Écologie industrielle, gestion des déchets et territoire insulaire
L’exemple de l’archipel des Fidji
Industrial ecology, waste management and insular space. The example of the archipelago of Fiji
p. 229-244
Résumés
L’écologie industrielle est un modèle opérationnel des nouveaux savoir-faire dans le champ du développement durable. Les projets d’écologie industrielle, comme ceux initiés à l’University of South Pacific aux îles Fidji, s’intègrent totalement dans le nouveau paradigme de la production et de la consommation durables. La problématique spécifique des Petits États insulaires en développement nous invite à repenser cette démarche et la méthodologie de l’outil d’Analyse des flux de matières (AFM) concernant les échelles pertinentes et les contraintes spécifiques des territoires insulaires. Ainsi, l’écologie industrielle associée à une stratégie de gouvernance territoriale propose des solutions de coordination de filières de compétences et de nouvelles relations de proximité économique, participant ainsi à la fabrique endogène du développement durable.
Industrial Ecology is an operational concept for new capacity building in the field of Sustainable Development. Thus, projects of Industrial Ecology, like the ones enhanced in the University of South Pacific, are part of the new paradigm of sustainable production and consumption. The specific issue as the relevant scales and the spatial constraints of Small Island Developing States (SIDS) introduces a different point of view for the Material Flow Analysis tools. Hence, Industrial Ecology associated with a territorial governance strategy suggests a key lecture of industrial clusters, trade channels and sustainable development in the context of SIDS.
Entrées d’index
Mots-clés : écologie industrielle, territoire, gestion des déchets, action locale, flux de matières, Fidji
Keywords : industrial ecology, spatial approach, waste management, local action, material flow, Fiji Islands
Texte intégral
Écologie industrielle comme modèle opérationnel du développement durable
1L’injonction au développement durable se traduit dans les territoires par l’intermédiaire de cadres réglementaires et de concepts opérationnels. La mise à l’agenda de principes, comme la « responsabilité élargie des producteurs » et le « principe de précaution », a pour effet la mise en place progressive de législations (directive ROHS1, Déchets des équipements électriques et électroniques, règlement REACH, etc.) et de nouvelles modalités d’action publique (Agenda 21). Cela entraîne aussi, nécessairement dans le domaine professionnel, la création de nouvelles filières de compétences pour répondre à ces nouvelles contraintes.
2L’écologie industrielle est une modalité de mise en œuvre des nouveaux savoir-faire dans le champ du développement durable. Cet axe de recherche connaît un essor à la fin des années 1980 grâce à un article de deux ingénieurs de General Motors (Frosh et Gallopoulos) publié dans la revue Scientific American et largement diffusé. Remplacer le fonctionnement traditionnel du système industriel par un modèle plus intégré tel qu’un écosystème industriel est le principe qui permettrait une organisation de nos modes de vie compatible avec les capacités de la biosphère. En s’inspirant des caractéristiques des écosystèmes naturels, cette stratégie s’intéresse à l’optimisation de flux de matières et d’énergie et vise en conséquence, selon Dominique Bourg, « à minimiser les dissipations de matières, à décarboniser l’énergie et à dématérialiser l’économie » (Bourg, 2002 : 8). Elle s’exprime ainsi par des dispositifs pratiques suivant les domaines d’intervention (déchets, énergie, transport, etc.) qui sont conditionnés, à plusieurs échelles, par des dispositifs publics mis en place par les collectivités territoriales et des dispositifs privés concernant une entreprise, une filière ou une zone d’activités.
3La gestion des déchets est un enjeu sectoriel des politiques du développement durable. « Production et consommation durables » sont des objectifs de la stratégie nationale du développement durable dont le management se traduit grâce à des indicateurs de production de déchets et de collecte d’ordures ménagères. Comme le montre Y. Rumpala (2003), la notion de développement durable a ainsi renouvelé les cadres argumentatifs des différents acteurs et revisité les politiques publiques afférentes à la crise des déchets. Les projets d’écologie industrielle s’intègrent ainsi totalement dans le nouveau paradigme de la production et de la consommation durables, à l’heure où le recyclage et la planification territoriale d’élimination des déchets sont « grenellisés »2. Dès lors, la gestion de produits en fin de vie, tels que les déchets d’équipements électriques et électroniques, s’inscrit dans une démarche de filières territorialisées (Bahers, 2009) avec des objectifs de collecte et de recyclage.
Projets d’écologie industrielle dans les PEID (Petits États insulaires en développement)
4La problématique commune de développement des PEID fut soulevée notamment lors de la conférence de la Barbade (1994), de la 22e session de l’assemblée des Nations unies (1999) et du sommet de Johannesburg (2002). Ce sont en effet de petites îles qui partagent un défi de développement durable impliquant des caractéristiques communes : faible superficie et population, manque de ressources, vulnérabilité aux catastrophes naturelles, fragilité des écosystèmes, dépendance aux chocs économiques et financiers exogènes, importance des migrations de personnel qualifié3. Afin de permettre leur développement, plusieurs thématiques doivent être abordées impérativement telles que l’accès aux sciences et technologies, le transfert de savoir-faire, la protection de la biodiversité, mais aussi le management des déchets.
5Les Fidji (fig. 1), archipel du Pacifique sud constitué de 322 îles dont deux principales (Viti Levu et Vanua Levu4), sont un de ces territoires pour lesquels les vulnérabilités sont des contraintes spécifiques de développement. Ce pays d’Océanie est particulièrement concerné par la préservation de la biodiversité – notamment marine – et par les conséquences du changement climatique. Melchior Mataky et Kanyathu Koshy du Pacific Center for Environment (PACE) de l’University of South Pacific (USP) aux Fidji sont aux aguets et nous éveillent quant aux menaces du changement global sur le développement local :
6« Climate change, whether due to natural variability or human activity, is one of the most pressing issues for the Pacific islands countries. The impacts of climate variability and extreme events such as cyclones, floods, droughts and sea level rise are rapidly pushing people beyond their coping range. The already strained economies are being drained trying to keep with the impacts of these stresses on livelihoods5 » (Mataki et al., 2007: 15).
7Les auteurs insistent en conclusion sur la nécessité de s’adapter structurellement, dans une double approche top-down et bottum-up – de la régulation nationale à la participation des communautés -vers une gouvernance locale soutenue par des coopérations internationales. Cette représentation, selon laquelle la réponse à des problématiques spécifiques insulaires de développement durable passe par la recherche de solutions adaptées et construites localement, conduit ces hommes à insuffler des démarches similaires pour différentes issues telles que la gestion des déchets solides.
8Dans ce contexte, le programme dénommé Integrated Solid Waste Management Project (ISWM) initié à l’USP aux îles Fidji par le PACE est pertinent. Ses objectifs sont de construire progressivement une capacité locale de gestion des déchets, de soutenir des actions concrètes de gestion de déchets solides et de former des partenariats régionaux (en particulier, avec les pays d’outre-mer français) pour capitaliser le savoir-faire en matière de gestion des déchets solides. La rencontre entre deux chercheurs, Kanayathu Koshy du PACE de l’USP et Fabrice Mathieux de l’Université de technologie de Troyes (UTT), va propulser une collaboration entre ces deux universités basée sur l’échange d’étudiants ingénieurs qui vont travailler sur des solutions adaptées au management des déchets solides aux Fidji (Mathieux et al., 2006). Le partenariat entre ces deux universités s’est ainsi intégré au programme ISWM. Quelle est la spécificité de la problématique « déchets » dans les PEID comme Fidji ? Cette question s’articule selon trois points de logique :
Logique socioculturelle : les ménages et communautés s’équipent de plus en plus de voitures, d’équipements électroménagers, de télévisions, de lecteurs portables de musique, etc. En outre, ces produits sont fournis avec de nombreux emballages plastiques. Malheureusement, cette consommation n’a pas été soutenue par un comportement citoyen, et malgré l’interdiction par le Litter Decree de 1991 de jeter ses déchets dans les espaces publics, il est fréquent de voir les enfants abandonner les emballages des sucreries par les fenêtres des bus sillonnant les villes et d’apercevoir des décharges sauvages, ce qui démontre le manque d’éducation et de conscience en matière de bonnes pratiques de gestion de déchets (Sinclair, Night et Merz, 2000).
Logique technico-économique : certains de ces produits en fin de vie sont considérés comme des déchets dangereux et représentent en conséquence une source de pollution. Par ailleurs, le coût des technologies de collecte et traitement des déchets est souvent insurmontable pour des pays en développement. Plus récemment, la volonté est de montrer que les déchets sont une ressource via les filières de recyclage conventionnelles et d’exportation outre-mer vers des usines consommatrices malgré les coûts de transport très élevés (South Pacific Regional Environment Programme, 2006).
Logique spatiale : l’urbanisation s’est accélérée à grande vitesse et la proximité du littoral des villes et l’insularité induisent un manque d’espace pour la construction de grandes installations telles que les centres de stockage de déchets. Les ordures ménagères entassées sur l’ancienne décharge de Suva, capitale des Fidji, et débordant sur le rivage pour glisser dans le port est une image significative.
9La démarche d’implication d’étudiants ingénieurs français et fidjiens a été initiée en 2004 par plusieurs travaux sur la caractérisation des déchets solides (déchets d’équipements électriques, de véhicules en fin de vie, de pneus, de batteries) et de leurs traitements aux Fidji par Fabrice Mathieux. Il proposait ainsi des recommandations pour le ministère de l’Environnement afin de mettre en œuvre un management intégré des déchets aux Fidji. Par la suite, deux étudiants de l’USP aidèrent une entreprise de vente de soda à optimiser sa collecte de déchets de bouteilles PET des îles touristiques éloignées. Puis, une étudiante de l’UTT développa un système de management de déchets solides à l’USP Elle fut appuyée par des étudiants de l’USP pour mener à bien ce projet.
10Par la suite, il a été développé, en collaboration avec un professeur du génie électrique, Shivendra Kumar de l’USP, une méthodologie d’analyse du métabolisme territorial s’appuyant sur un nouvel outil : l’Analyse des flux de matières (AFM). Ce dernier vise à calculer et comparer les valeurs matérielles et énergétiques de différents produits, services et transactions à partir des principaux flux entrants (combustibles, matières premières, aliments, biens) et des flux sortants (émissions diverses, produits finis, co-produits et déchets). Cet outil a été appliqué avec succès à quelques pays industrialisés (cf. étude de Londres, Barret et al., 2000, projets d’écologie industrielle en Europe et en Amérique du Nord), à quelques îles de pays développés (cf. l’étude sur une île de Suède, Sundkvist et al., 1998), mais aussi à des petits États insulaires en développement (comme le récent travail de l’université de Yale pour le Porto Rico, Deschenes et Chertow, 2004).
11Ce travail est alimenté par différents cas d’étude afin de mettre en pratique les démarches méthodologiques liées à l’étude quantitative des flux de matières et d’entrevoir les échelles d’analyse pertinentes (Bahers, 2006). En premier lieu, l’AFM de l’aluminium est abordée à l’échelle nationale. Cette échelle est pertinente en termes d’accessibilité de données. En effet, les douanes enregistrent chaque flux entrant et sortant du territoire qui est ensuite compilé dans des bases de données au Fiji Bureau of Statistics. Même si un décorticage minutieux des données statistiques est nécessaire, cette base de données permet un bon démarrage. Il faut poursuivre cette enquête statistique par un examen approfondi des produits tels que l’équipement du bâtiment, les véhicules en fin de vie, les emballages et les déchets d’équipements électriques et électroniques qui contiennent de grandes quantités de ce métal. Enfin, un passage chez les recycleurs, les scrap metal recycle, est indispensable pour saisir quels flux sont exportés vers des industries consommatrices outre-mer. L’harmonisation des données statistiques en Europe a permis de lancer ce type d’étude et, malheureusement, dans le contexte fidjien, les données sont loin d’être utilisables en l’état et imposent un important travail de collecte de différentes sources, d’où un important degré d’incertitude.
12Les résultats de cette étude (fig. 2) montrent que le flux en direction de l’enfouissement est très important malgré la plus-value liée à l’export de ces matériaux. La collecte n’est donc pas réalisée systématiquement, notamment lorsque cela requiert un important travail de main-d’œuvre ou des technologies avancées de broyage de carcasse avec une séparation des métaux. Ainsi, l’extraction « à la main » de la fraction d’aluminium des équipements électriques est très difficile, de même que celle de l’aluminium que l’on trouve sur les véhicules en fin de vie – ce qui n’est pas le cas d’autres métaux comme le plomb (batteries) ou le cuivre (déviateur des télévisions). Les matériaux de construction échappent aussi trop souvent aux filières de recyclage bien que les AGS (alliage d’aluminum-magnésium-silicium) soient très fréquents dans la conception des cadres des fenêtres, portes ou baies vitrées. Les déchets des fabricants d’aluminium du bâtiment s’insèrent correctement dans les filières d’exportation, ce qui est moins le cas des déchets de la déconstruction. Cette étude met ainsi en perspective l’important tonnage d’aluminium compris dans les déchets du bâtiment qui doit être un levier de la mise en place d’une filière de collecte et de tri des déchets industriels banals avec des objectifs ambitieux.
13Ce travail a été réalisé en amont de l’étude d’une nouvelle méthode de recyclage d’aluminium (Kumar et al., 2007) mise au point à l’USP par un étudiant ingénieur fidjien. En utilisant la technologie de Powder Metallurgy, il a montré qu’il était possible d’utiliser un procédé de recyclage adapté au contexte local, c’est-à-dire sans des coûts technologiques prohibitifs, et de promouvoir la structuration d’une filière économique viable. Cette technologie à faible coût pourrait donc être employée sur plusieurs îles dans un rayon d’action restreint avec un procédé simplifié, ou dans un rayon d’action plus large pour que le lieu d’emplacement devienne une plateforme de recyclage des déchets d’aluminium des îles du Pacifique. Cette perspective d’écologie industrielle pourrait permettre de diminuer des flux de déchets enfouis, tout en relocalisant une filière sur le territoire – les flux recyclés sont principalement exportés vers des industries néozélandaises ou australiennes bénéficiant d’outils technologiques de recyclage – pour que les entreprises locales puissent en bénéficier.
14Un autre cas d’étude du AFM a été mené à l’échelle de l’université qui représentait alors un laboratoire d’analyse et d’expérimentation. 186 étudiants dirigés par Shivendra Kumar du génie mécanique et électrique ont été mobilisés pour réaliser ce travail. Autant de produits pertinents ont été choisis pour que chaque étudiant réalise son AFM. À l’aide d’une bibliographie adaptée, d’entretiens réalisés et de données détenues par les différents départements de l’université, leurs objectifs étaient de calculer les flux de ces produits entrants et sortants de l’université ainsi que leurs flux associés (emballage, usage d’électricité, batteries, etc.).
15Les produits ont d’abord été catégorisés selon qu’ils appartenaient aux équipements de construction, de maintenance, électriques ou qu’ils se rapportaient à la nourriture et à leurs emballages, puis ont été triés selon qu’ils étaient biotiques ou abiotiques. Dans la phase d’étude, le regroupement par équipements semblait plus intelligible mais l’indication de la nature des matières (biotiques ou abiotiques) propose plus de perspectives d’analyse. Cette étude met l’accent sur la compréhension des modèles de consommation et ne présente pas de prise en compte de procédés industriels. Pour l’analyse des flux d’énergies, il semblait intéressant de l’associer à un indicateur de production de tonnes équivalent pétrole grâce à la méthode du Bilan Carbone ®.
16Plusieurs conclusions émanent de ce travail statistique qui fait ressortir la matérialité de cet espace et les flux qui le traversent (fig. 3). Tout d’abord les déchets organiques, notamment ceux du restaurant universitaire, sont une part importante des flux qu’il est possible de détourner de l’enfouissement vers une filière locale de compostage pour trouver un exutoire dans l’agriculture (à condition que le tri soit extrêmement bien réalisé). Cependant, tout pousse très facilement aux Fidji et il reste à trouver des incitations (citoyennes ou économiques) au compostage. D’autre part, les emballages des produits vendus dans les magasins du campus et directement consommés sur place ne sont pas collectés sélectivement (même au sein des épiceries). Pourtant, le carton, le papier et les emballages métalliques pourraient être triés afin d’être envoyés vers des flux d’exportation outre-mer. Enfin, en entrée du système, les flux d’énergie des hydrocarbures sont très importants et il est urgent de prendre en considération cette donnée. Plusieurs solutions pourraient être mises en place pour diminuer ce flux comme le remplacement des bus très consommateurs transitant entre la ville et l’université, la conception de chemins piétonniers abrités entre les différentes zones du campus (certains élèves ou professeurs transitent en voiture ou en bus pour faire 500 mètres), ou le prêt de vélos aux étudiants.
17L’objectif de ce projet était aussi la sensibilisation d’une population jeune en comptant sur leur prise de conscience et motivation pour lancer des initiatives telles que la réduction des déchets sur le campus, la création d’ateliers de réparation d’équipements électriques, le tri et recyclage de matières organiques, la préservation des ressources énergétiques, l’organisation d’événements faisant la promotion du développement durable. Il était donc important de mobiliser des étudiants dans cette étude et de rendre des résultats compréhensibles et pourquoi pas lancer une démarche à l’image de ce que peut être une association « éco-campus » dans les universités canadiennes, étasuniennes ou françaises.
Une approche du territoire insulaire innovante
18M. Chertow et P. J. Deschènes ont pu démontrer que l’écologie industrielle tire des bénéfices du contexte insulaire (Deschènes et Chertow, 2004). Le système étant borné par des limites naturelles, le management de telles études est simplifié et l’implémentation de solutions facilitée. L’écologie industrielle permet ainsi de prendre en compte les interactions multiples entre activités du territoire et biosphère, favorisant l’évaluation puis la gouvernance des flux de matières (Barles, 2002). A l’opposé de faire des îles « des interfaces placées au cœur de la mécanique des flux de circulations mondiaux » (Bernadie et Taglioni, 2005 : 19), l’analyse du métabolisme territorial se concentre plutôt sur les flux qui circulent au sein des frontières insulaires. Ainsi, cette réflexion doit être accompagnée d’une analyse de la valorisation des flux qui transitent par les territoires insulaires dans une logique d’importation et d’exportation. L’insularité implique cette spécificité de forte dépendance aux importations et exportations que l’on peut considérer comme une contrainte territoriale spécifique. Dès lors, comment répondre à une problématique productive particulière ? La mise en pratique de projet d’écologie industrielle intègre tout à fait les objectifs de valorisation des exportations et d’optimisation des transports de marchandises par bateaux, comme le souligne le projet de recyclage de l’aluminium à Fidji. À l’heure où il est proclamé que les déchets sont une ressource, il est aussi une opportunité pour les territoires insulaires de structurer des filières de compétences adaptées au contexte économique. Ce point représente la difficulté qu’il reste entre un projet d’évaluation des flux avec un outil formaté comme le AFM et la mise en œuvre de solutions opérationnelles pour un territoire qui doit agir sous contraintes.
19Dans cette optique, les relations locales entre recherche et industrie – à l’échelle des PIED – sont indispensables à la diffusion des innovations (Grossetti, 1995). Ces innovations sont d’ailleurs à prendre dans un sens plus large qu’une définition classique de découverte technologique, mais d’une rupture dans l’appréhension d’une problématique spécifique territoriale, tel que l’indique le Gremi (Groupe de recherche européen sur les milieux innovateurs) : « L’innovation est considérée comme un processus d’intégration d’éléments qui déterminent et favorisent la dynamique et la transformation du système technoproductif territorial » (Maillat et al., 1993 : 9). Les processus d’innovation qui conduisent ces collaborations d’acteurs à s’élargir s’ancrent dans une nouvelle approche de contraintes environnementales. Le paradigme de l’écologie industrielle a ainsi pour objectif de transformer des externalités négatives du système de production-consommation, notamment le problème des déchets solides, en nouvelles opportunités de développement local. Il s’agit ainsi de révéler des ressources territoriales : « La perspective de l’éco-développement est celle aussi d’un certain nombre de pratiques “éco-efficicientes” de l’écologie industrielle qui visent la réduction des usages de la ressource (facteur 4 ou 10), le recyclage des déchets, voire la création d’écosystèmes industriels. Il s’agit au total de processus de rationalisation de l’usage des ressources ou d’invention de modes alternatifs permettant l’économie ou la création de ressources en remplacement de celles à renouveler » (Peyrache-Gadeau, 2008 : 7).
20Les expériences de mise en œuvre du développement durable reposent sur une mobilisation de toutes les ressources (matérielles, conceptuelles, techniques et de légitimation) aux échelles locale, régionale, nationale ou internationale. L’échelle territoriale insulaire se compose ainsi d’un système dynamique d’interactions où se superposent des nœuds de relations, des lieux d’échanges, de différentes natures entre les acteurs (citoyens, politiciens, praticiens et experts). Si Cyril Adoue (2007) nous montre que le territoire doit, dans cette perspective, être organisé, dirigé et aménagé en fonction de ses besoins, de ses valeurs, de ses potentialités propres, la singularité insulaire nous invite à réfléchir plus avant à ces spécificités. Un outil comme le AFM permet d’identifier la pression exercée par ses modalités d’organisation sur l’environnement, mais est-il suffisant ? Mesurer n’est pas gouverner et les indicateurs environnementaux sont une donnée d’entrée, un des leviers pour mettre en place des mesures adaptées. Ainsi, les territoires insulaires présentent aussi des spécificités sociétales : « A l’inverse, lorsque le contexte social local influe négativement sur les dynamiques de développement territorial durable, il accentue la vulnérabilité des PEID. Tout l’enjeu consiste alors à savoir comment activer les ressources réticulaires pour tirer parti des effets positifs qu’elles génèrent et en contrer les éventuelles résultantes négatives. Quel dispositif mettre en place pour capter les externalités positives induites par les dynamiques sociales ? » (Angeon et Saffache, 2008 : 11).
21Le contexte social fidjien est très prégnant dans la vie politique locale car le pays est divisé par deux groupes ethniques, les Mélano-fidjiens indigènes et les Indo-fidjiens, à tel point que cette distinction est affichée sur leurs cartes d’identité. Ainsi, le programme explicité ci-dessus présente cet avantage de se dérouler à l’université du Pacifique sud, qui regroupe ces deux groupes ethniques ainsi que toutes les ethnies des îles du Pacifique. D’une part, ce lieu permet une diffusion des bonnes pratiques, il est d’ores et déjà un catalyseur de dynamisme social et forme des étudiants qui auront des postes à responsabilité dans l’avenir et pourraient donc influencer positivement leur milieu. D’autre part, l’environnement institutionnel n’a pas orienté ce lieu pour devenir une « structure de la gouvernance territoriale » ayant pour objectif un apprentissage organisationnel indispensable à une coordination d’acteurs.
22La structuration de l’action publique locale est pour K. Koshy (Mataki et al., 2007) indispensable pour répondre à la vulnérabilité climatique des communautés fidjiennes et il en va de même pour le sujet épineux de la production croissante des déchets. La mise en place d’un dispositif local d’observation et de planification des ressources présenterait les avantages d’une confrontation d’acteurs des différentes sphères (institutionnelle, publique, privée) reposant sur les principes d’information/coordination/gouvernance. Cette logique de mise en réseau d’acteurs liés par une proximité géographique s’articule ainsi autour d’une problématique telle que la singularité spatiale et permet la construction de la territorialité.
23« La coordination, la négociation rendues nécessaires pour faire évoluer le territoire vers les objectifs souhaités amènent à créer de nouveaux lieux de concertation, de nouvelles techniques d’action et de décision, de nouveaux processus. La gouvernance territoriale qui en résulte repose sur la multiplicité d’acteurs, la définition d’un espace identitaire et l’élaboration d’actions, de productions communes » (Leloup et al., 2005 : 11).
24Ainsi, l’écologie industrielle associée à une analyse fine des territoires insulaires propose-t-elle des solutions de coordination de filières de compétences et de nouvelles relations de proximités économiques, participant ainsi à la fabrique endogène du développement durable.
Bibliographie
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1 ROHS : Restriction of the use of certain Hazardous Substances in electrical and electronic equipment.
2 Cf. le Relevé de conclusion de la table ronde « déchets » du 20 décembre 2007 au Grenelle Environnement.
3 Voir le site vwvw.sidsnet.org
4 Viti Levu a une superficie de 10 388 km2 avec 75 % de la population (700 000 habitants) des îles Fidji et Vanua Levu a une superficie de 5 587 km2 avec 50 000 habitants.
5 « Le changement climatique, qu’il soit provoqué par la vulnérabilité naturelle ou l’activité humaine, est une des plus urgentes questions pour les États insulaires du Pacifique. Les impacts de la variabilité climatique ou des événements extrêmes comme les cyclones, inondations, sécheresses ou l’augmentation du niveau de la mer poussent rapidement les gens au-delà de leurs capacités d’adaptation. L’économie déjà en difficulté tente de faire face aux impacts avec des efforts sur les moyens de subsistance. »
Auteur
jb.bahers@gmail.com
Doctorant Cifre, université Toulouse II-Le Mirail, UMR Laboratoire interdisciplinaire. Solidarités, Sociétés, Territoires, Centre interdisciplinaire d’études urbaines (LISST-CIEU)
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