Chapitre 5. Le financement des aires protégées à Madagascar : de nouvelles modalités
p. 135-155
Texte intégral
1La problématique du financement des aires protégées dans les pays en développement a suscité ces dernières années un intérêt sans précédent. Elle illustre la marchandisation croissante de la nature, le rôle d’intermédiation des ONG internationales et l’émergence d’approches de conservation à grande échelle, toutes tendances mentionnées en introduction de cet ouvrage.
2À la fois lors du Ve Congrès mondial sur les parcs (Durban, septembre 2003) et lors de la 7e conférence des Parties de la Convention sur la diversité biologique (Kuala Lumpur, février 2004), l’insuffisance des financements traditionnels des aires protégées a été relevée ; cet état de fait laisse place à de nombreuses initiatives, quel que soit le continent (Asie, Afrique…) ou l’écosystème concernés (marin ou forestier) (Emerton et al., 2006).
3En effet, dans les pays en développement, les aires protégées reçoivent en moyenne moins de 30 % du financement jugé nécessaire pour assurer la gestion de base des actions de conservation (Spergel, 2001). Au cours des dix dernières années, les gouvernements de nombreux pays, d’Afrique en particulier, ont réduit de plus de 50 % leur budget en faveur des aires protégées du fait des nombreuses crises financières et politiques. Plusieurs aires protégées sont devenues de simples « parcs de papier », car les fonds ne suffisent pas à payer les salaires des personnels, les véhicules, etc.
4Au-delà des budgets publics alimentés par les droits d’utilisation, taxes et autres redevances, et des subventions et donations des organismes d’aide et des ONG internationales, apparaissent aujourd’hui d’autres sources de financement comme les paiements pour services environnementaux (Emerton et al., 2006 ; Gutman, 2003 ; Wunder, 2005 ; Pagiola et al., 2005). Cette tendance nouvelle est à la confluence de plusieurs mouvements : la difficulté d’accroître l’aide internationale traditionnelle dans une période marquée par le resserrement des budgets publics des pays industrialisés et par les critiques sur l’efficacité de l’aide en général ; le développement des partenariats publics/privés dans une logique de mondialisation économique et d’accroissement des investissements directs à l’étranger ; enfin, la marchandisation accrue de la biodiversité et le retour à des politiques plus conservationnistes.
5L’objectif de ce texte est d’illustrer cette tendance et d’en évaluer les caractéristiques en prenant pour exemple le cas de Madagascar. Il s’agit plus précisément de montrer comment l’actuelle politique d’extension des aires protégées (Carrière et al., cet ouvrage) va de pair avec le développement de nouveaux instruments de financement « durable ». En effet, les aires protégées sont souvent prises en exemple pour montrer l’intérêt des mécanismes marchands (fonds fiduciaires, concessions touristiques…). Inversement, les politiques d’extension d’aires protégées trouvent dans ces mécanismes financiers une légitimité économique censée justifier a priori leur existence (Carret et Loyer, 2004).
6Parmi l’ensemble des outils de financement disponibles pour un État, il nous paraît important de distinguer, d’une part, ceux que nous qualifions d’endogènes, c’est-à-dire pouvant s’auto-entretenir à partir du pays (financement public, redevances, droits d’entrée…) et, d’autre part, les sources de financement exogènes ou internationales, extérieures au pays (trust funds, projets de séquestration de carbone). Ainsi, nous soulignons, dans une première partie, l’importance du besoin en financements et les problèmes liés au financement endogène. Cette analyse permet de faire apparaître la raison pour laquelle les acteurs de la politique environnementale sont sensibilisés à la recherche d’autres sources de financement. Parmi ces sources, nous examinons, dans une deuxième partie, la création de la Fondation pour les aires protégées, dont l’objectif est de gérer un capital investi sur les marchés boursiers internationaux, et, dans une troisième partie, le recours aux projets de séquestration de carbone avec des acteurs internationaux, États ou firmes multinationales.
Les limites des mécanismes de financement endogène
7Bien que la pérennisation financière de la politique environnementale malgache soit inscrite dans la Charte environnementale depuis 1990, son application au domaine plus ciblé de la conservation est devenue prioritaire à partir de 20031. Lors du Ve Congrès des aires protégées à Durban (septembre 2003), le président de la république de Madagascar, Marc Ravalomanana, s’est en effet engagé à augmenter, dans les cinq années à venir, la superficie des aires protégées de manière à atteindre 10 % du territoire malgache. Cette norme de l’UICN implique en fait d’accroître la superficie des aires protégées de 1,7 million à 6 millions d’hectares2.
8Jusqu’à présent, la majeure partie des aires protégées malgaches était gérée par l’Association nationale des aires protégées (Angap). Mais celles qui doivent être créées dans le cadre de la « vision Durban » seront gérées en dehors du réseau national dans ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui le Système d’aires protégées malgaches (SAPM). Ce système regroupe en fait l’ensemble des modalités de gestion : privée, communautaire… L’atteinte des objectifs de Durban passe donc par une évolution majeure des modes de gouvernance, sans qu’il soit possible à l’heure actuelle d’en définir les contours exacts.
9Cette politique d’extension rend encore plus d’actualité la capacité des acteurs de la conservation à réfléchir aux modalités de financement de ce SAPM. En effet, l’accroissement du nombre d’aires protégées, et surtout de leur superficie totale, implique un coût de gestion très élevé, comme le montre la figure 1.
10Cette figure représente une estimation du coût financier annuel total (coût d’investissement et coût récurrent) lié à l’accroissement des aires protégées malgaches. La création d’aires protégées implique des coûts liés aux investissements initiaux. Par la suite, les coûts récurrents (salaires, carburant…) sont également à prendre en compte, si bien que le montant annuel du financement du SAPM peut être évalué à 15 millions de dollars en 2007, entre 11 et 18 millions de dollars en 2008 et à un coût récurrent compris entre 8 et 12 millions de dollars pour les années suivantes.
Le budget de l’État ne permet pas de financer les aires protégées
11En règle générale, le financement gouvernemental peut sembler plus avantageux que la dépendance vis-à-vis d’organismes internationaux d’aide dont les temporalités de programme (environ cinq ans) ne sont pas en adéquation avec le temps long de la conservation de la biodiversité. La dimension endogène du financement est alors appréhendée comme une source de pérennité.
12À Madagascar, la situation est malheureusement très défavorable pour ce type de financement, compte tenu de la faiblesse des ressources publiques. En effet, depuis 1990, date de la mise en place du plan environnemental, les bailleurs de fonds ont largement contribué au financement des aires protégées malgaches. Andriamahefazafy et Méral (2004) ont ainsi montré que les dépenses réalisées par le gouvernement malgache pour les aires protégées n’ont représenté que moins de 2 % du financement total des aires protégées lors du Programme environnemental 1 (PE 1) et entre 15 et 20 % durant le PE 2. Autant dire que ce sont essentiellement les bailleurs de fonds, au premier rang desquels se trouve l’Usaid avec un financement représentant 68 % des dépenses entre 1991 et 1996, qui ont permis à Madagascar de se doter d’un réseau d’aires protégées (Angap). La capacité de l’État à participer au financement des aires protégées a donc toujours été réduite, en raison essentiellement d’un budget public faible. L’État malgache, à travers ses ressources propres et les redevances dont il bénéficie, dispose de peu de moyens pour assurer la mise en œuvre de sa politique environnementale et a fortiori le choix politique d’extension des aires protégées.
13Par ailleurs, l’État éprouve des difficultés à mobiliser des ressources fiscales plus spécifiques malgré l’existence de plusieurs projets de taxes/redevances (sur les jeux, sur les carburants, sur les activités de prospection minière ou pétrolière, etc.) destinés au financement de l’environnement. Même si d’autres fonds spéciaux alimentés par des prélèvements ciblés existent dans d’autres secteurs d’activité (taxes sur le carburant alimentant le Fonds d’entretien routier, taxes sur les boissons et les tabacs pour le Fonds pour la promotion de la jeunesse et des sports, etc.), les problèmes et contraintes subsistent. Le taux de recouvrement fiscal à Madagascar est faible (environ 11 %). La réaffectation des taxes au profit de l’environnement est tout à fait aléatoire. La dilution des recettes dans le budget général des taxes perçues ou de l’administration générale est courante. Enfin, il est difficile de s’opposer au lobbying des acteurs économiques susceptibles d’être taxés.
14Pour ces raisons, il apparaît évident aux yeux des promoteurs de la politique d’extension des aires protégées malgaches que son financement n’est pas envisageable à travers les ressources de l’État. Implicitement, la vision Durban suppose donc l’élaboration de mécanismes nouveaux.
Une efficacité relative des droits d’entrée aux parcs
15Les droits d’entrée constituent des sources courantes de financement des aires protégées. Dans certains cas, ils génèrent suffisamment de revenus pour couvrir une grande partie des coûts opérationnels d’une aire protégée ou d’un parc, en particulier là où les visiteurs sont nombreux et les droits d’entrée relativement élevés3. Cependant, beaucoup de parcs imposent des droits d’entrée qui sont de loin inférieurs à ce que les visiteurs internationaux seraient prêts à payer. La possibilité d’augmenter ces droits est limitée dans les parcs peu connus ou qui ne contiennent pas beaucoup d’espèces animales à forte valeur touristique. De même, les revenus issus de ces droits ne sont pas toujours réinvestis dans l’entretien des aires protégées où ils sont perçus, ce qui limite l’autofinancement à terme.
16Pour cette raison, certains pays autorisent maintenant chaque gestionnaire d’aire protégée à conserver une part importante de ces droits. Spergel (2001) cite les exemples suivants : en Équateur, la « loi spéciale pour les Galápagos » stipule que 90 % des
17100 dollars par personne perçus comme droits d’entrée doivent être utilisés pour la protection et la conservation de l’environnement naturel. Toutefois, un nombre relativement faible d’aires protégées dans le monde sont capables de couvrir leurs coûts de fonctionnement par les seuls droits d’entrée. Ces recettes (et les autres droits d’utilisation associés) doivent être considérées comme un moyen de compléter plutôt que de remplacer les allocations budgétaires gouvernementales et les subventions des bailleurs de fonds.
18Cette situation contrastée se retrouve également dans le cas malgache. La promotion de l’écotourisme a toujours été le fer de lance de la stratégie de valorisation économique de la biodiversité à Madagascar durant le PNAE. D’un côté, il est vrai que le tourisme devient un des secteurs économiques les plus dynamiques pour l’économie du pays. Toutefois, le nombre de touristes est relativement modeste puisqu’il est estimé à 285 000 visiteurs pour 2005, année record… En considérant qu’environ 60 % des touristes seulement visitent les aires protégées et que le droit d’entrée pour les visiteurs étrangers est compris entre un et cinq dollars, les recettes de l’Angap peuvent être estimées dans une fourchette de 171 000 à 855 000 dollars par an. Dans le meilleur des cas, l’Angap peut bénéficier de la moitié de cette somme pour son propre financement, soit 427 500 dollars (entre 10 et 15 % des coûts de fonctionnement de l’institution)4. L’autre moitié peut financer des projets à destination de la population locale, ce qui est non négligeable localement, mais insignifiant à l’échelle du réseau.
19Cette situation devrait se dégrader avec l’accroissement du nombre d’aires protégées, qui va mécaniquement diminuer l’impact de l’écotourisme. Premièrement, à nombre de touristes équivalent et à durée de séjour identique, le nombre de visiteurs par parc va diminuer, ce qui réduira d’autant les droits d’entrée. Deuxièmement, la superficie de plus en plus importante de ces nouvelles aires protégées augmente le nombre de communes et de villages concernés. À droits d’entrée équivalents, la rente touristique perceptible localement sera réduite. Seul un accroissement du nombre des touristes pourrait atténuer cet effet.
Des droits d’entrée à la concession touristique : un circuit qui exclut les populations locales
20Le financement des aires protégées malgaches par l’écotourisme devrait dans les prochaines années se réaliser à travers la mise en place d’un régime de concession auprès d’opérateurs privés. L’année 2006 illustre l’amorce d’une réflexion sur les conditions juridiques permettant la mise en concession, selon différentes formes, d’une partie des aires protégées, traduisant une tendance générale au marché de concession (Karsenty et Weber, 2004).
21La mise en concession concerne essentiellement les activités d’écotourisme dans les parcs naturels. Il s’agit de concéder à une entité privée le soin de réaliser des activités économiques (droit d’exploiter les infrastructures d’hébergement pour touristes, les magasins, les restaurants, etc., ainsi que le droit de mettre en place des services de visites ou excursions payantes), celle-ci payant en contrepartie une redevance à l’Angap selon un montant défini au cas par cas. Plusieurs types de concession existent et se distinguent selon la nature du contrat et sa durée (bail emphytéotique, location-gérance, contrat de gestion…). La logique de financement sous-jacente relève d’une délégation de gestion de l’activité touristique à des fins de participation au financement global de l’aire protégée par l’Angap.
22La mise en concession procure des avantages certains, tant pour l’opérateur privé que pour l’Angap qui voit là la possibilité de bénéficier d’une source de financement à travers les redevances, tout en récupérant les infrastructures créées par le concessionnaire à la fin du contrat.
23La mise en place de contrats de concession (pris ici au sens large) repose sur plusieurs textes légaux, dont la loi 60-004 sur le domaine privé national de 1960 et la loi 97-017 portant révision de la législation forestière de 19975. La Charte de l’environnement et le Code des aires protégées favorisent également la mise en concession des aires protégées malgaches6. Toutefois, la dimension juridique constitue un obstacle. Ainsi, le décret d’application précisant les modalités de mise en concession n’était pas encore publié en juin 2006. De même, la multitude de textes législatifs rend la mise en concession sujette à diverses interprétations, ce qui fragilise la situation des contractants.
24Il est important de noter que la mise en concession d’une partie des aires protégées gérées actuellement par l’Angap s’inscrit dans une démarche plus générale de mise en concession des forêts malgaches. Elle vise clairement les aires protégées non gérées par l’Angap dans le cadre du SAPM et qui pourront faire l’objet d’un contrat de concession avec l’administration des Eaux et Forêts, soit par adjudication si l’initiative provient de l’État, soit de gré à gré si la demande est faite par un opérateur privé.
25Si cette politique de contrat de concession apparaît en phase avec la mise en place du SAPM, elle n’est pas exempte de risque de conflits avec la population locale et/ou avec les autorités traditionnelles. L’absence de gestion effective (au sens de présence permanente ou régulière sur le terrain…) des forêts par l’administration, faute de moyens principalement, a permis de maintenir cette juxtaposition de différents droits. Le concessionnaire pourra se considérer comme le seul gestionnaire du territoire concerné et n’avoir de compte à rendre qu’à l’autorité concédante, en l’occurrence l’État7. Même si l’Usaid souligne la nécessité d’une « prise en considération du volet social et l’intégration des populations locales dans la mise en œuvre de la politique de concession » (Usaid Madagascar, 2006 : 88) et prône la mise en œuvre du plan d’aménagement, il n’est pas du tout certain que ces bonnes intentions suffisent.
26De plus, le circuit de financement est caractérisé par le fait que les concessionnaires paieront une redevance à l’Angap, qui ne reversera pas davantage d’argent à la commune, ni même à la population (qui pour l’instant bénéficie de 50 % des droits d’entrée). Les avantages que pourront retirer la population locale et la commune seront seulement subordonnés à l’effet induit par l’accroissement du nombre de touristes dans les sites concédés ; argument mis en avant par les promoteurs de concessions qui pour l’heure ne constitue qu’une hypothèse. Cet effet vertueux, dont nous avons étudié les limites par ailleurs (Chaboud et al., 2004 ; Andrianambinina et Froger, 2006) aurait pu être plus direct si une partie de la redevance avait été affectée au budget des communes concernées.
27Globalement, ces sources de financement dites endogènes (droits d’entrée et concessions) sont relativement limitées et ne peuvent concerner qu’une faible partie des aires protégées, là où le potentiel touristique est important. Notons enfin que ces modalités de valorisation économique par le tourisme sont contraintes par son insertion dans une filière globale au sein de laquelle le pouvoir de décision se situe dans les mains des tour-opérateurs occidentaux (Requier-Desjardins, 2005). La fréquentation des parcs malgaches par les touristes étrangers est le résultat d’une mise en concurrence avec d’autres destinations internationales développant leurs propres actifs spécifiques. La capacité de l’État malgache à dégager suffisamment de ressources financières dans la mise en concession dépend en grande partie de l’attractivité des sites concédés, qui dépend à son tour de la manière dont le tourisme malgache se démarque des autres destinations dans cette filière globalisée.
Des financements externes : fondation/dette-nature/trust funds
28Parmi les financements externes, nous retiendrons dans un premier temps les fondations, les échanges dette-nature et les fonds fiduciaires (trust funds). La tendance actuelle à Madagascar consiste à imbriquer ces trois instruments dans un même outil de financement durable.
La Fondation malgache des aires protégées et de la biodiversité
29Une des orientations majeures de la politique environnementale malgache est la création d’une Fondation pour les aires protégées et la biodiversité (FAPB) (Andriamahefazafy et al., 2007). Un des objectifs est de faciliter les liens avec les fondations existant dans les pays développés de manière à capter les dons que ces dernières sont susceptibles d’octroyer pour des actions de conservation de la biodiversité.
30En règle générale, ces fondations s’appuient au départ sur des échanges dette/nature8. Pour les organismes d’aide (et les organisations de conservation assurant le relais), ces échanges offrent un moyen de financer plus d’activités de conservation dans le pays débiteur. Pour les gouvernements des pays en développement, ces échanges permettent de réduire leur dette extérieure et de financer des projets à l’intérieur du pays. Toutefois, ces échanges peuvent s’avérer complexes à réaliser et nécessitent le plus souvent l’intervention d’experts techniques de plusieurs institutions extérieures, ce qui limite l’autonomie des gouvernements9 .
31Dès 2001, un comité pour la pérennisation financière avait cherché à identifier les modalités de financement durable des aires protégées qui pourraient être mobilisées à Madagascar. Après des visites dans d’autres pays ayant développé de telles initiatives (Costa Rica, Mexique, Pérou…), le comité avait abouti, après examen de plusieurs options (taxes vertes…), au choix de la mise en place d’un fonds fiduciaire (trust fund)10. L’idée de créer une fondation pour gérer ce fonds est avancée dès septembre 2001. Parallèlement à l’élaboration du PE 3 (2002-2003), les bailleurs de fonds et le gouvernement malgache définissent le cadre légal, financier et organisationnel de la fondation. Celle-ci s’appuie sur la loi sur les fondations de 1995 et définit quatre objectifs : la conservation, la recherche sur la biodiversité et le suivi écologique dans les aires protégées, la promotion de l’écotourisme et l’éducation environnementale. Finalement, à la suite des audits juridiques, la loi sur les fondations de 1995 laisse place à une nouvelle loi en 2004 qui augmente l’autonomie de la fondation vis-à-vis de l’État et de l’administration. La fiscalité sur les intérêts est allégée ainsi que les modalités d’échanges entre revenus étrangers et nationaux. À l’initiative de Conservation International (CI) et de WWF, la fondation est ainsi créée en janvier 2005.
32Le fonctionnement des fondations est adapté à la gestion de l’argent collecté, soit par les dons d’autres fondations ou par les remises de dettes, soit sous forme de fonds fiduciaires. Les fonds fiduciaires complètent ainsi le dispositif actuel de financement des aires protégées malgaches. Les travaux de Bayon et al. (2001), d’emerton et al. (2006) et de Spergel (2002), réalisés dans plusieurs pays en développement, soulignent que les fonds fiduciaires de conservation peuvent être sources de financement durable, à long terme, des aires protégées. Ils permettent de redistribuer des subventions internationales importantes sous la forme de subventions plus petites et d’en étendre la durée sur plusieurs décennies. Ils sont à même de renforcer la gouvernance participative, via la nomination de représentants d’ONG et du secteur privé comme membres du conseil d’administration du fonds, et via l’octroi de subventions directes aux ONG et autres organisations de la société civile.
33Ils présentent néanmoins plusieurs limites. Les coûts d’administration sont élevés, notamment si le capital du fonds est relativement limité ou si le fonds octroie une assistance technique conséquente aux bénéficiaires des subventions pour la conception et la mise en œuvre de projets. Les revenus d’investissement générés par ces fonds sont parfois relativement faibles ou imprévisibles, en particulier dans le court terme, s’il n’y a pas de stratégie d’investissement bien conçue. Le conseil d’administration peut être amené à financer un grand nombre de projets sans rapport les uns avec les autres et sans objectifs communs si les objectifs d’un fonds fiduciaire et ses critères d’octroi ne sont pas clairement définis au départ dans la documentation juridique.
34Le montage financier de la FAPB repose sur le principe du financement des coûts de fonctionnement de l’Angap, qui sont estimés à 3 millions de dollars annuels pour une superficie de 1,2 million d’hectares. Les bailleurs de fonds ont évalué le capital nécessaire pour obtenir chaque année un montant d’intérêt équivalent aux dépenses de fonctionnement. Ce capital, estimé à 50 millions de dollars, est devenu l’objectif à atteindre d’ici à la fin du PE 311. Les deux institutions fondatrices (CI et WWF) ont recherché et obtenu assez rapidement des accords de principe des autres bailleurs impliqués dans le PNAE. La fondation a commencé ses activités en 2005 avec un capital d’environ cinq millions de dollars (il était évalué à 17 millions à la mi-2006). L’argent ainsi placé sert à acheter des titres sur les marchés boursiers, la FAPB s’étant engagée à respecter des placements compatibles avec sa mission – sans qu’il soit possible de le vérifier.
35Nous relevons trois questions primordiales en termes de gouvernance d’une telle fondation. Comment celle-ci allouera-t-elle ses fonds non affectés en priorité ? Quelle proportion des besoins de l’Angap la fondation pourra-t-elle couvrir à terme ? Enfin, existe-t-il un conflit d’intérêt si la fondation finance principalement des activités promues par ses fondateurs (État, WWF, CI…) ? En assurant la fonction de lobbying auprès de financeurs à l’étranger, en participant au conseil d’administration de la fondation et en étant opératrices sur le terrain, donc susceptibles de bénéficier des aides de la fondation, les ONG de conservation détiennent de fait un pouvoir prépondérant dans ce type de montage institutionnel…
Les opportunités de la lutte contre le changement climatique et les fonds carbone
36Avec le développement récent des paiements pour services environnementaux, les opportunités de financement des actions de conservation se démultiplient, reliant directement les acteurs de la conservation des pays en développement aux financeurs internationaux. Le cas des mécanismes liés au changement climatique et plus particulièrement les projets de séquestration de carbone destinés à réduire les émissions de gaz à effet de serre (reboisement, déforestation évitée, gestion forestière...) sont très révélateurs de cette nouvelle tendance de recherches de financements exogènes.
Agir localement, payer globalement ?
37Au nom de la lutte contre le changement climatique, plusieurs initiatives ont été récemment prises au niveau international. Au-delà des engagements liés au Protocole de Kyoto et des mécanismes créés dans ce cadre (application conjointe et mécanismes de développement propre) qui permettaient aux pays industrialisés de remplir leurs engagements de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre et d’accéder au marché d’échange de permis d’émission, plusieurs autres dispositifs permettent aujourd’hui le financement de la conservation pour les pays du Sud, appelés à terme (les engagements de Kyoto seront renégociés en 2012) à participer également à l’effort global de lutte contre l’effet de serre : les fonds mis au point par la Banque mondiale (le Fonds biocarbone et le Fonds prototype pour le carbone), les bourses nationales (bourse des Pays-bas) et régionales (Union européenne) et les initiatives unilatérales d’entreprises12 .
38Ainsi, depuis quelques années, plusieurs pays et entreprises privées ont anticipé et développé des « projets carbone » dans les pays en développement, soit isolément, soit dans un cadre régional ou national. Leurs objectifs sont pluriels : faciliter l’intégration commerciale dans le pays d’accueil, rechercher une image écologique et humaniste, ou tout simplement s’ouvrir la possibilité de négocier des crédits carbone. Dans ce dernier cas, il s’agit d’obtenir des crédits à moindre coût, là où les opérations de séquestration de carbone sont les plus faciles.
39C’est le cas de Mitsubishi dans l’aire protégée Makira au nord-est de Madagascar. Le projet carbone, initié par CI, la Wildlife Conservation Society (WCS) et le NatSource Japan Co. Ltd (groupe Mitsubishi), part du principe qu’une utilisation durable du sol permet de préserver des secteurs forestiers à haute diversité biologique. Les investissements de la firme automobile couvrent alors une partie des frais de gestion de l’aire protégée. La proximité d’institutions internationales (ONG internationales de conservation, mais aussi la Banque mondiale, le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) et les coopérations bilatérales) pouvant assurer l’interface entre les pays en développement et les firmes multinationales facilite ce type d’initiatives13 .
40Cette modalité de financement présente l’avantage d’accélérer l’octroi de revenus pour les associations locales. Cela permet de concrétiser des activités de valorisation économique par la mise en place de filières de production (artisanat, apiculture…). Elle présente également l’avantage d’assurer sur le long terme un flux continu de revenus ; libre aux groupements paysans de choisir la meilleure utilisation de ces ressources.
D’une logique de projet à une logique de marché
41Il apparaît au vu des expériences de valorisation économique que l’arrivée d’une grande quantité d’argent peut déstructurer l’organisation villageoise en créant des tensions liées à la captation de la rente. Cela peut stigmatiser les conflits entre la population locale et l’administration déconcentrée, notamment les services des Eaux et Forêts. Devant une telle rente, les enjeux autour de la délégation de la gestion et de la sécurisation foncière risquent d’être exacerbés si le montage du projet ne prend pas correctement en compte ces éléments.
42De plus, le risque de voir se développer une logique de marché hors projet avec, d’un côté, des vendeurs de crédits (les organisations paysannes locales et leurs relais associatifs locaux ou nationaux) et, de l’autre, des acheteurs de crédits (les firmes multinationales ou des courtiers), n’est pas négligeable. La décision d’acheter ou non des crédits carbone devrait logiquement relever d’une comparaison entre le prix du marché des permis d’émission, le potentiel d’amélioration technologique des processus de production des firmes en interne et les coûts des crédits carbone procurés par d’autres projets, comme les projets énergétiques par exemple. La maîtrise du processus risque d’échapper aux communautés locales, puisque leurs projets seront mis en concurrence avec d’autres projets dans d’autres pays, et plus globalement avec les différentes options offertes aux firmes. De nombreuses offres risquent de ne pas trouver preneur ou, dans le meilleur des cas, trouveront acquéreur dans un processus qui leur échappera totalement. Tant que la situation sera caractérisée par des projets pilotes menés par des entreprises pionnières, ces risques seront réduits. Mais au fur et à mesure de l’extension des marchés de carbone, les investisseurs devraient devenir de simples acheteurs de crédits, laissant ainsi la couverture de risque aux initiateurs de projets (Conservation Finance Alliance, 2003).
43Cette situation et les risques futurs ne sont pas directement perçus par les acteurs de la politique environnementale malgache. Pour ces derniers, il est essentiel de trouver des modalités de financement sur le court terme, les risques socio-économiques des montages futurs n’étant pris en considération ni dans les projets, ni même dans les discours. La vulnérabilité des organisations paysannes dans un tel schéma marchand n’est pas vraiment un sujet d’importance. En étant à l’interface entre les associations relais et/ou les communautés rurales d’un côté et les firmes multinationales de l’autre, les ONG de conservation les plus influentes développent une fonction d’intermédiation financière, fonction qui tout en étant nouvelle mobilise leur activité de lobbying auprès de financeurs privés d’un côté et leur rôle de relais historique dans le paysage local de l’autre.
44L’émergence de ces nouvelles opportunités de financement est compatible avec les politiques d’extension des aires protégées. Pour de nombreux auteurs, l’existence de coûts de transaction dont une partie non négligeable est fixe incite à promouvoir les projets de taille importante (Wunder, 2005 ; Pagiola et al., 2005). Comme le soulignent Smith et Scherr (2002 : 31) : « Plus l’aire concernée est grande, plus la quantité de carbone est élevée et plus les coûts, comme le montage du projet, la gestion et la certification, sont réduits. » Le développement des mécanismes marchands de dimension internationale, séquestration de carbone ou autres, risque donc de promouvoir les projets de grande envergure. À l’inverse, ces projets seront plus difficilement appropriables localement (difficulté de coordonner les organisations paysannes sur un nombre de villages ou de communes important…). Le problème rencontré par les ONG promouvant des projets afin d’obtenir des paiements pour services environnementaux sur de grandes surfaces est de trouver les relais au niveau local : des associations ayant suffisamment de poids vis-à-vis de la population locale et disposant de structures internes suffisantes (personnel, moyens de fonctionnement…) pour couvrir des superficies assez grandes. Finalement, en déplaçant le centre de décision au niveau international, c’est-à-dire dans un milieu composé d’ONG d’envergure internationale et de firmes multinationales, le risque est grand de voir ces projets se déconnecter des réalités locales.
Conclusion
45Grâce à de nouveaux instruments financiers, la politique d’extension des aires protégées à Madagascar donne une légitimité économique à son objectif de financement durable. Le fait qu’aujourd’hui les bailleurs de fonds associent pérennisation financière de la politique environnementale et financement durable des aires protégées traduit bien ce glissement, qui n’est pas seulement sémantique. À l’inverse, les ONG et les bailleurs de fonds qui promeuvent ces outils prennent appui sur les aires protégées pour justifier l’intérêt économique de la conservation et l’utilisation de ces instruments.
46L’expérience malgache montre comment, en l’espace de quelques années, le discours entourant ces nouveaux instruments de financement est devenu commun à l’ensemble des acteurs de la politique environnementale. Il va de pair avec l’accroissement de la superficie des aires protégées à Madagascar, sans pour autant que le financement effectif soit garanti.
47Les instruments financiers internationaux contribuent à augmenter le nombre d’intermédiaires et, ce faisant, déplacent le centre de décision et de négociation à l’extérieur du pays (les marchés boursiers dans le cadre des trusts funds, les marchés du carbone pour les outils liés aux négociations sur le climat…). Cela accroît le pouvoir des ONG de conservation, qui peuvent servir d’intermédiaire financier entre les sources de financement à l’étranger et les gestionnaires de parcs, et éventuellement les groupements paysans. Par ailleurs cette tendance à développer des instruments évinçant la puissance publique, à supposer qu’ils deviennent effectifs, risque de tendre encore plus les relations entre les services déconcentrés de l’administration forestière et les autres acteurs de la politique environnementale. Cette problématique dépasse le simple cas de Madagascar, puisque dans de nombreux autres pays (on peut citer le cas classique du Costa Rica par exemple), la tendance au développement de ces outils de financement est réelle. Même si les caractéristiques économiques et institutionnelles diffèrent d’un pays à l’autre, les enjeux relevés dans le cas malgache ont indéniablement une portée internationale.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 La politique environnementale malgache fait l’objet d’une planification, ou encore d’un Plan d’action environnemental, sur 15 ans qui se décompose en 3 phases appelées chacune Programme environnemental : PE 1 (1991-1996), PE 2 (1997-2002) et PE 3 (2004-2008). Ce Plan d’action environnemental s’appuie sur le concept des plans nationaux d’action environnementale (PNAE) développé par la Banque mondiale au début des années 1990 ainsi que sur la Charte de l’environnement (Andriamahefazafy et Méral, 2004 ; Chaboud et al., 2007).
2 Pour réaliser ce travail, le groupe « Vision Durban », qui réunit les principaux acteurs de la politique environnementale, les ONG de conservation (CI, WCS et WWF) et l’administration des Eaux et Forêts ainsi que les principaux bailleurs de fonds – c’est-à-dire les coopérations américaine, japonaise et française –, se fixe une double tâche : la définition des nouvelles aires protégées et la catégorisation selon les normes de l’UICN (voir Andriamahefazafy et al., 2007, pour plus de précisions ; et, dans cet ouvrage, Rodary et Milian sur les catégories UICN, ainsi que Carrière et al. – fig. 3, cf. hors-texte – pour une cartographie des aires protégées malgaches).
3 Par exemple, le parc national des Galápagos en Équateur impose aux visiteurs étrangers un droit d’entrée de 100 dollars (les Équatoriens paient seulement six dollars par personne) et le nombre de visiteurs ne cesse d’augmenter chaque année pour approcher les 80 000 actuellement. Les parcs nationaux au Kenya, en Tanzanie, en Ouganda et au Botswana imposent aux touristes étrangers un droit quotidien variant entre 20 et 30 dollars par personne (Spergel, 2001).
4 Il s’agit d’une fourchette haute car elle se base sur un nombre de touristes record à Madagascar, avec un droit d’entrée de cinq dollars, ce qui correspond au tarif le plus élevé (appliqué dans 6 des 38 sites de l’Angap pour un séjour de quatre jours et plus). Cette fourchette correspond à celle que l’on trouvait il y a quelques années aux États-Unis et au Canada pour lesquels la part des droits d’entrée dans les coûts récurrents de leurs parcs était estimée à 17-18 %. Aujourd’hui, le taux est proche de 34 % aux États-Unis ce qui traduit une véritable politique de tarifications dans ces pays (Eagles, 2001).
5 La loi 2005-019 du 17 novembre 2005 définit la concession comme « l’acte administratif par lequel l’administration en charge du domaine public concède à une personne physique ou morale, publique ou privée, la jouissance d’un terrain déterminé et des immobilisations qu’il supporte, dans les conditions fixées dans l’acte et au cahier des charges, moyennant redevance, pour une période déterminée ».
6 Ainsi l’article 34 du Code des aires protégées stipule que l’Angap est autorisée « à contracter des conventions à caractère commercial ou autres avec toute personne physique ou morale, et à exercer de sa propre initiative ou en partenariat, dans le cadre de la mise en valeur de l’aire protégée du réseau national ou de ses composantes, toutes activités susceptibles de générer des revenus supplémentaires sans aller à l’encontre des objectifs de protection ou de conservation ».
7 L’article 24 de l’avant-projet de décret de mise en concession stipule que « le concessionnaire prend sous sa responsabilité et à ses frais, toutes les précautions requises par les règles de l’art pour éviter les perturbations anormales causées aux propriétés riveraines et aux populations locales » !
8 L’échange dette/nature (debt for nature swap) « est une méthode qui permet de renégocier avec le créancier la dette d’un pays en développement ou d’une société débitrice commerciale privée aux fins de financer la conservation de la biodiversité » (CFA, 2003 : 2).
9 À Madagascar, il existe de nombreux échanges dette/nature ; ce pays a même été le premier pays africain à développer dès 1989 un échange bilatéral entre le gouvernement malgache et l’Usaid. Il s’agissait d’une remise de dette d’un montant de 2,1 millions de dollars avec le WWF comme ONG relais dans le montage (Moye et Paddack, 2003).
10 Un fonds fiduciaire (trust fund) se définit comme une somme d’argent ou d’autres biens qui ne peuvent être utilisés que pour atteindre un ou plusieurs objectif(s) spécifique(s) : financement d’une seule aire protégée, du système national d’aires protégées, de la conservation d’une espèce particulière ou encore de projets de conservation par des communautés locales et des ONG, et qui doivent être séparés d’autres sources financières (telles que le budget ordinaire de l’agence gouvernementale), tout en étant gérés et contrôlés par un conseil d’administration indépendant. Les fonds fiduciaires peuvent prendre l’une des formes suivantes : fonds de dotation, fonds d’amortissement et/ou fonds renouvelables.
11 Même s’il est fait mention dans les textes fondateurs de la fondation que les intérêts des placements pourront servir à des activités autres que celles réalisées par l’Angap (promotion de l’écotourisme, création de nouvelles aires protégées…). Cette ambiguïté est d’ailleurs source de malentendus entre les acteurs de la conservation puisqu’en théorie, la fondation a pour objectif de financer le SAPM (qui comprend les aires protégées du réseau de l’Angap et toutes les autres créées hors Angap), alors que le montant des fonds nécessaires à son fonctionnement a été calculé sur la base des coûts récurrents de l’Angap.
12 Pour le moment, le mécanisme de développement propre (mécanisme de flexibilité issu du Protocole de Kyoto) ne permet pas de financer des actions d’évitement de la déforestation, ce qui pourrait être assimilé à un financement direct des aires protégées. Toutefois, de nombreuses ONG parviennent à financer des aires protégées via le recours à des projets de reboisement au sein même de ces aires protégées. Il s’agit alors d’arrangements bilatéraux, ou plus simplement d’aides conditionnelles destinées à peser sur la conservation plutôt que de participations à un hypothétique marché international du carbone...
13 Plusieurs projets sont ainsi développés à Madagascar depuis 2005, dans ou en dehors des aires protégées, tels que le projet d’appui à la filière carbone dans le corridor Zahamena-Mantadia ou le fonds carbone de Makira dans la région de Maroantsetra. Le processus est le suivant : le bailleur de fonds identifie, avec le relais d’un bureau de consultants, la pré-faisabilité du montage d’un projet de contrepartie de fixation de carbone dans une localité particulière (identification de la nature du projet – reboisement, évitement… – et des acteurs impliqués localement, puis estimation approximative du coût du projet…). Si cette étape est franchie avec succès, il est alors réalisé une étude de faisabilité affinant le projet et remplissant les conditions d’obtention des crédits de carbone certifiés (prouver l’additionnalité du projet, identifier les fuites économiques, le coût à la tonne de carbone…). Si enfin le projet est jugé viable, il revient aux différents acteurs de trouver un investisseur potentiel.
Auteurs
philippe.meral@ird.fr
Philippe Méral économiste, est chercheur à l’IRD (UR 199). Spécialisé en économie de l’environnement et des ressources naturelles, il a été en charge d’un programme de recherche portant sur la politique environnementale et la gestion locale de l’environnement à Madagascar (2001-2005). A récemment publié avec C. Chaboud et G. Froger, Madagascar face aux enjeux du développement durable (Karthala, 2006) ainsi qu’avec C. Castellanet et R. Lapeyre, La gestion concertée des ressources naturelles : l’épreuve du temps (Karthala/Gret, 2007).
geraldine.froger@c3ed.uvsq.fr
Géraldine Froger économiste, est maître de conférences HDR à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, et chercheure au C3ED, UMR-IRD 063. Ses travaux portent sur l’interface entre économie et développement durable. A publié de nombreux articles dans des revues et ouvrages, a récemment coordonné La mondialisation contre le développement durable ? (PIE, Peter Lang, 2006) ainsi que deux numéros de la revue Mondes en Développement, le premier avec F. Galletti, consacré aux regards croisés sur les aires protégées marines et terrestres (2007), le second, avec Ph. Méral, consacré à l’environnement et à la décentralisation dans les pays en développement (2008).
fanoandriamahefazafy@yahoo.fr
Fano Andriamahefazafy économiste, chercheur au Centre d’économie et d’éthique pour l’environnement et le développement – Madagascar (C3ED-M). Ses travaux portent sur l’évaluation des actifs et projets environnementaux, les méthodes d’aide à la décision, l’analyse des politiques publiques environnementales dans le contexte de l’aide au développement et l’application de l’économie de proximité à l’analyse de la structuration paysanne.
andolandi@yahoo.fr
Ando Rabearisoa est doctorante en économie à l’université de Versailles Saint-Quentin. Ses recherches portent sur la problématique de l’évaluation économique des ressources naturelles, en particulier les ressources au sein des aires protégées, dans des contextes où l’économie rurale est faiblement monétarisée. Elle s’intéresse particulièrement au rôle des communautés locales dans la gestion des ressources naturelles.
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