Développement durable et ruralité en Nouvelle-Calédonie
Quelle articulation du local et du global dans les politiques publiques ?
Sustainable rural development in New Caledonia. What articulation of local and global in public policies?
p. 409-432
Résumés
À travers les politiques de développement rural en Nouvelle-Calédonie, il s’agit d’explorer les enjeux qui sous-tendent la construction de politiques de « développement durable » confrontées aux caractéristiques et dynamiques d’une petite économie insulaire doublement rentière (rente administrative et minière).
Quels ont été les mécanismes d’intégration du développement durable et quels sont ses impacts sur les politiques et les dynamiques locales ? Quel est le degré d’intégration de l’insularité dans la réflexion sur le développement en général et durable en particulier ?
L’analyse de l’émergence du développement durable montre la faible réponse aux injonctions internationales des années 1990. Cette situation démontre la force des préoccupations locales dans la construction des politiques et le poids et la permanence d’un modèle d’économie assistée choisi à la fin des années 1960. La toile de fond politique limite en grande partie les interrogations ou les remises en cause que pourrait porter le concept de développement durable par rapport à l’économie rentière du pays. La prégnance du politique explique également que le thème de l’insularité est absent (ou presque) tant du discours politique que de la rhétorique autour du développement durable.
Through the rural development policies in New Caledonia, this paper explores issues underlying the construction of sustainable development policies facing the characteristics and dynamics of a small island economy with a double rent-seeking dependence, i.e. on nickel and on the financial transfers from France. What were the mechanisms of integration of “sustainable development” and what are its impacts on policies and local dynamics? What is the degree of integration of insularity in thinking about development in general and sustainable development in particular? The analysis of the emergence of sustainable development shows the weak international response to the injunctions of the 1990s. This demonstrates the strength of local concerns in the construction of policies and the weight and permanence of an economic model. The political backdrop largely restricted queries or challenges that could bring the concept of sustainable development. This also explains that the theme of insularity is absent (or almost) in the political rhetoric about sustainable development.
Entrées d’index
Mots-clés : développement durable, ruralité, développement rural, Nouvelle-Calédonie, politiques publiques
Keywords : sustainable development, agrarian politics, New Caledonia, public policies
Texte intégral
Introduction
1Force est de constater, plus de vingt ans après le rapport Bruntland, que le développement durable demeure plus adopté dans les discours et diverses rhétoriques que dans la partie stratégique et opérationnelle des politiques publiques, quels que soient leurs habillages discursifs (Propocid 20081). À cela rien d’étonnant car la contradiction inhérente à un développement qui se veut durable induit un changement de paradigme, un saut qualitatif majeur, opposé aux intérêts et référentiels dominants (Figuière, 2006). De manière plus pragmatique, la réorganisation radicale des administrations et de leurs fonctionnements, que le développement durable rend incontournable, se heurte à des schémas d’intervention, des inerties mais aussi des difficultés pratiques qui, là encore, expliquent une intégration au mieux partielle, voire purement incantatoire. En effet, les politiques publiques ont souvent intégré le concept comme un slogan, tout en impulsant une montée en puissance des politiques environnementales ou en verdissant (greenwashing) des politiques économiques et sociales (Aubertin et Vivien, 2006).
2Sous l’apparente unanimité que suscite le développement durable sur les différentes scènes internationales et nationales, ses interprétations divergentes et parfois opposées, son exégèse par différents glossateurs, démontrent que le concept est loin d’être stabilisé. Ces ambiguïtés permettent à de nombreux programmes et dispositifs de s’en revendiquer, mais sans remettre en cause fondamentalement le sens et la portée des orientations politiques antérieures (Aubertin et Vivien, 2006 ; Figuière, 2006 ; Godard, 2004 ; Rossi, 2000 ; Tubiana, 2000).
3À travers les politiques de développement rural en Nouvelle-Calédonie, il s’agit dans ce travail d’explorer les enjeux qui sous-tendent la construction de politiques de « développement durable » confrontées aux caractéristiques et dynamiques d’une petite économie insulaire doublement rentière (rente administrative et minière).
4L’une des hypothèses de travail est que la durabilité et la hiérarchisation des priorités de développement relèvent d’une construction politique et sociale puisant tout à la fois dans des références externes et locales. Il importe donc de contextualiser les conditions d’émergence du développement durable dans l’évolution des enjeux de développement tels que perçus par les différents corps sociaux.
5Quels ont été les mécanismes d’intégration du « développement durable » et quels sont ses impacts sur les politiques et les dynamiques locales ? Le référentiel du développement durable entretient-il la continuité, provoque-t-il des bifurcations radicales ou bien joue-t-il comme un accélérateur de changements déjà en germe ? Dans le cas de la Nouvelle-Calédonie, les dispositifs qui se réclament du développement durable changent-ils les dynamiques d’une économie rentière et d’un monde rural marqué par un dualisme historiquement construit et entretenu ? Quel est le degré d’intégration de l’insularité dans la réflexion sur le développement en général, et durable en particulier ?
6Pour répondre à ces interrogations, cette contribution s’appuie notamment sur l’analyse des discours des acteurs locaux des politiques publiques et des textes de références des dispositifs en vigueur. La méthodologie de recherche utilise les instruments de l’approche cognitive des politiques publiques et de l’institutionnalisme historique basés sur la reconnaissance de l’importance de l’univers cognitif des acteurs et de l’analyse historique dans la compréhension des dynamiques de changements institutionnels2. Enfin, plutôt que de s’intéresser séparément aux trois pôles (ou objets) du développement durable (environnement, social, économique), puis aux conditions de leur intégration dans des politiques intégratives, la grille d’analyse consiste à examiner les articulations que les acteurs locaux privilégient a priori entre ces objets et les clivages qu’ils révèlent. Cette notion d’articulation entre les différentes dimensions du développement durable permet d’appréhender les multiples politiques qui se déploient à l’intersection des champs économiques, environnementaux et sociaux.
7Après une présentation des originalités de la ruralité calédonienne, mise en perspective par rapport à la situation macro-économique et sociale du pays, il s’agira de pointer les principales dynamiques locales d’articulation entre les piliers du développement durable. Le deuxième temps sera consacré à l’analyse de l’émergence du développement durable dans les discours politiques et ses déclinaisons pour le monde rural. Cela consiste à rendre compte des adaptations locales du concept et des formes de son appropriation politique. La dernière partie propose de préciser les mécanismes et contraintes d’endogénéisation effective du développement durable dans les agendas politiques. Pour terminer, l’influence de l’insularité dans l’émergence de politiques de développement durable pour le milieu rural calédonien sera à nouveau interrogée.
Les principales dynamiques d’articulation entre les piliers du développement durable dans le secteur rural
Dualisme et originalités de la ruralité calédonienne
8Loin du stéréotype de l’île tropicale vouée à une culture de rente, la Nouvelle-Calédonie a connu une histoire rurale peu commune depuis la prise de possession française de 1853. Aujourd’hui encore, que ce soit dans l’outre-mer français ou parmi les États et territoires insulaires du Pacifique, la Nouvelle-Calédonie (fig. 1) fait figure de territoire insulaire atypique.
9La ruralité calédonienne demeure d’abord marquée par une agriculture duale où se côtoient une agriculture « moderne » et marchande réalisée par la partie « européenne » de la population agricole et une agriculture plus vivrière propre aux cultivateurs kanaks des tribus. L’agriculture sur terres privées, très majoritairement « européenne », occuperait ainsi 29 % des agriculteurs mais 74 % de la SAU, l’agriculture sur terres coutumières, essentiellement kanak, 69 % des exploitations pour un quart de la SAU. Les systèmes marchands « européens » associant de grandes propriétés d’élevage extensif et des cultures intensives contrastent avec les systèmes kanaks majoritairement vivriers à base de tubercules (igname, taro) mais présentant une grande diversité de spéculations.
10Mais l’originalité de la ruralité calédonienne réside peut-être plus encore dans l’activité minière et ses multiples conséquences (paysages, salariat de la mine, cycles économiques, migrations, système spatialisé, projets d’usine, préoccupations environnementales). Aux originalités historico-politiques, agricoles et économiques de cette ruralité calédonienne s’ajoutent d’autres traits discriminants. L’une des variables de comparaison importante correspond à l’échelle de l’archipel. Avec 18 500 km2 au total, dont 16 500 km2 pour la seule Grande Terre, du seul point de vue de la superficie, la Nouvelle-Calédonie n’appartient pas au groupe des Petits États insulaires (ou PEI) si l’on retient le seuil maximal de 11 000 km2. Toutefois, avec une population d’environ 245 000 habitants (estimation pour 2008), elle se situe bien en dessous du seuil statistique des territoires insulaires de moins d’un million d’habitants et peut, à ce titre, être intégrée à la catégorie des PEI (Taglioni, 2003). A ces données de bases, il faut ajouter que l’agglomération du Grand Nouméa représente près des deux tiers de la population de tout l’archipel (50 % en 1969), ce qui fait que « la brousse » (nom donné aux espaces de la Grande Terre hors Nouméa) n’accueille que 4 habitants au kilomètre carré. Autre facette de l’espace rural calédonien, le plus vaste lagon du monde représente un patrimoine qui vient d’être classé par l’Unesco en 2008 tandis que la Nouvelle-Calédonie appartient aux « points chauds » de la biodiversité mondiale grâce à ce lagon, ainsi qu’à son taux particulièrement élevé d’endémisme (premier rang mondial) lié à son isolement.
La place des mines et de l’agriculture dans une petite économie rentière
11Cette ruralité s’inscrit dans un territoire et une économie marqués par la dépendance. La Nouvelle-Calédonie, engagée sur la voie d’une émancipation politique depuis les accords de Matignon-Oudinot (1988) et de Nouméa (1998), dispose d’un statut de large autonomie qui doit s’accentuer encore dans les années à venir mais elle demeure à maints égards dans le giron français. Sur le seul plan économique, le poids des transferts métropolitains dans le PIB du pays est supérieur à 15 % depuis 1980 (25 % en 2004 et 17 % en 2007 ; Cerom 2008). Additionné aux effets de la commande publique sur la croissance, il soumet l’économie calédonienne et sa tertiarisation à une forte dépendance financière vis-à-vis de la métropole. Le statut de l’archipel dans l’ensemble français et les mesures conservatoires qu’il permet sont également structurants. Mais la valeur ajoutée produite paraît surévaluée par le caractère artificiel du marché du travail3 et l’application de politiques tarifaires protégeant très fortement les productions et industries locales gonflent les prix à la consommation (Insee, 2007).
12La structure du PIB de la Nouvelle-Calédonie et son évolution (22 750/hab. fin 2006, donc supérieure à plusieurs régions de France métropolitaine) ressemblent à celles d’un pays développé avec une société dominée par le secteur des services (70 % du PIB). Au contraire, la part de l’agriculture recule dans la création de richesses et se situait sous la barre des 2 % (contre 10 % dans les années 1970). Exode rural et tertiarisation révèlent des changements a priori structurels pour la ruralité calédonienne : la population agricole familiale est passée de 23 % à 10 % de la population active entre 1991 et 2002, tandis que le nombre d’exploitations passait de 8 500 à 5 500 et que la surface agricole utile (SAU) progressait de 228 000 à 248 000 ha (Davar, 2005). Dans le même temps, la Production agricole marchande (PAM) doublait entre 1990 et 2005 (de 34 à 70 millions). Le Recensement général agricole (RGA) indique donc clairement une concentration de l’activité, doublée d’une professionnalisation et d’une spécialisation des unités de production.
13Selon l’état du marché mondial, le poids de l’extraction et de la transformation du nickel dans l’économie calédonienne peut varier de 3 % (en 1998, plancher historique) à 20 % (en 2007, année exceptionnelle pour ce secteur de l’économie) avec une valeur « moyenne » plus proche des 12 % comme en 2006 et sans doute en 2008. De 1998 à 2008, le nickel a fortement tiré la croissance, puisque son prix est passé de 2,10 US$/lb à 9,55 US$/lb avec un pic à 16,89 US$/1b en 2007. Dans ce secteur, et en dépit des soubresauts de la conjoncture, deux nouveaux projets de transformation locale du minerai (Koniambo et Goro-Nickel, aussi appelées « usines du Nord » et « du Sud »), ainsi qu’un accroissement de capacité du producteur historique (la SLN) vont accélérer l’industrialisation du pays. Sur les 20 premières années du siècle, ces investissements devraient représenter entre 20 % et 33 % du PIB de 2006.
14L’extraction et l’industrie du nickel4, ainsi que les transferts publics de l’État français placent néanmoins l’économie calédonienne dans une double dépendance rentière.
La déclinaison des enjeux de la ruralité calédonienne à travers le développement durable
15Les principales dynamiques d’articulation entre les piliers du développement durable dans la ruralité calédonienne s’inscrivent donc dans une logique d’économie doublement rentière, par ailleurs marquée par la permanence d’un dualisme ancien (tabl. 1). Les articulations principales entre les piliers du développement durable se déclinent alors selon des modalités spécifiques.
Articulation de la dimension économique au social
16La prégnance de la question de la rente et de la polarisation spatiale et sociale renvoie directement à la question politique des modalités de diffusion et de redistribution de cette rente nickel. Deux approches peuvent alors être développées en parallèle, l’une privilégiant le jeu des effets d’entraînement par des politiques d’investissement sur les dynamiques économiques, l’autre privilégiant le jeu des protections et redistributions sociales. Du point de vue du secteur agricole, l’enjeu est l’inclusion de l’agriculture vivrière et des modes de vie traditionnels kanaks dans des logiques de marché. Alternativement, les dispositifs existants peuvent privilégier la défense des modes de vie traditionnels. L’entretien d’une identité rurale européenne constitue également un enjeu.
Articulation de la dimension sociale à l’économique
17Le dualisme social, inscrit dans le territoire et les secteurs agricoles, se traduit par des spécialisations agricoles différenciées. La résilience des structures sociales coutumières et leur mode d’intégration (ou d’exclusion) dans le tissu social sont questionnés par les effets de diffusion des rentes minière et administrative dans les économies locales. La même question se pose pour la petite agriculture européenne. Au-delà, c’est l’équilibre politique qui est en jeu.
18Les accords de Matignon et de Nouméa (cf. supra) ont par ailleurs mis en avant la question culturelle. Élément important du dualisme social, bien que pour l’heure cantonné aux domaines de l’art et de l’enseignement, la culture reste en filigrane du questionnement sur le développement. Elle pourrait prendre une place plus grande avec l’implication du sénat coutumier dans les stratégies de développement agricole.
Articulation de la dimension économique aux problématiques environnementales
19Par la rente et les projets miniers (nickel), l’environnement est directement menacé ; il est du reste un des principaux champs de perception d’une urgence en termes de durabilité. Les problématiques environnementales apparaissent ainsi comme des sous-produits de la politique minière ; elles se déclinent en termes de réparation et d’atténuation des impacts environnementaux. Pour la pêche et la sylviculture, la question de la gestion de la ressource reste déterminante au-delà des difficultés économiques des filières. Dans le secteur agricole, les remises en cause des dynamiques vivrières (et plus largement d’une petite économie familiale) questionnent le devenir de l’environnement, du fait de l’évolution des prélèvements et des techniques agricoles.
Articulation de la dimension environnementale à l’économique
20L’importance des ressources naturelles explique les dynamiques rentières liées au nickel. La biodiversité remarquable impulse des tentatives de valorisation, par l’écotourisme et (ou) la préservation d’actifs naturels. Cette préservation relève d’enjeux patrimoniaux, mais aussi de perspectives d’exploitation marchande de l’endémisme de nombreuses plantes (pharmacologie). Cette économie « verte » souffre néanmoins potentiellement des mêmes limites que celles qui pèsent sur le développement d’une agriculture et de filières de production compétitives (surcoûts de production liés au transport notamment).
Articulation de la dimension sociale à l’environnement
21Les modes de vie traditionnels sont porteurs d’une certaine protection de l’environnement. En cela les dynamiques d’évolution de ces modes de vie peuvent remettre en cause les bonnes pratiques de gestion de l’environnement observées depuis plusieurs générations. L’agriculture vivrière est un support de reproduction des rapports sociaux traditionnels, dont le devenir est interrogé par les politiques de redistribution de la rente.
Articulation de la dimension environnementale au social
22L’accès à la terre, aux potentialités agricoles et aux ressources naturelles est central dans la reproduction des rapports sociaux traditionnels. Les choix de gestion et d’exploitation des ressources naturelles et du foncier déterminent largement l’évolution des systèmes agraires moderne et traditionnel.
L’émergence du développement durable en Nouvelle-Calédonie : une genèse inaboutie avec des déclinaisons spécifiques pour le monde rural
La montée tardive des préoccupations environnementales dans les discours et les esprits
23Les injonctions internationales sur l’environnement ne pénètrent les débats calédoniens qu’à partir de la fin des années 19905. La Nouvelle-Calédonie fait l’objet d’importantes recherches terrestres et marines, qui confirment la vulnérabilité de ses écosystèmes et les potentialités économiques (pharmacologie). Elle intéresse les grandes ONG environnementales internationales et quelques grands programmes de conservation initiés aux niveaux international, sous-régional, et national, auxquels elle participe néanmoins peu avant les années 20006. Par ailleurs, des firmes multinationales (les canadiennes Inco et Falconbridge, rachetées depuis par les firmes Vale et Xstrata) s’installent pour la mise en œuvre de grands projets miniers et métallurgiques. Invitées, à l’échelle internationale, à adopter de « bonnes pratiques » sociales, mais surtout environnementales (revégétalisation des sites miniers, bonne gestion des remblais, protection du lagon, attention portée à la gestion de la biodiversité dans une logique de réparation, etc.), ces firmes disposent d’un discours en avance sur les préoccupations environnementales locales.
24Cette double influence externe instaure une sensibilité environnementale locale proche des messages internationaux des conférences, mais dans une chronologie spécifique ; ici les politiques se saisissent des préoccupations environnementales après avoir remis les questions identitaires et sociales (déclinées dans leur dimension politique) au centre des débats. La vision patrimoniale de l’environnement dans une logique de conservation domine cependant, même si le besoin de « gestion » associant les populations locales se fait sentir. Les provinces et le gouvernement se montrent a priori sensibles à ce mouvement dans les discours. Des services ainsi que des commissions de l’environnement se mettent en place pour accompagner la gestion et la protection du patrimoine naturel. Pourtant, jusqu’à très récemment, les choix des collectivités étaient plutôt de déléguer (à des ONG ou des bureaux privés) les actions environnementales et de moduler leur engagement. La perspective paraît donc sensiblement différente de la version onusienne de la durabilité. Enfin, jusqu’à une période très récente, ces préoccupations ne touchent pas de nombreux secteurs de production, et en particulier l’agriculture.
L’intégration différenciée d’un discours « développement durable » à partir de 2004
25Formellement, les équilibres en présence et les orientations des politiques publiques ont peu évolué ces dernières années. En revanche, la campagne pour les élections provinciales de 2004 marque indéniablement l’apparition du développement durable dans l’argumentaire des partis politiques. Typiquement, le développement durable est annoncé comme une orientation générale, sans que son contenu soit réellement précisé, sauf sur les aspects environnementaux qui deviennent une entrée à part entière ; l’environnement est traité de façon séparée et sectorielle7.
26Pour le développement rural, la disjonction entre le chapeau « développement durable » des programmes électoraux et ses déclinaisons sectorielles est particulièrement marquée. Ainsi pour l’Avenir Ensemble (parti de droite non indépendantiste, vainqueur des élections en province Sud), le développement durable est annoncé, mais les promesses de campagne s’orientent vers les infrastructures, l’aide au revenu et l’équipement, l’allégement de charges patronales, etc. Pour l’Union calédonienne, parti indépendantiste membre du FLNKS8, l’affichage prioritaire reste l’accord de Nouméa9 et la durabilité est évoquée sur les questions économiques. Le discours cherche à reconnaître la diversité du monde rural : « L’Union calédonienne prend en compte les trois dimensions de l’activité agricole : agriculture et élevage à vocation marchande, agriculture “mixte” (activité marchande et vivrière d’autoconsommation), agriculture d’autoconsommation (...). Cependant, la réalité est moins schématique et des passerelles existent (...) dans lesquelles on peut trouver les mêmes types de besoins ».
27Ces discours politiques marquent globalement la diversité des idéologies politiques, et en particulier la confrontation entre « indépendantistes » et « non indépendantistes ». L’approche sectorielle du développement rural révèle en province Sud une vision tournée vers l’agriculture marchande et une confiance aux mécanismes d’incitation. En province Nord, gérée par les indépendantistes et notamment le Parti de libération kanak (Palika), l’intégration et l’interpénétration des dimensions économique et sociale sont mises en avant.
28Depuis 2004, en province Sud, les responsables provinciaux non indépendantistes insistent sur les problématiques environnementales, qu’ils associent parfois explicitement au développement durable. En revanche, les démarches éco-responsables ou éco-citoyennes sont promues dans les activités économiques, tandis que les opérations de conservation stricte (mise en réserves, patrimonialisation de sites) ou de gestion intégrée sont très présentes (sur terre comme dans le lagon). L’accent est mis sur la formation et la sensibilisation à l’environnement, avec des moyens médiatiques importants. Un signe fort est la création en 2006 par la province Sud d’une Direction de l’environnement dotée de 90 agents, affectés pour plus de la moitié à des missions de surveillance et de terrain (gardes-nature). Les articulations possibles entre les dimensions économique, sociale et environnementale sont toutefois peu explicitées. Le modèle global d’économie assistée n’est pas réellement discuté, de même que la gestion concrète de la rente minière.
29En province Nord, gérée par les indépendantistes, l’affichage du développement durable est plus diffus, mais tente davantage de coller à la définition « canonique », sans toutefois se centrer sur l’environnement. Le service de l’environnement, créé en 2000, est ainsi inclus dans l’organigramme de la Direction du développement économique et de l’environnement et compte peu d’agents. Cette situation est justifiée par le fait que les questions environnementales sont intégrées naturellement dans toutes les activités. La traduction est alors bien un développement économique et social respectueux de l’environnement ; les priorités sont fixées dans cet ordre. Rappelons enfin que le développement économique privilégie ici l’engagement public autour de projets « structurants » (dont la mine et la métallurgie), devant permettre la densification d’un tissu économique local. La gestion de la rente est davantage explicitée (redistribution par les dépenses d’investissement et de fonctionnement du secteur public ainsi que par les aides économiques et sociales), mais la dépendance vis-à-vis du nickel n’est pas réellement traitée, de même que les scénarios de sortie de l’économie assistée.
30La dimension culturelle est par ailleurs partout présente dans les politiques à l’œuvre, même si le même type de clivage persiste. Il ne s’agit pas de politiques « résiduelles », comme cela est souvent le cas ailleurs, mais bien d’un des piliers des accords politiques. Outre les actions emblématiques, la reconnaissance de la culture kanak – dans une logique de réparation et de valorisation – est présente et influence nombre des discours politiques et imprègne les dispositifs, y compris ceux dédiés à la ruralité.
31L’insularité n’est pas un thème qui apparaît dans les discours des acteurs, y compris lorsqu’il s’agit de développement durable. Cette absence est assez caractéristique en Nouvelle-Calédonie où l’insularité n’est pas toujours en tant que telle un thème majeur de discussion et de réflexion dans les problématiques de développement (situation d’hypo-insularité) même si, de fait, l’insularité influence nombre de domaines économiques (transports, pêche, agriculture, etc.) et pose des problèmes d’équité territoriale (des dispositifs existent pour assurer la « continuité territoriale » entre les îles de l’archipel et entre la Nouvelle-Calédonie et la France métropolitaine).
Diversification des acteurs autour du discours et des enjeux de « développement durable »
32La montée du discours sur le droit des peuples autochtones représente un élément nouveau qui se positionne en écho à cette dimension culturelle. En référence aux débats mondialisés sur l’autochtonie, l’association Rhéébu Nùù fut créée en 2002 par des « coutumiers » autour de la contestation des conditions d’implantation de l’usine de Goro au sud. Elle se positionne sur un double discours de défense de l’environnement et de reconnaissance pleine et entière des droits kanaks face aux firmes. Ses combats rencontrent un certain succès, médiatique et populaire, et se couplent avec quelques mouvements écologistes locaux. Un Comité autochtone de gestion des ressources naturelles (Caugern) est créé en 2005, qui augmente la portée des revendications et des propositions. Il s’agit de réclamer un renforcement des droits kanaks vis-à-vis des multinationales du nickel, au nom de la marginalisation économique vécue et des dommages à l’environnement subis (Demmer, 2007). Le Caugern joue habilement du contexte régional et international, et se voit conforté par la signature toute récente (2007) de la charte des Nations unies pour les droits des peuples autochtones. Surtout axé au départ sur les questions minières, ce comité prend donc une forme élargie et investit le champ politique global. Signe de cet élargissement, Rhéébu Nùù est entrée en politique en 2008. Le Caugern est l’institution qui fait le plus de références à la définition canonique du développement durable. Signe de l’évolution des relations entre coutumiers et industriel, un accord dit « Pacte de développement durable » est signé en septembre 2008 entre Rhéébu Nùù et Vale Inco. En échange de l’arrêt des actions en justice ou violentes ou des « blocages », ce pacte accorde d’importantes retombées financières pour les populations de la commune de Yaté et annonce un engagement de la firme pour le respect de l’environnement et des communautés locales.
33Depuis 2006, la Nouvelle-Calédonie n’échappe plus à la médiatisation du développement durable, même si celle-ci ne doit pas occulter la faiblesse, voire l’inexistence, des politiques articulant effectivement économie, société et environnement. Les mineurs et entreprises locales communiquent sur leurs préoccupations environnementales et – plus modestement – sociales, les chambres consulaires et les institutions de recherche organisent des manifestations sur le développement durable (assises, salon, colloque, etc.), des émissions télé et radios se multiplient sur un thème dorénavant présent dans les programmes scolaires, etc. Marquée par une tendance à la focalisation sur l’environnement (Martini, 2006), cette médiatisation permet aux différentes corporations d’affirmer leur « bonne conduite » dans un style très classique. Cependant, par-delà l’effet de mode, des réflexions et des chantiers se multiplient pour formaliser l’intégration du développement durable dans les dispositifs. Ces chantiers concernent essentiellement des outils de cadrage général des politiques aux différents niveaux de gouvernance et de gouvernement : construction d’un agenda 21 en province Nord, élaboration d’une stratégie de développement durable en province Sud, mise en place d’un observatoire du développement durable et d’un schéma d’aménagement et de développement à l’échelle du territoire baptisé Nouvelle-Calédonie 2025. Ces outils doivent se mettre en place entre 2009 et 2011. Il est encore trop tôt pour évaluer leurs impacts, et notamment leur capacité à faire bouger les lignes dans le secteur rural. Le risque que les orientations prises entretiennent les divergences provinciales et les clivages sociaux, comme c’est le cas actuellement, ne peut être écarté. Mais l’effort de se saisir concrètement du développement durable et de l’adapter aux contextes locaux apparaît déjà comme une nouvelle donne, qui aura de toute façon des répercussions sur les politiques agricoles et rurales.
Problématiques de la mise en œuvre des politiques de développement durable dans le monde rural calédonien
Les entrées différenciées dans le développement durable
34La mise en œuvre des politiques de développement durable est rendue difficile, comme on l’a souligné auparavant, par l’inertie et la multi-dimensionnalité des dynamiques enjeu. La multiplicité des représentations dont les agents sont les vecteurs participe aussi aux difficultés de mise en œuvre. Ainsi, selon la position des acteurs, on retrouve, dans les représentations du développement durable et le référentiel émergeant, trois entrées possibles :
35L’entrée par le social insiste sur la nécessité d’assurer la perpétuation des relations coutumières et l’agriculture vivrière et symbolique qui lui est associée, l’ensemble devant assurer également la préservation des ressources naturelles. Dans ce premier cas de figure, l’urgence ressentie est nettement sociale et environnementale. Les dynamiques économiques (les rentes) interviennent alors comme autant de facteurs de risque (par la migration, l’inclusion dans le marché, l’effet d’appel sur les jeunes...), mais aussi d’opportunités par l’utilisation des rentes pour inciter les agents à rester dans les activités agricoles traditionnelles (redistribution, protection sociale, appui aux agricultures vivrières...).
36L’entrée par l’environnement est associée à la perception de l’urgence face aux dégradations environnementales essentiellement associées à la mise en place des projets miniers (projets Koniambo et Goro-Nickel). L’agriculture telle que pratiquée aujourd’hui n’est pas perçue comme une menace pour l’environnement. Les dégradations environnementales indirectes sont aussi associées à la déstabilisation des communautés par l’accès à d’autres opportunités (migration...). Dans ce schéma, les activités des communautés sont censées préserver l’environnement. Les politiques envisagées évoquent la protection, l’adoption de technologies minières plus douces, et la régénération du patrimoine naturel. Les modes de consommation et d’aménagement du territoire, jugés plus agressifs pour l’environnement, sont remis en cause et débattus par certains interlocuteurs.
37L’entrée par l’économie est implicitement l’entrée principale pour l’ensemble des interlocuteurs, jusqu’à l’horizon d’épuisement de la rente minière (d’ici 50 ans, ou plus si l’on peut traiter les minerais à faible teneur). La problématique associée est celle de l’utilisation optimale des revenus du nickel dans une perspective de développement durable, sans détruire l’environnement, et en appuyant des dynamiques sociales soutenables. Les entrées sectorielles par l’agriculture sont fortement marquées par le dualisme « moderne/traditionnel », les politiques de développement favorisant de fait largement les logiques marchandes du secteur moderne, dans une logique filière.
Le dualisme des politiques rurales
38Pour le secteur agricole et rural, la mise en place des provinces en 1990 contribue à institutionnaliser le dualisme et ne se réfère pas au développement durable. Chaque catégorie d’acteurs – exploitations européennes en quête de modernisation et ruraux des tribus kanaks – parvient à se ménager des espaces institutionnels et politiques de liberté dans les recompositions à l’œuvre. Les politiques publiques, dorénavant de compétence provinciale, se construisent en référence à la situation sociale prévalant avant les événements de 1984-1988 et tentent de répondre, mais plutôt de façon disjointe, aux demandes et besoins des deux sous-secteurs, « marchand » et « tribal ». L’aide à l’agriculture évolue aussi de façon spécifique (notamment par rapport à la mine ou au commerce), parce que le poids du secteur est faible dans les équilibres du pays (moins de 2 % du PIB aujourd’hui).
39Concrètement, les provinces se dotent de nouveaux outils d’appui aux projets, devant offrir aux promoteurs potentiels une large gamme d’aides correspondant à leurs besoins spécifiques. Certains outils affichent une volonté de favoriser le monde kanak. L’accélération de la réforme foncière10 avec la rétrocession de 100 000 ha aux clans au nom du « lien à la terre » est ici emblématique. Dans le cadre de cette réforme l’agriculture aurait dû être un champ d’expérimentation pour « insérer les producteurs des tribus dans l’économie marchande », tout en œuvrant pour réparer les spoliations passées.
40En province Nord, le Code de développement (Codev) institué en 1989, repose ainsi sur le souhait d’articuler un développement économique rapide, via l’encouragement de projets dits « structurants » dans la mine et le tourisme notamment, et des approches dites de « développement local ». L’agriculture entre totalement dans ce schéma. Le Codev doit répondre au besoin de création de valeur ajoutée, mais l’aide à la modernisation et à la structuration (en tentant de s’affranchir du modèle d’exploitation européen) est privilégiée par rapport aux appuis techniques et financiers sectoriels « classiques ». À partir de 1999, le nombre d’animateurs dédiés aux tribus augmente, une direction du développement local, de logique transversale, se crée au sein de la nouvelle Direction du développement économique et de l’environnement, le Codev est réécrit pour faciliter l’offre des subventions vers les tribus, un zonage territorial s’élabore, le personnel est redéployé, etc. Des projets de développement participatifs, à l’échelle communale, sont également mis en œuvre avec pour objectifs de s’adapter aux particularités de l’agriculture des tribus et d’appuyer les volontés de modernisation et d’insertion marchande (Mercoiret et al., 1999 ; Bouard et al., 2006 ; Sourisseau et al., 2008).
41Face aux différents schémas retenus par les provinces, la focalisation sur l’environnement peut permettre d’éluder des questions politiques toujours sensibles. Le consensus autour de l’environnement, domaine a priori fédérateur et ne souffrant pas de polémiques, peut apparaître comme la préfiguration du « destin commun » au même titre, voire plus encore, que le « rééquilibrage », mot clé depuis 20 ans. À ce titre, l’inscription en juillet 2008 d’une partie du lagon calédonien au patrimoine mondial de l’humanité est illustrative. Ce projet a fédéré largement toutes les collectivités locales, qui ont contribué au dossier et à son portage technique et politique. L’importante délégation calédonienne à Montréal pour assister aux délibérations comprenait toutes les tendances politiques du pays et le contenu même du dossier fait largement référence à l’accord de Nouméa adossé au développement durable. À part quelques voix discordantes soulignant le risque d’une inscription « alibi » pour laisser ensuite le champ libre aux mineurs sur les parties non inscrites et les difficultés du suivi, un large consensus s’est noué, atténuant sensiblement les tensions potentiellement fortes sur le retard pris par certains transferts de compétences inscrits dans l’accord de Nouméa. Dans le même temps, l’utilisation politique de cette réussite emblématique et les débuts concrets de sa mise en œuvre font apparaître de fortes différences entre les collectivités locales, qui laissent à penser que l’unité affichée n’est pas acquise.
Conclusion
42L’analyse de l’émergence du développement durable dans les débats calédoniens et l’examen formel des dispositifs pouvant se réclamer du référentiel du développement durable montrent la faible réponse aux injonctions internationales des années 1990. Cette situation démontre la force des préoccupations locales dans la construction des politiques et le poids et la permanence d’un modèle d’économie assistée choisi11 à la fin des années 1960 à l’occasion de la gestion du boom et du contre-boom minier.
43De même, l’organisation de type fédéral ménage des marges de manœuvre, permettant l’expression de visions différenciées du développement entre les trois provinces à l’intérieur du cadre macro-économique calédonien.
44De fait, l’examen de la campagne des élections provinciales de mai 2009 montre que les discours sur le développement durable – qui constitue dès lors un élément fort des argumentaires -demeurent marqués par des différences d’interprétation toujours prégnantes d’un point de vue global, qui trouvent leur expression dans le développement rural.
45La province Nord est engagée dans une logique de développement économique par les rentes minière et administrative, parce qu’il lui faut être crédible politiquement et parce que c’est sur son bilan économique que l’exécutif indépendantiste sera surtout jugé dans la perspective de l’accession à l’indépendance. Dès lors, le développement durable est entendu comme la mise en œuvre volontariste et interventionniste d’articulations permettant aux sociétés locales de maîtriser le développement économique dans le respect de leur spécificité sociale et culturelle. L’environnement est pensé en arrière-plan, avec comme objectif la maîtrise partielle des impacts sur les écosystèmes des choix économiques et sociaux.
46Le Sud est « en avance » en termes de développement économique et capte, grâce à Nouméa, une grande partie des effets d’entraînement des rentes. La province Sud assure une redistribution sous formes d’aides sociales assez importantes. Elle cherche aujourd’hui, à travers la densification de ses politiques environnementales, à intégrer le développement durable via la juxtaposition de mesures de conservation et de sensibilisation aux dispositifs économiques et sociaux existants. Cependant, les articulations apparaissent limitées ; on assiste à l’émergence d’un corpus environnementaliste relativement autonome. Les évolutions dans le domaine du développement durable restent par ailleurs directement connectées aux orientations françaises, dans la logique d’une vision de l’avenir de la Nouvelle-Calédonie « dans la République ».
47D’émergence très récente en Nouvelle-Calédonie, le développement durable n’a donc pas engagé une bifurcation radicale des politiques publiques, mais il est en cours d’intégration dans les discours comme dans les argumentaires des dispositifs d’action. Cette intégration dans les politiques publiques passe par une association d’idées entre des expressions riches de sens et partagées depuis les accords politiques, les notions de « rééquilibrage » et de « destin commun », au point que certains acteurs n’hésitent pas à considérer ces mots clés comme les synonymes ou les déclinaisons locales du développement durable.
48La toile de fond politique limite en grande partie les interrogations ou les remises en cause que pourrait porter le concept de développement durable par rapport à l’économie rentière du pays. La prégnance du politique explique également que le thème de l’insularité est absent (ou presque) tant du discours politique que de la rhétorique autour du développement durable, même si le contexte insulaire explique une grande partie des enjeux environnementaux de la Nouvelle-Calédonie. La réflexion sur les contraintes de l’insularité dans une perspective de développement durable semble finalement de l’ordre du subliminal. Par exemple, la province des îles Loyauté, non évoquée jusqu’ici, exprime son entrée dans le concept, ou le projet, de développement durable par la culture. Dans les îles Loyauté, les structures coutumières kanakes et l’accès aux ressources (notamment foncières) ont été moins affectés par la colonisation. Dès lors, le développement durable est considéré comme étroitement lié à la résistance/résilience de ces structures, garantes d’une gestion perçue comme équilibrée et durable. Cette entrée par la culture ne peut être dissociée, nous semble-t-il, de la situation de surinsularité (Pelletier, 1997) des îles Loyauté et de cette province au sein de l’archipel calédonien, lui-même élément de « l’archipel » français. Cette « insularité au carré » renforce l’identité insulaire et l’îléité, au sens de conscience de l’insularité (Bonnemaison, 1991), et paraît influencer une conception plus « culturaliste » du développement durable12. Il est également possible de considérer que les trois provinces aux importantes prérogatives constituent trois entités très distinctes, qui cultivent leurs différences, et à ce titre se comportent comme trois « îles » au sein de l’archipel provincial de la Nouvelle-Calédonie, d’où des déclinaisons et des entrées dans le développement durable sensiblement dissemblables.
49De manière un peu paradoxale, l’insularité (tout comme l’espace ?) semble finalement se dissoudre dans les politiques qui se réclament du développement durable, au moins en Nouvelle-Calédonie : elle ne semble pas influencer directement la réflexion sur le développement durable (si l’on veut bien s’extraire de sa vision réduite à l’environnement seul). Néanmoins, on peut également retrouver l’insularité, comme toute autre particularité territoriale, dans chacun des trois « piliers » (ou quatre, avec la culture) d’un développement ou d’une politique de développement qui se veut durable. On retrouve ici les réflexions récurrentes à propos de l’insularité (Taglioni, 2003), concept fuyant dont les contours s’estompent au fur et à mesure de sa définition et qui n’est pas sans rappeler parfois celui tout aussi précis et vague de développement durable.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Ce travail a été produit dans le cadre du programme de recherche Propocid (Production des politiques et des compromis institutionnalisés autour du développement durable) financé par l’ANR. Le programme analyse six contextes différents (Nouvelle-Calédonie, France métropolitaine, Brésil, Madagascar, Mali, Mexique) et mobilise des équipes du Cirad, de l’INA-PG et du Gemdev.
2 Terme susceptible de regrouper l’ensemble des cadres d’interprétation traversant l’analyse cognitive des politiques publiques : cadre d’action publique, référentiel, paradigme, système de croyances (Surel, 1998 ; Sabatier et Schlager, 2000).
3 Les taux de salaire sont progressivement alignés sur ceux de la France malgré une productivité moindre.
4 La Nouvelle-Calédonie est dans les 5 premiers mondiaux pour la production et les réserves de minerai.
5 L’accord de Nouméa (1998) ne traite pas d’environnement.
6 La Nouvelle-Calédonie appartient à la liste des Small Island Developing States (SIDS) de l’ONU mais n’est pas membre de l’Alliance of Small Island States (AOSIS), une coalition de petits États insulaires souhaitant peser sur les décisions dans le système onusien. Elle est membre d’une organisation intergouvernementale et régionale de protection de l’environnement et de promotion du développement durable, le PROE (Programme régional océanien de l’environnement) qui regroupe 21 pays et territoires insulaires du Pacifique ainsi que l’Australie, les États-Unis, la France et la Nouvelle-Zélande.
7 La campagne des provinciales de 2009 a confirmé cette utilisation superficielle ou sectorielle.
8 Front de libération nationale kanak socialiste.
9 Assimilé de fait à une déclaration de développement durable.
10 Lancée en 1978, elle ne s’exprime réellement qu’après les événements des années 1984-1988.
11 Nous utilisons ici le concept de « dépendance au sentier » des politiques publiques et des modèles de développement (Mahoney, 2001).
12 Voir aussi, à ce sujet, la métaphore de l’arbre et de la pirogue explicitée par Joël Bonnemaison (Gens de pirogue et gens de la terre, Orstom éditions, 1996) qui semble confirmer cette interprétation.
Auteurs
pestana@univ-nc.nc
Maître de conférences, université de la Nouvelle-Calédonie, CNEP
vincent.geronimi@uvsq.fr
Maître de conférences, université de Versailles Saint-Quentin, C3ED/GEMDEV
jean-michel.sourisseau@cirad.fr
Chercheur agro-économiste. Institut agronomique néo-calédonien (IAC), Cirad-ES, UR Arena, Centre de recherche du Nord, Nouvelle-Calédonie
patrick.schembri@uvsq.fr
Maître de conférences, université de Versailles Saint-Quentin, C3ED/GEMDEV
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