De l’espace au territoire ? Sojaculture, environnement et mouvements indigènes en Amazonie brésilienne
p. 429-451
Texte intégral
1Dès sa découverte par les Européens, l’Amazonie peut être considérée comme une région mondialisée : son nom est une importation d’un mythe grec, ses « Indiens » ne sont désignés ainsi que par confusion avec un autre lieu et ses produits exotiques ont été exportés vers des lieux de consommation lointains plutôt que vers le reste du Brésil. Le degré de « mondialité » de l’Amazonie a varié : parfois élevé, comme lors du boom du caoutchouc, parfois plus modeste. Pour autant, la région amazonienne a toujours conservé un attrait économique, scientifique et mythique particulier.
2Cette insertion de l’Amazonie dans la conscience et l’économie occidentales – que nous appellerons ici « mondialisation » – a enregistré un regain de vigueur dans les dernières décennies. D’une part, la diffusion effective dans le débat géopolitique mondial des notions de droits de l’homme et d’écologie ont poussé à la considérer comme un grand sanctuaire de la nature et des populations traditionnelles. D’autre part, l’ouverture économique des années 1990 a intensifié les flux provenant d’Amazonie ; ceux-ci ne comprennent plus seulement les richesses naturelles (bois, minerais ou gommes) mais également des produits agricoles comme la viande bovine et surtout le soja. Par ailleurs, plus que dans les périodes historiques précédentes, l’attention mondiale portée à l’Amazonie doit compter avec les efforts déployés par le gouvernement fédéral brésilien pour l’« intégrer » et y promouvoir un développement qui s’articule avec les besoins du reste du pays.
3Le résultat de ces mouvements récents est une lutte menée par chacun des acteurs [ONGs brésiliennes ou internationales, États étrangers, gouvernement brésilien, acteurs économiques (Pasquis et al., 2003)]. Alliances et intérêts varient, mais on peut identifier un enjeu commun : l’espace1. La stratégie de ces acteurs consiste à faire passer les plus grandes étendues possibles de terre dans la catégorie qu’ils cherchent à défendre (espace productif, Unités de conservation, Terres indigènes), sachant qu’une fois l’espace caractérisé, tout changement est très difficile. Ainsi, en avant de la frontière agricole souvent décrite, existe une autre frontière, foncière et géopolitique, sur laquelle l’influence de la mondialisation est manifeste.
4Cette compétition pour l’espace, qui met en jeu des acteurs multiples opérant à différentes échelles, avec des fonctionnements de voisinage et en réseau, n’implique pas automatiquement la formation de territoires. Nous montrerons dans un premier temps que l’avancée de l’espace productif, autour de la sojaculture, n’enclenche pas une dynamique de construction territoriale et aboutit plutôt à la dilapidation des ressources. Dans un deuxième temps, nous soulignerons combien l’État et les autres institutions, engagés dans la protection de l’environnement, mais toujours sous l’influence des acteurs économiques, peinent à créer une conscience collective, gage de la pérennité du territoire. Il n’est finalement que les mouvements indigènes, largement mondialisés, pour construire des entités spatiales présentant une certaine cohésion. Leur pouvoir reste cependant local, délimité qu’il est par le bornage des « Terres indigènes », et sans espoir de généralisation à l’ensemble de l’Amazonie.
Les espaces du soja mondialisé
5Au cours de la dernière décennie, afin de faciliter l’occupation économique de l’Amazonie, une stratégie libérale fut appliquée, se traduisant par l’annexion de nouveaux territoires à l’espace productif, au prix d’une déforestation moyenne annuelle de 17 000 km2 (Pasquis et al., 2001). Deux dynamiques se distinguent particulièrement dans ce mouvement : la colonisation agricole et l’expansion de la culture du soja.
« Réforme agraire » et colonisation : la conquête de l’espace
6Pour « donner aux hommes sans terres, des terres sans hommes » et à la fois « intégrer pour ne pas livrer (à la convoitise des grandes puissances)22 », dès le début des années 1950 et au cours des décennies suivantes, les pouvoirs publics ont favorisé la création d’immenses enclaves aux mains d’entreprises privées, de pôles régionaux de développement et mobilisé la main-d’œuvre excédentaire du Nordeste et du Sud brésilien (Becker, 1998). Contrairement à d’autres pays latino-américains et malgré une loi de réforme agraire inscrite dans la Constitution de 1946 et réaffirmée dans celle de 1988, le Brésil a choisi de privilégier la colonisation de terres amazoniennes libres (fig. 1) afin d’éviter de toucher aux grandes propriétés (Fernandes, 1998). On arrive ainsi en ce début de troisième millénaire au paradoxe suivant : au Brésil, la colonisation favorise la concentration foncière en Amazonie et, en attirant la main-d’œuvre excédentaire d’autres États, empêche toute réforme agraire véritable dans les régions de départ (Weiss et Pasquis, 2003). En outre, son rôle dans l’intégration économique de cet espace la lie à la mondialisation.
7L’échec à peu près généralisé des projets de colonisation agricole, qui se reflète notamment par un taux d’abandon très élevé chez les nouveaux arrivants [28,7 % en moyenne, mais jusqu’à 60 % dans le Pará, (FAO/INCRA, 1998)], montre que le but recherché était moins leur réussite que leur capacité à ouvrir de nouveaux espaces, ensuite livrés aux grandes exploitations et à l’agro-industrie. Souvent implantés sur des surfaces trop exiguës, avec un manque chronique de services, d’assistance technique et d’accès au marché, les colons se retrouvent dans l’impossibilité de rentabiliser leurs activités productives ; cela est d’autant plus vrai que la mondialisation sélectionne les exploitations les plus compétitives. Ils vendent, à un prix dérisoire, leur lopin de terre, parfois au voisin plus fortuné, souvent au grand éleveur, qui agrandit ainsi son domaine. Les colons ayant échoué une première fois décident de s’enfoncer en forêt pour débroussailler de nouvelles parcelles ou de se diriger vers les quartiers marginaux des villes. Ainsi, ces projets supposés être de réforme agraire ouvrent l’espace et préparent le territoire pour les grandes spéculations qu’exige le marché mondial. La relation entre la distribution de terres et la mondialisation économique devient évidente au cours des deux mandats du président Cardoso (1995-1998 et 1999-2002) : champion de l’ouverture du pays, il est aussi celui qui créa le plus de périmètres agraires de toute l’histoire de la colonisation amazonienne (fig. 1), dépassant même au cours de sa première période son objectif de 280 000 familles bénéficiaires.
8Réalisés dans l’urgence et sans réunir les conditions minimales de leur durabilité, les projets de « réforme agraire » sont vite devenus la principale cause de la dégradation environnementale et de la déforestation accélérée de la région (Fearnside, 2001), passant outre une législation de protection de l’environnement qui était en place depuis longtemps3. Il en résulte que la plupart des projets ne reçoivent pas la certification environnementale préalable exigée par le Conseil national de l’environnement (Conama) qui, de toutes façons, interdit l’établissement de périmètres agraires dans les aires forestières. Cette situation a rapidement ému la communauté internationale qui met à l’index la politique brésilienne de colonisation mais avec peu de répercussions, l’Incra devant avant tout fournir des résultats quantitatifs (MDA-INCRA, 2000). Ce n’est qu’à la fin du gouvernement Cardoso que ces préoccupations commencent à porter leurs fruits, avec la création de projets durables ou agro-forestiers, celle de Conseils de développement durable pour les lotissements et des efforts importants pour accélérer et renforcer les processus de certification environnementale. Le gouvernement Lula a, quant à lui, créé très peu de nouveaux lotissements, contrairement aux promesses électorales, paraissant vouloir satisfaire à la fois le FMI, inquiet de leur coût, et les environnementalistes, déjà très mécontents des premiers résultats de sa gestion.
La progression spatiale du soja : une stratégie économique
9La croissance des espaces amazoniens consacrés aux grandes cultures, en particulier le soja, est fortement associée à la mondialisation de l’économie et plus particulièrement à la demande mondiale de denrées de base (Bertrand et al., 2004). Face aux impératifs du commerce global et afin de lutter contre la concurrence des grands pays producteurs, le complexe brésilien du soja réduit ses coûts de production, augmente ses rendements et externalise ses coûts environnementaux (Galinkin, 2002), toutes mesures permises par la conquête de nouvelles terres en Amazonie4. Ainsi, la région amazonienne est progressivement entraînée dans un processus qui dépasse ses frontières (Cadier, 2004), avec la mise en place d’un contexte commercial lié au marché mondial des matières premières. Contrairement à la « réforme agraire », ce phénomène n’est pas le simple fait des politiques publiques. Même si ces dernières ont facilité l’expansion de la frontière agricole et continuent à accompagner ce processus, les principaux acteurs sont maintenant privés et souvent multinationaux (Pasquis, 2004).
10Du fait des caractéristiques de la région, de moyennes et grandes propriétés agricoles produisent le soja en monoculture ou en rotation avec d’autres « grains » (céréales comme le riz, le maïs, le sorgho5, etc.). En contact, en amont, avec l’industrie des intrants et, en aval, avec les courtiers, traders6, coopératives et industries de trituration, pour vendre sa production, le producteur de soja ou « sojaculteur » peut être considéré comme l’acteur clé de la filière. Il migre très facilement à la recherche de nouvelles étendues de terres bon marché, qui lui permettent de réduire ses coûts de production et d’augmenter sa marge (voir la contribution de J.-P. Bertrand et H. Théry dans le présent ouvrage). L’intérêt de grandes surfaces d’un seul bloc repose sur la dilution des coûts fixes qui permet de sensibles économies d’échelle. Que ce soit par la fuite vers le nord ou la concentration foncière, tous les efforts des producteurs tendent à cela (Gasques et al., 2004). En outre, malgré le coût de préparation de nouvelles terres, notamment quand elles sont couvertes de forêt, il existe une énorme différence de prix entre le foncier des États du Nord et ceux du Sud (tabl. 1). Selon certains interlocuteurs, avec le prix obtenu pour des propriétés dans le sud du pays, il est possible d’en acheter dix fois plus au nord (Rezende, 2002)7. Mais c’est la valorisation après défrichement et mise en culture qui est spectaculaire : à Sorriso, dans le Mato Grosso, on estime qu’avant l’arrivée du soja l’hectare de terre valait 800 R$ 8 et qu’il en vaut désormais 15 000 (multiplication par plus de 18 !) (Costa, 2000). Il y a donc une stratégie patrimoniale consistant à acheter et à mettre en valeur des terres (notamment grâce au développement des infrastructures), puis éventuellement à les revendre : le foncier est encore un très sûr moyen d’enrichissement et même le principal pour certains producteurs. Ces processus sont très rapides. Le développement fulgurant de l’agriculture à Sinop (Mato Grosso) s’est réalisé sur un pas de temps de seulement quatre années. Le choix du soja s’explique aussi par la rapidité du retour sur investissement : cinq ans contre vingt pour l’élevage. C’est ainsi que de nombreuses régions « basculent » dans cette production, comme à Querência (Mato Grosso).
11Du côté de la commercialisation, la volonté des traders de contrôler la production brésilienne s’explique par son importance : Brésil, Argentine et États-Unis représentent en effet 82 % du soja produit dans le monde. La localisation dans le cône Sud des deux premiers pays est avantageuse car elle assure sur l’année une permanence de l’approvisionnement, les récoltes s’effectuant, aux États-Unis, entre septembre et décembre et, dans le cône Sud, entre février et juin. Il en est de même pour les acteurs intervenant sur le marché du tourteau. Cette domination permet de faire d’importants gains d’échelle (De Castro et al., 2002). Comme les « sojaculteurs », les traders agissent sur l’espace selon leurs moyens, leurs intérêts et leurs stratégies (Roessing, 2002). Cela peut aboutir à une spécialisation, voire même à une spéciation9, comme dans le cas du cerrado qui a rejoint l’espace agricole avec l’apparition d’un nouveau système de production. La progression géographique de la filière en Amazonie légale se réalise en suivant les traces de la culture du soja qui, elle-même, traque les terres bon marché. Les industries de trituration suivent la progression de la production du soja vers le nord en même temps qu’elles contribuent à la renforcer et à la structurer (Bertrand et al., 2001). Leur localisation est décidée à partir de leurs stratégies commerciales, élaborées en fonction de la meilleure rentabilité des investissements, de l’amélioration de l’accès à la matière première ou au marché interne ou externe et de la logistique de transport. Les industries ont deux possibilités pour s’installer soit près des centres de production de matière première, soit à proximité des ports d’exportation. Les entreprises, au départ, ont préféré la première solution. En 1997, encore près de 95 % de la capacité de transformation de l’Amazonie légale étaient installés dans le Mato Grosso et à peine 5 % sur le littoral, près de São Luiz dans le Maranhão. Ensuite, au cours des dernières années, sont apparues de nouvelles installations portuaires, sur les rives des grands fleuves amazoniens qui drainent la production du nord ou de l’ouest du Mato Grosso. En effet, une des principales solutions pour diminuer les coûts de transport10 est l’implantation de corridors multimodaux, afin de diminuer la prédominance du transport routier sur le ferroviaire ou sur le fluvial. Devenus opérationnels, ces corridors devraient permettre d’améliorer la compétitivité internationale de l’Amazonie. Certains coûts pourraient être ainsi diminués de l’ordre de 30 à 40 %. Auparavant, la conquête de nouvelles terres lointaines ne faisait qu’accroître la nécessité d’implanter de nouvelles infrastructures, notamment des routes. Cependant, avec l’arrivée du front du soja au nord du Mato Grosso, la situation s’inverse. Chaque kilomètre gagné vers le nord rapproche la production de son point d’embarquement sur l’Amazone, à Santarem. Certains n’attendent d’ailleurs pas le revêtement de la BR163 et se sont directement installés dans cette région, au bord de l’Amazone et même de l’autre côté du fleuve (Alenquer).
12La progression du soja est l’un des principaux facteurs de transformation de l’Amazonie. Elle provoque des changements d’usage sur de vastes surfaces. Les puissants acteurs économiques qui la portent, des sojaculteurs aux traders, constituent une population mouvante, peu concernée par la dimension locale et son avenir. Quant aux sans-terres venus avec la colonisation agricole, ils sont obligés de se déplacer sans cesse, sous la pression des premiers. Ces espaces ne sont donc qu’à la marge le lieu de création de territoires. Face à cette incapacité des acteurs à fixer eux-mêmes les limites supportables de leur activité pour l’environnement, c’est logiquement en déterminant des périmètres de protection que l’État intervient, avec un succès relatif.
Périmètres de protection de l’État : en quête de territorialité
13Au regard de l’ampleur de l’espace amazonien et de la complexité de ses écosystèmes, durant les années 1980, un consensus mondial s’est dégagé en réaction aux processus économiques et à leurs effets environnementaux. Ce mouvement s’est rapidement transformé en pression sur le gouvernement brésilien pour qu’il fasse des efforts en vue de préserver une partie significative de la région. Vingt ans plus tard, alors que le Brésil a créé des unités de conservation sur de très grandes surfaces, il est possible de dresser un bilan des outils territoriaux de la politique environnementale brésilienne.
La conservation : une stratégie territoriale
14Depuis la période impériale (1822-1889), d’innombrables unités de conservation ont été créées dans tout le territoire brésilien, mais la plupart ont été définies après la fin du régime militaire, notamment entre 1988 et 2002, période incluant l’entrée en vigueur de la Constitution de 1988, la préparation et la tenue des conférences de Rio et Johannesburg, et qui fait figure d’apogée de la thématique environnementale. En particulier, la notion de « patrimoine environnemental » a été reconnue et est devenue la base de la politique menée dans ce domaine. Cette nouvelle approche peut être considérée comme un changement culturel important, ouvrant la voie à une définition de l’utilisation durable de ce patrimoine. La stratégie menée par le Brésil depuis les années 1980 repose sur trois axes : l’éducation des populations, le contrôle des activités polluantes ou prédatrices et l’établissement d’un système d’unités de conservation. Récemment, le processus de démocratisation du pays a permis une meilleure participation de la société.
15L’aspect territorial de cette stratégie a jusqu’ici été privilégié, sans doute en raison de sa visibilité. Quelques aires, sélectionnées dans des écosystèmes caractéristiques, sont choisies pour établir des réserves dont la gestion est réglementée par des mécanismes légaux, via le Système national d’unités de conservation (SNUC)11. Celui-ci crée deux types d’aires : celles qui sont intégralement protégées et celles qui sont susceptibles d’une utilisation durable. Néanmoins, malgré leurs superficies souvent importantes, les aires protégées ne sont parfois que des îlots cernés par de grandes exploitations agricoles, ce qui réduit sensiblement leur capacité de protection. Pour diminuer ce risque, le Brésil s’est tourné vers le concept de couloir écologique, mieux à même de permettre le flux des gènes, la mobilité de la faune et la capacité de rénovation des écosystèmes. Ces couloirs sont formés à partir de l’interconnexion de différents types d’Unités de conservation et sont devenus une priorité politique.
Système national et influence des normes mondiales
16L’histoire de la protection de l’environnement au Brésil est plus ancienne que la création du SNUC : depuis les années 1930 et jusqu’en 1981, le règlement et le contrôle des espaces protégés étaient des obligations de l’État central ou des États fédérés. Ce système prévoyait seulement la gestion publique de ces unités et leur utilisation directe ou indirecte. En 1981, la loi 6938 a renforcé ces mécanismes. Cette vision a dominé jusqu’au milieu des années 1990, quand de nouveaux types d’unités ont été créés et ont permis de nouvelles expériences de gestion. Approuvée en 2000, la nouvelle loi a ajusté les catégories à la terminologie utilisée dans le monde, en créant des « unités durables » intégrant la présence humaine et prenant en compte l’exploitation durable des ressources existantes.
17Néanmoins, les anciennes typologies subsistent dans plusieurs régions et peuvent être considérées comme un moyen d’éviter les restrictions imposées par la loi. La présence de population à l’intérieur des aires protégées a toujours a été un des points principaux du débat : elle fait apparaître des divergences théoriques entre les environnementalistes « purs » et les néo-environnementalistes qui défendent des visions différentes des populations « traditionnelles » et du contrôle d’État sur les espaces protégés. Dans la loi actuelle, le déplacement des habitants des unités de conservation est prévu, moyennant leur accord et leur indemnisation.
18Des ressources budgétaires ont été destinées à l’entretien, au suivi et à la surveillance des unités de conservation et, depuis 1989, des fonds internationaux de diverses origines – prêts ou donations – ont été affectés à la consolidation du SNUC. Dans les années 1990, plusieurs prêts ont été sollicités par le gouvernement central (PNMA12, FNMA13, Pronabio14, Proecotur15, etc.) ou par les gouvernements des États fédérés (Prodeagro, Planafloro, etc.). Leur rôle a été déterminant dans l’élargissement des espaces protégés. Les programmes précédents concernaient tout le territoire national, mais le PPG-716, qui a consisté à coordonner des donations internationales pour les concentrer sur la protection des forêts tropicales, a réservé environ 90 % de ses ressources à l’Amazonie. Les résultats de ces efforts sont déjà visibles au sein du SNUC : de nouvelles aires ont été déclarées protégées et d’autres ont été délimitées ; on a pu construire des centres d’accueil ou élaborer des plans de gestion, étapes préliminaires indispensables pour un développement durable.
19Plus récemment, a débuté le programme des Aires protégées de l’Amazonie (Arpa), mené lui aussi avec des fonds internationaux (GEF, BIRD, KFW, WWF) et brésiliens, dirigé par le Funbio17 et destiné à protéger tout d’abord 10 %, puis 12 % (500 000 km2) de la forêt tropicale demeurant en 2000. Bien qu’il ait débuté en 1998, en partenariat avec le WWF, il n’a formellement été approuvé qu’en 2002. Sa mise en œuvre inclut la création d’aires de protection intégrale, l’utilisation durable de nouveaux secteurs et la consolidation de quelques unités existantes. Le projet doit être exécuté en dix ans, jusqu’en 2012, avec trois phases distinctes et des ressources de l’ordre de 400 millions de dollars. La création du parc national des montagnes du Tumucumaque (Amapá) et du parc national Serra da Cotia (Rondônia) a fait partie de ses actions. Son grand défi est la participation des communautés et des organisations locales et régionales à la gestion des aires protégées, comme dans le cas des expériences de consultation publique de la réserve Cazumbá-Iracema (Acre) et du parc de Chandless (Acre). Un Fonds fiduciaire spécifique a été constitué pour le maintien des aires protégées nouvellement déclarées.
20Si, au début des années 2000, on a pu observer une réduction des offres de coopération financière internationale, celle-ci n’a pas été encore ressentie en Amazonie car plusieurs programmes dont les négociations ont débuté dans les années 1990 tardent à être mis en œuvre. Sur l’ensemble du pays, le volume total du portefeuille de projets négociés est estimé à près de 600 millions de dollars.
Les failles de la protection
21Un des problèmes qui se posent est d’ordre foncier. Il est lié à plusieurs facteurs : la démarcation imprécise des terres possédées par l’État central, l’absence de surveillance de la part de ses administrations (Funai, Incra, DNER, Ibama, etc.) ou des institutions des États fédérés. Dans un effort pour surmonter sa faible capacité d’action, l’État fédéral a recherché la constitution de partenariats avec le secteur privé et le secteur non gouvernemental pour augmenter l’efficacité de la surveillance et du maintien de l’intégrité des écosystèmes protégés. Il a créé la catégorie de « réserves privées » (RPPN) pour tenter d’augmenter la surface des zones protégées, sans avoir à en supporter les conséquences budgétaires. Bien que ce genre de difficultés ne soit pas spécifique à l’Amazonie, elles sont plus aiguës sur la frontière agricole et dans les régions les moins peuplées. Une des spécificités amazoniennes est la superposition conflictuelle entre unités de conservation et terres indigènes, ce qui souligne les déficiences de l’État, car les deux catégories sont établies sur des terres publiques (Albert et Le Tourneau, 2004).
22L’implantation d’infrastructures routières et énergétiques est un autre des grands problèmes auxquels se heurte la protection environnementale. Ainsi, récemment, le projet d’asphaltage de la route BR-163 a souligné les contradictions inhérentes à l’action du gouvernement fédéral en Amazonie : motivée par des facteurs économiques18, l’amélioration de cette route va permettre l’avancée de la frontière agricole – et de ses squatters – dans une région essentiellement occupée par des unités de conservation et des terres indigènes et considérée comme prioritaire pour la conservation de la biodiversité (MMA, 2001).
23Ces équipements constituent une cause de conflits à la fois dans les aires protégées par le SNUC et dans les aires de protection permanente, définies par le Code forestier ou incluses dans les réserves légales. Ils entraînent l’intensification du déboisement et le remplacement de la végétation naturelle par des pâturages ou des productions agricoles. Les effets sont particulièrement importants dans les secteurs de haute priorité pour la création de zones tampons ou d’unités de conservation, que sont les régions des fleuves Teles Pires et Jamanxim, les forêts nationales Itaituba I et II ou le parc national de l’Amazonie (MMA, 2001).
24Un des plus grands problèmes d’utilisation et d’occupation du sol amazonien est le taux croissant de déboisement lié à l’élevage bovin, à l’augmentation de la production du soja et à l’exploitation forestière. Chaque année, rituellement, la divulgation de ce chiffre amène le gouvernement à promettre des actions de surveillance et la création de nouveaux secteurs de conservation. Les cinq dernières années, le ministère de l’Environnement a présenté un projet de surveillance intégrée, comprenant des actions appuyées par les ministères de la Défense, du Travail et de la Justice, incorporant des actions environnementales, agricoles, fiscales et routières de surveillance et la création de 26 commissariats de police spécialisés dans les crimes environnementaux19. Ont encore été annoncées les créations de 53 000 km2 d’aires protégées d’utilisation durable et de 81 000 km2 d’aires de protection intégrale. Néanmoins, ces mesures globales ne répondent pas au problème de l’Amazonie brésilienne. Ainsi, l’État du Mato Grosso, champion du déboisement et acteur majeur de la production mondiale de soja, est celui dans lequel la proportion de terres occupées par des aires protégées est la plus faible, malgré de lourds investissements dans des études de zonage économique et écologique – parfois financés par des bailleurs de fonds internationaux.
25La majorité des unités de conservation existantes en Amazonie fait l’objet d’intrusions, d’exploitation forestière illégale et de confusions foncières. Au-delà de ces problèmes se pose la question de la viabilité du système de conservation. D’une part, le total des aires protégées, dans chaque écosystème, est insuffisant pour la conservation de la biodiversité (minimum de 10 % de protection intégrale par écosystème). D’autre part, les aires protégées déjà établies n’ont pas atteint complètement les objectifs qui ont motivé leur création, car les actions se restreignent à la démarcation, à la déclaration de propriété publique et à une surveillance précaire, démontrant l’absence de l’État dans l’exercice de ses droits et devoirs.
26Ainsi, l’État brésilien est l’agent du transfert de normes et de préoccupations internationales de protection de l’environnement sur son propre territoire, sans pour autant garantir la durabilité des unités de conservation. Cette ambiguïté est renforcée par le jeu entre État fédéral et États fédérés, comme dans le cas du Mato Grosso, qui fait apparaître de nouvelles contradictions. Les territoires en émergence que sont les unités de conservation en restent donc à une existence théorique. Les limites en sont définies sur le papier mais ne sont pas respectées, faute d’acteurs qui soient réellement impliqués dans leur développement. Ces « territoires sans hommes », protégés par des institutions dont l’échelle de fonctionnement est englobante, n’ont qu’une faible consistance. N’est-ce pas du côté des terres indigènes que peuvent se créer des territoires plus cohérents, en dépit – ou à cause ? – des liens croissants de leurs habitants avec le système-monde ?
Terres indigènes dans la mondialisation : de véritables territoires
27La reconnaissance légale des droits territoriaux des peuples indigènes de l’Amazonie brésilienne a progressé de manière spectaculaire durant les années 1990. Aujourd’hui, environ 25 % de l’Amazonie brésilienne – soit plus de 1,2 million de km2 – sont classés comme « Terres indigènes ». Cette nouvelle situation est aussi bien la conséquence des luttes contre la dictature militaire que celle des pressions internationales en faveur des peuples indigènes, lesquelles sont l’une des figures observables de la mondialisation en Amazonie.
Les Indiens d’Amazonie, acteurs mondialisés
28Les populations indigènes d’Amazonie ont vécu plusieurs épisodes successifs d’échanges physiques et intellectuels avec d’autres populations distinctes et sans lien avec elles. La première période remonte à leur incorporation, dès la découverte de l’Amérique, à l’imaginaire exotique occidental. De fait, l’« Indien » devient une figure emblématique, à même de susciter l’intérêt dès qu’elle apparaît dans des chroniques, qu’il s’agisse de celles des explorateurs du xvie siècle (Léry, Anchietta), des naturalistes des xviii-xixe (La Condamine, Humboldt...) ou des anthropologues du xxe siècle (Lévi-Strauss, Clastres, Lizot...). La fascination est renforcée par celle qu’exerce la forêt amazonienne, si bien que les deux phénomènes deviennent rapidement indissociables. Cette image de l’Indien est cependant déconnectée de la vie réelle des groupes amérindiens, qui souffrent des nouveaux échanges économiques associés à la colonisation, dans la mesure où tous reposent sur l’exploitation de leur travail.
29Dans les années 1970, une nouvelle ère commence lorsque les programmes du gouvernement brésilien entraînent la destruction d’immenses étendues de forêt amazonienne et mettent en danger la survie d’un grand nombre d’ethnies. Appuyées sur l’audience grandissante des luttes pour les droits de l’homme, de nouvelles organisations apparaissent, comme Survival International, et font des Indiens d’Amazonie l’emblème de la lutte pour le droit des populations traditionnelles à survivre. Rapidement, ces mouvements s’allient avec les premiers écologistes qui s’inquiètent aussi du sort de l’Amazonie (Albert, 1997).
30Durant les années 1990, en même temps que de très importantes superficies sont concédées aux populations indigènes par le gouvernement brésilien, on note un passage de la mondialisation de la figure de l’Indien à la mondialisation de l’Indien lui-même. Insérés dans un tissu d’ONG dont les financements proviennent souvent d’Europe ou des États-Unis, de nombreux leaders indigènes, mais aussi de jeunes stagiaires, voyagent dans les pays donateurs pour collecter des fonds ou se former à certaines techniques (vidéo, son...). Dans ce cas-ci, le paradoxe de la mondialisation est total : les Indiens d’Amazonie sont en contact avec les nations occidentales – infiniment plus que les populations rurales qui les entourent – justement parce que ceux-là représentent pour celles-ci les derniers vestiges de civilisations isolées. Si les effets sociaux de ce mouvement sont encore à étudier, ses conséquences politiques sur la création de « terres indigènes » sont tout à fait nettes.
La multiplication des Terres indigènes en Amazonie brésilienne depuis 1988
31La notion d’espace réservé pour les populations indigènes émerge au Brésil au xixe siècle, mais ne prend véritablement de l’ampleur qu’avec l’action du maréchal Rondon et la création du Service de protection des Indiens (SPI). Malheureusement, malgré sa dénomination, il est clair que le SPI agit « main dans la main » avec les grands propriétaires, spolie les Indiens et délimite des réserves trop exiguës. En 1967, la dictature militaire décide de remplacer l’organisme par une nouvelle agence, la Fondation nationale de l’Indien (Funai). En 1973, il promulgue le statut de l’Indien par lequel, si la tutelle de l’État est maintenue sur la population indigène, les droits territoriaux sont mieux définis et plus amples. Pour autant, et malgré l’importance de l’image de l’Indien dans le discours sur la formation du Brésil, le gouvernement continue à créer des Terres indigènes de petite taille. Ce processus renforce une opposition de plus en plus forte, la question indigène étant l’une des rares sur laquelle il est alors possible de manifester ouvertement son opposition à la dictature (Ramos, 1998). Un fort mouvement « indigéniste » se structure donc, sa puissance culminant lors de l’élaboration de la Constitution de 1988. Utilisant subtilement les médias et l’image des Indiens venus à Brasília pour accompagner les débats, il obtient une avancée juridique majeure, à savoir la reconnaissance de la notion de Terre indigène par la Constitution (article 231). Sur le terrain (tabl. 2), le changement ne se manifeste pas immédiatement, le gouvernement Sarney appliquant en Amazonie une politique dictée par les militaires (le programme Calha Norte) dont les déterminants et les actions sont dans la lignée des gouvernements militaires passés20
32À partir de 1990, l’action de groupes de pression extérieurs au Brésil peut s’appuyer sur les avancées juridiques obtenues par le mouvement indigéniste brésilien. Sans qu’il soit complètement possible de déterminer la part de l’un et de l’autre, la rencontre de ces deux facteurs et les grandes préoccupations liées à la question écologique et à la déforestation amazonienne forcent le gouvernement fédéral à changer d’attitude : en 1990, il accepte de délimiter une vaste terre indigène pour les Kayapos21 et met fin à la ruée vers l’or en cours dans le territoire yanomami, lequel sera formellement reconnu en 1992 et constituera la « carte de visite du Brésil » pour la conférence Eco-92, à Rio. Comme le montre le tableau 2, les homologations de terres22 seront particulièrement importantes durant le gouvernement Collor, tout particulièrement entre 1990 et 1992, dans le cadre de la campagne menée par le Brésil pour restaurer son image sur le plan international.
33Ainsi donc, malgré les intérêts contradictoires en jeu, le Brésil se trouvait dans une conjoncture politique propice à la concession de vastes étendues de terres aux populations indigènes. Pour autant, le contexte économique, peu favorable, rendait difficile la satisfaction de toutes les demandes, démultipliées par les signes de bonne volonté du gouvernement fédéral. L’intervention de la coopération internationale allait permettre de donner une solution, au moins partielle, au problème.
Le PPTAL : un instrument de protection fondamental
34L’action menée, dans les années 1980, par les groupes de pression écologistes, indigénistes ou de soutien aux droits de l’homme a réussi à modifier substantiellement l’approche qu’ont les gouvernements et les grands organismes internationaux de la question du développement. La pression exercée sur le Brésil change dès lors de nature puisque ce ne sont plus seulement des ONG étrangères qui s’intéressent à la question, mais des institutions internationales auxquelles le gouvernement fédéral demande des crédits. D’abord timide23, la prise en compte de la question indigène par ces institutions devient plus exigeante au début des années 1990, comme le montre la démarcation d’amples Terres indigènes dans les plans Planafloro et Prodeagro. Par ailleurs, la délimitation de Terres indigènes en Amazonie a été intégrée comme l’un des sous-projets du PPG-7, déjà mentionné ci-dessus, sous le nom de PPTAL, et financée principalement par la coopération allemande (KFW), bien que l’exécution reste confiée à la Funai.
35Comme le montre le tableau 2, l’impact du PPTAL est déterminant puisqu’au total 59 % des Terres indigènes créées depuis qu’il existe (et 75,5 % de la surface cumulée de celles-ci) ont été aidées par le programme. Évaluer dans quelle mesure l’existence du PPTAL a aiguillonné le gouvernement fédéral lui-même est difficile. La Funai avait présenté dès 1994 un programme de travail dont le PPTAL semble avoir repris les principes, ce qui revient à dire que la coopération internationale n’aura fourni que le financement. Il est probable que cette influence a cependant été importante, notamment parce que le PPTAL a permis de créer un référentiel technique et des procédures administratives et foncières qui rendent aujourd’hui la Funai considérablement plus efficace et moins contestable sur le plan juridique qu’elle ne l’était auparavant.
36La décision d’homologuer les Terres indigènes demeure cependant politique et du ressort du président de la République. De fait, en regardant la courbe d’homologation des terres depuis 1989, on observe une alternance de périodes favorables et de pauses. En dépit de la présence de la coopération internationale, le contexte politique brésilien continue d’exercer une influence majeure sur le sujet. De la même manière, on note que le PPTAL intervient principalement dans des secteurs situés à l’écart du front pionnier. Cette stratégie découle en partie des critères choisis pour déterminer la priorité des zones dans lesquelles agir24, de l’existence de deux autres programmes internationaux incluant des actions de régularisation des terres indigènes25, mais aussi du fait que la contrepartie du gouvernement brésilien dans le PPTAL est le paiement des indemnisations des propriétaires éventuellement expulsés. Compte tenu de l’absence de marge financière, ces indemnisations ne sont libérées qu’au compte-gouttes et constituent l’élément limitant du PPTAL : en moyenne, à peine 35 % des ressources prévues chaque année pour le programme sont effectivement utilisés. Le programme a donc été centré sur les régions dans lesquelles il n’y a pas besoin d’indemnisations.
Limites et inflexions d’une dynamique
37La question indigène possède au Brésil deux faces, l’une à usage interne et l’autre internationale. Sont inclues dans la première les relations complexes entre la société brésilienne et sa population indigène, dont l’image est un composant indispensable de l’identité nationale mais dont la réalité embarrasse. Dans la seconde, on trouve les mesures de protection que la communauté internationale a édictées pour la préservation des minorités ethniques26 et le mouvement international de sympathie dont elles jouissent, évoqué plus haut.
38Ces deux dynamiques, opérant à des échelles différentes, entrent facilement en conflit. L’enjeu de la dispute est la superposition des Terres indigènes protégées et des espaces de progression de la frontière économique en Amazonie. S’agissant de zones souvent riches en ressources naturelles, les heurts sont aigus et parfois mortels. Pour les partisans de l’ouverture de la plus grande partie de l’Amazonie à l’exploitation économique, l’ingérence étrangère au Brésil est directement responsable de la création des Terres indigènes et cache, sous son appui aux minorités, d’autres intérêts : la confiscation des ressources du Brésil, ce qui l’empêcherait d’accéder à son rang international et limiterait la souveraineté de l’État sur son propre territoire. La puissance de ce lobby, qui fédère la plupart des intérêts ruraux ou miniers en Amazonie, est considérable car il a une influence directe sur les députés et sénateurs issus des États amazoniens. Ainsi, lorsque le gouvernement est en position de force, il réussit à imposer la création de nouvelles terres alors que, lorsqu’il est en position de faiblesse, il en ralentit le rythme.
39De l’avis général, il est peu probable que soient créées de nouvelles Terres indigènes de très grande extension en Amazonie, une fois homologuées celles dont la reconnaissance est en cours. Pour autant, la situation foncière semble loin d’être stabilisée. Si les ethnies les plus isolées ou les plus nombreuses ont vu leurs droits territoriaux reconnus, on note l’apparition de nombreux groupes qui redécouvrent leur identité indigène, ce qui pourrait avoir un impact sur la situation foncière de régions d’ancienne occupation (en particulier, le long des grands fleuves). De son côté, la coopération internationale semble devoir cesser son financement du PPTAL à partir de 2006, laissant au Brésil le soin de finir la tâche. Dans la mesure où, en Europe et aux États-Unis, les grands mouvements de soutien aux peuples indigènes se sont essoufflés, on peut y voir la marque d’un désengagement international sur la question, ou du moins d’un changement de priorité. Cela correspond aussi à une évolution de la demande de la part des peuples indigènes eux-mêmes. Les groupes les plus nombreux étant pour la plupart dans une situation foncière assurée, leurs besoins s’expriment aujourd’hui beaucoup plus en termes d’éducation et de développement qu’en termes d’appui politique. Ils bénéficient d’ailleurs, dans ces domaines-là également, de lignes de financement privilégiées dans le cadre du PPG-7 (PD/A, PGAI).
Conclusion : dispute à risques en Amazonie
40Entre la mise en culture sous l’impulsion de la filière soja, la création de périmètres de protection écologique et l’instauration de Terres indigènes, les dynamiques d’usage du sol en Amazonie apparaissent fortement conditionnées par la mondialisation contemporaine sous ses différents visages, et notamment le couple économie de marché-démocratie formelle. Le premier élément justifie la culture du soja et organise les stratégies des traders, le second s’ajoute aux recommandations internationales pour mettre en place unités de conservation de la biodiversité et réserves indiennes. On observe la constitution d’espaces productifs aux mains d’acteurs économiques mobiles qui n’ont que peu le souci du territoire, et celle d’espaces protégés sur l’initiative d’institutions nationales et internationales, en décalage avec les réalités locales. Dans ce panorama, seules les Terres indigènes semblent réellement « habitées », et partant, elles seules constitueraient de véritables territoires27
41Les réalités sont bien sûr plus complexes et les alliances entre acteurs de différentes natures et échelles, ambiguës et mouvantes. Défendre un bien mondial comme la biodiversité, en se conformant aux pressions internationales, peut être perçu comme contradictoire avec la préservation de la souveraineté nationale, elle-même en contradiction avec les aspirations des gouvernements locaux à la mise en valeur du territoire. Ainsi, dans une Amazonie plus mondialisée qu’elle ne l’a jamais été, la dispute pour l’espace n’aboutit que rarement à la construction de territoires dotés de cohérence et de stabilité.
Notes de bas de page
1 Voir la carte de situation hors-texte n° 2.
2 Mots d’ordre utilisés à l’époque pour justifier l’occupation de l’Amazonie.
3 Dès 1976, la Surintendance à l’Amazonie (Sudam) interdit tout financement qui entraînerait le déclassement de terres forestières ; le code oblige par ailleurs les propriétaires à constituer une réserve forestière de 50 puis 80 % de la surface des exploitations situées en Amazonie.
4 Bien qu’il s’agisse de terres situées en Amazonie, la plupart d’entre elles se trouvent dans des écosystèmes de savanes arborées (cerrados) et non de forêt dense. La tendance actuelle montre une progression vers les zones de forêt.
5 Le choix entre les différentes spéculations se fait aussi en fonction du prix. Les analystes prévoient par exemple que le riz sera probablement intéressant lors des prochaines campagnes.
6 Négociants de niveau international.
7 En moyenne, cependant, entre le Nord et le Sud (Paraná, Rio Grande do Sul), le rapport est du simple au double.
8 Le real (R$) est la monnaie brésilienne.
9 La spéciation désigne l’apparition d’une espèce et, plus particulièrement en géographie, l’apparition d’un système spatial original (Brunet et al., 1992).
10 L’évacuation de la production par camions jusqu’aux ports donne un différentiel de 1 à 10 entre les États-Unis et le Brésil sur les coûts de transport.
11 Parmi tous les concepts utilisés pour la protection, « Conservation de la nature » est le plus englobant : il inclut l’utilisation humaine des ressources selon des pratiques de bonne gestion.
12 Programme national pour l’environnement. US$ 189 milliards. BIRD/KFW, partenariat entre la Banque interaméricaine de reconstruction et développement (groupe Banque mondiale) et le groupe bancaire allemand KFW.
13 Fonds national de l’environnement. US$ 30 milliards. BID.
14 Programme national pour la conservation de la biodiversité. US$ 40 milliards. GEF-MMA.
15 Programme pour le développement du tourisme écologique. US$ 210 milliards. BIRD.
16 Programme pilote pour la protection de la forêt tropicale du Brésil. US$ 250 milliards. BIRD/EU/KFW.
17 Fonds national pour la biodiversité.
18 L’écoulement de la production de soja, cf. supra.
19 La loi brésilienne qualifie de crime les atteintes à l’environnement.
20 Il s’agit notamment d’éviter la formation des grands ensembles de terres indigènes.
21 À la suite d’une grande campagne médiatique dans laquelle le chanteur Sting a eu une influence prépondérante.
22 L’homologation est la signature par le président de la République du décret de création d’une terre indigène.
23 On pense à la prise en compte des Nambikwara dans la Polonoroeste (Price, 1989).
24 La stratégie du PPTAL est liée à celle des « couloirs écologiques ».
25 Planafloro, Prodeagro, zones insérées récemment dans le PPTAL.
26 Pour une revue des conventions internationales et une analyse des positions du gouvernement brésilien, voir Albert (2004).
27 On reprend ici l’assimilation que suggère G. Di Méo (1993 : 307) entre le territoire et l’« habiter ».
Notes de fin
Auteurs
fmlt@fmlt.net
François-Michel Le Tourneau, géographe, chercheur CNRS accueilli à l’IRD et chercheur associé au Centre de développement durable de l’université de Brasília (Brésil), associé à l’UMR Temps.
namello@aol.com
Neli Aparecida De Mello, géographe, professeur à l’université São Paulo – USP (Brésil), associée à l’UMR Temps.
zazae115@terra.com.br
Richard Pasquis, géographe, directeur de recherche Cirad et chercheur associé au Centre de développement durable de l’université de Brasília, associé à l’UMR Temps.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
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