Le capital biodiversité de la Polynésie française
p. 46-55
Texte intégral
LES RESSOURCES VÉGÉTALES TERRESTRES
1La flore de la Polynésie française se caractérise par une pauvreté relative, avec une flore primaire de quelque 900 espèces, et donc par sa fragilité par rapport aux espèces introduites. Mais ses autres traits marquants sont l’originalité et un fort endémisme (62 % d’espèces propres), qui tiennent à l’insularité, à la grande dispersion géographique et à la forte extension en latitude du territoire. Si elle est bien étudiée au plan botanique, cette flore l’est encore très peu au plan chimique et pharmacologique. Pour 80 à 90 % des plantes endémiques, il n’existe en effet aucune référence bibliographique témoignant d’études scientifiques. La conjonction de ces deux données ouvre, à l’évidence, de vastes perspectives en termes de bioprospection1.
2À l’exception des usages locaux et de quelques ressources bien identifiées à vocation commerciale, l’originalité floristique de la Polynésie française est donc encore peu exploitée. Le nombre d’espèces locales ayant bénéficié d’un processus de valorisation demeure très réduit.
3À partir de ce constat initial se dessinent deux axes de travail :
Comment identifier et sélectionner de nouvelles espèces exploitables ?
Comment valoriser plus complètement les espèces déjà exploitées ?
Démarche et méthode de l’expertise collégiale
4Il n’existe pas de méthode éprouvée et unanimement reconnue pour déterminer quelles sont les ressources végétales exploitables d’une région donnée.
5De même, il n’existe pas, à notre connaissance, de tableau synthétique ou de base de données réunissant l’information pertinente concernant les ressources végétales exploitables de Polynésie française, en dehors d’ouvrages sur les usages locaux des plantes.
6Le travail réalisé par le groupe d’experts tend à combler cette lacune.
7Pour ce faire, les experts ont opté pour une approche par ressources biologiques, rendue possible par le fait qu’on dispose pour la Polynésie française de données botaniques relativement fiables. Les principales étapes de cette démarche ont été les suivantes :
Quoique le nombre en soit relativement circonscrit, il était impossible d’analyser la documentation scientifique disponible sur toutes les espèces végétales du Territoire. On a donc élaboré, sur la base de l’analyse critique des connaissances scientifiques disponibles, une méthode de présélection des substances végétales potentiellement exploitables.
S’agissant d’une flore insulaire fragile et présentant un fort taux d’endémisme, un premier croisement de critères s’est imposé : il convenait de croiser l’originalité botanique, comme critère premier d’inclusion avec le statut écologique, comme critère premier d’exclusion. La vulnérabilité constitue bien ici le critère d’exclusion car, à l’évidence, des espèces vulnérables ne peuvent raisonnablement être considérées comme « potentiellement exploitables » sans risque de disparition de la ressource elle-même et donc d’atteinte à la biodiversité.
Le nombre d’espèces à examiner s’est ainsi trouvé ramené à 430. À cet effectif a été appliquée une série de critères d’exclusion/sélection complémentaires (cf. tabl. 5).
8L’ensemble des critères d’exclusion/sélection a conduit à retenir 78 espèces à expertiser. Chacune fait l’objet d’une fiche, sur le modèle présenté ci-après, qui permet de croiser les informations (quand elles existent) et les commentaires provenant des différents spécialistes.
9Pour chaque fiche, les experts proposent un classement dans l’une des trois grandes catégories suivantes, définies collectivement :
Groupe 1 – Sélection restreinte concernant les espèces exploitées et espèces exploitables2.
Groupe 2 – Espèces dont la valorisation est possible à moyen terme, mais exige préalablement des travaux de recherche et développement.
Groupe 3 – Espèces non prioritaires qui répondent aux critères de sélection pris en compte dans l’expertise mais pour lesquelles, en l’absence de données bibliographiques significatives, il n’est pas possible de proposer des orientations de recherche et développement.
10Pour les espèces classées dans les groupes 1 et 2, les experts formulent un diagnostic sur les orientations possibles en matière de recherche, développement et valorisation. Deux points sont à remarquer :
La comparaison des fiches des groupes 1 et 2 fait bien apparaître l’état sensiblement différent, selon l’espèce considérée, de l’information disponible, d’où le caractère plus ou moins affiné des orientations qu’il a été possible de formuler.
La plupart des espèces du groupe 2 relèvent des catégories UICN sensibles.
11En conclusion, alors que la majorité des espèces étudiées sont encore, à quelques exceptions près, faiblement identifiées en termes de valorisation, les travaux de l’expertise mettent à la disposition de la Polynésie française un premier tableau de bord rassemblant les informations pertinentes sur les ressources exploitables. Il s’agit là d’un apport original, tant dans la méthode que dans la production finale.
12Il convient toutefois d’attirer l’attention sur deux faits :
D’une part, comme nous l’avons souligné, la biodiversité végétale locale demeure, à l’heure actuelle, sous-étudiée et, par voie de conséquence, son potentiel reste mal estimé. À l’encontre de cet état de fait, l’expertise collégiale apporte un instrument précieux, avec la réalisation d’un fichier « Flore utile de Polynésie française » (qu’on trouvera en annexe à la contribution Moretti-Florence sur le CD-ROM). Les plantes utiles citées dans les ouvrages de référence sont ainsi réunies en un seul fichier, qui recense, après vérification et actualisation de leur statut taxonomique, les espèces utiles de Polynésie française. Au-delà de la seule révision taxonomique, ce fichier apporte aussi des données originales ou actualisées sur leur distribution géographique et leur disponibilité, cette dernière notion permettant de préciser l’accessibilité, l’abondance et la structuration des peuplements actuels.
D’autre part, la méthode de sélection adoptée ici a sans doute eu pour effet de laisser passer au travers de son crible des espèces intéressantes, mais qui ne répondaient pas aux critères retenus, notamment l’originalité (endémisme). C’est le cas, par exemple, des « espèces introduites échappées des cultures », dont plusieurs, au premier chef les quinquinas, présentent un réel intérêt économique. Un développement de la contribution Moretti-Florence (sur CD-ROM) attire l’attention sur des cas de ce genre que, dans la logique de sa grille de critères, l’étude n’a pu retenir.
LES RESSOURCES MARINES
Généralités
13En fait de molécules originales d’intérêt biologique, les organismes marins représentent une réserve immense, mais encore très partiellement et très inégalement étudiée, et encore plus faiblement exploitée. Les groupes les mieux inventoriés sont les coraux et les mollusques, indicateurs reconnus de la biodiversité marine, ainsi que les algues. La situation est tout autre pour les spongiaires ou les micro-organismes.
14On estime qu’à ce jour, plus de 500 000 espèces marines, animales et végétales, ont été identifiées, mais que moins de 5 % de ces organismes ont fait l’objet d’études de leurs propriétés chimiques et biochimiques. La littérature scientifique s’enrichit régulièrement de résultats mettant en évidence des métabolites bioactifs d’origine marine. À cet égard, des analyses attestent une plus forte probabilité de réussite à partir des molécules marines : 10 pour 10 000, contre 1 pour 10 000 en ce qui concerne les molécules provenant d’organismes terrestres.
15Pour orienter la recherche de molécules d’intérêt dans cet « océan de possibles » (de la bactérie au requin !), on ne dispose pas, à la différence des substances terrestres, de guides ethnopharmacologiques, car il n’existe que de très rares usages traditionnels des substances marines.
16Compte tenu de l’état actuel de l’inventaire et des connaissances, les ressources marines et leur potentiel de valorisation, à la différence des substances naturelles végétales, ne donnaient pas matière à la rédaction de fiches distinctes et ne pouvaient faire l’objet que d’une approche globale (voir la contribution Guézennec-Débitus sur CD-ROM). On trouvera ici une présentation rapide des différentes formes de la ressource, par grands types d’organismes, ainsi qu’un exposé des perspectives de valorisation par grands secteurs économiques.
Les différentes formes de la ressource
Les co-produits de la pêche
17L’utilisation des co-produits de la pêche s’inscrit dans une démarche essentiellement « santé », s’agissant notamment des propriétés des acides gras polyinsaturés et plus spécifiquement des oméga-3 et des oméga-6. Des potentialités de valorisation existent dans le domaine de la nutrition humaine, dans le cadre de la lutte contre les maladies cardio-vasculaires et en oncologie.
18Un autre aspect de la valorisation des co-produits de la pêche se situe au niveau de la recherche de lipides spécifiques.
19De façon générale, si des pistes existent, les recherches n’en demeurent pas moins très en amont par rapport à d’autres molécules marines.
Les algues
20L’utilisation et l’exploitation des algues marines sont relativement peu connues du grand public, bien qu’elles soient désormais présentes dans nombre de produits de grande consommation. À l’échelle internationale, les algues sont exploitées majoritairement (à 70 %) dans le secteur de l’agroalimentaire, et essentiellement sur le marché de l’alimentation humaine en Asie. L’utilisation des algues pour l’alimentation humaine constitue un marché de près de 4 milliards de dollars US par an. Si les principaux utilisateurs sont effectivement les pays de l’Asie, on assiste actuellement au développement de « l’algue alimentaire » en Occident, en particulier sur le marché des compléments alimentaires et nutrition-santé.
21La valorisation de cette ressource marine connaît un vif essor et semble promise à un bel avenir. Or, comme cela a déjà été mentionné, la Polynésie française dispose en ce domaine d’acquis et d’outils très intéressants en termes de recherche : citons notamment une importante collection d’algues à l’Université de la Polynésie française, une autre à l’ILM, et le récent travail de synthèse (réalisé dans le cadre d’une thèse) sur les algues de Polynésie et leur valorisation potentielle dans différents secteurs, qui vont de la gestion de l’environnement à la cosmétologie.
Les micro-organismes
22Sous le vocable « micro-organismes » sont ici regroupés micro-algues, champignons, bactéries, archaébactéries et cyanobactéries.
23La Polynésie française possède en ce domaine des spécificités liées à son positionnement géographique, mais aussi à la présence d’écosystèmes particuliers tels que les « mares à kopara » (sujet d’un travail de thèse en cours).
24Les micro-organismes constituent une source de nombreuses molécules présentant un véritable potentiel en biotechnologie : polymères biodégradables, polysaccharides, enzymes, métabolites secondaires, etc. (cf. tabl. 7 p. 86).
25Les avancées considérables de la biologie moléculaire au cours de ces dernières années rendent désormais possible, et surtout plus accessible, l’étude des écosystèmes microbiens. De nombreuses études ont montré en effet que les techniques classiques de biologie, telles que les mises en culture sur milieux à caractère plus ou moins sélectif, ne permettent d’accéder qu’à une infime partie (de 0,1 % à 1 %) des espèces microbiennes présentes dans les écosystèmes marins. Cela signifie également qu’une proportion très importante de métabolites microbiens d’intérêt biotechnologique peut échapper à toute investigation. Cette ressource peu connue à ce jour et donc inexploitée pourrait s’avérer le principal gisement de nouvelles molécules d’intérêt biotechnologique des prochaines décennies. On peut donc considérer que l’un des enjeux majeurs de la recherche en matière de biotechnologie marine, et plus spécifiquement au niveau des micro-organismes, porte sur le développement de méthodes d’identification, de caractérisation et d’analyse de la fraction dite incultivable.
26Pour les différentes raisons qui viennent d’être évoquées, il apparaît impossible, voire inutile, d’inventorier les espèces microbiennes présentes au sein des différents écosystèmes polynésiens, tant du fait de leur nombre que de la représentativité fort incertaine d’une telle nomenclature éventuelle. Il est admis que seul un très faible pourcentage des espèces microbiennes sont cultivables, donc identifiables, selon les méthodes de taxonomie classique et que, par ailleurs, la notion de « milieu de culture » induit celle de sélectivité d’espèces par rapport à d’autres. Il en est de même au niveau de la valorisation de ces micro-organismes où la synthèse de métabolites d’intérêt biotechnologique peut être la conséquence d’une action au niveau de leurs conditions de croissance et de fermentation. En résumé, il faut pouvoir cultiver ces micro-organismes pour pouvoir les étudier scientifiquement et a fortiori les développer dans le domaine économique.
27Dans ces conditions, le plus judicieux serait d’envisager, spécifiquement pour les micro-organismes, une orientation vers la préservation et la constitution de collections de ces micro-organismes, cette ou ces souchothèque(s) constituant la base de toute action ultérieure en matière de valorisation et d’exploitation dans les différents secteurs de la biotechnologie.
Domaines de valorisation
28Les applications potentielles des ressources marines sont multiples et peuvent concerner, comme source de nouveaux modèles, nouveaux produits ou nouveaux procédés, de nombreux secteurs industriels. En effet, leur diversité et leur adaptation à des conditions de vie atypiques ou extrêmes ouvrent des perspectives originales quant au développement de nouvelles molécules bioactives. Le vif intérêt qu’elles suscitent se traduit notamment par le dépôt en nombre croissant de brevets relatifs aux activités biologiques des produits issus des organismes marins (principalement des invertébrés jusqu’à présent).
29En termes de valorisation, et quelles que soient les ressources marines concernées, un certain nombre d’axes paraissent correspondre à une demande à la fois économique et sociétale :
L’environnement en quête de « technologies propres » (« chimie verte ») pouvant se substituer à d’autres techniques plus polluantes, moins spécifiques, moins performantes ou plus onéreuses.
La cosmétologie/dermocosmétologie, domaine en quête permanente de nouvelles molécules innovantes tant par leur « histoire » qu’en raison de leurs propriétés physico-chimiques et de leur efficacité. En dépit de nombreuses incertitudes – notamment, mais pas uniquement, au plan de la réglementation – ce secteur apparaît souvent, de façon plus ou moins fondée, comme « le » créneau à privilégier dans une démarche de valorisation à court terme.
L’agro-alimentaire, pris au sens large du terme, demandeur de nouvelles molécules texturantes pouvant s’adapter à de nouvelles contraintes de marché.
La chimie de synthèse et/ou d’hémisynthèse, à la recherche de nouvelles molécules ou de précurseurs.
Le domaine de la santé avec une recherche, parfois très ciblée, d’une grande spécificité, d’efficacité et/ou de forte activité, pour la mise au point de substituts à des molécules existantes mais d’origine non souhaitée pour diverses raisons. Ainsi, le recours à des composés bioactifs d’origine marine peut s’avérer un avantage majeur par rapport à l’emploi de molécules – héparine, acide hyaluronique – d’origine animale, du fait de la découverte d’agents pathogènes non conventionnels.
Quelles stratégies de valorisation ?
30La biodiversité marine et le niveau actuel de connaissance sont tels qu’il semble délicat, voire impossible dans une première phase, de privilégier un axe de valorisation plutôt qu’un autre. Une telle valorisation implique comme préalable l’étude pluridisciplinaire de la flore et de la faune des différents biotopes.
31Les conditions de cette valorisation seront de surcroît fort diverses selon les voies d’obtention des extraits. De fait, l’un des critères déterminants pour l’exploitation d’un produit original est la facilité et la rentabilité (coût) de son obtention. Trois méthodes peuvent être utilisées pour obtenir les produits en quantité suffisante : par extraction-purification de métabolites (primaires et secondaires) à partir des organismes (macro et micro-), par synthèse, ou encore par hémisynthèse, compromis entre les deux voies précédentes (transformation d’un précurseur naturel). Synthèse comme hémisynthèse sont parfois complexes, rarement impossibles, mais, compte tenu des coûts induits, pas toujours rentables pour l’exploitation des molécules. Dans ce contexte, la voie de production par biotechnologie de molécules actives constitue bel et bien, économiquement parlant, une voie d’avenir : soit par aquaculture en milieu naturel des organismes producteurs (éponges, ascidies, gorgones, algues…), soit par recours à des procédés biotechnologiques (fermentation, photobioréacteur) en ce qui concerne notamment les microorganismes (cyanobactéries, micro-algues, champignons, bactéries).
32Pour tout cet ensemble de raisons, la constitution de collections couplées à une forte composante en chimie marine apparaît, à court et moyen terme, comme l’orientation la plus pertinente en fait de valorisation. Les conditions requises pour ce faire sont à la portée de la Polynésie française et seront détaillées dans la section suivante.
Notes de bas de page
1 La bioprospection consiste en l’exploitation, l’extraction et le criblage ou tri de la diversité biologique et des connaissances indigènes pour découvrir des ressources génétiques ou biochimiques ayant une valeur commerciale.
2 Pour en faciliter la consultation, les fiches de ce groupe particulièrement intéressant sont reproduites dans l’édition papier (cf. annexe 1).
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Substances naturelles en Polynésie française
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