Itinéraire 3. Estampes, martelage et bambou brûlé (Bắc Ninh)
p. 146-171
Texte intégral
Patrimoine culturel et architectural
Les temples dédiés à Dame Ỷ Lan ;
La pagode Bút Tháp ;
La pagode Dâu ;
Le đình de Đông Hồ ;
Le đình, la pagode et le mausolée de Đại Bái.
Les villages artisanaux
Estampes : Đông Hồ ;
Martelage du métal : Đại Bái ;
Meubles en bambou brûlé : Xuân Lai.
LE TEMPLE DE LA DAME Ỷ LAN
COMMENT Y ALLER ?
1Prenez la sortie de Hà Nội à l’est par Gia Lâm. Passez le carrefour Nguyễn Vãn Cừ/Nguyễn Vãn Linh et tournez à droite vers l’autoroute (nationale 5) en direction de Hải Phòng. Laissez sur la gauche l’entrée de l’autoroute pour Bắc Ninh et à environ 11 km du carrefour Nguyễn Vãn Cừ/Nguyễn Vãn Linh, prenez à droite la bretelle Ðýờng Kiêu Kỵ. Au petit rond-point tournez à gauche pour monter sur le pont qui passe au dessus de l’autoroute. Prenez direction Phố Sủi. Vous êtes sur la route départementale n° 182. Deux kilomètres plus loin, vous arrivez au village Phú Thụy (commune de Dýõng Xá) où se trouve la temple de la Dame Ỷ Lan.
2Dans les communes de Dýõng Xá et de Phú Thụy (district de Gia Lâm), il y a une vingtaine de temples dédiés à Dame Ỷ Lan, femme du roi Lý Thánh Tông (xie siècle), issue d’une famille de tisserands et de sériciculteurs. Des fêtes lui sont dédiées dans ces deux communes.
3Dans le domaine politique, la Dame Ỷ Lan était une grande femme d’État et une première concubine du roi qui vécut aux xie-xiie siècles. Elle est vénérée par les Vietnamiens dans une centaine de temples qui sont dédiés à sa mémoire, particulièrement dans sa province natale de Bắc Ninh.
4La pagode, érigée par Ỷ Lan elle-même en 1115, porte le nom de Linh Nhân. Le temple dédié à son culte date de la même période. Parmi les objets d’art anciens conservés au complexe du temple et de la pagode depuis le xie siècle sont un escalier en pierre, des Bouddhas assis sur deux lions et un autre lion magnifique de plus d’un mètre de haut, également en pierre.
5Il y a un puits où, selon la légende, Ỷ Lan/Tấm gardait un petit poisson magique, l’appelant à la surface chaque jour en chantant. Loin d’être un personnage mythique, Ỷ Lan est une personne historique. Elle s’appelait Lê Thị Yến de son vrai nom. D’origine modeste, très jeune, elle avait perdu sa mère. Elle est associée dans l’imaginaire des Vietnamiens à Tấm, la Cendrillon nationale.
6Selon les Annales, le roi Lý Thánh Tông, qui âgé de 40 ans n’avait toujours pas produit un héritier mâle afin d’assurer la continuité de sa lignée, fit un pèlerinage à la pagode Dâu (iie siècle) en passant par Dýõng Xá afin de demander l’intercession du Bouddha. Flânant dans les champs, il aperçut, dans un bosquet de mûriers, une belle fille appuyée contre un magnolia (lan). Il l’aborda et fut surpris de la trouver nullement intimidée et capable de répondre à ses questions avec aplomb et intelligence. Il décida de la ramener à sa cour et lui accorda le titre de « Première Concubine royale Ỷ Lan », ce nom voulant dire : « celle qui s’appuie contre un magnolia ».
7Contrairement aux autres femmes du harem, Ỷ Lan s’intéressait aux affaires d’État et de la vie publique. Elle s’efforça d’étudier et de se familiariser avec les préoccupations du peuple. En 1069 son mari, partant faire la guerre aux Cham, lui confia la régence pendant son absence. Elle régna avec sagesse et courage au travers d’une époque mouvementée. Un peuple reconnaissant la fit appeler Mère de Mansuétude et lui fit ériger un temple. En 1072, la mort du roi provoqua une nouvelle crise au pays. Encore une fois, Ỷ Lan devint régente et mena les affaires d’État tandis que le général Lý Thýờng Kiệt repoussait l’invasion des armées chinoises de la dynastie Song.
LA PAGODE BÚT THÁP
COMMENT Y ALLER ?
8Reprenez la route départementale n° 182. Sur la droite vous verrez une très belle porte. Un kilomètre plus loin, prendre à droite la route en direction du marché Phố Kéo. Sur la place du marché se trouve la pagode Kéo. Deux kilomètres plus loin, on sort de la province de Hà Nội et on entre dans celle de Bắc Ninh. On passe devant de grandes briqueteries et une zone industrielle. À trois kilomètres de la limite entre les deux provinces, à droite de la route, dans le village de Công Hà, il y a la pagode Tổ, Chùa Tổ. Sur la gauche, une route mène au village de Ðình Tổ, où se trouve, trois kilomètres plus loin, une des plus célèbres pagodes du Vietnam, Chùa Bút Tháp.
9La pagode Bút Tháp, Chùa Bút Tháp ou pagode de la tour du pinceau, (village de Bút Tháp, commune de Ðình Tổ, district de Thuận Thành) est un véritable joyau architectural et sculptural. La pagode se présente comme un ensemble assez vaste mais harmonieux de dix bâtiments dont plusieurs remontent au xviie siècle : deux tours de cinq étages chacune et une jolie tour de 13 mètres de haut qui donne son nom à ce complexe religieux.
10Parmi les choses à admirer ici, mentionnons plusieurs bas-reliefs finement ciselés et surtout une richesse de statues polychromes. Les plus célèbres sont les esprits gardiens gigantesques à l’entrée, les trois Bouddhas très réussis au centre du Grand Hall et surtout, sur le côté dans cette même salle, la statue, d’aspect très indien, de Quan Âm, avec ses « mille yeux et mille bras », uvre d’un sculpteur dénommé Trýõng, réalisée en 1656 et symbolisant l’union de la beauté et du sacré dans les croyances bouddhistes.
LA PAGODE DÂU
COMMENT Y ALLER ?
11Retournez à la route n° 182. À la sortie du village Công Hà, vous croisez un carrefour, puis une rue très commerçante. Vous entrez dans le Phố Dâu du village de Khýõng Tự, site d’une autre très célèbre pagode de la région, Chùa Pháp Vân Tự ou Chùa Dâu. Un panneau à l’entrée du quartier commerçant indique que la pagode est à 200 mètres sur la droite.
12Chùa Dâu (village de Khýõng Tự, commune de Thanh Khýõng, district de Thuận Thành), de son nom populaire, Pháp Vân Tự ou de son nom d’origine, Chùa Diên Ứng (selon certains esprits libres), est le plus ancien temple bouddhique du Vietnam. Elle fut érigée autour du début de l’ère chrétienne, à l’intersection de plusieurs grandes routes (et à l’emplacement du centre administratif, militaire, culturel et religieux appelé Luy Lâu par les Chinois, d’où ils dominaient tout le nord du Vietnam). Les premiers grands missionnaires du Bouddhisme indien au Vietnam sont venus ici. Devant cette pagode se trouve le marché du principe Yin qui se réunit au coucher du soleil. On prétend que les âmes des morts y reviennent !
13L’imposante pagode Dâu se trouve au centre d’une remarquable concentration géographique de pagodes villageoises (et vous aurez déjà remarqué que la pagode Bút Tháp est tout proche) : Chùa Ðậu (village Ðại Tự, commune Ðông Cốc) où l’on honore Pháp Vũ, la déesse de la Pluie, Chùa Týớng (village Thanh Týớng, commune Thanh Hoài) où l’on honore Pháp Lôi, la déesse du Tonnerre, et Chùa Dàn (village Phýõng Quan, commune Chí Quảng) où l’on honore Pháp Ðiện, la déesse de l’Éclair. Ces lieux de culte sont reliés au moment de la fête de la pagode Dâu (voir encadré, p. 149).
14En ce qui concerne l’architecture de l’endroit, la pagode fut essentiellement reconstruite au xive siècle et depuis a subi maintes rénovations. Dans le temple principal, il ne reste que quelques sculptures des époques des dynasties Trần et Lê. Il s’y trouve plusieurs statues assez imposantes, dont la plus connue, au centre, représente Dame Dâu ou Pháp Vân (la déesse des Nuages). Presque deux mètres de haut, élégante et gracile, assise sur un lotus, cette statue est considérée comme un chef-d’œuvre de la statuaire vietnamienne (xviiie siècle).
15Autre élément intéressant de la pagode, également du xviiie siècle, 17 m de haut en briques sobres, la tour Hòa Phong se remarque de loin, même si elle n’a plus que trois de ses (prétendus) neuf étages originaux. Cette tour fut érigée dans l’espoir d’obtenir des divinités un temps clément et propice aux récoltes. À l’intérieur, on peut admirer une cloche et un gong, et devant la tour, à gauche, une statue en pierre avec un sujet insolite (pour le Vietnam, du moins) : un mouton. Des historiens supputent qu’il s’agit d’un vieux vestige de l’époque de domination chinoise.
La fête de la pagode Dâu
La fête de la pagode se déroule au 8e jour du 4e mois lunaire (jour de l’anniversaire de Bouddha). Les quatre pagodes du district Thuận Thành célèbrent leur fête ce même jour et les activités sont intimement liées par un écheveau de croyances et traditions.
En fait, la Déesse des Nuages a trois sœurs, la déesse de la Pluie, la déesse du Tonnerre et la benjamine, la déesse de l’Éclair. Par des processions fastueuses, les villageois réunissent les (statues des) trois sœurs cadettes pour aller voir leur grande sœur Pháp Vân à la pagode Dâu, et ensemble, elles vont rendre visite à leur mère Man Nýõng (qui fut mystérieusement – mais accidentellement – fécondée par un bonze d’origine indienne) à la pagode Tổ dans le village Mãn Xá.
On peut voir aisément que ces divinités sont intimement liées à de très vieilles croyances sur la fertilité et des rites d’eaux. C’est une fête importante et impressionnante, avec beaucoup de processions, des concours, des jeux, des danses (celle du bâton, ou des lions), de la lutte, des parties d’échecs vivant et des feux d’artifices.
LES ESTAMPES DE ĐÔNG HỒ
ALLONS À ÐÔNG HỒ !
16Reprenez la route 182 et 5 km plus loin, au carrefour localisé à la sortie du village de Phố Khám une route sur la gauche mène, au bout d’un kilomètre environ, au village des estampes et des objets votifs en papier : Đông Hồ.
17Ðông Hồ, (commune de Sông Hồ, district de Thuận Thành) est un village très ancien à une quarantaine de kilomètres à l’est de Hà Nội, réputé dans tout le Vietnam pour la fabrication des estampes traditionnelles sur papier dó (voir Itinéraire 1 pour tout savoir sur ce papier) et plus récemment des objets votifs en papier.
18Chaque année, un peu avant le Tết (le Nouvel An lunaire vietnamien), un marché aux estampes se tenait dans et autour du đình du village. Sous la dynastie des Nguyễn, un concours de fabrication d’objets votifs se tenait aussi dans le đình. Ces événements drainaient des artisans et des clients de toute la sous-région et ont fait la réputation de Ðông Hồ. Il ne reste plus qu’une poignée d’artisans qui réalisent ces célèbres « estampes Đông Hồ », la plupart de leurs voisins s’adonnent à la fabrication des objets votifs que l’on vend rue Hàng Mã (ou la rue des Objets Votifs), dans le quartier des 36 Rues à Hà Nội.
LE MÉTIER
19Malgré le déclin inéluctable dans les ventes des estampes Đông Hồ, elles demeurent une référence de la culture traditionnelle populaire. Ce sont des scènes de vie villageoise ou de paysage printanier, des tableaux tirés de contes et légendes ou des images où figurent les animaux de l’horoscope vietnamien (surtout ceux de l’année lunaire à venir et de l’année déjà entamée).
20Les estampes sont produites avec des images sculptées sur des planches xylographiques en bois. Le papier est embelli et renforcé avec une gouache à base de coquillage nacré (điệp), à raison de deux couches. Les cinq couleurs des estampes sont d’origine naturelle, le noir étant des cendres de bambou, l’orange des fleurs de gardénia, le bleu de l’indigotier (ou l’indigo des Indes) et ainsi de suite.
21Certains historiens placent les origines de cette pratique au début du xviie siècle, sous le règne du roi Lê Kinh Tông ; d’autres (amateurs peut-être de chiffres ronds) disent foutaises, ça fait 500 ans (ou 20 générations) que les Dongholais tamponnent du papier dó : faites votre choix… Quoi qu’il en soit, le déclin fulgurant du métier est indéniable : avant 1938, 200 foyers du village peignaient encore sur les estampes. À part les trois derniers qui persistent, presque tous les autres artisans se sont donc mis à produire des objets votifs en papier, et il faut dire que cette activité se porte très bien.
À VOIR
22Les deux métiers de Ðông Hồ sont intéressants à observer. Il y a encore quelques ateliers où l’on peut observer la production des estampes traditionnelles, ainsi qu’un musée (voir encadré, p. 151). Simples, gais et drôles, les estampes ont un charme indéniable, ne sont pas chères du tout (disons à partir de 3 000 VNÐ) et font des cadeaux facilement transportables dans un petit rouleau de carton ou protégées à plat au fond d’une valise.
23Les objets votifs et le papier votif sont fabriqués à partir de matière recyclée, dont la collecte et le tri se font à Dýõng Ổ, autre village de Bắc Ninh célèbre pour ses produits en papier (voir Itinéraire 1, p. 83). Ici, les feuilles sont coloriées et décorées et, par beau temps, l’on peut très souvent voir un spectacle très coloré de papier teint qui sèche au soleil.
24Le đình à Ðông Hồ, où l’on vénère le génie tutélaire du lieu, vaut une visite, tout particulièrement si vous avez la chance de passer juste avant le Têt pour le marché aux estampes, (les 6e, 11e, 16e, 21e et 22e jours du 12e mois lunaire) ou bien juste après, pour le festival du village de Ðông Hồ (du 4e au 7e jour du 1er mois lunaire), puisque depuis leur recrudescence en popularité, on a restauré le concours de fabrication d’objets votifs. Il a lieu dans la cour du đình, où les familles de Ðông Hồ exposent la fine fleur de leur production en papier et l’étendue baroque de leur imagination. On fait également défiler les objets dans les rues, il y a des parties d’échecs chinois, des combats de coq, une vraie kermesse villageoise, quoi. La clef du spectacle, qui lui confère une originalité indéniable, c’est que le concours s’achève par une cérémonie où les objets lauréats sont… vous l’aurez deviné, réduits en cendres.
De l’argent à brûler ?
Comme s’il n’y avait pas déjà assez de gens à la maison comme ça, les croyances traditionnelles vietnamiennes placent les morts fermement parmi les vivants, sauf qu’ils sont tout simplement dans un monde parallèle. Or, dans cet autre monde, on a toujours besoin de se nourrir, s’habiller, se loger, se déplacer et même de se divertir (cela doit ressembler un peu à l’enfer, non ?).
Afin de solliciter la bienveillance de leurs ancêtres, les vivants doivent « s’occuper » des morts, entre autres choses en leur envoyant, par le truchement de la fumée, des cadeaux sous forme d’objets en papier votif. Les plus courantes de ces offrandes inflammables sont des faux billets de banque (en coupures de 50 000 VNĐ pour les villageois, 100 USD pour les nouveaux riches urbains, souvent imprimés que d’un seul côté), qui sont brûlés à plusieurs moments, à commencer par le 1er et le 15e jours du mois lunaire. Ces dates sont également des occasions pour se rendre à la pagode et pour présenter des offrandes sur les autels des ancêtres à domicile. Pour celui qui loue une maison au Vietnam, le bail comprendra souvent une clause garantissant au propriétaire l’accès toutes les deux semaines à l’autel des ancêtres laissé dans la maison. Les fantômes d’anciens propriétaires sont apparemment peu enclins aux déménagements – et par ailleurs leur présence inhibe l’installation de fantômes locataires : le régime immobilier dans l’au-delà est décidément aussi compliqué qu’ici-bas.
Les autres cérémonies importantes où l’on met le feu aux sous et autres simulacres comprennent les anniversaires de mort des ancêtres, la fête Tết Trung Nguyên (15e jour du 7e mois lunaire, la fête des âmes errantes) et des rites ponctuels destinés à solliciter de petites choses comme une bonne récolte, un enfant, la paix… Cette pratique est une prolongation symbolique de celle d’autrefois, où le défunt était enterré avec de l’argent, des habits, du riz et du sel, sa boîte de bétel préférée, même des outils. Dans les hauts plateaux du centre du Vietnam, certaines ethnies ont conservé ces gestes, en y rajoutant souvent de vieux vélos (accidentés ou au moins cassés : ça remarchera dans l’empire des ombres, pas la peine donc de gaspiller un véhicule encore utile).
Après 1945, dans une volonté de réduire les pratiques superstitieuses, le commerce des objets en papier votif a été interdit. Des décennies de guerres meurtrières et de famine ont suivi, beaucoup de jeunes gens sont morts sur les champs de bataille et dans les villages. Les survivants n’ont pas voulu vivre le dos tourné à leurs morts et les pratiques sont revenues.
Comme l’on peut facilement observer dans la rue Hàng M. à Hà Nội, le commerce de ces objets est de nouveau florissant : tradition et modernité se côtoient sans heurts, puisqu’on peut y acheter, tout en papier ou en carton, en plus des vrais-faux billets de banque, des habits officiels de mandarin, des animaux mythologiques, des arbres en or ou en argent, des chaussures, des chevaux, des vélos, des motos, des voitures, des maisons – même des soucoupes volantes… Beaucoup de ces objets sont fabriqués et également disponibles à Ðông Hồ ; si vous en achetez pour vos aïeux, n’oubliez pas d’apporter une boîte d’allumettes pour pouvoir les envoyer directement.
« Venez voir nos estampes vietnamiennes… »
Autrefois, les villageoises virginales de Ðông Hồ s’employaient à faire les sirènes des grands chemins auprès des voyageurs qui longeaient la digue ou qui naviguaient sur la rivière Ðýớng :
Cher voyageur, nous vous prions de faire une halte
Admirer le paysage et mettre fin à votre tristesse.
Veuillez acheter nos estampes aux couleurs vives
Représentant des scènes chaleureuses de coqs et de cochons.
Les fabricants d’estampes n’ont peut-être plus le budget marketing qu’ils possédaient autrefois, et désormais c’est surtout les producteurs d’objets votifs qui tiennent le haut du pavé, mais l’invitation demeure valide : nous vous recommandons plus particulièrement les ateliers de M. Nguyễn Đăng Chế et de M. Nguyễn Hữu Sam. Le premier fut pendant 30 ans professeur à l’université d’esthétique et est crédité d’avoir réhabilité le métier au village. Le deuxième fut président de l’ancienne coopérative des estampes de Ðông Hồ et possède une collection de 600 planches xylographiques (en bois) pour imprimer les estampes, dont certaines sont fort anciennes.
Avec un peu de chance donc, vous pouvez observer l’un ou l’autre de ces artisans en train d’effectuer les différentes étapes de la production des estampes : de nacrer les feuilles de dó, d’encrer les feuilles enduites de điệp pour dessiner les contours des motifs traditionnels puis, de les colorier délicatement par à-plat à l’aide des cinq couleurs brutes (blanc, noir, bleu nacré, poudre d’or et d’argent).
En juillet 2008, à l’initiative de M. Nguyễn Ðãng Chế, un Centre d’échanges culturels sur les estampes de Đông Hồ a été inauguré dans le village. Ce musée, appelons – le ainsi, comprend trois maisons de facture traditionnelle : dans la première sont exposées plus de 100 planches xylographiques en bois anciens représentant différentes séries d’images populaires et 170 modèles d’estampes ; dans la deuxième, on peut admirer les modèles d’estampes fabriquées par la famille de M. Nguyễn Ðãng Chế depuis une quinzaine d’années, de même que des images restaurées ; enfin, dans la dernière, vous pourrez acheter estampes, planches et papier dó nacré, pour à votre tour, si le lieu vous a inspiré, vous adonner à cet art ancien… et quelque peu désuet !
ĐẠI BÁI : LE MARTELAGE DES MÉTAUX
25COMMENT ALLER DE ĐÔNG HỒ À ÐẠI BÁI ?
26Retournez à la route 182. Passez un grand carrefour en laissant sur la gauche la route qui mène à la ville de Bắc Ninh. Continuez tout droit vers l’est. À 5 km environ, sur la droite, le village de Đại Bái est mentionné par un panneau : « Cụm di Tích lịch sử vãn hóa, Làng Nghề gò ðùc ðồng ÐẠI BÁI ». On entre dans la commune de Đại Bái par le village de Đoan Bái.
27Lorsque vous vous approchez du village de Đại Bái (commune de Đại Bái, district de Gia Bình), c’est autant l’ouïe et l’odorat que la vue qui annonceront la couleur ici : un vacarme assourdissant assaille les oreilles, des vapeurs âcres et de la fumée épaisse remplissent les narines. Vous êtes chez des spécialistes de la métallurgie : il y a plus de 1 000 ans que les habitants de Đại Bái maîtrisent la technique du martelage de cuivre, et bien plus longtemps encore qu’ils savent faire de la fonderie, qui ici répond surtout aux besoins des marteleurs.
28Les matériaux ont évolué : l’homme fait du bronze (mélange de cuivre et d’étain) au Vietnam depuis peut-être 4 000 ans (voir l’histoire des origines du métier, p. 157), le cuivre jaune (mélange de cuivre et de zinc) est arrivé plus tard et la venue de l’aluminium est relativement très récente. On travaille aussi avec l’or et l’argent à Ðại Bái. Les techniques annexes ont changé également : production mécanisée de plaques et barres métalliques, concurrence des plastiques et de l’inox. Mais le métier principal perdure : marteler, c’est une activité très manuelle, nécessitant peu d’outils (et donc pas d’investissement dispendieux), mais beaucoup d’adresse et quantité de main d’œuvre bien entraînée.
29Ðại Bái (aussi connu familièrement comme Býởi et jadis comme Vãn Lãng) est l’une des meilleures illustrations de ce paradoxe fascinant qu’est le village de métier : dans un cadre très rural, bien à l’écart de Hà Nội, vous allez vivre une expérience de promiscuité humaine et d’artisanat semi-industriel peu commune. Pour reprendre les mots d’une collègue chercheuse : « Ici, on ne fait pas des chapeaux coniques, on ne rigole pas. En Afrique, il y a des castes de forgerons, des gens à part ; c’est un peu l’esprit de Đại Bái. »
30Depuis au moins le début du xviie siècle, le village de Ðại Bái comprenait 4 hameaux (xóm), chacun étant spécialisé dans un type d’articles :
- Xóm Sôn = bassins en cuivre, objets de culte ;
- Xóm Gĩua = théières, bouilloires, petites marmites ;
- Xóm Tây = plateaux, bassins ;
- Xóm Ngoài = grandes marmites pour faire de l’alcool.
31Au fur et à mesure, les choses se sont de plus en plus compliquées, imbriquées, enchevêtrées, avec des extensions de certains quartiers et la zone industrielle qui s’y rajoute (de manière semi-organisée…) et des ouvriers qui se spécialisent dans la fabrication d’une partie d’un objet (comme des becs verseurs de bouilloire : voir encadré, p. 164, intitulé « Mission : à la conquête de la sainte bouilloire ») – ou dans une partie de la production d’un objet, comme le lissage et le polissage (après le façonnage et l’assemblage). Notons également qu’au moins 40 % des ateliers sont désormais mécanisés à un certain degré. Puis il y a forcément des articles qui ne s’achètent plus et des nouveaux qui surgissent sur le marché. Consultez notre plan de localisation des productions, ou suivez tout simplement votre nez.
Entre deux guerres… Une description de Đại Bái
Sous le régime colonial français des années 1930, le géographe Pierre Gourou était en mesure de juger que : « (Ðại Bái), c’est peut-être, de tous les villages du Delta, celui qui a le plus d’importance au point de vue industriel ; il l’emporte probablement par la valeur des produits sur les villages de potiers (voir Itinéraires 1b et 2) et sur le gros village de soieries de Van Phuc (voir Itinéraire 4), situé près de Hà Ðông. »
Et il nous cisèle ensuite un tableau saisissant de ce village si métallique dans une société à l’époque tant végétale que l’on n’aurait pas trouvé un seul clou ni une seule vis employés dans la construction d’une maison indigène dans tout le delta :
« Tous les cinq jours se tient à Ðại Bái un marché du cuivre. Sous les halles étroites que supportent de grossières colonnes de calcaire gris s’accumule un confus entassement de marchandises, de vendeurs et d’acheteurs, où l’éclat rouge ou jaune des cuivres met quelque lumière. Non loin des objets finis s’étalent les matières premières que les fabricants s’achèteront lorsqu’ils auront vendu leur propre production : charbon de bois en menus morceaux, débris de zinc, vieux cuivre ; on peut voir là une intéressante exposition de vieux tuyaux de chaudière, de fils de cuivre, de plaques perforées qui ont servi à la fabrication de boîtes d’opium par la manufacture de Saigon, de douilles de cartouche ; on trouve une extraordinaire diversité de celles-ci, comme si tous les champs de bataille et tous les champs de tir du monde tenaient à envoyer quelques échantillons de leurs déchets à Ðại Bái. »
La géographie des lieux est complètement changée depuis l’époque de cette description. Le bâti de Đại Bái, berceau de guerriers nationalistes, a été presque totalement détruit pendant l’enchaînement de guerres déclenchées à peine dix ans plus tard. Rien de nouveau à cela : des guerres précédentes, principalement avec les Chinois, avaient déjà dévasté Đại Bái à plusieurs reprises. (Par ailleurs, il paraîtrait même qu’au moins une fois, le village a déjà été volontairement déplacé de quelques kilomètres afin de fuir la pollution toxique de l’eau engendrée par le cuivre).
Une fois de plus, on a tout reconstruit, rénové, adapté. Depuis qu’on a enterré le marteau de la paix (post-1975) et que l’ouverture économique frappe aux portes du village (post-1986), on agrandit et modernise : il y a désormais des quartiers neufs, une zone industrielle, la rivière et plusieurs étangs comblés ou enfouis sous des graviers et du béton. Afin de le rendre plus accessible que dans le centre enclavé du village, le marché a également déménagé. Au fil des années, beaucoup de gens sont partis à la recherche d’une existence plus facile, plus paisible. Certains sont revenus, d’autres encore sont partis s’établir à Ha Nội ou ailleurs. Entre-temps, à travers tous ces tumultes tragiques et ces bouleversements embourgeoisant, l’activité artisanale s’accroche et cogne dur toujours. Le foisonnement de déchets métalliques récupérés sur les champs de bataille et dans les dépotoirs du monde affluent encore aussi…
LES ORIGINES DU MÉTIER
32L’activité à Ðại Bái est effectivement très ancienne. En 1989, on a fêté les 1 000 ans de martelage du cuivre et du bronze à Ðại Bái. L’ancêtre du métier serait un certain Nguyễn Công Truyền, mandarin militaire de l’époque de la dynastie des Lý, né au village en l’an 989 (du calendrier lunaire, attention !). Comme d’habitude, la tradition populaire et orale propose plusieurs versions explicatives de l’apparition du métier dans ce village plutôt que dans un autre. Parmi les histoires que les villageois se racontent, l’intérêt (parce que franchement, il n’y en pas toujours) se concentre autour de deux courants :
33Cette activité serait une inspiration et imitation d’origine chinoise (comme il s’est avéré dans bon nombre sinon la majorité des villages de métier du delta), avec notre héros ramenant et disséminant le secret d’une communauté chinoise où l’émissaire qu’il était a dû attendre des lettres d’introduction, s’abriter tandis qu’on remplaçait son cheval ou guérir d’une grippe asiatique (particulièrement virulente donc).
34L’autre version propose une appropriation plus nationaliste des origines de l’activité.
35Un séjour familial formateur, pendant la jeunesse de l’ancêtre du métier, dans la province collinaire de Thanh Hoá, qui surplombe le delta au sud-ouest et qui est étroitement associée à Ðồng Sõn, une culture de l’Asie du Sud-Est, généralement considérée comme made in Vietnam. (Voir bibliographie pour des textes sur cette civilisation majeure encore méconnue, née aux alentours du delta du fleuve Rouge). Or, la culture Ðồng Sõn est célèbre avant tout pour ses tambours remarquables, faits en bronze. La période Ðồng Sõn coïncide plutôt avec le début de l’age de fer (2 000 ans avant J.-C. – 200 ans avant J.-C., juste après l’age de bronze : les Dongsoniens utilisent aussi le fer), mais c’est leur travail délicat du bronze qui a leur a accordé une place proéminente dans la préhistoire culturelle vietnamienne. À la mort de son père, Nguyễn Công Truyền aurait abandonné le mandarinat et emmené sa mère revivre dans son village natal. Ensuite, il aurait commencé à instaurer le métier de martelage d’objets en cuivre pour le diffuser aux villageois.
36Le mandarin-marteleur est donc considéré comme le pionnier du martelage et il est toujours célébré à l’occasion d’un festival annuel, qui se tient le 29e jour du 9e mois lunaire, jour de sa mort. La spécialisation des hameaux dans la production des articles est également créditée à cinq autres mandarins qui auraient quitté leurs fonctions pour rejoindre Đại Bái. Ils auraient ainsi organisé des corporations d’artisans au xviie siècle, pendant une période de paix relative. Ces hommes sont également vénérés en tant que « post-ancêtres » du métier.
37Ce culte des ancêtres du métier est toujours une initiative locale et populaire, c’est-à-dire issue du peuple : un village cherche à remercier la source perçue de sa prospérité. Autrefois à Ðại Bái, la célébration annuelle (lễ hội) officielle la plus importante était celle du génie tutélaire (thần thánh hoàng) du village, Lạc Long Quân, ou l’esprit du dragon, fêtée le 10e jour du 4e mois lunaire. Ces festivités sont tombées en désuétude, au profit de la fête de l’ancêtre du métier (ông tổ nghề) : si on a martelé et vendu du métal à Ðại Bái depuis des siècles et que l’on continue de le faire, c’est à l’illustre ancêtre qu’on le doit et les villageois se sentent redevables et fiers de lui. C’est un bel exemple de la flexibilité et du pragmatisme qui caractérisent certaines des pratiques cultuelles vietnamiennes. Le changement de génie tutélaire est lié à d’anciennes prises de conscience villageoises que l’ouverture des marchés a renforcées (voir première partie p. 40 et 41). Essayez d’imaginer les employés d’une usine de moteurs substituant le lundi de Pentecôte à l’anniversaire de Rudolph Diesel !
LE MÉTIER AUJOURD’HUI
38Il y a quatre types d’artisans uvrant actuellement à Ðại Bái :
- Ceux qui produisent des objets d’art : ils forment une main-d’œuvre familiale sous forme de contrats d’apprentissage. Ils travaillent sur commande, notamment avec des Japonais.
- Ceux qui produisent des objets de culte pour les ancêtres et les pagodes (environ 10 % du total). La production en cuivre et en bronze de ces deux premières catégories est principalement concentrée dans le hameau Sôn. Ils vendent leurs productions dans des boutiques-ateliers localisés le long de la rue principale.
- Ceux qui fabriquent des ustensiles de cuisine en aluminium (80 % du total). Ce sont pour la plupart des petits producteurs qui travaillent soit manuellement, soit à l’aide de machines de petite envergure. Pour la plupart, les travailleurs manuels manquent de moyens pour mécaniser leur production. Ils rencontrent même des difficultés pour acheter des matières premières. Les populations âgées n’ont plus l’énergie pour façonner des marmites à la main. Ils ne peuvent que fabriquer des objets de petites tailles comme des casseroles.
- Ceux qui fondent le cuivre ou l’aluminium pour le revendre aux artisans : fonderie d’aluminium que l’on vend aux artisans qui n’ont pas les moyens de fondre leur métal eux-mêmes car ils n’ont besoin que d’une petite quantité. Ces artisans produisent de façon mécanique. Ils s’approvisionnent en aluminium récupéré auprès de collecteurs. Ils le fondent, puis l’étalent sur des plaques. Cette activité mécanisée est plus rentable que le martelage. Cependant, elle est limitée par la faible puissance de l’approvisionnement électrique à Ðại Bái (un contentieux de longue date ici).
39Il est clair que le travail du cuivre et du bronze est en régression : aujourd’hui, peu de gens préfèrent un plateau en bronze à un plateau en aluminium : c’est plus cher, plus lourd et se décolore au contact de l’air, nécessitant un nettoyage et polissage régulier. De plus, l’aluminium est peut-être moins nocif pour la santé humaine que le cuivre et le bronze, il est plus facile à travailler et l’on peut en mécaniser la production, si on a les moyens.
4060-70 % (si ce n’est 80 %) de toute activité à Ðại Bái tourne donc aujourd’hui autour de l’aluminium. Même la grille d’une des maisons communales est en aluminium ! Le plus grand domaine d’exception à cette tendance, c’est les objets de culte (y compris les statues et les cloches) : on préfère toujours les objets en bronze (plus nobles, plus jolis aussi) quand ils sont destinés à la pagode, le temple ou la maison communale, ainsi qu’à l’autel des ancêtres (bàn thờ) qui trône dans chaque maison vietnamienne. Par ailleurs, dans un registre plus profane, on remarquera quelques fabricants de clefs éparpillés dans le village. Pendant les guerres, Ðại Bái a souvent fourni des pièces précieuses pour l’effort collectif : des casques en cuivre, des boucles de ceinture, des bidons, des pièces détachées pour vélos…
41Đại Bái est également un centre de production important de gongs en bronze : le gong occupe une place centrale dans la vie religieuse (et sociale) de plusieurs ethnies minoritaires vietnamiennes, surtout celles des hauts plateaux du Centre (le Tây Nguyên). Les ethnies Thái et Ede achètent des gongs de Ðại Bái aussi, tandis que beaucoup d’autres sont exportés vers des pays voisins de l’Asie du Sud-Est. Vous pouvez entendre des artisans en train de tester et ajuster le son des gongs qu’ils sont en train de façonner – un travail particulièrement fastidieux et épuisant. Cherchez également l’atelier de l’artisan sourd (et pas très futé) qui fait des gongs en aluminium (vous ne le trouverez pas…).
42En parallèle au martelage, un nombre très limité d’artistes continuent à fabriquer, selon la tradition, des objets d’art, tels les jarres, les pots, les boîtes en cuivre ciselé ou incrusté de fils d’or d’argent ou de cuivre. C’est un travail d’orfèvrerie auquel certains rajoutent des techniques de décoration avec des motifs ou paysages de couleurs naturelles produites par des alliages métalliques. Les artisans les plus réputés produisent parfois sur commande des tableaux ornementaux avec des idéogrammes en cuivre ou même des luminaires en bronze fumé. Ces artistes ont des ateliers au sein desquels ils forment par apprentissage des jeunes, généralement du lignage. Le marché est très limité ; depuis l’ouverture économique, ce secteur subit de plein fouet la concurrence des produits chinois en plastique et en émail. En plus, les bassines en cuivre par exemple ne sont plus utilisées pour des raisons d’hygiène.
43Plusieurs maîtres d’art ont été primés et Đại Bái a fait l’objet de nombreux événements culturels dans le cadre d’un programme de développement de l’agence de coopération japonaise (JICA) et du gouvernement vietnamien. De nombreuses boutiques artisanales attirent des touristes et des commerçants le long de la route principale du village.
44Rappelons que ce volet glamour de la production locale concerne seulement une petite minorité d’élite des villageois impliqués dans l’activité métallurgique. L’ouvrier de base continue à marteler de l’aluminium pour faire des casseroles ou des louches, à manipuler des machines ou à accomplir une petite portion d’une chaîne de production assez longue. Ces productions d’objets quotidiens sont pour la plupart vendues au poids : 60 000 VNÐ (disons 3) le kilo de casserole et 90 000 VNÐ (4,50) le kilo de bouilloire. Quand on apprend que l’artisan achète les plaques d’aluminium prédécoupées à 50 000 VNÐ (2,50) le kilo, on mesure l’effort fourni, les risques encourus et le faible profit engrangé tout en faisant un kilo de casserole
Préoccupations environnementales
Si vous lisez ce guide de façon chronologique, vous aurez déjà remarqué un leitmotiv d’inquiétude relié à certains problèmes difficilement contournables, découlant du concept même de village de métier : un lieu d’habitation à l’espace déjà restreint, coexistant avec un noyau de production intensive, parfois carrément industrielle.
Commençons par le positif
● Les « bronzeurs » de métaux au village (c’est une activité féminine et il y en a une centaine à Ðại Bái), afin de fournir de la matière première aux producteurs, ramassent beaucoup de déchets métalliques de toute provenance : chutes de fabrication, objets cassés et métaux usagés de toutes sortes, soigneusement triés et rapidement recyclés. Il est déjà arrivé qu’on ramène subrepticement des restes d’obus du Laos, parfois avec des conséquences fracassantes, mais bon, on va dire que c’est une époque révolue, tout cela !
● L’alu a coulé le bronze : des doutes existent sur l’emploi à long terme de l’aluminium en contact avec des aliments, mais ces soucis pâlissent en comparaison avec les dégâts incontestables occasionnés aux êtres humains par le travail et l’emploi du cuivre, ingrédient essentiel du bronze, etc. Le contact permanent avec le cuivre et avec ses vapeurs est associé aux problèmes de stérilité, de déformations embryonnaires et éventuellement de troubles nerveux. Si l’essor de l’aluminium a limité l’emploi de cuivre dans un espace si densément peuplé, cela ne peut être qu’une bonne chose.
Passons au moins positif
La pollution à Ðại Bái prend au moins trois formes principales : aquatique, aérienne et sonore. Les fondeurs sont souvent localisés près des plans d’eau, afin de pouvoir laver leurs productions et évacuer les produits chimiques. Ces eaux usées, contenant acides et traces minérales, retournent directement dans la nature et puisque ces polluants sont souvent non biodégradables, le problème ne risque pas de se résorber tout seul. Puis ces étangs sont par ailleurs le lieu de villégiature d’une armada de canards, qui terminent dans l’assiette les jours de fête… (À noter également que la superficie en eau de la commune est très élevée : presque 20 %). Faire fondre des métaux produit des vapeurs, souvent très toxiques, et de la fumée de charbon, combustible employé dans les fours. Il faut veiller à évacuer ces polluants avec de hautes cheminées, idéalement placées loin des habitations. Nous avons déjà évoqué le bruit des marteleurs à Ðại Bái ; rajoutons les machines de production, les forgerons, les véhicules de toutes sortes, les télévisions, les karaokés, les cigales, les grillons… La surdité pourrait parfois presque paraître une bénédiction dans ce village !
Les dangers pour les membres les plus vulnérables de la société villageoise sont multiples. On voit des enfants en train de jouer autour de cuves d’acide et des creusets de métaux chauffés à blanc, parmi le bruit assourdissant des machines. Il arrive qu’il y ait des accidents. Les jeunes et les personnes âgées en particulier semblent être beaucoup victimes d’infections respiratoires chroniques, de maladies pulmonaires, etc. Les maisons-ateliers sont souvent entourées de déchets visibles de production antérieure, dangereux également pour la santé de ceux qui y vivent.
Une promenade dans Đại Bái
La route qui pénètre dans la commune est bordée de maisons et magasins tenus par des artisans du village de Ðại Bái qui autrefois habitaient à l’écart dans le centre-villageois. Vous aurez déjà une idée de la très grande variété des produits fabriqués dans ce village célèbre dès la première boutique : des alambics, des grandes bassines en cuivre et en aluminium, des marmites et des casseroles de toutes tailles, des louches sont exposés sur la devanture… Pour avoir un avant-goût des types de ferrailles utilisées pour fabriquer tous les beaux objets rituels qui ont fait jusqu’au siècle dernier la renommée de Ðại Bái, nous vous suggérons de jeter un coup d’il aux deux entrepôts de ferrailleurs installés sur la droite de la route : un bric-à-brac, véritable liste à la Prévert composée de cartouches d’obus récupérées de la guerre d’Indochine (il existe une filière avec le Laos), des roues de vélos tordues, des bombonnes de gaz, des lits à ressorts rouillés, des vieilles casseroles…
500 mètres plus loin, des magasins attenants aux ateliers d’art exposent toutes sortes d’objets décoratifs en bronze et en cuivre pour les autels des ancêtres, les pagodes et les temples : encensoirs, phénix, bouddhas, pots, jarres incisées de fils d’or, d’argent et de cuivre rouge, tableaux avec des lettres chinoises en cuivre jaune, ou panneaux à quatre pans représentant les quatre saisons…Certains ateliers assurent les commandes d’objets très beaux pour les magasins de design hanoiens. Il n’est malheureusement pas toujours possible d’en acheter, notamment ceux en bronze fumé, car les droits de propriété de ces modèles sont jalousement gardés…Une pratique en voie de disparition au Vietnam ! Contrairement à votre passage à Ðông Hồ, où les estampes s’obtiennent à un prix modique, celui dans les boutiques de Ðại Bái risque de vous coûter cher !
Une petite halte pour faire le point sur votre budget peut s’effectuer dans le café-magasin sur la gauche (voir carte, p. 162). Une petite tonnelle agréable a été installée derrière et s’ouvre sur un petit étang. Avant le virage, à gauche de la route, à environ 600 mètres de l’entrée de la commune, nous vous suggérons d’entrer dans le premier hameau du village de Ðại Bái, Xóm Sôn. La plupart des artisans, spécialisés dans le travail du cuivre, ont installé leurs ateliers et leurs magasins au bord de la route, mais la visite de ce hameau aux ruelles étroites pavées vaut le détour. Tout d’abord, un petit miếu (ou điếm) à l’entrée du hameau est dédié au culte du génie protecteur de cette partie occidentale du village. Trois điếm protègent les trois autres points cardinaux du village. Les femmes du quartier y brûlent régulièrement de l’encens. Un nombre impressionnant de nhà thờ họ, les maisons de culte des ancêtres des lignages, se cache aux fins fonds des ruelles de ce village millénaire (on en compte une vingtaine à Ðại Bái), aux lignées très anciennes : dans celui du lignage Nguyễn Văn un tableau en cuivre représente l’arbre généalogique familial sur plus de 13 générations. Si vous visitez ce hameau le jour du culte des ancêtres (les 1e et 15e jour du mois lunaire) vous pourrez sans peine demander à en visiter un. On y trouve des objets rituels en bronze, bien sûr... Appuyez vous sur notre carte très détaillée dressée par nos deux grandes détectives-architectes : vous ne risquez pas de vous perdre.
Un peu plus loin, à droite de la route, le magasin de M. Quang Tỷ offre différents types de gongs, cymbales et autres instruments de musique en bronze martelé destinés aux ethnies minoritaires du Vietnam (Ede, Thái…), qui ont toutes pour la plupart perdu leur artisanat. Il les vend au kilogramme. Il pourra même vous faire une démonstration de ses qualités de musicien et vous jouer des gammes pentatoniques orientales, à moins que les marteleurs de l’atelier voisin ne vous cassent trop les oreilles.
Dans le virage, une grande entreprise, la Công Ty Ðại Thành, fabrique des clefs et des serrures en cuivre jaune pour une grande entreprise d’État. Si vous avez le courage de demander au gardien de visiter cette mini-usine, cela vaut vraiment le coup : vous aurez l’occasion de voir de vos propres yeux, la division du travail entre la cinquantaine de Daibaiens reconvertis sous le même toit dans l’industrie « moderne » (entre ceux qui fondent la ferraille de cuivre pour en faire les lingots, ceux qui les transforment en plaques, ceux qui les découpent, ceux qui remplissent les moules, et ceux qui démoulent et découpent les clefs)… et des conditions dans lesquelles ces courageux ouvriers travaillent. Vous verrez le cuivre en fusion couler dans des moules à l’aide de grandes louches « made in Đại Bái », des machines à couper et tailler des barres de laiton, et les émanations du métal en fusion s’échapper par une petite ouverture qui donne sur un étang que les canards ont depuis longtemps déserté, car le laquage au métal les a fait couler.
Le long de cette artère, il est possible de voir de nombreux artisans en train de travailler, marteler et graver, assis par terre devant leur boutique-atelier. L’essentiel du travail de ces artisans qui produisent des articles en cuivre et en bronze s’effectue dans le lieu de résidence. En 2008, la nouvelle zone industrielle construite à droite de l’entrée de la commune n’est presque pas occupée.
Une fois arrivé à la hauteur de grands plans d’eau qui enserrent les regroupements d’habitations, on débouche sur le centre de ce village éclaté en hameaux : le đình Văn Lãng Mới sur la droite, lieu de vénération du génie tutélaire Lạc Long Quân, le père de tous les Vietnamiens. Puis sur la gauche, le đình Diên Lộc, destiné au culte de l’ancêtre fondateur du métier du martelage, Nguyễn Công Truyền, s’ouvre sur le grand étang. La statue du fondateur est dans le đình. Mais il est difficile pour les étrangers de la voir, son apparition est très ritualisée ! Ces deux édifices ont été reconstruits intégralement, avec une grille très contemporaine en aluminium pour le premier, suite à leur destruction pendant la guerre par les Viet Minh. Ils voulaient empêcher que les garnisons françaises en poste dans la zone ne s’y installent !
Le marché local se trouve sur la droite. Un peu plus loin sur la gauche, la pagode Chùa Nguyễn. Elle aussi a été complètement reconstruite après la guerre. Derrière le bâtiment central, un petit temple est dédié au post-ancêtre du martelage de bronze, Nguyễn Công Hiêp. Ce mandarin (eunuque), parti en ambassade en Chine, aurait à son retour au village en 1647 donné de l’argent aux villageois pour construire cette pagode et un pont qui passait au-dessus de la rivière qui traversait autrefois Ðại Bái. Le 10e jour du 2e mois lunaire, anniversaire de la date à laquelle il a quitté le village, une fête est organisée. Des objets en cuivre de grande valeur, dont deux épées, seraient cachées quelque part dans ces bâtiments. Ce riche patrimoine artistique pourrait être exposé dans un musée, mais malgré les appels à la nombreuse diaspora du village éparpillée dans tout le pays depuis la guerre, le financement nécessaire n’a pas pu encore être collecté.
Une chasse au trésor dans Xóm Tây Giũa va être l’occasion pour vous de comprendre l’organisation spatiale et sociale de la division du travail dans ce hameau spécialisé dans l’aluminium, et de vous retrouver face à un riche patrimoine architectural, religieux et artisanal (les fours qui s’élancent vers le ciel) dans les émanations parfois désagréables propres à la métallurgie !
Mission : à la conquête de la sainte bouilloire
Votre mission, si vous l’acceptez, sera de retrouver les traces de nos deux apprenties chercheuses-architectes L. & Sen afin de recréer le parcours de conception d’une bouilloire. Pour cela, laissez-vous guider par ce récit et les indices fournis en annexe par le schéma de montage. Pour les âmes sensibles, armez-vous de boules Quiès et de masques à gaz…
Étrangement, ne tentez pas de remonter la filière en commençant par le début, c’est-à-dire la fonte de l’aluminium et sa transformation en brique, vous ferez « chou blanc ». Repérer les fours est une chose aisée : levez le nez ou laissez-vous guider par ce dernier, vous trouverez des cheminées d’où s’échappent des fumées grisâtres et nauséabondes. Si vous tentez de savoir ce qu’il se passe dans ces ateliers, on vous répondra (toutefois si l’on vous répond) que les clients viennent de partout, de villages autres que Đại Bái, que l’on vend la production à Hà Nội ou pire encore que le four dont vous observez le fonctionnement et qui, en dix minutes, transforme vos poumons en ceux de fumeur invétéré, n’est pas un « vrai four », qu’il est temporaire.
Malgré tout, si vous êtes extrêmement têtu et que vous parvenez enfin à trouver un atelier où l’on accepte gentiment de vous répondre, manque de bol, celui-ci fabriquera des pieds pour supports de moustiquaire… Bon, si vous persistez à remonter la filière dans l’ordre chronologique, vous pouvez toujours passer à la seconde étape et chercher les ateliers qui transforment les briques d’aluminium en plaques fines. Pour cela, laissez-vous guider cette fois-ci par le bruit assourdissant des machines. Vous trouverez facilement ces ateliers en début de parcours, près de la route. Mais, pour obtenir des réponses à vos questionnements, il faudra vous munir d’un porte-voix, car l’on n’arrêtera pas la production pour vous, et si toutefois quelqu’un vous répondait, vous auriez droit au même type de réponses très vagues formulées dans les ateliers précédents, ou bien encore, une grand-mère, persuadée que vous cherchez à acheter des briques d’aluminium et voulant être serviable, vous mènera à l’atelier des « pieds de moustiquaire »… AHHHHH !!!!!!
Alors, toujours tenté pour faire ce parcours dans l’ordre chronologique ?
Le plus simple est finalement de chercher un « produit fini », si toutefois, à force de frustrations, vous ne vous êtes pas « brouillé » avec votre complice aventurier. L. & Sen ont donc trouvé un atelier où l’on fabriquait des becs verseurs de bouilloire. Mme Vãn Long vous fournira des indices précieux pour la reconstitution du puzzle. Elle achète des déchets d’aluminium qui viennent par camions de Hải Phòng. Son mari, avec qui elle vit et travaille, les fait fondre dans un petit four situé dans la cour abritée faisant office d’atelier, et verse ensuite le liquide bouillant dans un moule en forme de « bec », tout simplement. Mme Văn Long se charge de la vente dans sa maison (50 000 VNÐ /kilo, soit environ 25 articles), à des clients qui viennent de « partout », bien évidemment. En insistant un petit peu, vous apprendrez que ces clients viennent en général du même xóm qu’elle (ici le xóm Ngoài) et en insistant encore un tout petit peu, vous obtiendrez le nom d’un client en particulier, la famille Minh (Hýng et Hạnh). Vous remercierez alors sincèrement cette dame et arrêterez de vous plaindre en apprenant qu’elle se lève tous les jours à 4 heures du matin pour gagner trois millions de VNĐ (soit 140 €) par mois…
Après avoir trouvé la famille Minh et vous être assuré qu’elle achetait bien des becs de bouilloire à Mme Vãn Long (ouf !), vous allez avoir le bonheur de pouvoir remonter toute la filière. En effet, Mme Minh Hýng se fera un plaisir de vous expliquer son parcours de combattant et de vous livrer le nom de ses complices. Voici la recette de fabrication d’une bouilloire :
● Tout d’abord, vous devrez acheter la matière première, à savoir des déchets d’aluminium, dans son cas plus exactement des fils d’aluminium usagés, auprès de camions qui viennent directement de Hải Phòng livrer leur « tas de ferrailles » au village.
● Ensuite, vous porterez ces fils d’aluminium à la famille Hoàn-Nghéfaire fondre et de transvaser la matière en fusion dans des moules en forme de petites briques (de forme circulaire pour faire le corps de la bouilloire et rectangulaire pour faire l’anse).
● Vous récupèrerez alors ces briques pour les apporter à la famille Hoa-Thâp dont les machines se chargeront de les aplatir en plaques fines aux formes et dimensions que vous lui indiquerez.
● Vous porterez ces plaques à la famille Tuyềt-Thu qui se chargera de façonner les corps de bouilloire à l’aide de machines et à la famille Châu-Hồng qui, elle, se chargera de fabriquer les couvercles.
● Après ce long périple, vous pourrez, chez Mme Minh Hu’ng, marteler le corps de la bouilloire afin de lui donner un aspect « artisanal » et le percer afin d’y intégrer un bec (celui que vous aurez acheté auparavant chez Mme Vãn Long, si, rappelez-vous, la première personne gentille de la matinée). Vous demanderez gentiment à M. Minh Hạnh de bien vouloir vous fabriquer une anse à partir d’une plaque fine que vous aurez découpée en lanières avec des ciseaux géants. Finalement, vous assemblerez le tout et le revendrez à Mme Bà du Xóm Ngoài ou Mme Ánh du Xóm Giũa.
Nous arrivons à l’étape finale, celle de retrouver la trace du chef de la filière. Mme Ánh du xóm Giũa est introuvable, on vous baladera d’une ruelle à l’autre, pour finalement vous dire que cette personne ne vend pas de bouilloires… (Lý & Sen n’ont apparemment pas trouvé le bon nom de code, peut-être saurez-vous obtenir le bon). Nous vous conseillons donc fortement de chercher Mme Bà et ce, à l’heure du déjeuner, seul moment de la journée vous affirmera son mari M. Thúc qui ne sait pas grand-chose des activités de sa femme – où vous pouvez être sûr de la trouver chez elle. En effet, Mme Bà se promène toute la journée sur son vélo d’atelier en atelier pour récupérer divers objets fabriqués dans le village (marmites, bassines, casseroles, …) et en particulier votre sacro-sainte bouilloire. Elle ira alors vendre ces objets à la province de Bắc Giang située à 45 km de Ðại Bái, en camion qu’elle aura loué (si elle en a beaucoup) ou en car public (si elle en a peu). Si vous loupez l’heure du déjeuner, vous pouvez toujours tenter d’interpeller des dames en vélo chargées de montagnes d’articles en aluminium. Avec un peu de chance, vous tomberez peut-être sur Mme Bà…
Enfin, cette matinée harassante se terminera, qui sait, par un fou rire lorsque vous découvrirez que votre chauffeur, qui n’était pas au courant de vos activités, se pointe avec, à la main, je vous le donne en mille : une bouilloire !
Après cette fatigante course au trésor dans ce hameau au milieu du staccato des machines et du martelage, allez vous reposer et vous recueillir devant le mausolée du fondateur de cette dynamique activité, face aux rizières, tournant le dos aux cheminées. Il a été construit à la limite des terres cultivées au sud de l’extension de Xóm Tây Giũa. L’ancêtre du métier est enterré dans un cercueil… en bronze.
XUÂN LAI : LES MEUBLES EN BAMBOU BRÛLÉ
45Non loin de Đông Hồ et de Đại Bái se trouve le village de Xuân Lai (commune de Xuân Lai, district Gia Bình), spécialisé dans la fabrication de meubles en bambou « brûlé », ayant une couleur naturelle allant de marron jusqu’à un noir luisant. Ce village a connu un temps de vaches maigres sévères après l’ouverture économique et l’arrivée de produits industriels, comme le « mobilier karaoké » (les petits fauteuils carrés et canapés modulaires en skaï, peu adapté à la chaleur vietnamienne, qu’on voit encore dans les vestibules de mini-hôtels de premier prix – ou dans les karaokés…). Mais sa bonne étoile est de nouveau en train de grimper au-dessus de ce qui reste de la bambouseraie.
COMMENT ALLER À XUÂN LAI ?
46Quittez la commune de Ðại Bái et tournez à droite à la route départementale 182. Traversez le chef-lieu de district récemment constitué, Gia Bình. Cette petite ville, avec ses larges avenues, contraste avec la trame de l’ancien village sur lequel elle s’est établie. Une fois passé le panneau indiquant la sortie de la ville, à environ 5 km de Ðại Bái, on entre dans la commune de Xuân Lai. Juste après les bureaux du Comité populaire de la commune, le Uỷ Ban Xã de Xuân Lai, situé sur la gauche, tournez à gauche. Un chemin de terre et en béton s’enfonce vers le nord. À un peu plus d’un kilomètre de l’embranchement, vous arriverez à un petit carrefour dont la route bétonnée sur la droite est cernée par deux bornes (pour éviter le passage des camions et des voitures un peu larges – les 4x4 ne peuvent pas passer. Cette route permet d’accéder à Xuân Lai aussi. Donc si votre voiture est trop large, il vous faudra prendre le même chemin à l’aller et au retour. Dans le cas contraire, vous pourrez à l’aller passer par le nord du village et revenir par le sud). Continuez tout droit (vers le nord). Sur la droite, vous verrez le portail du village de Phúc Lai (un autre village de la commune dont une partie de la population travaille en sous-traitance pour les entreprises de Xuân Lai). Un peu plus loin, vous arriverez à la route-digue. Cette digue protégeait la zone contre les débordements d’un ancien méandre de la rivière Ðýớng, isolé depuis l’époque collectiviste. Prenez-la sur la droite. Vous verrez l’immense étendue d’eau constituée par le méandre « mort » sur la gauche. Vous surplombez les villages de la commune de Xuân Lai sur la droite. Le soleil miroite dans la multitude de petits plans d’eaux où trempent les bambous. Au bout d’un kilomètre environ, sur la droite de la route, vous arriverez à une petite maison jaune et rouge. Tout de suite après, un chemin bétonné descend de la digue sur la droite en direction du village de Xuân Lai. Tournez à droite, une allée ombragée pénètre dans le village : c’est l’accès nord de ce village. Tout droit vers le sud, vous passez sous le portail du village.
LE MÉTIER
47Si l’histoire de ce métier semble oubliée, cette activité existerait depuis plusieurs générations et probablement depuis au moins un siècle et demi. À l’origine destinés aux populations villageoises, les meubles de Xuân Lai étaient de facture simple, construits de manière identique à tous les autres meubles en bambou du delta, sauf pour cette belle finition en couleurs sombres qui leur confère un aspect unique.
48Ce village est facilement repérable grâce aux grands bassins d’eau devant chaque maison où l’on fait tremper les bambous encore verts pendant plusieurs mois afin de noyer les parasites dedans et de les rendre plus flexibles. Plusieurs entreprises ici sont spécialisées dans le nettoyage, séchage, puis brûlage des bambous. Il faut les nettoyer, enlever les nœuds, sécher et enfin brûler. Les bambous prêts à l’usage sont vendus aux artisans du village, mais aussi à ceux des villages de vanniers dans la province de Hà Tây (communes de Phú Túc et Phú Nghĩa, voir Itinéraires 7 p. 264 et n° 8 p. 276).
49Les bambous utilisés proviennent des régions montagneuses de Lạng Sõn ou de Cao Bằng, limitrophes avec la frontière chinoise. Où autrefois on se limitait à façonner des paniers pour le riz, des lits, des bancs et des tables, on produit ici toutes sortes de meubles imaginables, de facture souvent étonnamment sophistiquée, ainsi que des lampes, des plateaux, des paravents, des balançoires et des cadres pour photos. Quelques artisans confectionnent même des tableaux en bambou représentant les légendes vietnamiennes, à l’instar des artisans de Ðông Hồ et leurs estampes polychromes sur papier dó (voir p. 150).
Une promenade dans Xuân Lai
Le village est traversé par une rue « nord-ouest/sud-est » qui part du portail localisé près de la route-digue, au nord, et se termine, environ 800 m plus loin, sur la petite route bétonnée qui rejoint, en tournant à droite, le carrefour où vous avez vu en arrivant les deux bornes qui restreignent l’accès aux gros véhicules. La petite promenade que nous vous proposons utilise cet axe principalement et les trois transversales qui vous permettront de faire des incursions dans le dédale des rues qui serpentent entre les plans d’eaux.
Arrivés par l’entrée nord du village, en contrebas de la digue, vous verrez de nombreux étangs dans lesquels les artisans font tremper les bambous. En vous enfonçant dans le village, vous verrez une multitude de plans d’eau de tailles variées qui donnent au lieu un cachet particulier. L’activité des artisans est déterminée par leur capacité à utiliser ces plans d’eau et les espaces de séchage.
Une fois arrivés dans la rue principale, les nombreuses enseignes des ateliers spécialisés dans la fabrication des meubles en bambou brûlé sautent aux yeux et donnent l’impression d’une grande activité. La plupart des artisans se sont regroupés en coopératives « Hợp tác xã ». Mais seules les deux « vraies » coopératives, que nous vous proposons de visiter, ont une véritable envergure de production.
La coopérative de M. Nguyễn Tiên Dụng se trouve le long de la rue principale, à gauche, non loin du portail d’entrée du village. Dans son salon, un échantillon des différents types de meubles fabriqués dans le village (tables, bancs, étagères…) est exposé et au mur, des estampes en bambou gratté, dont certaines assez « coquines », sont accrochées. M. Dụng achète directement les bambous aux fournisseurs et les traite ensuite dans les bassins derrière son show-room. Les différentes parties des meubles sont fabriquées chez les coopérateurs ou des sous-traitants, puis assemblées dans l’atelier qui jouxte son bureau.
Pour chaque partie d’un meuble, il faut un type particulier de bambou :
● pour les accoudoirs des gros fauteuils, on utilise le luồng qui vient de Thanh Hóa ;
● pour les pieds de chaise, on utilise le hóp đá qui vient de Lào Cai ;
● pour les dossiers de chaise, on utilise le trúc (vide à l’intérieur) qui vient de Cao Bằng, ou un bambou de meilleure qualité, le tầm vông qui vient de Tây Ninh.
Le gros de l’activité s’effectue dans le cœur du village, aux abords des étangs. Le long de la rue principale, vous pourrez visiter des ateliers qui s’adonnent à la gravure sur bambou. Ils font des tableaux inspirés de l’imagerie populaire, des paysages, des lettres chinoises. Les artisans, principalement des femmes, découpent des bambous brûlés en lamelles, les assemblent, puis gravent avec une pointe un dessin dont ils évideront les contours. Ces ateliers vendent aux clients de passage certaines de leurs « œuvres » pour une bouchée de pain.
Arrivés à la première véritable intersection, tournez à gauche. Passez devant une école, où lors de notre incursion, une cartouche de bombe datant de la guerre d’Indochine était accrochée à l’arbre protecteur du lieu (elle sert sans doute de cloche) ! et vous déboucherez sur le plus grand bassin du village où des centaines de grandes tiges en bambou trempent. C’est un très bel espace avec en perspective de véritables « châteaux » de bambou en train de sécher. En furetant entre le dédale des impasses et des plans d’eau vous verrez :
● Les longueurs de bambou partout, à tous les stades de leur transformation : dans les étangs, le long des ruelles, par terre, dans les cours, dans les maisons…
● Les fours utilisés pour produire la belle finition « brûlée ». Ils sont faits d’argile et de paille, et l’on utilise uniquement de la paille comme combustible. Vous avez longtemps cru qu’il n’y a pas de fumée sans feu ; eh bien, c’est faux, et les fours de Xuân Lai sont là pour vous prouver le contraire… Une fois la paille allumée, les bambous sont laissés scellés dans le four – pendant plusieurs jours si on cherche à procurer des bambous d’un noir luisant – et miracle, à la sortie, ils ont pris de beaux teints sombres et lisses.
Au nord de ce lac, sur votre gauche, se trouve un très beau nhà thờ họ appartenant à la famille Nguyễn Ðịnh. Un pavillon sert d’espace de repos. Lors d’un de nos passages, en pleine récolte du riz, ce lieu servait d’aire de séchage aux habitants et était ouvert. Si vous voulez le visiter, il est possible de demander la clef au chef du lignage, M. Nguyễn Đình Hậu qui habite à côté. À l’intérieur, une stèle raconte l’histoire de Nguyễn Quận Công, mandarin de l’époque féodale. En sortant de ce lieu, vous verrez sur la droite, au bord de l’étang, un petit temple destiné au culte du génie des eaux.
Revenez sur vos pas, jusqu’à la rue de l’école et tournez à gauche, puis tout de suite à droite. Un autre petit miếu, construit sur un mini-plan d’eau, avec un espace de repos, est accessible par un petit pont. Là encore, activité artisanale et rituel religieux sont intimement mêlés : le plan d’eau est envahi de bambous qui trempent. Mais pour que les bambous restent au fond de l’eau, on y met dessus des sacs de sable, qui, il faut l’avouer, entachent sérieusement l’esthétisme du lieu, mais servent d’espace de jeux aux enfants !
Pour aller visiter l’autre coopérative, celle de M. Lê Vãn Xuyên, retournez à la rue principale, en passant devant l’école… et les souvenirs de guerre ! et tournez à gauche. Là encore vous verrez des magasins-ateliers spécialisés dans la fabrication-vente de tableaux en bambou. Au premier croisement, sur la gauche, se trouvent le đình et la pagode du village. Ce đình de petite taille rappelle la modestie de la richesse des villageois : le bambou rapporte peu.
Tournez à gauche et après quelques dizaines de mètres, vous verrez sur la droite une enseigne indiquant le chemin de la coopérative de M. Lê Vãn Xuyên.
Cet artisan a réussi dans un même espace à associer efficacité et esthétisme : il a conservé sa maison traditionnelle, rénovée avec goût, et construit dans le fond de sa cour et sur un étang remblayé un grand atelier. Sa maison très fraîche est transformée en petit musée de meubles « made in Xuân Lai ». Un très beau bàn thờ en bois laqué et doré, entouré de sentences parallèles en bambou brûlé, est un bel exemple de l’alliance très esthétique entre le bambou (peu cher et à profusion au Vietnam) et le bois, cette matière en voie de disparition. Dans ce salon, des objets au design moderne côtoient harmonieusement des meubles à facture plus traditionnelle. Le bambou offre une grande palette de possibilités, à la fois sur le plan technique, esthétique et utilitaire. Dans la cour, des bonsaïs et des sculptures donnent envie de rester dans ce lieu. Vous aurez, on l’espère, l’occasion de visiter son atelier où un capharnaüm de chaises et meubles de toutes tailles en pièces détachées est amoncelé. Derrière, trois bassins ont été construits pour traiter les bambous : 15 jours d’immersion dans de l’eau avec des produits chimiques suffisent pour les traiter contre six mois dans les grands bassins du village. Chaque système a ses avantages et ses inconvénients selon que l’artisan a du temps et de l’espace pour faire sécher les bambous ou qu’il recherche des matières de qualité.
L’histoire particulière de M. Xuyên, jeune entrepreneur quadragénaire, rappelle l’extrême dynamisme et l’esprit d’entreprise de ces artisans villageois qui ont su profiter de l’ouverture des marchés et des politiques incitatives du gouvernement. Car pour passer de la production locale d’échelles et de perches en bambou à une coopérative de production de meubles d’envergure nationale capable d’exporter, il faut de l’imagination, des réseaux et un sacré sang-froid, notamment dans un tel village, enclavé à plus de 60 km de Hà Nội !
Retournez sur vos pas, jusqu’au đình, et tournez encore à gauche vers la sortie sud du village. Sur votre droite vous verrez un grand puits devant la maison de la culture du village. Arrivés au bout de la rue, tournez à droite et, au bout d’un kilomètre, vous retrouverez le carrefour avec ses deux bornes que vous avez croisées à l’aller. Tournez à gauche pour rejoindre la route du district.
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