Étude économique : modes de valorisation et de protection des substances naturelles
p. 160-177
Texte intégral
1Les objectifs assignés à cette contribution à l’expertise collégiale sur la valorisation économique des substances naturelles en Polynésie française sont doubles. Il s’agit d’une part d’évaluer le potentiel économique des produits mis en évidence par les experts des substances végétales, et, d’autre part, de proposer des modes de protection de ces produits susceptibles d’optimiser leur valorisation économique. Compte tenu de la nature des substances concernées, du fait que l’information économique sur certaines d’entre elles est très lacunaire voire inexistante, il n’est pas possible de se prononcer sur chacun des produits retenus. De plus, la notion de valorisation économique peut recouvrir des stratégies très variées selon la perspective dans laquelle on se place : l’objectif principal peut être le développement de la filière, la valorisation d’un territoire plutôt que d’un produit avec la volonté de maintenir des emplois… Par conséquent, la présente contribution s’attachera à présenter des options envisageables et à indiquer la nature des informations complémentaires à réunir et des choix à opérer. Pour ce faire, j’aborderai :
(1) quelques éléments de cadrage relatifs à la valorisation économique des substances naturelles dans le Pacifique Sud ;
(2) les deux principales options en matière de protection des produits tirés de substances naturelles (marques et indications géographiques), leurs domaines de validité, avantages et inconvénients respectifs ;
(3) des informations sur quelques-uns des produits retenus dans le groupe 1 par les experts substances végétales ;
(4) une synthèse des recommandations.
1. La valorisation économique des substances naturelles : contexte général dans le Pacifique Sud
2La valorisation économique des substances naturelles est désormais couramment envisagée dans le cadre de l’application de la Convention sur la diversité biologique de 1992. Elle constitue en effet une des voies privilégiées mises en avant pour assurer la conservation de la biodiversité. Faire de la protection de ressources diversifiées une activité rentable est considéré comme le moyen le plus efficace de la promouvoir. Diverses voies de valorisation sont ainsi généralement mises en avant : favoriser la bioprospection, développer la production et le commerce de produits forestiers non ligneux, mettre sur pied des filières labellisées biologiques ou équitables, promouvoir l’écotourisme…
3Que l’on adhère ou non à cette vision des choses, l’entrée en vigueur de la Convention sur la diversité biologique en 1993 a suscité de nombreux travaux et réflexions sur les politiques et le cadre institutionnel à mettre en œuvre pour une valorisation économique des substances naturelles.
L’intérêt soulevé par ces questions dans le Pacifique Sud est relativement récent compte tenu de la richesse en ressources biologiques endémiques et diversifiées de la zone. Le séminaire de Nadi, première réunion régionale des îles du Pacifique sur l’application de la Convention sur la diversité biologique, s’est tenu en mars 1998 avec des représentants de 14 pays. Un guide destiné à éclairer les enjeux de la Convention sur la diversité biologique dans le Pacifique Sud a été édité à la suite de cette réunion (Convention on biological diversity : an information package for Pacific Island Countries, 2000). La question du potentiel économique des produits naturels du Pacifique y figure en bonne place, avec une annexe consacrée au kava, qui connaît alors un développement commercial fulgurant. Ce rapport met également en avant la bioprospection comme moyen privilégié de valoriser la biodiversité, et il souligne l’importance des savoirs traditionnels dans la découverte de nouveaux médicaments ou de nouveaux produits susceptibles d’être brevetés.
Deux exemples sont couramment repris pour souligner les enjeux économiques associés à la bioprospection dans le Pacifique. Le premier est celui d’un contrat passé à Fidji, qui aurait associé de façon exemplaire la population locale à la recherche et au partage de ses retombées (Aalbersberg et al., 1998). Le second est taxé de biopiraterie ; il s’agit de recherche menée sur une plante couramment utilisée à Samoa (Mamala), dont certains composés se seraient révélés intéressants pour le traitement du sida. La plante aurait été collectée dans le village de Falealupo par un ethnobotaniste, dont les recherches auraient finalement conduit au dépôt d’un brevet, détenu conjointement par Brigham Young University, le Department of Health andHuman Services des États-Unis, et l’armée américaine.
Ces exemples sont mobilisés pour défendre l’idée d’une valeur considérable des substances naturelles du Pacifique et des connaissances traditionnelles associées (Environment, 1998). L’essentiel des recommandations et des politiques envisagées tourne alors autour de l’établissement d’un cadre juridique adéquat pour la bioprospection : réglementation de l’accès et de l’utilisation des ressources, reconnaissance et protection formelle de savoirs traditionnels. Sont aussi envisagés, classiquement, la réalisation d’inventaires de la biodiversité, l’amélioration de l’information relative à la biodiversité et l’établissement de réseaux pour favoriser sa diffusion, ainsi que la proposition de modèles et de principes directeurs pour les accords de bioprospection.
L’idée d’un potentiel économique considérable pour les produits naturels traditionnels s’est trouvée renforcée depuis le milieu des années 1990 par les succès commerciaux considérables du kava et du nono. Le kava, qui était de longue date exporté, a fait une percée remarquable sur le marché américain, amorcée à la suite de la libéralisation de la commercialisation des compléments alimentaires en 19941. L’exportation à grande échelle du nono a commencé à peu près à la même période et les ventes n’ont cessé de croître depuis.
Il apparaît donc légitime dans ce contexte de s’interroger sur les possibilités pour les pays producteurs, dont la Polynésie française, de protéger et valoriser au mieux leur production de ces deux produits phares. En outre, ces succès commerciaux ont suggéré que d’autres plantes utilisées traditionnellement dans la pharmacopée pouvaient être aussi profitables.
L’effondrement du marché du kava en 2001 à la suite d’interdictions en Europe n’a pas vraiment mis un terme à cet intérêt pour les substances naturelles. Certains pays producteurs le voient comme une opportunité pour réorienter la filière vers une plus grande qualité et promouvoir un produit différencié, en misant sur l’originalité. Cette interdiction a aussi relancé l’intérêt pour des substances naturelles susceptibles de se substituer au kava à l’exportation ou de permettre une diversification aux producteurs durement touchés par la crise (Keith-Reid, 2002b).
2. La protection en vue d’une valorisation économique des produits : les principales options
4Depuis la signature de la Convention sur la diversité biologique, les pays qui disposent d’une grande biodiversité se sont attachés à rechercher des instruments juridiques susceptibles de promouvoir une utilisation durable de leurs ressources. Avec le développement des biotechnologies et l’intérêt accru pour les substances naturelles au tournant des années 1980, il devenait nécessaire de légiférer pour mettre fin à la biopiraterie réelle ou supposée. Pour permettre un développement efficace et équitable des échanges de ressources biologiques, il fallait définir des droits pour les populations locales susceptibles de faire pendant aux brevets des industriels.
5Un intérêt particulier s’est porté sur les types de droits de propriété intellectuelle pouvant s’adapter à des produits traditionnels et aux savoirs et savoir-faire collectifs associés à l’élaboration de ces produits. Les avantages attendus d’un développement de ces droits sont :
une meilleure valorisation économique des ressources, faisant de leur conservation une activité rentable et justifiant des investissements dans leur mise en valeur ;
des revenus accrus pour les populations autochtones ou communautés paysannes traditionnelles qui cultivent les matières premières et détiennent des savoir-faire particuliers associés à cette culture ;
une reconnaissance des savoirs locaux liés à la préparation et aux utilisations des substances naturelles et une revalorisation des pratiques de médecine traditionnelle ;
en termes d’aménagement du territoire, le maintien d’activités économiques rentables dans des zones périphériques ou marginales ;
une source de revenu pour les pays mégadivers qui peuvent envisager une spécialisation fondée sur leurs substances naturelles en visant des marchés de niche et des secteurs à haute valeur ajoutée (du moins par rapport à des exportations agricoles plus conventionnelles).
6Dans cette perspective, deux types de droits de propriété intellectuelle sont souvent mis en avant, les marques et les indications géographiques (Downes, 1997 ; Downes et Laird, 1999 ; Dutfield, 1997 ; Escudero, 2001). En effet, ils permettent de protéger la réputation d’un produit, plutôt que l’innovation, et peuvent être adaptés pour protéger des productions agricoles. Marques et indications géographiques sont utilisées sur des marchés segmentés, où la concurrence se fait sur la différenciation des produits plutôt que sur le prix.
7Ces deux modes de protection, qui comportent un certain nombre de caractéristiques communes, ne sont pas équivalents. L’indication géographique garantit un lien fort au terroir alors que la marque bénéficie d’une bonne protection juridique internationale. Selon le produit concerné et le marché visé, le choix s’arrêtera sur l’une ou l’autre.
2.1 Les indications géographiques
8• Les indications géographiques – et leur déclinaison française, les AOC – protègent des produits de terroir dans leur région de production traditionnelle et à condition que cette production n’ait pas été interrompue. Elles s’appliquent à un espace donné, pour un produit donné, et tous les producteurs présents dans la zone protégée peuvent en bénéficier à condition de remplir les conditions fixées par les cahiers des charges. Ce sont donc des droits collectifs. Elles ne sont pas aliénables : elles ne peuvent être cédées et un producteur qui délocalise son activité hors de la zone protégée ne peut continuer à en utiliser le nom.
9Ce sont des droits qui portent non pas sur l’innovation mais sur la réputation du produit, ce qui requiert à la fois un certain savoir-faire dans la production, éventuellement des traditions, mais aussi une reconnaissance du produit et de ses particularités de la part du public. Ces indications permettent de développer un marché pour des consommateurs sensibles aux notions de terroir, d’environnement, de traditions sociales. Elles réclament un fort encadrement institutionnel et organisationnel (conseil technique, assistance juridique, formation…). En revanche, les besoins en technologie sont faibles.
Outre leur intérêt strictement économique, elles sont considérées comme étant favorables au maintien d’activités économiques locales en fixant les populations dans des territoires défavorisés. Elles seraient également un frein à la délocalisation, dans la mesure où la mise en valeur des filières territorialise les relations clients-fournisseurs.
Les indications géographiques ne sont pas adaptées aux « nouveaux produits », ou alors elles ne concerneront que la matière première. Pour obtenir une indication géographique, il faut en effet que l’application que l’on se propose de valoriser soit la même que l’utilisation traditionnelle.
10Les indications géographiques en tant que telles font l’objet d’une protection internationale depuis l’Arrangement de Lisbonne pour la protection des appellations d’origine et leur enregistrement international (1958). Elles étaient protégées auparavant dans le cadre de la Convention de Paris et de l’Accord de Madrid qui couvraient de façon plus générale la protection de la propriété industrielle et la répression de la contrefaçon.
11L’accord de Lisbonne a institué un registre international des appellations d’origine. Les indications géographiques doivent d’abord faire l’objet d’une protection dans leur pays d’origine pour pouvoir prétendre à l’inscription dans ce registre international, géré par l’OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle). Une fois enregistrés, les produits sont protégés dans les pays signataires de l’accord de toute usurpation du nom ou imitation. La protection conférée est très forte dans la mesure où l’usage des noms protégés est prohibé même si la véritable origine du produit est indiquée (par exemple, Champagne de Californie) et même si ces noms sont traduits ou accompagnés de mention comme « type », « style »… Ces critères sont si stricts que seuls 20 pays ont adhéré à l’Arrangement, ce qui en réduit considérablement la portée. Ce système international, remis en cause par l’Accord ADPIC2, bénéficie essentiellement aux pays européens (y compris pays émergents) qui représentent 95 % des appellations enregistrées.
12La protection internationale des indications géographiques est explicitement garantie par l’Accord ADPIC (articles 22 à 24). Ce dernier institue un système de protection à plusieurs niveaux, seuls les vins faisant l’objet d’une protection vraiment stricte (article 23). Au titre de l’Accord ADPIC, les produits déjà protégés par une indication géographique dans leur pays d’origine le sont dans l’ensemble des pays membres, c’est-à-dire que leur nom ne peut être usurpé ou utilisé de façon ambiguë à propos de produits fabriqués ailleurs. Il est impossible d’utiliser comme nom de marque un nom protégé par une appellation géographique.
13Il existe toutefois des exemptions à cette protection :
si le nom est considéré comme générique et déjà largement employé sans référence à la zone d’origine initiale du produit ;
si le nom était déjà déposé comme nom de marque avant qu’une demande de protection par une indication géographique ne soit déposée ;
si le produit a cessé d’être fabriqué dans la région dont il est originaire ou s’il n’est pas protégé dans son pays d’origine.
14Autrement dit, quand des noms de produits associés à une origine géographique, voire des toponymes, ont déjà été déposés comme noms de marques par des firmes étrangères il est trop tard, la protection n’étant pas rétroactive.
2.2 Les marques
15Une marque est un type de droit de propriété intellectuelle qui protège un signe distinctif, un symbole, un mot ou une série de mots, généralement repris sur les emballages et dans la publicité du détenteur du droit d’utiliser la marque. La protection de la marque est accordée pour des biens et services déterminés qui sont mentionnés dans son enregistrement.
16Les marques sont définies dans l’article 15 de l’Accord ADPIC comme tout « signe ou combinaison de signes susceptibles de distinguer les biens et les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises ». Les États membres de l’OMC doivent mettre en place des procédures d’enregistrement et de protection des marques de façon que le propriétaire d’une marque déposée ait le droit exclusif d’exclure des tiers de l’utilisation de signes similaires pour des biens identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée.
17Contrairement aux indications géographiques, les marques sont la propriété d’individus ou de groupes qui peuvent les céder, les vendre ou les léguer. Ils conservent le droit d’utiliser leur marque s’ils délocalisent la production. Les coûts associés aux poursuites en cas de contrefaçon sont à la charge des détenteurs de la marque tandis que, pour les indications géographiques, ils sont à la charge de l’administration.
18Les marques protégent une image et une stratégie élaborées par leurs détenteurs. Les produits ou services qu’elles protègent doivent avant tout avoir une image de qualité. Ils peuvent éventuellement évoquer la tradition ou une relation particulière au terroir si ce sont les attributs que la communication de l’entreprise entend mettre en avant. Il n’est en tout cas pas nécessaire d’en apporter la preuve. Une marque peut ainsi être adaptée pour protéger de nouveaux produits, des utilisations nouvelles de plantes qui sont l’objet de pratiques traditionnelles, des préparations dans lesquelles l’ingrédient traditionnel n’intervient que de façon marginale…
19Dans la perspective de l’expertise, deux types de marques peuvent être intéressants : les marques collectives, détenues et gérées par un groupement de producteurs, un syndicat interprofessionnel ou une association par exemple, et les marques certifiées. Dans le cas d’une marque collective, c’est l’entité détentrice de la marque qui décide des conditions de son utilisation : elle peut fixer un cahier des charges imposant des techniques de production particulières, une localisation précise de l’activité. C’est par exemple le cas de la marque Stilton, détenue par un groupement de producteurs de fromage de la région de Stilton au Royaume-Uni. Il est possible de parvenir à un cadre assez proche de celui de l’indication géographique, les producteurs décidant toutefois unilatéralement des conditions d’utilisation de la marque. Il n’est alors pas nécessaire de faire la démonstration du caractère traditionnel de l’activité, ni de l’origine locale de tous les intrants, et les critères à réunir sont globalement plus souples.
20Ces marques collectives peuvent être certifiées, ce qui implique le recours à une organisation tierce garantissant que les arguments mis en avant par les détenteurs de la marque (origine du produit, méthode de production employée…) sont authentiques (Dutfield, 1997). Ce mode de protection est utilisé par des communautés amérindiennes pour le marketing de leurs produits artisanaux. Très développé en Amérique du Nord, il commence à s’étendre en Amérique du Sud. La certification est alors assurée par les organisations autochtones ou les administrations en charge des autochtones. Il s’agit alors de valoriser les savoir-faire traditionnels plus que la matière première.
21Les marques sont une forme de droit de propriété intellectuelle très développée, qui jouit d’une forte reconnaissance internationale. L’inconvénient majeur qu’elles représentent du point de vue des producteurs sont les coûts qu’elles entraînent. Il n’est par ailleurs pas possible de déposer comme nom de marque un nom qui serait déjà protégé comme indication géographique.
2.3 Quelques éléments de comparaison et de mise en perspective
22Dans un cas comme dans l’autre, une protection ne se justifie que s’il y a un marché : une demande réelle pour le produit, des débouchés au moins locaux et une certaine concurrence. Le degré de segmentation du marché (et donc la différenciation possible des produits par des marques ou des indications géographiques) dépend largement des préférences des acheteurs et de leur perception des différences de qualité. Ces types de protection sont donc plus adaptés pour des produits finis, directement achetés par des consommateurs, que pour des produits qui seraient utilisés comme inputs industriels. L’opportunité de développer des marques ou indications géographiques supplémentaires est par ailleurs liée au degré de segmentation déjà observable du marché. La multiplication à l’extrême des signes et labels divers peut avoir un effet contre-productif et désorienter le consommateur.
Dans la mesure où toute protection a un coût (lié à l’organisation des producteurs et de l’interprofession, au dépôt de la marque, au marketing…), il faut qu’elle entraîne des avantages qui égalent au moins ce coût.
Marque et indication géographique visent la protection de la réputation ou de l’image d’un produit. Encore faut-il que cette réputation et cette image existent, que les acheteurs du produit soient prêts à le payer plus cher en fonction des qualités particulières qu’ils lui attribuent par rapport à d’autres produits jugés plus génériques. Autrement dit, ces mesures de protection ne se substituent pas aux investissements nécessaires à la promotion de la qualité d’un produit. Elles assurent simplement aux producteurs qui les auront consenties un monopole, leur permettant de tirer de façon exclusive profit de ces investissements.
23Le système de protection qui prévaut aux États-Unis et dans une grande partie du monde est celui de la marque. Aux États-Unis et au Japon, les noms de marques qui renvoient à une origine géographique sont très fréquents. Aux États-Unis, les immigrants ont fréquemment repris des noms de leur pays d’origine qui, depuis, ont été associés à une qualité de produit particulière alors que la référence géographique à laquelle ils renvoyaient est inconnue des consommateurs. Le cas le plus fréquemment cité est celui de la bière Budweiser, nom sur lequel une brasserie de la ville de Budvar en République tchèque revendique des droits. De même, le dépôt de toponymes amazoniens comme noms de marque au Japon a récemment fait grand bruit au Brésil, où il a été dénoncé comme une nouvelle forme de biopiraterie. Il est donc inutile d’investir dans une indication géographique si on vise les marché des États-Unis et du Japon. Une marque, y compris à référence géographique, est plus adaptée.
24Des conflits peuvent apparaître entre marque et indication géographique. Cette dernière ne pourra s’imposer sur un marché où une marque homonyme existe déjà (par exemple, « Tahitian noni » et les multiples noms proches déposés par Morinda Inc. Aux États-Unis et en Europe). Une double protection est possible : certains producteurs à l’intérieur d’une zone couverte par une indication géographique peuvent commercialiser le produit sous un nom de marque, ce qui leur permettra de tirer seuls les fruits de stratégies de communication ou de marketing plus ciblées et d’investissements publicitaires.
25Les indications géographiques se déclinent dans l’Union européenne en appellations d’origine, indication géographique protégée et spécialité traditionnelle garantie, qui permettent de protéger une gamme assez étendue de produits, ayant un lien plus ou moins fort avec leur terroir, dont la production est plus ou moins artisanale et nécessite des savoir-faire plus ou moins spécifiques ou développés. Si le marché visé est le marché européen, il est possible de jouer sur cette gamme de protections et de trouver celle qui est le plus adaptée au produit concerné. Toutefois, tous ces signes ne jouissent pas de la même notoriété auprès du public qui, en France, connaît surtout les AOC. De plus, la définition internationale des indications géographiques, reprise dans l’accord ADPIC, se rapproche plutôt de celle des appellations d’origine.
26Compte tenu du fait que la plupart des produits présents en Polynésie française le sont plus largement dans le Pacifique Sud, il importe que la stratégie de valorisation économique mise en œuvre soit cohérente avec les initiatives régionales en la matière.
3. Les produits identifiés dans le cadre de l’expertise
27Le point de départ de l’expertise a été l’identification de substances naturelles présentes en Polynésie française, ayant une certaine originalité botanique et pouvant présenter un potentiel économique, ce dernier étant évalué sur la base de leurs activités connues ou supposées. L’idée était d’identifier des substances susceptibles de déboucher sur de nouveaux produits et peut-être de renouveler l’expérience du nono. Ont ensuite été réintroduites des plantes locales aux marchés déjà développés comme le kava ou la vanille.
28Dans la perspective d’une valorisation économique, un premier problème se pose pour passer de la substance naturelle identifiée comme potentiellement intéressante à un produit. L’endémisme ou l’originalité des substances naturelles ne sont pas forcément des critères appropriés pour définir la spécificité voire l’unicité des produits. Sont aussi déterminants le savoir-faire ou les techniques mis en œuvre dans la transformation ou l’élaboration d’un produit commercialisable, ses différences par rapport à des produits comparables, les coûts correspondants… Un produit peut être unique sans être tiré de substances naturelles uniques, de même que le caractère unique de certaines substances naturelles ne sera pas forcément reconnu comme tel par le marché. L’objet même des marques est de créer de la différenciation et de distinguer certains produits, à l’identité forte, d’autres, plus génériques.
29Il n’est par ailleurs pas évident qu’il faille à tout prix rechercher la différenciation, la spécialisation à l’extrême ou la production pour des marchés de niche, par définition limités. La plupart des produits identifiés dans le cadre de l’expertise sont présents ailleurs dans le Pacifique Sud ou pourraient y être mis en culture. Il faut se poser la question de l’opportunité de développer une différenciation forte dans la région – et donc une forte concurrence – pour des produits proches, alors qu’une approche régionale concertée pourrait être plus avantageuse pour l’ensemble des parties.
30Ainsi, s’interroger sur les possibilités de commercialiser de façon rentable et durable des produits tirés de substances naturelles est une tout autre question que celle de l’identification de substances à l’activité prometteuse.
31Pour la plupart des substances naturelles traitées dans le cadre de l’expertise, les potentiels de développement sont trop faiblement identifiés pour que l’on puisse se prononcer sur les stratégies à promouvoir, si ce n’est qu’il faudrait réaliser des études plus approfondies.
32Pour d’autres produits (kava, nono, tamanu), une production existe déjà à partir de la substance naturelle et elle donne lieu à une commercialisation. Dans une perspective de meilleure valorisation économique, il faudrait tout d’abord faire un diagnostic des filières, ensuite et si c’est nécessaire suggérer des voies d’amélioration possibles, en termes d’organisation et de positionnement sur le marché. Cela nécessiterait un dialogue avec les acteurs locaux afin de définir ce qu’ils perçoivent comme étant les objectifs à atteindre : maintien ou création d’emploi, objectifs d’aménagement du territoire, expansion commerciale des filières…
33Des études approfondies n’ayant pu être menées dans le cadre de cette expertise, la recommandation majeure à faire est de capitaliser l’information et de l’organiser à la lumière des critères à réunir pour obtenir une indication géographique ou une marque :
La concurrence justifie-t-elle une protection des produits ?
Les acheteurs du produit seraient-ils prêts à payer plus cher pour un produit différencié ?
Le marché du produit se prête-t-il à une différenciation ?
Les avantages que l’on peut escompter d’une protection dépassent-ils les coûts ?
S’agit-il d’une production traditionnelle qui n’a jamais été interrompue et qui bénéficie d’un marché local ?
À quelle échelle géographique le produit spécifique se définit-il et requiert-il une protection (produit très local, régional…) ?
L’originalité de la production réside-t-elle dans les matières premières employées et/ou dans l’assemblage ?
Quels sont les types de protection couramment utilisés sur les marchés visés ?
Comment les produits similaires ou proches sont-ils protégés sur les marchés en question ? L’appellation du produit est-elle considérée comme générique ? A-t-elle déjà donné lieu à des dépôts de marques ?
Quels sont les effets probables de ces protections sur les systèmes de production locaux (nouvelles contraintes techniques ou réglementaires, surcoûts…) ? Ses effets sont ils acceptables ?
34Seules des informations à caractère général ont pu être réunies pour le kava, le nono, et dans une moindre mesure le tamanu.
3.1 Le kava (Piper methysticum)
35Le kava fait l’objet d’une utilisation traditionnelle de longue date et son activité est connue et décrite depuis longtemps. Il est aussi l’objet d’un commerce international depuis plus de cent ans. Traditionnellement, les marchés d’exportation étaient la France et l’Allemagne, plus récemment les États-Unis. Les prix ont considérablement augmenté au cours des années 1990, aussi bien pour la matière première que pour les produits transformés.
36Le marché international du kava a connu un essor fulgurant pendant la seconde moitié des années 1990. En 1998, le kava était une des plantes qui se vendaient le mieux aux États-Unis et l’une de celles dont les ventes connaissaient la croissance la plus rapide, avec une augmentation de 473 % de 1997 à 1998 (Gruenwald et al., 2003). En 1996, les principales industries de traitement en Europe étaient Potter’s Herbal Supplies, Brenner-Efeka, Fink, Merrell Dow, Schwabe, et aux États-Unis Hauser, Pure World Botanicals et Quality Botanicals. Presque toutes les enseignes spécialisées dans les plantes proposaient des produits à base de kava, voire des gammes complètes (Downes et Laird, 1999).
37Dans le Pacifique Sud, la production annuelle de kava était estimée à un montant de l’ordre de 60 millions de dollars US. Les superficies plantées en kava ont énormément augmenté pour faire face à la demande croissante. Ainsi 100 000 hectares supplémentaires auraient été consacrés à la culture du kava (Gruenwald et al., 2003).
38Il s’agit d’une importante source de revenu dans les îles du Pacifique pour les petits agriculteurs (principalement à Vanuatu, Fidji, Samoa, Tonga). C’est la seconde culture d’exportation aux Fidji après la canne à sucre. Des cultures industrielles ont été lancées en Australie, dans le Queensland, et développées à Hawaï au moment du boomdu marché. Une des firmes qui commercialisent le kava aux États-Unis, Pure World Botanicals, aurait même envisagé une mise en culture au Mexique (Downes et Laird, 1999 ; GRAIN et GAIA Foundation, 2000)3. En 2001, il y avait 65 exploitations qui cultivaient le kava à Hawaï et assuraient une production de 225 tonnes pour des ventes rapportant 585 000 $ aux producteurs.
39Puis le marché a été durement frappé au cours des trois dernières années par des interdictions de mise sur le marché dans plusieurs pays d’Europe et en Amérique du Nord (Canada) à la suite de cas d’hépatite fulminante détectés chez des consommateurs de produits dérivés du kava. Les ventes auraient connu une baisse de l’ordre de 75 % à Fidji entre 2001 et 2002.Les compléments alimentaires contenant du kava ne sont pas interdits aux États-Unis mais la Food and Drug Administration a émis un avis en mars 2002 informant des risques hépatiques potentiels. Cette publicité négative a beaucoup affecté l’industrie naissante du kava dans le Pacifique Sud, en particulier dans les quatre principaux pays exportateurs (Vanuatu, Fidji, Samoa et Tonga). Le prix du kava à l’export a nettement diminué, de même que les perspectives de profit de l’économie locale qui commençait à s’établir autour de la production de kava. Des mesures d’assistance financière aux producteurs ont dû être adoptées depuis la fin 2001 pour atténuer les effets de cette crise. De même, les compagnies pharmaceutiques commercialisant des produits à base de kava ont vu leurs profits fondre.
40En 2003, une étude commanditée par les pays producteurs de kava et réalisée avec le soutien de l’Union européenne (Gruenwald et al., 2003) a confirmé l’absence de lien entre le kava et les cas d’hépatite qui avaient suscité ces interdictions. Le rapport scientifique ayant déclenché les premières interdictions en Allemagne et en Suisse serait très contestable. L’étude conclut à la nécessité pour les pays producteurs de faire du lobbying à l’OMC pour faire lever les interdictions pesant sur le kava, et de mener une campagne médiatique de réhabilitation de ce produit, démontrant le désastre économique engendré par l’interdiction de commercialisation. Toutefois, la normalisation du marché du kava en Occident n’est toujours pas une réalité et les pays océaniens tentent de réparer les dégâts énormes occasionnés à la réputation de leur produit. C’est dans ce contexte qu’est envisagé un « label de qualité », associé à une appellation d’origine contrôlée (Trade Forum, 2002). L’Institute of Applied Sciences de l’Université du Pacifique Sud (USP) travaille à la définition de normes de qualité et a fait des propositions de spécifications physiques et chimiques standards.
41La certification ou l’obtention d’une appellation d’origine seraient le moyen de tirer profit de ces investissements en vue d’une meilleure qualité. Les autorités du Vanuatu se sont déjà engagées dans une procédure d’appellation d’origine pour le kava qui est en passe d’être imitée par le gouvernement fidjien. Des projets dans ce sens avaient déjà été évoqués en 1998, avant la crise du kava.
42Dans un premier temps, les marchés visés sont locaux mais à terme les marchés internationaux sont aussi concernés. Les promoteurs de cette relance du kava se veulent résolument optimistes et espèrent une normalisation rapide sur le marché américain des compléments alimentaires et une réouverture prochaine du marché pharmaceutique européen.
43Compte tenu de ce contexte, il serait souhaitable que les producteurs de Polynésie française se joignent aux initiatives régionales et participent aux efforts internationaux de lobbying en faveur du kava, en particulier aux stratégies de relance du kava sur le marché européen. La réunion tenue à Bruxelles en août 2003 pour décider des actions à envisager comme suite au rapport commandité par les pays producteurs s’est conclue sur la formation d’un comité exécutif du kava (KEC), composé de représentants des quatre principaux pays producteurs et du secrétariat du Forum des îles du Pacifique et de représentants des industries européennes. Il serait opportun de suivre les travaux de ce comité. Si des normes de qualité s’imposent pour le kava du Pacifique, il est aussi souhaitable de s’associer à leur définition.
44Rappelons que l’obtention d’une appellation d’origine nécessite de démontrer les spécificités du produit en lien avec son terroir et qu’elle ne se justifie vraiment que dans une perspective de reconquête du marché européen.
3.2 Le nono (Morinda citrifolia)
45L’essentiel de la production et de la commercialisation du nono (Morinda citrifolia) est sous le contrôle de Morinda Inc., entreprise américaine basée en Utah, avec un mode de distribution original axée sur la vente directe par correspondance, notamment sur Internet. Le succès du nono s’expliquerait pour une bonne part par les techniques de marketing de Morinda Inc. qui recourt à la vente pyramidale et distribue ses produits à travers ses réseaux, lors de réunions, comme Tupperware ou Amway.
46Bien que les superficies plantées en nono aient considérablement augmenté – et ce dans tout le Pacifique Sud –, il n’y a pas de preuves scientifiques très solides des vertus du jus de nono. Des responsables de l’industrie se demandent s’il n’y a pas à terme, d’une part, un risque de surproduction, et d’autre part si une communication exagérée autour des vertus – non avérées – du jus de nono n’est pas un facteur de vulnérabilité.
47En Polynésie française, le commerce de ce produit semble être considéré comme un succès dans son organisation actuelle. La décision de la société Morinda de construire une nouvelle usine à Tahiti, en particulier, est perçue de façon très positive. Auparavant, Morinda louait des locaux à l’entreprise Jus de fruit de Moorea sur la commune de Taravao. Cette nouvelle implantation devrait lui permettre de produire davantage, entre 7 000 et 10 000 tonnes de purée de nono par an à partir de mars 2005 (contre 3 500 tonnes en 2003). La mise en place d’une activité d’embouteillage est également envisagée et vivement souhaitée par les autorités du territoire. La décision n’est toutefois pas arrêtée, la mise en bouteille se fait actuellement à la maison mère, dans l’Utah, et seul le siège américain est en mesure de décider si elle sera rapprochée du nouveau site de production. Les avantages escomptés de la commercialisation du nono par les autorités semblent donc résider essentiellement en termes de retombées pour l’emploi. En effet, actuellement, seule la purée du nono, matière relativement peu transformée, est exportée, avec une valeur ajoutée limitée. L’essentiel de la création de valeur ajoutée associée à la production de jus de fruit se fait sur le sol américain. Les fruits frais sont vendus entre 50 et 60 cents le kilo tandis que la bouteille de 50 ml est vendue entre 10 et 12 US $ aux États-Unis.
48L’image favorable de Morinda dépasse toutefois la Polynésie française, puisque l’entreprise s’est vu décerner le prix de l’entreprise solidaire 2003, remis par l’ICCC (International Council on Caring Communities), qui récompense des projets en faveur du développement durable et de la solidarité en faveur des communautés. L’action de Morinda a été saluée car l’entreprise achète du nono produit dans les îles et fait ainsi vivre des centaines de familles.
49Si Morinda domine le marché mondial, selon le site Internet de cette société, plus de 200 entreprises commercialiseraient également des produits à base de nono (jus de fruit, gélules, sodas…), les parts de marché et progression d’une cinquantaine d’entre elles étant comparées à celles de Morinda4. Ainsi, 103 marques déposées aux États-Unis comportent le terme noni (appellation la plus courante de Morinda citrifolia), contre 8 en Europe où la commercialisation a débuté depuis peu. Les plus gros marchés pour lenono sont actuellement les États-Unis, où il est commercialisé comme complément alimentaire, suivis du Japon où il est vendu comme aliment depuis 1999, et de la Corée et plus récemment de la Chine. La demande de nono n’a cessé de s’accroître depuis 1996, date de création de Morinda Inc.5. De nouvelles perspectives s’ouvrent avec l’ouverture du marché européen6. Le jus de nono peut désormais être mis sur le marché des pays de l’Union européenne comme ingrédient dans les jus de fruits pasteurisés. Actuellement, les plus gros marchés européens sont l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie. Cependant, si l’on en croit les experts réunis à Port Vila en février 2002 pour le Forum des industries des plantes médicinales du Pacifique, la production excéderait la demande.
50La Polynésie française n’est pas la seule zone de production du nono. Sur le marché des États-Unis, le nono de Hawaï est très présent et la fabrication de jus de nono se développerait aux Fidji7. Il y a aussi des plantations dans les Caraïbes et en Amérique du Sud. Plusieurs îles du Pacifique envisagent de se lancer dans la production de jus de nono, pour compenser les pertes de revenus à l’exportation consécutives à la crise actuelle du kava (Downes, 1997). Un des arguments de Morinda en faveur de son produit est la qualité supérieure du nono de Polynésie française, particulièrement de celui des Marquises, mais en l’absence d’évaluation contradictoire il est sans doute difficile d’en juger. Il semble que l’expertise sur le nono soit assez directement contrôlée par Morinda et qu’avis scientifique et arguments marketing soient souvent mêlés dans la communication « institutionnelle » sur le nono.
51Il est difficile de prédire ce que sera l’avenir du marché du jus de nono. Quelque peu échaudés par l’exemple du kava, les experts sont sceptiques et jugent qu’une poursuite de la croissance n’est pas plus probable qu’un effondrement du marché. Lors de la réunion en février 2002 du Forum des industries des plantes médicinales du Pacifique, certains spécialistes auraient présenté le jus de nono comme le prochain produit à risque après le kava (Keith-Reid, 2002b). Les vertus du jus de fruit de nono seraient discutables, ou du moins n’auraient rien d’exceptionnel. L’avenir du nono sur le marché européen serait incertain, le positionnement du produit étant probablement plus délicat qu’aux États-Unis. Notons qu’aux États-Unis, Morinda s’est fait épingler en 1998 pour avoir évoqué dans sa communication les vertus médicinales du jus de nono alors que ce produit n’a pas l’agrément de la Food and Drug Administration. Les méthodes de vente de Morinda ont également été critiquées, notamment pas la justice suisse, qui a alerté le public du caractère illégal de ses procédés de vente dits « boule de neige » (Office fédéral de la justice suisse, 2001).
52Si la situation actuelle de l’exploitation du nono est jugée satisfaisante par les autorités de Polynésie française, il n’y a pas de raison particulière d’envisager des changements. Si le succès commercial du nono ne se dément pas, le développement de nouvelles marques, destinées en particulier aux marchés européens, peut être justifié. Toutefois, dans la mesure où l’essentiel du succès du nono repose sur le marketing, il serait souhaitable de commander au préalable une étude à un cabinet de conseil spécialisé.
53Compte tenu du nombre de noms de marques comportant les mots « Tahitian Noni » déposés par Morinda Inc., le développement d’une indication géographique paraît peu adapté. Les préparations commercialisées sur les marchés étrangers n’ont du reste pas grand-chose à voir avec les utilisations traditionnelles de la plante (Dixon et al., 1999). Enfin, la spécificité du nono de Polynésie devrait être démontrée, sa qualification comme « produit de terroir » n’est peut-être pas évidente.
3.3 Le tamanu (Callophyllum inophyllum)
54L’huile de tamanu (Callophyllum inophyllum) est un produit relativement confidentiel par rapport au nono ou au kava. Le tamanu est vendu sur les sites Internet qui proposent également du nono et, de façon plus générale, des produits originaires du Pacifique.
55D’après la dépêche de Tahitipresse annonçant la création d’un syndicat interprofessionnel de l’huile de tamanu (Dépêche de Tahitipresse, 2003), il y aurait des problèmes d’approvisionnement des producteurs d’huile en matière première. La création du syndicat a pour but de surmonter ces problèmes et de parvenir à une meilleure organisation de la filière de production, de la récolte à la distribution. Il est également question de développer les exportations en visant les marchés internationaux, ce qui requiert au préalable des tests de validation des vertus de l’huile et le dépôt d’une appellation cosmétique auprès de l’INCI (International Nomenclature of Cosmetic Ingredients). Des analyses génétiques seraient en cours et des projets de plantation à l’étude.
56Les résultats de ces diverses démarches devraient permettre de déterminer la stratégie à adopter en matière de valorisation économique.
57Dans la mesure où le tamanu n’est pas originaire de Polynésie française et où il est répandu dans une grande partie de l’Asie du Sud-Est, du Pacifique et même en Inde, il paraît difficile d’obtenir une appellation d’origine pour la matière première. Cependant, s’il est prouvé que l’huile de tamanu de Polynésie française a des vertus particulières liées à un mode de préparation traditionnel des noix, elle pourrait être éligible pour une indication géographique. Reste à savoir si cela serait rentable et opportun. Si l’huile de tamanu est appelée à être utilisée comme matière première dans l’industrie cosmétique, une telle protection n’est pas forcément indiquée.
58La concurrence potentielle serait importante s’il s’avérait que l’huile de tamanu eût un avenir commercial à l’exportation. Une entreprise du Vanuatu, Industrial Botanicals Corporation Ltd, à Santo, s’est ainsi lancée récemment dans la production d’huile pour le marché américain (Keith-Reid, 2002a). Le dépôt d’une marque collective pourrait être envisagé par le syndicat interprofessionel de l’huile de Tamanu si les résultats des diverses études lancées sont concluants.
59Pour tous les autres produits, il faudrait réunir des informations sur les filières de production et les marchés potentiels, c’est-à-dire aussi bien les types de commercialisation envisagés – médicaments, cosmétiques, compléments alimentaires, etc. – que les aires géographiques visées et les modes de distribution. Dans une perspective de protection des produits de Polynésie française, il faudrait s’attacher à évaluer leur spécificité par rapport à des produits similaires venant d’autres îles du Pacifique, voire d’autres parties du monde. Il conviendrait de façon plus générale de mettre en avant les avantages comparatifs du territoire, ses éléments d’attractivité.
4. Conclusion : quelles orientations en matière de valorisation économique ?
60Comme nous l’avons vu, le choix d’un mode de protection pour un produit, permettant de tirer au mieux profit de sa réputation et des investissements réalisés en termes de qualité, nécessite une bonne connaissance des filières de production et des marchés réels ou potentiels. Ces informations n’ont pu être collectées dans le cadre de l’expertise, ce qui limite la portée des conclusions qui peuvent être tirées. La recommandation majeure consiste à réaliser des études de filière et de marché pour les produits identifiés et à mener sur cette base et avec l’aide d’un conseil en stratégie une réflexion plus générale sur les positionnements envisageables pour la Polynésie française en matière de commercialisation de produits tirés de substances naturelles.
61Pour tous les produits identifiés comme potentiellement intéressants par l’expertise, il faut :
Développer les recherches agronomiques, chimiques et génétiques sur les variétés concernées de façon à démontrer leur absence de toxicité et leur originalité par rapport à des variétés proches, et à obtenir une production de bonne qualité. Il convient également de bien décrire et étudier les modes d’utilisation traditionnelle de façon à les comparer et les distinguer d’éventuelles préparations industrielles (WHO Pharmaceuticals Newsletter, 2003).
Développer les études de filières et favoriser l’organisation des producteurs et des interprofessions (création de syndicats, de groupements…).
Réaliser des études de marché pour choisir en connaissance de cause un type de positionnement du produit et des pays cibles privilégiés pour l’exportation, ces deux éléments étant liés. Ces études devraient aussi permettre de définir les modes de distribution les plus appropriés.
Participer aux initiatives régionales de valorisation et de normalisation, et à d’éventuelles actions de lobbying pour défendre les produits.
62Pour limiter la vulnérabilité des systèmes de production et éviter que ne se reproduise une crise comparable à celle du kava :
Miser sur une diversification plutôt que sur un seul produit. Les effets de mode sont très importants sur les marchés des produits naturels. La réaction du marché à des effets d’annonce sur la toxicité des produits, y compris infondés ou concernant des applications très éloignées, peut être très rapide et démesurée. Le marché est en outre à la merci de l’évolution du cadre réglementaire dans les pays importateurs.
Privilégier les produits qui ont déjà un marché local et régional (Pacifique).
Ne pas fonder d’espoirs démesurés dans la possibilité d’un commerce lucratif de plantes utilisées dans la pharmacopée traditionnelle. Les revenus seraient vraisemblablement davantage à attendre de produits plus standards, comme la vanille, que de plantes médicinales.
63En 2002, aucune plante originaire du Pacifique ne figurait parmi les 18 meilleures ventes en Europe et 79 % des plantes médicinales originaires du Pacifique étaient utilisées dans le Pacifique (Trade Forum, 2002). Le restant était exporté vers la Chine (de l’ordre de 4 %) et les marchés occidentaux (16 %), principalement l’Europe et les États-Unis. La valeur ajoutée se répartirait à peu près de la même façon pour toutes les plantes médicinales, les matières premières ne représentant que 8 % du prix de vente final du produit, les grossistes et les distributeurs réalisant respectivement des marges de 25 et de 50 %.
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Notes de bas de page
1 Les exportations de plantes médicinales vers les États-Unis ont nettement augmenté après le Dietary Supplement Health and Education Act, adopté par le Congrès en 1994, qui a permis la commercialisation en masse de produits à base de plantes comme compléments alimentaires.
2 Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, en anglais TRIPS
3 D’après sa publicité, Pure World Botanicals s’alimenterait en kava principalement au Vanuatu.
5 Le chiffre d’affaires annuel de Morinda devrait atteindre le milliard de dollars dans les deux ans si la progression se poursuit au même rythme.
6 La Décision 2003/426/CE, parue au Journal officiel L 144 du 12.6.2003, autorise la mise sur le marché du « jus de noni » (jus de fruit de Morinda citrifolia L.) au titre d’« aliment nouveau ».
7 Pacific Forest Islands and Trees, juin 1999 ; David Khan, Kura Exporter, Caubati-Fidji.
Auteur
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