Le contexte de la valorisation des substances naturelles : dimensions économiques, sociales et institutionnelles1
p. 107-134
Texte intégral
1. Quelques points de repère : les atouts exploitables d’un contexte pénalisant
1.1 Un territoire caractérisé par la dispersion insulaire
1Le territoire de Polynésie française comprend 76 îles habitées, soit 3 500 km2 de surface, mais il détient une surface agricole exploitable fortement contrainte par la topographie et l’environnement – en particulier sur les îles hautes –, ainsi que par les habitats et les infrastructures (Berthommé et Ferraton, 1999). La ressource foncière semble donc limitée pour des productions nouvelles. Cependant, on peut identifier des facteurs de développement tant au niveau d’une réserve de terres notamment domaniales, et aussi d’un potentiel de redynamisation de l’agriculture traditionnelle révélé par des projets en cours de mise en œuvre.
2Il est crucial de prendre en compte ces disparités et ces contraintes spatiales dans les schémas de développement du territoire : les nouvelles filières d’exploitation de substances naturelles peuvent-elles contribuer à générer des activités novatrices pour les populations des îles distantes ? Ces filières permettraient-elles le développement de sites d’extraction ou de cultures bénéficiant aux populations locales ? Comment les interactions entre acteurs privés et publics peuvent-elles contribuer à créer des activités, à former et motiver des producteurs, et à atténuer les effets défavorables tels que les structures de coûts de transport inter-îles ?
3Les démarches des acteurs économiques sont très marquées par la diversité des ressources et des sites d’activité, dépendant donc du système des îles et archipels : par exemple, le poids des îles Sous-le-Vent dans la filière vanille, le rôle de la filière coprah pour les Marquises ou encore les nouvelles tentatives de dynamiser la production fruitière : ananas de Moorea, mangues aux Marquises, agrumes des îles Sous-le-Vent. L’enjeu des archipels géographiquement défavorisés comme les Marquises par exemple suscite des réflexions et des mesures politiques particulières : leur activité économique souffre de systèmes de production agricoles vivriers précaires, de l’éloignement effectif et mental – à la fois en termes d’insertion dans les projets d’entreprises et aussi de coût d’accès pour se lier à des réseaux de production ou de services.
4L’étude socio-économique a rencontré ces questions sous divers aspects tant dans l’exploitation des documents (Présidence du gouvernement de la Polynésie française, 2000) que lors des entretiens menés avec les administrations et les responsables d’entreprises. La plupart des acteurs se préoccupent de ces disparités interarchipels et le gouvernement entend développer des politiques volontaristes, dotées de moyens financiers : déconcentration administrative, promotion du tourisme à petite échelle, investissement pour l’agriculture. Cependant, il n’a pas été possible – pour des raisons de programme – de recueillir directement les points de vue d’acteurs implantés dans des archipels éloignés.
1.2 Une ressource humaine limitée mais une croissance démographique soutenue
5La Polynésie française compte une population de 246 000 habitants (estimation ISPF, Institut statistique de Polynésie française) – concentrés à 70 % à Tahiti, et près de 90 % dans les îles de la Société – avec un accroissement démographique soutenu expliquant la jeunesse de cette population (un taux de 15 pour mille, environ + 3 600 habitants par an). Les projections démographiques envisagent un accroissement de la population en âge d’activité de près de 4 000 hommes et 6 000 femmes entre 2002 et 2007. Il en découle un défi réel de création d’emplois – auquel il faut ajouter celui de la dispersion insulaire des populations.
6Dans ce contexte, les enjeux de formation se posent avec acuité. Le rapport d’évaluation et de prospective déjà cité dresse un bilan particulièrement étayé : d’un côté, nécessité de bien cibler les formations professionnelles, notamment de niveau technicien ou BTS et DEUST, avec l’impératif d’améliorer l’adéquation formation/offres d’emploi ; de l’autre, manque d’effet de taille pour l’Université de Polynésie française.
7Le rapport annuel de l’institut d’Émission d’outre-mer souligne les progrès de l’enseignement supérieur, appuyés par des mesures incitatives du territoire : « La population étudiante, quelles que soient les filières, ne cesse de croître. Ainsi les effectifs de l’IUFM (Instituts universitaires de formation des maîtres) se sont élevés en 2003 à 140 étudiants en première année contre seulement 50 en 1996… De même les étudiants qui poursuivent leurs études hors de la Polynésie française sont plus nombreux (+ 47 % entre 1996 et 2002) avec 378 élèves boursiers en France et 4 à l’étranger en 2003. Les effectifs de l’Université de Polynésie française sont également en augmentation continue. À la rentrée 2003, l’Université a accueilli 2 318 étudiants, dont 33 % inscrits dans la filière droit/AES et 24 % dans la filière langues, contre environ 1 400 en 1996. Afin de pallier le déficit de cadres, le gouvernement de la Polynésie française a pris en août 2003 deux mesures en faveur des étudiants. La première concerne la majoration des bourses dans les filières prioritaires que sont notamment la santé, l’éducation, l’action sociale, la gestion ou le tourisme. La seconde porte sur la création d’un dispositif de "corps de volontaires au développement" […] mis en place afin de favoriser l’adaptation à l’emploi et l’insertion professionnelle des résidents polynésiens… » (IEOM, 2004).
8Ajoutons à cela le fait que les jeunes Polynésiens diplômés de l’enseignement supérieur (principalement de France) semblent avoir été fréquemment intégrés dans des postes administratifs, ne leur permettant guère – au moins dans un premier temps – de mettre en avant leur expérience scientifique2.
9Une valorisation des substances naturelles peut agir à ce niveau comme un stimulant : ce, dans le cadre des filières de formation initiale qui touchent un petit nombre de jeunes Polynésiens, mais aussi en ayant pour effet de populariser une culture scientifique sur les ressources du territoire. La valorisation des substances peut aussi contribuer à réhabiliter et promouvoir les filières de production plus classiques fondées sur la ressource terrestre ou marine. Cette démarche de promotion est largement engagée par le territoire, avec des moyens substantiels et des dispositifs adaptés (filière pêche hauturière, filière vanille).
1.3 Un marché local étroit et des marchés internationaux distants
10Le marché local est très restreint : il ne peut donc pas soutenir le développement d’un produit innovant à forte valeur ajoutée – tout au plus peut-il contribuer à préserver ou tester un produit fondé sur des savoirs locaux. C’est le cas pour les pharmacopées et la cosmétique traditionnelles, par exemple l’huile de tamanu. Pour autant, il y a un potentiel. Ainsi la production de jus de fruit peut-elle encore renforcer son approvisionnement local et restreindre les importations. Dans le même ordre d’idées, certains produits cosmétiques sont demandés par le secteur touristique.
11Les industriels polynésiens – et l’administration – sont informés sur les marchés étrangers. Certes situées en regard de la métropole et de l’Europe, les relations économiques (exportations, investissements) n’en sont pas moins connectées avec l’Asie et le continent américain mais aussi la Nouvelle-Zélande.
12La destination des exportations est révélatrice de la segmentation des marchés. Le Japon et Hong Kong sont de loin les premières zones d’exportation (en raison de la demande des perles de Polynésie dans ces pays), suivis par les États-Unis. Au cours des trois dernières années, il faut ajouter les exportations vers les pays de l’Union européenne aux ventes vers la France métropolitaine pour atteindre le montant des exportations dirigées vers les États-Unis.
13Ce qui peut apparaître comme un handicap lourd se révèle en fait comme une contrainte face à laquelle les Polynésiens ne sont pas désarmés. Les entreprises semblent prêtes à jouer sur plusieurs tableaux. Le territoire s’inscrit dans des réseaux d’échange, de promotion, qui se densifient et peuvent aussi se diversifier. Ainsi le service de promotion des investissements vise-t-il les principaux pays voisins : d’abord le Japon, mais aussi la Nouvelle-Zélande3.
1.4 La référence économique du tourisme et de la filière perliculture
14En termes de fondamentaux économiques, l’économie de la Polynésie reste largement appuyée sur les transferts de la métropole (de l’ordre de 55 % du produit intérieur brut), ce qui justifie amplement les préoccupations de diversification de l’économie. On doit notamment rappeler qu’une convention pour le renforcement de l’autonomie économique de la Polynésie française a été signée en 1996 pour dix ans. Elle prévoit des flux financiers destinés à « pallier la diminution des transferts liés à l’arrêt du Centre d’expérimentation du Pacifique » (IEOM, 2002). Dans ce cadre, un fonds pour la reconversion économique de la Polynésie (FREPF) a permis la mise en place d’une société de financement des projets privés – la SOFIDEP (voir paragraphe§ 4.2).
15Dans ce contexte, quelques activités productives très visibles polarisent la création de richesse du territoire. Les recettes de la perliculture sont stabilisées, après une forte régression due à une surproduction et une saturation des marchés internationaux. Les perles représentent 80 % des exportations en 2001 et, avec celles du tourisme, elles peuvent symboliser la rente économique tirée de l’image de la Polynésie française, mais aussi une activité construite progressivement et dont la compétitivité nécessite des efforts accrus et une bonne coordination entre acteurs privés et publics.
16Le tourisme connaît un tassement ces dernières années, mais cette tendance est à mettre principalement sur le compte de facteurs externes. Mesuré globalement, le flux actuel est de l’ordre de 190 000 visiteurs annuels – en baisse de 17 % entre 2001 et 2002. L’origine des visiteurs est d’abord l’Europe (principalement la France) pour 40 % en moyenne les dernières années, l’Amérique pour près de 40 % et l’Asie près de 20 %.
17Le tourisme a cependant bénéficié de mesures d’encouragement destinées à améliorer les infrastructures hôtelières mais aussi à diffuser l’activité, en particulier à travers la promotion des pensions ou hôtels. Comme le tourisme capitalise sur l’image du territoire et sur ses actifs spécifiques en matière de sites naturels et traditions locales, il requiert des mesures de protection de ces ressources et des politiques de développement durable (actions contre la pollution, dispositifs de partage de l’accès des utilisateurs aux lagons – cf. référence aux « plans de gestion de l’espace maritime », ci-après).
18La conjoncture économique locale reste aussi largement déterminée par les conditions économiques dans les grands pays industriels. Les flux de tourisme, la demande de perles et produits perliers sont marqués par la conjoncture nord-américaine et japonaise. C’est pour cette raison que la prudence de l’enquête de conjoncture fait place pour le début 2004 à un optimisme mesuré (sondage de conjoncture ; Service du développement de l’industrie et des étiers, ministère de la Pêche, de l’Industrie et des Petites et Moyennes Entreprises).
19Par conséquent, toute activité émergente doit se situer peu ou prou par rapport à ces « fleurons » de l’économie du territoire :
Une nouvelle valorisation des substances naturelles peut conforter l’image du « paradis préservé », et conforter les démarches de défense de l’environnement et de bonne gestion des ressources.
L’enjeu est donc qu’une activité soit relativement attractive et rentable pour les porteurs de projets ou pour les acteurs économiques d’une filière nouvelle.
En même temps, la valorisation des substances naturelles doit pouvoir démontrer son intérêt économique et social, pour s’afficher comme une voie complémentaire, même modeste, en matière de création de richesse et d’emploi. À ces conditions, elle méritera l’effort de promotion des pouvoirs publics.
20L’exemple récent du boom de la production de produits à base de nono (pourtant inattendu d’après la majorité de nos interlocuteurs) vient confirmer le bien-fondé des préoccupations de diversification : la ressource naturelle semble offrir des possibilités inexploitées, permettant en quelque sorte de concilier des activités ancrées dans le territoire et une création de valeur en répondant aux nouveaux besoins de marchés dans des pays à fort pouvoir d’achat.
21Dans ce contexte, cependant, les substances naturelles stricto sensu ne peuvent être présentées comme une nouvelle corne d’abondance à moyen terme (5-10 ans), au niveau de leur apport pour la création de richesse. À ce sujet, le passé doit inspirer un enthousiasme mesuré : d’une part, la Polynésie a connu des vagues d’activités non pérennes au cours du xxe siècle, « du coprah à l’atome » pour paraphraser le titre de l’ouvrage de notre collègue C. Robineau ; d’autre part, de nombreux interlocuteurs de Polynésie nous ont rappelé que l’engouement récent pour la perliculture et sa mauvaise maîtrise ont provoqué une crise qui continue de laisser des traces, et dans le même ordre d’idée les attentes vis-à-vis d’une filière « crevettes » se sont révélées un mirage sans suite.
2. La dynamique de production et de transformation des produits et substances naturelles dans le territoire
2.1 Quelques données actuelles
22La mission d’étude locale en octobre 2003 a pu recueillir des informations sur certaines activités de valorisation des produits naturels, bien établies dans le territoire telles que celles de la vanille, du coprah. En corollaire, des filières émergentes permettent de compléter la réflexion sur de nouveaux modèles économiques pouvant être mis en place : nono, monoï. Elles fonctionnent et se structurent de manière fort contrastée, et donc constituent autant de cas particuliers. Elles sont cependant exemplaires et fournissent matière à réflexion car leurs acteurs, leurs logiques et leurs évolutions récentes présentent un réel dynamisme, leurs modèles économiques pouvant ainsi inspirer ceux de nouvelles filières de valorisation des substances naturelles.
Le coprah et son exploitation
23Il s’agit d’une filière qui dépend principalement d’une volonté politique du territoire, à travers la Caisse de soutien des prix du coprah (établissement public fondé en 1967). Cette dernière « a pour but de soutenir les prix du coprah afin notamment d’assurer des revenus stables aux producteurs. Aux termes de la convention passée avec le territoire et la Caisse de soutien des prix du coprah, la SA Huilerie de Tahiti (établissement dont le territoire détient une participation à 99 %) s’oblige à acheter comptant l’intégralité du coprah produit dans le territoire, à un prix fixé par les pouvoirs publics4 ».
24Le mécanisme en est donc le suivant. Le coprah est récolté, préparé et conditionné pour son acheminement vers Tahiti depuis les archipels, des mandataires assurant l’expédition. Les armateurs sont réglés directement par le Service des affaires économiques. Le prix payé aux producteurs dépend de la qualité du coprah collecté. Sur les quelque 9 600 tonnes collectées en 2002 plus de 9 000 sont recensées en première qualité, payées 90 CFP/kg.
25Le prix de soutien comprend le prix d’achat au silo de l’huilerie à Papeete (103 CFP en moyenne couvrant le prix producteur, selon la qualité, majoré des frais d’acheminement depuis les îles) auquel il faut ajouter plus de 3 CFP car le prix de vente sur le marché de Rotterdam (moyenne 32 CFP) ne suffit pas à couvrir le coût d’acheminement au centre d’échange en Europe. Le coût du soutien pour le territoire en 2002 est donc d’environ 10 FCFP par kilo, soit un budget de l’ordre du million de FCFP.
26Il s’agit d’un choix politique pleinement assumé par le territoire5. On retrouve d’ailleurs des dispositifs comparables dans d’autres États du Pacifique. Concrètement, ce dispositif d’appui compte près de 3000 exploitants agricoles, principalement sur trois archipels : Tuamotu, Gambier (65 % du total avec 1940 coprahculteurs en 2002), îles Sous-le-Vent (16 %, 483 coprahculteurs), Marquises (14 %, 422 coprahculteurs). Comme un ménage moyen comprend 4 personnes, selon les termes du recensement, 12 000 Polynésiens sont liés plus ou moins fortement à cette activité. On constate un recul de la production aux Marquises (– 45 % de 2000 à 2002) probablement du fait d’une concurrence du nono, plus rémunérateur, ainsi que par des emplois dans les travaux publics, alors même que l’augmentation aux Tuamotu (+ 30 %) s’expliquerait par les difficultés de la perliculture6.
27Ces éléments permettent d’alimenter une réflexion sur l’attractivité relative des filières agricoles, et sur les choix des actifs ruraux : il est raisonnable de penser qu’à moyen terme, les actifs se positionneront sur des filières pour lesquelles le rapport revenu/effort est favorable, ce qui pourrait amener à un recul de la récolte de coprah si les perspectives offertes actuellement par le nono, et peut-être à l’avenir le tamanu, se confirment (voir ci-après).
28Cela est d’autant plus plausible que, d’après les témoins, l’effort de récolte des producteurs est substantiel dans l’archipel des Marquises, complétant d’autres pratiques culturales. Il s’agit donc d’une activité d’intérêt social, confortant une pratique agricole traditionnelle, favorisant le maintien dans les îles et l’entretien des espaces ruraux.
Les nouvelles perspectives de la filière vanille
29La filière vanille a marqué l’histoire agricole de Polynésie. Diverses sources décrivent le système extensif traditionnel de production qui permettait d’atteindre une récolte de l’ordre de 200-300 tonnes de gousses de vanille mûre dans les années 1950. Actuellement, les objectifs visent à relancer la production pour atteindre 100 tonnes fournissant 25 tonnes de vanille préparée de haut de gamme à l’intention du marché gastronomique.
30L’essentiel de la production est assuré dans les îles Sous-le-Vent. Deux systèmes coexistent : un système extensif, dans lequel les producteurs cultivent les lianes sur support naturel, dans des vergers, et système intensif, sous ombrière, dans lequel la liane est placée sur un tuteur artificiel. Dans le premier cas, la culture présente des variations de production, en fonction notamment de la dynamique des agriculteurs et des données climatiques. Dans le second cas, l’emprise foncière est moindre (permettant par exemple d’installer de nouveaux producteurs) mais la technique de culture suppose un bon contrôle en particulier des risques phytosanitaires. Au niveau de la recherche, le Cirad est intervenu à la demande du Service du développement rural, afin de travailler sur les aspects techniques (phénotypes du vanillier) et socio-économiques (système d’exploitation).
31Les efforts récents du gouvernement témoignent des espoirs importants dans les perspectives de développement. Plusieurs plans de relance et de dynamisation se sont succédé depuis les années 1980. Ils sont motivés par une hausse tendancielle des cours depuis quelques années, tant pour la vanille courante que pour la vanille haut de gamme…
32Le gouvernement du territoire a adopté une politique très volontariste fondée sur la mise en place d’un établissement public EPIC Vanille de Tahiti, doté de moyens publics importants. Il intègre des fonctionnaires du SDR (Service du développement rural) et bénéficie du contrat de Plan et a pour mission d’encadrer un programme de développement visant à installer de nouvelles exploitations intensives, en mobilisant des financements bonifiés, gérés par la SOCREDO. L’EPIC Vanille de Tahiti doit à compter de 2004 faire porter cet effort sur une labellisation, sur la promotion et la commercialisation de la vanille de Tahiti.
Nono : l’or vert nauséabond7
33Il s’agit d’un des produits phares tant de cette expertise que de la scène économique locale, divine surprise, semble-t-il, en matière de création de valeur tirée des produits naturels du territoire depuis le début de la décennie. Cette surprise, le rapport de l’IEOM l’exprime en ces termes : « La culture du nono, inexistante il y a une dizaine d’années, a profité de l’enthousiasme des consommateurs américains, convaincus de ses vertus médicinales… » (IEOM, op. cit.).
34Transformé sous forme de jus de fruit ou de complément alimentaire santé, le nono bénéficie d’une abondante promotion appuyée sur plus de 50 marques (cf. liste des sites Internet recensés par C. Bonhomme, rapport de mission préalable à l’expertise en Polynésie, en février 2003). Il s’agit d’un produit qui capitalise une demande concernant un aliment doté d’une image santé avec le thème de la nature et des traditions ethno-pharmaceutiques insulaires. Le mythe du surfeur blessé sur les coraux, se soignant grâce au jus de noni prescrit par sa grand-mère émerge facilement au fil des conversations. De nombreux ouvrages de vulgarisation confortent l’image de ce produit nouveau (Solomon, 2000 ; Elkins, 2003).
35Un de nos interlocuteurs a décrit ainsi le succès de la filière nono : « Un produit nouveau labellisé "santé" répondant aux attentes des consommateurs, plus la force du marketing à l’américaine auquel il faut ajouter la puissance du réseau financiers et commercial des mormons. » Au-delà de cette formule assez juste, et en recoupant les informations des interlocuteurs les plus compétents (Cirad, SDR, M. Besnard), on peut suggérer le diagnostic suivant :
Le nono prend une nouvelle dimension dans le système agricole du territoire avec une réduction – au moins relative – du système de cueillette au bénéfice d’une plantation qui semble d’un excellent rapport relatif (cf. tabl. 4). La production est répartie sur plusieurs archipels : Marquises, îles du Vent et îles Sous-le-Vent. Nous ne disposons pas de données détaillées à ce sujet, mais cette dispersion est certainement un facteur positif pour fonder un système économique étayant l’objectif de redistribution au sein du territoire. La chambre d’agriculture a modifié le statut des planteurs qui sont reconnus depuis 2000. Il n’y a pas à ce jour d’intervention de vulgarisation sur ce produit.
Le boom du « noni » semble devoir beaucoup à la dynamisation de la filière par le système de l’entreprise Morinda présente dans le territoire depuis 1998. Elle organise la collecte, fixe les normes de qualité et la rémunération des producteurs, sous-traite la transformation, en attendant la mise en activité d’une usine en construction qui devrait être opérationnelle en 2005.
L’essentiel de la production est exportée. Il s’agit essentiellement d’une exportation de jus de nono, les ventes de gellules et autres capsules sont très marginales, réalisées notamment par Royal Tahitian Noni, établie à Moorea en 2002.
36L’enjeu réside en partie seulement dans l’organisation de l’amont : culture rémunératrice, organisation de la collecte, car sa prospérité dépend de paramètres extérieurs au territoire. Le ressort international est celui d’un marketing très dynamique. Aux États-Unis et au Japon, il se fonde principalement sur un réseau de vente à domicile et une organisation pyramidale. La diffusion à venir en Europe (« Autorisation de mise en marché du jus de noni », en date du 5 juin 2003) devrait être riche d’enseignements sur le potentiel commercial réel dans les marchés relativement saturés des pays développés.
37Laissons à un anthropologue, volontairement anonyme, la conclusion provisoire de ce diagnostic : « L’irruption du nono comme nouvelle filière semble être pour la Polynésie ce que l’ambroisie est pour la mythologie grecque ou l’amarit pour l’hindouisme : un produit doté de vertus miraculeuses, dont le producteur divin contrôle la source et l’apparition surprend les dévots. »
Valorisation du tiaré : le monoï
38Ce produit est mentionné ici à plusieurs titres. C’est tout d’abord une substance fabriquée, tirant parti d’une ressource spécifique de la Polynésie. On lui doit aussi une filière active approvisionnant le marché intérieur et l’exportation. De plus, il bénéficie d’une forme institutionnelle intéressante : un label d’Appellation d’origine contrôlée, valorisée par un groupement interprofessionnel.
Quelques textes instructifs sur le monoï
« Le Monoï, traduit par "huile parfumée", est au cœur de la tradition polynésienne depuis toujours. Ses vertus médicinales et cosmétiques continuent aujourd’hui à séduire le consommateur du xxie siècle ; à la fois agent hydratant pour la peau et les cheveux, antifongique, antiseptique, il prévient même la piqûre des insectes », rapport IEOM 2002, p 82.
« Issu de traditions millénaires, seul le monoï de Tahiti vous assure de bénéficier des vertus de la fleur de tiaré et de l’huile de coprah raffinée qui le composent. La qualité des ingrédients utilisés autant que les conditions de son élaboration sont depuis 1992 garantis par l’Appellation d’origine », institut du Monoï 2003.
« Le monoï de Tahiti est le produit obtenu par macération de fleurs de tiaré dans l’huile de coprah raffinée, extraite de noix de coco récoltées dans l’aire géographique de Polynésie française au stade de noix mûres, sur des sols d’origine corallienne. Ces noix doivent provenir du cocotier Cocos Nucifera et des fleurs de tiaré de l’espèce végétale Gardenia Taitensis (flore de Candolle) récoltées au stade de fleur en bouton… », décret 92-340 du 1.4.1992.
39La progression récente des exportations de monoï ne doit cependant pas occulter le fait que l’essentiel (de l’ordre de 95 %) en est exporté vers la métropole. Cette polarisation des ventes est l’un des points que le GIE Monoï entend corriger. Des actions marketing ont été entreprises en Europe et en Asie. Les ressources du GIE groupement interprofessionnel du monoï de Tahiti sont basées sur une taxe à l’exportation. Les priorités du groupement visent à promouvoir une nouvelle image du monoï, « actif régénérant du corps et de l’âme », à consolider les connaissances scientifiques et cosmétiques, et à diversifier les zones de commercialisation.
Autres ressources d’origine agricole
40Au-delà des quatre produits susmentionnés, pour lesquels l’activité existante peut déjà être évaluée et offrir matière à réflexion, une nouvelle valorisation semble potentiellement exister pour d’autres produits des îles polynésiennes, et notamment sur les produits déclinés ci-après, qui présentent pour certains le double caractère « produit agricole naturel consommable /produit agricole susceptible d’extraction de substance ».
Le kava
41Il n’est pas apparu, lors des entretiens, que le kava de Polynésie offre des perspectives économiques prometteuses. Les travaux de recherche du SDR ne semblent pas identifier un potentiel pour développer la culture dans le territoire. On fait valoir l’inexistence d’un potentiel en termes d’exportation, largement du fait de la concurrence d’autres pays ou territoires du Pacifique. Cependant, un industriel (Jus de fruit de Moorea) envisage de promouvoir un produit, « la boisson de l’accueil », à base de kava local.
Fruits et fleurs de Polynésie
42Il est fait état de la spécificité en goût, donc en arômes, de plusieurs fruits des archipels polynésiens, par exemple ananas, mangues. Des travaux de recherche semblent nécessaires pour mieux identifier les arômes, les variétés, ainsi que les perspectives d’utilisations extra-alimentaires (parfumerie ?). Le Cirad notamment est partenaire du SDR dans le cadre d’une étude sur les mangues des Marquises. La société Jus de fruit de Moorea a réalisé une étude sur le potentiel de production de fruits, notamment aux Marquises, afin de conforter sa stratégie de diversification de produits alimentaires utilisant la ressource locale.
43L’expérience de promotion d’exportation de fleurs de Tahiti a montré qu’il est difficile de construire de nouvelles filières sur des productions locales, certes à bonne valeur ajoutée, mais fragiles et engageant une logistique délicate. Le GIE constitué sur cette activité a échoué dans sa mission, selon nos interlocuteurs.
Les essences et huiles naturelles
Tiaré
44La production d’extrait de la fleur de tiaré semble offrir un potentiel intéressant. L’extraction d’une essence pour la parfumerie apparaît comme une activité bien adaptée au territoire : forte valeur ajoutée, enjeu de collecte régulière fournissant une activité à temps partiel pour des populations rurales. Une entreprise de Moorea, Tahiti Aromes, filiale du Cairap, s’est positionnée sur ce créneau. Elle a rodé en 2003 un équipement produisant la concrète de tiaré. Le problème de l’adéquation de la ressource au marché reste cependant posé.
Tamanu
45Il semble selon le SDR que le tamanu n’offre pas le même potentiel que le nono. La ressource n’est pas aussi abondante. Elle pose des problèmes de difficulté de cueillette et d’approvisionnement. L’huile de tamanu a une réputation plutôt confidentielle, mais un groupement de producteurs-transformateurs et exportateurs entend s’attacher à sa notoriété et sa vente.
46Dans le tableau présenté ci-après, on s’applique à identifier le nombre des principaux exportateurs installés sur le territoire. Certes, pour la plupart des filières, on se trouve dans des situations d’oligopoles, mais les conversations avec certains exportateurs, notamment dans la filière vanille, semblent indiquer que cette situation ne pèse pas sur les conditions économiques, par exemple au détriment des producteurs agricoles. On reste plutôt sur une impression de concertation possible et de négociations bien rodées entre les acteurs.
2.2 Quels enseignements tirer des développements récents des filières fondées sur des produits naturels en Polynésie ?
Les « modèles économiques » constatés
47Nous proposons ici une première synthèse comparative sur quelques activités fondées sur l’exploitation de substances naturelles terrestres. Dans le tableau suivant, nous reprenons les principaux produits retenus précédemment afin de caractériser leurs dynamiques particulières en fonction de critères économiques, sociaux, institutionnels.
48Ce tableau reste général quant à une véritable caractérisation structurelle, mais permet de dégager et de synthétiser plusieurs éléments de réflexion :
Un système production fortement subventionnée s’applique à la filière coprah. Peut-on envisager que de nouvelles filières viennent réduire son espace, et son coût, sans peser sur son rôle social et son enjeu de solidarité inter-archipels dans le territoire ?
Le succès du nono suggère qu’il peut offrir une solution de rechange à des activités peu rémunératrices et fortement subventionnées. Toutefois, cette nouvelle filière reste à étayer sur le moyen terme – la demande des consommateurs pour cet aliment santé est-elle durable ?
Il est risqué d’envisager une analogie entre le nono et le tamanu. Les modes de fonctionnement du système de production et la dynamique des marchés sont très dissemblables.
Les incitations financières publiques sont existantes tant pour des activités d’intérêt social, non rentables, que pour le développement ou la réactivation de nouvelles activités ; elles semblent cependant encore absentes actuellement de certaines filières comme le nono et le tamanu.
Les formes d’organisation de producteurs sont instructives. La capacité locale d’organisation est réelle mais on peut s’interroger sur les voies de renforcement du tissu d’entreprise en aval de la production agricole.
L’enjeu des marchés extérieurs est déterminant, et perçu avec acuité dans le territoire. La volonté des entrepreneurs locaux de se situer face aux États-Unis, au Pacifique et à l’Europe est réelle. Un renforcement des actions d’exportation est en cours, appuyé par les pouvoirs publics.
49Le tableau 7 présenté ci-après vient compléter le cadre de réflexion sur les filières de produits naturels. Il montre que le choix des producteurs semble dépendant des considérations de revenu, qui peuvent être compatibles avec d’autres de type non monétaire. Ce facteur ne peut donc être sous-estimé dans la mise en place de nouvelles activités de valorisation des substances naturelles. Certes, les données peuvent être discutées mais il apparaît sur cette base que le succès de la filière nono tient largement à sa création de valeur et de revenu.
50En caricaturant un peu, selon ces données, une alternative entre deux types d’activités semble offerte à l’agriculteur polynésien : une production de faible rapport, pour un usage peu valorisé (coprah ou taro), versus une production bien rémunératrice destinée à des marchés extérieurs considérés comme prometteurs.
Quelle prise en compte des produits de la mer ?
51Les contacts noués lors de la mission locale n’ont pas permis d’identifier d’activités spécifiques nouvelles, axées sur la valorisation des substances naturelles d’origine marine. La visite du centre de recherche Ifremer permet de souligner le progrès potentiel qui pourrait être accompli pour des filières classiques telles que l’aquaculture et la perliculture. Pour cette dernière, les connaissances scientifiques peuvent encore faire un grand bond et des techniques innovantes de sélection et de culture seront très probablement mises au point au cours des prochaines années.
52Nous n’avons pas recueilli d’information sur des activités actuelles de production d’algues pour des usages alimentaires, cosmétiques ou pharmaceutiques… Peut-on étayer l’hypothèse qu’il n’y a pas d’avantage spécifique de la Polynésie sur ce créneau, tant en raison de la non-spécificité des espèces que des coûts de main-d’œuvre ou encore de l’éloignement par rapport aux marchés ?
Le Groupement d’intérêt économique perles de Tahiti
Le GIE perles de Tahiti dispose d’un budget de 750 millions CFP (6,3 millions d’euros) pour 2003. Ce budget est alimenté par la taxe à l’exportation sur les perles. Sur les 200 FCFP (1,67 euro) perçus par le territoire par gramme de perle, 70 FCFP sont reversés au groupement pour la promotion de la perle dans le monde (source Tahiti presse, 19.10.03).
53Les données statistiques dont nous disposons ne permettent pas de proposer une comparaison des contributions relatives des filières de produits marins et terrestres à l’emploi et à la création de valeur dans le territoire.
54Les priorités du Service de la pêche semblent clairement axées sur la dynamisation de la pêche hauturière qui a fait l’objet de mesures publiques d’encouragement à l’investissement, ainsi que sur une amélioration de la gestion de la pêche lagonaire. D’après M. Ugolini, responsable du service, les moyens sont mobilisés à 50 % sur la pêche hauturière, le reste étant réparti entre pêche lagonaire et aquaculture. La pêche industrielle représente environ 1200 emplois directs, pour une flotte de 64 unités en 2003.
55Un élément à souligner dans ce contexte marin est la concertation dans la gestion de la ressource et la bonne finalisation des plans littoraux : ainsi le Plan de gestion de l’espace maritime de Moorea était-il en cours de publication fin 2003. Coordonné par le Service de la pêche, ce règlement consacre la concertation des différents utilisateurs du littoral dans une optique de développement durable. Il arbitre entre les impératifs immobiliers, touristiques, environnementaux, économiques.
56Dans notre champ d’information – où le domaine marin est finalement peu présent –, la seule exception notable est l’annonce par le groupe Wan et le GIE Perles de Tahiti du lancement en novembre 2003 d’une nouvelle ligne de cosmétique utilisant de la poudre de perle noire par la société l’Oréal. Ce nouveau produit a selon ses promoteurs un effet anti-âge. La poudre de perle est un sous-produit de la production du territoire puisque les perles hors norme pour la bijouterie sont exclues de toute commercialisation et broyées.
57On doit mentionner ici les travaux de la filiale de la société Cairap, Biolib, portant sur le kopara et sur la sélection de molécules d’origine marine. Son approche technologique et commerciale semble particulièrement innovante. Nous renvoyons à la contribution de J. Guézennec et C. Debitus sur ces aspects.
Trois points noirs ?
58Trois questions concernant le dynamisme des filières de produits naturels sont soulignées par plusieurs interlocuteurs.
L’accès au foncier pour le développement de nouvelles cultures
59Il s’agit d’un problème de base créé par la coutume de laisser le foncier en indivision. Même si ces situations peuvent être réglées au cas par cas, la pression sur le niveau des prix est très forte. Cependant, l’exemple de la filière vanille ou de la production d’ananas montre que le développement de la production peut être recherché à travers des systèmes plus intensifs – donc sans recherche de terres supplémentaires – mais aussi que la pluriactivité permet d’introduire de nouvelles pratiques tout en garantissant mieux la stabilité des revenus ruraux.
60Dans le même ordre d’idée, la question de la gestion du littoral reste posée : l’absence de surface disponible a annulé les perspectives de développement de l’aquaculture de crevette semi-intensive. A contrario, les expériences de gestion de la ressource lagonaire (plans locaux d’utilisation) peuvent suggérer qu’un partage de la ressource peut être organisé.
La vulgarisation agricole par les services publics
61Plusieurs interlocuteurs, de divers statuts, soulignent les limites de l’intervention publique de formation et de vulgarisation au service des projets agricoles. Le Service du développement rural est montré du doigt fréquemment. Ses services centraux sont qualifiés de sclérosés, sa recherche est considérée comme insuffisante, par ailleurs les appréciations sur ses agents de vulgarisation dans les îles sont ambiguës : sont-ils peu compétents, mal dotés en moyens ou peu disponibles ? Ce qui est certain, c’est qu’avec les nouvelles mesures de déconcentration administrative, un large éventail de fonctions incombent, y compris pour le compte d’autres ministères, aux fonctionnaires du SDR dans les îles.
62En ce domaine également, l’appréciation de la situation doit prendre en compte un contexte délicat. Pour la filière vanille, le SDR, désavoué par le gouvernement, a vu ses moyens transférés à l’EPIC. Pourtant, certains interlocuteurs ont indiqué que les agents du SDR pouvaient fournir information et appui. En tout état de cause, le territoire ne peut se passer d’un réseau d’animation et de vulgarisation tant pour répondre aux attentes de ses producteurs que pour encadrer des activités soucieuses de développement durable et de labellisation.
La démographie des exploitants : le vieillissement des agriculteurs
63Tant nos interlocuteurs que les travaux d’étude récents ont souligné le caractère traditionnel de la plupart des exploitations, dirigées par des exploitants âgés, se contentant d’une activité vivrière : c’est le cas de nombreuses vanilleraies, mais aussi de la plupart des productions fruitières traditionnelles (ananas, mangues, etc.). On peut consulter à ce sujet la présentation de la démographie des agriculteurs dans le rapport Berthommé et Ferraton.
64Pourtant, il semble que la possibilité de dynamiser la population des exploitants agricole est réelle : l’expérience de l’EPIC Vanille montre que des dossiers de développement peuvent être préparés par de nombreux agriculteurs motivés et dans la force de l’âge (pas de renseignement chiffrés, mais critère de refus de dossier pour les plus de 60 ans). Dans le même ordre d’idée, les projets de la société Jus de fruit de Moorea semblent rencontrer un accueil très favorable auprès des producteurs d’ananas locaux (cf. plus haut), ce qui indique une bonne réactivité et une motivation effective des agriculteurs polynésiens dans le sens d’une amélioration du système de production.
3. Innovation et projets en Polynésie
65Comment des projets nouveaux fondés sur les substances naturelles peuvent-ils être accueillis dans le territoire ? En commençant par donner un bref aperçu des projets innovants du territoire, puis en mentionnant les efforts de l’État, nous allons examiner les initiatives des entreprises implantées localement.
3.1 Le contexte de l’innovation
Le contexte général dans le territoire
66Compte tenu de l’étroitesse relative du tissu local d’activités productives, l’innovation semble être un thème mineur, tant dans les informations générales que dans les politiques publiques ou les pratiques des milieux économiques. Cependant, des événements globaux, tels que les problèmes écologiques (espèces invasives, gestion des déchets) ou encore de santé publique (nutrition), mais aussi plus ponctuels comme la fête de la Science, suscitent des questions, des articles de presse, pouvant accroître les motivations des décideurs pour un meilleur ancrage de la recherche, des nouvelles technologies, et des pratiques innovantes dans le territoire.
67Plusieurs de nos interlocuteurs ont exprimé leurs préoccupations quant à la promotion des innovations, mais aussi leurs doutes en raison d’un manque de moyens pour coordonner et mettre en œuvre localement des projets construits de recherche développement innovante. Pourtant, le gouvernement a mené une réflexion dans ce sens depuis plusieurs années, qui s’est notamment traduite par des actions mobilisatrices telles que le projet Metua. Cette réflexion sert aussi de toile de fond aux projets sectoriels dont certains ont été évoqués plus haut. De plus, les travaux entrepris sur la filière perlière, mais aussi les ambitions en matière de pêche hauturière et lagonaire, comportent une forte composante de recherches finalisées. L’émergence du projet de plate-forme technologique Gepsun (« Génie des procédés substances naturelles ») inscrit dans le contrat de Plan avec l’État, concrétisée par un accord signé en novembre 2003, constitue un nouveau support pour renforcer le travail de recherche développement sur les substances naturelles dans le territoire (cf. ci-après encadré sur le Gepsun).
Le programme METUA (Multimedia Environment based on Technologies for a Universal Access) est actuellement l’instrument principal de la politique territoriale en faveur du développement des technologies de l’information et des communications en Polynésie française.
Décidé en avril 1999, c’est un des éléments clés en faveur du développement d’une activité économique fondée sur les technologies de l’information et des communications. Il vise la remise en cause de certains handicaps structurels qui pénalisent le développement économique de la Polynésie française. Les distances apparaissent désormais comme un marché pour les technologies de l’information et des communications, et l’innovation en général. Par conséquent, tout comme les pouvoirs publics sont intervenus dans les secteurs traditionnels pour développer les infrastructures et créer un environnement propice à leur croissance (construction d’aéroport, de port de plaisance, aménagement des côtes), le gouvernement s’investit dans certains secteurs technologiques. En effet, un préalable indispensable à la promotion des investissements privés dans ces secteurs est la création d’un environnement adapté. Des exemptions fiscales ont été décidées pour l’importation de matériel informatique et des investissements sont renforcés dans le domaine des réseaux de télécommunication.
« Le principe du Village METUA est à rapprocher, toute proportion gardée, du modèle de Sophia-Antipolis. […] comme cette cité de la science il y a 40 ans, le projet polynésien est ambitieux mais pas irréalisable ; d’ailleurs, le Gouvernement polynésien a signé une convention avec la Fondation Sophia-Antipolis afin de partager un savoir faire et trouver des entreprises susceptibles d’être intéressées pour s’installer dans le Village METUA. Ce dernier consiste en une technopole qui pourrait accueillir des entreprises du secteur des services dans le domaine du multimédia, et pourquoi pas, dans tous les secteurs technologiques.
« Il ne s’agit encore que d’un projet, mais qui se fonde sur trois piliers principaux, (i) l’implantation d’entreprises polynésiennes et extérieures, (ii) le développement d’un pôle de recherche et de formation de haut niveau rayonnant sur toute la zone Pacifique, et (iii) faire du Village METUA un lieu d’animation et d’échange convivial8 » (Bagnis, 2003).
68On peut penser que la dichotomie État-territoire ne facilite pas la réflexion ou la mise en œuvre des projets. D’un côté, le retard du lancement du projet Gepsun doit probablement être mis sur le compte de cette dualité. De l’autre, l’expérience du concours annuel national de création d’entreprise de technologie innovante du ministère français de la Recherche semble indiquer que l’État peut faire émerger des projets dynamiques.
69Le délégué dans le territoire (DRRT), M. Maurin, a fait part de plusieurs cas de projets innovants présentant une configuration originale : une articulation réelle entre un porteur localisé dans le territoire, appuyé sur des structures scientifiques ou technologiques de l’État (UPF par exemple) et des relais techniques ou commerciaux de la métropole.
70Nous n’avons pas eu accès à l’ensemble des dossiers des années passées. Cependant, M. Maurin précise que le nombre de dossiers présentés annuellement reste assez stable : 4-7 environ. Il s’agit de dossiers sérieux, bien construits, portés par des universitaires, industriels, jeunes diplômés. Parmi ceux primés, on trouve un projet d’exploitation de larves de poissons lagonaires, une installation d’horticulture innovante (culture hydroponique réfrigérée sous abri avec contrôle des rejets, pour substituer des productions locales à des importations).
Recherche publique et projets innovants
71La mission de coordonner la recherche est dévolue au délégué régional à la Recherche et à la Technologie. Il a pour mission « d’animer et de coordonner le développement de la recherche et de la technologie », ce qui en fait un pivot majeur pour « coordonner l’action des établissements publics…, mener ou susciter toutes les actions nécessaires en vue de favoriser le décloisonnement de la recherche et son ouverture sur le monde socio-économique…, développer les actions de valorisations et organiser les transferts de technologie ».
72Un nombre appréciable d’institutions publiques conduisent une activité de recherche scientifique finalisée dans le territoire. Cette recherche est très fréquemment menée en collaboration avec des partenaires locaux tels que services du territoire ou de l’Université.
73Le CIRAD intervient dans le cadre d’un accord cadre État-territoire, signé en 1995. Ses activités sont menées principalement en réponse à la demande du Service du développement rural, et s’orientent selon trois axes : recherche d’accompagnement, expertises et études de filières, actions de formation des cadres locaux. Les travaux innovants recouvrent notamment les domaines de la caractérisation des santals des Marquises, et de celle des virus des vanilliers.
74L’IFREMER dispose d’un centre de recherche en propre situé à Vairao. Nous retirons de la présentation de D. Buestel, son directeur, que l’axe prioritaire est l’appui à la filière perlière. De manière complémentaire, les travaux de l’institut visent à conforter les activités aquacoles dans le territoire.
75Le laboratoire d’histologie mène actuellement une étude du greffon/ sac perlier. Cette recherche intéresse le mode de formation de la perle pour comprendre la genèse des défauts, tels que cerclage et piquetage.
76Le laboratoire de biologie moléculaire conduit des travaux sur le typage des populations d’huîtres perlières, sur l’originalité des populations. Il s’agit de mieux prendre en compte les problèmes affectant les populations et les interactions entre les sites : pathologies, génétique, micro-salissures.
77Deux difficultés sont signalées pour la valorisation de ses recherches dans le territoire :
au niveau du transfert des outils et méthodes mis au point par les scientifiques de l’IFREMER par manque de cadres scientifiques et de moyens dans les services techniques ;
au niveau des modes de définition et de concertation pour les programmes de recherche-développement avec les services du territoire : prestation de service ou partenariat ?
78L’IRD gère un centre et des laboratoires permanents. Il restructure ses programmes, dans le cadre du renouvellement quadriennal de ses unités en 2004. De nouvelles actions sont annoncées sur des thématiques telles que la gestion des milieux lagonaires, l’application de la télédétection à la prévision des déplacements des stocks halieutiques.
79Quant à l’Université de Polynésie française, nous n’avons pu mener une approche descriptive de ses ressources et de ses activités dans le domaine de l’expertise. Elle apparaît cependant réellement impliquée sur plusieurs axes de recherche développement et d’innovation, notamment à travers des travaux au bénéfice de services du territoire, par l’encadrement de boursiers en thèse Cifre avec la société CAIRAP et l’implication dans le groupement Gepsun.
80Deux structures visitées par la mission préalable à l’expertise de février 2003 peuvent donc être à nouveau mentionnées : le laboratoire de chimie analytique, unité comportant quatre enseignants chercheurs et deux thésards et la jeune équipe « Terre-Océan ».
Organismes territoriaux
81S’agissant de l’institut Malardé, un entretien réalisé avec le nouveau directeur, le professeur R. Chansin (novembre 2003), fait ressortir une volonté de consolider la position de l’ILM dans le territoire. Il s’agit de renforcer son potentiel et sa crédibilité scientifiques, et de répondre en priorité aux défis bio-médicaux du territoire. Ce nouveau directeur souligne aussi qu’un renforcement des travaux sur les substances naturelles passerait impérativement par la construction d’une équipe de haut niveau. Idéalement, celle-ci mobiliserait 4 à 5 chercheurs à plein temps.
82On rappelle que le laboratoire de recherche sur les substances naturelles a été créé en 1991.
83Selon les informations publiées, il effectue des travaux dans plusieurs domaines :
étude sur les substances volatiles et aromatiques issues de la flore locale ;
analyse de la composition chimique et des propriétés biologiques d’espèces végétales employées en médecine traditionnelle.
84Le laboratoire est doté d’équipements performants : chromatographe phase gazeuse, spectromètre de masse, chromatographie liquide à haute performance.
85Le potentiel de recherche du Service du développement rural n’a pu être apprécié lors de notre visite. Il en est de même pour le Service de la pêche et le Service de la perliculture. Il a été mentionné plus haut que ces services assurent une fonction d’animation et de promotion technique et scientifique au profit des acteurs économiques du territoire, en mobilisant notamment les compétences des établissements nationaux susmentionnés.
86Les établissements/ laboratoires publics (État ou territoire) affichent donc un potentiel non négligeable. Le Territoire peut se prévaloir d’un tissu diversifié, bien établi, mesuré à l’aune des autres territoires et nations du Pacifique. Cependant, il est certain qu’un renforcement des moyens et de la coordination entre les acteurs est nécessaire tant pour une meilleure prise en compte des programmes de travail sur les substances naturelles que pour appuyer des projets fédérateurs. Est-il possible de favoriser une mobilité des chercheurs vers le territoire, peut-on conforter des groupements temporaires sur des actions mobilisatrices (on pense à des configurations du type du Gepsun), mais aussi à des projets de plus long terme nécessitant un engagement fort (par exemple, l’idée d’une structure assurant le rôle de « souchothèque publique » envisagée dans le chapitre sur les substances marines, etc.).
Le Gepsun : une plate-forme technologique à l’essai
Le GEPSUN est un groupement d’acteurs scientifiques et industriels. Son statut définitif (GIE, association...) n’est pas fixé. Les partenaires fondateurs sont convenus que la coordination est organisée à partir de l’Université de Polynésie française. Les fondateurs sont côté recherche l’UPF, le CIRAD et l’IRD, et côté industriel Jus de fruit de Moorea, le Laboratoire de cosmétologie du Pacifique Sud et le CAIRAP.
Il bénéficie pour ses deux premières années d’activité d’un financement de l’État, prévu au contrat de Plan quadriennal. Il vise à promouvoir les projets d’études finalisées sur les substances naturelles dans le territoire. Des travaux peuvent être réalisés par les membres du groupement pour des clients extérieurs. Des projets de recherche-développement peuvent être soutenus par les moyens du groupement.
Comment conforter le projet Gepsun ?
– Préconiser une meilleure insertion et une articulation avec le territoire. De ce point de vue, on peut relever comme une incohérence le fait qu’aucune institution ou service du territoire ne fasse partie des fondateurs.
– Appuyer son insertion dans les réseaux de diffusion scientifique internationale et de veille technologique de métropole (on suggère par exemple une entrée axée sur deux régions de métropole Provence-Alpes-Côte d’Azur et Rhône-Alpes).
– Favoriser la mobilisation de jeunes chercheurs par le biais d’octroi de bourses de recherche master/ post-doctorants qui seraient co-financées par le territoire et Gepsun pour favoriser le travail scientifique, en particulier de jeunes Polynésiens.
87La situation est évolutive. Plusieurs établissements publics ont restructuré leurs activités dans le territoire. On peut la qualifier de transitoire, ce qui amène à poser plusieurs questions :
Y a-t-il une masse critique pour les activités de recherche, en particulier dans le domaine des substances naturelles ?
La relation entre établissements nationaux et services du territoire est-elle suffisamment articulée ? Peut-on imaginer de nouvelles articulations ? Un meilleur affichage de la politique des autorités polynésiennes est-il susceptible de favoriser une nouvelle mobilisation des établissements scientifiques nationaux – EPIC et EPST confondus ?
3.2 L’innovation dans les entreprises
Les entreprises dans le territoire de Polynésie
88Le tissu d’entreprise de Polynésie française est relativement dense et actif pour une économie insulaire de cette taille. L’Institut statistique recense plus de 18 000 entreprises de l’industrie et du commerce, tous secteurs confondus. On relève que plusieurs dizaines sont créées ou radiées chaque mois (taux inférieur à 1 %), ce qui traduit une réelle dynamique entrepreneuriale dans le territoire. Ces dynamismes sont certes concentrés sur Tahiti. Cependant, les initiatives de projets agricoles ou touristiques montrent que de nombreux archipels ou îles peuvent présenter un contexte favorable aux nouveaux développements d’entreprise. On peut considérer que la population des entreprises petites et moyennes (plus de 10 salariés) est de l’ordre d’une centaine d’entreprise dans l’industrie, l’agriculture ou la construction, et de près de 600 entreprises dans les services (tableau 8ter). Le tissu des entreprises est relativement diversifié, avec une bonne complémentarité entre activités industrielles et de service. Il est aussi appuyé par un secteur bancaire solide ainsi que par d’autre services efficaces (juridiques et comptables notamment).
Entreprises et innovation
89L’étude locale a pu rencontrer plusieurs responsables d’entreprises engagés dans des projets innovants :
Il s’agit dans certains cas de diversification d’activité concernant des produits proches de l’activité principale, par exemple de nouveaux produits alimentaires ou cosmétiques.
Il s’agit plus ponctuellement de projet misant sur l’innovation : productions nouvelles pour le territoire, dans certains cas utilisant des équipements et procédés de bon niveau technologique, innovants dans le contexte polynésien.
Certains industriels ont exprimé une attitude positive vis-à-vis de propositions d’affaires qui leurs seraient soumises par des porteurs de projet ayant besoin d’un appui pour une localisation polynésienne. C’est un indice d’une possibilité pour un projet innovant concernant les substances naturelles de s’enraciner dans des réseaux locaux, à condition qu’il soit réaliste et mûri.
90Il semble que le contexte local soit plutôt favorable à la mise en œuvre de projets nouveaux : les idées innovantes dérivées de la recherche peuvent dans certains cas être reprises par des porteurs de projet locaux en recherche de diversification, dans d’autres cas il serait judicieux de favoriser « l’importation » et l’insertion de porteurs de projets extraterritoriaux susceptibles de renforcer les activités locales. Par ailleurs, les ressources financières du secteur privé sont mobilisables, des réseaux de projet ou des collaborations interentreprises sont envisageables dans un tissu local caractérisé par une diversité d’acteurs privés et publics dont les interactions sont dynamiques et évolutives.
4. Domaines d’intervention pour favoriser la valorisation des substances naturelles dans le territoire
91Le renforcement de la valorisation des substances naturelles peut s’appuyer sur des éléments tangibles dans un territoire où, face à une biodiversité terrestre intéressante ou marine peu prospectée, les conditions socio-économiques structurelles ne sont pas très porteuses à première vue.
92Cependant, les projets émergent et la réactivité des acteurs témoignent d’un dynamisme réel, qui peut probablement bénéficier de nouveaux dispositifs susceptibles d’être mis en place dans le territoire. Il est donc possible d’identifier plusieurs domaines sur lesquels faire porter les efforts dans l’avenir : renforcement des actions réglementaires, appui aux projets innovants d’entreprise, appui à l’innovation scientifique et technologique.
4.1 Possibilités de renforcement des actions réglementaires
Politique de labellisation
93On signale deux catégories de produits bénéficiant de labels « bio » attribués à des producteurs en Polynésie9 : d’une part pour des agriculteurs (production fruits et légumes), de l’autre pour un producteur-transformateur de jus de nono (Royal Tahitian Noni à Moorea).
94Le territoire ne détient qu’une appellation contrôlée, dont le monoï bénéficie. Les informations produites par l’EPIC Vanille indiquent toutefois qu’une demande d’AOC ou d’AOP est envisagée pour la vanille de Tahiti. D’un côté, l’INAO cherche à promouvoir sa démarche en soutenant que les appellations protègent définitivement la spécificité d’un triptyque terroir-méthode de production-produit. De l’autre, la valorisation industrielle des appellations suppose marché conséquent et approvisionnement maîtrisés. Ainsi une politique publique visant à développer les labels serait-elle sans doute plus adaptée aux produits agroalimentaires qu’aux substances naturelles d’intérêt pour les activités cosmétiques ou la parfumerie. Nous renvoyons donc à la contribution de V. Boisvert dans cette partie analytique, qui offre un cadre de référence pour clarifier les termes de ce choix.
Politique de protection de la ressource
95Nous n’avons pas recueilli d’avis ou d’expression de préoccupation concernant l’épuisement des ressources naturelles, à quelques exceptions près, puisque trois aspects ont été évoqués lors des entretiens :
La protection des ressources en larves de poissons des lagonaires. Dans les lagons, le prélèvement risque de s’accroître au cours des prochaines années tant pour l’usage alimentaire local que pour des valorisations commerciales (exportations pour aquariophilie).
Les espèces d’invasives posent le problème de démarches scientifiques et techniques appropriées mais aussi d’une sensibilisation et d’une éducation renforcées des Polynésiens. Par exemple en ce qui concerne la transmission de parasites entre les îles et archipels, un meilleur encadrement administratif mais surtout une responsabilisation des Polynésiens apparaissent comme la condition d’une meilleure maîtrise des risques.
Les efforts de protection s’imposent dans un cadre de longue durée. Ce point a été souligné par le SDR à propos de la promotion des plantations de bois précieux. Le programme sur le santal par exemple apparaît comme un projet de longue haleine, à l’inverse du nono qui semble offrir une valorisation immédiate.
4.2 Création d’activités et appui aux projets innovants
L’appui à la création d’entreprises
96L’appui à la création d’entreprise bénéficie de l’intervention de plusieurs organismes coordonnés : l’Agence pour la création d’entreprise dépend du ministère de la Pêche, de l’Industrie et des PME. Le SDIM (service de développement de l’industrie et des métiers) du même ministère coordonne l’intervention de l’agence avec celle de la Chambre de commerce d’industrie et des métiers de Polynésie française (CCISM).
97D’une façon générale, les projets d’entreprises sont considérés favorablement par les pouvoirs publics. Les porteurs de projet peuvent bénéficier d’un appui, notamment de formations subventionnées, en liaison avec la CCISM. Cette dernière permet l’accès des porteurs de projet à divers réseaux d’appui, notamment des conseils et des financements (collaborations signalées avec des associations, par exemple Tahiti Business Angels). Le territoire a également mis en place un système « d’ateliers relais » qui proposent des locaux temporaires aux créateurs d’entreprise artisanale et de service.
98Pour autant, il n’y a dans le territoire ni pépinière pour accueillir une jeune entreprise en cours d’implantation ni de structure d’incubation pour permettre de tester des projets à caractère technologique au stade de pilote. Quelques remarques de M. Boyer, chef du Service de l’industrie et des métiers, déclinées ci-après, expliquent cette situation :
Il n’a pas été envisagé de construire un cadre de type « technopôle », ni de concevoir un projet d’incubateur, car la demande semble inexistante. On ne décèle pas actuellement de projet innovant en manque d’insertion locale. Les porteurs de projets se débrouillent avec leurs réseaux propres.
La panoplie des aides publiques semble adaptée et couvre toutes les situations. Les porteurs de projets peuvent trouver des appuis effectifs. D’ailleurs, une étude sur les défaillances d’entreprise montre que les deux écueils sont la formation et la mauvaise gestion de trésorerie.
99Pourtant, on peut s’interroger sur l’étendue et l’efficacité des réseaux existants. Les synergies locales sont-elles dynamiques. Le projet Metua qui semble combler un vide sera-t-il poursuivi ? Les relations avec les structures métropolitaines voire européennes ne semblent pas clairement identifiées…
100De ce fait, il est possible de proposer un renforcement de la liaison recherche appliquée-industrie-création d’entreprise. Ce point fait plus avant l’est l’objet du § 4.3.
Le financement des projets
101Au-delà des structures bancaires commerciales, divers dispositifs peuvent appuyer les projets innovants dans le territoire. La Polynésie bénéficie du FDPMI (fonds de développement des PMI – petites et moyennes entreprises) qui subventionne des améliorations renforçant la compétitivité, et une société financière locale, la SOFIDEP, a été créée avec l’appui de l’AFD (Agence française de développement) pour renforcer les fonds propres des entreprises. « Les pouvoirs publics apportent également leur soutien en octroyant des exonérations de droits sur les matières importées, des aides à l’exportation et des incitations fiscales à l’investissement productif… », comme le précise le rapport de l’IEOM (2003).
Réflexion sur l’appui public aux projets innovants (Bagnis, 2003)
« […] Par conséquent, si les pouvoirs publics territoriaux souhaitent stimuler le développement des secteurs technologiques, ils devront encourager plus activement l’investissement dans ces secteurs, en proposant, notamment, des incitations fiscales suffisamment attractives pour pousser, par exemple, les industriels à financer des projets où leur prise de risque n’est pas minimum. Ils doivent également tenir compte de la nécessité d’importer du matériel et des substances chimiques coûteux, pour des succès qui ne sont pas garantis ; un système d’exonération des droits de douane devrait donc également être envisagé, compte tenu de l’absence de rentabilité (en principe) des projets avant plusieurs années.
Outre le manque de personnel qualifié et expérimenté10, se greffe la difficulté de mobiliser des ressources financières (« business angels », fonds de capital investissement, dispositif particulier de financements type prêts SOFIDEP, etc.) susceptibles d’accompagner les porteurs de projets vers la concrétisation de leurs idées. Les réticences des acteurs financiers ainsi que la difficulté subséquente à trouver ces fonds propres pour les projets constituent un frein majeur. Contrairement à une logique de subvention, le financement en capital implique un partenariat économique, à l’origine du succès du projet. Par conséquent, les logiques administratives disparaissent au profit d’une logique économique et financière.
L’offre de financement complémentaire est, par conséquent, indispensable pour accompagner des mesures d’incitation à l’investissement car, compte tenu de la nouveauté de ces activités et des particularités de ces dernières (résultats incertains, retour sur investissement à moyen terme), les risques sont trop importants pour des financements classiques.
Aussi, le développement des secteurs technologiques nécessite la reconnaissance de ce secteur comme prioritaire, tout comme le tourisme et la perliculture, pour qu’il participe effectivement au développement économique et social de la Polynésie française…
4.3 Conforter une politique publique en faveur de l’innovation : quelques pistes
102L’étude locale a permis d’identifier certains domaines de recherche développement sur lesquels des travaux sont en cours ou susceptibles d’être engagés, et ce qu’il s’agisse de la filière vanille ou de la perliculture. Pourtant, des actions finalisées devraient être renforcées à court terme, en particulier dans le domaine des produits marins, et de nouveaux axes d’intervention politique devraient être définis pour coordonner les rôles de l’État et du territoire. Dans cette perspective, la dynamisation des activités liées aux substances naturelles semble nécessiter une double effort : d’une part, renforcer les actions et les réseaux de la recherche appliquée, et d’autre part favoriser des dispositifs nouveaux et adaptés pour la valorisation des travaux, la finalité en étant une exploitation mieux maîtrisée des ressources et substances naturelles.
Appuyer les actions de recherche publique et leur valorisation dans le territoire
103Même s’il est difficile d’envisager de renforcer substantiellement les activités de recherche dans le territoire, il doit être possible, à partir des ressources existantes, d’appuyer davantage des projets locaux de recherche-développement bénéficiant aux activités économiques dans le domaine des substances naturelles.
104Plusieurs axes de réflexion pourraient permettre de capitaliser sur des actions déjà entreprises mais aussi d’identifier de nouveaux créneaux et partenariats pour les actions futures.
105On peut aisément renforcer des actions coordonnant les moyens existants de l’État et ceux du territoire. Ainsi revient-il à l’État de favoriser la consolidation des activités de l’Université de Polynésie française, notamment à travers une politique d’accueil de chercheurs/enseignants, un encouragement à la mobilité en faveur du territoire. Les actions de valorisation soutenues par l’État semblent fécondes : plateforme Gepsun inscrite au précédent contrat de développement, bourses CIFRE renforçant le potentiel R&D des entreprises locales. Il convient de les conforter au cours des prochaines années.
106La relance des activités des grands établissements publics est aussi une condition majeure du maintien d’un terreau fécond pour la recherche développement. Leur engagement au sein du Gepsun, qui reste à confirmer, a bien valeur de test.
107Le territoire de son côté doit prendre la mesure du potentiel de l’institut Malardé au service de la valorisation des ressources naturelles locales. La place de cette institution et ses partenariats avec les établissement de l’État, dont notamment l’UPF, doivent renforcer l’attractivité de la Polynésie pour les scientifiques. Ne pourrait-on multiplier les stages de niveau master recherche (ex-DEA) ou les stages post-doctoraux avec un abondement financier du territoire ou des entreprises locales ? Ne faut-il pas reconsidérer les opportunités de contribution des institutions territoriales au Gepsun ?
108Il serait opportun que la politique d’innovation du territoire vise un affichage global et cohérent, et ce qu’elle concerne les télécommunications, les services publics ou la valorisation économique des ressources locales. Cela suppose probablement une réflexion large associant les partenaires économiques et sociaux.
Identifier et promouvoir les projets innovants
109Un axe de travail pour les autorités peut viser à améliorer le cadre d’éclosion des projets innovants, ainsi que les modes d’intervention des institutions d’appui – et leurs réseaux dans et hors du territoire, notamment dans le domaine des produits et substances naturelles.
L’administration du territoire semble mûre pour réfléchir et proposer un statut aux projets innovants, prenant en compte plus spécifiquement les substances naturelles. Cela rejoint les préoccupations de la CCISM, en mettant l’accent sur la spécificité des projets technologiques (en termes de durée de maturation, de partenariats, de marchés…).
Des outils nouveaux peuvent être mis à l’étude : création d’une structure virtuelle d’incubation de projet favorisant le dialogue et la complémentarité des moyens territoire-État, mise en place de dispositifs tels que crédit-impôt recherche, abondement de la Polynésie au préfinancement de projets (en complément d’un dispositif tel que celui de l’Anvar, effectivement absent de la Polynésie).
Le Gepsun semble pouvoir offrir un cas instructif et devrait, au terme de sa période de rodage, servir de pilote pour un cadre de collaboration tripartite entreprises/État/Territoire.
Le lien avec les réseaux français et européens d’innovation et transfert de technologie reste à étayer et diversifier. Cela ne sera opportun que si le territoire décide de construire un réseau d’acteurs locaux pour prendre en compte les opportunités d’innovation, faire émerger et incuber des projets et valoriser leur potentiel.
En guise de conclusion
110L’étude locale socio-économique ne constitue qu’une partie de l’expertise collégiale. Elle vise principalement à prendre en compte les informations produites par les acteurs du territoire de manière pertinente, mais ne peut prétendre isolément tirer des conclusions ou proposer des recommandations définitives à ce stade du travail.
L’étude souligne l’existence d’un potentiel local de formulation et de portage de projets innovants par des acteurs du territoire. Des expériences instructives ont été menées au cours des dernières années, sur lesquelles il est possible de capitaliser.
L’analyse éclaire les contraintes particulières de la Polynésie, qui conduisent à préconiser l’organisation d’un dispositif d’appui à l’innovation plus cohérent, et s’inscrivant dans une programmation construite, prenant en compte divers domaines sectoriels pertinents.
On peut cependant retenir plusieurs éléments favorables au prolongement de l’expertise, à son appropriation par les acteurs privés et publics locaux, notamment :
Un tissu d’acteurs diversifié et dynamique… et attentif aux retombées de l’expertise. On peut compter à la fois sur des agriculteurs réactifs et qui peuvent s’organiser, et sur des industriels en recherche de diversification, dotés de moyens propres et de réseaux actifs.
Des dispositifs institutionnels bien établis, pouvant être ciblés sur les projets relatifs aux substances naturelles. Le territoire dispose de ressources humaines, d’un potentiel de conception de projets et de dispositifs de financement pour des activités nouvelles.
Bibliographie
Bibliographie
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Décret no 92-340 du 1er avril 1992 relatif à l'appellation d'origine <<Monoï de Tahiti>>. Journal Officiel n° 79 du 2 avril 1992. http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnTexteDeJorf?numjo=ECOC9200033D (8 août 2005)
Décret no 92-340 du 1er avril 1992 relatif à l'appellation d'origine <<Monoï de Tahiti>> (rectificatif). Journal Officiel n° 98 du 25 avril 1992. http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnTexteDeJorf?numjo=ECOC9200033Z (8 août 2005)
Notes de bas de page
1 Ce chapitre fait la synthèse d’éléments publiés aisément accessibles, de documents et d’études disponibles en Polynésie française et des résultats d’entretiens menés avec des acteurs privés et publics lors d’une mission locale en octobre 2003. Le rapport de mission est confidentiel, détenu par le commanditaire de l’expertise collégiale.
2 Parmi les exemples proches de notre thème, citons Mme Frogier (déléguée à la recherche, chimiste de formation) et M. Alpha (docteur en chimie, directeur de l’EPIC Vanille, après avoir occupé pendant 5 ans des fonctions politiques au service du territoire).
3 Informations recueillies lors d’un entretien avec Mme H. Dexter, déléguée à la promotion des investissements de Polynésie française.
4 Document CA/ CSP 13 août 2003, document non diffusé.
5 Mme Pieroni, chef du Service des affaires économiques, a souligné la priorité de la politique sociale à travers ce dispositif.
6 Document CA/ CSP 13 août 2003, document non diffusé.
7 Ce titre fait allusion à l’odeur caractéristique désagréable de la purée ou du jus de nono non traité. Le liquide alimentaire bénéficie d’additifs le rendant plus attractif.
8 En ce sens, des études sont menées pour trouver le lieu d’implantation idéal, qui impliquera des constructions importantes et des répercussions économiques pour la commune choisie. Source : Service des technologies de l’information et des communications de la Présidence du gouvernement.
9 Entretiens avec le Service du développement rural et le Service des affaires économiques.
10 Le gouvernement polynésien doit participer à la création d’un environnement favorable au développement de ces secteurs, ce qui peut se traduire par la mise en place de formations professionnelles en collaboration avec le secteur privé, afin notamment d’assurer une alternance entre la théorie et la pratique. Toutefois, il convient d’envisager des filières de formation dans les secteurs technologiques afin de pourvoir l’économie polynésienne en ressources humaines suffisamment qualifiées pour répondre aux besoins de ces secteurs spécialisés. Il conviendrait par exemple de former les étudiants dans des sections technologies de l’information et des communications telles que : informaticiens de gestion, administrateurs réseaux et télécoms, administrateurs de bases de données, techniciens de maintenance, en tenant compte de la nécessité de faire venir des compétences extérieures lorsqu’on ne les trouve pas localement.
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Substances naturelles en Polynésie française
Stratégies de valorisation
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