet action de leurs recherches. En outre, l’anthropologie féministe a toujours manqué des ressources nécessaires à son institutionnalisation solide16. Dans de nombreux départements d’anthropologie, les étudiants et étudiantes ne se voient dispenser, au mieux, qu’un ou deux cours sur le genre. À une époque où le niveau d’excellence scientifique exigé est très élevé, les revues d’anthropologie féministe ou d’études de genre ne figurent pas en tête des classements de publications. De plus, les anthropologues féministes qui consacrent leurs recherches au développement ont toujours pratiqué une forte interdisciplinarité, elles ont le plus souvent utilisé des méthodologies qualitatives et travaillé avec des outils conceptuels critiques novateurs, dont le genre et le pouvoir. Ce sont autant de raisons qui permettent à Strathern (1987) de dire que l’anthropologie féministe ne pourra jamais se fondre totalement dans l’anthropologie dominante, parce que sa raison d’être même est d’exercer une critique, de déconstruire, de remettre en question. La position des anthropologues féministes est donc structurellement inégale et ne leur permet pas d’aspirer à une reconnaissance comparable à celle dont jouissent les anthropologues qui jouent le jeu selon les règles académiques hégémoniques.
37L’anthropologie féministe reste malheureusement une discipline essentiellement investie par des femmes. Cela tient au fait qu’il est plus facile, dans le monde académique, de créer des cours entièrement consacrés aux questions anthropologiques féministes et donnés par des femmes très motivées que de convaincre les collègues masculins d’intégrer une perspective de genre dans leur champ théorique et thématique. Au mieux, ces derniers acceptent que des collègues féministes animent une séance sur le genre dans leur cours (pour être politiquement corrects).
38Lorsque des étudiant-es (de master ou de doctorat) souhaitent intégrer une perspective de genre dans leur recherche, ils-elles cherchent plutôt à bénéficier de la supervision d’un-e anthropologue spécialisé-e dans les théories du genre qu’à inciter des anthropologues spécialistes d’un thème à intégrer une perspective de genre. Ainsi, les spécialistes thématiques (qui ne tiennent pas compte du genre) peuvent continuer à ignorer la catégorie d’analyse sociale qu’est le genre, tandis que les anthropologues féministes se doivent d’être bien informées sur de nombreux champs thématiques (migration, sécurité, économie, gouvernance, globalisation, questions environnementales, etc.).
39Dans le champ genre et développement, nous assistons, dans de nombreux pays, à un processus plus ou moins similaire à celui que Goetz et Sandler (2007 : 164) ont décrit sur la scène internationale : les spécialistes du genre sont mal intégré-es dans les instances de décision importantes (« logiques de marginalité »). Les auteures affirment que « les violations des droits des femmes n’induisent simplement pas le même sentiment de menace vitale, de risque de paralysie économique, que les urgences humanitaires, les catastrophes environnementales ou les flux de capitaux incontrôlés » (ibid. : 163). L’énergie et les fonds s’orientent donc vers l’élaboration des cadres normatifs des Nations unies plutôt que vers des programmes de terrain.
40Le milieu du genre et développement britannique du début des années 1990 constitue un autre exemple. Eyben, ancienne spécialiste du genre à l’Overseas Development Administration (actuellement Department for International Development), témoigne : « La plupart des fonctionnaires expérimentés n’ont jamais perçu le genre comme un facteur vraiment important ou porteur de changements potentiels dans le dialogue politique avec les gouvernements bénéficiaires de l’aide publique ou dans les modèles de dépenses. Certains fonctionnaires décrivent le genre comme un sujet fastidieux qui relève du “politiquement correct” » (Eyben, 2007 : 66). L’intégration du genre est mieux considérée depuis la quatrième conférence internationale sur les Femmes de Beijing (1995) mais, dans la pratique, elle est toujours absorbée ou affadie par l’indifférence des fonctionnaires, ainsi que par l’hostilité et les résistances qu’elle rencontre. De plus, la confusion qui régnait dans l’attribution des véritables responsabilités, ainsi que le manque de clarté des budgets alloués et de la répartition des tâches ont fait de l’intégration du genre une « pathétique illusion de transformation » (Stephen Lewis, op. cit. dans Goetz et Sandler, 2007 : 161).
41De nos jours – à différents niveaux – des voix s’élèvent pour remettre en question la pertinence de l’approche transversale de l’intégration du genre ou pour prôner un retour à une approche plus sectorielle (ciblant uniquement les femmes) de la planification et des programmes genre et développement. Dans une perspective théorique, une approche sectorielle cherchant à planifier des changements dans la vie quotidienne des femmes peut aboutir à un « essentialisme de genre » qui consisterait à accepter sans critique le présupposé selon lequel la « catégorie femme » existe. La politique du genre risquerait de s’en trouver piégée, car elle consisterait à isoler les questions relatives aux femmes et donc à détacher ces questions des mécanismes de pouvoir qui conduisent à l’exclusion sociale des femmes.
Fascinations
« Si vous n’observez pas par le prisme du genre, une dimension vous échappe. » (Cynthia Enloe, Genève, septembre 2011)
42On peut faire le constat ironique que, dans la pratique, l’engagement et l’attention des politiques ignorent très souvent la moitié de la population mondiale. Les justifications de l’exclusion des femmes ne sont jamais convaincantes et les arguments visant à inclure ces dernières sont souvent formulés en des termes qui promettent à tous et toutes d’y gagner. Globalement, certains déséquilibres entre les femmes et les hommes ont été amoindris (Goetz et Sandler, 2007 ; Molyneux et Razavi, 2005). Mais de nouveaux déséquilibres ont fait leur apparition (à cause de la montée des fondamentalismes, de l’hégémonie néolibérale et du désengagement des États). Selon les indicateurs, on peut observer, à une extrémité du continuum, les progrès des droits formels et des lois en faveur de l’égalité de genre, ainsi que de l’éducation et de la santé des filles et des femmes. Les femmes n’ont jamais été aussi nombreuses sur le marché du travail et leur participation politique progresse timidement (Molyneux et Razavi, 2005). En d’autres termes, le réaménagement des équilibres de pouvoir a permis aux femmes d’accéder à des statuts, des espaces et des ressources auxquels il aurait été impensable qu’elles accèdent à l’époque où vivaient leurs mères.
43À l’autre extrémité du continuum, trop de femmes sont encore violées et battues. En outre, si les taux de scolarisation des filles ont augmenté, leurs taux d’abandon sont plus importants que ceux des garçons. Et, quand elles obtiennent leur diplôme, elles sont confrontées aux structures et aux pratiques discriminatoires du marché du travail (certains secteurs demeurent hostiles aux femmes et les différences de rémunération entre femmes et hommes restent importantes). L’état de santé des femmes s’est globalement amélioré (comme en témoigne leur espérance de vie plus élevée que celle des hommes), mais les filles et les femmes représentent la majorité des personnes contaminées par le VIH/ sida. Molyneux (2007 : 233) pense que cet état de fait « témoigne du manque de pouvoir et d’autonomie des femmes dans la sphère la plus intime qui soit. »
44La société est construite sur des interdépendances ; la catégorie analytique du genre vise à mettre en lumière les interdépendances qui marquent les rapports entre les hommes et les femmes, mais aussi les valeurs symboliques accordées au féminin et au masculin. La position et le statut social des individus hommes et femmes dans la société, ou ceux des femmes et des hommes en tant que groupes sociaux, se fondent dans un faisceau de rapports de pouvoir locaux, nationaux et internationaux. Les anthropologues féministes ont adapté leurs priorités de recherche et se tournent de façon prometteuse vers une anthropologie globale – qui permet l’exploration systématique du nexus local-global et vice versa –, tout en restant fidèles aux avancées méthodologiques, épistémologiques et théoriques fondamentales (Davids et van Driel, 2005).
Conclusions
45Quelle est la valeur heuristique de la catégorie d’analyse du genre dans l’anthropologie féministe et le champ de recherche appliquée du genre et développement ?
46La recherche féministe a beaucoup contribué à la production de connaissances scientifiques dans le domaine de l’anthropologie. Elle a démontré de manière convaincante qu’atteindre un objectif de justice sociale de genre n’impliquait pas simplement d’ajouter des femmes dans les domaines de la politique, de l’économie, de l’éducation, etc. Pour que les conditions de vie des femmes s’améliorent dans ce monde toujours plus interconnecté, les mécanismes de pouvoir qui (re)produisent et légitiment les inégalités structurelles doivent être identifiés et corrigés. Les composantes genre et développement de projets plus vastes visant à un changement social planifié seront ainsi renforcées par les apports de l’anthropologie féministe permettant de mieux comprendre les références symboliques et les mécanismes discursifs qui structurent les familles, les communautés, les institutions sociales, les organisations et les sociétés.
47L’anthropologie féministe, sous-discipline de l’anthropologie, s’est montrée novatrice, créative et productive. Les concepts clés de genre, de culture et de pouvoir ont servi de fondement à l’élaboration de théories. Étudiés dans le champ du développement, ces concepts abordent les problématiques du faible accès des femmes aux ressources vitales et de leur contrôle très limité sur ces dernières, de l’absence de reconnaissance, à un niveau d’analyse international, de la participation des femmes à la société, ainsi que des interdépendances à l’échelle mondiale.
48Le principal enseignement de ces quarante années de « genre et développement », défini comme une praxis visant à un changement social planifié, est que cette praxis influence toujours l’organisation sociale existante (de façon délibérée ou inattendue). La redéfinition des frontières du genre influence l’intégration des femmes et des hommes dans les institutions sociales de base comme la famille et le mariage, l’école et le travail ou encore les instances politiques. En l’absence de réinterprétations culturelles de ces nouveaux rôles sociaux et de ces espaces désormais accessibles, ces changements s’accompagnent de tensions tant culturelles que sociales aux niveaux individuel et collectif (Reysoo, 2013). Du fait de leurs nouvelles attributions, les femmes et les hommes deviennent parfois inintelligibles dans des environnements sociaux conventionnels (Trouble dans le genre de Butler, 1990). Les apports de l’anthropologie féministe permettent d’anticiper ou d’atténuer ces processus de changement social et de canaliser les reconfigurations du pouvoir.
49Ceci est d’autant plus vrai que le monde social d’aujourd’hui reste plus difficile à vivre pour les femmes que pour les hommes. En outre, les personnes peu qualifiées, illettrées, sans papiers, handicapées ou membres de minorités discriminées à cause de leur race ou de leur sexualité éprouvent toujours plus de difficultés que les autres à être reconnues comme des citoyens à part entière. En comprenant les statuts structurels et pluriels des femmes – et des autres groupes sociaux marginalisés – dans une communauté, organisation ou société donnée, et en déconstruisant les constructions sociales de la féminité et de la masculinité dans un contexte donné, on peut mesurer la marge de manœuvre dont disposent les femmes (pour accéder aux ressources vecteurs de pouvoir), ainsi que leurs capacités à maîtriser leur propre corps et leur propre vie. Chaque étude de cas permet d’évaluer les stratégies que les femmes déploient pour améliorer leur vie – et parfois celle des autres (grâce au militantisme).
50Pour conclure, et pour reprendre Butler (1990), chaque être humain doit se conformer à des normes de genre pour rester intelligible. À défaut, il entrera en conflit avec ses partenaires, ses proches, les institutions ou avec lui-même. Cela peut mener à des situations invivables. Les anthropologues féministes ont étudié de manière exhaustive les contraintes et les possibilités de natures culturelle et structurelle dans de nombreux contextes locaux, et ont découvert des espaces inédits au sein desquels les femmes et les hommes font l’expérience de responsabilités et de rôles sociaux nouveaux auparavant impensables. Je crois fermement que le grand potentiel de l’anthropologie féministe, ainsi que son utilité réaffirmée dans le champ du développement résident dans la découverte de ces nouveaux interstices de création.
Bibliographie
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Notes de bas de page
2 Dans tout ce chapitre, le terme anthropologue féministe désigne les universitaires qui se réclament de l’anthropologie féministe. Aux Pays-Bas, par exemple, les anthropologues féministes se rassemblent au sein d’une organisation professionnelle Lova (Association néerlandaise pour les études de genre et l’anthropologie féministe– Netherlands Association for gender studies and feminist anthropology), créée en 1979 et encore très active de nos jours. Il s’agit d’un réseau unique qui regroupe actuellement 110 membres (http://www.lovanetwerk.nl). Aux États-Unis, l’Association pour l’anthropologie féministe (Association for feminist anthropology) a fêté son 25e anniversaire en novembre 2013.
3 NDT : « Sociologistic account » en anglais.
4 Pour un aperçu de l’institutionnalisation de l’anthropologie féministe dans les universités néerlandaises, voir Postel-Coster et van Santen (2002).
5 Traduit en français in Rubin (1998).
6 Parution originale en anglais en 1988.
7 Parution originale en anglais en 2005.
8 NDT : housewives en anglais.
9 Vrouwen op weg. Ontwikkeling naar emancipatie.
10 Ce titre s’inspire d’un proverbe sri-lankais selon lequel « les femmes ne voient pas plus loin que le bout de leur louche ». En adaptant ce proverbe, les chercheures ont souhaité rendre hommage aux femmes du Sri Lanka et exprimer « leur foi en les compétences des femmes et leur confiance envers les nombreuses femmes qu’elles ont appris à connaître et qui sont devenues leurs amies, qui les ont aidées et ont apporté leur expertise en art de vivre » (Postel-Coster et Schrijvers, 1980 : ii).
11 Elles ont également voulu inviter les chercheures sri-lankaises à venir étudier le statut des femmes aux Pays-Bas. Mais comme cette initiative ne faisait pas partie des termes du mandat confié par le ministère de la Coopération au développement, elle n’a pas pu être mise en œuvre.
12 Aux États-Unis, le terme « hyphenated American » est un adjectif utilisé à la fin du xixe siècle pour désigner des Américains nés à l’étranger qui avaient une affinité forte avec leur pays d’origine. Aujourd’hui, le trait d’union est utilisé dans les adjectifs tels « Afro-American » ou« Hispanic-American » dans la désignation et l’autodésignation des personnes s’identifiant à ces groupes sociaux.
13 Ces notions se réfèrent au débat mené dans le monde anglo-saxon depuis la fin des années 1960 sur la position sociale des informateurs-trices des anthropologues. Nader (1969) recommandait de ne pas se limiter à conduire les recherches auprès des colonisés (studying down), mais également auprès des colonisateurs (studying up). Ensuite, les anthropologues féministes travaillant avec une perspective constructiviste y ont ajouté la méthode de studying sideways. Le principe méthodologique de cette approche était d’instaurer une relation à parts égales entre chercheures et informateurs-trices de sorte à coconstruire la connaissance dans une relation intersubjective ouverte aux confrontations, désaccords et négociations des sens donnés aux pratiques sociales.
14 Mon propre travail en Afrique du Nord a, par exemple, été affecté par le déclenchement de la première guerre du Golfe en 1991, une période durant laquelle les visions de l’identité ont divisé le monde en deux selon un axe du mal.
15 Les titres des deux paragraphes suivants ont été empruntés à la conférence « Anthropologie féministe : frustrations et fascinations », organisée par Lova (Association néerlandaise pour les études de genre et l’anthropologie féministe), qui s’est tenue à l’université d’Amsterdam (14 septembre 2012).
16 L’envoyé spécial des Nations unies pour le sida en Afrique, également porte-parole pour la défense des droits des femmes, a émis des critiques sérieuses sur le sous-financement des agences des Nations unies chargées de la mise en œuvre de l’intégration du genre. Dans les ministères des Affaires féminines et les unités pour les femmes des grandes agences non gouvernementales internationales de développement, on peut observer la même pénurie de ressources financières (voir Goetz et Sandler, 2007 : 161).
Auteurs
Fenneke Reysoo est directrice scientifique du programme Genre, globalisation et changements de l’IHEID, elle enseigne à l’Institut depuis 2000. Elle a auparavant enseigné aux Pays-Bas dans les universités de Nimègue, Leiden et Amsterdam, en Suisse à l’université de Neuchâtel et à l’UAM-Itzapalapa au Mexique (en tant que professeure invitée). Elle a mené des recherches interdisciplinaires sur genre, droits reproductifs et dynamiques de population dans divers pays tels que le Maroc, le Bangladesh, le Mexique, le Mali et l’Afrique du Sud. Avec Yvan Droz, elle coordonne un programme national de recherche (PNR60) du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) sur Genre, générations et égalité en agriculture : transformations des configurations familiales et des représentations de la masculinité et de la féminité en Suisse (2010-2014). Elle est membre du comité directeur de l’ONG suisse de développement Helvetas Swiss Intercooperation.
fenneke.reysoo@graduateinstitute.ch
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