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Préface

p. 11


Texte intégral

1Il y a une dizaine d’années, je m’étais arrêté un moment au bord d’une route de Bắc Ninh avec le propriétaire d’un petit atelier de fonderie et nous avions discuté de l’histoire récente de l’artisanat de son village. En pleine narration, il s’arrêta soudainement, se tourna vers moi et me dit : « Je ne suis pas un Annamite ! ». Son profond accent de Bắc Ninh me déconcerta un moment, et je lui demandai ce que A La Mit signifiait. « Annamite » corrigea-t-il, « Illettré, stupide ».

2Cette phrase me frappa plus que toutes les autres remarques que j’ai entendues durant mon année passée à Bắc Ninh. Mes amis du village de Ða Hội, comme ceux de la plupart des autres villages de métier que j’ai visités, n’étaient pas en train d’attendre passivement que le développement arrive à eux ; ils ont saisi les opportunités qui se sont présentées et ont commencé à adapter leur type de production au marché bien avant que les réformes pour la liberté d’entreprendre ne confirment leurs droits. Avant que l’Investissement Direct Étranger n’entre en scène, ces villages approvisionnaient le marché vietnamien en produits divers : agro-alimentaire, alcool, vêtements, matériaux de construction, pièces détachées pour bicyclettes, vanneries, cigarettes, balais, céramiques, et beaucoup d’autres articles pour la vie quotidienne, parfois sous contrats pour des entreprises d’État.

3Malgré ceci, aussi bien mes amis artisans de ce village que leurs collègues d’autres villages continuaient de se battre contre l’image traditionnelle collée à leur métier, aux techniques dites arriérées, grandes consommatrices de main-d’œuvre et aux faibles revenus. En un mot « Anamite », dit en langage familier. C’est sûr que de nombreux villages artisanaux traditionnels du delta du fleuve Rouge représentaient tout cela, et nombreux sont ceux qui maintenant ont perdu leur activité. Mais pour chaque village de métier qui a disparu pendant la dernière décade, un autre a changé son mode de production et l’a adapté au nouveau marché, et même d’autres, qui autrefois ne s’adonnaient qu’à l’agriculture, sont devenus des villages de métier de leur propre gré, produisant une large variété d’articles, même des billes en plastique ou des attaché-cases, non considérés comme étant traditionnels.

4Comme vous le verrez dans ce livre, les villages de métier ont créé un pont entre le passé et le futur et sont devenus un emblème de l’artisanat traditionnel et en même temps une force dynamique du développement économique. Ils peuvent être les deux à la fois, car par essence, ils sont un mélange de savoir-faire, de connaissances et de réseaux de relations qui sont nés de la fusion d’un village et de son métier et ils procurent, au moins, une source de revenus pour compléter l’agriculture, et au mieux, une source de richesses qui améliore le niveau de vie et permet d’investir.

5Malgré le rôle que jouent ces villages, les théories et les pratiques du développement les ont largement occultés. Alors que les raisons en sont complexes, deux facteurs semblent se dégager. Le Vietnam est entré dans une phase de développement séduite par la vision de grandes entreprises de productions de masse, employant des milliers d’ouvriers libérés des corvées de l’agriculture. Et tout comme les autres, il s’est aussi engagé dans cette nouvelle ère avec des préjugés concernant l’analyse de l’entreprise individuelle. Parce que les entreprises individuelles des villages de métier sont en général de type familial et de petite taille, nombreux sont ceux qui ont été aveuglés par ces deux présupposés et n’ont pas réalisé la nature du processus d’agglomération d’entreprises dans ces villages ou ces groupes de villages. Ces regroupements d’entreprises créent des économies d’échelles qui entrent en concurrence avec les grandes firmes et permettent aux villages de produire des articles qui sont compétitifs sur le marché. Cependant, ce n’est pas la Chine avec ses larges firmes au niveau communal. C’est l’Italie, où des agglomérations de petites manufactures au niveau villageois ou de villes dans les districts industriels sont devenues l’armature du développement économique depuis un demi-siècle.

6Donc, prenez ce livre dans une main, suivez les itinéraires, parlez avec les artisans et les commerçants, achetez-leur quelque chose à ramener chez vous, créez des relations de partenariat commercial, et imaginez que vous êtes en train d’assister à la longue période de la révolution industrielle en un cours laps de temps. Vous ne serez pas déçus.

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