Développement des filières de production adaptées aux substances naturelles en Polynésie française
p. 135-149
Texte intégral
1. Généralités
1L’objectif de valorisation des ressources naturelles de Polynésie française passe par une étape obligatoire de mise en place de filières de production visant à assurer l’approvisionnement des activités de transformation en aval, et, au final, la satisfaction des besoins du marché, actuel ou potentiel.
2Pour être viables et jouer pleinement leur rôle économique, ces filières doivent répondre à un certain nombre d’objectifs économiques mais aussi sociaux, parfois contradictoires :
Stabilité. La condition sine qua non du développement d’une filière de valorisation est que soit mise à sa disposition une matière première naturelle, cultivée ou collectée, stable en quantité. Cette exigence de stabilité doit prendre en compte les phénomènes de saisonnalité mais aussi les aléas climatiques au travers de la mise en place d’une logistique adaptée (dispersion des cultures, stockage, pré-transformation…).
Qualité. L’objectif n’étant pas de produire une ressource naturelle mais bien d’alimenter une activité de valorisation, il est nécessaire de développer et de produire selon des critères de qualité spécifiques, définis à l’avance.
Prix. Le prix proposé pour les productions doit être suffisamment attractif pour permettre la mise en place d’une filière de valorisation viable. Mais il s’agit sans doute d’un des points les plus critiques. Le surcoût lié à l’insularité et au système social français rend la compétitivité de certaines productions incertaine. Cela sera en particulier le cas pour des ressources largement répandues au niveau mondial comme le tamanu. La compétition des pays à faible coût de main-d’œuvre ne sera supportable que s’il est possible de valoriser une spécificité locale forte (qualité ou image).
Développement social. Le contexte de forte dépendance sociale d’une production agricole comme le coprah incite à privilégier la piste d’une production « familiale » pour autant qu’elle soit compatible avec les objectifs économiques envisagés.
3Il est cependant important de signaler dès ce préambule que les modalités de mise en place et de développement de filières de productions sont spécifiques :
à la plante (annuelle/ pérenne, collecte/ culture…) ;
à l’utilisation et au mode de transformation envisagés (exportation en l’état/ transformation sur place, alimentation/ pharmacie…) ;
au marché visé (local/ exportation, marché de masse/ niche…).
4Dans ce contexte, il sera pas aisé de détailler l’organisation de filières dont nous ne connaissons pas, à ce stade, la finalité. Nous nous efforcerons cependant de dégager un certain nombre de grandes orientations applicables aux espèces retenues comme prioritaires dans le cadre de cette expertise collégiale.
2. Constat : les productions actuelles
5L’existence sur le territoire d’un certain nombre de productions est un fait positif puisqu’elles peuvent servir de références pour la mise en place de nouvelles filières. Ces filières donnent une première idée du potentiel de production et d’organisation existant.
6Si l’on exclut le cas du coprah, dont le maintien relève plus du traitement social de l’insularité que d’une volonté de développement à travers une action économique, trois exemples sont à retenir : morinda (nono), vanille et monoï.
7Ces trois exemples présentent l’intérêt d’illustrer la mise en place de trois filières selon des modes d’organisation différents, étant destinées, comme nous allons le voir, à des secteurs économiques différents.
2.1 Morinda citrifolia (nono)
8Cette filière est un très bon exemple d’une production récente destinée au marché international.
9Le marché visé est celui des compléments alimentaires, principalement aux États-Unis, mais ce peut être aussi l’Europe dans un futur proche, puisqu’une autorisation de commercialisation vient d’y être délivrée.
10Le grand intérêt de cette filière réside dans son mode de mise en place et son organisation :
La demande provient d’une firme privée en prise directe sur le marché.
L’intérêt marketing est important en termes d’image du produit : Polynésie = pureté originelle, nono polynésien = produit purifiant +/– universel.
Les besoins en matière première (fruits de nono) sont assurés dans un premier temps par la collecte de plantes sauvages avec passage progressif à une organisation de la culture pour faire face à la montée en puissance des besoins.
Le rapport financier est intéressant pour les producteurs de fruits en raison du faible investissement de base nécessaire et du rapport prix de vente sur effort requis relativement élevé par rapport aux productions traditionnelles comme le coprah. L’absence (ou le faible nombre) d’intermédiaire(s) entre le producteur de fruits et l’utilisateur final est sans doute aussi un élément très positif.
11La limite de cette filière réside certainement dans le caractère « volatile » et scientifiquement peu fondé des allégations santé prêtées au nono. Comme tous les compléments alimentaires de ce type, le nono peut se révéler très sensible à une contrepublicité occasionnée par des cas d’intolérance ou d’effets secondaires, ou à une attaque via des allégations au caractère non scientifique.
12L’usure dans le temps de l’effet marketing n’est pas non plus à négliger.
2.2 Vanille
13Il s’agit d’une filière traditionnelle, principalement destinée à l’industrie alimentaire et à l’exportation, même si une partie du produit peut être commercialisée sur place.
14Cette filière peut se révéler intéressante en termes de développement potentiel car elle concerne un produit pour lequel il existe un réel marché international.
2.3 Monoï
15C’est le produit polynésien typique (et typé).
16Le marché visé est celui des produits de cosmétologie, à deux niveaux :
les produits locaux vendus sur place (produits finis), principalement aux touristes ;
le marché international où le monoï est un ingrédient de formulation dans des compositions utilisant l’image de la Polynésie.
17L’organisation de la filière de production de la matière première (fleur de tiaré) paraît être restée très artisanale et familiale. Cette forme de production est un bon compromis entre nécessité de production et efficacité sociale tant qu’elle permet un approvisionnement suffisant du marché.
18La mise en place d’une structure de type GIE pour assurer la promotion du monoï est un bon exemple de structuration d’une filière. Elle montre la capacité des intervenants du territoire à travailler ensemble pour le développement d’un produit.
19La limite du développement du produit monoï, au moins sur les marchés internationaux, réside probablement dans le manque d’efficacité objectivée de cette préparation, qui en détourne les formulateurs à la recherche d’un effet biologique prouvé.
20Par ailleurs, l’existence d’une AOC, si elle se révèle sans doute positive quant à la protection des produits fabriqués sur place, a cependant un effet négatif sur son utilisation comme ingrédient dans des produits finis, car elle introduit des contraintes de formulation toujours difficiles à gérer.
3. Les conditions de mise en place de nouvelles filières
21Avant de mettre en place une politique de développement ou d’incitation au développement de filières de production, un certain nombre de conditions doivent être remplies, ou, tout au moins, prises en compte et évaluées.
22On ne devrait envisager d’injecter de l’argent ou des moyens (ce qui revient au même) que lorsqu’il existe une probabilité raisonnable de succès ou de progrès. L’engagement de programmes de développement non maîtrisés aboutit, généralement, à des échecs qui découragent les tentatives ultérieures (on en connaît des exemples, y compris en métropole).
23Nous avons listé ci-après un certain nombre de points qu’il nous semble important de prendre en compte dans ce cadre.
3.1 Besoin du marché
24Il ne peut y avoir de développement d’une filière de production que s’il existe un besoin réel du marché pour ce produit. Toute autre démarche relève plus d’un traitement social que d’un traitement économique.
25En général, on ne peut que constater l’échec des projets de développement basés une réflexion du type :
nous disposons d’un produit (ou souvent d’un sous-produit) ;
nous savons le produire en quantité ;
nous allons le commercialiser,
et enfin nous verrons s’il y a des clients.
26En parallèle, la démarche consistant à aller voir un industriel pour lui demander : « De quelle plante avez-vous besoin ?, je peux la produire pour vous », est également vouée à l’échec. Lorsque le besoin industriel est présent, l’utilisateur responsable a depuis longtemps élaboré sa stratégie d’approvisionnement.
27Il nous semble donc important de privilégier l’identification des besoins avant d’envisager tout autre étape et tout investissement (humain et matériel).
28À ce stade, l’intervention, en appui ponctuel ou à plus long terme, d’organismes officiels comme l’ONIPPAM (Office national interprofessionnel des plantes à parfums, aromatiques et médicinales), qui apporte sa connaissance du marché des plantes, national et international, à la fois au niveau de la production et des débouchés, peut se révéler tout à fait pertinente.
29Cependant, le besoin pour une ressource naturelle (animale, végétale, marine) peut également se révéler au niveau de la phase de R&D. Il est alors très intéressant, dans le cadre d’un partenariat avec l’utilisateur, d’étudier d’emblée la mise en place des conditions de production.
30En règle générale, cette stratégie, qui suppose une proximité de contact avec les utilisateurs, peut se révéler extrêmement payante pour deux raisons :
Les contacts fréquents permettent d’instaurer toute la confiance nécessaire pour un projet à moyen ou long terme.
L’étude d’un projet dès la phase R&D permet de prendre une longueur d’avance sur ses éventuels concurrents.
31Une autre approche, plus institutionnelle, consisterait à partir d’un produit élaboré ou semi-élaboré existant traditionnellement sur le territoire, et d’en étudier le potentiel économique et réglementaire d’introduction sur les marchés extérieurs au territoire.
32Cette démarche suppose un investissement initial, mais raisonnable, dans des études réalisées par des cabinets compétents.
3.2 Faisabilité matérielle
33La possibilité de création d’une filière sur le territoire polynésien est bien entendu fonction d’un certain nombre de conditions matérielles évidentes. Voici les principales :
Les terrains nécessaires doivent être disponibles. Du fait de la faible superficie de l’archipel, de son morcellement géographique et de la structure de son foncier, ce type de production semble difficile (mais pas impossible) à mettre en place.
La culture de la plante doit être possible. S’il s’agit d’une plante sauvage, un programme de domestication doit être mis en place et couronné de succès.
Si la ressource est suffisamment disponible, une structure de collecte doit pouvoir être organisée dans des conditions respectueuses de la pérennité de la ressource.
Le personnel nécessaire doit être disponible, ce qui se révèle parfois une contrainte certaine pour les récoltes saisonnières.
3.3 Environnement technique
34Une filière de production structurée n’est jamais une entité autonome vivant sa vie indépendamment du milieu qui l’entoure.
35Des points de communications et des synergies sont nécessaires avec le milieu économique du territoire pour assurer la mise en place et le développement de la filière.
36Le premier besoin consistera en la présence de structures de recherche, fondamentale et appliquée, qui assureront l’appui scientifique et technique nécessaire. Les domaines de compétences recherchés seront principalement de deux types :
Des laboratoires de chimie qui se chargeront de la connaissance fondamentale de la composition de la plante (ou autre ressource) mais qui assureront aussi, par exemple, la mise au point des méthodes d’analyses nécessaires au suivi des programmes de sélection agronomique ou à l’évaluation des ressources sauvages.
Si la partie connaissance fondamentale peut être assurée par un laboratoire géographiquement éloigné, la partie analytique doit impérativement être assurée sur place. La rapidité de réponse et l’implication du laboratoire de chimie dans les programmes de sélection sont un facteur clé du succès.Des laboratoires de biologie au sens large. Là aussi, la partie fondamentale (botanique, écologie…) peut être effectuée par des laboratoires éloignés. En revanche, les domaines appliqués, en particulier l’agronomie et les sciences proches (physiologie…), doivent impérativement disposer à la fois de laboratoires sur place mais aussi de moyens d’expérimentation au champ sous forme de parcelles d’essai ou de ferme expérimentale.
37En second lieu, il faut pouvoir compter sur l’existence dans le territoire de filières économiques proches dont les moyens techniques, les infrastructures et le savoir-faire pourront être utilisés en coopération.
38Une de ces nécessités est constituée par l’horticulture, dont les moyens techniques et le savoir-faire sont nécessaires tant à la production en masse de semences, de jeunes plants, à la multiplication des plantes, qu’à la propagation in vitro et à la conservation in vitro du germplasm d’intérêt.
39De même, pour les phases de traitement industriel des productions, la présence d’une industrie alimentaire peut se révéler très intéressante en fournissant des possibilités de première transformation sur place (cf. jus de nono produit par Jus de fruits de Moorea pour la société Morinda).
40Dans le même type de démarche, l’utilisation des systèmes de séchage, type four, utilisés en industrie alimentaire, se révèle une solution très satisfaisante pour la déshydratation de ressources végétales et leur préservation en vue d’une utilisation ultérieure. L’absence de cette possibilité technologique se révèle souvent un obstacle au bon développement de la filière.
41La proximité technologique entre l’agro-alimentaire et les industries de première transformation des ressources naturelles est une synergie qui doit être exploitée par un recensement systématique des possibilités technologiques offertes sur place.
42En règle générale, une bonne connaissance de l’environnement « technico-industriel » local est un préalable important. Ce travail d’inventaire et de mise en réseau des potentialités offertes permet un gain de temps et de moyens appréciables.
43Au-delà de ce travail local, un appui doit être recherché auprès d’organismes spécialisés de la filière plantes médicinales et aromatiques.
44Il s’agit principalement de l’ONIPPAM qui possède des possibilités de conseil technique, mais aussi de centres techniques comme l’ITEIPMAI (Institut technique interprofessionnel des plantes à parfums, aromatiques et médicinales) ou autres, spécialisés dans la recherche agronomique.
45Leur expérience, à la fois technique et économique, de ce secteur, qui se présente comme une multitude de micro-marchés, sera précieuse.
3.4 Environnement « psychologique »
46Il s’agit d’un point délicat à évaluer. Par environnement psychologique, nous entendons la volonté exprimée par les producteurs potentiels de ressources naturelles de s’engager dans cette voie.
47La volonté des autorités politiques et administratives de privilégier cette option de développement est un facteur important et positif. Cependant, s’il n’existe pas une réelle volonté des producteurs de base de s’engager dans cette production, la démarche est condamnée à plus ou moins long terme.
48L’exemple de la filière nono et des signes comme la mise en place du GIE monoï montrent toutefois qu’il existe une volonté assez générale d’emprunter cette voie, ce qui permet un optimisme raisonnable pour l’avenir.
49L’auto-organisation des producteurs, avec le soutien des autorités, sous forme de coopérative ou de groupements de producteurs est un signe positif fort de leur engagement dans cette démarche. Ce peut être l’ébauche d’une mise en place d’un instrument de régulation des marchés permettant la gestion des crises.
50À titre d’illustration de cette stratégie, la régulation du marché de l’huile essentielle de lavandin par la mise en place de quotas de production par l’organisation des producteurs concernés est, pour l’instant, le seul instrument relativement efficace de gestion des crises chroniques que connaît ce secteur depuis des années.
51Il favorise également la responsabilisation individuelle des producteurs.
3.5 Environnement réglementaire
52Un certain nombre de points ayant trait aux réglementations en vigueur ou à mettre en place doivent être pris en compte.
53Le premier concerne la possibilité de labellisation des produits. Diverses options sont possibles (cf. chapitre de V. Boisvert). Nous ne discuterons pas ces options mais nous donnerons quelques pistes fort de notre expérience.
54La certification « bio » selon les directives européennes en vigueur : il s’agit a priori d’une solution tout à fait adaptée au contexte local :
Elle est adaptée aux productions de petite surface.
Elle nécessite un surcroît de main-d’œuvre par rapport aux productions traditionnelles.
Elle bénéficie d’une bonne image auprès des consommateurs des pays développés.
Elle permet un prix de vente plus attractif.
Le mode de production « bio » est maintenant reconnu pour les ingrédients et les produits de cosmétologie.
55Cette certification est particulièrement adaptée aux produits alimentaires, et l’est maintenant, dans un contexte qui reste à étudier du fait de la nouveauté des textes, aux produits de cosmétologie.
56En secteur pharmaceutique, cette certification ne présente quasiment aucun intérêt, les médicaments étant exclus du champ de la certification bio.
57La labellisation AOC est surtout adaptée aux produits finis directement vendus aux consommateurs.
58Appliquée à des ingrédients intermédiaires utilisés par des industriels dans des formulations, elle induit des contraintes de formulations supplémentaires (pourcentage incorporé…) qui nuisent au développement de son utilisation.
59L’exemple de l’huile essentielle de lavande dont l’AOC a failli disparaître par manque d’utilisation est là pour en témoigner. À l’heure actuelle, la principale utilisation de cette AOC concerne, non pas les gros volumes d’huile essentielle utilisés par les industriels, mais les petites quantités vendues directement pour l’aromathérapie.
60Ce type de certification est également de peu d’intérêt pour le secteur pharmaceutique qui ne peut le valoriser.
61L’origine géographique, quel que soit son mode de certification, ne semble présenter d’intérêt que pour la commercialisation d’un produit fini fortement marqué « terroir ». Le consommateur peut être sensible à cet argument marketing.
62Au cas par cas, il sera possible de discuter des possibilités de contrat d’exclusivité avec un utilisateur sur des productions locales. Cette modalité de travail peut avoir un effet fortement incitatif sur l’utilisateur en lui permettant de développer un marketing exclusif.
63Cependant, cette politique a des limites évidentes :
L’industriel doit s’engager en termes de volume et/ou de chiffre d’affaires à réaliser, simplement pour ne pas bloquer la voie à un concurrent.
Le contrat doit porter sur le long terme.
L’utilisation faite de l’image doit être contrôlée par le territoire.
64Enfin, dans un but prospectif, attention doit être portée aux réglementations ou recommandations à venir ou en cours d’application :
convention sur la biodiversité (même si sa portée est difficile à cerner) ;
recommandations de l’OMS sur la collecte des plantes sauvages ;
recommandations de l’EMEA (European Medicine Evaluation Agency) sur les bonnes pratiques agricoles pour les plantes médicinales.
4. Après les filières
65La mise en place d’une filière étant une chose bien comprise, il importe également d’assurer son avenir. À cette fin, un certain nombre d’actions peuvent être mises en place.
66Les actions de communication sont parmi les premières à étudier. La production d’une ressource naturelle, brute ou transformée, doit s’accompagner de sa promotion. Et les moyens appropriés doivent être mis en œuvre.
67S’il s’agit d’une matière brute ou peu transformée, destinée à être utilisée comme ingrédient de formulation, quel que soit le secteur économique visé, il est judicieux de travailler avec un distributeur, de préférence international, bien introduit chez les utilisateurs potentiels. Il sera le plus à même de procéder au travail long et fastidieux d’approche et de démarchage des clients.
68En parallèle, il faut concevoir des actions de marketing direct : participation aux salons professionnels internationaux, site Internet, publicité dans la presse écrite, peuvent être prévus, éventuellement en partage de fais avec le distributeur.
69Si nous avons affaire à un produit fini, la communication dépendra de la stratégie de marketing/ vente envisagée. Mais dans tous les cas, s’agissant de produits originaires d’un territoire géographiquement isolé comme la Polynésie française, une stratégie Internet est un minimum requis.
70Une R&D prospective peut également être envisagée. Cette action peut être gérée par les organes professionnels de producteurs.
71Ses tâches pourraient être :
de prévoir (si possible) l’évolution technologique du produit et de planifier les travaux de développement à effectuer ;
de lancer des programmes d’amélioration génétique/ agronomique ;
de développer des programmes de caractérisation et d’objectivation des activités biologiques des ressources naturelles produites ;
de mettre en place des programmes de défense si le produit est attaqué, par exemple des études de toxicologie sur le modèle de l’étude clinique lancée par les producteurs français d’huiles essentielles de lavande et de lavandin.
72Le kawa entre bien dans le cadre de ce dernier point. La mise en place d’études toxicologiques visant à préciser son innocuité ou les conditions de son éventuelle toxicité est le type même de tâche qui pourrait être gérée par une structure scientifique, émanation d’une interprofession territoriale ou régionale.
73Pour cela, la première tâche viserait à constituer un réseau d’experts et de laboratoires intéressés pour participer à ces travaux.
74À partir du moment où un produit est entré en production, une démarche de prospective économique est également envisageable. Elle consisterait à évaluer l’évolution des marchés existants, à identifier de nouveaux marchés, à étudier la concurrence.
75Ces études permettent également de piloter la mise en place des programmes scientifiques nécessaires, d’assurer les arbitrages entre ces derniers et l’attribution des moyens nécessaires.
5. Les plantes prioritaires : ébauche d’étude des points critiques et des travaux à envisager
5.1 Ilex anomala
76Il s’agit du type même de plante dont le développement de la production jusqu’à un stade industriel (ou même pré-industriel) pose un ensemble de problèmes difficiles (mais pas impossible) à résoudre.
77Pour cette ressource, l’objectif identifiable en l’état est une production de biomasse foliaire en vue d’une utilisation comme matière première d’extraction ou ingrédient de tisane.
78Les principales contraintes identifiables sont les suivantes :
ressource se présentant sous forme d’arbre, donc de croissance longue ;
localisation écologique étroite et difficile d’accès (vallons et crêtes d’altitude) ;
pas de tradition ni même d’essais de culture ;
pas ou peu de connaissance de la biologie de cette plante.
79Pour lever ces points critiques, un certain nombre de travaux de recherche et développement doivent être mis en place :
évaluation fine des populations et des possibilités quantitatives de prélèvements, à la fois en termes d’individus entiers, de graines et de boutures ;
étude de la biologie des plantes in situ ;
étude de la composition chimique des plantes in situ, au niveau global et de la variabilité inter-individus ;
étude de la germination des graines ;
étude des possibilités de bouturage des individus d’origine et des possibilités de multiplication in vitro ;
étude des possibilités de transplantation et de culture sur des zones écologiques économiquement compatibles avec la culture ;
détermination des conditions de culture, en particulier des possibilités de conduite sous forme de taillis à forte croissance et forte productivité ;
détermination de la qualité chimique et sanitaire du produit de culture par rapport au produit sauvage ;
étude des étapes post-culture et de leur impact sur le produit : récolte, séchage, stockage…
80Cet ensemble de travaux de développement doit être conduit sous forme de programme global et cohérent, avec des points étapes lors desquels la décision de continuer ou non les travaux est prise au vu des résultats obtenus.
81Nous n’avons pas traité l’aspect réglementaire, fondamental pour le développement des marchés potentiels. Sur ce point, il faut se reporter à la contribution d’I. Fourasté.
5.2 Tephrosia piscatoria
82Cette espèce semble beaucoup moins difficile à développer que la précédente, car il existe un certain nombre de points positifs :
L’espèce est assez abondante.
Son écologie semble compatible avec des zones de culture.
Il existe une tradition de culture.
C’est un arbrisseau et non un arbre, donc de croissance plus rapide.
83On doit toutefois faire face à une difficulté supplémentaire : la partie la plus intéressante de ce végétal semble a priori être les racines. Ce facteur alourdit la mise en culture, au niveau financier (immobilisation plus longue des terrains) et pratique (nécessité de surfaces de culture importantes avec une planification et une rotation sur plusieurs années).
84Nous considérerons que cette plante sera utilisée comme matière première pour l’extraction des roténoïdes en vue d’une production de pesticides d’origine naturelle.
85Les travaux à mettre en place pourraient être les suivants :
évaluation des populations et des possibilités quantitatives de prélèvements, à la fois en termes d’individus entiers, de graines et de boutures ;
étude de la biologie des plantes in situ ;
étude de la composition chimique des plantes in situ, de la variabilité inter-individus, mais surtout de la possibilité d’utilisation des parties aériennes en remplacement des parties souterraines ;
étude des possibilités de bouturage et des possibilités de multiplication in vitro ;
détermination des conditions de culture, en particulier de la durée de culture minimale nécessaire avant arrachage ;
détermination de la qualité chimique et sanitaire du produit de culture par rapport au produit sauvage ;
étude des étapes post-culture et de leur impact sur le produit : récolte, séchage, stockage…
pré-étude de l’extraction des composés actifs.
86Là aussi, une étude globale et cohérente doit être mise en place.
5.3 Santalum insulare
87Cet arbre, dont le bois renferme une huile essentielle proche de celle du santal blanc des Indes (Santalum album), possède une valorisation évidente dans la production d’huile essentielle.
88Cette essence pourrait venir en substitution de l’huile indienne dans de nouvelles formulations. Il semble en effet difficile de remplacer l’huile indienne dans une formulation car les caractéristiques organoleptiques des deux huiles essentielles sont légèrement différentes.
89Le travail de développement de cette espèce est entamé sur le territoire (cf. fiche correspondante). Il importe de le poursuivre car l’utilisation potentielle de cette espèce est prometteuse : les besoins en huile essentielle de santal sont de plus en plus mal couverts par l’origine indienne traditionnelle.
90Les fournitures du Pacifique Sud (Australie, Nouvelle-Calédonie) ne semblent pas non plus à même de satisfaire la totalité des besoins.
91Parmi les principaux problèmes à résoudre, nous avons noté les points suivants :
La nécessité d’une caractérisation fine des huiles essentielles des différentes variétés, et de leur acceptabilité par les parfumeurs.
La mise en place d’un programme agronomique pluriannuel global. Les points sur la possibilité de multiplication par semences (disponibilité de celles-ci ?) et surtout par propagation in vitro sont prioritaires, car ils conditionnent la suite de l’étude.
92Si un passage au stade de la culture pour la distillation s’avère possible, il conviendra de se pencher sur les problèmes suivants :
La mise en culture doit être gérée de façon globale par une structure professionnelle d’organisation et de régulation sur le long terme.
La distillation sur place doit être étudiée en ayant en mémoire les besoins importants en eau et les contraintes environnementales qu’elle génère, sans doute peu compatibles avec des îles de faible surface.
La commercialisation doit être menée en partenariat avec une structure industrielle ayant une très bonne connaissance de ce marché à vocation internationale.
La mutualisation d’outils industriels de distillation/ extraction pour la production du gardénia doit être exploitée.
93Si ces conditions sont réunies, l’huile essentielle de santal, qui est un marché de niche à forte valeur ajoutée, correspondrait bien aux possibilités d’un territoire comme la Polynésie française.
5.4 Kawa (Piper methysticum)
94Le cas du kawa est très particulier. Sa production est bien connue et bien maîtrisée dans tout le Pacifique. Il n’est donc pas très utile de développer cet aspect.
95Son avenir étant très largement suspendu à des décisions des autorités de santé publique, principalement en Europe, des travaux ne semblent envisageables que sur deux points :
La caractérisation chimique et agronomique des variétés ou cultivars locaux afin d’en dégager les spécificités d’intérêt potentiel. Ce travail peut être mené à moindre frais par exemple dans le cadre d’une thèse.
La participation en coopération avec les autres États du Pacifique intéressés à des études pharmacologiques ou cliniques visant à démontrer la sécurité du kawa.
96En l’état actuel du dossier, il ne semble pas utile d’investir plus avant dans ce produit.
5.5 Vanille (Vanilla tahitensis)
97Pour cette filière actuellement en production, il est possible de se reporter à l’étude sur la secteur « cosmétologie » (voir document de synthèse, Annexe 2) consacrée à ce sujet.
5.6 Monoï (Gardenia tahitensis)
98La filière actuellement en place, basée sur une production artisanale, semble suffire à la production du monoï. Il n’est donc pas nécessaire de mettre en place quelque action que ce soit si l’on reste dans ce cadre.
99En revanche, si la production d’autres dérivés, type concrète ou huile essentielle, (sous réserve de faisabilité technique pour cette dernière), devait être envisagée, il conviendrait de mettre en place des actions de développement sur quelques points clés :
connaissance et caractérisation de la diversité génétique et chimique ;
conditions agronomiques de culture à plus grande échelle ;
technologie d’extraction (et aspects environnementaux liés) ;
marchés potentiels et circuits de distribution.
100L’étude des marchés potentiels est, bien sûr, la phase préliminaire de ces travaux.
5.7 Nono (Morinda citrifolia)
101Une filière permet actuellement l’approvisionnement des industriels utilisateurs de nono (notamment de l’un d’eux). Constitué par le fruit, le produit semble principalement provenir de collecte et d’une culture débutante.
102Les conditions d’un passage à une réelle culture de type industriel semblent assez aisées à satisfaire, et celles ayant trait à la multiplication et aux cultures sont assez bien connues car ces dernières sont déjà exploitées dans d’autres zones du Pacifique, comme Hawaii.
103Il n’y a donc pas lieu de lancer actuellement des travaux lourds au niveau de la mise en place d’une filière de production. Il importe principalement de suivre l’évolution de la demande pour, si possible, adapter l’offre.
104Si d’autres intervenants que Morinda Inc. devaient prendre de l’importance sur le marché local, il conviendrait de mettre en place un mécanisme d’organisation des producteurs et de régulation de l’offre (coopératives, groupements de producteurs, interprofession…).
105Le travail sur la qualité de la plante semble également difficile à envisager, la supériorité du nono polynésien reposant plus sur des spéculations que sur des données scientifiques validées. En tout état de cause, on ne connaît pas de critères de qualité pour ce produit autres que ceux relatifs à la qualité sanitaire (microbiologie, pesticides…).
106Des travaux visant à repérer des variétés à forte productivité pourraient éventuellement être intéressants en vue du développement futur de la production.
107Si l’utilisation de la feuille devait se développer, la problématique de développement d’une filière serait la même que pour le fruit.
5.8 Tamanu (Calophyllum inophyllum)
108Nous n’envisagerons que l’utilisation de l’huile pour des usages cosmétologiques. Les usages potentiels en pharmacie nécessiteront, s’ils aboutissent, des quantités importantes de matières premières, donc des prix bas, pour lesquels la Polynésie sera très mal placée par rapport à d’autres pays tropicaux.
109Il est cependant difficile d’envisager la mise en place d’une filière de production pour cet arbre. La demande est en effet pour l’instant embryonnaire et couverte par la collecte, et la meilleure qualité potentielle de l’huile polynésienne pour l’utilisation en cosmétologie ne paraît pas étayée par des données fiables.
110Il semble donc que les seules actions à entreprendre concernent la caractérisation de la qualité de l’huile et la mise en place de structures organisées de collecte des fruits.
111En fonction de l’évolution de la demande, un passage à un stade de culture plus industriel est envisageable. Toutefois, en raison de la longueur du cycle de développement de l’arbre et de la concurrence internationale potentielle, cela ne semble pas très raisonnable.
6. Conclusion
112Compte tenu du caractère très prospectif de cette étude, il est malaisé de donner des directions précises concernant la mise en place de filières de production. Nous nous sommes donc borné à en définir le cadre général et les objectifs, tout en nous attachant à un certain nombre de difficultés spécifiques.
113Il faut garder à l’esprit les points suivants :
Ces actions de développement doivent être conduites à partir de demandes du marché.
Elles conservent un caractère aléatoire relatif au succès des produits sur le marché.
Compte tenu de la taille et de l’isolement du territoire, il faut veiller à ce que les actions aient une dimension régionale.
Auteur
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Substances naturelles en Polynésie française
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Jean Guezennec, Christian Moretti et Jean-Christophe Simon (dir.)
2006
L’énergie dans le développement de la Nouvelle-Calédonie
Yves Le Bars, Elsa Faugère, Philippe Menanteau et al. (dir.)
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Didier Fontenille, Christophe Lagneau, Sylvie Lecollinet et al. (dir.)
2009
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La dengue dans les départements français d’Amérique
Comment optimiser la lutte contre cette maladie ?
Raymond Corriveau, Bernard Philippon et André Yébakima (dir.)
2003
Agriculture biologique en Martinique
Quelles perspectives de développement ?
Martine François, Roland Moreau et Bertil Sylvander (dir.)
2005
Lutte contre le trachome en Afrique subsaharienne
Anne-Marie Moulin, Jeanne Orfila, Doulaye Sacko et al. (dir.)
2006
Les espèces envahissantes dans l’archipel néo-calédonien
Un risque environnemental et économique majeur
Marie-Laure Beauvais, Alain Coléno et Hervé Jourdan (dir.)
2006
Les ressources minérales profondes en Polynésie française / Deep-sea mineral resources in French Polynesia
Pierre-Yves Le Meur, Pierre Cochonat, Carine David et al. (dir.)
2016
Le développement du lac Tchad / Development of Lake Chad
Situation actuelle et futurs possibles / Current Situation and Possible Outcomes
Jacques Lemoalle et Géraud Magrin (dir.)
2014