Un indicateur de développement humain soutenable pour les Petits espaces insulaires en développement
A sustainable human development index for small developing insular spaces
p. 269-294
Résumés
L’objectif de cette étude est de construire un indicateur synthétique de la mesure du développement durable pour les petites économies insulaires. Pour ce faire, nous proposons une méthodologie permettant d’adapter un outil largement accepté en économie du développement, en l’occurrence l’Indicateur de développement humain, au cadre très particulier des économies insulaires. Cela nous amène à mettre en avant les notions de vulnérabilité économique et de soutenabilité environnementale dans le cadre d’un développement humain durable. Ensuite, l’évaluation de ces notions, et leur introduction dans le calcul de l’IDH classique, nous permettent de déduire un Indicateur de développement humain soutenable pour un ensemble large de pays en voie de développement dont une vingtaine de petites économies insulaires.
This study aims at measuring the sustainable development in the context of insularity. To this regard, we develop a modified human development index adapted to the small island developing countries. So, the standard human development indicator of the PNUD is augmented by integrating the impact of both economic and environmental vulnerabilities. Then, our main finding displays that the small island developing economies must be considered a special case among the developing world when one focuses on human development sustainability.
Entrées d’index
Mots-clés : IDH, vulnérabilité, soutenabilité, petites économies insulaires, bien-être, développement durable
Keywords : HDI, vulnerability, sustainability, small island economy, well-being, sustainable development
Texte intégral
Introduction
1La mesure du niveau de développement et du bien-être d’une économie fait partie aujourd’hui, plus que jamais, des thèmes de recherche fondamentaux de l’économie du développement contemporaine. Jusqu’au début des années 1990, les indicateurs traditionnels de la comptabilité nationale, dont la pierre angulaire est le produit intérieur brut (PIB), se sont largement imposés dans le domaine. Pourtant, de plus en plus de voix s’élèvent contre la pertinence de l’utilisation du PIB dans l’évaluation du niveau de richesse et de développement d’une économie, même lorsqu’il est considéré dans sa version en termes réels par habitant exprimés en parité de pouvoir d’achat (PPA) (Stiglitz et al., 2009).
2Aussi, depuis deux décennies, les initiatives se sont multipliées, afin de proposer des indicateurs synthétiques alternatifs de mesure de la richesse de l’économie, en rupture avec le cadre méthodologique gouvernant la construction du PIB. Globalement, il est possible de distinguer deux grandes catégories d’indicateurs de bien-être (Jany-Catrice et Gadrey, 2007)1.
3D’un côté, avec l’élaboration du nouveau concept de « développement humain » initié par A. K. Sen (1983, 1993), un ensemble d’indicateurs, baptisé « les indicateurs de développement humain », dont l’objectif affiché est de replacer l’être humain au centre des débats sur le développement, voit le jour grâce aux travaux du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud, 1990, 2008).
4De l’autre côté, sous l’impulsion du travail pionnier de W. Nordhaus et J. Tobin (1973) et du célèbre rapport Brundtland (CMED, 1987), de nombreuses propositions se sont intéressées à l’importance du concept de soutenabilité dans le processus de développement (Cobb et Cobb, 1994 ; Atkinson et al., 1997 ; Osberg et Sharpe, 1998 ; Pierce et al., 2008), aboutissant à ce qui est connu de nos jours sous l’appellation de « développement durable ». Ces propositions tentent de couvrir les trois dimensions du développement durable (les volets économique, social et environnemental), mais en s’efforçant de les regrouper pour obtenir une mesure scalaire unique.
5La recherche dans le domaine a, par conséquent, fortement progressé en vingt ans. Cependant, si ces indicateurs caractérisent, plus ou moins bien, les enjeux des différents pays face au développement durable, sont-ils pour autant adaptés aux caractéristiques de développement des Petits espaces insulaires (PEI)2, et en particulier des Petits États insulaires en développement (PEID)3 ? C’est précisément cette interrogation qui a guidé notre recherche dans ce chapitre. En effet, pour ces régions, qui ont fait du développement durable leur priorité, cette question est centrale puisqu’elle conditionne autant les problèmes de mesures que ceux liés à l’évaluation de la mise en œuvre des politiques de développement telles que celles recommandées par l’Agenda 21. Aussi, notre objectif est de trouver un nouvel indicateur synthétique permettant de donner une idée satisfaisante de la situation des PEI en termes de développement soutenable.
6À cet effet, deux possibilités nous sont offertes. D’abord, nous pouvons sélectionner certains indicateurs, déjà éprouvés, de la deuxième catégorie, c’est-à-dire ceux se focalisant directement sur la durabilité. Malheureusement, ces différents outils sont globalement trop compliqués, et donc bien trop consommateurs de données, pour être applicables à ce type d’économies, pour la plupart dépourvues de bases statistiques fiables. Ensuite, nous pouvons nous appuyer sur les bases méthodologiques de l’IDH, facilement transposables à l’ensemble des pays, mais en y apportant des modifications destinées à le rendre compatible avec la problématique du développement durable. C’est précisément l’option que nous avons retenue dans ce travail. En d’autres termes, nous introduisons, dans l’IDH standard, l’influence de la soutenabilité, à la fois économique et environnementale. Cet apport nous permet en définitive de construire ce que nous appelons « l’Indicateur de développement humain soutenable » (IDHS) pour un ensemble de pays en voie de développement (PVD), dont une vingtaine de PEI, et d’établir une nouvelle évaluation, plus réaliste, de l’état du monde dans le domaine du développement.
7La suite de ce chapitre est organisée de la manière suivante. Dans une deuxième section, nous montrons comment l’IDH standard doit être modifié pour traduire fidèlement les caractéristiques de ce type d’économies. Dans une troisième section, la méthodologie de notre nouvel indicateur est proposée. Nous insistons particulièrement sur les différentes possibilités qui nous sont offertes pour déterminer une mesure de la vulnérabilité économique et de la soutenabilité environnementale adaptée aux PEI. Dans une quatrième section, les résultats associés à ce nouvel indicateur sont présentés et discutés. Enfin, une dernière section conclut sur les principaux enseignements de cette étude.
Développement humain et spécificités du monde insulaire : l’intégration nécessaire de la notion de « vulnérabilité »
La présentation de l’IDH standard
8L’objectif de l’IDH est de transcrire le concept de développement humain, élaboré par le Pnud (1990), dans un indice global et unique, permettant une comparaison simple des différents pays sur le plan international. Trois dimensions sont alors considérées, à savoir la longévité, l’éducation et le revenu. La longévité, mesurée par l’espérance de vie à la naissance, donne la capacité des individus à vivre longtemps et en bonne santé. Cette dimension est probablement la plus importante dans la mesure où elle représente l’amélioration de l’opportunité de vie, considérée à la fois comme un bien proprement dit et comme un moyen de réaliser plus complètement d’autres fins. L’éducation donne la faculté des individus à accroître leur savoir. C’est à la fois un critère social, puisqu’il est impossible de prendre part activement à la vie en société sans une base minimale de connaissances, et un critère économique, étant donné que l’éducation fait partie des facteurs fondamentaux de la croissance économique (Lucas, 1988). L’IDH mesure alors l’éducation par une combinaison entre le taux d’alphabétisation des adultes (pour 1/3) et le taux brut de scolarisation (pour 2/3). Le revenu, enfin, est censé évaluer l’accès des individus aux ressources économiques nécessaires pour pouvoir bénéficier d’un niveau de vie décent. Il est approché par le PIB réel par habitant en PPA, ajusté (par une transformation logarithmique) de manière à prendre en compte les rendements décroissants du revenu sur le développement et le bien-être.
9D’un point de vue technique, la construction de l’IDH repose globalement sur deux étapes (Pnud, 2008). En premier lieu, il s’agit de déterminer un indice dimensionnel pour chacune des variables présentées ci-dessus. Cet indice de dimension, noté Xi, pour chaque variable i (i = 1 pour la longévité, i = 2 pour l’éducation, i = 3 pour le revenu) et pour un pays donné se déduit de :
10La valeur maximale associée à la variable xi est la valeur la plus forte qu’un pays peut atteindre dans cette dimension. Elle représente en quelque sorte l’objectif à réaliser à terme. La valeur minimale de xi est la performance minimale qu’un pays peut réaliser dans cette dimension. Elle représente « la ligne de départ sur le parcours du développement ». En clair, l’indice Xi indique le chemin déjà réalisé par un pays sur la dimension par rapport au chemin total à parcourir4.
11En second lieu, il est possible de déduire l’IDH comme la moyenne arithmétique des trois indicateurs de la dimension donnée par l’équation suivante. Dans la mesure où chaque indice dimensionnel est compris entre 0 et 1, l’IDH sera lui-même toujours compris entre 0 et 1. Par ailleurs, plus l’IDH se rapproche de l’unité et plus le développement humain est important.
Des adaptations nécessaires au profil du monde insulaire en développement
12Depuis sa création, l’IDH a fait l’objet de nombreuses critiques dans la littérature (Srinivasan, 1994 ; Hicks, 1997 ; Sagar et Najam, 1998 ; Mazumdar, 2003). Toutefois, à notre connaissance, aucune étude ne s’est penchée sur la possible incompatibilité de l’IDH, même amendé, avec le cas très spécifique des PEID. Et pourtant, les particularismes des PEID font l’objet d’un large consensus sur la scène internationale (Angeon et Saffache, 2008).
13En fait, cette limite s’inscrit dans une critique plus globale. L’IDH mesure le développement humain actuel, il ne s’intéresse donc pas à la soutenabilité de ce développement humain. La soutenabilité pose la question de savoir si l’on peut espérer que ce niveau actuel pourra être au moins maintenu pour des périodes ou des générations futures. Or, dans le contexte international d’aujourd’hui, de nombreuses contraintes, économiques, sociales et environnementales, peuvent fragiliser ou remettre en question un processus en cours de développement humain satisfaisant.
14Ce problème est encore plus crucial lorsque l’on se focalise sur les PEID. En effet, nombreux sont les travaux qui mettent en évidence la forte vulnérabilité économique et les difficultés de soutenabilité environnementale des PEI à l’intérieur même de l’ensemble des pays en développement (Briguglio, 1995, 2004 ; Briguglio et Galea, 2004 ; Bayon, 2007 ; Guillaumont, 2009). Les causes sous-jacentes sont diverses : (1) les caractéristiques géographiques (petite dimension, éloignement, isolement, exposition à des risques majeurs, fragilité des écosystèmes, etc.), (2) le contexte historique (dépendance vis-à-vis de l’extérieur, relations privilégiées avec les anciennes tutelles politiques, etc.), (3) la situation sociale (moindre intensité et volatilité du capital humain, précarité du marché du travail, insécurité, etc.) et (4) la structure économique (déséconomies d’échelle, étroitesse des marchés locaux, faible diversification des activités, coûts d’accès aux ressources extérieures, etc.).
15Aussi, une analyse rigoureuse de la performance d’un pays dans le domaine du développement humain doit, selon nous, reposer sur deux indicateurs, à savoir l’IDH conventionnel, pour mesurer les progrès courants de l’économie considérée, et une version modifiée de l’IDH incorporant des indicateurs de vulnérabilité économique et de soutenabilité environnementale, afin d’évaluer si la position observée est soutenable à moyen et long termes. Nous verrons, dans la section suivante, que la difficulté majeure réside dans le choix des indices de soutenabilité adaptés à la situation des PEID.
L’IDHS : un nouvel indicateur de développement humain adapté à la réalité des PEI
Un Indicateur de développement humain soutenable
16Le nouvel indicateur que nous proposons, baptisé IDHS, est dérivé de la méthodologie de construction de l’IDH conventionnel. La dimension durable ou soutenable est introduite par deux éléments traduisant la vulnérabilité qui pèse sur les différentes économies en développement.
17Dans un premier temps, nous transformons l’indice dimensionnel du niveau de vie de manière à faire apparaître le rôle potentiel des aspects liés à la vulnérabilité économique. En effet, un niveau relativement haut de revenu par tête peut donner l’impression que l’économie considérée dispose d’un niveau de vie important. Toutefois, cela masque le fait que ce succès économique apparent reste relativement fragile et largement dépendant des conditions économiques extérieures. Aussi, la troisième dimension est donnée désormais par le PIB réel par tête (en PPA), ajusté d’un facteur de vulnérabilité économique. Une manière simple de procéder est de multiplier l’indice dimensionnel du revenu par (1 – EVI), la variable EVI étant un indice de vulnérabilité économique qu’il convient de déterminer (voir infra).
18Dans un second temps, nous pensons que le processus même de développement humain peut être remis en question à terme s’il ne se soucie pas de la préservation de l’environnement. Aussi, il nous paraît important d’introduire, à côté des piliers traditionnels de l’IDH (longévité, éducation, niveau de vie), un quatrième pilier dont l’objectif est d’identifier si le processus de développement humain en cours d’un pays n’est pas prédateur du point de vue de l’environnement. En clair, il s’agit d’analyser si la stratégie de développement adoptée n’impose pas des pressions sur l’environnement qui tendront à la rendre insoutenable à long terme. La quatrième dimension, notée , mesure donc la performance sur le plan de la préservation de l’environnement. Le choix des variables retenues dans notre analyse est discuté plus bas.
19Finalement, l’IDHS se compose de quatre grandes dimensions associées de la manière suivante :
20Les paramètres α, β, γ, et δ donnent les poids accordés à chaque dimension dans l’indice global. Conformément à la philosophie du Pnud, ces derniers sont fixés à l’unité, ce qui permet de déduire l’IDHS comme une moyenne arithmétique de ses quatre dimensions. Notons que les deux premières dimensions, longévité et éducation, ne changent pas par rapport à l’IDH standard.
Le choix d’un indicateur de vulnérabilité économique
21Pour prendre en compte de manière efficace l’aspect de la soutenabilité du niveau de vie, il faut sélectionner un indicateur de la vulnérabilité économique5 compatible avec la réalité économique des PEID, et notamment des plus fragiles d’entre elles. La littérature en économie du développement nous offre deux orientations alternatives. D’abord, il est possible de retenir l’indicateur composite de vulnérabilité développé conjointement par l’université de Malte et le Secrétariat du Commonwealth (Briguglio, 1995 ; Briguglio et Galea, 2004). Néanmoins, malgré la richesse indéniable de cet outil pour les PEID, sa portée apparaît limitée lorsqu’il s’agit d’étudier les pays les plus défavorisés de cet ensemble (United Nations, 1999). Ensuite, nous disposons également d’un autre indicateur synthétique, mieux adapté à la critique précédente, celui élaboré par le Comité des politiques de développement (CPD) des Nations unies (United Nations, 1999 ; Guillaumont, 2008, 2009). Et c’est précisément ce dernier indicateur que nous choisissons de retenir dans notre analyse.
22Brièvement, l’approche du CDP s’appuie sur la notion de « vulnérabilité structurelle », c’est-à-dire celle résultant de facteurs qui sont durablement indépendants de la volonté politique des pays. Par conséquent, l’indicateur, qui en découle, reflète deux grandes dimensions : l’ampleur des chocs et l’exposition à ces chocs6.
23La première dimension, matérialisant l’instabilité de la croissance due aux chocs naturels (tremblements de terre, éruptions volcaniques, chocs climatiques...) et exogènes (chutes de la demande extérieure, instabilité des prix mondiaux des produits de base, fluctuations internationales des termes de l’échange...), regroupe trois indices : (1) l’indice « homeless » (sans-abri) donné par le pourcentage de population déplacée pour cause de catastrophe naturelle, (2) l’indice relatif à l’instabilité de la production agricole mesurée par rapport à sa tendance, et (3) l’indice de l’instabilité des exportations de biens et services (en valeur réelle) également par rapport à leur tendance.
24La seconde dimension, mesurant l’importance de l’exposition structurelle d’un pays aux chocs exogènes, est quant à elle constituée de quatre éléments : (1) la dimension de la population (la taille de l’économie), exprimée en logarithmes, (2) le coefficient de concentration des exportations, exprimé comme un indice « à la Herfindahl-Hirschmann », (3) l’indice de l’éloignement par rapport aux principaux marchés mondiaux, calculé comme la moyenne pondérée des distances nécessaires, pour un pays, pour atteindre une fraction significative des marchés mondiaux et (4) la part de l’agriculture, incluant la pêche et la forêt, dans le PIB.
25Au final, l’indicateur de vulnérabilité économique du CDP est la moyenne arithmétique des deux blocs, qui eux-mêmes reposent sur une moyenne arithmétique de leurs composantes (voir figure en annexe 3).
Le choix d’un indicateur de soutenabilité environnementale
26Conformément à la vision généralement adoptée par les grandes institutions internationales sur le développement durable (Godard, 2008), nous basons la détermination de notre pilier sur la notion de soutenabilité faible. La soutenabilité faible suppose qu’il existe une substituabilité possible entre le capital naturel et le capital construit, et que le progrès technique est toujours capable de modifier les processus productifs dans un sens de moins en moins polluant (Cabeza Gutès, 1996).
27Il s’agit alors de choisir un indicateur élémentaire capable d’approcher au mieux et de manière relativement simple la soutenabilité faible pour l’ensemble des PVD. Dans cette étude, notre choix s’est porté sur la variable de l’intensité énergétique7 (notée x4), c’est-à-dire le degré de pollution, généralement approché par les émissions de gaz à effet de serre, généré par le système de production en cours et donc par le processus de croissance économique d’un pays. Concrètement, la pollution est évaluée à partir des émissions de CO2 par unité de PIB8. En effet, celle-ci résume assez bien les enjeux politiques sur le changement climatique dégagés au niveau international (protocole de Kyoto, conférence de Johannesburg) ainsi que les enseignements du courant théorique dominant de la littérature économique concernée.
28Il faut construire ensuite l’indice dimensionnel associé à l’intensité énergétique. Le principe de normalisation est celui habituellement retenu dans la méthodologie de construction de l’IDH, à savoir :
29Notons que la valeur maximale est celle du pays affichant le plus gros score sur cette variable, en l’occurrence le Kazakhstan avec 2,07 kt, alors que la valeur minimale est simplement l’objectif à atteindre, donc un niveau d’émissions nul. La relation suivante nous donne un indice dimensionnel de l’intensité énergétique, compris entre 0 et 1, mais pour lequel la valeur 1 correspond à un niveau très élevé d’émission. Or, dans un souci d’harmonisation au niveau de la construction de l’ISDH, nous avons besoin de l’efficacité énergétique plutôt que l’intensité énergétique. En fait, la première se déduit simplement de la seconde de la manière suivante :
30X4 = (1-X4)
Une application à un ensemble de pays en développement
31Nous avons construit l’IDHS pour 119 PVD figurant dans le RMDH de 2005 établi par le Pnud (voir le tableau en annexe 2).
32Les données sur l’IDH et celles relatives à l’intensité énergétique de la croissance sont extraites du rapport 2007-2008 (Pnud, 2008). Les séries concernant l’EVI sont disponibles pour les années 2006 et 2009 dans la base de données des Nations unies9. L’IDH, étant calculé pour l’année 2005, nous avons ainsi retenu les indicateurs correspondants à l’année 2006, ces derniers reposant sur des données élémentaires de 2005. Par ailleurs, l’objectif de la présente étude étant d’isoler d’éventuelles caractéristiques des PEID dans le domaine du développement humain, plusieurs groupes de pays ont été dégagés (voir Annexe l)10, en l’occurrence (1) l’ensemble des PVD, (2) les PEID au sens de la Cnuced, (3) les PEI au sens des Nations unies et (4) les Pays les moins avancés (PMA) au sens de la Cnuced.
33Les résultats obtenus pour l’ensemble des PVD sont présentés dans le tableau en annexe 2). Ce dernier montre que l’introduction de la vulnérabilité économique et de la soutenabilité environnementale modifie, de façon substantielle, la valeur de l’indicateur de développement humain. Dans ce sens, plusieurs enseignements intéressants peuvent être dégagés.
34En premier lieu, lorsque l’on considère l’IDHS global, des changements significatifs apparaissent, tant au niveau de l’indice que du rang, par rapport à l’IDH standard. En effet, on observe que de nombreux pays sont fortement touchés par les modifications, ce qui a pour conséquence de bouleverser le classement mondial dans le domaine du développement humain. À titre indicatif, comme le précise le tableau 1, les pays les plus touchés perdent jusqu’à 0,289 point passant ainsi du rang de pays à développement humain fort (avec des IDH supérieurs à 0,800) au rang de pays à développement humain moyen à faible (avec des IDHS avoisinant les 0,600). Les pays, subissant la perte la plus grande, sont dans l’ordre décroissant Trinidad-et-Tobago (- 0,289 pt), les Émirats arabes unis (- 0,248 pt) et le Bahreïn (- 0,230 pt). Notons qu’il s’agit de pays dont le secteur énergétique tient une place importante dans l’économie puisque la production de gaz et de pétrole représente 40 %, 38 % et 30 % de l’activité économique respectivement. L’intégration de la dimension environnementale permet donc de rendre compte de la non-soutenabilité de ces modes de développement qui sont générateurs de quantité importante de gaz à effet de serre.
35À ce stade, il convient de préciser qu’un niveau relativement faible de l’IDHS ne signifie pas que le pays concerné dispose d’un niveau de développement humain faible. Il indique simplement que le développement humain actuel n’est pas tenable sans de profondes modifications au niveau de la structure productive de l’économie considérée. Cette dépendance énergétique justifie également leur piètre performance en termes de vulnérabilité économique. Effectivement, ces économies sont largement dépendantes des conditions mondiales dans la mesure où leur base d’exportation n’est pas diversifiée. D’ailleurs, pour certains pays, comme le Bahreïn, la perte due à la vulnérabilité économique peut même dépasser celle occasionnée par la non-soutenabilité environnementale.
36En deuxième lieu, l’IDHS n’est pas fortement modifié pour les PMA. Le tableau 2 révèle qu’en moyenne l’indicateur a même plutôt tendance à s’améliorer (+ 0,037 pt). En désagrégeant, on s’aperçoit que ce résultat s’explique par une faible vulnérabilité économique (- 0,080 pt) et surtout par une bonne performance dans le domaine environnemental (+ 0,096 pt). En fait, ce dernier constat n’est pas surprenant. Cela signifie simplement que leur mode actuel de production et de consommation est encore peu développé et, par conséquent, peu générateur d’activités polluantes. Toutefois, cela n’est pas rassurant pour autant dans la mesure où ces pays « pauvres » par nature n’ont pas les moyens de mettre en place des activités productrices « propres » qui leur permettront, dans un futur probablement éloigné, d’enclencher un processus de développement humain durable à long terme. En clair, les PMA présentent un niveau courant de développement humain soutenable car justement ce niveau est encore relativement faible.
37En troisième lieu, plusieurs commentaires doivent être faits sur le particularisme de l’ensemble des PEID11 quant au problème du développement humain. Le tableau 2 permet ainsi de mettre en évidence certains faits stylisés.
38Une première constatation est que les PEID ont un niveau d’IDH supérieur de 0,080 point par rapport à la moyenne des PVD, ce qui signifie que leur niveau de développement humain, tel qu’il est évalué aujourd’hui, place ce groupe de pays dans la partie supérieure de la classe intermédiaire (classification Cnuced). Or, lorsque l’on observe l’IDHS global pour ce groupe de pays, nous constatons que la différence entre les PEID et l’ensemble des PVD se resserre puisqu’elle n’est plus que de 0,040 point. Même si le niveau d’IDHS des PEID reste finalement supérieur au niveau des PVD, on peut souligner qu’ils perdent globalement 0,076 point du fait de l’introduction des dimensions de la vulnérabilité économique et de la soutenabilité environnementale. Un constat général s’impose alors. Le niveau actuel de développement atteint par le groupe des PEID n’est pas soutenable à moyen et long termes.
39Ensuite, une analyse plus détaillée de ces deux piliers dévoile que les PEID sont à la fois plus vulnérables économiquement et moins soutenables sur le plan environnemental, avec toutefois une importance plus marquée pour la vulnérabilité économique. Lorsqu’on intègre la vulnérabilité économique (la soutenabilité environnementale), l’écart entre les valeurs pour les PEID et les PVD tend à se réduire pour n’afficher que 0,044 point (0,069 point) en plus. Dans les deux cas, ce groupe de pays semble donc être plus sensible que l’ensemble des PVD. Les PEID sont, par conséquent, plus touchés par la vulnérabilité économique que l’ensemble des pays en développement puisqu’ils perdent en moyenne 0,125 point contre 0,089 pour les PVD12. Ce résultat indique que, même si les PEID sont en moyenne plus développés sur le plan humain, leurs économies sont également plus fragiles. L’analyse des contributions des différentes dimensions à l’indicateur global corrobore cette conjecture. Le tableau 3 indique clairement que le pilier qui contribue le moins à l’IDHS des PEID est celui portant sur le niveau de vie ajusté de la vulnérabilité économique. En effet, le pilier 3 ne représente que 11,62 % de la performance globale, ce qui est largement en dessous du pourcentage des autres (homogènes aux alentours des 29-30 %).
40Il en est de même avec l’introduction de la soutenabilité environnementale qui tend globalement à augmenter le niveau de l’IDH pour les PVD du fait de la faiblesse des structures productives de grande envergure. Toutefois, cette augmentation est moins importante pour les PEID. On observe, en effet, une variation positive de seulement 0,018 point pour les PEID contre 0,036 point pour l’ensemble des PVD. Cela provient du fait que les PEID ont une structure de production en moyenne plus développée que celle des PVD et donc davantage émettrice de CO2.
Conclusion
41Dans cette étude, une version modifiée de l’IDH a été mise en œuvre afin de mesurer les performances récentes, en termes de développement humain soutenable, réalisées par un large ensemble de pays en voie de développement. Nous nous sommes particulièrement focalisés sur le cas des PEID dont la spécificité, à la fois sur le plan économique et environnemental, fait consensus dans la littérature. À cet effet, deux éléments nouveaux ont été introduits, à savoir la vulnérabilité économique, qui vient relativiser l’importance du niveau du PIB réel par habitant (PPA), et la soutenabilité environnementale, qui évalue le caractère éventuellement « prédateur » de la stratégie de développement humain suivi par les différents pays.
42L’IDHS, qui en découle, permet de mettre en exergue plusieurs enseignements intéressants. D’abord, le nouvel indicateur révèle des modifications de grande ampleur à la fois dans le niveau des indices et dans les rangs associés. Ces changements sont nettement marqués pour certains pays affichant des niveaux d’IDH relativement élevés au départ. Cela tend à montrer qu’un niveau de développement humain important aujourd’hui n’est pas la garantie d’un niveau de développement important demain si des précautions sur le plan économique et environnemental ne sont pas prises en compte. Ensuite, les résultats associés au groupe des PEI (et des PEID) montrent qu’en moyenne ces derniers, même si leur développement humain courant est satisfaisant, ne sont pas sur une trajectoire de développement humain soutenable. Cela semble davantage s’expliquer par une très forte vulnérabilité économique, qui réduit l’importance de leur niveau de vie courant, que par un problème de soutenabilité environnementale.
Bibliographie
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United Nations, 1999 – Vulnerability and poverty in a global economy. Rapport du Comité des politiques du développement sur la première session, New York, Nations unies.
Annexe
Annexe 1. PVD, PEI, PEID et PMA : La décomposition des groupes
Groupe 1 : l’ensemble des PVD.
Groupe 2 : les PEID au sens de la Cnuced, à savoir Antigua-et-Barbuda, Bahamas, Barbade, Cap-Vert, Comores, Dominique, Fidji, Grenade, îles Salomon, Jamaïque, Maldives, Maurice, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Saint-Christophe-et-Niévès, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Samoa, São Tomé-et-Principe, Seychelles, Timor oriental, Trinidad-et-Tobago, Tonga, Vanuatu.
Groupe 3 : les PEI au sens des Nations unies, à savoir les pays du groupe 2 plus Bahreïn, Haïti, République dominicaine, Singapour.
Groupe 4 : les PMA au sens de la Cnuced, à savoir Angola, Bangladesh, Bhutan, Bénin, Burundi, Burkina Faso, Cambodge, Cap-Vert, Congo, Comores, Djibouti, Éthiopie, Érythrée, Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Guinée équatoriale, Haïti, îles Salomon, Lesotho, Madagascar, Malawi, Maldives, Mali, Mauritanie, Mozambique, Myanmar, Niger, République centrafricaine, République démocratique populaire Lao, Rwanda, Samoa, São Tomé-et-Principe, Sénégal, Sierra Leone, Soudan, Tchad, Timor oriental, Togo, Ouganda, Vanuatu, Yémen, Zambie.
Annexe 2. L’IDH et L’IDHS : un récapitulatif pour l’ensemble des PVD
Annexe 3. La composition de l’IVE du CDP
Notes de bas de page
1 Dans un souci de comparaison internationale, nous nous focalisons sur les indicateurs dits « synthétiques » ou « composites ».
2 Par PEI il faut entendre les petites îles, périphériques ou non, et territoires continentaux ayant les mêmes caractéristiques économiques et d’éloignement et membres d’association d’États insulaires (voir Bayon, 2007).
3 Une liste non officielle de 29 PEID est donnée par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced).
Voir http://www.unctad.org/Templates/Page.asp?intltemlD=3645etlang=1.
4 Les bornes inférieures et supérieures sont fixées par le Pnud (Pnud, 2008).
5 Nous considérons que la vulnérabilité économique est l’opposé de la soutenabilité de la croissance. En effet, plus un pays est vulnérable et moins sa croissance est durable, ceteris paribus. Néanmoins, le raccourci est un peu rapide étant donné que la soutenabilité de la croissance ne dépend pas seulement de la vulnérabilité vis-à-vis des chocs (Guillaumont, 2008).
6 La résilience est écartée de l’analyse car elle dépend de la politique présente, plus facilement réversible et donc moins structurelle.
7 Les détails sur la construction de cette variable élémentaire sont donnés plus bas.
8 Exprimé en kilo/tonnes (kt) de C02 par million de US $ (PPA, 2000).
9 Les données relatives à l’EVI pour les PVD sont disponibles à l’adresse suivante : http://webapps01.un.org/cdp/dataquery/selectCountries.action.
10 Les seuls pays pour lesquels l’ensemble des données était disponible ont été retenus. Par conséquent, certains pays, faisant partie normalement des classifications institutionnelles, ont dû être écartés.
11 Nous ne discutons pas des résultats des PEI car ils sont globalement similaires (avec des valeurs légèrement supérieures) à ceux des PEID.
12 Ce résultat vient conforter ceux issus des travaux de Guillaumont (2008). Ce dernier montre, effectivement, que la vulnérabilité économique est plus forte pour les PEI comparativement aux PVD et même aux PMA.
Auteurs
sgarabed@univ-reunion.fr
Maître de conférences, université de la Réunion, Ceresur
jfhoarau@univ-reunion.fr
Maître de conférences, université de la Réunion, Ceresur
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