Annexe 2. Sur le secteur cosmétologie
p. 142-146
Texte intégral
APERÇU D’ENSEMBLE
1La cosmétologie est probablement l’un des secteurs les plus propices à une valorisation économique des produits naturels.
2Le marché de la dermo-cosmétique est en pleine croissance et, du fait de l’abandon progressif des produits d’origine animale, les produits d’origine naturelle, marine ou terrestre, sont de plus en plus recherchés.
Une démarche scientifique
3« Les industriels de la cosmétique communiquent beaucoup autour des substances naturelles. Mais derrière cette mode écologique, il y a un réel travail scientifique », explique Patrice André, directeur du laboratoire Actifs, Biologie et Cosmétique de Dior, à Orléans.
4La cosmétique s’appuie notamment sur les substances végétales avec un très large recul d’utilisation. De ce fait, les usages traditionnels sont ici très recherchés. Selon Jean Guézennec de l’Ifremer, l’intérêt pour des molécules extraites ou synthétisées à partir des micro-organismes (au sens large du terme) est également fort de la part des industriels de la cosmétologie, un des freins restant toutefois la production à bas coût de ces molécules.
5Ce travail s’appuie en particulier sur des ethnopharmacologistes qui étudient l’utilisation des plantes par les communautés traditionnelles, en particulier celles des forêts tropicales. Cette bioprospection débute par un inventaire des plantes utilisées pour le soin du corps : cicatrisants, baumes, anti-inflammatoires... Une première sélection ne retient que les familles botaniques originales, ce qui augmente les chances de trouver des molécules nouvelles. Les chimistes s’emploient à en préparer des extraits de plus en plus purs, isolant les molécules actives au sein de la plante.
6Des essais biologiques, sur cultures cellulaires, ou biochimiques (inhibition ou activation de protéines, de processus biochimiques spécifiques), permettent d’évaluer les propriétés biologiques.
Une stratégie largement pilotée par le marketing
7Le discours marketing fait miroiter les vertus extraordinaires des substances naturelles tant pour la santé que pour le développement des pays du Sud. Mais ce discours porté par le marketing doit être relativisé.
Organisation de la production et des filières
8Comme pour les aliments fonctionnels, ce secteur est propice au développement de petites et moyennes entreprises locales, se consacrant à la fourniture de matière première végétale pour les industriels de la cosmétique, à la formulation ou la production d’éco-produits cosmétiques à forte connotation de terroir.
Perspectives pour la Polynésie française
9Faut-il préconiser la mise en œuvre sur place d’essais biologiques orientés cosmétiques, permettant de proposer une offre locale d’actifs à forte valeur ajoutée ? La question de monter sur le territoire une structure ad hoc peut en effet se poser au regard de la diversité des sources de molécules qu’il recèle.
10Pour répondre en toute clarté à cette question, il faut prendre en compte tous ses aspects, déclinés ci-après.
Aspects « techniques »
11Les essais biologiques orientés cosmétiques varient selon les cibles, et il en existe un grand nombre. Beaucoup de laboratoires ont leur propre approche de ces tests, qui sont sous-traités en France auprès de nombreuses structures spécialisées.
12La demande en nouveaux principes actifs étant importante, les filières se construisent surtout à partir de l’offre (d’après M. Hansel, président de « Cosmetic Valley »).
Aspects économiques
13La demande en matière première végétale et en nouveaux principes actifs est forte, mais porte sur de faibles quantités (dépassant rarement la tonne). La vie des produits est brève, en moyenne 4 à 10 ans pour un produit commercialisé : 10 ans est une durée de vie inespérée pour un produit cosmétique d’usage courant.
14Cette faiblesse de la demande peut, elle aussi, être compensée par le nombre. Les compagnies sont en recherche permanente de nouveaux « actifs » à partir desquels seront formulés d’autres produits.
Aspects réglementaires
15Une démarche gagnante serait d’anticiper sur les réglementations en préparation.
16La réglementation européenne définit un produit cosmétique comme se rapportant à « toute substance ou préparation destinée à être mise en contact avec les diverses parties superficielles du corps humain […] en vue de les nettoyer, de les parfumer, de les protéger, de les maintenir en bon état, d’en modifier l’aspect et/ou de corriger les odeurs corporelles ».
17Tous les produits correspondant à cette définition doivent se soumettre à la législation prévue par la directive européenne 76/768/CEE. L’étiquetage de produits cosmétiques doit comporter une liste de la totalité des ingrédients.
Conclusion
18Au vu de ces éléments, les experts considèrent qu’une intervention forte et structurante des pouvoirs publics ne se justifie pas, compte tenu de la volatilité des produits dans ce secteur qui ne permet pas de garantir à l’économie polynésienne des perspectives de développement durable sur cette base. En revanche, les synergies entre laboratoires de recherche locaux et porteurs de projets pourraient se renforcer.
DE LA DIFFICULTÉ DE SE PRONONCER SUR L’INTÉRÊT EN COSMÉTIQUE DES PLANTES RETENUES : RÉFLEXIONS D’UN EXPERT VERSÉES AU DÉBAT
19Il est difficile de prévoir l’intérêt d’une plante pour une utilisation en cosmétique sans avoir fait de nombreuses études biochimiques préalables de toxicité et d’objectivation. Ces études biochimiques ne sont individuellement valables que pour un type d’extrait et pour une revendication (propriété amincissante, ou anti-ride, ou éclaircissante…). Ces études sont toujours très coûteuses et elles sont prises en charge par les industries de la cosmétique qui développent les produits. Elles ne sont de ce fait jamais publiées et leurs résultats, lorsqu’ils sont intéressants, font immédiatement l’objet de prises de brevets. Autre difficulté : un extrait de plante trop actif risque d’être interdit pour un usage cosmétique et reclassé en médicament ; l’actif cosmétique est donc tenu de ne présenter qu’une faible activité, ce qui par là même rend très difficile et coûteux de démontrer son efficacité, surtout sur un organe en bonne santé (la peau), qui possède de puissants mécanismes de régulation de son homéostasie.
20En un mot, on ne peut pas décréter qu’une plante sera utilisable pour une application cosmétique au vu de sa composition chimique ou de son usage traditionnel tels qu’en fait état la bibliographie. Il faut absolument entreprendre au cas par cas des études coûteuses d’objectivation et de toxicité.
21Dans tous les cas, la plante entière ne saurait être utilisée, même si on lui reconnaît traditionnellement des vertus plus ou moins avérées. En effet :
- L’aspect et la qualité des produits cosmétiques nécessitent de travailler avec des extraits de plantes et très rarement des plantes entières.
- L’efficacité des extraits dépend forcément des solvants qu’on utilise.
- Il faut identifier les molécules actives et vérifier qu’elles ne sont pas toxiques aux doses où elles seront employées.
- Il faut vérifier que ces molécules sont actives mais pas trop par voie topique.
- Il faut identifier les mécanismes sur lesquels agit la molécule.
- Il faut vérifier l’intérêt de l’extrait par des tests biochimiques de plus en plus sophistiqués et de plus en plus coûteux, et le retour sur ces investissements lourds ne peut se faire que par la voie de brevets et d’accords d’exclusivité.
22La durée de vie très brève (5 à 7 ans) d’un actif cosmétique (phénomène de mode et nécessité de renouvellement marketing obligent) implique que le produit soit vraiment très intéressant pour que l’on se risque à monter sur du moyen terme une filière de production officielle ex nihilo. Cela est vrai partout, en Polynésie comme ailleurs. C’est d’ailleurs très rarement ce qui se produit. Ainsi, lorsqu’un produit a été trouvé intéressant par un industriel de la cosmétique, fournisseur de matière première ou formulateur final, celui-ci organise lui-même sa filière d’approvisionnement, généralement dans le cadre de relations commerciales privées et bilatérales. Les quantités de plantes nécessaires à l’industrie sont en général faibles, de l’ordre de quelques tonnes, et il n’y a pas lieu de mettre de l’argent public dans ces échanges commerciaux.
23L’implantation d’une petite industrie cosmétique locale est tout à fait possible sur la base d’une image marketing exotique, mais en s’appuyant sur des « blancs industriels » importés. La place des plantes locales dans cette industrie serait très marginale (coûts de développement beaucoup trop élevés au regard du marché), si l’on vise les standards de qualité européens, seuls capables de séduire une clientèle de touristes.
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