Former des enseignants dans un contexte plurilingue et pluriculturel
p. 317-347
Texte intégral
Introduction
1Beaucoup de chercheurs et d’enseignants ayant exercé en Guyane peuvent témoigner de l’expérience suivante : ils se trouvent en métropole, face à des collègues ou à des membres de leur hiérarchie à qui ils tentent d’expliquer la nature et l’ampleur des problèmes de l’éducation dans le contexte guyanais, et leur discours ne passe pas. Leurs interlocuteurs tendent toujours à ramener la question à un retard historique, ou, le plus souvent, à la problématique des langues régionales métropolitaines, faisant appel à leurs souvenirs ou à ceux de leurs parents ou grands-parents bretonnants, alsaciens, occitans… Les élèves de Guyane auraient en quelque sorte un mauvais moment à passer, souhaitons-leur bon courage et restons optimistes, puisque nous-mêmes ou nos ancêtres avons surmonté victorieusement les mêmes difficultés. L’idée que l’on puisse rencontrer un écart linguistico-culturel quantitativement supérieur et qualitativement différent, posant des problèmes qui doivent être pensés autrement, ne trouve pas de point d’ancrage dans la mémoire et la conscience de la majorité des résidents de l’Hexagone. Comme le disait une campagne de promotion touristique : « La Guyane, personne ne vous croira ».
2Or tout enseignement dispensé dans une situation de forte altérité linguistique et culturelle rencontre des problèmes spécifiques : de méthodes, de programmes, de formation des enseignants, et bien sûr de langue. Il est essentiel d’en prendre une mesure exacte, à travers une connaissance rationnelle. Si en Guyane l’échec scolaire est le plus élevé de l’ensemble des régions françaises (autres DOM compris), c’est peut-être parce que pendant longtemps l’institution y a vécu dans un profond déficit de connaissances sur ses élèves, lesquels, sous prétexte qu’ils étaient en droit les égaux de n’importe quels autres, ont eu à travailler avec des méthodes, des contenus, des aménagements du temps interchangeables avec ceux de n’importe où, présentés par des enseignants formés à exercer dans un contexte foncièrement différent. Et jusqu’à une date très récente, les supports pédagogiques ne présentaient que des éléments de la vie quotidienne des classes moyennes dans l’Europe urbaine, tandis que la formation à l’IUFM de Guyane (et a fortiori dans ceux de métropole) ne préparait pas à la réalité des milieux d’exercice guyanais. Cet écart ne peut certes pas être considéré comme la seule et unique cause de l’échec scolaire en Guyane : les difficultés liées à la situation socio-économique et socio-culturelle, à l’entrée tardive de certains élèves dans le milieu scolaire, ou aux problèmes matériels sont en Guyane supérieures à la moyenne nationale. Il représente cependant un paramètre dont la portée, évidente pour tous les acteurs de terrain, est largement sous-estimée dans les instances de direction et de décision. C’est en tant que linguiste et sociolinguiste travaillant sur le terrain guyanais, mais aussi en tant que formateurs de professeurs des écoles (désormais PE) de l’académie de la Guyane, que nous proposons ces réflexions sur la préparation des enseignants à l’enseignement en Guyane : notre souci étant de leur permettre plus d’aisance et d’efficacité dans leur pratique professionnelle, dans un contexte caractérisé par le plurilinguisme et l’écart linguistique et culturel. Il y a dans ces propositions le désir de relever ce défi complexe de penser une école du plurilinguisme et non plus de subir le plurilinguisme comme « marqué par l’échec scolaire, la discrimination, des conditions socio-économiques difficiles, des tensions racistes », et donc de faire un bon usage « de l’atout socioculturel et linguistique représenté par les [élèves], qui est fondamental à la fois pour leur propre devenir et pour celui de la société » (Mondada, 2000 : 215).
3Longtemps refusée au nom de l’égalitarisme républicain, qui cachait bien mal une vraie myopie intellectuelle, la réflexion sur les spécificités de ce contexte fait, depuis quelques années, l’objet d’une maturation lente mais consciente et convergente de divers acteurs et du système éducatif guyanais. C’est dans cette démarche intellectuelle que prend place le présent chapitre, qui dressera un profil des professeurs des écoles en Guyane ainsi qu’un état des lieux de la formation des enseignants dans le département. Il en découlera une réflexion didactique sur les compétences à viser dans un contexte d’enseignement plurilingue et pluriculturel, ainsi que des propositions axées sur le contexte d’exercice des professeurs des écoles en Guyane1. Ces propositions aboutissent, pour conclure, à l’élaboration d’un référentiel de compétences, ainsi qu’à des suggestions concernant les contenus de formation, en direction des PE exerçant en Guyane. Le référentiel s’organise en trois volets, l’un sociolinguistique, l’autre linguistique, l’autre enfin didactique. Il décline pour chacun de ces trois domaines des savoirs, savoir-faire et savoir-être dont nous considérons qu’ils représentent des minima dans les compétences à mettre en œuvre pour un enseignant de primaire dans le département.
Prendre en compte le plurilinguisme à l’école
4Il existe à l’heure actuelle dans les pays du Sud, tant de la part des chercheurs que des acteurs de l’éducation, un intérêt croissant pour la question du plurilinguisme dans les actions éducatives, conséquence selon J. E. Lòpez (1995 : 25) d’une plus grande attention portée à l’éducation bilingue qui se développe progressivement depuis quatre décennies (Hamers, 1997 a : 18). Ces recherches sont particulièrement productives en Afrique et en Amérique du Sud, même si certains travaux concernent l’éducation plurilingue dans les pays occidentaux, où elle prend une forme différente. Comme l’observe Poglia (1995, cité par De Goumoëns, 1997 : 144), les politiques éducatives en Suisse semblent tendre vers la prise en considération du potentiel linguistique et culturel des élèves : « on peut discerner, sur une longue durée, le développement d’une tendance générale favorable à la valorisation, limitée il est vrai, de la différence et de l’altérité culturelle ». En France cependant, si l’institution scolaire se pose la question du plurilinguisme2 cela se fait essentiellement sous l’angle des difficultés éprouvées par les élèves dans l’apprentissage du français. Lorsque le plurilinguisme est valorisé, il l’est sous une forme bien particulière dans la mesure où cette valorisation ne s’applique guère qu’à l’enseignement des langues étrangères et plus spécifiquement celles qui sont considérées comme prestigieuses ou utiles. Il y a dans ce paradoxe le signe « d’une politique linguistique schizophrénique » (Ovando, 1990, cité dans De Goumoëns, 1997 : 147) : « d’un côté l’apprentissage et la connaissance des langues étrangères sont valorisés et encouragés, alors que d’un autre côté, les compétences linguistiques des élèves issus de la migration [et des autres élèves alloglottes de Guyane] ne sont pas prises en considération, ce qui conduit à un véritable gaspillage des connaissances linguistiques déjà présentes » (De Goumoëns, 1997 : 147). Cette attitude se fait l’écho de l’opposition dénoncée par G. Varro (1990) et A. Lietti (1994) entre un « bilinguisme des riches » et un « bilinguisme des pauvres ». Il apparaît donc que « le divorce entre plurilinguisme et école » (Coste, 1991 : 170) est particulièrement fort en France où le souci d’unification nationale a traditionnellement eu pour conséquence la valorisation de l’unité linguistique, laquelle a, à son tour, débouché sur un véritable idéal de monolinguisme francophone. Dans ces conditions, « il n’y a rien de surprenant à ce que, d’une part, le capital multilingue que constitue une population scolaire aux origines variées soit tendanciellement négligé ou comme ignoré par l’institution éducative et que, d’autre part, cette dernière, au-delà des pétitions de principe, ne place guère la maîtrise de plusieurs langues au nombre de ses priorités ardentes » (Coste, 1991 : 170). En Guyane, cette tendance se traduit par une focalisation sur la didactique du français langue seconde, à défaut de la mise en place d’une véritable didactique du plurilinguisme. Notons cependant que d’autres approches y ont récemment vu le jour, telles que le programme des médiateurs bilingues (Goury et al., 2000 ; Puren, 2004 et p. 279 pour des détails sur l’histoire des politiques éducatives en Guyane) et, à titre beaucoup plus expérimental pour l’instant, l’Éveil aux langues et au langage (Candelier, p. 369).
5Malgré un intérêt croissant pour la question du plurilinguisme de la part des institutions éducatives à travers le monde, qui s’accordent aujourd’hui à constater la nécessité d’une adaptation à un environnement plurilingue, il reste encore beaucoup à faire, et notamment dans le domaine de la formation des enseignants où historiquement, comme le rappelle J. E. Lòpez (1995 : 25), « la formation de professionnels amenés à répondre aux besoins de l’éducation bilingue a toujours été considérée comme non prioritaire ». Il incombe donc aujourd’hui à ces institutions de repenser cette formation « afin d’améliorer la capacité des enseignants à enseigner dans des contextes plurilingues » (Gagliardi, 1995 : 1) et, pour ce faire, de définir avec précision les savoirs, savoir-faire et savoir-être visés par ces formations. Ceci implique la mise en relation des compétences nécessaires aux enseignants pour enseigner dans ces contextes avec leurs compétences acquises. Il conviendra ainsi de combler l’écart qui pourrait exister entre ce qu’ils « savent/savent faire » et ce qu’ils devraient « savoir/savoir-faire ».
6Les travaux sur les situations plurilingues où le français est la langue de l’école mettent souvent en évidence, en sus des constats sur les conditions précaires d’enseignement, l’insuffisance dans la formation du personnel enseignant (Vigner, 1987 : 42). Ces constats portent néanmoins le plus souvent sur les pays anciennement colonisés tels ceux du Maghreb ou de l’Afrique sub-saharienne et, lorsque ce manque de formation est évoqué, il concerne avant tout une formation universitaire dans les différents domaines disciplinaires de l’école ou en didactique. Pourtant, il est une compétence que les enseignants de ces pays possèdent et qui est rarement mise en avant : le savoir sur les élèves, sur leurs langues, sur leurs cultures, sur leur environnement – même si ce savoir n’est pas transmis de manière formelle. A contrario, en France, où cette formation universitaire est assurée, on oublie fréquemment de se poser la question de cette compétence liée à la connaissance du public. Lorsque l’enseignement à un public allophone est concerné, les textes officiels préconisent que les enseignants aient eu dans leur cursus une approche du Français Langue Étrangère (FLE), et, plus récemment, du Français Langue Seconde/de Scolarisation (FLS). Il existe ainsi un décalage entre des situations hors de la France où la recherche aborde la question de l’enseignement en termes d’éducation bilingue ou plurilingue, et en France ou dans les DOM et dans certains TOM où l’on pense cette question essentiellement en termes de FLS (voir Travaux de Didactique du français langue étrangère, n° 48).
7Pourtant, dans les approches plurilingues de l’éducation, l’objectif de l’enseignement devrait être, comme pour toute démarche éducative, « d’éviter [le] hiatus entre l’école et la vie », et devrait viser « la compréhension du milieu dans lequel [l’élève] est appelé à vivre »3. Si cette future réussite implique d’apprendre aux élèves à s’intégrer au mieux à la société, il convient donc de tenir compte du fait que celle-ci est plurilingue et pluriculturelle. Ainsi, au-delà des compétences liées aux différentes disciplines scolaires, il en est une nouvelle qui émerge, celle qui permettra aux élèves de vivre au mieux dans des sociétés de ce type. On est bien loin alors de l’idéal monolingue qui prévalut si longtemps et qui prévaut, aujourd’hui encore, d’une certaine manière, dans de nombreuses sociétés occidentales.
8Dans l’école guyanaise, si les élèves doivent bien évidemment maîtriser la langue française, placée « au cœur des apprentissages » pour reprendre les termes des instructions officielles de 2002, ils doivent aussi apprendre à vivre en Guyane, dans une société plurilingue, en tant que plurilingues. Mais cet objectif n’est que rarement explicite parmi ceux qui sont habituellement identifiés par l’Éducation nationale en France. Ce qui a bien évidemment des conséquences directes sur les pratiques éducatives, car si les enseignants ont à travailler dans ce sens, il convient de les y former. En effet, dans une école qui se donnerait un tel objectif, l’enseignant « joue un rôle fondamental dans l’ouverture de l’école aux langues et dans la valorisation des ressources culturelles et linguistiques des élèves allophones » (De Goumoëns, 1997 : 143).
Redéfinir les objectifs de la formation des PE en Guyane
9L’objectif de toute formation d’enseignant est de permettre à ce dernier « de saisir toutes les composantes de la situation dans laquelle il est impliqué avec ses élèves, et trouver l’attitude de réponse la plus adaptée » (Postic, 1977). Tout enseignant se doit donc d’avoir une vraie connaissance de ses élèves, de leurs acquis antérieurs, afin de pouvoir répondre avec pertinence à leurs besoins et de mettre en place un enseignement qui leur soit adapté. Par conséquent, l’un des aspects fondamentaux de leur formation doit porter sur « la caractérisation des publics […], et si celle-ci inclut nécessairement le statut du français, elle ne saurait s’y réduire. » (Coïaniz et al., 2002 : 3). P. Fioux (2002 : 5) en conclut que le point de départ de toute réflexion sur ces contextes doit être l’élaboration d’une véritable « typologie des publics, à partir de laquelle se différencieraient aisément des choix d’enseignement ».
10Le public auquel seront confrontés les enseignants en Guyane est un public d’apprenants bilingues ou plurilingues en cours d’acquisition du langage au travers de deux ou plusieurs langues. Il est d’usage en Guyane, de la part des acteurs de l’Éducation nationale, de séparer le public scolaire entre élèves monolingues d’un côté et élèves plurilingues de l’autre (Alby et Léglise, 2005). Pourtant, contrairement à ces idées reçues, la plupart des élèves arrivant à l’école sont déjà plurilingues, certains parce qu’ils évoluent dans un univers où plusieurs langues sont en contact – et ce même dans les sites que l’on qualifie le plus souvent de monolingues comme par exemple à Apatou avec l’aluku, le ndyuka et le saamaka, et à Javouhey avec le hmong et le ndyuka –, d’autres du fait de la présence dans ce site de plusieurs communautés, d’autres enfin du fait de la présence de véhiculaires dans les répertoires verbaux des adultes (Léglise et Puren, 2005, Léglise, 2004). De plus, certains sont déjà en contact avec le français avant même leur entrée à l’école, par le biais des médias notamment. Si l’on veut proposer un enseignement adapté, il convient donc de connaître cet univers plurilingue dans lequel évoluent les élèves avant leur arrivée à l’école et dans lequel ils continuent d’évoluer.
11L’enseignement – et, donc, la formation des enseignants – ne saurait de ce fait se contenter de considérer les langues des élèves comme des entités étanches, mais doit se construire sur la notion même de plurilinguisme. Cet enseignement doit s’inscrire dans le cadre « d’une école multilingue, qui reconnaisse la pluralité des langues, des pratiques, des compétences et des vécus langagiers des acteurs » et non plus dans celui d’une école qui « impose une vision normative de la langue objet d’apprentissage et des programmes scolaires, un projet unificateur, une référence monolingue » (Mondada, 2000 : 215).
12Certes, la place de la (des) langue(s) première(s) des élèves est objet de débat tant dans la communauté scientifique qu’à l’Éducation nationale, et tant en Guyane que partout ailleurs en France. En effet, comme le rappellent L. Gajo et L. Mondada (2000 : 180), « la réflexion sur le rôle de la L1 [langue première] dans l’acquisition de L2 [langue seconde] a repris une certaine vigueur en linguistique depuis la fin des années quatre-vingt, parallèlement à la réhabilitation des activités métalinguistiques ou “grammaticales” dans les méthodes communicatives ». On peut – on doit ? – dès lors concevoir aujourd’hui la L1 non plus comme une difficulté mais au contraire comme un « atout », le recours à la L1 dans l’apprentissage d’une L2 étant alors envisagé « comme une trace de compétence et non d’incompétence » (Gajo et Mondada, 2000 : 182). Ainsi, au-delà même de la L1, c’est le bilinguisme et le plurilinguisme eux-mêmes qui sont à considérer comme une ressource ou un moyen d’acquisition en soi.
13Face à de tels objectifs éducatifs, il convient donc de penser une formation des enseignants adaptée à un contexte plurilingue, s’appuyant tant sur leur profil que sur le milieu dans lequel ils seront amenés à évoluer au cours de leur vie professionnelle.
Le contexte guyanais, conséquences éducatives
14Sous des formes plus ou moins tranchées, la plupart des enseignants de Guyane se plaignent à qui veut les entendre (Puren, 2005, Léglise et Puren, 2005) de n’avoir pas été préparés à la rencontre de leur terrain d’exercice, bien que les efforts récents de l’IUFM de Cayenne soient généralement appréciés. En tout cas, sans qu’il soit toujours explicitement formulé, le sentiment prévaut qu’enseigner en Guyane exige toutes les connaissances et toutes les compétences en œuvre ailleurs, plus quelques autres sans lesquelles les premières sont inopérantes. Et d’ailleurs, on apprend vite qu’« enseigner en Guyane » se décline en une grande diversité de situations, tant est grande la diversité des conditions matérielles et des populations scolaires. Globalement différent de celui de la métropole, l’enseignement en Guyane présente ainsi un éventail d’altérité entre des cas de figure relativement proches de ceux de l’Hexagone et d’autres proprement inouïs et impensés dans le contexte français. Commençons par ceux-là, car, même s’ils ne sont que quelques dizaines à l’intérieur d’un corps de plusieurs centaines de milliers de fonctionnaires, et même s’il y a une certaine logique à ce que vus de la rue de Grenelle ils pèsent peu dans les préoccupations d’une institution encline à raisonner en termes quantitatifs, il reste que les enseignants des sites isolés le long des fleuves Maroni et Oyapock ont quelques motifs à se sentir incompris et démunis lors de leur prise de fonctions.
15Pour des raisons matérielles d’abord. Pour rejoindre leur poste depuis des villes reliées au reste du monde par la route ou par l’avion (Saint-Laurent-du-Maroni, Maripasoula, Saint-Georges-de-l’Oyapock), il leur faut entre une heure et deux jours de pirogue, ce trajet étant à la fin de la saison sèche encore allongé et rendu plus dangereux par les « sauts » (les rapides, où les roches affleurent) qui faisaient jusqu’à 2005 du Maroni un fleuve réputé non navigable. Dans certains de ces sites on ne trouve aucun commerce, de sorte qu’il leur faut, soit se livrer à des transactions complexes avec les habitants, soit apprendre la chasse, la pêche et l’agriculture, soit faire venir du fret dans les conditions décrites plus haut. Beaucoup doivent apprendre à se passer d’électricité et parfois d’eau courante. Tous sont menacés du paludisme, pour lequel il n’existe pas de vaccin (mais seulement des préventions ponctuelles, adaptées aux voyageurs de passage mais non aux résidents permanents), et qui n’est pas reconnu comme maladie professionnelle. On a beau être jeune, savoir s’adapter et avoir le goût de l’aventure (mais peut-on exiger ces qualités de tous ?), il reste que l’inconfort, l’isolement et les fièvres ont souvent raison des tempéraments les mieux trempés.
16Comme on peut s’y attendre, les stratégies de fuite ou d’évitement, justifiées (par des raisons de santé ou de famille) ou de mauvaise foi, sont l’attitude la plus courante, les demandes de mutation pleuvent au rectorat dès la première année d’exercice, on assiste à des évacuations sanitaires et parfois à des suicides (Puren, 2005 ; Durand et Guyard, 1999). Et l’on voit se développer la forme la plus aiguë d’un mal depuis longtemps repéré par l’institution scolaire sur l’ensemble du territoire : les écoles où se posent les problèmes les plus délicats, qui exigeraient une équipe enseignante expérimentée, une mémoire locale fécondant la réflexion et l’ensemble des pratiques professionnelles, ces écoles sont aussi celles où sont nommés les jeunes enseignants les plus débutants et les plus fragiles, et où le renouvellement du personnel est le plus rapide. Ajoutons que dans aucun autre endroit on ne trouve autant d’enseignants non titulaires, recrutés sur le tas au cours de trajectoires personnelles diverses et parfois erratiques. Selon un document de la circonscription des fleuves « Liste des écoles du Maroni », les contractuels représentent, par exemple, pour l’année 2004-2005, 30 % des enseignants du primaire. Il est vrai que beaucoup d’entre eux compensent les insuffisances de leur formation par une ouverture d’esprit et une curiosité intellectuelle qui les rendent particulièrement attentifs à la réalité de leur milieu d’exercice. Mais même les titulaires, formés selon les normes et les exigences des IUFM, et même si ledit IUFM est celui de Cayenne, plus proche des problèmes, n’en sont pas pour autant mieux à même de les affronter.
17Car le mal-être des enseignants des sites isolés ne se réduit pas à une aspiration à de meilleures conditions de vie et de travail, qui prend la forme de revendications relayées par les syndicats, et dont peu d’autorités contestent d’ailleurs le bien-fondé. Il se double surtout d’une difficulté majeure dans leur pratique professionnelle elle-même. C’est que la quasi-totalité des sites isolés – à l’exception de ceux qui ne sont pas situés sur les fleuves (Saint-Élie, Saül) ou du bas Oyapock (Ouanary) – se trouvent dans les régions peuplées par les Amérindiens (Wayana sur le haut Maroni, Wayampi sur le haut Oyapock, Émerillons des deux côtés) ou par les Businenge ou Noirs Marrons (Aluku ou Boni, Ndyuka et Paramaka sur le moyen Maroni). Entre ces populations sylvicoles et les normes métropolitaines, l’écart est considérable : l’ensemble des références présentes dans le système éducatif français et ses supports pédagogiques – le cadre et le mode de vie, la nature, l’organisation sociale, et bien entendu la langue de scolarisation – se trouve en porte-à-faux dans l’univers traditionnel de la forêt, des fleuves, de la faune et de la flore, de la relation aux adultes et aux pairs, du système de valeurs et d’accès à la connaissance, et de la langue véhicule de cette culture.
18On dira qu’après tout une situation de grande altérité est bien présente en France métropolitaine, chez certains des élèves dits « primo-arrivants », qui vivent un dépaysement linguistique et culturel majeur, souvent douloureux, et dont la scolarisation pose des problèmes dont le système éducatif commence à avoir l’habitude : elle a fait l’objet de réflexions, et il a été prévu tout un dispositif comprenant en particulier les Casnav (Centres académiques pour la scolarisation des nouveaux arrivants et des gens du voyage, ex-Cefisem) et les CLIN (classes d’initiation) ou CLA (classes d’accueil). Qu’il fonctionne de façon satisfaisante ou non n’est pas pertinent ici, l’essentiel est de voir qu’au moins l’institution a un tant soit peu pensé cette situation. Et ce dispositif existe bien en Guyane, où le Casnav est mis à contribution non seulement pour la scolarisation des étrangers, mais aussi pour celle des non-francophones autochtones. En revanche, ce qui n’a pas d’équivalent en métropole, c’est la position respective des enseignants et des élèves. En métropole, les élèves en situation de fort écart culturel appartiennent à des groupes divers dont aucun ne représente l’ensemble d’une classe, alors que les écoles purement amérindiennes ou businenge sont la norme dans les sites isolés de Guyane. Ensuite, les enseignants de métropole, même s’ils ne sont pas totalement chez eux dans les cités dites « à forte proportion d’immigrés », peuvent retrouver leurs habitudes dans une proximité géographique raisonnable, et surtout jouer le rôle – parfois gratifiant – de pont vers la culture d’accueil. Sur le Maroni et l’Oyapock, ce sont les élèves qui sont chez eux, dans un univers familier, et le corps enseignant, majoritairement métropolitain, éventuellement antillais ou guyanais des zones côtières urbanisées, qui est extérieur. Pour développer une relation pédagogique efficace, on se trouve dans la pire des situations, puisque les connaissances des enseignants et celles déjà acquises par leurs élèves en grandissant dans leur univers naturel et social (ce que J.-P. Cuq appelle le « curriculum caché ») sont très largement disjointes : de par la profonde différence de leurs vécus antérieurs respectifs, ils partagent trop peu de références communes. Dans ces conditions, on ne peut pas se poser le problème en termes d’intégration comme on le fait pour les immigrés ; et s’il est légitime que l’école garde sa mission d’ouverture vers le monde extérieur et l’universalité, il faut que cette universalité, sauf à se nier elle-même, n’exclût pas la partie du monde où vivent ces élèves. Certains acteurs du système éducatif répètent à l’envi qu’« il ne faut pas enfermer les élèves dans leur culture, mais leur donner les moyens d’accès à l’universel ». De tels propos ne sont crédibles et recevables que si leurs auteurs se les appliquent à eux-mêmes, ne restent pas sourds et aveugles à tout ce que la socio-diversité guyanaise peut enseigner sur l’universel, et en acquièrent des connaissances qu’ils partagent ainsi avec les élèves, en sachant s’appuyer sur ces connaissances pour aider les élèves à construire les connaissances nouvelles.
19Prenons maintenant l’autre extrémité de la palette : celle de la côte, où se concentre la majorité de la population guyanaise. Il s’agit de zones accessibles, urbanisées, ouvertes sur le monde extérieur et en phase avec la modernité. Comme on peut s’y attendre, les postes d’enseignement y sont beaucoup plus recherchés que dans les sites isolés, et, par le jeu normal des barèmes régissant les mutations dans le cadre des commissions paritaires, on y trouve beaucoup plus qu’ailleurs d’enseignants expérimentés, originaires de cette partie de la Guyane, ou métropolitains en milieu ou en fin de carrière. Dans les quartiers aisés des villes, dans les communes moyennes, la majorité des élèves – 60 % à Cayenne (Léglise, 2004) – arrive à l’école déjà francophone (à ceci près qu’ils sont très souvent bilingues en français et en créole guyanais, ayant acquis précocement les deux langues). On trouve aussi, dans d’autres quartiers des villes, beaucoup d’écoles où la proportion d’immigrés est très forte, voire dominante. Ce dernier cas, connu dans l’Hexagone, est comme on l’a dit, sinon bien compris et traité, du moins relativement familier à l’institution scolaire, et l’on retrouve la problématique de l’intégration.
20Mais par-delà ces parallèles, la spécificité guyanaise reste forte, de sorte que les enseignants métropolitains qui, pour des raisons diverses, demandent leur mutation pour la Guyane, et sont nommés sur la côte, sont pour la plupart très déstabilisés par leur premier contact, et ne « retombent sur leurs pieds » qu’au bout d’un certain temps, plus ou moins long selon leur disposition à s’ouvrir à un univers non familier. Beaucoup racontent de bonne grâce certaines mésaventures, rarement tragiques, qui ont pu perturber leur enseignement ou mettre à mal leur prestige de maître. Par exemple, un enseignant qui demande Qu’est-ce que le couac ? à un élève qui lui parle du couac – une farine de manioc qui est la base de l’alimentation dans toutes les communautés de Guyane – se met vis-à-vis de ses élèves guyanais dans la position d’un enseignant qui en métropole manifesterait son ignorance de ce qu’est le pain. Nous pourrions citer des dizaines d’autres anecdotes, de première ou de seconde main, qui témoignent du flou des connaissances du grand public métropolitain, y compris sur la localisation même de la Guyane. Pour cocasses qu’elles soient souvent, elles sont surtout vécues par les Guyanais comme une attitude de mépris, à travers ce refus de connaissance par la collectivité française de ce qui est tout de même l’une de ses composantes.
21L’immigration elle-même, massive, ne se présente pas selon les schémas habituels en métropole. Les nationalités dominantes – Haïtiens, Surinamiens, Brésiliens – ne sont pas les mêmes, et dans les deux premiers cas au moins, la langue maternelle et la langue de scolarisation du pays d’origine ne se confondent pas4. Très peu de Surinamiens, surtout parmi les immigrés de Guyane, ont le néerlandais comme langue maternelle (ce sont les langues businenge, plus marginalement le sranan tongo, qui dominent), et dans le cas des Haïtiens, la situation est très contrastée entre ceux qui ont grandi en Guyane, ceux qui ont pu avoir en Haïti une scolarisation plus ou moins suivie, et ceux qui arrivent à l’école en Guyane sans aucune expérience du français (voir Maud Laethier, p. 193). Nous verrons que le fait de parler un créole à base lexicale française n’est pas un vrai avantage par rapport aux locuteurs d’une langue radicalement différente du français ; et, en tout cas, il est erroné de considérer les Haïtiens a priori comme francophones sous prétexte que le français a dans leur pays un statut de langue officielle. Ajoutons que le cadre de vie et les références culturelles des Haïtiens sont très différents de ceux qu’ils apprennent à connaître en Guyane, de sorte que l’école leur impose un double écart : non seulement ils doivent se plier à la loi générale des enfants d’immigrés (être scolarisés selon la norme et avec les références du pays d’accueil), mais en plus les références sont celles de la métropole et non de l’endroit où ils sont accueillis.
Le profil des enseignants
22Le profil des enseignants en Guyane semble bien loin de ce que l’on pourrait attendre d’eux en fonction du contexte dans lequel ils évoluent et des objectifs que doit se fixer l’école en Guyane. Cela n’a rien de spécifique à ce DOM ou à la France. En effet, comme le montre R. Gagliardi (1995 : 2), dans la plupart des situations d’enseignement dans les contextes plurilingues, il y a de manière systématique des lacunes à ce niveau chez les acteurs de l’éducation, qu’ils soient preneurs de décision ou directement impliqués dans l’action éducative. Parmi celles-ci, nous retiendrons ici qu’ils n’ont généralement que peu, voire pas, de connaissances sur les situations plurilingues, que parfois ils ne s’y intéressent pas ou qu’ils ont tendance à considérer la diversité culturelle et linguistique comme un élément négatif dans l’éducation.
23Dans ce domaine, les attitudes des enseignants face à leur public, face à l’enseignement en Guyane et face à la place à accorder à la langue des élèves sont assez révélatrices. Certes, on ne trouve que peu d’enseignants à l’heure actuelle qui se déclarent totalement hostiles à la prise en compte de la langue des élèves dans le contexte scolaire, la plupart se déclarent d’ailleurs favorables à celle-ci. Cependant, cette prise en compte, telle qu’ils la conçoivent, se révèle le plus souvent être envisagée comme un moyen de résoudre des problèmes de discipline ou sous la forme d’une « béquille pour aller vers le français » et rares sont ceux qui finalement se déclarent réellement favorables à l’introduction des langues des élèves en elles-mêmes et pour elles-mêmes (Léglise et Puren, 2005).
24Or, il est attesté dans un certain nombre de travaux (Hamers et Blanc, 1983) que les attitudes de l’entourage de l’enfant vis-à-vis des langues de son répertoire et de son bi- ou plurilinguisme ont une profonde incidence sur son développement bi- ou plurilingue. Ainsi, dans la mesure où l’enseignant occupe une place fondamentale dans le réseau social de l’enfant (De Goumoëns, 1997 : 144), son attitude concernant sa (ses) langue(s) et son bi- ou plurilinguisme doit faire l’objet d’une réflexion et d’une formation dans le cadre de sa professionnalisation à l’IUFM ou en formation continue.
Former les enseignants : actions, outils et propositions didactiques
Actions de formation existantes
25J. E. Lòpez (1995) observe que cette difficulté liée aux savoir-être et savoirs des enseignants est récurrente dans les situations d’enseignement en milieu plurilingue. On pourra donc s’étonner avec lui, en observant des actions éducatives dans ces contextes, qu’elles ne concernent le plus souvent que la mise en place de méthodologies et de matériaux pédagogiques, la répercussion sur la formation des enseignants portant alors essentiellement sur l’acquisition de savoir-faire sur ces nouvelles méthodes et ces matériaux. Cet auteur (1995 : 25) regrette ainsi que « la formation a toujours été considérée comme une activité fonctionnelle liée au développement de projets individuels, plutôt que comme une action permettant d’apporter aux enseignants une formation de base (ou plus) sur une base professionnelle et ayant une valeur à long terme ». La formation des enseignants en Guyane ne nous semble pas échapper à cette tendance dans la mesure où les propositions y sont essentiellement focalisées sur des questions méthodologiques (voir ci-dessous la discussion du Plan Académique de Formation – désormais PAF – de 2005). Ces aspects de la formation sont évidemment nécessaires mais ne suffisent pas à préparer les enseignants au milieu dans lequel ils vont exercer et au public auquel ils seront confrontés. Ils ne les préparent pas non plus à s’appuyer sur les savoirs des enfants pour construire les apprentissages. Certes, certaines de ces formations proposent des modules portant sur les caractéristiques du public plurilingue, mais cette question n’est finalement traitée que de manière parcellaire sous la forme d’interventions de trois ou quatre heures sur trois semaines de stage.
26Ainsi, le « mot du Recteur » du PAF de 2005 se contente d’évoquer « les formations à la culture de l’environnement guyanais et aux langues et cultures régionales. » (PAF Guyane, 2005 : 1). La mention semble anecdotique dans ce texte et elle l’est effectivement dans les faits. Parmi les stages plus spécifiquement contextualisés Guyane – 19 sur 87 –, on trouve essentiellement des formations axées sur la méthodologie de l’oral et sur l’élaboration d’outils pour enseigner l’oral, d’autres qui proposent de sérier les objectifs langagiers pour une séquence pédagogique dans les DNL (disciplines non linguistiques, par exemple l’art) ou encore des stages qui ont pour objectif la découverte du nouveau manuel de lecture Tiki le Toucan. Il n’y a donc parmi ce plan de formation que de très rares stages plus spécifiquement dédiés aux questions de plurilinguisme : un seul stage est ainsi consacré à cette question au travers de l’éveil aux langues et au langage. Dans ces actions de formation, c’est avant tout le FLS qui apparaît depuis quelques années en Guyane comme la solution aux difficultés rencontrées par les élèves. Dans le document du PAF, la première des priorités évoquée est le FLS, et plus particulièrement le lien FLS-DNL :
« Au niveau académique, l’accent continue à être placé sur la maîtrise de la langue, et particulièrement du français langue seconde, mais en s’inscrivant dans le contexte des différentes disciplines de l’école : en un mot, comment tirer parti des activités scientifiques ou artistiques, des activités physiques et de la découverte de l’environnement pour faire accéder nos élèves, surtout non francophones, à la maîtrise du français, langue des apprentissages ? »
27Mais malgré cette priorité, seulement 17 stages sur les 87 concernent la formation au FLS. Or cette méthodologie se contente de dégager l’extranéité du français pour les élèves dans l’environnement hors scolaire (voire même hors de la classe) et d’en déduire, d’un point de vue didactique, que l’école se doit de compenser cette absence d’utilisation du français par les élèves. Par ailleurs, cette approche didactique présente le danger d’être appliquée systématiquement à toutes les situations de FLS, ce qui peut avoir pour conséquence d’enfermer « des publics d’une grande diversité dans des représentations et des pratiques unifiantes »5. Enfin, dans ces formations FLS, il est sous-entendu que « dès que l’apprenant a atteint le “niveau seuil” au-delà duquel il devient capable de communiquer (même imparfaitement) dans la langue de scolarisation » (Lebranchu, 2002 : 17), et ce grâce aux méthodes du FLE, il pourra alors recevoir un enseignement qui se rattache cette fois au champ du français langue maternelle (FLM). Une telle approche évacue toute possibilité de prise en compte de la ou des langue(s) des élèves. Elle a aussi pour conséquence de ne pas prendre en compte l’ensemble des élèves alloglottes dans la mesure où tout élève qui « parle, communique » en français n’est pas considéré comme relevant du FLS.
28Lorsque les langues des apprenants sont évoquées, elles le sont le plus souvent dans ces formations sous l’angle de la non-francophonie des élèves. Or cette définition en négatif du public scolaire a plusieurs conséquences perverses. D’une part, elle unifie la non-francophonie en la prenant comme un bloc homogène au lieu de se poser le problème des couples (triplets, quadruplets…) formés par la ou les langue(s) première(s) et le français. D’autre part, les élèves « ne sont pas perçus de manière positive comme des individus connaissant une autre langue » (Bouziri, 2002 : 110) et ce d’autant plus que cette autre langue est considérée comme source possible d’erreur, d’interférence. Or, on sait que derrière ces termes se profile un discours récurrent dans le domaine des situations de plurilinguisme et de contact des langues posant les langues comme des entités étanches, autonomes. Ainsi, « malgré le fait que les sociolinguistes et les spécialistes du contact des langues affirment depuis longtemps que la majorité des êtres humains vivent dans des situations plurilingues, notre pensée continue à être fortement structurée par le modèle d’un homme défini uniquement par sa langue première » (Battarbee, 2000 : 1). Ce point de vue a des implications directes en didactique où le terme interférence, prolifique dans la littérature didactique des années 1970, renvoie à l’idée selon laquelle la présence simultanée de deux langues affecte le comportement langagier des individus (Hamers, 1997 b : 178). La conclusion généralement tirée de ce constat est que la solution est d’évacuer la L1 de l’enseignement, ce qui éviterait toute confusion chez les élèves. Ainsi, « la recherche sur l’acquisition a trop souvent considéré la première langue de manière unilatérale – quand elle ne l’a pas tout simplement ignorée », envisageant cette langue « soit comme un obstacle, soit comme une aide » (Py, 1992 : 15). Cependant, des travaux plus récents (Grosjean, 1984 ; Py, 1991 ; Lüdi, 1991) issus de la recherche sur le bilinguisme et les parlers bilingues, ont montré que toutes les langues des élèves sont constitutives d’un répertoire verbal en voie de (re-)structuration dont l’enseignement ne peut faire abstraction, et que la L1 représente à ce titre une ressource stratégique possible dans l’acquisition d’une nouvelle langue (Moore, 1996). L’élève alloglotte continue pourtant d’être avant tout considéré dans ces formations comme un « élève en difficulté », relevant de classes spécialisées (CLIN, CRI ou cours de rattrapage intégrés). Ainsi, dans un texte du Centre national de documentation pédagogique (CNDP, 2000), Le français langue seconde, qui s’adresse au collège, ce qui est mis en avant ce n’est pas le plurilinguisme de l’élève mais plutôt le fait qu’il est un élève « en difficulté », relevant du « soutien scolaire », « victime d’un écart culturel et social nécessitant une prise en charge spécifique » (Mir, 2002 : 39). Ces élèves sont donc dans un état « pathologique » qui nécessite une action quasi médicale et pour lesquels l’objectif est d’être intégrés dans les plus brefs délais à l’école et à l’enseignement commun en français de toutes les disciplines » (Bertrand, 2001).
Outils à disposition des enseignants
29Les références métropolitaines, présentes de manière à peu près exclusive dans les manuels scolaires, sont sans doute un peu moins étranges sur la côte (où il y a bien des rues, des voitures… mais pas de trains, par exemple) que sur les fleuves. Mais dans des disciplines comme les sciences de la vie et de la nature, la stricte observation des programmes nationaux à travers les manuels aboutit à des aberrations. Bien sûr, les élèves de Guyane et d’ailleurs doivent à un certain moment apprendre qu’il y a des pays où existe l’hiver et plus généralement le cycle des saisons, ainsi qu’une certaine faune et une certaine flore, mais si leur propre climat, leur faune et leur flore sont systématiquement ignorés, l’école court le risque d’aller à l’encontre de sa propre mission, et d’appauvrir des connaissances existantes au lieu de les enrichir. Par exemple, une animation organisée à Cayenne dans le cadre de la Fête de la Science 2004, en direction des élèves de cycle 3, était sur le thème de la forêt guyanaise. La réponse immédiate à la première question Connais-tu des animaux de la forêt ou des animaux sauvages ? était systématiquement soit oui, le loup, le renard…, soit oui, le lion, le rhinocéros… Aucun élève ne citait spontanément d’animaux amazoniens, beaucoup ne savaient pas reconnaître en image des animaux aussi courants en Guyane que le tapir (dit aussi maïpouri) ou l’agouti, et rares étaient ceux capables d’identifier le cabiaï ou le pac… Il y a quelque contradiction à valoriser l’étude de la biodiversité et à laisser en jachère les connaissances de ceux qui sont au contact ou à proximité de cette biodiversité. On pourrait en dire autant de l’histoire et de la géographie, pour lesquelles existent certes des manuels du secondaire (Prost et Zonzon, 1996 a, b) orientés vers la Guyane mais, à notre connaissance, peu utilisés. Peu utilisés aussi sont les manuels d’apprentissage de la lecture « guyanisés » (Marulier, 2001). Les manuels de Langue et culture régionale (Azéma et Rattier, 1994 ; Francius et Thérèse, 1998 ; Armandelapierre et Robinson, 2004) présentent des références typiquement guyanaises, mais ils sont à l’usage préférentiel du cycle 3 du primaire, et exclusivement orientés vers la culture créole6.
30La réflexion menée dans le cadre FLS propre à la Guyane a produit deux ouvrages à l’usage des élèves des petites classes non francophones et de leurs maîtres : À toi la parole (Gallay et Chevalier, 1993), une fois de plus peu utilisé, et Langage en fête (Casnav, 2003), qui a fait l’objet d’une promotion systématique et d’une diffusion gratuite dans l’ensemble de l’académie, et qui est prolongé depuis 2004 par le manuel de lecture Tiki le Toucan. Le premier est une adaptation d’un ouvrage homonyme (2000) à destination de l’Afrique dite francophone, conçu par Michel et Michèle Verdelhan. Ces ouvrages, et surtout le deuxième dans la mesure où il est aujourd’hui connu de tous les PE, méritent une analyse particulière.
31On peut dire qu’ils répondent à un certain réalisme, au sens de la « pédagogie réaliste » de M. Verdelhan (2002), dans la mesure où les références y sont nettement « guyanisées », mais, comme nous l’avons dit, la diversité interne à la Guyane est un défi permanent à toute généralisation et à toute unification des références. C’est ainsi que les séquences d’À toi la parole se passent en milieu sylvicole (et sont donc d’usage problématique chez les immigrés urbains), tandis que Langage en fête se présente comme un voyage à travers les différents lieux et cultures de Guyane, ce qui a le mérite de sensibiliser les enfants à leur environnement de « deuxième cercle » (et peut contribuer à l’apprentissage du « vivre ensemble »), mais n’est pas forcément le plus efficace à l’école maternelle et au CP auxquels il est explicitement destiné, puisque leur « premier cercle » n’y est présent que dans une partie, et pas forcément au début de la progression.
32Une deuxième qualité de Langage en fête est qu’il constitue un appui indéniable aux enseignants le plus en désarroi dans leur face-à-face avec des élèves qui leur restent inconnus ou mystérieux. Une didactique systématique du FLS y est mise en œuvre et leur fournit une ligne de conduite et toutes sortes d’idées pratiques. En cela, leur pratique professionnelle est rendue plus efficace et, globalement, l’ouvrage a apporté une amélioration indéniable par rapport à la situation antérieure. Cependant, les plus créatifs et inventifs des enseignants, ceux qui ont déjà développé une vraie connaissance et une vraie réflexion de terrain, qui ont mis au point « sur le tas », et le plus souvent dans l’isolement, des supports et des méthodes souvent efficaces, ceux-là vivent mal l’obligation qui leur est parfois signifiée d’utiliser un support dont ils ne sentent pas le besoin. Et l’institution serait bien avisée de faire remonter les expériences de terrain, pour les constituer en corpus cumulatif et les soumettre à une analyse critique. Mais l’aspect le plus intéressant et le plus problématique de ces manuels, et en particulier de Langage en fête, est la manière dont s’y constitue la progression en langue.
33Les pratiques et les méthodes de FLS, tout comme celles de FLE pendant longtemps, adoptent une démarche résolument communicative. On comprend bien ce souci en FLE : développer des formes vivantes de la langue étrangère à partir de situations réelles ou plausibles, de manière à permettre aux apprenants de se sentir très vite aussi à l’aise que possible au cours de leurs séjours dans le pays où se parle la langue cible. En situation de FLS, le même souci reste en grande partie valable : l’enfant qui vit dans un pays où le français est langue officielle et (ou) véhiculaire a tout intérêt à pouvoir tenir une conversation naturelle. Cette démarche prend le contre-pied de ce qu’on présente comme une pédagogie archaïque des langues : un apprentissage de listes de vocabulaire, de paradigmes morphologiques et de règles syntaxiques déconnecté de l’usage réel de la langue. Que cette vision corresponde ou non à ce qu’était la pédagogie des langues vivantes il y a trente ou cinquante ans est sans importance, et on peut discuter de la question de savoir s’il faut, et si oui à partir de quel âge, fournir aux élèves une explicitation de la grammaire. Contentons-nous pour l’instant de nous interroger sur les conséquences d’une formation des enseignants aux seules méthodes communicatives au détriment d’une solide formation grammaticale.
34Si l’on regarde la progression sous son aspect strictement linguistique, on est frappé par le caractère omniprésent de la distinction entre objectifs langagiers et objectifs linguistiques, et surtout de la prééminence des premiers sur les seconds. On trouve par exemple :
35Objectifs langagiers et contenu linguistique
36Actes de langage : interrogation et réponse sur un Besoin avec une formule de politesse
Moyens linguistiques : Qu’est-ce que tu veux ? Je veux un / une / des…, s’il te plaît. Je veux… (verbe), s’il te plaît
37Actes de langage : interrogation sur un objet. Identification d’un objet (Langage en fête, guide pédagogique, Thème 1, leçon 1, p. 3)
Moyens linguistiques : Qu’est-ce que c’est ? C’est un / une… ? C’est un / une… Ce sont des…
38Objectifs langagiers et contenu linguistique
39Actes de langage : interrogation et réponse sur les goûts ; expression de ses goûts
Moyens linguistiques : Tu aimes… ? Oui, j’aime ça. Non, je n’aime pas ça. J’aime… Je n’aime pas…
40Actes de langage : interrogation et réponse sur un choix (expression de l’alternative/de l’adjonction
Moyens linguistiques : Tu veux… ou… ? Je veux… et…
41Actes de langage : identification d’un objet (suite)
Moyens linguistiques : C’est du… de la…
42Actes de langage : expression de la mise en garde (Langage en fête,Thème 2, leçon 1, p. 53)
Moyens linguistiques : Attention !
43Objectifs langagiers et contenu linguistique
44Actes de langage : interrogation et réponse sur un objet localisé
Moyens linguistiques : Qu’est-ce qu’il y a (dans, sur, à côté de, autour de)… ? Il y a…
45Actes de langage : expression d’une demande avec une formule de politesse (suite)
Moyens linguistiques : J’en voudrais un / une, s’il vous plaît. Je peux… (infinitif) ?
46Actes de langage : interrogation et réponse sur une obligation (Langage en fête, Thème 3, leçon 3, p. 117)
Moyens linguistiques : Qu’est-ce que je dois… (infinitif ?) Tu dois… (infinitif)
47Si l’on comprend bien, les objectifs langagiers (et on les trouve parfois explicités comme Actes de langage, ce qui rejoint une thématique ancienne et connue, voir SEARLE, 1969) représentent les grandes formes d’actes communicatifs, qu’il faut à tout prix maîtriser pour que la communication soit réussie, tandis que les objectifs linguistiques sont les formes lexicales et morpho-syntaxiques à travers lesquelles, dans une langue particulière (ici, le français), se réalisent les objectifs langagiers. À ce stade, l’objectif est probablement celui du « niveau seuil » (voir plus haut), ouvrant sur une exploitation ultérieure des acquis communicatifs. Ce programme apparemment raisonnable souffre pourtant de quelques failles.
48On peut se demander si les objectifs langagiers ne sont pas largement universels, et s’ils ne sont pas inscrits dans une progression naturelle du langage : on n’imagine pas une langue dans laquelle on ne puisse pas exprimer un besoin, interroger sur une appartenance, localiser un objet, formuler un ordre, une intention, une hypothèse, poser un événement comme antérieur ou postérieur à un autre, etc. Si les enfants ne sont pas entravés dans l’apprentissage de leur langue maternelle, ils acquièrent tout cela naturellement, ce qui n’empêche pas l’école d’avoir un rôle de soutien à cette progression, et de créer des situations communicatives dans lesquels ces actes de langage prennent sens. Ce qui est en cause, c’est la capacité des enfants non francophones à exprimer tout cela en français en satisfaisant aux exigences phonologiques, lexicales et grammaticales de cette langue, à la fois parce que c’est ainsi que se comprend en général l’apprentissage d’une langue, et aussi parce qu’en contexte scolaire les écarts à ces normes seront sanctionnés.
49On voit bien les dérives qui guettent les élèves et leurs enseignants si l’objectif linguistique n’est pas atteint. Si l’expression française est défectueuse sous tel ou tel rapport, le risque est fort de reporter sur un défaut de structuration langagière ce qui n’est qu’une difficulté d’apprentissage strictement linguistique. Chacun sait qu’en Guyane comme ailleurs l’institution a tendance à « psychologiser » les difficultés en français, et que les classes de type CLAD (Classes d’adaptation), destinées en principe aux élèves présentant des problèmes d’ordre psychologique, recueillent un très grand nombre de non-francophones qui n’ont que des problèmes linguistiques, et pour lesquels elles ne sont pas faites. Et nous avons eu plusieurs fois l’occasion de rappeler à des collègues de bonne foi que l’évaluation langagière pratiquée depuis quelques années en Guyane à l’entrée du CP ne visait qu’à tester le niveau en français des élèves, et non pas à tirer de réponses incertaines ou erronées des conclusions indues sur leur capacité à structurer l’espace et le temps, par exemple.
50Les compétences communicatives acquises tant bien que mal (et souvent assez bien, car beaucoup d’élèves arrivent au cours de leur scolarité à acquérir une certaine aisance orale) sont, comme toute production orale, difficiles à évaluer : la rapidité du débit et la gestuelle qui accompagne l’oral en condition naturelle masquent beaucoup d’incertitudes de langue. La compréhension de la production tend à valoir satisfecit. Le passage à l’écrit agit alors comme un révélateur, et aussi bien souvent comme une douche froide. À toutes les difficultés qu’on peut avoir à faire comprendre les raisons d’utiliser l’écrit lorsqu’on s’adresse à des personnes ayant toujours vécu dans la tradition orale, s’ajoute la donnée incontournable que l’écrasante majorité de l’évaluation scolaire repose sur les productions écrites, et c’est à travers l’écrit qu’apparaît une évidence navrante : cette pratique parfois aisée du français de communication repose sur une discrimination phonologique très incertaine, sur un vocabulaire pauvre, et sur une grammaire largement incomprise. Stupéfaits et désolés de cette découverte, ceux des enseignants qui n’ont pas reçu de formation grammaticale sont incapables d’analyser les erreurs, d’en saisir les origines, et d’y apporter une remédiation efficace.
51Les élèves non francophones n’ont globalement pas plus de difficultés avec les actes de langage que leurs camarades francophones. Leurs difficultés sont d’ordre phonologique (il y a des points du système des voyelles et des consonnes du français qui ne vont pas de soi, et qui exigent pour le passage à l’écrit une capacité de discrimination qui n’est pas innée), lexical (on peut se débrouiller pour communiquer avec un vocabulaire restreint, mais il doit être étendu si l’on veut entrer dans tous les usages du français, et en particulier le contact avec des textes inconnus), et surtout grammatical : l’existence en français d’un genre grammatical arbitraire, l’abondante morphologie verbale et l’usage même des catégories de temps, aspect et mode et en particulier des formes composées, les variations des marques personnelles, la détermination des noms, ne vont pas de soi, elles ne sont pas des formes évidentes et nécessaires du langage, mais bien des spécificités d’une langue. Par exemple, la plupart des adjectifs qui apparaissent dans Langage en fête sont soit au masculin soit au féminin, et on ne voit jamais d’exercice systématique sur les couples laid – laide, gentil – gentille, méchant – méchante ; ni de remarque sur les adjectifs invariables en genre (p. 124 La fleur est rouge, rose, jaune)… Il suffit, d’une part de lire une grammaire d’une langue créole, amérindienne ou asiatique, d’autre part d’observer les productions des élèves parlant ces langues, pour se rendre à cette évidence. Ces spécificités de la grammaire française représentent un véritable labyrinthe, plus ou moins inextricable selon la langue première, à travers lequel il serait bon de guider l’élève7 : et cela ne peut se faire que si l’enseignant lui-même est très au clair sur ce qu’est la grammaire du français et sur les points qui peuvent présenter une difficulté.
52Or la subordination des objectifs linguistiques aux objectifs langagiers revient à une dissolution de la grammaire dans le communicatif. Dans les extraits de manuel ci-dessus, on voit que les objectifs langagiers sont clairement énoncés, dans une métalangue certes peu sophistiquée mais au moins maîtrisée, tandis que les objectifs linguistiques sont présentés sous la forme de phrases ou expressions non analysées ; la seule métalangue présente est la désignation des formes verbales (ici infinitif, mais on trouve aussi impératif, par exemple). On ne trouve pas préposition, déterminant, pronom, genre, sujet, etc. dans ce livre du maître et non de celui de l’élève). On traite sur le même plan l’acquisition de « Attention ! », expression proche de l’interjection et ne posant aucun problème grammatical, et des formes linguistiques qui contiennent des verbes irréguliers, des formes verbales qui même régulières posent des problèmes d’emploi (infinitif, imparfait, temps composés…), des articles partitifs, des variations en genre, des pronoms variables selon la fonction, et, quand ils sont objets, qui sont le plus souvent préposés (me, te, le) mais parfois postposés (ça), etc. Du point de vue communicatif, on a sinon une progression du moins un programme ; en revanche du point de vue de la langue, aucun plan de progression n’apparaît. Les phénomènes grammaticaux surgissent de façon subreptice, les éventuelles difficultés d’acquisition ne sont ni évaluées ni prévues, de sorte que les enseignants sont laissés seuls devant les incertitudes et erreurs des élèves, à qui l’on tend savamment des pièges dans toute tentative de structuration grammaticale.
53Ainsi, le genre grammatical est un phénomène absent de très nombreuses langues, or la plupart des adjectifs apparaissant dans le texte sont soit au masculin, soit au féminin, et aucun exercice n’est construit sur l’opposition morphologique de genre. On trouve (p. 163) une vieille fusée, un vieil oiseau, une vieille tortue sans jamais voir apparaître la variante vieux : comment l’élève pourrait-il comprendre qu’on lui corrige *un vieil chien ? Ou encore, beaucoup de langues n’ont pas de déterminants, ou ils fonctionnent différemment du français. Quand on trouve des usages improbables de certains déterminants (p. 113 : Qu’est-ce que c’est ? – C’est de la pluie, ou encore, p. 157, une liste de vocabulaire comportant pêle-mêle une tortue, un bec, une queue, une carapace, un rocher, la plage, l’océan, un trou), on n’aide pas à la structuration de la détermination en français. Et, comme de juste, aucun exercice d’aucune sorte ne guide l’élève à travers les pièges de la morphologie verbale ou de l’usage de ses formes : les premiers contacts avec le passé composé par exemple (p. 135 sq.) commencent par Je suis vite montée, l’échelle est tombée, ce qui laisse croire que l’auxiliaire être est la norme (et donc inciter à construire je suis chanté, je suis joué…), et le premier contact avec l’auxiliaire avoir est justement le passé composé de avoir, avec l’exemple elle a peur, elle a eu peur, ce qui suggère une règle « pour former le passé, ajoutez /y/ (eu) : *je lis eu, je mange eu, etc. » ; et nous mettons au défi tout apprenant de français de comprendre la répartition de l’imparfait et du passé composé telle qu’elle apparaît dans les p. 181 sq. La première apparition de l’imparfait (le passé simple étant déjà entrevu) se fait par un verbe irrégulier (p. 181, Jako voulait manger le couac, alors ma tante l’a frappé) ; puis on trouve en revanche p. 188 : Le fourmilier a voulu boire du soda : il ne peut pas sortir sa langue de la bouteille, ce qui incite à des hypothèses bizarres sur la concordance des temps ; et plus loin (p. 199) la nouvelle occurrence : Que faisait Sergine au mois d’octobre ? – Elle écrivait ne permet guère de comprendre pourquoi l’imparfait a été ici préféré au passé composé. L’idée même de difficultés proprement grammaticales, nécessitant une progression et une approche pédagogique, est totalement étrangère à la méthode.
Adapter la formation des enseignants au contexte guyanais
Propositions générales
54Ces différentes attitudes vis-à-vis des langues des élèves et de la diversité linguistique en général, ainsi que les actions de formation mises en place et les outils mis à disposition des enseignants, laissent entrevoir les lacunes de la formation actuelle qui n’inclut pas suffisamment la question de la prise en compte de la (des) langues des élèves. Il s’agit pourtant là d’un des défis principaux de l’enseignement en Guyane. On ne saurait exiger des PE une formation approfondie de linguistes ou d’anthropologues, mais on doit leur faciliter l’accès à un certain nombre de connaissances qui leur permettent d’exercer leur métier dans les meilleures conditions possibles.
55Les propositions ci-dessous s’appuient sur l’idée selon laquelle la formation des enseignants dans ces contextes ne peut se contenter d’une simple appropriation de techniques ou de savoirs liés à des méthodologies didactiques dans des domaines tels que l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, même si ceux-ci sont bien évidemment indispensables. Cette formation est avant tout envisagée comme un « processus de transformation » (POSTIC, 1977) de la personne, permettant à l’enseignant de pouvoir répondre avec pertinence aux besoins du public scolaire. Il y a donc en amont de ces principes l’idée selon laquelle l’éducation dans ces contextes est bien plus qu’un simple enseignement d’une langue seconde.
56Il ne s’agit en aucun cas d’axer la formation sur des savoir-faire ponctuels ou des « recettes » qui ne résolvent que des problèmes ciblés. Elle se construit autour de véritables connaissances, à partir desquelles chaque enseignant pourra mettre en pratique ses compétences professionnelles pour trouver de manière souple et diversifiée les moyens de sortir de telle ou telle difficulté. Le minimum pourrait être par exemple que tout non-Guyanais demandant une mutation pour la Guyane se voie proposer (ou imposer) une formation d’un ou deux jours, comme c’est la pratique de l’armée et l’administration pénitentiaire, ou un vade-mecum détaillé comportant un certain nombre de renseignements d’ordre historique, géographique et socio-ethnologique, ainsi qu’un lexique comportant les noms des plantes et animaux les plus courants (en particulier ceux qui interviennent dans l’alimentation). On pourrait de même, surtout pour les sites les plus difficiles d’un point de vue linguistico-culturel, imaginer à l’intention des enseignants fraîchement nommés un mini-stage ou un livret d’accompagnement contenant des éléments de connaissance essentiels. De telles mesures ne se comprennent pourtant que comme un « kit de survie » qui ne prend sa véritable efficacité que dans le cadre d’une solide formation à la diversité linguistico-culturelle, en Guyane en particulier mais aussi dans le monde en général, en se déclinant selon les conditions propres à chaque site ou à chaque région mais en pouvant être réinvestie ailleurs, de sorte que tout enseignant qui l’aurait suivie pourrait aborder avec confiance toute mutation. Les programmes de l’IUFM de Guyane ne comportent malheureusement pas à ce jour de module d’anthropologie solidement constitué, et vu la complexité des situations non seulement locales mais aussi issues de la migration, un tel module serait souhaitable dans tous les IUFM. Mais dans les contextes où la plus grande partie des élèves n’ont pas pour langue première le français, le problème crucial est de leur assurer un apprentissage aussi rapide, indolore et efficace que possible de la langue de scolarisation.
57Parmi les objectifs que doit selon nous se fixer la formation des enseignants en Guyane, il convient donc d’introduire une meilleure connaissance de l’environnement socioculturel plurilingue des élèves, de leur répertoire verbal et de son fonctionnement dans les différents contextes où il s’exerce. Les enseignants doivent pouvoir prendre conscience des réalités suivantes :
- la diversité linguistique peut être une ressource dans les activités de classe si les enseignants sont capables de s’appuyer sur les connaissances des élèves et d’amener ceux-ci à les partager ;
- la vie familiale et l’environnement de l’enfant, mais aussi, de manière plus générale, toute son expérience extra-scolaire, sont des ressources essentielles et incontournables pour l’enseignement ;
- mettre en valeur la diversité, les connaissances des enfants, leur environnement est un moyen de redonner confiance en eux-mêmes à des élèves trop souvent dévalorisés par un système éducatif trop éloigné de leur vie.
58Ces propositions s’inscrivent dans le cadre d’une réflexion générale sur la formation des enseignants dans des contextes plurilingues et pluriculturels et rejoignent en grande partie les diverses propositions rencontrées dans la littérature et notamment dans les référentiels de compétence élaborés dans le cadre de l’éveil aux langues et au langage.
59L’un des premiers contenus à aborder sera dès lors une meilleure connaissance de l’univers plurilingue dans lequel évolue le public scolaire, ce qui passe par l’acquisition d’un certain nombre de connaissances théoriques mais aussi de connaissances sur la réalité des pratiques linguistiques des élèves guyanais. Les enseignants doivent pouvoir appréhender les fonctions des langues en présence pour leurs élèves, ce qui devrait leur permettre de mieux situer la place du français dans leurs répertoires. Ainsi, ce qui importe n’est pas forcément de savoir que le nengee fait partie du répertoire d’un élève kali’na scolarisé à Saint-Laurent, mais plutôt de savoir qu’il représente pour lui une « langue d’intégration aux pairs », pour reprendre les termes de P. Fioux (2002 : 14). Enfin, il est nécessaire qu’ils acquièrent des savoir-faire interculturels tels que la capacité à prendre du recul par rapport à sa propre langue-culture et à ne pas les considérer comme universelles. Ces savoir-être pourraient s’acquérir par le biais d’un travail sur des stéréotypes autour d’exemples comme les termes de « langues faciles », « patois », « jargons », « charabias » qui ont pour conséquence d’induire des attitudes dévalorisantes vis-à-vis des langues des élèves.
Propositions linguistiques
60La question de la langue pèse sur l’ensemble des enseignements, et ce jusque dans le secondaire, où les professeurs de mathématiques, de sciences, d’histoire-géographie, etc., se plaignent des difficultés qu’ils éprouvent, non tant à transmettre les connaissances, que tout simplement à faire comprendre aux élèves de quoi il s’agit (et ce même pour des matières peu marquées par l’écart culturel). Comme cela a parfois été le cas dans la « francisation » des écoles allophones de France métropolitaine (voir Puren, 2004 sur la Bretagne), l’enseignement de la langue française tend ainsi à « phagocyter » les autres matières. Pour sortir de ce guêpier, il est certainement difficile d’organiser à l’intention des enfants en bas âge des cursus accélérés (deux mois, six mois, un an…) de langue seule, comme ceux qui s’adressent à des adultes étrangers venant étudier ou travailler en France. Une réflexion est menée, et pas seulement en Guyane, sur le thème « FLS et disciplines » et fait l’objet d’un des axes de l’Équipe de recherche en technologie de l’éducation (Érté) sous le titre Le français langue seconde, les disciplines de l’école primaire et la structuration langagière dans le contexte guyanais. L’enrichissement mutuel entre les disciplines scientifiques ou artistiques (voire l’EPS) et l’apprentissage de la langue est évidemment une idée féconde qui mérite d’être approfondie. De manière plus strictement linguistique, nous voudrions ici ouvrir quelques pistes pour aider les enseignants à comprendre les difficultés de leurs élèves et à y remédier.
61L’école primaire est fondée sur le principe de polyvalence, la norme (qui connaît quelques aménagements sous la forme d’enseignants spécialisés dans certaines disciplines) étant que le maître enseigne toutes les matières. Comme les futurs enseignants sont issus de formations universitaires diverses, tous doivent avant les concours de PE2 se « remettre à niveau » dans les matières que leur cursus leur a fait un peu perdre de vue. Il est légitime qu’en mathématiques par exemple on exige d’eux un certain niveau, supérieur en tout cas à celui du CM2, car seule cette compétence peut éclairer une didactique efficace des mathématiques, par une mise en perspective de l’enseignement dans le primaire par rapport à l’ensemble de la discipline, et une bonne compréhension des enjeux de cet enseignement. Il n’est malheureusement pas certain que cette exigence institutionnelle s’étende à la langue française, en tout cas à son fonctionnement phonologique et grammatical. Notre expérience de formateurs à l’IUFM est qu’une grande partie des PE2 vit dans un flou total en ce qui concerne la structure phonologique du français : très peu sont par exemple capables de faire un tableau du système vocalique. Il y a trois ans, par exemple, la moitié d’une promotion de l’IUFM de Guyane (et nous faisons le pari que l’expérience est renouvelable ailleurs) était convaincue qu’il n’y avait que cinq (ou peut-être six) voyelles en français (et de citer les cinq ou six lettres)… L’anecdote serait peut-être amusante s’il ne leur était pas demandé d’enseigner, en privilégiant d’abord la forme orale, à des élèves pour lesquels le système phonologique du français présente tout de même quelques difficultés, par exemple la série des voyelles antérieures arrondies [y] (dans lu), [ø] (dans peux), [œ] (dans peur). Plus grave encore, il ne semble pas que l’institution ait conscience du problème, puisqu’en 2005 cette fois nous avons pu observer que sur six stagiaires de Capa-SH, qui doivent appuyer les élèves en difficulté de lecture et travailler justement sur la discrimination phonologique, seule une avait quelques notions de phonétique articulatoire. C’est un peu comme si les médecins étaient formés à poser le thermomètre et à prescrire de l’aspirine…
62Il en est de même pour la structure morphosyntaxique : si les noms des temps verbaux sont en général utilisés à bon escient, la métalangue des parties du discours et celle des fonctions syntaxiques, et leur reconnaissance dans un texte écrit ou oral, sont très pauvres et très incertaines. Comme on peut s’y attendre, ces incertitudes sont particulièrement fortes chez les PE issus de filières scientifiques : pour ceux issus de licences de Lettres ou de Langues vivantes la situation est un peu moins grave.
63Or autant on peut s’interroger sur la question de savoir comment et à quel âge on doit aborder l’enseignement explicite de la grammaire, autant dans la formation des enseignants, surtout en situation de FLS, le doute n’est pas permis. Si l’on veut faciliter le passage au français, il faut prendre les problèmes de langage (et de relation entre la maîtrise du langage en général et celle de la langue française en particulier) pour ce qu’ils sont : non pas une simple question de communication ou d’objectifs langagiers (qui sont largement universels et que la plupart des enfants atteignent vite y compris en français), mais dans leur dimension intellectuelle, le bilinguisme étant la maîtrise de deux constructions mentales permettant, de manière différente, de construire le sens. L’idée que la langue est un instrument de communication, indiscutable en soi, est cependant très réductrice : elle ne nous donne qu’une conception pauvre de l’activité de langage, et aucun outil pour comprendre les problèmes liés à la construction du bilinguisme. Un enseignant en situation de FLS doit donc être capable de prévoir, d’identifier et de traiter les difficultés d’apprentissage du français par ses élèves non francophones. On voit mal comment il pourrait formuler des diagnostics et mettre en place des remédiations sans une compréhension claire de ces problèmes et de leurs manifestations. Une formation au FLS devrait donc comporter une dimension proprement linguistique, dans deux directions.
64D’abord, en grammaire et phonologie du français. Tout scientifique, tout médecin, tout artisan sait nommer les notions ou les objets avec lesquels il travaille. C’est la condition d’une action réfléchie : un électricien qui confond les watts et les ampères ne saurait installer un dispositif fonctionnel. Les enseignants en situation de FLS doivent donc être parfaitement au clair en ce qui concerne les notions les plus courantes de la grammaire, même simplement traditionnelle : les parties du discours (c’est-à-dire simplement, les classes de mots : noms, verbes, adjectifs, pronoms, adverbes, conjonctions, prépositions) et leurs propriétés morphosyntaxiques (flexion, catégories grammaticales…) ; les grandes fonctions syntaxiques (sujet, objet, complément de nom, épithète, attribut, déterminant, relative, complétive…) ; les points et mode d’articulation des consonnes (avec la terminologie qui comporte une vingtaine de mots dont la plupart sont limpides), le système des voyelles (peu importe qu’on l’inscrive dans un trapèze ou dans un triangle). Un élève qui a des difficultés avec les occlusives sonores (ou : voisées) entre deux voyelles, un autre qui a du mal à réaliser les voyelles antérieures arrondies, un autre encore qui palatalise les consonnes apicales devant [i] : c’est en ces termes que l’enseignant doit se faire le diagnostic, et non dans l’approximation « ah, il prononce tava au lieu de tabac, il dit li (ou lou) au lieu de lu…, il dit djire ou tchirer au lieu de dire et tirer ». La dénomination même du problème est le premier élément du diagnostic : elle en fait un phénomène intelligible, repéré et analysé dans la littérature spécialisée, existant chez d’autres sujets locuteurs d’autres langues, et ouvre la voie à des actions pédagogiques raisonnées. L’enseignant n’est plus seul devant un phénomène qu’il rencontre pour la première fois et auquel rien ne l’a préparé.
65La deuxième direction est la sensibilisation à la diversité linguistique sous son aspect linguistique même. Cette idée est souvent mal comprise par les intéressés, qui se posent parfois non sans angoisse la question Dois-je savoir parler la langue de mes élèves pour bien remplir vis-à-vis d’eux mon rôle d’enseignant ? (et vu la rareté des ouvrages permettant l’accès à certaines de ces langues, on est forcé de le faire « sur le tas »8), ou s’expriment par la récrimination Mais enfin, il est impossible de parler toutes les langues présentes dans ma classe ! Il faut lever d’emblée toute ambiguïté.
66Il n’est certes pas interdit de parler la langue ou une (voire plusieurs) des langues de ses élèves. A priori (et moyennant une restriction formulée plus bas), cette connaissance peut favoriser une certaine sensibilité à la relation entre cette langue et le français, et donc mieux comprendre les problèmes des élèves développant leur bilinguisme. Et justement, s’il s’agit du bilinguisme des élèves, l’interdiction pédagogique d’un bi- ou plurilinguisme affiché des enseignants9 n’est qu’une contrainte rigide, artificielle et contre-productive. Mais là n’est pas la vraie question. En réalité, « je parle telle langue » est une affirmation dont le contenu peut être extrêmement élastique selon les critères et les exigences qu’on se fixe. L’écart est grand entre la compétence maximale (celle de la langue maternelle, ou dans une langue seconde, la capacité à « faire illusion » en toute occasion) et les compétences partielles de tous ordres (par exemple, pour un scientifique, faire une conférence dans sa discipline, ou pour un touriste subvenir à ses besoins quotidiens dans le pays, ou pour tout un chacun savoir comprendre un article de journal…). La vraie question est donc : Quelles sont les compétences partielles qui permettent à un enseignant d’exercer son métier de façon efficace et gratifiante dans une situation de FLS ?
67Comme on l’a vu plus haut, une compétence même élevée de locuteur n’est pas en soi une garantie de compétence pédagogique et linguistique par rapport à cette langue. Tout au plus permet-elle un confort communicatif et le plaisir de la convivialité avec les locuteurs, ce qui dans un « site isolé » n’est certes pas négligeable. En revanche, elle ne fournit pas en tant que telle l’acuité d’analyse et les outils conceptuels qui permettent, comme il est dit plus haut, d’identifier et de traiter les difficultés. Pour ce faire, une formation aux aspects linguistiques du FLS devrait comporter en particulier :
- Un volet linguistique très orienté vers la question des formes linguistiques possibles dans la construction du sens. Partant par exemple des catégories grammaticales présentes en français (nombre, genre, personne, temps, aspect, mode, détermination), ou de la forme que prennent les hiérarchies syntaxiques (par exemple, la dépendance du nom assurée par les adjectifs, les compléments de nom ou les propositions relatives, ou la fonction objet assurée par des pronoms, des groupes nominaux ou des propositions complétives), on pourrait montrer comment ces formes grammaticales peuvent connaître des alternatives (par exemple, certaines constructions participiales comme substitut de relative, certaines nominalisations comme substituts de complétives ; ou encore comment se sont reconstituées les catégories verbales dans les langues créoles). On pourrait aussi faire tout un programme autour de la dialectique de l’exotique et du familier : montrer par exemple que les langues qui emploient systématiquement des classificateurs avec les nombres (en Guyane, le palikur et les langues d’Extrême-Orient) ne font en fait que systématiser un procédé d’usage plus restreint en français dans des expressions comme un morceau de sucre, un grain de riz, une feuille de papier, une tête de bétail…, ou encore que l’expression des relations spatiales combine dans toutes les langues, bien que de manière différente, l’identification du lieu (un contenant, une surface, un voisinage…) et celle de la motion (on y reste, on y va, on s’en éloigne…) et que c’est dans l’éventail des possibilités de combinaison que se développent l’écart linguistique et donc les difficultés d’apprentissage…
- Une véritable culture linguistique qui réunirait et accroîtrait de façon systématique, explicite et rationnelle toutes les connaissances éparses qu’un citoyen du monde plurilingue peut déjà posséder ou devrait acquérir. Par exemple, à peu près tout Français sait que dans un mot anglais, oo se note [u :] et ee [i :], ce qui lui fait prononcer correctement des noms propres comme Bloom ou Steed. Moins nombreux sont ceux qui restreignent cette convention aux mots anglais, sans l’étendre par exemple aux mots néerlandais ou allemands. Et précisément dans la situation de la Guyane, les conventions graphiques du néerlandais et du portugais, langues officielles des pays voisins, devraient être connues pour éviter d’« écorcher » les noms des élèves, et de savoir par exemple qu’un dénommé Koejoeri s’appelle [Kujuri], soit Kouyouri comme son cousin dont la branche est plus anciennement établie en Guyane, ou encore savoir que la terminaison -ão de certains mots portugais ne se prononce pas [ao] mais [ãw]10. D’une manière générale, le nom et, s’il s’agit de langues régionales, la localisation des langues devraient faire partie du bagage intellectuel de tout résident de Guyane et a fortiori de ses enseignants. Ils devraient aussi être capables d’identifier au moins la forme écrite de langues dont l’aspect est très caractéristique comme le palikur, le kali’na, le hmong, et de discriminer rapidement le sranan tongo du nengee tongo, le portugais de l’espagnol, le néerlandais de l’allemand, et peut-être le créole haïtien du créole guyanais… Ils devraient savoir que la plupart des langues n’ont pas de genre, être capables de restituer brièvement le système verbal du créole guyanais ou du nengee tongo, totalement parallèles, savoir que dans les langues créoles et celles d’Extrême-Orient la morphologie est extrêmement réduite, de sorte que la conjugaison ou la variation des pronoms du français est problématique, etc.
- Un ensemble de savoir-faire permettant l’exploitation pédagogique de la réalité linguistico-culturelle, en particulier en faisant appel aux connaissances des élèves. Les méthodes d’éveil aux langues (voir article de Candelier p. 369) vont dans ce sens. Elles permettent entre autres de « banaliser » la relation entre la langue maternelle et la langue de scolarisation, au profit d’un questionnement général sur le plurilinguisme, devenu en tant que tel objet de curiosité scientifique, d’analyse rationnelle et d’échanges conviviaux.
68Une partie de ces connaissances n’est pas spécifique à la Guyane et pourrait être réinvestie sur d’autres terrains d’exercice professionnel. Une autre partie pourrait être approfondie selon chaque site.
Référentiel de compétences
69Les compétences spécifiques des enseignants dans ce contexte pourraient donc être envisagées comme suit sous l’angle d’une formation à la reconnaissance et à l’apprentissage de la diversité linguistique et culturelle. Le référentiel proposé s’appuie en grande partie sur une réflexion menée par le Dispositif pour la lutte contre l’illettrisme en Guyane (DPLI) (Alby, à paraître ; Foury, à paraître) ainsi que sur le référentiel de compétences pour l’éveil aux langues et au langage de M. Candelier et D. Macaire (2001). Il se compose de trois parties, linguistique, sociolinguistique et didactique, distinguant trois types de compétences : les savoirs, les savoir-faire et les savoir-être. Il ne s’agit là que d’un premier aboutissement de nos réflexions sur la formation des enseignants qui devra très certainement être étoffé, révisé.
1. Aspects linguistiques
Savoirs
- Linguistique et langues
- Connaissances sur la linguistique en général
- Connaissances sur le français (phonétique, phonologie, morphosyntaxe)
- Diversité linguistique
- Savoir qu’il y a entre les langues à la fois des différences et des ressemblances
- Savoir que l’ordre des éléments peut être différent d’une langue à l’autre sans que cela modifie les relations qui existent entre ces éléments (ordre des éléments de la proposition, du groupe nominal, par exemple)
- Savoir que des catégories qui semblent « naturelles » et « indispensables » dans la (les) langue(s) connue(s) peuvent ne pas exister dans d’autres (par exemple, absence de l’article)
- Savoir que certaines catégories grammaticales peuvent avoir une organisation différente selon les langues
- Savoir que chaque langue a un système phonétique/phonologique qui lui est propre (ce qui détermine l’ensemble des réalisations sonores de la langue)
- Savoir que les langues sont regroupées en famille
- Langues de Guyane
- Connaître les langues de Guyane et les familles linguistiques auxquelles elles appartiennent, connaître les autodénominations de ces langues et plus généralement les différentes dénominations attribuées à ces langues et les problèmes que cela peut poser (par exemple, le « taki-taki »)
- Savoir situer les endroits où l’on parle les différentes langues de Guyane
- Connaître certaines des caractéristiques linguistiques des langues de Guyane
- Savoir quelle(s) langue(s) sont parlées dans sa classe
Savoir-faire
- Être capable de prendre du recul par rapport à ses propres référents linguistiques pour s’ouvrir à la langue de l’autre dans toute sa différence
- Être capable de mener une réflexion sur les langues, leurs usages, leur maîtrise
- Être capable de comparer le fonctionnement de différentes langues, et notamment du français par rapport aux langues des élèves
- Être capable d’obtenir des informations sur les langues des élèves auprès de leurs locuteurs (élèves, parents d’élèves, médiateurs bilingues, etc.)
- Connaître les conventions orthographiques des langues des pays voisins (pour éviter d’écorcher systématiquement les noms de leurs élèves)
Savoir-être
- Accepter et avoir de l’intérêt pour la diversité linguistique et culturelle
- Avoir de la curiosité vis-à-vis du fonctionnement du langage et des langues
- Avoir de l’intérêt pour l’étude et le fonctionnement des langues des élèves
- Prendre conscience de la valeur positive de la diversité linguistique et culturelle
- Avoir le désir de s’informer sur les langues de Guyane
2. Aspects sociolinguistiques
Savoirs
- Savoir que les situations de bilinguisme et de plurilinguisme ne sont pas marginales dans le monde, qu’elles constituent au contraire le plus souvent la norme
- Savoir quelles peuvent être les conséquences du bi- et du plurilinguisme sur les langues et les individus
- Savoir qu’il ne faut pas confondre langue et pays (une même langue peut être la langue de plusieurs pays et il peut y avoir plusieurs langues dans un même pays)
- Savoir qu’il existe une pluralité de langues à travers le monde et qu’il y a donc bien souvent plusieurs langues dans un même pays ou la même langue dans plusieurs pays
- Savoir que toute langue est soumise à la variation
- Savoir que les langues varient en synchronie et en diachronique et connaître les raisons de ces variations et changements
- Savoir que les langues ne sont pas des systèmes « étanches » (elles partagent, échangent des éléments en fonction de leur genèse historique ou des contacts que les populations ou les individus peuvent entretenir les uns avec les autres)
- Savoir qu’il y a plusieurs langues en Guyane et connaître les statuts et fonctions de ces langues
- Connaître l’histoire de l’implantation des langues de Guyane
- Savoir dans quels pays sont parlées les langues de Guyane
- Savoir qu’il y a dans le monde et en Guyane des langues qui n’ont pas d’écriture, ce qui n’empêche pas les locuteurs de transmettre des savoirs, de communiquer, de réfléchir...
- Savoir qu’en Guyane le public scolaire est le plus souvent bilingue ou plurilingue
- Savoir que le bilinguisme/plurilinguisme est un atout pour l’apprentissage des langues
- Connaître les caractéristiques des discours des bilingues
- Savoir que le mélange n’est pas le signe d’une incompétence dans l’une ou l’autre langue du répertoire du bilingue
Savoir-faire
- Être capable d’analyser son environnement linguistique, d’en apprécier les changements éventuels
- Être capable d’analyser sa propre biographie langagière
- Être capable de mettre en valeur le plurilinguisme dans la classe
- Être capable de mettre à jour les représentations des élèves sur le plurilinguisme
- Être capable d’expliciter ses choix en matière de gestion du plurilinguisme dans la classe
- Être capable d’exploiter le plurilinguisme guyanais comme une ressource pédagogique supplémentaire
- Être capable de trouver des solutions pédagogiques à l’apparition de productions d’élèves (orales et écrites) en français « de Guyane »
- Être capable de mettre en valeur des langues dites « à tradition orale » (exploitation des contes, etc.)
- Être capable de travailler avec les élèves sur leurs attitudes, stéréotypes vis-à-vis des langues en présence (les leurs, celles de leurs camarades de classe, celles de Guyane en général)
Savoir-être
- Accepter que les emprunts divers qu’une langue effectue à d’autres langues au cours de son histoire contribuent à sa richesse
- Accepter et avoir de l’intérêt pour la variation linguistique en français
- Valoriser toute langue indépendamment de son statut (réel ou imaginaire)
- Adopter une attitude positive vis-à-vis des langues dites à tradition orale
- Être capable de se décentrer par rapport à ses propres représentations sur les langues (par exemple, réfléchir aux termes jargon, baragouin, patois, etc.)
- Ne pas dévaloriser les personnes bilingues/plurilingues, quel que soit le statut de leurs langues
- Prendre conscience des variétés linguistiques de son propre répertoire
3. Aspects didactiques
Savoirs
- Connaître les différentes approches concernant la place de la L1 dans l’apprentissage d’une L2
- Savoir qu’il existe différentes manières de gérer l’utilisation de la L1 dans la classe
- Savoir que dans certains cas une erreur peut être liée à une influence de la L1 de l’élève (ou d’une autre langue de son répertoire)
- Savoir qu’il existe des points possibles d’interférence entre les langues des élèves et le français
- Savoir que le recours à la L1 est une stratégie parmi d’autres dans le processus d’apprentissage et dans la gestion de la communication exolingue en général
- Savoir que les erreurs des élèves ne sont pas systématiquement liées à une influence de leur L1
- Connaître les processus en œuvre dans la construction d’une interlangue ou langue de l’apprenant
- Connaître les différents procédés d’analyse et d’évaluation des productions écrites et orales des élèves
- Connaître les différentes méthodologies de l’enseignement du français et notamment celles mises en place pour enseigner à des élèves alloglottes
- Connaître différentes méthodes de correction phonétique et d’éveil à la conscience phonologique
- Connaître les différentes méthodes spécifiquement conçues pour l’enseignement du français en Guyane
- Connaître les différentes approches de l’enseignement de la grammaire et plus spécifiquement celles préconisées pour l’enseignement à des élèves alloglottes
- Connaître les objectifs langagiers essentiels pour des élèves primo-arrivants
- Savoir qu’il existe dans le monde un certain nombre de modalités d’enseignement bilingue
- Savoir qu’en Guyane il existe un programme de médiation bilingue
- Savoir quelle est l’histoire de cette expérience, quelles sont ses caractéristiques et quel est le rôle des médiateurs bilingues et des enseignants qui travaillent avec eux
Savoir-faire
- Être capable de s’appuyer sur les langues des élèves dans sa pratique
- Être capable de renvoyer un feed-back approprié aux élèves
- Être capable de réaliser et d’animer une séance de correction phonétique
- Être capable de mettre en place des séances d’éveil à la conscience phonologique
- Être capable d’analyser une production écrite et orale et d’identifier la trace éventuelle d’une influence de la langue source
- Être capable d’établir une progression à partir d’une évaluation diagnostique des acquis des élèves (et pas ceux supposés à ce cycle/niveau)
- Être capable de réaliser et d’animer une séquence pédagogique à l’oral, d’exploiter des supports iconiques pour ce faire
- Être capable de lister les objectifs langagiers adéquats par rapport au niveau réel des élèves
- Être capable de réaliser un projet d’écriture adapté au public
- Être capable de trouver des remédiations adaptées à une difficulté d’ordre linguistique rencontrée en situation par les élèves
- Être capable de mettre en place des séquences à objectifs communs avec des médiateurs bilingues
Savoir-être
- Ne pas considérer la L1 comme une difficulté pour l’apprentissage de la L2
- Accepter que l’utilisation de la L1 puisse être un atout dans l’apprentissage d’une L2
- Avoir un regard positif sur l’éducation bilingue en général et sur l’expérience bilingue guyanaise en particulier
- Valoriser les connaissances des médiateurs bilingues
70Ce référentiel présente les compétences professionnelles qui nous semblent devoir être acquises ou consolidées pendant le temps de formation du futur professeur des écoles, en tout cas en ce qui concerne l’adaptation au plurilinguisme guyanais. Il s’agit donc d’un référentiel de fin de formation initiale, indiquant les objectifs prioritaires à atteindre pendant la formation et désignant le minimum exigible pour enseigner en Guyane à un public alloglotte. Bien évidemment, ces compétences se verront complétées et affirmées dans la pratique professionnelle et dans le cadre de la formation continue des professeurs des écoles.
Conclusion
71Nous avons cherché au travers de ces propositions à répondre à un certain nombre de questions posées par les acteurs de l’éducation en Guyane. Celles-ci vont dans le sens de la mise en place d’une « pédagogie réaliste » (Verdelhan, 2002) qui part des élèves tels qu’ils sont, avec les connaissances dont ils disposent au moment de leur entrée à l’école, et qui s’appuie sur ces connaissances pour introduire les connaissances nouvelles. Or la langue maternelle fait partie de ces connaissances originelles, de sorte que dans une situation de FLS il est bien plus fécond, dans l’intérêt même de la relation pédagogique et du développement des connaissances, que la relation à la langue de scolarisation se construise sur le mode du plurilinguisme. Il faut donc orienter la formation des enseignants de manière :
- à ce qu’ils sachent tirer le meilleur parti possible des situations de bi- et plurilinguisme ;
- à ce que leur enseignement de la langue française à des non-francophones soit aussi efficace que possible.
72Pour la mise en place de tels programmes de formation, les recherches engagées doivent être poursuivies. Pour cela, il convient de partir, comme le préconisent L. Gajo et L. Mondada (2000), des pratiques réelles des acteurs de l’école, et donc de l’observation de la gestion du plurilinguisme par les enseignants et par les élèves. Le premier niveau d’analyse doit être ici la classe qui se présente en première instance « comme un lieu de rencontre pluriculturel » (ibid.) et où se jouent les différents enjeux d’une éducation en milieu plurilingue.
73Les recherches engagées dans le cadre de l’Érté de l’IUFM de la Guyane doivent donc être poursuivies dans le but de collecter des données dans les domaines suivants :
- attitudes des enseignants en formation vis-à-vis de leurs futurs élèves, de la particularité de l’enseignement en Guyane et de la diversité linguistique en général ;
- attitudes des élèves vis-à-vis de l’école, de l’apprentissage, de la langue de l’école ainsi que de tout savoir susceptible de faire l’objet d’un enseignement en milieu scolaire ;
- gestion du plurilinguisme dans la classe, dans l’école, par les enseignants et par les élèves ;
- connaissance du répertoire verbal des élèves et de leur gestion de ce répertoire dans des pratiques endolingues et exolingues ;
- identification des difficultés rencontrées par les élèves dans l’acquisition du français.
74Il conviendra enfin d’envisager à court et moyen terme des modalités d’évaluation du dispositif de formation à l’IUFM en matière d’adaptation au contexte guyanais selon les critères retenus dans le référentiel.
Notes de bas de page
1 Nous ne traiterons pas ici des autres aspects de leur formation, plus généraux, pouvant coïncider avec toute formation de professeur des écoles (formation générale, français langue maternelle, etc.).
2 Nous laissons ici de côté la réflexion portant sur l’acquisition précoce des langues étrangères à l’école qui est liée à d’autres enjeux que ceux d’un plurilinguisme inhérent aux élèves de la classe.
3 Programmes de langue française et de littérature pour le second cycle camerounais (juin 1994).
4 Ce problème existe bien sûr en métropole chez l’ensemble des ressortissants des pays d’Afrique noire, mais aussi chez les Kurdes (citoyens turcs, irakiens etc.), problème auquel il faut ajouter celui de la différenciation dialectale (entre arabe dialectal et arabe littéral ou koïné arabe moderne, mais aussi entre l’italien proprement dit et ses dialectes mériodionaux…).
5 Texte d’introduction de la Journée interdisciplinaire du FLE, samedi 11 mai 2002 (la Réunion) consacrée au thème « Français langue seconde : un masque sur la diversité d’usage et d’apprentissage ? ».
6 Il y a en effet une ambiguïté dans la notion de « Langues régionales », avec l’acception large de la Charte européenne (langue autre que la langue officielle d’un pays, mais parlée par des citoyens de ce pays dans des portionsidentifiables du territoire national), et celle plus restreinte de l’Éducation nationale (langue qui fait l’objet d’enseignements dans le cadre de la loi Deixonne de 1951 et de ses extensions successives). La première est une reconnaissance symbolique, essentielle aux yeux des locuteurs. La seconde est un état de fait : pour monter un enseignement de langue, il faut tout un travail en amont (grammaires, dictionnaires, matériel pédagogique, formation des maîtres…), condition actuellement satisfaite par le créole, mais qui pourra l’être plus tard par les (ou : « des », à mesure de l’avancement des travaux) langues amérindiennes ou businenge.
7 Nous cherchons, à partir de productions d’élèves, à tester l’hypothèse que le passage au français est particulièrement coûteux pour les élèves qui n’ont eu comme seule connaissance du langage qu’une langue dite isolante, comme les langues créoles ou celles d’Extrême-Orient, caractérisées par une morphologie restreinte et régulière, avec une tendance à l’identification du mot et celui du morphème. De ce point de vue, la proximité d’un créole à base lexicale française est trompeuse : 80 ou 90 % de parenté proche dans le vocabulaire ne compense pas une différence grammaticale majeure. Cette difficulté est masquée pour la très grande majorité des créolophones des DOM qui sont des bilingues précoces créole-français ; mais elle apparaît nettement chez une grande partie des Haïtiens, ainsi des quelques Guyanais (surtout des Amérindiens) qui arrivent à l’école purement créolophones.
8 Deux ouvrages de grammaire nengee et palikur ont été publiés à l’IRD dans la collection Didactiques.
9 Selon le principe « un adulte – une langue », un enseignant de FLS ne devrait jamais prononcer une phrase dans une autre langue que le français, un professeur de langue vivante n’utiliser que cette langue dans sa classe, et, en Guyane, les médiateurs bilingues ne devraient jamais faire appel au français.
10 Et si cette diphtongue nasale pose des problèmes, se rabattre sur une approximation comme -an. Il faut éviter de donner à l’élève le sentiment que les exigences linguistiques sont à sens unique, et que le maître peut se permettre toutes les incongruités linguistiques sans sanction tandis que l’élève ne peut se permettre aucun écart à la norme. Nous avons été stupéfaits au cours d’un stage d’entendre des enseignants qui, d’une part s’efforçaient (en toute légitimité, mais sans la métalangue et donc la compréhension du problème) d’installer la voyelle antérieure arrondie [y] chez les enfants parlant une langue où cette voyelle est inconnue, et d’autre part jugeaient imprononçable voire barbare la voyelle kali’na [i] qui est à peu près l’inverse (centrale, ou postérieure étirée).
Auteurs
alby@cayenne.ird.fr
Maître de conférences en sciences du langage à l’IUFM de Guyane, membre de l’UMR Celia
launey@cayenne.ird.fr
Professeur en sciences du langage à l’université de Paris-VII, directeur de recherches à l’IRD, membre de l’UMR Celia
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