Quelles nouvelles stratégies pour rendre durables les zones franches industrielles d’exportation en République dominicaine et à l’île Maurice ?
What new strategies to make sustainable the export processing zones in the Dominican Republic and Mauritius?
p. 245-263
Résumés
Les zones franches ont deux statuts différents dans les territoires dominicain et mauricien. Ce sont des enclaves économiques pour le premier tandis que toute l’île est une zone franche pour le second. Ces différences de statuts induisent des différences fondamentales pour l’adoption de stratégies économiques pour rendre durables les activités. Toutefois, les grands principes de préservation de l’environnement sont appliqués (ou en cours d’application), à savoir l’optimisation de la gestion des déchets solides et liquides et la gestion des ressources énergétiques. L’écologie industrielle, nouveau concept, peut servir à la mise en œuvre de réflexions et, par la suite, de pratiques pour un développement plus soucieux de l’environnement insulaire. Les nouvelles stratégies intègrent la dimension sociale par le biais du concept de Responsabilité sociale des entreprises (RSE).
The free-trade zones have two different statutes in the Dominican Republic and Mauritian territories. They are economic enclaves for the first one whereas all the island is a free-trade zone for the second. These different statutes infer fundamental differences for the adoption of economic strategies to make long-lasting activities. However the major principles of environmental protection are applied (or in the course of application), namely the optimization of the solid and liquid wastes and energy resources management. The industrial ecology concept can be of use to consider and, afterward, concerned with practices for a development more impliment the island environment. The new strategies integrate the social dimension through the concept of Corporate Social Responsibility (RSE).
Entrées d’index
Mots-clés : développement durable, district industriel, écologie industrielle, responsabilité sociale des entreprises (RSE)
Keywords : sustainable development, industrial district, ecological industry, corporate social responsibility
Texte intégral
1Les zones franches, perçues comme des outils de développement, ont connu une véritable success story en République dominicaine et à l’île Maurice au cours des années 1980. Les accords commerciaux préférentiels comme les accords Afrique Caraïbe Pacifique (ACP) et le Caribbean Basin Initiative (CBI) ont favorisé la délocalisation des unités d’assemblage dans ces deux territoires. Localement, cela s’est traduit par des taux de croissance élevés, des créations massives d’emplois féminins et des entrées de devises nécessaires aux remboursements des dettes publiques. Le démantèlement des accords multifibres vise une concurrence pure et parfaite sur le marché du textile et il expose les deux territoires aux concurrences chinoise et indienne. Dans ce nouveau contexte, quelles sont les nouvelles stratégies pour rendre durables les zones franches industrielles d’exportation en République dominicaine et à l’île Maurice ?
Deux statuts différents des zones franches
2Les zones franches en République dominicaine et à l’île Maurice n’ont pas le même statut. Il s’agit d’enclaves économiques pour la première et d’une zone franche concernant toute l’île pour la seconde. Ces statuts législatifs ont entraîné une différence fondamentale dans le processus de développement des deux territoires. Bien que la première fonction de ces zones était de recevoir des activités d’assemblage des entreprises délocalisées du Nord, ces espaces industriels ont évolué au cours des dix dernières années de manière complètement différente. L’insertion dans la mondialisation oblige un renouvellement des stratégies pour les rendre durables (Bost, 2007 ; Dimou et Schaffar, 2005).
3Les acteurs privés locaux ont pris une part active au développement des activités par la pratique de joint venture. À titre d’exemple, les communautés franco-mauricienne, chinoise et musulmane de l’île Maurice ont investi leurs capitaux dans le textile et l’habillement (De Gentile, 1997 ; Safla, 1998). Les pouvoirs publics ont institutionnalisé l’encadrement de l’activité par le biais d’administrations en charge de veiller et de conseiller les acteurs concernés, territorialisant dans les espaces nationaux et locaux les activités exportatrices (Hein, 1996).
4Malgré un poids démographique et des superficies complètement différentes, les entreprises et les emplois créés sont pratiquement identiques dans les deux territoires. La République dominicaine fait partie des Grandes Antilles. Forte de près de 9 millions d’habitants en 2006 pour 48 730 km2 (Oficina National de Estadístíca, 2008 : 66), les fortes densités de population se concentrent sur le littoral caribéen de Bani à La Romana et dans la vallée centrale du Cibao (fig. 1). L’île Maurice, dans le sud-ouest de l’océan Indien, est bien plus petite. Elle compte parmi les Petits États insulaires de la Cnuced1. Le territoire compte près de 1,2 million d’habitants en 2006 sur une superficie de 1 864 km2. L’île est densément occupée, 654 habitants par kilomètre carré, comparée aux densités dominicaines, 184 habitants par kilomètre carré. En 2007, les zones franches accueillent près de 526 entreprises pour 128 000 emplois pour la République dominicaine (CNZFE, 2008) et 404 entreprises pour 67 315 emplois pour l’île Maurice (C.O of Mauritius, 2008). Lintensité des flux import/export de ces zones franches a contribué en partie au développement des deux nations en favorisant l’entrée de devises pour les besoins de fonctionnement des États (Poirine, 1995).
Des enclaves économiques en République dominicaine
5En République dominicaine, les zones franches lancées en 1969 sont des enclaves économiques. La loi n° 8-90 les définit comme « une aire géographique strictement délimitée où les contrôles douaniers et les fiscalités spéciales sont établis par la loi de manière à ce que les entreprises destinent leurs productions et services pour le commerce extérieur » (CNZFE, 2008).
6Elles sont construites soit par des acteurs privés, soit par l’État ou les deux à la fois. Les zones industrielles privées sont souvent l’initiative d’entrepreneurs locaux spécialisés dans les secteurs du textile et de l’habillement2.
7Ces zones industrielles proposent aux clients étrangers tout le processus de production allant de la conception assistée par ordinateur (CAO) à la livraison du produit final, tandis que les entrepreneurs étrangers construisent des zones industrielles pouvant accueillir uniquement des unités d’assemblage. C’est le cas de Central Romana, à capitaux nord-américains et italiens. L’entreprise est à l’origine spécialisée dans la transformation de la canne à sucre. Elle a diversifié ses activités en construisant la première zone industrielle du pays en 1970 pour accueillir des unités d’assemblage (Burac, 1995). Ce sont aujourd’hui ces zones d’assemblage qui sont les plus touchées par le démantèlement des accords multifibres de 2005.
L’île Maurice, une île entièrement zone franche
8Contrairement à la République dominicaine, l’île Maurice entière est une zone franche. Cette délimitation géographique correspondant à la partie émergée de l’île n’est pas une singularité mauricienne. Le statut de zone franche est attribué à des îles entières comme St-Kitts-et-Nevis, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Barbade, Antigua et Barbuda et la Dominique (Dommen, 1987 ; Poirine, 1995 : 76 ; Buzenot, 2008 :115).
9La zone franche mauricienne a été promulguée par l’Export Processing Zone Act n° 551 de 1970. Elle se met en place après le semi-échec de la politique de substitution aux importations. En effet, durant sa période d’autonomie le gouvernement octroie des Certificats de développement aux entreprises désireuses de se lancer dans l’industrialisation du pays. Grâce à ce statut, ces entreprises bénéficièrent d’exemption d’impôt sur les revenus pour les cinq premières années, de réductions de taxes pour l’importation de matières premières et de machines. Des industries d’import-substitution se créent dans des secteurs aussi divers que l’agro-alimentaire, la confection, la chimie, la métallurgie et l’industrie manufacturière. Mais cette politique est un semi-échec car le taux de chômage demeure élevé, le déficit commercial se creuse et les devises étrangères se font rares.
10Accueillant dans un premier temps essentiellement de l’assemblage, la zone franche mauricienne connaît une évolution vers un district industriel textile (Dimou et Schaffar, 2005). Il est relativement difficile de définir ce concept malgré les efforts répétés des auteurs italiens qui l’ont remis à l’ordre du jour au cours des années 1970 (Daumas, 2006). Nous pouvons cependant identifier les critères permettant de tenir une affirmation aussi forte.
Les acteurs du secteur aussi bien public que privé ont réussi à créer un environnement économique favorable à l’essor, au développement et au maintien du secteur textile et habillement sur leur territoire. Les grands industriels du secteur sont issus des élites locales franco-mauricienne, musulmane et chinoise. Les interactions et (ou) interférence dans la sphère politique sont beaucoup plus faciles que pour des investisseurs étrangers. La présence des élites mauriciennes dans la sphère productive destinée à l’exportation est une garantie pour les investisseurs étrangers car elle représente une sorte de reconnaissance par l’État de la propriété privée. De plus, la synergie public/privé garantit le bon fonctionnement de l’activité sur le territoire. Le gouvernement répond souvent aux exigences des industriels en mettant des politiques économiques favorables aux exportations3.
La montée vers la haute technologie est l’une des réponses pour le maintien des activités textile et habillement sur le territoire. À l’origine, les activités étaient fortement intensives en travail non qualifié. À partir des années 1990, le gouvernement mauricien s’engage à réunir les conditions d’apparition d’un ensemble d’avantages technologiques pour les firmes du secteur : création d’un Institut textile pour le design, l’application des normes ISO 9000 pour des produits de qualité, la structuration d’un réseau d’informations et d’échanges entre les entrepreneurs (Dimou et Fernand, 2008). Au sein des firmes, les systèmes productifs sont modernisés : les machines à tricoter, à filer, à découper sont automatisées par des systèmes de gestion informatique.
Les petites et moyennes entreprises du textile et habillement participent avec les grandes entreprises au système productif local. Un réseau de PME prend part au développement local en s’appuyant sur les effets de proximité générés par la petite taille de l’île. L’exportation de la production demeure le véritable problème. De par leur petite taille (effectif, capacité de production et montant des investissements), les PME mauriciennes ont besoin de l’action des pouvoirs publics pour exporter. Enterprise Mauritius4 encadre les stratégies de glocalisation5.
La primauté de la dimension économique dans les politiques de développement durable
11Les zones franches étaient les moteurs de la croissance économique au cours des décennies 1980-19906. Elles ont contribué à la création de milliers d’emplois, à l’entrée de devises nécessaires au remboursement des dettes publiques et à moderniser les infrastructures de transport. Durant cette période de forte croissance, les activités se sont développées au détriment de l’environnement. Les tissus et fils décoraient souvent les champs de canne. Les jeunes femmes mauriciennes et dominicaines ont constitué le bataillon de main-d’œuvre non qualifiée œuvrant pour l’industrialisation de leur pays dans des conditions souvent dénoncées par les ONG. Les préoccupations récentes pour le développement durable amènent de nouvelles mesures prenant en compte l’environnemental et le social selon des ordres prioritaires différents dépendant des divers acteurs en action. Les mesures prises par les acteurs politiques et économiques mauriciens et dominicains privilégient la dimension économique du développement durable. Dans ces cas, la dimension économique joue le rôle de superstructure à partir de laquelle découlent toutes les actions sociales et environnementales (Bürgenmeier, 2005). Nous traitons ici des stratégies économiques mises en place pour rendre durables les activités textiles et habillement dans les deux territoires.
Les zones franches privées en République dominicaine
12La présence de trois types de zones franches, privées, publiques et mixtes, sur le territoire dominicain se traduit par des stratégies multiples pour rendre l’activité durable. En ce qui concerne les zones franches privées, l’origine du capital est déterminante dans la mise en place de stratégies. Les capitaux émanent soit d’investisseurs étrangers, soit d’entrepreneurs locaux.
13Les zones franches d’assemblage privées comme La Romana, à capitaux étrangers, tentent de maintenir les activités intensives en travail non qualifié en demandant auprès du gouvernement la pérennisation des relations commerciales avec les États-Unis et l’ouverture vers les puissances émergentes d’Amérique du Sud comme le Brésil et l’Argentine. Le Caribbean Basin Initiative (CBI), accord commercial lancé en 1983 par le président américain Reagan, avait permis une envolée spectaculaire des zones franches en République dominicaine. Dans ce contexte commercial protégé, sans concurrence Sud-Sud, ce pays est devenu le deuxième exportateur de vêtements vers les États-Unis derrière les maquilladoras mexicaines (Buzenot, 2008). Le renouvellement de ces accords en 1994 (CBI II) et en 2000 (Caribbean Basin Trade Partnership Act) continue de garantir l’accès au marché étasunien pour les unités d’assemblage qui subissent de plein fouet les concurrences chinoise et indienne. Lors de la signature du dernier accord, des clauses ont été assouplies notamment celles sur l’origine de la matière première. Les entrepreneurs peuvent désormais s’approvisionner sur les marchés régionaux (Buzenot, 2008).
14Les zones franches privées tenues par des entrepreneurs locaux mettent en place des stratégies de modernisation et de montée vers le haut de gamme, tout en gardant le privilège des accords commerciaux. Union Textil International et Grupo M, deux firmes à capitaux dominicains, possèdent leurs propres zones franches dans la région industrielle de Santiago de los Caballeros. Les productions sont entièrement intégrées. Ces entreprises proposent à leurs clients toutes les étapes de la production allant de la conception, de la fourniture des matières premières à l’emballage et l’expédition en passant par des techniques de productions simples (impression et sérigraphie) et complexes (broderie). Ces firmes procèdent également à une délocalisation d’une partie de leurs productions intensives en travail non qualifié vers la frontière haïtienne. La législation dominicaine autorise depuis 2002 la possibilité de construire des zones franches sur quatre points de passage avec Haïti : Dabajón, Pedernales, Montecristi et Jimaní (Buzenot, 2008).
La consolidation des petites et moyennes entreprises du district industriel textile mauricien
15Longtemps oubliées des politiques de développement du territoire, nous assistons à une prise en compte des petites et des moyennes entreprises dans le développement endogène mauricien. La raison est simple. Le textile est dominé par 13 grands groupes qui concentrent 69 % des emplois et 83 % des exportations7. Ces grands groupes procèdent à des délocalisations et s’internationalisent. À une vision purement développementaliste succède une vision beaucoup plus territoriale du développement où les petites et moyennes entreprises jouent un rôle central.
16L’exportation vers les espaces économiques régionaux (Southern African Development Community et Common Market for Eastern and Southern Africa) et la Scandinavie est le créneau choisi par le gouvernement et le secteur privé pour consolider ces petites et moyennes structures dans l’économie mauricienne. Des séances de formation sont organisées par Enterprise Mauritius pour informer sur la qualité des produits (normes ISO 9000), les marchés de la mode et du prêt-à-porter, les réseaux de distribution et les moyens de transport.
17Le renforcement des PME resserre le tissu industriel local. L’aide accordée à ces structures sert à la conservation des emplois surtout dans les districts ruraux.
Intégration secondaire de principes sociaux et environnementaux
18Le développement durable est la couverture morale des entreprises. L’introduction des notions d’éthique, d’équité et de production propre façonnent une nouvelle image des activités textiles et habillement. Le dessein des entreprises du secteur est de garder des parts de marchés mondiaux.
Pour garder les parts de marchés mondiaux
19La pratique de la consommation citoyenne s’est développée dans les marchés du Nord. En effet, de plus en plus de consommateurs sont sensibles aux moyens de production usités dans les pays ateliers. Les campagnes de dénonciation menées par des ONG sur les conditions de travail des ouvriers ont terni l’image des industriels. La demande des consommateurs citoyens du Nord souhaite une modification des produits et des systèmes productifs de l’offre. Cependant, elle reste marginale au regard de la masse de vêtements du prêt-à-porter vendus chaque année sans l’étiquette d’une production propre.
20Pour répondre à cette nouvelle demande, les entrepreneurs intègrent des principes sociaux dans l’organisation interne de leurs entreprises. « La Responsabilité sociale des entreprises (RSE) est l’ensemble des initiatives positives émanant du secteur privé, allant au-delà de la législation en vigueur, dans les domaines sociaux, économiques et environnementaux. » C’est la définition de l’Organisation internationale des employeurs (Capron et Quairel-Lanoizelee, 2007). La RSE fait partie d’un pacte mondial initié en 1999 au Forum économique de Davos, en Suisse. Ce pacte invite les entreprises à adopter, soutenir et appliquer dans leur sphère d’influence un ensemble de valeurs fondamentales, dans les domaines des droits de l’homme, des normes de travail et d’environnement, et de lutte contre la corruption.
21Seules les grandes firmes ont les moyens financiers pour développer en interne un département réfléchissant aux problèmes sociaux et environnementaux. Les petites et moyennes entreprises mauriciennes restent largement en dehors du mouvement. En revanche, le discours des entreprises a pris des accents écologiques et humanitaires. Les campagnes de dénonciation et la mauvaise image des zones franches textiles ternissent l’image des entrepreneurs. Pour contrecarrer cette image, certaines entreprises se présentent comme étant en adéquation avec les valeurs morales du moment. Ainsi, Ciel Textile met en avant sur son site internet son programme intitulé Ciel Textile’s Global Strategy on Sustainable Development, ses engagements dans l’agriculture biologique, par conséquent son approvisionnement en fibres naturelles biologiques (Coton), et dans la lutte contre la pauvreté des régions fournisseuses. Des dispositifs assurent la cohérence et la crédibilité des discours : codes de conduites, chartes éthiques, certification sociale et environnementale et audits par des tiers des dispositifs d’évaluation et de reddition (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2007) (fig. 2).
22L’iconographie présente sur le site Internet de Ciel Textile illustre les divers dispositifs mis en place pour assurer la crédibilité du discours. Fairtrade est un label de certification pour les produits provenant de pays en développement. C’est un label commerce équitable qui garantit aux agriculteurs concernés de meilleurs prix que ceux fixés sur les marchés mondiaux. Son acceptation en tant qu’instrument de lutte contre la pauvreté place l’entreprise au cœur du développement durable basé sur l’équité. Organic Exchange est un réseau d’information sur le coton et l’agriculture biologique. Organic Cotton garantit l’approvisionnement de l’entreprise en matières premières biologiques et prouve son soutien à l’agriculture biologique. Sustainable textile est une autre certification sur l’usage des matières premières biologiques.
23Les entreprises ont de plus en plus conscience que leur succès commercial et leurs bénéfices ne découlent plus uniquement d’une maximisation des profits à courts, moyens et longs termes mais qu’ils exigent un comportement responsable (Burgenmeier, 2005).
Est-il possible d’appliquer le concept d’écologie industrielle ?
24Défini par Robert Frosch comme « l’ensemble des pratiques destinées à réduire la pollution industrielle » (Frosch, 1995), le concept d’écologie industrielle offre de nouvelles perspectives pour l’aménagement durable des territoires et pour les stratégies de développement durable des firmes. Le concept prône une approche systémique des activités et la mise au point de méthodes de production industrielle pour limiter les impacts de la production industrielle sur l’environnement en s’inspirant du fonctionnement d’un écosystème biologique. Les déchets solides ou liquides d’une entreprise deviennent les matières premières ou sources d’énergie pour d’autres entreprises. La ville de Kalundborg au Danemark, située au bord de la mer du Nord, illustre une belle réussite d’écosystème industriel (Erkman, 2004 : 28 ; Diemer et Labrune, 2007).
L’application du concept à Puerto-Rico
25Puerto-Rico est de loin l’île la plus industrielle de la Caraïbe. Son industrialisation intensive a eu lieu au cours des années 1950. L’opération Bootstrap de Muñoz Marin consistait à attirer des investisseurs potentiels en proposant des avantages fiscaux sur de longues périodes et à bénéficier des avantages comparatifs salariaux d’une main-d’œuvre nombreuse et peu salariée. Les entreprises installées sont nord-américaines. Les activités manufacturières sont passées en 50 ans vers plus de valeur ajoutée : du textile à l’industrie pharmaceutique. En 2000, l’industrie pharmaceutique puertoricaine représentait 20 milliards de dollars en exportations, 65 installations et plus de 25 000 employés. L’île produit 16 des 20 premiers médicaments les plus prescrits sur ordonnance aux États-Unis (Deschenes et Chertow, 2004 : 207).
26Le concept d’écologie industrielle a été appliqué dans l’île sur plusieurs sites industriels8. Une trentaine d’études ont été menées par le Centre d’écologie industrielle de l’université de Yale sous la houlette de Mariam Chertow. L’objectif du programme de recherche s’étendant sur sept ans (2001-2008) était de rendre durable l’activité industrielle en ayant comme souci la préservation de l’environnement par réduction de la pollution.
27Le site de Barceloneta illustre entre autres l’application du concept en milieu insulaire9. La ville est située au nord de l’île au-dessus du système aquifère le plus abondant. Elle concentre une quinzaine d’entreprises pharmaceutiques dont les principales préoccupations, depuis le début des années 1980, sont l’approvisionnement en eau et la gestion des déchets (Deschenes et Chertow, 2004 : 210).
28L’écosystème industriel de Barceloneta prit naissance après la signature de deux accords de coopération lancés par les entreprises pharmaceutiques (fig. 3). Le premier concernait le financement et la gestion de la station régionale d’épuration pour traiter les eaux usées. Huit sociétés ont formé un conseil consultatif pour gérer cette entente. Celui-ci a servi de forum de discussion entre les différents partenaires et a permis l’instauration d’une « culture de la coopération ». La dynamique de coopération est telle que certains membres ont proposé l’établissement d’une « co-génération partagée » pour la production de vapeur et d’énergie électrique à partir de leurs eaux usées et de leurs déchets. Le second accord concerne le traitement des déchets dangereux et le recyclage de solvants pour des usines de fabrication de peinture (fig. 3). Des sociétés se sont greffées pour traiter les résidus de fermentation et la bourbe des eaux usées (Deschenes et Chertow, 2004 : 210 ; Ashton, 2008 : 39).
Timide ébauche d’un écosystème industriel dans le district textile mauricien
29Il n’existe pas d’écosystème industriel dans le district textile mauricien. On constate cependant l’ébauche d’un réseau éco-industriel pour la valorisation des déchets de tissus. Les pouvoirs publics interviennent peu dans la gestion des déchets solides des industriels. Les volumes à traiter sont trop importants.
30La valorisation des déchets de tissus s’effectue par le biais de deux sociétés de recyclage : Lagtex Co. Ltd et Recycling Industries Mauritius Limited. Mais la pratique n’est pas généralisée. Seuls les grands groupes vendent leurs déchets de tissus aux entreprises citées ci-dessus.
31Recycling Industries Mauritius Limited est une entreprise familiale mauricienne depuis 1987. Son patron, ancien enseignant du primaire, est très tôt marqué par les nombreux dépôts sauvages et il a l’idée du recyclage comme moyen de valoriser les déchets. Trois opérations sont effectuées : le tri et le pressage de chutes de tissus, la fabrication de feutres et la fabrication de ouates aiguilletées à partir de chutes de tissus invendables. Sur 100 tonnes de déchets textiles traitées, le processus de recyclage ne rejette que 30 tonnes. L’entreprise traite environ 2 à 5 tonnes de produits par jour, ce qui lui permet d’exporter entre 400 et 500 tonnes de produits recyclés par mois10.
32Le lavage de la laine brute, le tannage du cuir sont des sources de pollution pour les eaux utilisées, d’où l’importance de stations d’épuration efficaces. Mais il existe à Maurice seulement trois stations de traitement des eaux, correspondant aux grands systèmes d’assainissement, actuellement en exploitation. Elles sont toutes situées là où les besoins sont évidemment les plus élevés, les plaines Wilhems et à Port-Louis, vu la concentration des hommes et des activités.
33Il s’agit des stations de prétraitement des eaux de Fort-Victoria, de Pointe-aux-Sables et de Saint-Martin, localisées à proximité de Port-Louis et des plaines Wilhems (fig. 4). Le traitement des eaux ne profite qu’à un nombre limité de Mauriciens et d’entrepreneurs situés dans les zones industrielles de la Tour Koenig, de Coromandel, de Plaine-Lauzun et de Vacoas-Phoenix. Les usines disséminées sur le territoire sont censées disposer de leur propre station d’épuration11. Mais cela ne garantit pas un bon état de marche et une grande efficacité. Les ateliers qui s’insèrent dans les bâtiments non agréés à les recevoir et les usines de galvanoplastie, de lavage de la laine, du tannage du cuir et de la teinturerie, localisées dans les autres régions de l’île possèdent rarement de station d’épuration. Les entrepreneurs doivent faire appel aux camions-citernes mis à disposition par les collectivités locales. Certains considèrent que cette pratique est trop longue.
34La difficulté est de trouver les procédés et les moyens de mettre en œuvre une réintégration des eaux traitées dans les activités économiques. Le retraitement des eaux usées pour le fonctionnement de cogénération est envisageable.
Conclusion
35Les zones franches se maintiennent dans les territoires dominicain et mauricien grâce au renouvellement des accords commerciaux avec les puissances étasunienne et européenne. La modernisation des systèmes productifs et la recherche de qualité deviennent des garanties pour la durabilité économique de ces espaces industriels particuliers soumis à de nombreuses dérogations législatives. L’intégration de certains principes du développement durable alimente un discours écologique et humanitaire permettant aux industriels de garder des parts de marché sans subir des campagnes de dénonciation de la part d’organisations non gouvernementales ou des médias. Les problèmes environnementaux comme la gestion des déchets et le traitement des eaux usées demeurent marginaux dans les politiques nationales, mais les législations nationales sanctionnent les pollueurs.
36Un écosystème industriel textile dans le cadre mauricien limiterait grandement les impacts de l’activité industrielle sur l’environnement, tout en garantissant une économie de marché. Comme le note Suren Erkman, les échanges (même de déchets, de rejets et de polluants) obéissent aux lois du marché. Les industriels, ainsi que le recommandent Robert Frosch et Nicholas Gallopoulos (1989), doivent procéder à un ensemble d’opérations de rationalisation de la production : optimisation des consommations énergétiques et matérielles, minimisation des déchets à la source et réutilisation des rejets pour servir de matières premières à d’autres processus de production et à d’autres activités économiques (Vivien, 2003 : 51). Ils y trouvent des gains considérables pour maintenir leurs activités dans une nouvelle période de l’histoire économique intitulée « développement durable ».
Bibliographie
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10.3917/inno.018.0043 :Notes de bas de page
1 La Cnuced définit en 1983 les « Petits États insulaires » à partir de critères physique et démographique. Il ne s’agit que d’îles dont la population est inférieure à un million d’habitants et dont le territoire exigu n’excède pas les 30 000 km2. Au-dessus de ces seuils, les îles sont considérées comme économiquement viables.
2 Nous pouvons citer les zones industrielles des entreprises Union Textile International ou Grupo M, toutes deux localisées dans la région de Santiago de los Caballeros.
3 Nous faisons ici référence aux dévaluations monétaires.
4 Enterprise Mauritius est une structure institutionnelle mixte regroupant les secteurs public et privé. Elle s’occupe essentiellement de la promotion des PME mauriciennes dans le cadre de programme de modernisation et d’exportation sur les marchés régionaux et internationaux. http://www.enterprisemauritius.biz/
5 La glocalisation se définit comme une stratégie où la pénétration des produits et des marchés globaux est combinée à une forte intégration entrepreneuriale dans le contexte local.
6 Les taux de croissance étaient de 3,5 % pour la République dominicaine et supérieurs à 5 % pour l’île Maurice.
7 Entretien en décembre 2008 avec M. Hemant Jugnarian, directeur du Centre de développement pour le textile et l’habillement d’Enterprise Mauritius.
8 On peut citer les sites du Corridor technico-économique de Puerto-Rico (PRTEC) sur la côte ouest qui regroupe des entreprises dédiées aux technologies de l’information, de fabrication d’appareil médicaux et de l’électronique, les entreprises pharmaceutiques de Barceloneta au nord, Luchetti et San Juan.
9 Pour des informations supplémentaires sur les sites étudiés, voir le site du Centre d’écologie industrielle de Yale : http://yale.edu/cie/puertorico.htlm
10 Entretien avec le patron de la société en décembre 2008.
11 Norme définie dans le cadre de l’Environment Impact Assesment Act.
Auteur
laurence_buzenot@yahoo.fr
Docteur en géographie, université de la Réunion, Cregur
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