Opérationnalité du concept de ville durable dans les Mascareignes : application aux villes de l’Est réunionnais
Operability of the concept of sustainable city in the Mascarene islands: application to Eastern Reunion island cities
p. 473-488
Résumés
Le développement durable ne peut être uniquement l’enjeu de grands principes internationaux, il doit se traduire localement dans les politiques d’aménagement et de construction de la ville. Comment réconcilier la jeunesse de l’héritage urbain des villes de l’Est réunionnais avec les nouvelles exigences environnementales? La gestion durable de la ville peut, dans ce contexte, être un outil de préservation des équilibres qu’ils soient économiques, écologiques, sociaux ou territoriaux. La question centrale reste donc celle des engagements et stratégies à mettre en œuvre dans cette perspective.
Sustainable development cannot be only the stake in great international principles, it must be translated locally in policies of country planning and urban development. How to reconcile the youth of the urban inheritance of Eastern Reunion cities with new environmental requirements? The sustainable management of the city can, in this context, preserve economic, ecological, social or territorial balances. The main issue remains the commitments and the strategies to implement in this perspective.
Entrées d’index
Mots-clés : urbanisation, développement durable, aménagement, enjeux territoriaux
Keywords : urbanization, sustainable development, country planning, territorial stakes
Texte intégral
Introduction
1Accueillant désormais plus de la moitié de la population de la planète, le monde urbain se place au cœur des interrogations écologiques, des réflexions et des manifestations récentes. Le Symposium international sur la ville durable de septembre 2009 et le colloque européen « Bâtir la ville durable de demain » de juin 2009 ont exposé des expériences et des initiatives qui mettent l’avenir des villes en conformité avec les enjeux du développement durable. Les espaces urbains insulaires, de par leur évolution synchronique, sont directement concernés par la problématique de la durabilité, étant donné qu’ils subissent bien souvent le processus d’étalement, consommant le foncier et générant une hypermobilité. Comment intégrer aux dynamiques urbaines les préoccupations sociales, économiques et environnementales devenues pressantes pour ces espaces ?
2Le terme « ville durable », parfois substitué à « éco-ville » ou « éco-quartier », ne s’appréhende pas de manière consensuelle et trouve autant d’implémentations qu’il existe d’espaces urbains. Quel sens peut-on donner au concept de ville durable face à la réalité urbaine de l’Est réunionnais ? Quelles sont les conditions de réalisation de projets urbains durables pour ces villes ?
3Cet ensemble d’interrogations nous amènera à définir, dans un premier temps, le cadre décisionnel et le contexte multi-acteurs de la ville durable afin de comprendre comment la pensée globale peut s’appliquer à l’action locale. Dans un deuxième temps, nous présenterons les stratégies déployées dans les villes de l’Est pour répondre aux objectifs de durabilité. Nous verrons, enfin, la nécessité d’une gouvernance participative dans l’élaboration de projets de développement durable, particulièrement à l’échelon local.
De l’idée globale à la pratique locale : la durabilité confrontée à la réalité des espaces urbains de l’Est réunionnais
4La complexité du développement durable se lit dans l’association d’une dimension temporelle à une dimension dynamique créant ainsi un équilibre propre à chaque échelle territoriale. La mise en perspective de la situation locale dans la micro-région Est nécessite une adaptation des définitions de la ville durable dans le cadre insulaire.
5La ville durable doit être perçue, en premier lieu, comme une projection dans le temps. Dans l’Est réunionnais, nous faisons face à des espaces urbains qui, compte tenu de leur structuration récente, ne peuvent se servir de leur passé pour édifier des projets durables. Situés au cœur de ce qui peut être considéré comme le poumon vert de l’île et ancrés dans un milieu rural et naturel à protéger, leur horizon d’extension ne peut s’appréhender que par la durabilité.
6Localement, les villes de l’Est proposent une spécificité sociale supplémentaire : elles sont caractérisées à la fois par la jeunesse de leur population et par un taux de chômage parmi les plus élevés de l’île. Elles se doivent donc d’apporter un projet équitable de développement pour répondre aux urgences sociales auxquelles sont confrontés ses jeunes actifs. Le développement durable donne alors leur sens aux notions d’équilibre, d’identité ou de qualité de vie au sein de la ville : « une ville durable est une ville capable de se maintenir dans le temps en gardant une identité et son dynamisme, capable aussi d’offrir une qualité de vie en tous lieux dans une mixité sociale et fonctionnelle, capable de se réapproprier un projet politique, à la recherche d’un équilibre sur le plan écologique et social vis-à-vis du territoire et de la planète » (Emelianoff, 2003).
7Plus qu’à toute autre échelle, la ville durable doit avoir comme principe organisateur la mixité sociale et fonctionnelle, s’attachant ainsi à donner un sens local aux préoccupations et phénomènes globaux. Cela se traduit au niveau insulaire par une volonté de réduction des inégalités écologiques et sociales appelant à un véritable rééquilibrage territorial en faveur de la micro-région Est (Lajoie, 2007). En effet, la création de la zone franche des villes de l’Est s’est accompagnée de nouveaux enjeux économiques alors même que ces villes ne sont que peu concernées par les grands projets d’aménagement de l’île1.
8L’ensemble de ces données spécifiques aux villes de la microrégion Est nous apporte une lecture locale de la ville durable devant, en outre, s’accompagner d’une mise en perspective de ces problématiques au travers des conceptions et réglementations nationales et globales.
9La Conférence de Rio légitime la responsabilité des villes en faisant d’elles les instances les plus aptes à se doter d’une capacité d’action et de gestion durable de leurs territoires. Les interrogations des villes européennes sur la manière d’exprimer les objectifs du développement durable dans leurs politiques locales ont également trouvé un écho en 1994, lors de la Première conférence européenne des villes durables. La charte d’Aalborg confirme cette idée d’une responsabilité des pouvoirs urbains dans l’instauration d’une justice sociale, d’économies durables et d’un environnement viable.
10En France, l’article L. 110 du Code de l’urbanisme place les collectivités publiques comme les garantes et les gestionnaires de ces principes en définissant le territoire français comme un « patrimoine commun de la nation ». En 1999, la loi n° 99-533 dite « loi Voynet » incorpore le principe de développement durable à la politique d’aménagement du territoire. En 2000, la loi n° 2000-1208 relative à la Solidarité et au renouvellement urbain (loi SRU) consacre son intégration au sein du droit de l’occupation du sol, en l’inscrivant parmi les objectifs réglementaires jusque-là fondés sur la Loi d’orientation foncière (LOF). Par conséquent, le Code de l’urbanisme incite à reconsidérer le développement de la ville et à promouvoir cadre de vie, équilibre et rationalisation des espaces. Ces règles, bien que généralistes, prônent une gestion harmonieuse du territoire et sont traduites dans chaque document d’urbanisme, outil institutionnel du développement urbain (fig. 1).
11Localement, la mise en œuvre des grandes conventions et directives du développement durable se positionne dans un contexte multi-acteurs où instances décisionnelles départementales et régionales doivent agir en synergie selon les orientations du Schéma d’aménagement régional (SAR).
12À l’échelle du territoire communal, le Plan local d’urbanisme (PLU) doit permettre selon l’article L-121-1 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 d’assurer une utilisation et une maîtrise équilibrée des espaces naturels urbains, périurbains et ruraux. Il comporte, en outre, un outil de gestion à moyen terme, le Projet d’aménagement et de développement durable (PADD), qui fournit des orientations durables au développement urbain.
13Ce rappel non exhaustif de la hiérarchie des normes et des liens de compatibilité précise le cadre de cohérence opérationnelle aux actions menant à la durabilité. Cependant, il faut garder à l’esprit que « la ville durable est un projet, un horizon... (elle) initie une ou plusieurs dynamiques de développement durable » (Emelianoff, 2003). Cette ville durable serait une « utopie réalisable » (Choay, 1965), que nous pouvons définir, en partie, comme une construction collective au futur perpétuel, mais aussi adaptable à l’ensemble des espaces urbains et des spécificités locales.
14Nous pouvons ainsi caractériser la ville durable comme répondant aux besoins du présent en intégrant à son projet la participation démocratique et une certaine rationalité écologique, tout en préservant son habitabilité. À l’échelle micro-régionale, nous devons par ailleurs souligner l’importance d’une adaptation des modèles exogènes de constructions durables au mode d’habiter local2.
15Dans les politiques des deux agglomérations canalisant la croissance urbaine de la micro-région Est, Saint-André et Saint-Benoît, la volonté d’édification de la ville durable se focalise davantage, dans les textes, sur les volets social et solidaire. Les élus ambitionnent soit de faire de leur territoire urbain la ville du développement durable, soit de renforcer leur engagement en direction des générations futures, en plaçant la mobilisation au cœur des quartiers. Cette conception de la ville durable, privilégiant la sphère sociale, se traduit par des expérimentations propres visant à l’élaboration d’un modèle de développement urbain pour la zone Est.
Stratégies et expérimentations locales des principes du développement durable dans la micro-région Est
16Grâce à sa population jeune et tournée vers l’avenir, la Réunion se présente comme un espace adapté à l’expérimentation et à la modélisation. La structuration récente et l’exiguïté des espaces urbains, supports du développement du territoire insulaire, induisent toutefois une contrainte à l’adaptation des modèles européens de développement durable. L’île se situe cependant en tête du classement européen dans le domaine des énergies renouvelables, malgré un certain retard dans l’application de stratégies de développement durable. Les grands axes prioritaires sont en la matière : la valorisation des énergies renouvelables, la gestion des déchets, celle de l’eau, la mise en place de transports éco-responsables et enfin l’aménagement durable de l’espace. Ces axes se déclinent à la micro-région Est qui dispose d’un sérieux potentiel en énergies renouvelables (eau, biomasse, vent et soleil) mais qui doit encore valider et poursuivre ses expérimentations pour exploiter ces atouts.
17La démarche de la micro-région s’inscrit dans les grandes orientations nationales ; les principes du Sommet mondial pour le développement durable (SMDD), ceux du Grenelle, ainsi que les programmes locaux tels que Gerri Réunion 20303, sont appliqués au niveau communal en impliquant tous les acteurs, administrations, collectivités, entreprises et particuliers. Faisant déjà figure de précurseur sur l’île dans les domaines de l’hydroélectricité, de la valorisation de la bagasse, des fermes éoliennes et solaires, la Cirest4 a œuvré dès 2009 pour l’élaboration de son plan climat territorial5. Ce plan- financé à 70 % par le Fonds européen de développement régional, la Région, l’Ademe et à 30 % par la Cirest- a pour but de déterminer les potentialités du territoire et les actions à mener pour atteindre l’autonomie énergétique de la micro-région. Le territoire intercommunal de l’Est est le théâtre de nombreux projets ambitionnant l’indépendance énergétique : fermes solaires et éoliennes de Sainte-Rose, centrales hydroélectriques de Takamaka et de la Rivière de l’Est, batterie de stockage de Saint-André et usine thermique charbon-bagasse de Bois-Rouge, Centre de stockage des déchets ultimes de Sainte-Suzanne6. Ce cumul de ressources, dans la micro-région, autant que la mise en œuvre diversifiée des potentialités par des projets durables constituent l’une des spécificités de ce petit territoire.
18La question de la gestion des déchets reste problématique dans l’Est : le tri sélectif n’a véritablement vu le jour chez le particulier qu’en 2010 avec la distribution de 38 000 bacs jaunes aux foyers du territoire Est. Parallèlement, le taux de recyclage des déchets à la Réunion (de l’ordre de 15 %) progresse, avec pour objectif d’atteindre, en 2015, 200kg de déchets produits par habitant et par an, contre 290 aujourd’hui. Le constat reste néanmoins alarmant sur l’ensemble de l’île et sur l’Est en particulier, où l’on s’efforce d’y remédier. Ainsi, la Cirest a mis gratuitement à disposition de ses habitants des bio-composteurs d’une capacité de 350 ou 750 litres (selon la superficie des jardins) permettant ainsi de diminuer et valoriser les déchets ménagers. Par ailleurs, la mise en place des bacs de tri sélectif s’accompagne d’une éducation au tri avec les outils de communication du service Environnement : calendriers de collecte, guides des déchets, affiches, journal intercommunal dédié à l’environnement et au développement durable. Enfin, les opérations de sensibilisation sur le terrain font l’objet d’événements ponctuels tels que « Berges propres 2009 », sur le site de Bassin-Bleu à Sainte-Anne (Saint-Benoît) et sont menées en parallèle tout au long de l’année sur les berges et dans les forêts de l’Est.
19La gestion de l’eau, abondante et de bonne qualité dans l’Est, demeure en outre problématique, en raison des pertes et gaspillages existants dans le rendement primaire des réseaux. Afin d’assurer la protection des milieux aquatiques remarquables, la prévention des risques naturels et la protection des zones habitées, la Cirest porte et finance l’étude d’un Schéma d’aménagement et de gestion de l’eau. Son diagnostic permettra, après concertation des acteurs et des usagers de l’eau, d’envisager des actions qui permettront de répondre à ces objectifs. Certaines mesures théoriquement réalisables se heurtent à la question du financement ou du cadre juridique ; par exemple, la récupération des eaux de pluie, coûteuses à potabiliser, ne satisfait pas les normes imposées par la Drass7.
20Afin de diminuer le trafic automobile et d’augmenter l’usage des modes alternatifs de transports, les élus de la Cirest ont initié, par ailleurs, l’élaboration d’un Plan de déplacements urbains (PDU). Ce document d’orientation et de planification des déplacements sur le territoire de la Cirest, issu d’une réflexion collaborative8, a pour ambition de développer l’offre en transport en commun, de promouvoir les véhicules peu polluants, d’inciter au covoiturage et de préserver la qualité de vie en réduisant les nuisances liées aux déplacements.
21La volonté de créer des espaces urbains durables s’inscrit progressivement dans les projets communaux et doit trouver un écho à l’échelle de l’intercommunalité. Les villes de Saint-André et de Saint-Benoît ont dès lors un rôle à jouer afin d’impulser des dynamiques durables, la première en soutenant le développement de Salazie tout en offrant une alternative à l’attractivité du Nord et la seconde en dynamisant le développement de la Plaine-des-Palmistes, Sainte-Rose et Bras-Panon.
22En matière de stratégie durable, Saint-Benoît peut devenir une pièce maîtresse du développement de l’Est, en s’appuyant plus particulièrement sur son potentiel diversifié en énergie d’origine renouvelable (éolien, solaire, photovoltaïque, hydraulique). La commune de Saint-André a, également, opté depuis 2009 pour une stratégie énergétique basée sur la maîtrise de l’énergie (MDE) avec des projets tels que « Alon Versa » (Alon Valoriser les énergies renouvelables). Afin d’exploiter le patrimoine solaire des bâtiments communaux, un recensement et une étude de faisabilité ont ainsi été effectués : une centaine de bâtiments ont été enregistrés, soit environ 75 000 m2 de surfaces potentiellement exploitables en tant que réceptacles d’une énergie propre et durable. La commune a, par ailleurs, entamé depuis 2003 de nouvelles constructions à haute qualité environnementale telles que le lycée Mahatma Gandhi. À Saint-Benoît, l’expérimentation des technologies à diodes électro-luminescentes (DEL/LED) a débuté par une opération pilote en interne : en remplaçant les ampoules de la salle du conseil municipal par des LED de 4e génération, la consommation d’énergie a été divisée par sept, tout en maintenant le confort visuel pour les élus. Ce projet devrait s’étendre à l’éclairage public et bénéficie de l’appui du service de développement durable de la commune qui, par des projets expérimentaux et particulièrement démonstratifs, a vocation à impulser des dynamiques à l’échelle communale, voire intercommunale.
23La problématique de la gestion des déchets trouve quelques réponses dans le déploiement du tri sélectif, la rationalisation de la consommation et l’encouragement des éco-gestes. Sur la ville de Saint-Benoît, cette stratégie se focalise pour le moment sur les services internes (mise en place de corbeilles à papier, à bouchons dans les services communaux, l’Office du tourisme, les cases et de la gestion électronique des documents, recyclage des cartouches d’encre) et s’accompagne de mesures de sensibilisation des administrés. Dans cette même optique et afin de réduire les dépôts sauvages encore trop nombreux sur la commune, Saint-André a inauguré en août 2008 sa première déchetterie, outil indispensable à une gestion active des déchets urbains. La prochaine étape primordiale pour ces villes serait de concentrer leurs efforts sur la propreté des sites naturels, des ravines et rivières nombreuses dans cette région de l’île.
24Le Plan de déplacement urbain est le fondement de la gestion du transport au niveau des villes et doit intégrer des mesures durables dans ce domaine. La commune de Saint-Benoît, ne disposant pas encore de ligne budgétaire pour remplacer ses véhicules communaux, a opté pour une démarche de sensibilisation et de responsabilisation face à sa propre empreinte écologique (publication d’un guide d’éco-conduite, formation des agents à une conduite souple, acquisition de vélos pour la police municipale). Sur le long terme, le désengorgement des principaux centres et la réorganisation des transports urbains restent à ce jour une question non résolue.
25La stratégie de l’étalement urbain ne pouvant constituer une solution durable, la municipalité bénédictine en poste amorce de nouvelles dynamiques de développement durable, sans lui en donner l’exclusivité. L’endiguement de la rivière des Marsouins, ou encore la réorganisation de la trame viaire, permettront une urbanisation maîtrisée et une extension raisonnée de Saint-Benoît. En outre, dans le cadre de l’Approche environnementale sur l’urbanisme (AEU), les villes de l’Est étendront leurs expérimentations dans une généralisation des « Bepos » (bâtiment à énergie positive), à l’instar du lycée à énergie positive de Sainte-Anne qui initie l’installation de puits de lumière pour l’éclairage naturel. Les quartiers de la micro-région Est se veulent des sites démonstratifs en matière d’environnement et de développement durable, car les projets qui y fleurissent figurent dans le calendrier des grands documents de programmation financière que sont le Contrat de projet État Région (CPER) et les Programmes opérationnels européens (POE).
26Ces quartiers s’édifient au moyen de l’outil ZAC9 qui permet de réaliser des équipements et des infrastructures fonctionnels en liaison avec le reste de la ville. La micro-région Est héberge neuf zones d’aménagement, soit le quart des opérations de l’île, en introduisant désormais des éléments constitutifs de la ville durable. Celles de Saint-Benoît (ZAC Isis, accueillant le Conservatoire national de Région, ZAC Madeleine, le Pôle sanitaire de l’Est) contribuent à construire une ville plus humaine, tout en incitant à une meilleure qualité urbaine (bâtiments respectant la réglementation thermique DOM et les réglementations acoustiques, isolation et chauffe-eau solaires). Sur le territoire de la Cirest, on peut recenser différents types de ZAC10 selon leur rôle dans la construction ou l’extension de la ville. On distingue ainsi des ZAC « d’extension urbaine pure » en continuité du tissu urbain telles que la ZAC Madeleine à Saint-Benoît (30 ha), la ZAC Carreau Jardin à Bras-Panon (13 ha) ou encore la ZAC Centre-ville à Sainte-Rose (10 ha). Il existe aussi des ZAC en « remplissage de vide » en continuité du tissu urbain comme la ZAC Cressonnière à Saint-André (12 ha, associés à des opérations de résorption de l’insalubrité), la ZAC Porte des Salazes à Saint-André (10 ha). Enfin, il y a la ZAC d’entrée de ville telle que celle de Sainte-Anne (Saint-Benoît).
27Ces opérations au niveau des quartiers émergents prouvent la difficulté à durabiliser l’existant.
28D’autres outils locaux opérationnels sont mis en place par les communes en collaboration avec la Cirest et l’Agence régionale de l’énergie Réunion (Arer11) : c’est le cas des villages solaires. L’opération « village solaire » concerne les quartiers de Bois-Blanc (Sainte-Rose), Cambourg (Saint-Benoît), Rivière du Mât (Bras-Panon) et Bras des Chevrettes (Saint-André) et sera étendue début 2011 au deuxième village de La Plaine-des-Palmistes (Bras-des-Calumets) et à Salazie (village de Mare à Vieille Place), ces villages, situés en bout de réseau, souffrent de problèmes d’alimentation électrique. Après une phase d’étude des potentialités (analyse fine des habitudes de consommation de la population, des revenus, enquêtes sociales, photos aériennes, réunion d’information dans les quartiers rassemblant conseillers de l’Arer et de la commune), la phase opérationnelle avec un cofinancement Cirest-mairie concernera l’amélioration de l’habitat que ce soit en termes d’efficacité thermique des constructions ou d’équipements solaires12. L’objectif, à terme, est d’assurer l’autonomie énergétique de ces villages. La Réunion ambitionne l’indépendance énergétique à l’horizon 2025-2030, car 70 % des constructions de l’île peuvent déjà être équipées en solaire.
La démocratie participative : pilier d’une gouvernance urbaine locale ?
29L’aspect globalisant de toute démarche de développement durable contribue au renouvellement de la démocratie, au travers d’un discours unifié qui reflète les différentes dimensions d’une culture urbaine spécifique. La conception de la ville durable mise en avant dans l’Est réunionnais associe les principes du rapport Bruntland à ceux du ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer (Meeddem), qui s’appuient sur les volets social, économique, environnemental de toute démarche durable. Les nouvelles possibilités de participation des citoyens dans les processus décisionnels font, depuis quelques années, l’objet de modèles et d’expérimentations en Europe du Nord, en associant l’idée d’écologie urbaine à la participation locale. Les travaux menés par V Yli-Pelkonen et J. Kohl (2005) introduisent, par exemple, la question d’une participation locale au processus décisionnel de planification urbaine durable, les prises de décisions s’appuyant sur une base d’informations scientifiques couplée aux connaissances issues de cultures locales et traditionnelles.
30La démarche participative s’avère d’autant plus nécessaire que la question environnementale est, in fine, indissociable de celle de la justice sociale (Dobson, 2003). Une telle position nous amène à repenser l’articulation des processus de gouvernance. Ainsi, toute décision se conçoit en concertation avec trois pôles : l’État et les instances qui y sont rattachées, le marché et les entreprises, et la société civile locale (fig. 2).
31Les municipalités de l’Est ont inscrit ces principes dans les stratégies et politiques communales. Le service Développement durable de la municipalité bénédictine encourage ainsi la contribution citoyenne. La démarche participative, au demeurant complexe, exige une véritable rigueur dans sa mise en œuvre, par le biais d’une consultation régulière de comités de quartiers dont les revendications dépassent souvent le cadre du développement.
32La démocratie participative, en impliquant l’interaction de deux sphères, politico-administrative et celle de la société civile, impose une certaine transparence de la vie politique locale, mais pose de redoutables problèmes de diffusion et de circulation de l’information. La volonté et le soutien inconditionnel des élus sont indispensables au succès de cette démarche afin qu’elle s’enrichisse des contributions des administrés.
33Intégrer les aspects sociaux et solidaires du développement durable nécessite la médiation d’un échelon intermédiaire ancré sur le terrain, celui des associations, qui possèdent un réel savoir-faire dont ne disposent pas d’autres institutions. Le volet associatif s’oriente surtout vers une collaboration avec les cases (maisons de quartier), qui servent de relais pour la population. Ainsi, l’association Moman papa lé la a initié un projet novateur de lombriliculture dans lequel s’est impliquée la municipalité saint-andréenne. Ce projet est à la fois durable environnementalement et socialement, en mettant en place des contrats aidés et prévoyant la redistribution des produits issus de ce maraîchage « vert » aux foyers les plus modestes et aux personnes âgées.
34Autre exemple de ces partenariats, l’association Handi-Bouchon Réunion, récupère des bouchons à la tonne (en mairie, dans les services communaux et les établissements scolaires bénédictins) afin qu’ils soient rachetés et recyclés par l’usine Cycléa du Port. Les fonds récoltés permettent à cette association d’investir dans du matériel handisport adapté, tels que des ballons sonores. Cette action ponctuelle est désormais pérennisée lors de la Semaine du développement durable.
35La prise de décision en matière d’environnement et de développement durable induit une évolution vers de nouvelles formes de gouvernance dont l’un des ingrédients essentiels est la participation accrue de tous les acteurs aux processus décisionnels. L’apprentissage des pratiques durables par les nouvelles générations s’étend avec la multiplication des interventions dans les écoles et l’instauration d’outils pédagogiques et ludiques autour du développement durable (apprentissage des éco-gestes, travail sur le thème de l’eau dans les écoles primaires de Saint-André).
36Bien que ces opérations de sensibilisation et de mobilisation citoyenne soient ponctuelles, elles participent à une prise de conscience éco-citoyenne et durable. La démarche participative pourra se manifester par des consultations citoyennes sous forme d’appel à projets, ou bien par une plus grande implication des jeunes dans les projets de développement durable des communes (création d’un conseil des jeunes éco-citoyens). Cette logique partagée du développement durable pourrait enfin engager les entreprises par l’introduction de contraintes écologiques, environnementales et sociales dans les appels d’offres de la commune et les cahiers des charges des grands chantiers d’aménagement du territoire.
Conclusion
37Appliqués aux espaces urbains de l’Est réunionnais, les principes du développement durable se traduisent par une approche pragmatique de la ville durable. Les stratégies urbaines, se conformant à un cadre réglementaire et se dotant d’outils institutionnels, s’enrichissent des retours d’expériences validées par leur efficacité sur le terrain.
38La ville durable se construit par l’impératif de l’économiquement viable, elle se projette par une prise de responsabilité environnementale, mais surtout, elle se vit dans l’équité sociale. Cette logique partagée place la population au centre des processus d’élaboration de projets urbains durables, car les disparités sociétales se répercuteront immanquablement sur l’équilibre des relations de la ville avec son environnement naturel et humain. L’encouragement à l’éco-citoyenneté et à la concertation sont les leviers de l’adhésion collective à la création, partenariale et participative, d’un avenir souhaité.
39Cette vision commune de la ville de demain dessine le contour d’une nouvelle gouvernance à géométrie variable, basée sur le décloisonnement des stratégies de renouvellement urbain et une rénovation de la démocratie à l’échelon local.
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Notes de bas de page
1 La micro-région Ouest a bénéficié de l’aménagement de la route des Tamarins, celle du Sud de l’aménagement de l’aéroport de Pierrefonds, et aucun projet de grande envergure ne touche la micro-région Est.
2 Le mode d’habiter réunionnais participe, en un sens, à la construction de territoires vécus et appropriés. Le fait de posséder sa « kaz » et son « lanplasman » (la maison et son terrain) marque un lieu d’enracinement dans le construit.
3 Ce Programme consiste à faire de la Réunion, sous 30 ans, un espace d’expérimentation intégré sur les énergies appliquées aux transports, à la production, au stockage et aux usages innovants, à l’habitat haute qualité environnementale/haute performance energétique et au tourisme.
4 Communauté intercommunale Réunion Est.
5 Depuis 2011, la Cirest se fait accompagner d’un bureau d’étude pour la rédaction du « livre blanc », le diagnostic Climat de son territoire, ainsi que pour la concertation des acteurs dans l’élaboration du plan d’actions.
6 Station de production d’électricité à partir de biogaz et d’électricité solaire photovoltaïque.
7 Direction régionale des affaires sanitaires et sociales.
8 Ce PDU est le résultat d’une réflexion menée par différents partenaires : les élus des six communes membres, la Régie des transports de l’Est, la DDE, l’Agorah, le Conseil général, le Conseil régional, les associations d’usagers, l’Observatoire réunionnais de l’air...
9 ZAC : Zone d’aménagement concerté.
10 Classification Agorah, septembre 2007.
11 Le Schéma directeur Arer 2007-2013, validé en assemblée générale le 30-11 -2006, propose de développer la filière Village et Quartiers Durables.
12 Le tiers du prix d’un chauffe-eau solaire étant pris en charge par ce cofinancement.
Notes de fin
Auteurs
stephanieleperlier@gmail.com
Doctorante, université de la Réunion, Cregur
rivierelaurence974@gmail.com
Doctorante, université de la Réunion, Cregur
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Géopolitique et environnement
Les leçons de l’expérience malgache
Hervé Rakoto Ramiarantsoa, Chantal Blanc-Pamard et Florence Pinton (dir.)
2012
Sociétés, environnements, santé
Nicole Vernazza-Licht, Marc-Éric Gruénais et Daniel Bley (dir.)
2010
La mondialisation côté Sud
Acteurs et territoires
Jérôme Lombard, Evelyne Mesclier et Sébastien Velut (dir.)
2006