Itinéraire 7. Bambou et vannerie (sud-ouest de Hà Tây)
p. 244-267
Texte intégral
Les villages artisanaux
Chapeaux coniques : Chuông ;
Éventails et cages à oiseaux : Canh Hoạch ;
Bâtons d’encens : Quảng Phú Cầu ;
Tressage de l’osier : Lýu Thýợng
Patrimoine culturel et architectural
Le marché et le đình de Chuông ;
La pagode de Bối Khê.
CHUÔNG : ROYAUME DU CHAPEAU CONIQUE
COMMENT Y ALLER ?
1En sortant de Hà Nội, prenez la nationale 6 en direction de Hòa Bình. Traversez la ville de Hà Đông, le chef lieu de province de l’ancienne Hà Tây. À la sortie de la ville, tournez à gauche vers la route nationale 22 : un panneau indique la direction de la célèbre pagode des Parfums, Chùa Hýõng. Continuez pendant 12 km. Vous traverserez la ville de Kim Bài, chef lieu de district de Thanh Oai. Continuez cette route : au bout de 2,5 km vous verrez des ateliers de menuisiers et de gros troncs de bois sur les abords. Ce sont les nouveaux ateliers du village de Mã Kiều (commune de Phýõng Trung) qui s’y sont installés. Un panneau indique sur la droite que vous êtes arrivés à làng Chuông, le village des chapeaux coniques.
LE CONTEXTE
2Le village de Chuông (commune de Phýõng Trung, district Thanh Oai) est spécialisé depuis très longtemps dans la fabrication des chapeaux en feuilles de latanier, ou nón là. Phýõng Trung est aujourd’hui le nom officiel de la commune de ce très ancien village, mais tout le monde le connaît encore comme làng Chuông (village de Chuông), indissociable de ses célèbres nón, alors demandez-le ainsi, si jamais vous n’arrivez pas à suivre notre excellent plan. C’est un village non dénué de charme, à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de Hà Nội, à côté de la rivière Ðáy (un défluent du fleuve Rouge), à cheval sur la digue, avec la zone inondable à l’habitat relâché entouré de vergers et de jardins potagers.
ALORS, CES NÓN ?
3Le chapeau conique est, bien entendu, un accessoire emblématique au Vietnam, sa forme simple et classique immédiatement reconnaissable entre nombre de chapeaux en matière végétale portés en Asie et ailleurs. Il fait partie des habits universellement considérés comme traditionnels chez la femme Kinh. Les Kinh ou Việt, les gens des plaines et des deltas, sont l’ethnie majoritaire au Vietnam (85 % environ). Et la femme Kinh porte son nón, qu’elle soit en train de travailler dans la rizière ou bien de se promener endimanchée dans son áo dài, la célèbre tunique longue et moulante, fendue jusqu’à la taille, portée avec un pantalon léger et flottant par les Vietnamiennes de tout âge.
4Symbole. Avec l’áo dài (tunique cintrée à deux pans), le nón lá (chapeau conique en feuilles de latanier) participe depuis toujours au charme des femmes vietnamiennes. En outre, c’est une activité prospère du village Chuông, à l’ouest de Hà Nội.
5« À une quarantaine de minutes en moto de Hà Nội se trouve le village Chuông, dans la province de Hà Tây. Là, au cœur du delta du Fleuve Rouge, loin des bruits de la ville, il ne faut pas oublier d’emporter son appareil photo pour prendre les scènes de travail, les maisons anciennes aux portiques couverts de mousse et surtout le marché dans la cour de la maison communale. Sous la lumière d’hiver, le village Chuông est paré de couleurs vives : le jaune du soleil, le vert des rangées d’aréquiers et des haies de bambou, le blanc pur et immaculé des cours de séchage… ». Le Courrier du Vietnam, le 6 décembre 2001 : « Les chapeaux coniques font la prospérité du village de Chuông ».
6Il est facile de sourire en lisant cette présentation quelque peu idéalisée et au discours touristique plutôt unidimensionnel. Toujours est-il que, encore la dernière fois que nous y sommes passés, du moins, Chuông était effectivement un beau petit village, où les désagréments de la ville sont éloignés, la pauvreté ne sévit pas trop visiblement et surtout où l’on peut facilement et librement observer une activité artisanale et communautaire très ancienne qui se perpétue encore aujourd’hui avec succès.
7Il est difficile de rester indifférent au charme et à la spécificité d’une telle manifestation collective d’habileté et d’instinct de survie ainsi canalisée avec tant d’ingéniosité. Ce village encore très rural avec ses traditions et ses coutumes a survécu à la guerre, la famine et aux grands remous sociaux des derniers siècles. Mais survivra-t-il à l’époque actuelle, celle de l’urbanisation galopante, du développement économique fulgurant, de la globalisation englobante ?
Un tour de chapeau folklorique
Passant près du pont, je penche mon chapeau en feuilles de latanier sur le côté afin de le regarder. Sa travée mesure l’étendue de mon chagrin.
Passant près du ðình, je penche mon chapeau en feuilles de latanier sur le côté afin de le regarder.
Le nombre de tuiles sur son toit mesure l’étendue de mon amour pour toi.
[Chanson traditionnelle]
Le village lui-même est également rentré dans le folklore vietnamien avec ses couvre-chefs. Une autre chanson fredonnée dans le delta conseille ainsi :
Si tu veux goûter un excellent poisson avec du riz,
Si tu veux porter un excellent chapeau en feuilles de latanier, Vas-y donc à Chuông !
Jadis, la tradition voulait qu’un garçon présente un chapeau fait de feuilles blanchies en guise de preuve d’amour à sa bien-aimée. Ce sine qua non des gestes galants avait d’autant plus de portée symbolique que le jeune homme était censé l’avoir confectionné de ses propres mains… Sachant que même un chapelier de métier ne peut confectionner que de deux à trois chapeaux (de bonne qualité) par jour, on voit que cette coutume relève d’une autre époque que celle du « speed-dating » et de la promiscuité progressive entre jeunes gens en scooter ou en réseau Internet…
8Depuis 1er août 2008, les autorités vietnamiennes, en quête d’espace vital pour pouvoir gérer la croissance démesurée de la capitale, ont officiellement incorporé la province de Hà Tây dans la province de Hà Nội, créant ainsi une nouvelle zone périurbaine aux alentours. Cet aménagement va irrémédiablement changer la donne pour nombre de villages comme Chuông. Les plus proches du centre disparaîtront totalement comme entités distinctes et rurales ; les plus éloignés atteindront les faubourgs de la nouvelle ville élargie et fatalement des activités traditionnelles disparaîtront au profit de divers commerces reliés à la force d’attraction inexorable exercée par la métropole du delta, aspirant la périphérie vers le centre.
CHOSES NON DITES, CHOSES HERMAPHRODITES…
9En fait, si on voulait s’acharner à tendre vers une précision dite historique (il lui manquerait donc la polyphonie ancestrale, comme souvent dans les chroniques occidentales), si on avait eu donc ce désir déplacé, on aurait pu faire remarquer que l’áo dài était à l’origine une adaptation d’un vêtement chinois porté par les deux sexes, appelé cheong sam. Ce n’est qu’au début des années 1930 qu’un dénommé Nguyễn Cát Týờng, écrivain vietnamien et modiste à ses heures perdues, aurait créé l’áo dài que nous admirons aujourd’hui. Progressivement resserré et recoloré par des tailleurs saïgonnais, l’habit a perdu la cote avec les hommes et est devenu la parure « traditionnelle » des femmes partout sur le territoire vietnamien.
10Poursuivant cette piste de pinaillage épistémologique et emblématique, si on se penche sur le nón là (sans vouloir l’écraser), le chapeau fait de feuilles est effectivement typique de la culture sinoïde méridionale (pas seulement du Vietnam), mais le chapeau conique « classique » était en fait autrefois porté massivement par les hommes. Les femmes arboraient des chapeaux plats et larges, ce que montrent les photographies de l’époque coloniale française - confirmé par Gourou (1936), ensuite Huard et Durand en 1954. En désaccord avec les prétentions des chapeliers de Chuông, cette dernière source affirme également que les meilleurs chapeaux en feuilles de latanier ne proviennent pas du nord du pays mais du centre. Une fois passé le début de la période collectiviste avec ses habits semblables à ceux de la Chine révolutionnaire, identiques pour les deux sexes, force est de constater que depuis, il est rare de voir un homme porter un chapeau conique. Mais comme d’habitude, l’histoire a tendance à se répéter, puisque une « nouvelle tradition » androgyne sévit, à la ville comme à la campagne, dans les deltas comme en haute montagne : la casquette de base-ball.
11Pourquoi ces glissements et cette appropriation d’emblèmes très visibles mais somme toute sans grande importance concrète ? Peut-être parce qu’un pays avec une topographie longiligne, une hétérogénéité culturelle d’un delta et des communications fragilisées comme celles du Vietnam, une société qui a vécu tant de turbulences et de déracinement, une nation déchirée militairement et idéologiquement et fraîchement reconstituée, un pays renaissant ainsi des cendres aurait peut-être un besoin naturel de se (re)générer par des mythes fédérateurs, des symboles rassembleurs, des emblèmes nationalistes, aussi simples soient-ils.
12Quoi qu’il en soit, si le nón est désormais perçu par les jeunes femmes urbaines comme nhà quê (plouc, paysan), il demeure nonobstant un instrument de travail d’une valeur non négligeable pour la femme en milieu rural. C’est à la fois une protection quotidienne contre le soleil et la pluie, un éventail efficace, un accessoire de coquetterie et un contenant de fortune pour grains, graines, fruits, légumes, foies de volaille – et même pour boissons rafraîchissantes (non alcoolisées…).
13On fait des chapeaux en feuilles de latanier à Chuông depuis toujours, ou du moins depuis presque aussi longtemps que cela. Des anciens du village soutiennent que jadis, ces couvre-chefs végétaux étaient réservés à la Cour royale. Les temps changent, les détails des origines sont perdus, mais la tradition persiste. Jusqu’aux années 1940 au moins, on confectionnait même des manteaux en feuille de latanier à Chuông. Ces manteaux, qu’on ne fabrique plus aujourd’hui à part une petite quantité pour l’exportation vers le Japon, étaient très portés dans le delta autrefois et protégeaient autant du froid que de la pluie. Ils avaient l’avantage supplémentaire d’être fabriqués avec les pointes des feuilles de lataniers non utilisées par les faiseuses de nón. Pierre Gourou, (1936) en a donné une belle description : « Ces manteaux hirsutes, aussi éloignés que possible par leur aspect végétal non modifié de l’idée que l’on se fait habituellement d’un vêtement, dissimulent ceux qui les portent et les confondent avec le milieu environnant, avec des feuillages desséchés, une meule de paille, ou le chaume des paillottes. »
14À la même époque, il existait encore une cinquantaine de variantes de styles de chapeaux. Il y en avait (pointus, à fond plat, avec une crête métallique, etc.) pour mandarins, pour bonzes, pour soldats… Aujourd’hui, ces chapeaux ne sont faits que sur commande par de très rares artisans capables encore de maîtriser les techniques requises. Une sorte qu’on peut encore voir portée parfois, ce sont les quai thao, de grands chapeaux plats avec des brides décorées, sous lesquels on peut trouver les charmantes chanteuses de chansons folkloriques quan họ en périodes de fêtes (voir itinéraire n° 1). Mais la quasi-totalité des autres styles ont disparu à jamais et c’est le nón qui l’emporte : le chapeau conique de forme « classique », dérivé en fait d’un chapeau de la région de la ville de Huế. Selon les artisans de Chuông, les nón de Huế sont moins robustes et pas imperméabilisés, puisqu’ils n’ont pas de feuilles de bambou intercalées entre les feuilles de latanier, ce qui semble être vrai.
15Une autre variante du nón puisant ses origines à Huế, mais trouvable à Chuông, c’est le nón bài thõ, ou « chapeau conique poétique » : si on met le chapeau devant une source lumineuse, à l’intérieur, on voit en silhouette des formes ou des idéogrammes découpés dans une feuille intercalée entre des feuilles de latanier. Une touche de fantaisie individuelle intégrée discrètement dans un objet pratique courant.
COMMENT FAIRE NÓN DE LA TÊTE
16Sur les quelque 3 500 foyers à Chuông, 85 % font des nón. On produit 3,5 millions de nón par an ici. Si on fait un calcul rapide (et imprécis), cela fait un peu plus de trois chapeaux par foyer par jour. C’est presque exclusivement les femmes qui font ce travail de façon régulière, rappelons que celles d’un certain âge autant que les jeunes (même les écolières) sont mises à contribution. D’ailleurs, le chiffre de deux à trois chapeaux par jour évoqué plus haut ne se réfère qu’à des nón de meilleure qualité ; dans un retour de manivelle faisant sévir une justice assez poétique, lui aussi (toutes proportions gardées), le Vietnam exporte une production importante (un à deux containeurs par jour quand même !) de nón de faible qualité vers… – Vers où ? Je vous le donne en mille… – Hé oui, la Chine !
17Faire des chapeaux en feuilles, c’est un travail manuel par excellence : il y a peu de chance qu’on puisse le mécaniser un jour, il exige une certaine dextérité (mais pas de force particulière) et demande surtout beaucoup de temps. L’un des habitants de Chuông l’a défini ainsi : « c’est un métier contre la misère ». Comme beaucoup de métiers (sinon tous) dans les villages du delta, c’est effectivement à l’origine une activité d’appoint, un moyen d’occuper la main d’œuvre agricole sporadiquement sous-employée de manière ponctuelle et profitable, fournissant (une fois la production vendue au marché) un apport d’argent liquide pour les dépenses inévitables sur tout ce qui ne pousse pas dans les terres autour du village. L’achat des matières premières n’est pas dispendieux ; les rares outils requis sont simples et bon marché (un couteau et une aiguille, en fait). Les retours financiers sont faibles (pour fabriquer un nón qui sera vendu en moyenne 12 000 VNĐ, il faut environ d’abord débourser 3 000 à 5 000 VNĐ, selon la qualité prévue), mais tout ce qu’on doit y investir en sus, c’est du labeur manuel et du temps.
18La production des nón est soumise aux fluctuations saisonnières de la demande et donc également des prix de vente. La préparation et le stockage des matières premières sont un problème pour certains, et l’usage de produits chimiques nocifs pour la santé afin de fumiger ces chapeaux végétaux contre la moisissure est un danger potentiel pour tous.
19Un autre commentaire sur la production s’impose : sans l’organisation extraordinaire autour de cette activité, malgré le faible investissement requis, elle ne serait absolument pas rentable. Si une chapelière devait faire des kilomètres pour acheter une brindille d’osier par-ci ou trois feuilles de latanier par-là pour fabriquer un objet qui se vend si peu cher, elle ne s’en sortirait pas. Il y a une complémentarité remarquable parmi un groupe de villages avec Chuông au centre, chacun spécialisé dans la préparation ou la fabrication d’une partie du matériel nécessaire. Cet espace de production étendue est très bien organisé – essentiellement par des femmes, tout comme ce sont surtout des femmes qui fabriquent les nón.
OBJET NON IDENTIFIÉ
20Pour fabriquer un nón, il vous faut cinq matières premières :
21La forme ou khuôn en bambou, autour de laquelle vous allez construire votre chapeau. Cet objet conique (cela va sans dire) est fait avec du bambou de Hòa Bình (le meilleur) et il est assurément façonné au village de Vác (ou Lua), le seul village producteur de khuôn de la province, à trois kilomètres de Chuông dans la commune de Dân Hòa (où probablement vous irez très prochainement (même itinéraire, cherchez les fabricants d’éventails). À Huế, on fait des khuôn en bois mais pas ici, non. Faire des khuôn, c’est un métier en soi (il faut longuement tremper le bambou avant de le plier, etc.), mais puisque chaque khuôn sert en moyenne de 10 à 20 ans, les débouchés semblent assez limités.
22Les cercles de bambou (Hà Thanh) qui font l’ossature du chapeau : 16 à Chuông contre 20 dans les provinces du Centre (Thanh Hóa, Nghệ An), soigneusement polis, finement raccordés et gentiment fournis (contre une rétribution modique) par le village de Ðôn Thu (encore dans la commune de Kim Thý : rassurez-vous, ce n’est pas loin). Vous placez les cercles concentriques sur le khuôn.
23Les feuilles de latanier (là co ou là nón), qui provenaient autrefois de Hòa Bình (sans doute les meilleures et à seulement 50 km) ou de Quảng Hòa, mais maintenant voyagent en camion de Thanh Hóa, Nghệ An, ou même du Laos. Vous allez devoir les sécher au soleil pendant deux ou trois jours, puis les aplatir avec un fer chaud. C’est l’opération la plus délicate de toutes.
24Une couche de bambou (mo), en provenance de Hải Giang, qu’on intercale entre les feuilles de latanier.
25Les fils en nylon : on les trouve principalement à Hồ Chí Minh Ville (alors là, c’est vraiment loin !). Autrefois, les fils étaient en fait des fibres d’osier provenant du village de Lýu Thýợng à côté (voir aussi plus loin sur ce même itinéraire). On a tout ce qu’il faut maintenant pour procéder à l’assemblage et la couture.
26Si vous voulez éviter tous ces déplacements, dépêchez-vous de faire comme les autres : rendez-vous au marché de Chuông (voir « Promenade dans Chuông »), où vous aurez la chance de trouver toutes ces fournitures dans un seul endroit. Après quelques années d’apprentissage et quelques semaines de travail acharné, vous aurez d’ailleurs un petit stock à rapporter et à vendre au même marché.
Promenade dans Chuông
Vous quittez la nationale 22 par la droite et entrez dans la commune. Celle-ci est composée de villages agglomérés, ce qui donne l’impression d’une certaine unité, tellement l’habitat est resserré de part et d’autre de la rue qui mène jusqu’à la digue. Une fois passés le quartier des menuisiers, le canal, puis le Comité populaire de la commune sur la droite, l’habitat se densifie. La rue traverse un quartier assez commerçant et artisanal : vous pouvez voir à l’œuvre un certain nombre de fabricants de chapeaux. Une visite incontournable doit être faite à M. Cảnh (voir encadré p. 255) et n° 4 sur la carte.
Allez vous perdre dans le dédale des rues sur la gauche (en violet sur la carte) où vous pourrez voir, en regardant au dessus des murets, des femmes et des jeunes filles en train de monter des chapeaux ou de les coudre. Les jeunes filles à la sortie de l’école se regroupent chez les unes ou chez les autres pour coudre les nón que leur mère aura montés dans la matinée. Vous pourrez voir l’atelier-boutique de Mme Hoàng Thị Sang sur la gauche (voir sur carte, n°8). Cette chapelière a trouvé le nouveau filon : les nón de mauvaise qualité destinés aux paysans chinois. Personne n’en fabrique plus en Chine.
Le centre névralgique de làng Chuông est le marché des matières premières niché au sein de la zone cultuelle composée d’un đình, d’une pagode et d’un temple. Cet ensemble patrimonial de grande qualité est adossé à la digue qui protège toute la province de Hà Tây de l’antique violence de la rivière Ðáy. Maintenant cette digue sert d’espace de séchage pour les feuilles de latanier, d’axe de circulation pour les échanges commerciaux dynamiques dans cette zone où les villages artisanaux et les marchés sont nombreux.
● Chuông accueille un très grand marché de chapeau (évidemment surtout des nón là) et – vous le saviez déjà – de matières premières pour la confection de ces articles. Le marché se tient au centre du village, devant le đình. Il existe depuis au moins 200 ans, est très intéressant à visiter et draine tous les artisans des villages environnants qui s’adonnent à cette activité. Les produits vendus ici sont envoyés dans d’autres provinces et exportés en Chine, Thaïlande, Japon, Europe… Les marchés les plus importants ont lieu chaque date du calendrier lunaire qui se termine avec un « 0 » ou un « 4 » : les 4e, 10e, 14e, 20e, 24e, et 30e jours. Si vous avez la chance d’être à Chuông à ces dates-ci, cherchez également des chapeaux de fantaisie, comme ceux qui sont faits en soie de Vạn Phúc (voir Itinéraire n°4) et des nón moins pointus, conçus pour le marché japonais. A noter : un marché moins important a lieu plusieurs autres fois par mois : officiellement, les 1e, 3e, 6e, 8e, 11e jours du mois lunaire, officieusement… bonne chance : si vous arrivez tôt, nous demeurons optimistes : vous allez pouvoir assister à de l’activité dans ce beau marché spécialisé.
● Il y a un point de vue imprenable du marché à partir d’un petit pavillon ou beffroi sans cloche (sans mur, d’ailleurs, mais avec un beau toit), situé juste à côté (voir carte). Pendant l’activité matinale (il faut arriver tôt : tout commence à se conclure à partir de 9 h), une forêt éclatante de feuilles de latanier blanchies, cousues (de fil blanc) pour faire des grappes de nón, s’agite sur la place du village. Pour voir les feuilles de latanier en train de sécher au soleil, il faut avancer un peu plus loin dans le village, jusqu’à la digue, endroit de prédilection pour les fabricants qui n’ont pas assez de place chez eux.
● Chuông est également doté d’un très beau đình. Trouvez le marché et il est juste en face. Attention au chien qui mord et veille sur la cour arrière. Le chapelier fondateur du métier est enterré dans un mausolée localisé devant la pagode de Chuông. Le jour du festival du métier, on sort ses cendres de la pagode pour l’amener au đình. Celui-ci sert de lieu de culte à un général qui protégea les jeunes du cru qui, parce qu’ils avaient voulu voir le visage d’une reine venue au village, avaient été condamnés à mort par le roi. Ce héros de la jeunesse indiscrète est vénéré aussi dans le đình de Quảng Bá, dans une banlieue cossue de Hà Nội. Si vous cherchez des chapeaux coloniaux en feuilles de latanier, souvenir prisé des Français nostalgiques, présentez-vous chez Mme Tạ Thu Hýõng, un peu plus au sud, près de la digue (voir n° 6 sur la carte).
M. Cảnh et son « métier contre la misère »
Située près de l’entrée du village (n° 4 sur la carte) se trouve la petite maison de M. Trần Vãn Cảnh, proche de 80 ans, vétéran militaire unijambiste (il a perdu l’autre vers l’époque de Diện Biên Phủ) et grand artisan de chapeaux en feuilles.
M. Cảnh et sa famille se sont spécialisés dans la confection de chapeaux coniques des temps anciens, des ethnies minoritaires et de toutes formes (plats, pointus, avec des décorations…) qui servent aux représentations théâtrales et de danses folkloriques. Entre autres styles, il connaît le secret de fabrication de ces chapeaux :
● Le nón quai thao (pour les chanteuses de quan họ de la province de Bắc Ninh, voir itinéraire n° 1, p. 91) ;
● Le nón Chóp Dứa (les grands chapeaux de mandarin) ;
● Le nón Hong Kong (non, ils ne sont pas faits en plastique…) ;
● Le nón ghép (une variante locale).
La grande spécialité de M. Cảnh, ce sont les nón quai thao, ces jolis chapeaux à fond plat à mentonnière garnie de cordons en soie, destinés aux chanteuses. Ces chapeaux qu’il confectionne relèvent de l’orfèvrerie : l’intérieur est finement décoré de fleurs ou d’autres motifs ; un petit miroir de vanité est placé au milieu du serre-tête. Si vous avez la chance de le voir travailler, vous verrez la difficulté et minutie de la tâche. Un tel chapeau exige 1 600 points de couture et deux journées entières de travail. M. Cảnh est connu et respecté des villageois pour son savoir-faire et sa passion pour le métier, qu’il a aidé à raviver à son retour de la guerre. Il continue à former des apprentis dans l’espoir de voir perpétuer cette activité traditionnelle.
Vous pouvez acheter différents modèles de ces chapeaux rares directement à M. Cảnh ou sa famille, si toutefois il y en a de disponibles.
CANH HOẠCH
27Canh Hoạch (commune Dân Hòa, district Thanh Oai) est un village spécialisé dans la fabrication des éventails en papier et des cages à oiseaux en bambou. En marge du village, il reste aussi quelques fabricants de palanches (ou plutôt les fléaux en bambou qui forment les axes de soutènement des suspensions).
COMMENT Y ALLER ?
28En sortant de Chûong, reprendre la route nationale 22 sur la droite. Au bout de deux kilomètres environ, vous atteindrez le carrefour de Vác, au sud duquel commence le village de Canh Hoạch, autrefois appelé Vác. Vous verrez le long de la route sur la gauche de nombreux éventails en papier mauve en train de sécher. Vous êtes arrivés.
LE CONTEXTE
29Avant les années 1990, le village s’adonnait principalement à la fabrication du papier pour les pétards qu’il vendait à Bình Ðà, un bourg jadis célèbre pour ses pétards que vous avez traversé en venant de Hà Ðông. Il n’y avait que quelques artisans qui fabriquaient des éventails et des cages à oiseaux, puisque ces articles ne se vendaient pas aussi bien que le papier. Le chercheur français Pierre Gourou mentionne cinq villages fabriquant des éventails dans le delta des années 1930 : il ne reste que Canh Hoạch et Chàng Sõn (Hà Tây). C’est une activité qui ne rapporte pas beaucoup et qui est massivement exécutée par les femmes. Mais comme on se trouve dans la zone spécialisée dans le bambou et l’osier, l’accès à la matière première est grandement facilité et permet aux foyers d’obtenir quelques revenus supplémentaires.
30En 1994, le gouvernement a interdit la fabrication des pétards (voir explications dans Itinéraire 1, p. 83) et les artisans se sont spécialisés dans les éventails et les cages à oiseaux. Depuis 1995, les artisans se sont mis à en produire sur une plus grande échelle. Il faut aussi dire cependant qu’avec le développement de l’électricité, les gens utilisent davantage les ventilateurs (moins usant pour les poignets) et le marché des éventails a sombré en conséquence. Ce sont surtout les personnes âgées et les vendeuses ambulantes qui s’en servent. Les vieilles personnes aiment s’installer devant le palier de leur maison et observer le cours de la vie qui passe dans la rue, un éventail en papier de Canh Hoạch à la main.
LES MÉTIERS
31Les cages à oiseaux et les éventails sont deux produits artisanaux particulièrement réussis dans la région. On voit de belles cages à oiseaux, souvent avec des locataires, puisque les Vietnamiens aiment beaucoup garder les oiseaux en cage, un peu partout, à Hà Nội et à la campagne. (Il y a aussi des pratiques bouddhiques qui amènent les gens à acheter des oiseaux en cage afin de les libérer, ce qui forcément augmente la demande aussi). Les éventails de Canh Hoạch, beaux mais simples, sont plus difficiles à trouver à Hà Nội parmi toutes les importations chinoises, plus grandes et colorées.
32La fabrication des cages nécessite un travail minutieux du bambou. Les tiges sont courbées à des fins esthétiques grâce à une immersion prolongée dans de l’eau puis la mise dans des formes. On peut trouver des cages de plusieurs tailles et formes, et à des prix plus que raisonnables. L’éventail consiste en une armature faite de branches de bambou, (âgé de trois ans) et du papier (traditionnellement de teinte marron et violet sombre), attaché à l’armature, autrefois avec de la colle de kaki (un fruit local) qui émettait une odeur nauséabonde tant que l’éventail était neuf ; aujourd’hui on reproduit rigoureusement le même effet, mais avec des produits plus modernes et chimiques. L’éventail ainsi fabriqué n’a rien à voir avec les objets clinquants produits en masse en Chine : c’est un bel accessoire artisanal, sobre et discret. À noter que l’éventail pliant est né au Japon vers le xe siècle, ceci contrairement à toutes les légendes qui attribuent à la Chine la paternité de la plupart des arts du Vietnam.
33Toutefois, les fabricants sont des commerçants, et si on leur demande, ils peuvent produire des éventails comme supports publicitaires, auxquels on rajoute un logo d’entreprise ou d’autres matières promotionnelles. Par ailleurs, ils peuvent également remplacer le papier par de la soie, qui peut également porter des images ou des slogans. « On peut encoller dans l’éventail des papiers magiques, destinés à attirer des malheurs sur la personne qui sera éventée avec l’éventail ainsi ensorcelé » (Huard P. & Durand M., 2002). Parfois, on produit de grands éventails, jusqu’à un mètre de large, décorés avec des paysages, des tableaux, des poèmes ou des chansons.
34L’un des fabricants âgés du village, M. Trần Văn Đôn et son frère (voir carte p. 261) produisent encore des éventails avec une sophistication traditionnelle, dont lui et sa famille sont peut-être les derniers à connaître le secret : de près, l’on peut voir une décoration minutieuse, effectuée avec une aiguille, reproduisant des formes en pointillés lumineux. Un éventail ainsi décoré était autrefois un accessoire idéal pour un rendez-vous amoureux au clair de la lune. Le père de ces frères artisans eut même l’honneur de fabriquer un éventail pour Hồ Chí Minh, aujourd’hui exposé au musée consacré au premier président de la République socialiste du Vietnam.
35Selon la tradition, l’achat d’un éventail tombe, comme beaucoup d’autres activités, sous la houlette de la superstition, ici dans le domaine de la numérologie vietnamienne. Voici une explication du journaliste Nguyễn Văn Vĩnh dans le journal Annam nouveau, le numéro du 10 juin 1934 :
36« Le nombre de branches de l’éventail doit être un multiple de quatre ; il peut, à la rigueur, y avoir une ou deux branches de plus, mais jamais trois. L’acheteur superstitieux, avant de faire l’emplette d’un éventail, en dénombre les branches en prononçant dans l’ordre les mots suivants : ngýời (homme, autrui), ta (moi), ma (esprits malfaisants), bụt (Bouddha) ; il ne faut pas que le décompte s’arrête sur l’évocation des esprits malfaisants. »
37Il y a des préoccupations numérologiques identiques à celles qui concernent les éventails dans d’autres domaines, par exemple dans la construction. Si ce n’est pas déjà fait, vous allez bientôt tomber sur un escalier (pas littéralement, je l’espère) avec une première ou une dernière marche beaucoup plus petite ou plus grande que les autres : celle-ci évite de conclure sur un chiffre total de marches qui attirerait le malheur sur la maison.
Tout un éventail de possibilités
Voici quelques vers au sujet de l’éventail, écrits par un des poètes vietnamiens les plus connus, Hồ Xuân Hýõng. Cette femme exceptionnellement cultivée (pour son époque), qui est morte vers 1822, fut d’abord orpheline de bonne heure, ensuite deux fois « épouse de second rang » (deuxième femme de fonctionnaire polygame), deux fois veuve. Comme on dit si bien dans les recueils littéraires, « la poésie a été pour elle le moyen d’épancher les aspirations ardentes de sa nature que l’existence n’a pas comblées. » Léguant à la postérité une soixantaine de poèmes dans une écriture dense d’une simplicité trompeuse, elle a su insuffler un érotisme à la franchise désarçonnante dans des paysages et des objets courants, tout en faisant un plaidoyer passionné pour l’égalité de la femme dans le couple et fustigeant les hypocrisies et injustices de la structure inflexible de la société confucéenne où elle vécut.
Notez comment la première ligne du poème reprend l’activité commentée par Nguyễn Văn Vĩnh de faire le décompte des branches de l’éventail – ou s’agit-il de jauger l’âge d’une jeune femme… ?
L’éventail
Est-ce dix-sept, dix-huit ?
Laisse-moi te chérir et ne pas te quitter
Fin ou épais se déploie ton triangle
Au large ou à l’étroit se fiche la rivure.
Plus il fait chaud, plus douce est ta fraîcheur
La nuit ne suffit pas, je t’aime encore le jour
Rose comme la joue grâce au suc du kaki
Rois et seigneurs n’adorent rien que toi !
Promenade dans Canh Hoạch
Le mieux est de commencer la promenade par le đình qui se situe un peu au sud du carrefour de Vác, sur la gauche. Un panneau indique ce site historique et touristique niché de l’autre côté d’un plan d’eau. On peut visiter ce đình très beau avec sa cour imposante à l’arrière. Demandez la clef au gardien s’il est fermé. À l’intérieur, un immense éventail peint sur le mur est daté de 1760, ce qui atteste de l’ancienneté du métier. Vous y verrez des palanquins et tout l’attirail nécessaire pour faire sortir l’ancêtre du métier lors du festival.
En sortant du đình, prendre la ruelle sur la gauche qui s’enfonce dans le village. De part et d’autre, vous verrez des ateliers de fabricants de cages. C’est une activité peu consommatrice d’espace qui s’intègre facilement dans la cour des maisons. On peut grossièrement diviser le village en deux parties : le sud s’adonne plutôt aux cages, et la partie au nord de l’église, aux éventails.
La première rue à gauche coupe le village selon un axe nord-sud. À quelques dizaines de mètres, une grande place s’ouvre devant l’église. Là encore, vous verrez des ateliers en pleine activité où les artisans débitent de petites lamelles de bambou, les arrondissent et les assemblent pour en faire des cages de toutes formes, de toutes tailles. Pour faire l’arrondi de la cage, on assouplit le bambou en le faisant bouillir. Puis on le met en forme dans un cercle en métal : les lames de bambou bouilli sont insérées jusqu’à remplir l’intérieur. Les cages simples se vendent à environ 40 000 à 50 000 VNĐ. On peut en produire dix par jour au sein d’une famille. Certains artisans peuvent fabriquer des cages très élaborées, vendues de 150 000 à 500 000 VNĐ.
Au nord de l’église, s’il fait beau, en vous promenant dans les petites rues, vous allez probablement tomber sur une cour où sèchent au soleil une petite armée d’éventails. Ils s’étalent un peu partout, là où il y a de la place : les cours des maisons, celle du très beau nhà thò họ que vous verrez sur votre droite, sur les bords des rues, ce qui offre à l’œil un joli tableau. Vous pouvez en acheter un peu partout : éventail se dit (cai) quạt en vietnamien, à ne pas confondre avec quạt máy (« éventail-machine »), qui veut dire (logiquement, d’ailleurs) : « ventilateur ». Face au nhà thò họ, la maison d’une fabricante d’éventail, où il est possible de voir les femmes à lœuvre. Vous verrez aussi des cages dans cette cour, activité uniquement pratiquée par les hommes de la famille.
En continuant la rue, sur la gauche demandez l’atelier de M. Nguyễn Vãn Nghê. Les superbes lampes en bambou tapissées de giấy dó (papier de riz) que l’on trouve dans les boutiques chics de Hà Nội pour la bagatelle de 800 000 VNĐ s’y vendent quatre fois moins cher. Bon, il faut les dépoussiérer avant de les emmener. Son atelier boutique est une véritable caverne d’Ali Baba (cages aux formes élaborées, pieds de lampes, objets divers en rotin et en bambou, paniers…). Il ne travaille qu’à la commande, mais garde dans son show-room une multitude d’objets qu’il vend aux visiteurs. Il est un des rares artisans du village à avoir diversifié la production et faire travailler en sous-traitance plusieurs familles.
Dans ce quartier, le Xóm Hiên Tren, vous croiserez des femmes poussant des vélos à bras (vélo transformé en charrette) chargés de paquets de lamelles de bambou, prêtes à être encollées de papier mauve par les femmes spécialisées dans la fabrication des éventails. Il existe une forte division du travail entre les ateliers, voisins pour la plupart.
Le clou de la promenade, une visite à M. Trần Văn Độn, avant-dernier d’une lignée spécialisée dans les éventails de « luxe ». Pour accéder dans ce labyrinthe de ruelles à la maison de cet artisan, munissez-vous de notre plan, mais n’hésitez pas à demander votre chemin – compliqué -, tout le monde le connaît. Cet artisan âgé (il avait 91 ans en 2006) a transmis son métier à son fils et sa belle-fille qui font de superbes éventails en papier mauve, et, depuis quelque temps, rouge, sur lesquels ils dessinent à l’aide d’une aiguille des dragons, d’autres animaux mythiques ou des fleurs. On voit la lumière à travers. Il est possible d’en acheter de toutes tailles, de qualités diverses (les manches sont parfois en corne de buffle) pour des prix modiques (10 000 VNÐ pour les petits au manche en bambou, jusqu’à 100 000 VNĐ pour les grands plus sophistiqués).
La maison de cette famille, de facture ancienne et traditionnelle, est très belle et a été rénovée sans trop de clinquant. Derrière chez lui, le nhà thờ họ du lignage Trần vient d’être réhabilité en 2006. A l’intérieur, deux autels des ancêtres sont flanqués par des peintures représentant, comme dans le đình, un éventail. Derrière encore, mais sur la droite la très belle maison du frère de M. Ðộn. Il est possible de retrouver la nationale en passant par la route commerçante que vous prendrez à gauche en sortant de la ruelle. Cette route mène au carrefour de Vác. Pour la suite de l’itinéraire, prenez la nationale 22 sur la gauche.
QUẢNG PHÚ CẦU
38Les villages de la commune de Quảng Phú Cầu (district de Ứng Hoà) s’adonnent à la fabrication des bâtons d’encens en bambou (hýõng thẻ). Ces bâtons ou bâtonnets sont du matériel votif pour la pagode, le temple, le đình et la maison. Selon la croyance populaire, les volutes de fumée de l’encens seraient le seul moyen de communication viable entre le monde des vivants et celui des morts. Du coup, il y a des villages un peu partout au Vietnam qui produisent ces porteurs de messages vers l’au-delà. La fabrication est une activité très colorée, mais elle est excessivement toxique pour ceux (celles) qui y sont exposés tous les jours.
39L’emploi d’encens est très répandu dans les rites. On pose régulièrement des bâtons allumés sur l’autel des ancêtres qui se trouve dans chaque maison. En période de fêtes dans les temples et pagodes, la fumée peut être intense. L’un des auteurs, visitant une pagode célèbre à la veille de Tết, a observé un vieillard chargé d’enlever les bâtons d’encens à peine allumés afin de faire place à ceux qui suivaient ; pour travailler dans ce milieu enfumé, il portait un masque de plongée (sans tuba) pour se protéger les yeux… On entend parfois dire que les bedeaux façon Vietnam, à force de respirer cette fumée encore plus nocive que celle du tabac, abîment irrémédiablement leurs poumons, tout comme autrefois les Amérindiens des régions froides qui passaient l’hiver collés autour du feu afin de survivre jusqu’au printemps.
COMMENT Y ALLER ?
40Une fois au carrefour de Vác, vous reprenez la route n° 22 sur la gauche et passez devant le đình. Continuez tout droit pendant environ deux kilomètres. Vous passez au-dessus d’un petit canal et entrez dans le district de Ứng Hoà. Un bon kilomètre encore et vous passez au-dessus d’un autre canal. 500 m plus loin, vous tournez à gauche dans une petite rue et entrez dans Quảng Nguyên un des villages de la commune de Quảng Phú Cầu. Vous pouvez vous arrêter dans ce village ou les deux autres, Ðạo Tú ou Cầu Bầu, qui sont tous les trois spécialisés dans le débitage du bambou et la fabrication des bâtons d’encens. L’espace au bord de la route est largement occupé par ces activités pour le séchage. Vous verrez toutes les étapes de la fabrication de ces articles, du débitage au trempage des lamelles de bambou dans un mélange de colle, d’encens et de sciure.
LÝU THÝỢNG
41Lýu Thýợng (connu traditionnellement comme Giau Tế), un village de la commune de Phú Túc (district de Ứng Hoà), est le berceau de la fabrication des objets en osier (l’herbe tế) depuis plusieurs siècles.
COMMENT Y ALLER ?
42Une fois dépassé le village de Cầu Bầu, vous continuez tout droit en longeant le canal que vous aurez traversé avant d’atteindre ce dernier village. Au bout d’un kilomètrwe environ, vous verrez sur votre droite une grande entreprise la Phú Ngọc Handicraft Export Co Ltd, dirigée par M. Nguyễn Văn Ngọc, un des premiers artisans à avoir ouvert le village sur le marché international capitaliste. Vous verrez de nombreux paniers en osier sécher le long de la route à proximité de son entreprise. Puis, tournez dans la petite route à droite. Encore un kilomètre et demi et vous êtes arrivés à Lýu Thýợng. Le portail du village se trouve à gauche.
LE CONTEXTE
43La légende locale veut qu’au xviie siècle, le hameau de Giàu Tế fut envahi par les herbes sauvages. Un homme s’y installa et commença à tresser ces herbes pour fabriquer des articles destinés à la vie quotidienne. Il enseigna aux habitants les techniques de ce métier. Après sa disparition, les gens l’appelèrent Nguyễn Thảo Lâm, ce qui signifie « plante de la forêt », et lui donnèrent le statut de saint patron du village. Chaque année, on lui rend hommage au temple du village de Lýu Thýợng. Cette herbe est une grande découverte, puisqu’elle existe en abondance un peu partout dans les zones montagneuses et n’est pas chère. On peut aisément remplacer le bambou ou le rotin par l’osier : l’herbe tế.
LE MÉTIER
44À l’origine, les villageois fabriquaient surtout des paniers et des corbeilles en osier, ainsi que des sacs façonnés avec les fibres de cette plante miracle. Encore jusqu’aux années 1980, les ustensiles en plastique étaient rares et chers au Vietnam. Les artisans du village ont noté avec surprise le succès remporté par ces objets simples et rustiques auprès des premiers étrangers à revenir au Vietnam et ont réagi en conséquence. Depuis 1988, avec l’ouverture du marché, la production des objets en osier s’est diversifiée.
45Pour faire face à la demande croissante en produits tressés, les habitants de Lýu Thýợng se sont mis à fabriquer des produits plus fantaisistes : petits paniers et corbeilles en forme d’animaux, valises rétro de toutes tailles, formes ludiques et décoratives… Un autre événement déterminant pour le développement de cette activité fut la décision, après maintes réticences et atermoiements, de diffuser les techniques de tressage dans les sept autres villages de la commune de Phú Túc. Par la suite, on a établi 40 groupes de production pour aller se procurer de l’herbe en quantité suffisante dans les régions montagneuses. Comme le tressage de l’herbe tế requiert du savoir-faire spécifique par rapport au tressage du bambou et du rotin, les artisans de Phú Túc en détiennent le monopole. Cet artisanat est devenu une industrie florissante. Plusieurs compagnies établies dans cette commune exportent désormais un peu partout dans le monde. On peut observer des ateliers qui vont du plus rustique jusqu’à une production semi-industrielle.
46Un lien historique rattache Giàu Tế/Lýu Thýợng à Chuông, le village des chapeaux coniques sur ce même itinéraire. Jusqu’à une vingtaine d’années, les fibres des tiges d’osier dévidées servaient à coudre les chapeaux en feuilles de latanier : ceux qui les préparaient à Giau Tế allaient les vendre au marché de Chuông (recommandé plus haut). Depuis cette époque, des fils en nylon ont remplacé les fibres d’osier, mais les tresseurs de l’herbe tế ont trouvé des façons pour utiliser la tige entière.
47Il y a également une relation actuelle entre les villages de Phú Túc et une autre commune sur ce même itinéraire, notamment Quảng Phú Cầu, productrice de bâtons d’encens. Ces techniciens de la fumée parfumée font affaire avec des petits artisans de Lýu Thýợng et d’autres villages, sous-traitant le travail pénible du débitage des baguettes de bambou pour pouvoir par la suite les enduire d’encens.
À VOIR
48Promenez-vous à Giau Tế/Lýu Thýợng : c’est un village assez urbanisé, avec plusieurs indications extérieures d’une relative affluence, comme les maisons hautes et modernes qui longent la rue principale. D’un côté de cette rue, le đình, la maison communale et le centre culturel du village. Il est très ancien et bien conservé, avec une mare à canards à proximité. De l’autre côté de la rue principale, suivez certaines des ruelles perpendiculaires : plus vous vous enfoncez dans le village, plus vous allez voir de belles vieilles maisons basses avec des toits en tuiles et des cours souvent remplies des matières premières du métier.
49Si vous visitez ce village un jour de déchargement de camions pleins à ras bord de gros fagots d’herbe tế en provenance des montagnes, vous réaliserez combien cette matière première peut en quelques heures occuper tout l’espace public de ce petit village aux rues étroites et l’effervescence qu’elle procure parmi la noria des revendeurs. En dehors de ces moments de « rush », vous pourrez voir dans les ruelles, ou en vous introduisant dans les cours, les nombreuses opérations pour séparer les divers types d’osier (les tiges rigides et les tiges souples) de leur enveloppe superficielle. Tels des cheveux de sorcières, ces fibres sont mises à sécher un peu partout.
50Vous pouvez également acheter des objets en osier à des prix très compétitifs : il vous manque une corbeille en forme de grenouille pour aménager la salle de bain des invités, ou un écureuil miniature avec une hotte sur le dos comme marque d’affection pour votre beau-frère ? Ne cherchez pas plus loin. Allez chez M. Nguyễn Văn Tuân et Mme Kiêu qui habitent dans la première ruelle sur la gauche après le đình. Vous y verrez des montagnes de grenouilles aux yeux globuleux en train de sécher ou toutes sortes d’animaux, tout dépend de la mode du moment. Il y a aussi de très beaux plateaux, malles et boîtes en osier de toutes dimensions imaginables.
LA PAGODE DE BỐI KHÊ, UNE DERNIÈRE HALTE
51La pagode de BỐI KHÊ se trouve dans le village de Hýng Giáo, (commune de Tam Hýng, district de Thanh Oai).
COMMENT ALLER À LA PAGODE ?
52En rentrant vers Hà Nội par la route 22, juste avant le panneau indiquant le village de Bình Ðà, prendre la route qui part sur la droite. Un grand panneau indique le village de métier de Thanh Thùy spécialisé dans la métallurgie. Au bout de 2,5 km, vous arrivez au village de Song Khê. Dans la courbe de la route, en plein dans le marché, une rue part sur la droite. Vous atteignez au bout de 500 m, au cur du village de Hýng Giáo, sur la gauche, la pagode Bối Khê.
53Cette pagode fut initialement construite sous la dynastie des Trần, autour de l’année 1338. Depuis lors, elle a subi de nombreux ajouts et rénovations – par exemple en 1453, 1573, 1628, 1694, 1701, 1766, 1783 et 1923, si vous voulez vraiment tout savoir.
54Une fois le portail de la pagode franchi, vous traversez un petit pont au-dessus d’un ruisseau. Devant vous se trouve la tour du clocher. Derrière s’élève la partie principale de la pagode, divisée en deux. À noter tout particulièrement : le Sanctuaire Supérieur, posé sur des rangées de piliers larges et courts ; c’est peut-être la seule structure en bois encore existant de la dynastie des rois Trần. Le tout est richement décoré et sculpté avec des formes de feuilles de figuier, de fleurs, de dragons et de Garuda (déité d’origine hindoue, mi-homme, mi-oiseau). La pagode Bối Khê organise son festival annuel le 13e jour du 1er mois lunaire, avec parties d’échecs vivants, des jeux, de la musique…
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