Jersey, de la dérive planétaire au recours identitaire : une vision élargie du développement durable ?
Jersey, the global drift to the use of identity: an expanded vision of sustainable development?
p. 43-61
Résumés
Jersey donne l’exemple d’un territoire insulaire ayant progressivement intégré des réseaux globaux jusqu’à devenir un centre financier offshore parmi les plus actifs et les plus réputés. Ce développement s’est traduit par une forte hausse de sa population et a des conséquences importantes dans les domaines économique, environnemental et social. Mais, concernant un territoire dont l’homogénéité culturelle n’avait pas été fondamentalement remise en cause jusqu’au milieu du siècle dernier, il fait également craindre une perte d’identité. Ce texte évoque les différentes conséquences de cette évolution, puis décrit les principales stratégies gouvernementales pour y faire face. L’aspect culturel – à travers la promotion d’une nation jersiaise et des symboles qu’on lui attribue – est ici plus particulièrement développé.
Jersey provides an example of an island territory having gradually entered into global networks up to become an offshore financial center among the most active and the most reputed. This development has found expression in a sharp increase in its population and has important consequences on economic, environmental and social fields. But, as a territory whose cultural homogeneity had not been fundamentally called into question until the middle of the last century, it also fears a loss of identity. The paper examines the different consequences of this evolution as well as the main strategies carried out by the States of Jersey to face it. A special focus is given to cultural aspects, through the promotion of a Jersey nation endowed with symbolic attributes.
Entrées d’index
Mots-clés : Jersey, îles Anglo-Normandes, insularité, politique culturelle, identité séparée
Keywords : Jersey, Channel Islands, insularity, cultural policy, separated identity
Texte intégral
Jersey, la prime à l’insularité et à la marginalité
1Avec ses 116 km2, l’île de Jersey – constitutive du bailliage du même nom avec les plateaux rocheux inhabités des Minquiers et des Ecrehou – est la plus grande des îles anglo-normandes1. C’est aussi la plus proche des côtes françaises, dont 24 kilomètres seulement la séparent (fig. 1).
2Au cours de l’histoire, Jersey a su exploiter à la fois sa proximité avec le continent et son statut de dépendance de la Couronne britannique, tributaire du Royaume-Uni uniquement pour les questions relevant des Affaires étrangères et de la Défense. Une succession d’activités liées à la maritimité lui a progressivement permis de s’intégrer dans des systèmes spatiaux à amplitude de plus en plus large. Ce sont ainsi des armateurs enrichis par la contrebande et la guerre de Course qui investissent dans le contrôle de la pêche et du négoce de la morue en Gaspésie (Lepage, 1983 ; Ommer, 1991). À partir de 1766, et pendant plus d’un siècle, les goélettes jersiaises chargées de collecter le poisson dans les différents postes de pêche situés au bord du golfe du Saint-Laurent repartent à destination de l’Europe du Sud, des Antilles ou de l’Amérique du Sud, d’où elles rentrent avec des produits destinés aux ports de l’Europe du Nord. Les navires de commerce de Jersey – comme d’ailleurs ceux de sa voisine anglo-normande Guernesey- fréquentent alors les cinq continents (Jamieson, 1986). L’agriculture et l’élevage, activités économiques les plus terriennes et les plus domestiques qui soient, portent elles aussi la marque de la capacité à exploiter les avantages conjugués d’une maritimité accomplie et d’une immersion dans la sphère capitalistique marchande. Vers le milieu du xixe siècle, les sols de l’île, enrichis par le guano chilien déversé sur les quais de Saint-Hélier, apportent à des exploitants soutenus par des sociétés savantes particulièrement actives la possibilité de mettre sur le marché extérieur les productions de grande réputation que sont les bovins et la pomme de terre primeur.
3On peut considérer que l’actuelle prépondérance du secteur financier dans l’économie de l’île s’inscrit dans cette faculté d’intégration dont nous venons de relever les dimensions à la fois diachronique et mondiale. Au début du xxie siècle, pour une population d’environ 90 000 habitants, plus de 17 000 d’entre eux se consacrent à l’industrie de la finance2. En juin 2009, les dépôts effectués dans la cinquantaine d’établissements bancaires présents à Jersey atteignaient encore 174,2 milliards de livres3, marquant toutefois une baisse sensible d’environ 15 % en un semestre. Dans les milieux mondialisés de l’ingénierie financière, et sans préjuger des soupçons quant à sa fonction de paradis fiscal, l’île jouit d’une réputation d’excellence dans différents services très spécialisés, notamment la gestion de trusts.
4Sur un espace restreint vit donc une population dont la situation peut apparaître comme particulièrement enviable, si l’on s’en tient par exemple à l’indicateur PNB qui annonce 62 000 dollars par habitant en 2007, soit le 2e rang mondial derrière le Luxembourg4. Le visiteur qui débarque à Saint-Hélier, la capitale de l’île, peut d’emblée en constater la prospérité lorsqu’il découvre l’imposante flottille de yachts de luxe amarrés aux pontons des marinas, le va-et-vient des hommes d’affaires en costume sombre qui incite à assimiler le quartier des banques à une City miniature, ou le secteur piétonnier qui draine une foule où se mêlent aux insulaires les day trippers continentaux venus de Basse-Normandie ou de Bretagne. Quant au voyageur aérien, son premier contact se fait avec un aéroport accueillant environ 800 000 passagers par an5, gérant quotidiennement une centaine de vols, dont une dizaine de liaisons avec l’un ou l’autre des aéroports londoniens6. Le visiteur attentif ne peut qu’être frappé par un ensemble complexe et parfois paradoxal de perceptions concernant un si petit périmètre, allant de la confrontation à une intense activité marquée par les rythmes soutenus de la circulation automobile, des allers et venues des navires et des rotations aériennes, à l’impression de quiétude et d’harmonie dégagée par les paysages littoraux et marins ainsi que par l’opulence de nombreuses demeures.
5Cette description en première lecture doit cependant être nuancée. La prospérité visible peut en effet aussi apparaître comme l’inscription manifeste d’une fuite en avant, et l’industrie financière comme un moloch économique à la fois consommateur d’espace urbain avec les effets intrusifs du développement immobilier (Riddell, 2007), destructeur d’autres activités économiques – tourisme et agriculture notamment – laminées par le coût du foncier, ou liquidateur d’une culture anglo-normande battue en brèche par l’anglicisation essentiellement liée au branchement en ligne directe sur l’éminente place financière mondiale qu’est Londres. On peut ainsi considérer que Jersey présente un ensemble de fragilités largement occultées.
Insularité, prospérité et fragilités
6La conjonction d’un niveau de vie élevé et d’un fort taux d’occupation humaine – la densité de population approche les 800 habitants au km2 – a en effet des conséquences dans le domaine du foncier et de l’immobilier qui se traduisent par une rareté de l’espace disponible, un coût très élevé pour se loger et des préoccupations environnementales grandissantes.
7La pression foncière a contribué à la forte hausse des loyers. Il faut ainsi par exemple débourser autour de 750 livres pour un studio et au minimum environ 2 000 livres par mois pour occuper une maison avec trois chambres. Ce niveau élevé du coût du logement altère les conditions d’existence de la partie de la population qui ne bénéficie pas des salaires élevés payés dans le secteur financier. C’est le cas non seulement des personnes employées dans l’agriculture, la restauration, l’hôtellerie ou le commerce, mais également de celles travaillant dans les secteurs éducatif et sanitaire. Le recrutement des infirmières et des enseignants constitue d’ailleurs une préoccupation persistante pour les autorités qui essaient de le faciliter dans le premier cas en étendant leurs recherches à des pays de l’ancien Empire britannique -Afrique du Sud et Kenya notamment- et dans le second en offrant des compensations financières destinées à atténuer l’impact du coût élevé du logement dans les budgets familiaux.
8À travers le Housing Department, ministère du Logement des États de Jersey, les autorités ont mis en place un système sur mesure censé répondre à deux impératifs, d’une part trouver les personnes nécessaires à la bonne marche de l’île – aussi bien en matière de services publics que touchant directement à la sphère économique -et d’autre part maîtriser le niveau de la population. En fonction de leurs revenus, les résidents peuvent accéder à différentes catégories de logement classées de A à J. Tout accédant à la propriété doit avoir préalablement séjourné onze ans au minimum sur l’île avant de pouvoir acquérir un bien immobilier. Une fois acquis, ce bien ne peut pas rester inhabité plus de cinq ans sous peine d’en voir le propriétaire contraint à la revente. Les catégories à revenus inférieurs, classées de A à H, sont éligibles à la location dans l’un des 6 000 logements aidés gérés par le Housing Department ou des associations caritatives. Leffort est important, mais insuffisant puisque les besoins en la matière sont de l’ordre de 15 000. À l’autre extrémité de l’échelle de revenus, six ou sept candidats à la résidence particulièrement solvables sont annuellement classés K et affranchis de tout délai de présence préalable sur l’île7.
9La pression foncière a par ailleurs pesé fortement sur deux secteurs économiques ayant joué les premiers rôles dès le milieu du xixe siècle, à savoir l’agriculture et le tourisme. Destination traditionnelle des touristes britanniques recherchant là un parfum d’exotisme anglo-normand assorti d’un climat considéré comme plus agréable que celui de la Grande-Bretagne, Jersey a connu une baisse importante de la fréquentation touristique. De 1997 à 2006, le nombre de personnes visitant l’île est passé de 590 000 à 376 000 et la capacité hôtelière s’est considérablement réduite, passant de 20 148 lits disponibles en 1998 à 12 771 dix ans plus tard. Ces visiteurs moins nombreux passent également moins de temps sur l’île puisque la durée moyenne d’un séjour est passée de 5,7 nuitées en 1997 à 4,7 en 20078. La cherté de l’offre peut permettre d’expliquer cette baisse significative. Le quasi-monopole du lien avec la Grande-Bretagne dans le domaine des importations pousse les prix vers le haut. Depuis une dizaine d’années, la possibilité d’accueillir des touristes –notamment britanniques – a par ailleurs été obérée par l’exacerbation d’une concurrence stimulée par l’arrivée de compagnies low cost sur le marché des liaisons aériennes, permettant de bénéficier de séjours au soleil garantis à des coûts nettement moins élevés que dans les îles anglo-normandes. La concurrence et le coût du foncier expliquent également les difficultés que connaît l’agriculture. Le paysan est ici une catégorie socioprofessionnelle en voie de disparition. Ainsi, la paroisse de Grouville a perdu 27 de ses 30 exploitants en trois décennies et il ne resterait plus à Jersey que quelques agriculteurs de moins de 35 ans9.
10En matière d’environnement, la forte poussée urbanistique induite par l’augmentation de la population inquiète aussi bien ceux qui déplorent une dégradation des paysages urbains, ruraux et littoraux de l’île que d’autres craignant les effets néfastes de l’imperméabilisation des sols, ou encore ceux qui s’interrogent sur la gestion de l’eau et des déchets. Le caractère restreint de l’espace insulaire s’avère difficilement compatible avec la fuite en avant démographique – la population de l’île a augmenté de 50 % en un demi-siècle – orchestrée par la sphère financière. Les gestionnaires de l’espace que représente le personnel politique qui décide des orientations stratégiques et les fonctionnaires qui sont chargés de les appliquer ont donc été confrontés aux problèmes posés par la nécessité de répondre aux besoins d’une population de plus en plus nombreuse, notamment à propos de la fourniture en énergie ou de la gestion des déchets.
11En ce qui concerne l’énergie, si la proximité de la centrale nucléaire de Flamanville – ainsi d’ailleurs que celle de l’usine de retraitement des déchets nucléaires de la Hague – suscite régulièrement des inquiétudes de la part des Anglo-normands, elle présente aussi à leurs yeux de sérieux avantages. Quiconque a dans le passé abordé Jersey par le port de Saint-Hélier n’a pu échapper au spectacle de la centrale thermique de la Jersey Electric Company, plantée au cœur de l’agglomération de Saint-Hélier et à proximité de la mer, et dont la cheminée fumante constituait un repère encombrant dans le paysage urbain. Cette installation vieillissante était peu compatible avec la qualité environnementale à laquelle aspire la communauté insulaire. La fourniture par la France d’une électricité pouvant, selon ce type de comparaison, être considérée comme propre permet à Jersey de satisfaire aux critères de la Convention de Rio en économisant le rejet de quelque 500 000 tonnes de CO2 dans l’atmosphère.
12Si la production d’électricité d’origine thermique est désormais considérée comme marginale, et si l’énergie issue du nucléaire est la bienvenue mais possède l’inconvénient de dépendre à environ 90 % du voisin continental, la troisième voie que constitue le recours aux énergies renouvelables intéresse l’île aussi bien en termes de respect de l’environnement que d’indépendance. Pour des raisons tenant à l’étroitesse de l’espace marin, l’option pour les parcs éoliens offshore ne semble pas de nature à retenir l’attention des insulaires. Il n’en est pas de même des hydroliennes. Les autorités jersiaises sont en effet particulièrement attentives aux évolutions technologiques récentes concernant l’exploitation des courants marins. Cette volonté se manifeste par un intérêt soutenu aux projets et études mis en œuvre par la petite île anglo-normande d’Aurigny10, ainsi que par une volonté d’échange d’information avec la France, notamment à l’occasion de la mise en service en 2009 d’une hydrolienne expérimentale dans les Côtes d’Armor, au large de Paimpol.
13La gestion des déchets n’a cependant, semble-t-il, pas fait l’objet de la même volonté d’innovation avec la construction d’un nouvel incinérateur destiné à remplacer l’ancien, qualifié du « plus sale d’Europe » par un responsable jersiais11. Après cinq années de débat, l’option choisie n’apparaît pas comme idéale aux yeux mêmes d’un certain nombre de responsables politiques de l’île. La question du stockage a, semble-t-il, pesé sur le choix de l’incinérateur dans la mesure où cette technique réduit considérablement le volume de déchets, ce qui constitue un argument important eu égard à l’exiguïté de l’espace insulaire.
14L’option pour une économie dominée par l’industrie de la finance a également eu des conséquences en ce qui concerne la composition de la population. Les plaquettes à vocation touristique vantent à l’envi la dualité des îles anglo-normandes, souvent dépeintes comme étant « ni tout à fait anglaises, ni tout à fait normandes ». Nous serions tenté de rajouter « ni plus tout à fait anglo-normandes » dans la mesure où le premier élément de la dualité éponyme est très nettement dominant, alors que le second a eu tendance à se diluer. Normandes, elles le sont incontestablement par leur localisation, ce qui n’apparaît d’ailleurs pas dans leur appellation en langue anglaise de Channel Islands. Mais la dénomination d’îles anglo-normandes s’apparentait également à des systèmes juridique et politique particuliers, ainsi qu’à l’emploi dans chacune des îles de déclinaisons insulaires du parler normand, le jèrriais à Jersey et le guernesiais à Guernesey. Or, ces particularités, dont il faut bien dire qu’elles ne sautent pas forcément aux yeux du visiteur qui voit des paysages urbains et des aménagements fort peu différents de ceux qu’ils pourraient rencontrer en Angleterre, sont en régression.
15L’anglicisation est un phénomène qui puise ses racines dans la profondeur historique avec une présence de garnisons issues de Grande-Bretagne justifiée par les craintes d’invasions par des troupes françaises tout au long de cette seconde guerre de Cent ans qui opposa l’Angleterre et la France entre 1688 et 1814. Longtemps, elle a pu s’apparenter à un épiphénomène ne remettant pas vraiment en cause la prééminence du substrat d’origine normande de la société. Mais la mutation majeure de l’économie insulaire que constitue la montée en puissance du secteur de la finance une quinzaine d’années après la fin de la Seconde Guerre mondiale, accélère brutalement une lente évolution. La hausse importante des emplois offerts sur l’île dans ce domaine a alors très essentiellement profité à des ressortissants britanniques dans la mesure où, contrairement à la filière agricole qui privilégiait majoritairement le recours à une main-d’œuvre issue du continent (Monteil, 2005), le développement des finances est très lié aux synergies entre la place offshore et la sphère anglaise.
16En 1891, la part de la population originaire de France recensée à Jersey se situe dans le même ordre de grandeur que celle venue des îles Britanniques, très loin derrière les habitants natifs de l’île (fig. 2). Au début du xxie siècle, on constate non seulement que le nombre de personnes originaires de la Grande-Bretagne est passé de 9 000 à 32 000, mais qu’en même temps les Français de naissance sont tombés de 6 000 à 1 500. Ces derniers sont d’ailleurs largement devancés par les Portugais, pour la plupart originaires de l’île de Madère, venus se substituer aux Français à partir des années 1960 pour occuper les emplois les moins bien rétribués, fournis par des employeurs bénéficiant d’un droit du travail peu contraignant, dans l’agriculture et la restauration essentiellement. Formant une minorité qui a fait souche à Jersey, les Portugais ont entamé une ascension sociale qui permet de les considérer désormais comme une communauté démographiquement et économiquement dynamique. À leur tour, ils ont eu tendance à déserter des emplois qui, dans un mécanisme en cascade déterminé par l’accès décalé des pays européens à des standards de vie élevés, sont désormais de plus en plus occupés par des ressortissants de l’Europe de l’Est, essentiellement des Polonais en ce qui concerne Jersey.
17Le modèle culturel anglo-normand, dont les principaux éléments étaient notamment l’importance de l’agriculture dans l’économie, un personnel politique attaché aux formes originelles de gouvernement ou encore la pratique répandue du jérriais, apparaît désormais comme dépassé. Les attaques contre le droit pour les connétables, archétype du personnel politique anglo-normand, de siéger aux États ou la nomination à des postes clés de l’administration de hauts fonctionnaires venus de Grande-Bretagne, sont autant de signes d’une perte d’influence de la composante anglo-normande de la population. Les nouvelles institutions, mises en œuvre en 2005, se démarquent aussi d’éléments fondamentaux de la tradition politique locale comme le rôle du bailli ou l’organisation des élus en comités. Il s’agit bien de la substitution, répondant à un souci d’efficacité et à une volonté de faire vivre une démocratie normée, d’un modèle jugé obsolète par un autre, aligné sur les pratiques anglo-saxonnes.
Le recours identitaire face à la dérive planétaire
18À Jersey, la crise financière de 2008 a probablement renforcé la conscience insulaire des risques liés à une trop grande dépendance à une activité qui génère ici plus de la moitié du PNB, et dont la volatilité constitue une menace de déstabilisation économique. Il n’est en effet pas exclu – et la fin annoncée des paradis fiscaux pourrait malgré les doutes que l’on peut avoir à ce sujet le laisser croire – que la finance connaisse à plus ou moins brève échéance à Jersey le sort d’autres activités qui, à d’autres époques et dans d’autres contextes, se sont développées, ont connu des crises ayant conduit soit à leur disparition, soit à des mutations plus ou moins sévères. Sous-jacent depuis au moins une décennie, le phénomène de stigmatisation des paradis fiscaux a connu une brusque accélération. Même s’il existe une tendance à l’amalgame entre place financière offshore prestataire de service et paradis fiscal, il n’en demeure pas moins que Jersey s’est souvent retrouvée aux premières loges dans la liste régulièrement égrenée des places financières susceptibles de favoriser l’évasion fiscale et d’accueillir des fonds d’origine douteuse. De fait, l’examen des rouages de l’industrie financière mondialisée, les ramifications entre les places apparemment – et autoproclamées – bien régulées et d’autres qui le sont moins à travers des filiales d’établissements présents ici et là, accréditent cette mauvaise image de marque (Fleury, 2006). Les milieux d’affaires et le personnel politique s’appliquent donc à donner de leur île une image de prestataire de services soucieux de régulation et de collaboration avec les instances et pays chargés de la lutte contre la criminalité, le terrorisme et leurs implications financières ou encore les différentes dissimulations dont peut se rendre coupable tel ou tel organisme. Même si elles s’en défendent et ne semblent pas accessibles au doute quant à la bienfaisance des activités qu’elles accueillent, on peut émettre l’hypothèse que les autorités insulaires sont sensibles à cette image négative véhiculée. Il n’est donc pas surprenant que la promotion d’une identité séparée, s’appuyant sur un ensemble d’éléments tenant notamment à l’héritage culturel anglo-normand, soit à l’ordre du jour.
19Le pilier culturel était absent de l’acception originelle du développement durable. Cet oubli dommageable, dans la mesure où « aujourd’hui la diversité culturelle est gravement menacée par une mondialisation qui tend à uniformiser les imaginaires en répandant et valorisant un seul modèle culturel sur toute la planète. Autant la biodiversité semble vitale pour la Terre, autant la diversité culturelle est une richesse de l’humanité qu’il est urgent de maintenir »12 a été réparé lors du sommet de Johannesburg en 2002. La diversité culturelle peut désormais être considérée comme une priorité au même titre que la biodiversité.
20À Jersey, la référence culturelle apparaît comme cruciale dans la mesure où il s’agit de promouvoir une identité séparée dans un contexte de mondialisation dans lequel l’île est fortement impliquée. De plus, cette volonté s’applique à une population caractérisée par une récente et forte croissance, augmentée d’éléments – très majoritairement Britanniques et Portugais – étrangers à la culture anglo-normande. Les États de Jersey ont donc entamé une réflexion stratégique synthétisée dans le document Development of a Cultural Strategy for the Island par le Education, Culture and Sport Department13, et prenant en compte la polysémie du concept de culture en s’appliquant autant à son acception dite « ethnographique » qu’à celle strictement artistique. Le texte, publié en 2005, définit sept objectifs :
1 : encourager, développer et consolider l’identité de l’île ;
2 : intégrer pleinement les activités culturelles dans le développement économique et social ;
3 : aider au développement de l’activité économique ;
4 : enrichir la qualité de vie pour tous les résidents de l’île et améliorer l’accueil des visiteurs ;
5 : aider au développement de la culture traditionnelle ;
6 : aider aux apprentissages tout au long de la vie ;
7 : élargir l’accès et la participation aux activités culturelles.
21On constate – au-delà de la priorité donnée aux actions d’ordre culturel qui est la raison d’être de ce document – que la référence à tous les piliers du développement durable, si elle n’est pas explicite, apparaît en filigrane. C’est le cas des préoccupations d’ordre économique (objectifs 2 et 3), social (objectif 2) et environnemental (objectif 4). C’est cependant l’objectif consistant à « encourager, développer et consolider l’identité de l’île » qui est placé en premier. Il s’incarne notamment dans une volonté de doter le bailliage de Jersey d’un dispositif symbolique. Jersey avait déjà un drapeau, elle a depuis novembre 2008 un hymne national. La cérémonie au cours de laquelle fut révélé le morceau choisi, intitulé Island Home, a été l’occasion pour le bailli de justifier cette démarche. Après avoir estimé qu’il correspondait à des besoins ponctuels lors de manifestations sportives et culturelles, le plus haut responsable politique de l’île révèle ensuite des raisons plus profondes en estimant « But it goes much deeper than that. We are a small nation with our own laws, history and heritage; our own parliament, flag and traditions ».
22Et il ajoute plus loin: « We are not England, nor the UK, nor France; we are jersey. We have our own separate identity, and most of us are very proud of that »14.
23La mise en scène d’une nation jersiaise – qui est à relever par ailleurs dans l’évocation – non encore finalisée – de la création du premier parc « national » de l’île – passe par la poursuite de deux objectifs complémentaires. Il s’agit d’une part de se distinguer au sein de la Couronne britannique, selon une tendance qui en réévalue les régionalismes (Ford, 2008). L’autre, par rapport auquel on s’identifie, c’est d’abord en l’occurrence l’Anglais, le Britannique, le Français. Même si cela n’est pas explicitement dit dans le propos du bailli, on pourrait d’ailleurs rajouter le Guernesiais. D’autre part, il est capital de cimenter les différentes composantes d’une population qui s’avère de plus en plus disparate. Le passé est convoqué à travers les grandes dates de l’histoire locale, 1204 pour l’allégeance à la Couronne britannique (Everard et Holt, 2004), 1781 pour la résistance à la dernière tentative française d’occuper l’île, ou dans une déclinaison traumatique, l’occupation allemande entre 1940 et 1945 (Bunting, 1995).
24Le jèrriais fait également l’objet de toutes les attentions des autorités, et ceci même si sa pratique peut désormais être considérée comme marginale si l’on se réfère à son faible nombre de locuteurs, 2674 exactement au recensement de 2001, soit 3,06 % de la population totale. Dans la citation suivante, extraite d’une présentation de la langue jersiaise sur le site Internet de la Société jersiaise, on peut avoir une idée de sa proximité avec les dialectes normands, de quelques-unes de ses spécificités graphiques, ainsi que de sa diffusion dans les médias locaux.
25« Tch’est qu’est l’Jèrriais ? Ch’est la vielle langue d’Jèrri. L’Jèrriais est d’la même fanmil’ye qué l’Français, (...). Achteu, j’quémenchons à ensîngni not’ langue dans nos êcoles, et vous étout, ou pouvez dêcouvri tchiquechose entouor lé Jèrriais dans chu fieillet.
26« Nou peut ouï l’Jèrriais pâlé pustôt à la campangne ou bein tchiquefais en Ville dans l’marchi. I’y’a lé programme Eune Lettre Jèrriaise sus l’radio –BBC Radio Jèrri 88.8FM/1026AM– d’vièrs eune heuthe chîn lé Sanm’di l’arlévée. Nou peut liéthe eune articl’ye en Jèrriais dans la gâzette du sé touos les huit jours. »
27Les sphères politique et associative s’impliquent dans la sauvegarde de la langue jersiaise. Dans le domaine éducatif, compétence a été donnée à l’Office du Jèrriais, cofinancé par l’Education, Sport and Culture Department des États de Jersey et l’association Don Balleine, d’assurer des cours facultatifs dans les écoles de l’île. Onze enseignants – trois à temps plein et huit à temps partiel -se consacrent à cette tâche à l’intention d’environ 200 élèves. À un autre niveau, les instances compétentes sont engagées dans deux processus, d’une part la ratification à la Charte européenne sur les langues minoritaires et d’autre part la certification par le Royaume-Uni des cours dispensés en jèrriais dans le cursus collégial. L’Office du Jèrriais bénéficie même d’une expertise pour ces questions puisque, lui-même conseillé dans un premier temps par des instances galloises, a assisté d’autres communautés insulaires – Man, Norfolk et Guernesey- dans des démarches similaires.
28Le jèrriais fait également l’objet d’une promotion en termes d’affichage public (Fleury, 2009). La traduction de différents messages, annonces publicitaires, panneaux retraçant l’histoire de l’île par exemple, constitue une autre tâche dévolue à l’Office (fig. 3).
29Les États de Jersey ont apporté leur contribution juridique en décidant en 2007 que, désormais, les nouveaux noms de rues ou de voies diverses devraient porter un nom en français ou en jèrriais. Un exemple préalable et particulièrement significatif de cette volonté avait été mis en avant le 9 mai 2005, à l’occasion de la commémoration du 60e anniversaire de la fin de l’occupation allemande. Ce jour-là, la reine Elizabeth II a en effet inauguré un espace situé sur le front de mer baptisé « Pièche de l’Avnin ».
30La déclinaison linguistique de la volonté de promouvoir une identité jersiaise constitue un angle pour aborder la question des relations avec le continent. En ce qui concerne les échanges culturels, le jèrriais constitue un lien ténu avec la Normandie. L’association dite Congrès des parlers normands et jèrriais a pour objectif de promouvoir des actions communes concernant le patrimoine normand. Depuis 1996, se déroule La Fête Nouormande, rendez-vous annuel se tenant alternativement à Jersey, Guernesey et Normandie et au cours duquel les personnes réunies peuvent partager leur plaisir de pratiquer les parlers, danses et chants normands (Johnson, 2008).
31En outre, le but affirmé par les autorités de promouvoir une identité distincte pourrait passer, au-delà des rapports privilégiés avec le Royaume-Uni, par un élargissement de l’horizon relationnel au quotidien. Cette volonté d’affermissement des liens avec d’autres partenaires s’applique plus particulièrement aux régions continentales voisines, Bretagne et Basse-Normandie. La première a pu, en raison de la qualité du lien maritime entre l’île et Saint-Malo, s’approprier les miettes commerciales laissées par des réseaux d’importations et de distribution cadenassés par des opérateurs très tournés vers la Grande-Bretagne. Il n’en est pas de même de la seconde, pourtant toute proche mais fortement handicapée dans ses relations avec les îles Anglo-normandes par l’absence sur la côte ouest de Cotentin d’un port accessible à toute heure et pouvant accueillir des ferries15. Il existe une volonté affichée de développer les échanges commerciaux ou de partager les expertises qui s’exprime lors d’une réunion annuelle entre les représentants des États de Jersey et le Conseil général de la Manche. Cependant les différents projets régulièrement évoqués tiennent le plus souvent de l’effet d’annonce. La coopération la plus aboutie concerne le Comité consultatif conjoint de la baie de Granville, structure tripartite qui regroupe la Basse-Normandie, la Bretagne et Jersey. Dès 1839, la baie de Granville avait fait l’objet d’un accord de cohabitation entre la France et le Royaume-Uni. En 2000, la conclusion du traité fixant définitivement la frontière marine entre la France et le bailliage de Jersey a parallèlement conduit les autorités à définir les règles d’une gestion transfrontalière de ressources halieutiques, certes abondantes et variées mais également susceptibles d’être mises à mal en cas d’efforts de pêche mal maîtrisés. Cette assemblée se réunit trois fois par an alternativement dans les trois territoires concernés. Au-delà des inévitables divergences lorsque l’on réunit des représentants – originaires de pays différents – de l’administration, des biologistes et des pêcheurs pratiquant différents métiers sur un espace restreint, elle constitue un instrument de cohabitation adapté à la mise en œuvre d’une pêche durable.
Conclusion
32En s’appuyant sur une autonomie décisionnelle dont n’ont jamais bénéficié ses plus proches voisins continentaux (Fleury, 2006, op. cit.), Jersey a bien tiré profit de son insularité et sa situation au début du xxie siècle a toutes les apparences d’une success story insulaire. Cependant, cette intégration active à des réseaux globalisés a, outre un éloignement progressif par rapport à son voisinage continental, eu des conséquences sur la conscience identitaire de la communauté insulaire. Les autorités se sont donc engagées dans un processus de compensation de cette dérive planétaire par un (ré)ancrage territorial. Il s’agit maintenant de savoir dans quelle mesure cette volonté constitue pour Jersey un apport en termes de développement durable. Deux scénarios peuvent être envisagés.
33On peut d’abord considérer les actions entreprises pour « nationaliser » l’île comme un contrepoint symbolique uniquement destiné à un usage interne, dans le but de construire un sentiment commun d’appartenance. Cette vision a minima ne suggère pas une remise en cause des choix de développement et s’accommode de leurs conséquences parfois dommageables sur les équilibres économique, social et environnemental, et cela même si l’on doit leur reconnaître une solidité patiemment et progressivement construite. S’en tenir là ne permettrait pas particulièrement de relier politique culturelle et développement durable.
34Mais des voix – peut-être moins optimistes que d’autres quant à la pérennité d’un modèle de développement basé sur une activité à la fois possiblement volatile et à tendance exclusive – s’élèvent parfois sur l’île pour dire que le temps est venu d’explorer des possibilités de coopération économique et d’échanges commerciaux qui ont jusqu’alors été largement négligées. Concernant cet éventuel glissement de la structure relationnelle vers un rééquilibrage en faveur du voisinage continental, le lien entre culture et économie est aisément identifiable dans les discours tenus lors des rencontres officielles.
35Cette version peut être assimilée à une autre « boîte noire » (Levarlet, 2001) de la gouvernance émergente au cours des dernières décennies, celle du principe de précaution, en l’occurrence lié au doute sur la pérennité du modèle actuel. Sa mise en œuvre satisferait au plus haut point les milieux continentaux les plus concernés, très intéressés par le développement de relations avec les riches voisins insulaires. Mais elle dépend exclusivement des rapports de force internes peu lisibles et caractérisés par une certaine inertie qui structurent les relations entre les sphères politiques, commerciales et financières sur l’île. Dans ce cas, c’est le continent qui proposera et l’île qui disposera.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 L’autre bailliage anglo-normand, Guernesey, comprend, outre l’île éponyme, les autres îles habitées d’Aurigny, de Serq et de Herm.
2 17 410 exactement si l’on agglomère les rubriques Finance and legal activities et Other business activities (Jersey in Figures, 2008, States of Jersey Statistics Unit, consultable et téléchargeable sur http://www.gov.je).
3 www.jerseyfsc.org, site de la Jersey Financial Services Commission, organisme responsable de la régulation, du contrôle et du développement des activités financières de l’île.
4 Source Banque mondiale, citée dans le Jersey Economic Digest 2008, States of Jersey Statistics Unit, consultable et téléchargeable à http://www.gov.je
5 Jersey in Figures 2008, op. cit.
6 http://www.jerseyairport.com
7 Entretien avec le ministre du Logement des États de Jersey, le 8 juillet 2009.
8 Jersey in Figures, 2008, op. cit.
9 Entretien avec le connétable de la paroisse de Grouville le 20 novembre 2002.
10 Aurigny est une île appartenant au bailliage de Guernesey située au large du cap de la Hague, dont elle est séparée par un détroit nommé Raz Blanchard caractérisé par des courants particulièrement violents.
11 Propos tenus lors de la rencontre annuelle entre les États de Jersey et le Conseil général de la Manche, le 9 juillet 2009.
12 Commission française du développement durable. Avis n° 2002-07 sur la culture et le développement durable (avril 2007).
13 www.statesassembly.gov.je
15 Granville, qui pourrait jouer ce rôle, souffre d’un handicap majeur, à savoir un marnage exceptionnel (jusqu’à 14,40 m) et un retard chronique quant à ses aménagements portuaires.
Auteur
fleury.cote@wanadoo.fr
Chercheur associé, université de Caen Basse-Normandie, ESO-Caen UMR CNRS
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