Préface
p. 17-30
Texte intégral
1Le thème traité dans cet ouvrage « Quel développement durable pour les petits espaces insulaires ? » renvoie d’emblée à plusieurs questions. L’une concerne d’abord la définition que l’on donne à la notion de développement durable. Qu’entend-on par là ? L’autre nécessite de savoir ce que l’on définit par Petit espace insulaire (PEI). Quels critères, par-delà les spécificités géographiques de l’insularité, permettent de définir un PEI ? La mise en œuvre du développement durable présente-t-elle des aspects originaux dans ces PEI ?
2Le développement durable classiquement défini dans le rapport Brundtland (1987) comme « un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs » résulte de la convergence de deux discours, celui des économistes qui depuis le xviiie siècle, avec notamment l’économiste écossais Malthus, dénoncent des prélèvements croissants des ressources de la planète. Ce courant de pensée pointe aussi l’augmentation de la population qui s’amorce alors et s’affirmera fortement au xxe siècle. À ces conceptions qui fondent les bases des analyses du club de Rome (1968) et du rapport associé, ou rapport Meadows (1972), il faut ajouter le courant de la protection de la nature et de l’écologie qui voit le jour aux États-Unis au cours du xixe siècle autour de personnages comme Muir, Emerson et Thoreau et des premiers mouvements écologistes (fondation du Sierra Club en 1882). Ces défenseurs de la nature répondent aux dégradations qu’ils constatent ou qu’ils craignent en établissant des parcs (Yosemite, Yellowstone...). Au cours du xxe siècle, ces deux approches convergent pour dénoncer les effets des actions anthropiques sur la nature. Les sociétés sont considérées comme destructrices des milieux et de leurs ressources. Cette conception, largement « écocentrée », s’impose à la fin du xxe siècle, notamment au sein des Organisations non gouvernementales (ONG) de protection de la nature et des instances internationales (ONU).
3Le développement durable est fréquemment défini par trois piliers, social, économique, écologique. Parce qu’il tente d’associer ces trois éléments, le développement durable peut se lire comme une manière de comprendre le monde, un modèle de société, une forme d’utopie qui prendrait en quelque sorte la place des grandes utopies du xxe siècle disparues avec lui. Le développement durable est d’abord et avant tout un choix de société, un objet politique et un choix éthique.
4Aujourd’hui dans les discours concernant les pays riches, les pays pauvres, les entreprises et l’ensemble des secteurs économiques, l’éducation, le développement durable est omniprésent, il est censé justifier toutes les démarches, celles des ONG, des acteurs économiques, des médias, des États comme celles des citoyens. Cet objet qui semble faire consensus, et aller de soi, pose en fait nombre de questions qui rendent sa mise en œuvre difficile.
5Sur le volet écologique du développement durable, la protection de la nature paraît être une évidence. Qui voudrait exterminer sciemment telle ou telle espèce animale ou végétale, comme cela semble avoir été fait à la Réunion ? Qui ne souhaite que la terre continue à porter d’épaisses forêts ou de riches pâturages au nom de la biodiversité, de la qualité paysagère, des ressources pour l’humanité ? Cette belle nature « à protéger » est souvent analysée en terme « d’équilibre ». Or cette notion d’équilibre va de pair avec celle de permanence, d’atemporalité de l’environnement. Il s’agit donc pour certains de définir un environnement perçu comme immuable et qui doit le demeurer. Cette notion est aujourd’hui remise en question, voire rejetée, ainsi le biologiste Patrick Blandin rappelle que « l’idée d’équilibre est renvoyée par les progrès récents des sciences de la nature au musée des idées dépassées ». Les « équilibres » de la nature sont associés dans bien des discours à des aspects esthétiques, sociaux, voire moraux. L’équilibre écologique devenant la condition de l’harmonie esthétique des paysages et de la paix sociale.
6La notion d’équilibre s’appuie sur une vision fixiste qui trouve ses racines dans la science écologique elle-même, née en Allemagne au xixe siècle et fondée sur l’analyse des chaînes alimentaires et des flux d’énergie circulant au sein de ces chaînes. Elle s’appuie sur une conception de la nature où « tout s’enchaîne, tout se suit et se touche dans l’infinie chaîne des êtres, où rien ne peut s’altérer sans que la nature toute entière soit altérée » (A.G. Tansley). Au sein de l’écosystème, l’ordre de la nature est donc considéré comme préétabli. La nature est pensée comme une construction rationnelle où rien n’est laissé au hasard. On est proche des analyses déterministes développées par les géographes allemands de la fin du xixe siècle autour de E Ratzel notamment. Ainsi, comme le soulignent R. et C. Larrère (1998), la nature est envisagée en termes de « flux saturés, de diversité qui se régénèrent selon un “cycle immuable” ». Dès lors le statut de l’homme dans la nature se pose. Est-il un animal comme les autres soumis aux règles naturelles ? Comment prendre en compte ses capacités de choix et d’aménagement du milieu qui l’entoure ? Fétichiser la nature et ses « équilibres » comme cela est fait parfois revient à considérer l’homme comme le perturbateur des « équilibres ». Mais de quels équilibres s’agit-il ? Quel est le point zéro, la référence à retrouver et à conserver ? Faudrait-il revenir à une situation antérieure à l’apparition de l’homme, à une nature sauvage, dépourvue d’empreinte anthropique ?
7Cette vison écocentrée contribue à dénoncer la science et la technique rendues responsables de toutes les dégradations ou destructions qui affectent les écosystèmes, elle oublie les avancées dont une partie des hommes et des sociétés (certes une partie seulement) a profité. L’espérance de vie est à cet égard un indicateur précieux, 45 ans en moyenne en Europe à la fin du xixe siècle, 80 ans aujourd’hui, contre un peu moins de 38 ans en Zambie par exemple. Un tel constat signifie forcément que la qualité de l’environnement et la qualité de vie au sens large (systèmes de soins...) se sont fortement améliorées depuis le xviiie siècle en Europe. Qui pourrait aujourd’hui mettre ce constat en question et rejeter les apports de la science et de la technique ? Cette position n’empêche pas d’en souligner aussi les effets négatifs.
8Réfléchir à la nature et à ses usages en termes de développement durable renvoie à la question de la « population » ou plus fréquemment de la « surpopulation ». Le discours commun rejoignant les analyses malthusiennes s’interroge sur l’avenir de la planète en relation avec une population considérée comme « trop » nombreuse, envisagée parfois comme le « fléau numéro 1 » d’aujourd’hui. La notion de surpopulation souvent évoquée n’a pas de sens en elle-même, trois habitants au kilomètre carré peuvent « surexploiter » un espace donné, alors que de fortes densités peuvent contribuer à une bonne gestion du milieu et des ressources. Les ressources doivent en outre être envisagées dans le cadre de la mondialisation des échanges et non pas calculées seulement dans un espace ou un pays donné comme si les modes de vie étaient encore autarciques. La dénonciation de la population et de la « surpopulation » actuelle et à venir, appuyée sur des données pourtant discutées par les spécialistes de démographie mais toujours énoncées, notamment par les médias, demeure une constante des analyses de développement durable. Les discours sur la population dénoncent aussi parfois la pauvreté et les pauvres considérés comme les principaux destructeurs des ressources. De telles analyses ne sont pas exemptes de contradictions, puisqu’elles soulignent les bonnes performances écologiques de pays comme le Burkina, la Bolivie ou le Bénin dont l’empreinte écologique serait le modèle pour les autres pays, alors même que l’essentiel de leur population, extrêmement pauvre, a une espérance de vie limitée. En aucune manière, ces pays ne peuvent être érigés en modèle de durabilité.
9Sur le volet économique, les questions sont nombreuses. Le développement durable s’inscrit-il dans le système capitaliste et dans ce cas, quel système économique et social faut-il envisager ? Le développement durable est parfois perçu comme une manière de justifier le système capitaliste mondialisé. Certains auteurs le considèrent comme une nouvelle manière d’envisager le développement des pays du Sud, sous la direction des pays riches, selon des modalités de type néo-capitaliste. Pour d’autres, le développement durable ne peut être qu’en rupture avec le capitalisme.
10Le développement, explicitement nommé dans le rapport Brundtland comme une des composantes du développement durable, implique la croissance et n’est pas accepté par tous les économistes et les écologistes politiques. Certains opposent la décroissance en nuançant cependant le propos quand il s’agit de populations qui ne disposent que d’un dollar par jour et par personne pour vivre et qui n’ont pas accès à l’indispensable (éducation, soins, eau potable, nourriture suffisante...).
11La durabilité est aussi objet de discussion et d’analyses divergentes. Certains envisagent la durabilité faible, impliquant que les ressources non renouvelables utilisées soient remplacées par des ressources nouvelles créées grâce à la science et à la technique. Ainsi, les ressources énergétiques fossiles peuvent être utilisées si l’on laisse aux générations futures d’autres produits aptes à remplacer les ressources utilisées (énergies renouvelables par exemple). Peut-on tout remplacer ? Rien n’est moins sûr, ainsi un lac ou un étang ne peuvent être remplacés par une piscine qui ne saurait rendre les mêmes services « environnementaux ».
12À l’opposé, la durabilité forte considère ces substitutions impossibles et souligne la nécessité d’économiser les ressources que l’on veut transmettre aux générations futures. Poussée à l’extrême, cette analyse rejoint la décroissance.
13L’approche économique du développement durable la plus couramment suivie dans un système économique néo-libéral s’appuie sur de grands principes qui fondent cette notion, c’est le cas notamment du principe pollueur-payeur.
Le principe pollueur-payeur (principe 16 de la déclaration de Rio) apparu dans les années 1970 au sein de l’OCDE et de la Communauté européenne indique que le pollueur doit supporter « le coût des mesures de prévention et de lutte contre les pollutions ». Le principe des écotaxes a cependant été conçu dès les années 1920 par l’économiste A. C. Pigou. Aujourd’hui, en France, existent des taxes générales sur les activités polluantes qui affectent la qualité de l’air (TGAP Air), sur les produits polluants (TGAP phytosanitaires), sur les équipements potentiellement polluants, sur les utilisations des ressources naturelles (TGAP minéraux naturels) et sur le carbone. Les mesures dites « positives » comprennent des crédits d’impôt, des exonérations... Les redevances sont des mesures de couverture des coûts pour les services environnementaux (redevances déchets, eau...). Des permis d’émission négociables ont aussi été instaurés dans le cadre du protocole de Kyoto.
14Le corollaire de ce principe est celui de la « responsabilité commune mais différenciée ». Il incombe en effet aux pays responsables de la dégradation de l’environnement de modifier les modes de production polluants et de réduire l’usage des ressources non renouvelables. Le principe du pollueur-payeur a été introduit dans la loi française en 1999 (loi « Voynet », ou loi d’orientation sur l’aménagement et le développement durable du territoire).
15Les pays du Sud, pauvres et émergents, ont du développement durable une autre approche : ils souhaitent se développer, leur modèle étant les pays riches, et considèrent que le développement durable viendra après. Ils dénoncent en général le modèle de développement durable imposé par les pays riches sous couvert des organisations onusiennes et des ONG. Ils dénoncent aussi des formes d’ingérence destinées à mettre en œuvre les grands objectifs du développement durable (réalisation de parcs...).
16S’agissant du volet social, le développement durable n’est guère plus aisé à mettre en œuvre. Il s’agit de promouvoir l’équité qu’il faut distinguer de l’égalité et qui renvoie à l’idée de justice. Or, les définitions de la justice oscillent entre deux pôles. Le premier pôle est illustré par John Rawls (1971) pour lequel l’équité est associée à la liberté individuelle. J. Rawls considère que le traitement inégalitaire des individus est acceptable s’il s’exerce en faveur des plus défavorisés. À l’opposé, les « communautaristes » donnent de la justice sociale des définitions centrées sur les droits des communautés, ceux-ci primant sur les droits des individus. Dans tous ces cas, c’est avant tout d’égalité ou d’inégalité socio-économique qu’il est question et la justice vise d’abord à réduire, abolir, ou rendre acceptable l’inégalité socio-économique. Un tournant majeur dans cette réflexion intervient dans les années 1990, avec Marion-Iris Young (1990), qui propose de définir les injustices dont sont victimes certains groupes dans nos sociétés. L’auteur considère que le domaine socio-économique est un élément de définition insuffisant alors qu’une politique juste devrait viser à abolir l’oppression sous toutes ses formes. Finalement, la justice sociale peut être envisagée comme la reconnaissance et l’acceptation de l’altérité, elle doit être établie sur une politique territoriale attentive aux droits des groupes (non pas communautaires mais affinitaires) et doit se fonder sur une définition processuelle (ou procédurale) et non plus structurelle de la justice (Gervais-Lambony et al., 2009). C’est dire la difficulté de mettre en œuvre l’équité.
17Il est donc nécessaire de distinguer plusieurs types d’inégalités, des inégalités écologiques qui recouvrent des inégalités d’accès à la qualité du cadre de vie et des inégalités dans l’exposition aux nuisances et aux risques, industriels et naturels. Généralement, ces inégalités ne sont pas indépendantes des autres formes d’inégalités dont les inégalités sociales (inégalités de revenu, d’emploi, ou de consommation). Certaines politiques en faveur de la préservation de l’environnement peuvent avoir un impact négatif dans la lutte contre les inégalités sociales, et aggraver celles-ci. L’exemple classique en la matière est celui des parcs régionaux dont la délimitation du périmètre contribue à faire monter le prix du foncier et rejette ainsi hors du parc les classes sociales les plus modestes qui y vivaient jusqu’alors. De même l’instauration d’espaces protégés (parcs...) associés parfois au déplacement des populations locales constitue un exemple qui aggrave la condition déjà difficile des populations pauvres.
Le développement durable et les analyses catastrophistes
18La notion de développement durable interroge aussi en raison de la vision catastrophique qu’elle véhicule. Le développement durable est né des inquiétudes pour la planète, à ce titre il est établi sur l’idée de risques, voire de catastrophes, d’où la notion largement diffusée de crise écologique mondialisée et celles plus médiatisées encore de « drame climatique » et de disparition des « biens communs de l’humanité ». Or, on omet souvent de souligner les incertitudes associées à ces notions, comme on omet de rappeler que bien des chiffres largement diffusés par des organisations onusiennes, certaines ONG, voire des États, ne sont pas toujours d’une grande rigueur. Les raisons d’un tel constat tiennent pour partie aux difficultés de définir certains objets. Ainsi faute de définitions bien établies de la forêt, de la déforestation ou de la désertification, les surfaces forestières comme les surfaces affectées par la déforestation varient largement selon les auteurs, il en est de même des espaces soumis à la désertification. Les modèles proposés par le GIEC sont également marqués du sceau de l’incertitude inhérente à tous modèles. Ces incertitudes permettent toutes les manipulations dans le sens de la dramatisation à outrance comme dans celui de la négation des problèmes.
19Rappeler ces éléments est indispensable, car ces chiffres ou ces modèles fondent des discours qui eux-mêmes justifient certaines approches parfois discutables du développement durable. Il faut s’interroger sur l’origine des données, sur les acteurs qui les produisent. Quels buts poursuivent-ils alors ? Qui trouve son intérêt dans ces données ?
20Si chaque terme du développement durable fait question faut-il renoncer à utiliser ce concept ? Certainement pas et la géographie, dont l’objet principal est social, est l’une des disciplines majeures pour réfléchir et travailler au développement durable. L’un des objectifs de la géographie est d’aider les hommes à vivre ou à mieux vivre ce qui, parallèlement aux dimensions politiques et économiques, nécessite d’envisager les rapports aux ressources et plus largement à la nature en intégrant les aspects spatiaux et les temporalités (temps du passé, futur, temps longs et temps courts). La géographie s’enrichit aussi à dialoguer avec d’autres disciplines, économie, sciences « dures », droit...
21La démarche géographique insiste sur la mise en œuvre du développement durable aux échelles moyennes et fines, quartiers, villes, régions. Se pose alors la question de savoir si une série de démarches effectuées à des échelles fines ou moyennes conduit forcément à un développement durable global ? Rien n’est moins sûr, ce serait oublier que la mise en œuvre du développement durable en un lieu donné peut contribuer à accroître les inégalités comme cela a été rappelé précédemment. Pourtant, seules les démarches « locales » permettent d’intégrer la dimension culturelle, la spécificité des sociétés dans leur rapport à la nature par exemple, dans leurs pratiques... Cette échelle doit contribuer à une bonne gouvernance en contribuant à une implication indispensable des acteurs locaux, des citoyens dans les démarches de durabilité.
22L’approche du développement durable, approche politique, est ainsi en termes méthodologiques forcément systémique et complexe, elle ne peut se suffire d’un modèle unique.
Les Petits espaces insulaires et le développement durable
23Le second volet de cet ouvrage concerne les Petits espaces insulaires (PEI) auxquels doit s’appliquer le développement durable. Comment définir ces PEI ? Qu’entend-on par là ? Sur cette vaste question, le spécialiste incontestable est François Taglioni auquel nous renvoyons. La réflexion qui suit et les pistes associées reprennent les conclusions principales de certains de ses travaux (Taglioni, 2003, 2006, 2007 a, 2007 b).
24Existe-t-il d’abord une spécificité insulaire ? Par-delà la définition bien connue de 111e, terre entourée d’eau, certains auteurs (Knafou, 1996 ; Encyclopaedia Universalis) rejettent la spécificité insulaire. Néanmoins, pour les instances internationales de l’ONU et notamment pour la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), les Petits États insulaires en développement constituent un groupe spécifique considéré comme plus vulnérable que d’autres PVD. Ces SIDS (Small Island Developing States) sont désormais une catégorie à part, comme les Pays les moins avancés (PMA) définis par la Banque mondiale.
25Si l’île n’est pas forcément un objet géographique spécifique, les phénomènes économiques, politiques et sociaux qui s’y déroulent sont souvent amplifiés par l’insularité. Ses composantes écologiques, économiques, sociales sont généralement plus sensibles que dans certains espaces continentaux. L’une des raisons tient à l’isolement mis en avant par E Doumenge en 1984 et repris par le Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue, 1998). En effet, ces PEI se caractérisent dans la plupart des cas par l’éloignement relatif, l’isolement, le morcellement, l’exiguïté, l’enclavement. « L’insularité » selon François Taglioni semble être une cause possible de périphéricité, bien que les espaces insulaires ne soient pas tous des périphéries et vice-versa.
Quelques critères caractéristiques des PEI
Exiguïté
Situation géographique : éloignement, morcellement, transport, communications
Spécificités physiques (aléas, risques...), géologiques : ressources (eau)
Spécificité des écosystèmes, endémisme, fragilité
Faiblesse des moyens techniques propres
Marché intérieur limité
Dépendance par rapport à de nombreux produits manquants
Incertitude de l’approvisionnement
Dépendance forte à l’exportation, vis-à-vis d’une gamme de produits assez restreinte
Forte pression sur le milieu (tourisme)
Dépendance de sources financières étrangères
26L’exiguïté renforce-t-elle le sous- ou le mal-développement ? La réponse que fournissent les économistes ne semble pas établir de lien entre ces deux éléments, il est vrai que certaines îles minuscules sont très riches quand d’autres beaucoup plus vastes sont très pauvres. En revanche, nombre de chercheurs considèrent la petitesse comme une contrainte importante réduisant les options de développement. Ainsi, la disponibilité des ressources naturelles est souvent fonction de la taille de l’île, donc limitée, l’insuffisance de la main-d’œuvre qualifiée est fréquente, l’étroitesse du marché intérieur ne permet pas « de répartir l’amortissement des infrastructures sur une production importante, surcoût qui pèse sur la compétitivité ». La Cnuced dans son rapport de 1988 suivant la réunion des experts des espaces insulaires en développement soulignait la « petitesse de l’économie » des PEI souvent associée à un PIB faible. Ce rapport insiste sur les « déséconomies » d’échelle, sur le coût élevé des infrastructures et de l’administration publique.
27Pourtant, l’exiguïté a des avantages certains : établissement aisé de zone franche, de paradis fiscaux..., les zones économiques exclusives sont vastes...
28Si l’exiguïté semble bien être un élément important, quels seuils permettent de définir les PEI ? Peut-on envisager une taille maximale ou minimale ? François Taglioni, qui discute cette notion de taille, a établi une définition d’une catégorie d’îles qu’il dénomme les petits espaces insulaires et qui sont : « des terres entourées d’eau de tous côtés, d’un seul tenant, dont la superficie est inférieure à 11 000 km2 et la population à 1,5 million d’habitants » (Taglioni, 2003). En 1983, la Cnuced plaçait les bornes à moins de 400 000 habitants, mais parfois aussi à moins de 1 million, et en termes de superficie, si moins de 700 km2 est souvent avancé, un PEI peut atteindre jusqu’à 4 000 km2. La difficulté de fixer des seuils tient aussi au fait que la notion de petite île renvoie largement aux représentations qu’en ont ses habitants, qui s’y sentent plus ou moins à l’étroit. En fait, en fonction des auteurs et des types d’analyse, la taille minimale et maximale permettant de caractériser la « petite île » varie.
29L’insularité varie selon que l’on envisage une « île principale » ou les îles satellites et l’île principale et le continent. L’île principale est souvent reliée au système monde, intégrée à lui. En revanche les îles secondaires sont tributaires de l’île principale, ce qui constitue un échelon supplémentaire. François Taglioni souligne que « les relations distance-temps et distance-coût », primordiales pour envisager l’éloignement, sont à compléter par une relation distance-statut politique ».
Typologie des insularités dans les petits espaces insulaires
30Les différents critères qui contribuent à définir l’objet Petit État insulaire doivent être croisés avec le développement durable (tabl. 1).
31Le développement durable des PEI nécessite-t-il d’envisager des processus spécifiques à chaque PEI ou fournit-il un modèle applicable à tous les PEI ?
32Dans tous les cas ces PEI font à des degrés divers partie du système monde et ne peuvent être envisagés, comme c’est parfois le cas, sous la plume de certaines ONG de protection de la nature, comme des espaces isolés, fermés, sans lien avec le monde. Ce qui justifierait d’y maintenir les populations puisque, selon ces mêmes ONG, ces populations « primitives » qui seraient « en équilibre » avec le milieu, seraient pleinement heureuses ainsi ! Cela reste à démontrer notamment si l’on considère la situation sanitaire, l’espérance de vie de ces populations, et leur désir bien légitime de mieux vivre.
33Le volet écologique du développement durable des PEI interroge sur la gestion et la protection des espaces intérieurs insulaires mais aussi littoraux et maritimes, sur les effets possibles des changements climatiques dont les conséquences envisagées renvoient toujours aux mêmes stéréotypes, des PEI menacés par la montée des eaux dans le Pacifique.
34Ce volet écologique impose d’envisager les ressources disponibles, leurs usages actuels et futurs. Le développement économique et l’extension spatiale de la population constituent aussi des aspects majeurs du développement durable dans des espaces réduits et souvent dépendants.
35Les dimensions économique et sociale du développement durable des PEI interrogent sur les modalités de l’insertion des ces espaces au système mondialisé, sur la possibilité de développement des PEI, sur le ou les modèles à mettre en œuvre.
36Finalement le développement durable a-t-il des spécificités dans le PEI ? La nécessaire adaptation de la demande à des ressources relativement limitées (cf. l’eau à la Réunion), comme l’existence d’espaces restreints permettent d’envisager ces petites îles comme des laboratoires de mise en œuvre du développement durable.
37Les travaux qui suivent contribuent à apporter des réponses à certaines des interrogations évoquées. Par la multiplication des exemples d’îles du Nord ou des Suds, d’îles riches ou pauvres, d’îles indépendantes ou liées à des métropoles plus ou moins lointaines, grâce à des situations « d’hypo-insularité », d’insularité ou de « surinsularité », les contributions de cet ouvrage fournissent autant de réflexions, de questions et de réponses sur les possibilités de mettre en œuvre le développement durable dans les PEI.
Bibliographie
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10.7312/blau17412 :Auteur
y.veyret@wanadoo.fr
Professeur des universités, Paris Ouest-Nanterre-la Défense
Comité national français de géographie
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