Les ONG et l'efficacité du système de gouvernance de la Convention sur la diversité biologique
p. 145-177
Texte intégral
1Note portant sur l’auteur1
2Puisque la Convention sur la diversité biologique (CDB) va bien au-delà de la protection de toutes les formes du vivant pour englober aussi l'utilisation durable des ressources et les questions de justice, de droits collectifs et de propriété intellectuelle, on s'attendrait à ce que les ONG aient joué ou jouent un rôle marqué dans la négociation, le développement et la mise en œuvre de la Convention. Toutefois, à quelques exceptions près, leur rôle apparaît moindre que prévu, bien que plus marqué dans la phase de mise en œuvre que dans la négociation initiale.
3Naturellement, manque de visibilité ou nombre limité ne signifient pas absence d'influence. Mais, si le rôle de la société civile se limite largement à la diffusion des connaissances, d'orientation du discours ou de sous-traitance d'activités de surveillance, dans quelle mesure les ONG devraient-elles constituer des objets d'étude propres ? Pourquoi ne pas simplement s'interroger sur les États et les conditions qui les rendent plus perméables au discours de ces dernières et aux informations qu'elles véhiculent, ou qui les incitent à recourir à leurs services ? Pour que l'étude des activités et des impacts de ces acteurs constitue un objet d'étude fructueux, il est nécessaire de réfléchir à leur rôle dans le cadre d'une interrogation plus large sur la gouvernance internationale de l'environnement et sur l'efficacité (effectiveness) des régimes. Notre propos n'est pas d'expliquer le comportement des ONG ou d'évaluer leur impact sur l'autonomie des États, mais de cerner la contribution potentielle et réelle du régime de la CDB à la capacité des ONG de remplir une ou plusieurs conditions associées à son efficacité.
4Un régime répond à un problème de gouvernance, elle-même entendue comme la capacité de coordonner des activités interdépendantes et/ou de réaliser le changement sans l'autorité légale de l'ordonner, ou dans une acception plus générale, « comme l'ensemble des mécanismes de régulation d'un système économique et social en vue d'assurer des objectifs communs » (Froger, 2002). Dans le cas de la CDB, le problème de gouvernance est d'éviter la tragédie des communaux en instaurant un ensemble de normes, règles, et procédures2 qui encadrent le comportement des acteurs et visent à réduire l'incertitude à laquelle ils font face de façon à faciliter la poursuite d'un objectif commun. En ce sens, un régime constitue une institution internationale, c'est-à-dire « un ensemble durable et connecté de règles et de pratiques qui prescrivent les comportements, limitent les activités et façonnent les attentes ». Un régime peut être issu d'un accord multilatéral explicite ou refléter des ententes implicites ou informelles. Il peut ou non s'exprimer par des organisations internationales. Enfin, il peut être conçu d'une façon limitée ou large, selon que les acteurs que l'on considère pertinents se limitent aux États ou, face à l'influence que les acteurs non étatiques ont pu exercer sur la formation, la mise en œuvre ou l'évolution d'un régime, incluent tous les acteurs engagés dans la définition des obligations, la mise en œuvre des décisions des Conférences des Parties (CoP) et l'évolution du régime. C'est cette dernière perspective qui sera retenue ici.
Encadré 1.
Convention sur la diversité biologique : repères chronologiques
1980 Le PNUE et l'UICN lancent la Stratégie mondiale pour la conservation (mars)
1982 L'Assemblée générale des Nations unies adopte la Charte mondiale de la nature (octobre)
1987 Le PNUE établit deux groupes d'experts sur la biodiversité et les biotechnologies, ainsi qu'un groupe ad hoc ayant pour but d'évaluer la mise sur pied d'une convention « chapeau » sur la biodiversité
1991 Début des négociations au sein du comité intergouvernemental de négociation (CIN)
1992 Adoption (22 mai) et signature (13 juin) de la Convention sur la diversité biologique
1993 Première réunion du Comité intergouvernemental pour la CDB (ICCBD) (octobre, Genève)
Entrée en vigueur de la CDB (29 décembre) Premier Forum global sur la biodiversité (octobre)
1994 ICCBD-2 (juin, Nairobi)
Première Conférence des Parties (novembre-décembre, Nassau)
1995 Deuxième Conférence des Parties (novembre, Djakarta) ; adoption du « Mandat de Djakarta » sur la biodiversité marine et côtière ; création d'un Groupe de travail ad hoc à composition non limitée sur la biosécurité
1996 Le secrétariat de la CDB entre en fonction à Montréal Première réunion du Groupe de travail ad hoc à composition non limitée sur la biosécurité (BSWG-I), (juillet, Ârhus)
Troisième Conférence des Parties (novembre, Buenos Aires) : adoption des programmes de travail sur les forêts et sur la biodiversité agricole
1998 Quatrième Conférence des Parties (mai, Bratislava) : création du Groupe de travail sur l'article 8j ; adoption de l'initiative taxino-mique mondiale
1999 Première réunion extraordinaire de la Conférence des Parties (EXCOP) (février, Carthagène) visant à adopter un protocole sur les risques biotechnologiques ; échec des négociations
2000 Poursuite de EXCOP (janvier, Montréal) : adoption du protocole de Cartagena sur les risques biotechnologiques (29 janvier) Cinquième Conférence des Parties (mai, Nairobi) : adoption de programmes de travail sur les terres arides et semi-arides et l'article 8j ; création du Groupe de travail sur l'accès et le partage des avantages ; affirmation de l'approche écosystémique Première réunion du Comité intergouvernemental pour le protocole de Carthagène (ICCP-1) (décembre, Montpellier)
2001 ICCP-2 (octobre, Nairobi)
2002 Sixième Conférence des Parties (avril, La Haye) : adoption du Plan stratégique de la Convention et du programme de travail sur la biodiversité des forêts ; adoption des Lignes directrices de Bonn sur l'accès et le partage des avantages (négociées en 2001)
ICCP-3 (avril, La Haye)
Le sommet de Johannesburg appelle à la négociation d'un régime sur le partage des avantages
2003 Entrée en vigueur du protocole de Carthagène (11 septembre)
Réunion extraordinaire de la Conférence des Parties sur le Programme de travail pluriannuel de la Convention (MYPOW) (mars, Montréal) : décisions sur la mise en œuvre de la Convention et la cible 2010 ; élargissement de la portée du régime sur le partage des avantages à l'accès aux ressources génétiques
2004 Septième Conférence des Parties (février, Kuala Lumpur) : création de Groupes de travail sur les aires protégées et sur la mise en œuvre de la Convention ; adoption de programmes de travail sur la biodiversité des montagnes et les aires protégées en haute mer, et d'un cadre d'évaluation du Plan stratégique et de la cible 2010.
Première Réunion des Parties au protocole de Carthagène (23-27 fév., Kuala Lumpur) : adoption d'un cadre d'évaluation de la conformité.
5Suivant la tendance générale des deux dernières décennies, le régime institué par la CDB est administré par un système de gouvernance qui lui est propre et qui comprend essentiellement le secrétariat, la Conférence des Parties, des organes subsidiaires, dont l'organe chargé de fournir des avis à caractère scientifique, technique ou technologique (OSASTT), les groupes de travail sur l'article 8j, sur l'accès et le partage des avantages et sur les aires protégées, et un mécanisme financier assuré par le Fonds pour l'environnement mondial (FEM).
6Ce système de gouvernance de la Convention possède un certain nombre d'atouts potentiels, dont la capacité de créer et d'agir à travers des réseaux. Les régimes facilitent la formation de réseaux qui peuvent aider à élaborer des solutions à des problèmes communs, en prise avec les circonstances locales. Dans le cas de l'Union européenne (UE), des considérations idéologiques, associées à des pressions des ONG et au désir de surmonter des blocages locaux et de réduire les effets de surprise, se sont conjuguées pour accorder plus d'importance aux réseaux au cours de la phase de mise en œuvre des politiques d'environnement (Knill et Lenschow, 2002). De manière plus générale, dans un système caractérisé par un degré d'incertitude élevé et une diversité d'acteurs dont les objectifs se chevauchent, le système de gouvernance de la CDB constitue le moyeu de réseaux potentiels étendus reliant les Parties et les ONG d'environnement (ONGE), les experts scientifiques et les groupes autochtones, les OIG et les populations locales. En collaboration avec d'autres acteurs du réseau, le système de gouvernance peut non seulement faciliter la réconciliation d'intérêts divergents, mais encore structurer et habiliter des « coalitions de plaideurs » (advocacy coalitions), faciliter le partage des connaissances et, ultimement, modeler la compréhension qu'a la communauté internationale d'un problème donné. Reinicke (1998), par exemple, voit dans les réseaux de politique publique mondiale un moyen de répondre aux défis de la gouvernance contemporaine en matière d'environnement. Paradoxalement, par contraste avec les communautés épistémiques3, les ONG et, plus largement, les réseaux dans lesquels elles peuvent s'inscrire ont relativement peu figuré dans les travaux théoriques et empiriques sur la formation, l'évolution et le renforcement des régimes dont la dynamique a surtout été expliquée par des modèles centrés sur les États.
7L'efficacité d'un régime peut se concevoir de multiples façons. Alors que les juristes privilégient la conformité et les écologistes la résolution du problème, les politistes ont tendance à privilégier l'impact sur le comportement des acteurs en lien avec les objectifs du régime. La littérature scientifique a identifié un certain nombre de déterminants de l'efficacité d'un régime, dont l'architecture institutionnelle, la légitimité, la transparence des efforts de mise en œuvre et des mesures de conformité, le développement des capacités nationales, la construction d'un consensus scientifique, le degré de convergence entre attentes internationales et pratiques locales, et la capacité d'apprentissage. Dans ce contexte, les ONG sont des acteurs incontournables, légitimes et indispensables au développement des conditions d'efficacité des systèmes de gouvernance. Dans le cas de la CDB, en l'absence d'une procédure de conformité formelle et d'un pouvoir d'enquête qui aurait pu être conféré au secrétariat, la Conférence des Parties dépend de la bonne volonté politique des États, et des informations souvent partielles recueillies par les ONG, pour évaluer le degré de mise en œuvre de la Convention.
8Par conséquent, contrairement à la perspective qui voit les ONG, particulièrement les ONGE, comme des acteurs externes gardiens de l'intérêt collectif, l'approche adoptée ici les conçoit comme des Parties prenantes au régime. Elles participent à la définition de cet intérêt et au développement et à la mise en œuvre des politiques et programmes, en lien avec d'autres acteurs. Au lieu d'opposer ONG (ou réseaux de plaideurs) et États et de réfléchir sur la transformation de la notion de souveraineté, notre approche voit cette relation comme essentiellement symbiotique.
9Il s'agit donc moins d'expliquer des comportements que d'identifier des caractéristiques du régime à partir de deux questions préalables (sur la place des ONG dans le texte de la Convention et sur leur rôle durant les négociations), et de deux questions principales :
- Dans quelle mesure le système de gouvernance de la Convention facilite-t-il l'émergence de communautés de politiques et de réseaux ? Met-elle graduellement en place ce que Reinicke (1998) a appelé les « principes de politique publique à l'échelle mondiale » ?
- Dans quelle mesure les ONG renforcent-elles certains déterminants de l'efficacité du régime, tels que la capacité d'apprentissage, la force d'impulsion et de changement, le lien entre le global et le local, la diffusion des normes du régime et la cohérence entre les régimes ?
Les ONG et la CDB : rôle formel et impact sur les négociations
Quel rôle formel la Convention accorde-t-elle aux ONG ?
10Tout comme l'Agenda 21, la CDB établit une distinction claire entre différents groupes que l'on rassemble souvent dans la même catégorie « ONG », soit les ONGE proprement dites, les universitaires et autres experts, et les communautés autochtones et locales. Le texte de la Convention accorde peu de place aux ONGE. Le préambule rappelle simplement la nécessité de coopérer avec elles et l'article 23.5 autorise les ONG à assister aux réunions de la Conférence des Parties en tant qu'observatrices, si elles démontrent une expertise dans des domaines relevant de la conservation et de l'utilisation durable de la biodiversité, et si un tiers au moins des Parties présentes n'y fait pas objection.
11Cette modestie se compare défavorablement à deux autres conventions dont les domaines d'actions touchent celui de la CDB. La Convention sur le patrimoine mondial, en effet, attribue à l'UICN un rôle important de conseil et de mise en œuvre (art. 8, 13 et 14), alors que le préambule de la Convention sur la lutte contre la désertification (CLD) insiste « sur le rôle spécial joué par les organisations non gouvernementales et autres grands groupements dans les programmes de lutte contre la désertification et d'atténuation des effets de la sécheresse ». En raison de son approche de bas en haut (bottom-up), la CLD est la seule convention qui garantisse un financement aux ONG, ce qui facilite leur participation et une meilleure représentation de la société civile et des ONG des pays en développement. Toutefois, les communautés autochtones jouissent d'un statut particulier au sein de la CDB, dont le préambule reconnaît l'étroitesse des liens qui les unissent à la biodiversité et la nécessité de protéger les savoirs qui en découlent.
Les ONG et la négociation de la CDB
12Les ONG furent peu nombreuses à prendre part aux négociations de la Convention4 et pratiquement absentes des négociations finales, à l'exception du WWE Leur influence sur le texte de la Convention a été limitée, même si un projet de convention, reprenant les propositions de la Stratégie mondiale de la conservation, avait été proposé initialement par l'UICN dès 1984. La relation causale est difficile à démontrer. Si l'UICN a joué un rôle certain dans la mise à l'ordre du jour initial, son apport direct au contenu final fut limité. La plupart de ses idées centrales furent rejetées, telles que l'idée d'une « convention-chapeau » (umbrella convention) qui aurait repris en les englobant les conventions déjà existantes, l'affirmation que la biodiversité constitue le patrimoine commun de l'humanité, l'accès libre aux ressources génétiques, la création d'un fonds international et l'établissement d'une liste globale d'écosystèmes à protéger en priorité (Louafi, 2001 ; Vivien, 2002).
13Les ONGE, par opposition aux groupes d'experts, semblent avoir eu peu d'impact sur l'article 8j qui fut conclu à la dernière session de négociation d'où les ONGE étaient largement absentes. Fortement soutenu par le Canada, le Pérou et la Suède, le 8j faisait suite à un contexte politique général qui avait vu l'émergence progressive de ces questions sur la scène internationale. Même les communautés autochtones furent peu actives sur cette question lors des négociations. Il en est de même pour l'article 15 sur l'accès et le partage des avantages, où les ONGE ne purent atteindre leurs objectifs initiaux : patrimoine commun, droits des communautés, mécanismes multilatéraux, taxes sur le matériel biologique et les collections ex situ. L'article 15 s'expliquerait davantage par une négociation Nord-Sud que par l'action des ONGE qui ne jouèrent qu'un rôle marginal (ARTS, 1998).
14Les ONGE, avec le soutien de certains États, ont contribué à l'inclusion de clauses telles que la valeur intrinsèque de la biodiversité dans le préambule et certaines mesures de conservation. Mais les cas sont rares où l'on pourrait conclure que, sans les ONGE, une certaine clause aurait été absente du texte final. ARTS (1998) ne relève que le rôle des femmes, mentionné dans le préambule5. Leur influence fut plus marquée par la suite, mais ARTS (1998), à la suite d'une étude fouillée, conclut qu'elle se limita largement à l'agenda et aux débats ; elle affecta peu les résultats de ces discussions. Dans le cas du protocole de Carthagène, Arts et Mack (2003) et Falkner (2002) abondent dans le même sens.
La participation des ONG aux réunions du régime
15Les ONG s'intéressent-elles à la CDB ? Pour cela, examinons leur participation en tant qu'observatrices aux CoP et aux réunions des organes subsidiaires, leur présence au sein des délégations et le nombre d'événements parallèles qu'elles organisent. Le nombre d'observateurs d'ONG qui suivent la mise en œuvre de la CDB a considérablement augmenté depuis l'adoption de la Convention en 1992. Sur 750 personnes participant à la CoP-1 en 1995, McConnell (1996) compta 104 représentants de la société civile (dont six du secteur privé). Certaines, notamment les membres de Greenpeace, commencèrent à exercer de fortes pressions en faveur d'un protocole sur les forêts. Les ONGE les plus actives après juin 1992 furent Greenpeace, les Amis de la Terre, Environmental Liaison Centre International, Third World Network, Birdlife International, Rafi (aujourd'hui ETC Group) et Cultural Survival (Arts, 1998).
16La figure 1 indique une augmentation spectaculaire du nombre d'ONG à partir de la CoP-3 de Buenos Aires, avec 200 à 250 organisations participantes. Le lieu de rencontre ne semble pas affecter ce niveau de participation qui demeure comparable, que la CoP se tienne en Europe (Bratislava, 1998) ou en Afrique (Nairobi, 2000). La participation aux réunions de l'organe subsidiaire scientifique (OSASTT) (fig. 2), après une poussée en 1997, est demeurée relativement modeste (autour d'une cinquantaine), alors que le lieu de réunion demeure constant (Montréal). L'OSASTT attire peu les ONG ou les organisations scientifiques. Si la phase finale des négociations du protocole de Carthagène en 2000 a rassemblé de nombreuses ONG, celles-ci furent peu nombreuses au cours des phases précédentes. En fait, les grandes ONG, qu'elles soient de plaideurs ou scientifiques, ont peu investi dans la CDB ; seul un petit nombre suit ses travaux de façon continue, parmi lesquelles l'UICN, le WWF, l'Indigenous Peoples’ Network (IPN), Birdlife International, l'ETC Group, le Council on International Environmental Law (CIEL) et la Fondation pour le développement et le droit international de l'environnement (FIELD) se détachent particulièrement, les deux dernières se situant surtout sur le plan de l'expertise juridique.
La présence des ONG au secrétariat et dans les délégations
17En date du 8 janvier 2004, 72 personnes composaient le personnel du secrétariat. La plupart sont des diplomates de carrière, des juristes, des fonctionnaires du PNUE, du personnel détaché d'autres agences onusiennes (Cnuced, Unesco, FAO) et des universitaires. Une douzaine de fonctionnaires auraient travaillé pour des ONG avant d'être recrutés par le secrétariat. Ce sont le service des questions scientifiques, techniques et technologiques et le service de la prévention des risques biotechnologiques qui représentent le plus gros pourcentage (respectivement cinq fonctionnaires sur dix et quatre fonctionnaires sur dix). En janvier 2004, la direction exécutive et le service des conférences (Resource Management and Conference Service), quant à eux, ne comprenaient aucun ex-représentant d'ONG alors qu'ils composaient un tiers du personnel du secrétariat.
18Les négociations de la CDB furent l'un des premiers exemples d'inclusion de représentants d'ONG dans les délégations nationales, notamment Scandinaves, anglaise et canadienne. Leur présence dans les délégations nationales et dans des organes de consultation nationaux s'est accrue. Dans certains cas, ces ONG ont pu jouer un rôle significatif. À la CoP-6, les pressions de Greenpeace sur la délégation française auraient incité cette dernière à se rallier à la position de cette ONG proposant la fin du déboisement d'ici à 2010. La plupart des pays occidentaux actifs dans le dossier autochtone (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Suède et Norvège) comptent parmi leurs délégations officielles des représentants de leurs communautés autochtones nationales et financent la participation d'autres communautés. La fréquence des contacts entre délégués et représentants des communautés permet, outre les échanges de points de vue, de créer une dynamique particulière dominée par la communication. Ce phénomène ne concerne qu'un petit nombre d'États dont le système politique et la culture administrative facilitent le passage et le dialogue entre la société civile et les pouvoirs publics. Dans les systèmes pluralistes ouverts, l'expert de l'ONG peut devenir l'expert du gouvernement et parfois même être intégré dans le processus de décision. Les délégations d'autres États, plus fermés ou plus technocratiques, sont moins perméables. De plus, la plupart des États en développement ne possèdent pas les ressources humaines et financières suffisantes pour envoyer une forte délégation aux réunions internationales.
Les ONG et les événements parallèles
19L'organisation d'ateliers ou d'événements parallèles aux réunions internationales constitue un important facteur de diffusion d'idées, de recueil d'informations, de renforcement de capacités, de mise en réseau et de socialisation. La CoP-6 (La Haye, 2002) vit une forte présence des ONG internationales (Greenpeace, WWF, UICN, WRI, Conservation International, Amis de la Terre, Defenders of Wildlife, CIEL), mais aussi locales (ONG hollandaises et nord- européennes, forte mobilisation de la branche hollandaise de l'UICN). Les ONG de conservation (WWF, CI, TNC, Searice) sont les principales organisatrices des événements parallèles. On pourrait penser, à la lumière de la diminution de moitié du nombre d'événements parallèles entre la CoP-6 de La Haye et la CoP-7 de Kuala-Lumpur (72 contre 37), que le lieu de réunion joue un rôle moteur dans la mobilisation d'ONG de taille plus réduite. Mais cette différence s'explique davantage par la place disponible. Le nombre de demandes pour la CoP-7, toutes organisations confondues (OIG, gouvernements, secrétariats, société civile) a été supérieur à celui de la CoP-6, alors que le nombre de salles disponibles était bien inférieur. Cela suppose un choix qui se fait alors au profit des présentations liées directement au fonctionnement et à la mise en œuvre de la Convention proposées par des États, des OIG ou des ONGE bien établies.
Le système de gouvernance de la Convention et l'habilitation de réseaux de gouvernance
20Selon Reinicke (1998), les organisations internationales devraient jouer un rôle crucial dans l'émergence des réseaux de politique publique, en renforçant les capacités d'anticiper les domaines qui exigeront des réponses globales et en agissant comme intermédiaires entre les secteurs privés et publics. Elles devraient constituer des lieux de rassemblement, gérer des réseaux multiples à différents niveaux (reliant ainsi le local et le global) et fournir des ressources diverses afin de faciliter la mise en œuvre des politiques publiques globales. Le rôle du secrétaire exécutif, à travers son leadership structurel, intellectuel et d'entreprise, est indispensable à la formation d'un régime. L'action du secrétariat est demeurée modeste à cet égard.
21Sylvie Ollitrault (2002) a traité du cas européen, où « les institutions européennes et les ONG tissent des liens étroits d'échanges d'informations qui, sans qu'ils soient systématiques, manifestent des intérêts communs : promotion d'un intérêt supranational et volonté de faire naître une “opinion publique internationale” ». La CDB en est loin. Si son secrétariat s'est doté d'un département sur l'information publique, celui-ci est peu actif ; les liens entre le secrétariat et les ONG apparaissent distants (sauf avec celles fournissant une expertise spécifique), à la fois en termes d'échanges d'information et, a fortiori, en matière de développement d'une stratégie politique commune (campagnes d'informations, par exemple).
22Mais à un secrétariat modeste peut correspondre un système de gouvernance fort. En effet, le Système peut jouer un rôle clef dans la structuration de coalitions de plaideurs (advocacy coalitions), l'identification et l'habilitation (empowering) d'acteurs et le modelage d'une communauté d'idées qui faciliteront les changements de comportement.
23Dans un système de gouvernance décentralisé, qui s'oppose à un modèle centré sur l'expansion du mandat du PNUE et la construction d'une organisation mondiale de l'environnement, le système de gouvernance de la Convention, et pas seulement le secrétariat, doit jouer un rôle central de coordination, habiliter les ONG et s'y associer afin de renforcer les objectifs du régime. Plusieurs raisons militent en faveur d'un tel rôle. Tout d'abord, la nécessité d'arbitrer les conflits entre ONG (du Nord et du Sud, d'environnement et de développement, de conservation et de préservation, d'environnement et de droits de la personne, etc.). Ensuite, la tendance des hagiographes des ONG de (i) supposer que toutes leurs fonctions sont reliées positivement, (ii) de négliger les conditions nécessaires et suffisantes associées à l'émergence et aux impacts de ces fonctions ou rôles, (iii) de minimiser les effets de la concurrence entre ONG, (iv) d'exagérer la légitimité des ONG et (v) de surestimer l'impact des actions des ONG.
24Cet aspect sera abordé à travers trois questions : dans quelle mesure le secrétariat (ou le système de gouvernance de la Convention) a-t-il facilité l'émergence d'ONG et de réseaux de plaideurs ; la participation des ONG au régime ; et quelle a pu être son influence sur les stratégies des ONG locales ?
Le système de gouvernance de la Convention a-t-il facilité l'émergence d'ONG et de réseaux ?
25La signature et la ratification de la CDB menèrent à la naissance de plusieurs réseaux largement voués au partage d'informations sur les activités de la Convention. Bionet (Biodiversity Action Network)6, le Réseau des peuples autochtones sur la biodiversité (Indigenous Peoples’ Network on Biodiversity) et le Groupe de liaison international intérimaire sur la diversité biologique (Interim International Liaison Group on Biological Diversity) furent formés entre la signature de la CDB et la CoP-1 afin de coordonner les actions des ONG (Arts, 1998). L'existence de la CDB renforça également certaines ONG et réseaux existants désireux de promouvoir des aspects particuliers de la Convention, notamment la conservation et les questions autochtones. Le niveau national vit aussi l'émergence de nouvelles coalitions ou le renforcement d'associations traditionnelles dont le poids politique était demeuré marginal dans la galaxie ONG.
26Un des rôles de l'organe subsidiaire scientifique est d'être à la fois la cible de réseaux existants et le catalyseur de réseaux en devenir. À quelques exceptions près (lutte contre les espèces allochtones envahissantes et initiatives taxinomiques et coralliennes), l'OSASTT n'a pas vraiment conduit à l'émergence de nouveaux réseaux de scientifiques ; il a plutôt fait appel à certains réseaux existants, tandis que d'autres redirigeaient leur action vers lui, en fonction de son programme de travail. L'OSASTT a facilité la construction de liens entre les ONG et les délégués nationaux, la planification et l'information sur des projets internationaux en lien avec la mise en œuvre de la Convention, la diffusion des résultats de recherches et des connaissances en dehors de canaux officiels, l'exploration de futures activités de coopération ponctuelles et la sensibilisation des délégués et des autres acteurs présents aux différentes dimensions du régime ; en somme, le développement d'un réseau.
27L'imbrication croissante des questions environnementales et commerciales, symbolisée par la question des droits de propriété intellectuelle, a aussi conduit à l'émergence d'un certain nombre d'ONG vouées à la problématique complexe de la conciliation des objectifs environnementaux et commerciaux, ainsi qu'aux enjeux liés à l'intégrité culturelle et à l'équité entre groupes. Mais si cette émergence procède directement de l'existence d'un certain nombre de traités environnementaux à incidence commerciale (protocoles de Montréal et de Carthagène, Convention de Bâle, CDB, etc.), elle n'a pas été directement facilitée.
28Contrairement à l'humanitaire ou au développement, le « marché » de la biodiversité est peu développé, ce qui devrait minimiser les rivalités, l'insécurité organisationnelle, les compromissions, les luttes pour le pouvoir, le manque d'esprit critique et les projets plus spectaculaires qu'efficaces qui caractérisent souvent l'action humanitaire (Cooley et Ron, 2002). Étant donné la faiblesse des enjeux financiers et l'indifférence relative des agences d'aide au développement envers la CDB, les dysfonctionnements possibles relèveront davantage de l'indifférence que de la concurrence. Toutefois, la domination du marché de la biodiversité par un seul bailleur de fonds (l'Union européenne) ou une source discursive dominante (l'UICN et une poignée d'autres organisations), si elle freine l'émergence d'autres rivaux et crée une hiérarchie stable, limite aussi la capacité de ces réseaux de renforcer les capacités d'adaptation du régime.
29Si l'on peut associer plusieurs réseaux aux activités de la CDB7, le rôle du système de gouvernance de la Convention dans l'émergence de réseaux demeure marginal, les réseaux s'étant développés davantage en lien avec l'existence de la Convention qu'à la suite de l'action proactive de ses organes. Plus que sur le développement de réseaux d'ONG ou d'experts, l'action du secrétariat s'est concentrée sur la coordination avec d'autres institutions. Par ailleurs, les contacts ont été davantage tributaires d'individus ; or le roulement rapide du personnel au sein du secrétariat rend cette forme de collaboration très précaire.
30Le Centre d'échange d'informations (CHM) fournit un autre exemple de l'absence des ONG dans la gouvernance du régime.
Encadré 2.
Le cas particulier des communautés autochtones et locales (CAL)
La littérature fait généralement la distinction entre ONG proprement dites qui cherchent à universaliser certaines valeurs et les groupes qui représentent essentiellement des intérêts, qu'ils soient intellectuels (les experts), commerciaux (le monde des affaires) ou identitaires (les communautés locales). En pratique, cependant, les auteurs ont eu tendance à traiter la défense organisée d'intérêts locaux ou d'un groupe de personnes partageant certaines caractéristiques identitaires comme autant d'exemples d'action d'« ONG », surtout lorsque ces groupes se fédèrent au niveau international. À ce titre, la classification de l'ONU, qui range les communautés autochtones et locales dans un grand groupe séparé, au même titre que les syndicats, les femmes, les universitaires, le monde des affaires, les jeunes, les agriculteurs, les collectivités locales et les ONG, reflète davantage des considérations politiques liées à la nécessité de minimiser les conflits de représentation qu'une exigence analytique.
Si la CDB a eu un effet catalyseur, c'est bien sur les communautés autochtones et locales. Pratiquement absentes dans les premières années d'existence de la CDB, les communautés autochtones et locales participèrent de façon significative au régime pour la première fois à la CoP-2 et formèrent un caucus unifié à la suivante, en 1996 (Oldham, 2002). Elles se considèrent maintenant comme seules habilitées à parler en leur nom propre. Il arrive même qu'elles se dissocient complètement des autres ONG, dont les revendications sont jugées agressives et non constructives. Par exemple, l'attitude négative et dénonciatrice de plusieurs ONG ne fait souvent qu'inciter les gouvernements à former des groupes de négociation plus restreints dont l'accès peut alors être interdit aux communautés autochtones et locales (Crowley, 2003).
La création du Forum international autochtone sur la biodiversité (IIFB -International Indigenous Forum on Biodiversity) en 1996 constitue un événement marquant en termes de représentation et de participation des communautés autochtones et locales. Le Forum regroupe des organisations autochtones dont la composition varie à chaque réunion de la CDB en fonction des communautés présentes. Il ne s'agit ni d'une fédération ni d'une institution, même si elle s'institutionnalise progressivement, mais d'une coalition. Elle ne possède pas de « membres » en tant que tels, mais une douzaine d'organisations y participent sur une base régulière. Initialement conçu pour unifier et coordonner les forces des communautés autochtones et locales, le Forum jouit maintenant d'un statut consultatif officiel auprès de la CoP et « bénéficie d'une importance croissante au sein des négociations dans le cadre de la Convention » (Oldham, 2002).
Mais cette coalition apparaît de plus en plus fragile face aux divergences idéologiques et stratégiques entre communautés autochtones et locales (Crowley, 2003). Les communautés autochtones occidentales, dont les moyens et le pouvoir politiques sont sans commune mesure avec ceux des communautés du Sud, ont des intérêts différents de ces dernières qui luttent toujours pour l'affirmation et le respect de leurs droits politiques, économiques et culturels. Les oppositions sont aussi régionales (Afrique, Amérique du Sud, Asie-Pacifique). Certaines communautés sont principalement préoccupées par la commercialisation des ressources génétiques et les principes régissant l'accès et le partage des avantages, tandis que d'autres cherchent d'abord à protéger les savoirs traditionnels ou leurs droits politiques et économiques (Oldham, 2002).
31Le régime n'a pas facilité le développement du CHM en une banque de données, d'informations et d'analyses pertinentes au niveau local-régional qui serait aussi alimentée par les ONG. Le CHM n'a ni mécanisme cohérent de recueil d'informations et d'analyses, ni stratégie visant à promouvoir son utilisation. Il se contente d'être un conduit entre le régime et l'échelon local, plutôt que de faciliter la remontée de l'information vers le régime, ou le partage d'informations, à tous les niveaux, entre les acteurs de la biodiversité.
Le système de gouvernance de la Convention a-t-il facilité la participation des ONG au régime ?
32N'avoir facilité qu'indirectement ou par défaut l'émergence d'ONG est une chose, mais le régime a-t-il encouragé la participation des ONG afin de développer la transparence des activités et de créer des opportunités d'adaptation ?
33L'Agenda 21 avait affirmé la nécessité de développer de nouvelles formes de participation. La transparence et la participation figurent parmi les déterminants de l'efficacité des régimes les plus souvent évoqués. L'approche des politiques publiques à l'échelle mondiale insiste aussi sur la responsabilité des organisations internationales de promouvoir l'ouverture et la transparence, afin d'accroître la responsabilité des acteurs et la légitimité des politiques qui reposent sur la délégation de certains aspects de la mise en œuvre à des acteurs non étatiques.
34La plénière d'ouverture de la 1re session du Comité intergouvernemental pour la Convention sur la diversité biologique (CICDB) souligna l'importance de la participation de tous les intervenants touchés par la conservation de la biodiversité, du libre accès à l'information et aux séances officielles de négociation ainsi que du développement de la collaboration entre les ONG et le secrétariat intérimaire.
35Le régime accroît la transparence par de multiples moyens. Au CHM, potentiellement l'instrument le plus important mais en réalité limité, s'ajoutent la participation des ONG en tant qu'observateurs aux sessions plénières, aux groupes de travail et aux groupes de contact8, l'organisation d'événements parallèles aux réunions de la CoP et de l'OSASTT, et la distribution, dans ces réunions, d'informations, de rapports, de notes de synthèse et de memoranda, distribution facilitée par le secrétariat qui met sa logistique à la disposition des ONG. Le secrétariat est en relation continue avec un petit nombre d'ONG, notamment Conservation International, le WRI, l'UICN, le Centre international de liaison pour l'environnement (CILE), FIELD et le Centre de recherches forestières international (Cifor), certaines contribuant de façon substantielle à la rédaction des notes de synthèse du secrétariat et aux travaux de groupes d'experts.
36Les communautés autochtones représentent un cas particulier en ce qui concerne leur intégration aux travaux de la CDB. Comme le souligne Crowley (2003), elles « disposent d'un droit de parole identique à celui des Parties, tant lors des séances plénières que des sessions de travail en sous-groupes ou en groupe de contact ; leurs objections formelles ou leurs commentaires sont inscrits dans le rapport final des réunions ; et, comme le veut l'habitude prise depuis l'atelier de Madrid (1997), il y a co-présidence autochtone des sous-groupes et formation d'un groupe d'amis autochtones du bureau. La CoP-4 créa un sous-groupe de travail composé de délégués et de représentants des communautés autochtones et locales afin d'élaborer le texte de la décision destinée à encadrer le programme de travail sur le 8j, ce qui pourrait avoir causé un précédent sur le plan de la composition des groupes de contact et de travail, puisque les observateurs passaient de la participation à la négociation. L'adoption des recommandations demeure, toutefois, du seul ressort des Parties ». Ces observateurs furent par la suite exclus de la discussion sur les amendements au texte de la décision, même si les groupes restaient toujours ouverts aux observateurs. De même, la présence des groupes autochtones était forte et active aux réunions du groupe de contact sur le régime d'accès et de partage des avantages à la CoP-7.
37La question de la composition des groupes d'experts, panels d'experts et groupes de liaison est plus délicate. États et ONG ont critiqué le manque de transparence dans la composition des groupes d'experts formés par le secrétariat, alors que les ONG ont aussi déploré que ceux de l'OSASTT et de la CoP ne soient composés que d'experts nommés par les gouvernements. Les communautés autochtones et locales continuent de réclamer une plus grande transparence du processus de sélection d'experts. Les Parties ne reconnurent la valeur de l'expertise des communautés autochtones et locales qu'à la CoP-5. Le nombre de plaintes déposées par les communautés autochtones et locales, ainsi que par les ONG suite à la septième réunion de l'OSASTT en novembre 2001, a apparemment incité le secrétariat à consulter le Forum pour la sélection d'experts autochtones (Oldham, 2002).
Le système de gouvernance de la Convention a-t-il influencé les stratégies des ONG locales ?
38Les nombreuses études de communautés locales font peu de cas d'une influence possible du régime, mais comme ces études ne posent pas les questions pertinentes à ce genre de préoccupation, la prudence est de mise. Il est certain que peu d'acteurs locaux feront d'eux-mêmes un lien entre leurs actions et leurs résultats et l'existence de la CDB. Un premier examen des projets sélectionnés dans le cadre de l'Initiative « Équateur » du PNUD indique que la CDB, ou ses organes, n'ont pas eu d'impact direct sur le développement de ces projets locaux de protection de la biodiversité. À cet égard, le CHM a failli à sa mission de relier le régime à l'action locale. Il a été plutôt mis en œuvre comme un outil de communication du haut vers le bas, ou entre les gouvernements et le régime, perpétuant ainsi le modèle traditionnel de définition des problèmes, d'identification des solutions, de programmes et de projets étrangers aux préoccupations, expériences ou cultures locales.
39Cela ne signifie pas que la CDB n'ait joué aucun rôle de restructuration du contexte dans lequel s'inscrit l'action de ces groupes. Dans certains cas, comme dans celui du Costa Rica, le lien entre le régime et le local ne se fait pas directement, mais par l'intermédiaire des réseaux d'experts transnationaux ou par les ONG internationales qui apportent l'information sur le régime et des ressources politiques, intellectuelles ou financières (Steinberg, 2001). Enfin, il faut se garder de faire de la construction de liens entre le local et l'international une panacée de l'efficacité d'un régime. Celui-ci peut parfois tomber victime d'une alliance entre ONG transnationales et locales, comme le rapportent Berlin et Berlin (2002).
40En résumé, le régime a vu l'émergence simultanée de plusieurs réseaux, mais aucun qui soit devenu fort ou qui soit entretenu activement. Cependant, deux groupes jouissent d'un statut particulier : les communautés autochtones et les groupes d'experts. Le système de gouvernance de la Convention a largement négligé ses relations avec les ONGE. De plus, et c'est peut-être ce qui est plus significatif, ces relations continuent d'être définies par les Parties comme un problème « d'ouverture » vers les ONG et non comme un problème de développement d'un système de gouvernance qui rassemblerait OIG, ONG, États et secteur privé dans la promotion des normes du régime, pour le développement des connaissances pertinentes et en vue du renforcement des engagements de toutes les Parties prenantes.
Les ONG et l'efficacité du système de gouvernance
41Dans la contribution des ONG à l'efficacité des régimes, la plupart des auteurs insistent sur la fourniture d'information, la mobilisation de l'opinion publique, la représentation des groupes marginalisés, la fourniture d'une expertise technique, la surveillance et l'évaluation, et la légitimation des processus de décision. La plupart de ces rôles se retrouvent dans les fonctions associées à l'efficacité du régime. Cette section renverse la perspective d'analyse et s'interroge sur l'impact des ONG sur un certain nombre de pré-conditions associées à l'efficacité du régime, soit la capacité d'apprentissage, la capacité d'impulsion, le lien entre le local et le global, la diffusion des normes du régime et la cohérence entre les régimes.
Les ONG facilitent-elles l'apprentissage ?
42Selon le modèle libéral, les régimes facilitent l'apprentissage individuel et social, c'est-à-dire le développement de nouvelles perspectives sur un problème, de nouvelles idées quant à leurs solutions, de nouvelles techniques de mise en œuvre et de nouvelles méthodes visant à promouvoir l'efficacité du régime (Young et Levy, 1999). Le développement d'une capacité d'apprentissage, outre les facteurs institutionnels, repose sur la circulation de l'information du bas vers le haut, sur des contacts réguliers avec les sources d'information et sur l'expertise de recherche que peuvent fournir ces organisations (Haas et Haas, 1995 ; Bramble et Porter, 1992).
43La meilleure façon d'évaluer ce rôle potentiel des ONG serait d'examiner en détail l'élaboration et la mise en œuvre des programmes de travail thématiques de la Convention, ce qui reste malheureusement à faire. Contentons-nous d'évoquer et d'illustrer quelques points généraux. Tout d'abord, hormis dans le cas des groupes autochtones, le régime n'a pas créé les conditions institutionnelles ou développé les contacts suivis qui faciliteraient une telle dynamique. De même, l'information circule peu du bas vers le haut, le CHM ayant surtout évolué comme un instrument de mise en œuvre hiérarchique du régime. D'autre part, puisque le secrétariat n'a pas encore assumé un rôle de surveillance de la mise en œuvre de la Convention, rôle qui demeure controversé, on ne peut s'étonner que les ONG aient été peu engagées dans cette phase. Cela pourrait changer avec la création, par la CoP-7, de deux groupes de travail : l'un sur les aires protégées où l'UICN joue un rôle central, l'autre sur la mise en œuvre de la Convention et la concentration sur les indicateurs de performance de celle-ci.
44De plus, évaluer l'impact des ONG sur la capacité d'apprentissage du régime est notoirement délicat. La position de certains pays a certes évolué depuis les débuts de la Convention, par exemple, la France, à la CoP-6, a reconnu la spécificité des droits des « premiers habitants », mais les difficultés d'attribution demeurent. Cette évolution est-elle due à des activités spécifiques d'ONG, à un processus de socialisation ou à une redéfinition des intérêts facilitée par le régime en général ? En fait, l'apprentissage organisationnel ne se fait pas soit de l'intérieur, soit de l'extérieur, mais résulte plutôt d'une combinaison de facteurs internes (des groupes désireux de « faire bouger les choses ») et externes (des conditions qui rendent leur action ou leur discours plus attrayant). La génération d'études joue un rôle important quand elles sont reprises (ou commanditées) par des États qui en facilitent la diffusion, soit parce qu'elles correspondent à leurs priorités ou qu'elles tendent vers une direction où ils aimeraient voir les discussions s'engager, soit parce qu'ils désirent lancer des ballons d'essai.
45Dans quelle mesure les ONG constituent-elles une source d'informations indispensables pour le régime ? Cette fonction de diffusion de l'information est une des plus largement citées par les observateurs. Les ONG les plus actives dans la gouvernance du régime de la CDB sont celles qui disposent d'une expertise indispensable, que ce soit dans les domaines de la conservation (UICN, Birdlife International, Conservation International), juridique (CIEL, FIELD), ou en termes de représentativité (IPN). Les contributions techniques de l'UICN aux travaux des programmes de travail thématiques de la CDB sont difficiles à évaluer, d'autant plus que l'UICN possède aussi un accès direct auprès des gouvernements. La dépendance du régime envers les communautés autochtones et locales a déjà été mentionnée. Mais on ne peut aisément en conclure que ces activités d'information ont eu un impact direct, puisque les fonctionnaires ont souvent accès à la même information à travers d'autres canaux. Une variable importante est liée aux ressources dont dispose un pays. Un pays qui ne possède qu'une faible capacité scientifique sera évidemment plus dépendant de sources d'informations externes, provenant de son groupe de négociation ou d'ONG. Ce phénomène pose d'ailleurs la question de la cooptation intellectuelle de certains petits pays par des ONG revendiquant le monopole de l'information.
46En fait, les ONG ne sont pas les seuls ou les plus importants courtiers d'information, les communautés épistémiques pourraient jouer un rôle tout aussi sinon plus important, bien que l'appréciation rigoureuse de leur impact soit également difficile. Dans le cas de la CDB, les experts de la conservation, des coraux, des espèces envahissantes, les taxinomistes, les ethnologues ont joué un rôle primordial. Un exemple est celui du Crucible Group, dont les travaux sur la biodiversité agricole ont été soutenus et diffusés par le Centre de recherches pour le développement international (Gemmill et Bamidele-Izu, 2002), un organisme para-gouvernemental canadien9.
47Un autre exemple est l'« Évaluation des écosystèmes du millénaire » lancée conjointement par le PNUD, le PNUE, la Banque mondiale et le WRI afin de faire l'état des connaissances sur l'état des écosystèmes dans le monde et l'impact des changements écosystémiques sur l'environnement et le développement humain. Il s'agit de répondre en partie aux besoins d'évaluation de trois accords multilatéraux sur l'environnement : la CDB, la Convention de Ramsar sur les zones humides et la Convention sur la lutte contre la désertification (CLD). Nous sommes, là encore, en présence d'une initiative de grande envergure lancée au niveau international sans grande concertation avec les conventions concernées, que les ONG n'ont pas initiée (mis à part le WRI qui est une ONG d'expertise-conseil particulière), mais à laquelle elles sont associées, puisque l'évaluation repose sur un réseau global de groupes d'ONG et de centres de recherche qui fournissent les rapports et les analyses des données régionales sur lesquels s'appuie l'évaluation.
Les ONG facilitent-elles le changement (rôle d'impulsion) ?
48Distinguons entre le niveau international et le niveau national. Au niveau international, les ONG peuvent faciliter le changement non seulement à travers la diffusion d'informations, mais aussi à travers la formation de coalitions d'États sur une question donnée. Par exemple, c'est grâce aux pressions politiques des représentants des communautés autochtones et des ONG que la CoP-3 décida de tenir un atelier sur les connaissances traditionnelles qui donna naissance au groupe de travail sur le 8j, mais ces communautés échouèrent dans leurs tentatives d'initier un mouvement de négociation d'un protocole. Les ONG échouèrent aussi dans leurs tentatives, avec les pays du Sud, de placer le mécanisme financier sous le contrôle de la CoP. Le succès ou l'échec des pressions des ONG, au niveau international, repose souvent sur leur action antérieure au niveau national. Elles doivent être plus présentes au niveau international car les réunions internationales conditionnent leur action nationale ou locale, sans négliger pour autant l'action nationale qui sous-tend la force de leur message international. Ces deux niveaux ne sont pas indépendants ou parallèles mais le prolongement l'un de l'autre.
49Il est difficile d'évaluer au niveau national l'impact qu'ont les ONG à travers leur définition des problèmes, des solutions possibles et la mobilisation des publics. Il est évident que leur capacité d'influence au niveau national dépend de leur propre mobilisation, de la nature du système politique, de leur accès et du type de ressources (intellectuelles, politiques, financières, médiatiques, etc.) dont elles disposent. Les exemples sont peu documentés. Le WRI, le WWF et l'Environmental and Energy Study Institute auraient contribué à convaincre le président Clinton de signer la Convention en 1993 (Gunter, 2001). Toutefois, la coalition d'ONG rassemblées au sein de Bionet échoua dans sa tentative d'engager le Sénat et ce même gouvernement à initier la procédure de ratification.
Les ONG facilitent-elles le lien entre le local et le global ?
50Relier le local au global est une des fonctions les plus largement avancées par ceux qui voient dans les ONG des acteurs importants de la gouvernance internationale de l'environnement. Keck et Sikkink (1998) soutiennent que les « réseaux de plaideurs... multiplient les voies d'accès au système international ». Les ONG se targuent d'être en prise avec la réalité du terrain et de représenter les intérêts des populations concernées. Les ONG internationales ont joué un rôle capital dans l'interdiction du commerce de l'ivoire dans le cadre de la CITES. En général, elles ont la capacité d'internationaliser une question locale et, inversement, d'enraciner les actions globales dans les expériences locales. La protection de la biodiversité repose largement sur la création de liens effectifs entre les préoccupations locales, nationales et internationales. Selon Marie Roué, « une part de l'influence croissante des ONG dans le champ de la biodiversité tient aux paragraphes consacrés dans l'Agenda 21 et la Convention sur la biodiversité aux savoirs traditionnels écologiques (...) des populations indigènes et locales » qui ont permis aux ONG d'agir « en tant que médiateurs entre des savoirs locaux qu'ils n'appréhendent pas directement et les instances internationales et nationales »10. Ces savoirs locaux sur la gestion de la nature ont ainsi acquis, du moins formellement, une reconnaissance internationale.
51Mais les ONG internationales proprement dites sont de plus en plus dépassées par des organisations locales qui leur dénient ce rôle d'intermédiaire ou de patron et le droit de s'exprimer au nom des communautés. On assiste de plus en plus à une tentative de se prendre soi-même en main. Le rôle des ONG, dans ce contexte, n'est plus celui de courtier (broker) mais un rôle « habilitant » (empowering) qu'illustre l'hypothèse de Keck et Sikkink (1998), selon laquelle les coalitions de plaideurs « mettent des ressources à la disposition des nouveaux acteurs dans leurs luttes politiques et sociales internes ». Mabile (2002), dans le contexte du mandat de Djakarta sur la biodiversité marine, nous informe que le WWF, « concernant la gestion des aires marines protégées, encourage les processus de concertation impliquant une majorité d'acteurs à tous les stades (de la création à la gestion), l'implication des populations locales, la présence d'un plan de gestion, et la viabilité et la pérennité juridique et financière, et ce conformément aux orientations internationales ».
52Ce lien entre le local et le global ne se construit pas automatiquement. Les ONG doivent non seulement faire connaître la Convention et être actives au niveau international, mais aussi construire le soutien national à la Convention. Gunter (2001) mentionne que les ONG américaines ont largement négligé cette dimension interne pour se consacrer au niveau diplomatique international. Construire un lien interne-externe, dans le cas des États-Unis, commencerait par convaincre les citoyens américains que la perte de biodiversité les affecte tout autant que le reste du monde. Cela est aussi vrai dans les autres pays.
Les ONG facilitent-elles la diffusion des normes du régime ?
53Selon une des hypothèses de Keck et Sikkink (1998), les « coalitions de plaideurs encouragent la mise en œuvre des normes en exerçant des pressions sur les acteurs pour qu'ils adoptent de nouvelles politiques, ou à travers leurs activités de surveillance du respect des normes internationales ». Les acteurs non étatiques joueraient ainsi un rôle crucial dans l'internalisation des normes puisqu'ils agissent comme porteurs et traducteurs de normes, dénoncent les manquements et entreprennent des activités d'éducation.
54Dans le cas de la CDB, les ONG n'ont pas vraiment joué un rôle actif dans la surveillance de la mise en œuvre du régime, leur contribution se limitant à sa construction, mais cela pourrait changer suite à la concentration sur la cible de 2010. On peut aisément supposer que les activités des ONG actives dans le domaine de la biodiversité contribuent à la promotion du régime, mais une certaine prudence est nécessaire sur ce point, car tous les accords du champ de la biodiversité ne représentent pas les mêmes normes ou n'accordent pas une même importance aux normes qu'elles peuvent partager avec d'autres, telles que l'approche par écosystème, les questions de justice et d'équité, l'approche ou le principe de précaution, le développement durable. De plus, le manque de diversité des ONG et la dominance de certaines d'entre elles conduisent potentiellement à un déséquilibre dans le degré d'élaboration dans la promotion des trois objectifs du régime et amènent à négliger les contradictions potentielles entre ces derniers (par exemple entre l'accès et le partage des bénéfices d'une part, et la conservation d'autre part). Or, les ONG les plus actives sont aussi celles qui ont tendance à posséder une vision restrictive du régime, telles que l'UICN ou la RSPB.
Les ONG facilitent-elles la cohérence entre les régimes ?
55Dans quelle mesure les ONG constituent-elles des instruments d'intégration des activités des différentes agences des Nations unies œuvrant dans un même domaine, de façon que leurs actions se renforcent plutôt que de se concurrencer ?
56L'élément principal qui mérite d'être évoqué ici est l'organisation des Forums mondiaux sur la biodiversité qui se tiennent avant les CoP des conventions liées à la biodiversité (CITES, Ramsar, Convention sur le changement climatique, CLD). Ces forums, organisés par l'UICN, le WRI et une panoplie d'ONG du Nord et du Sud, sont soutenus par le secrétariat et les gouvernements. Ils rassemblent une grande diversité d'individus de différents domaines et régions, en provenance de gouvernements aussi bien que de la société civile, qui participent à des discussions sur la biodiversité. Dix-neuf forums ont été organisés entre 1992 et février 2004.
57L'appréciation de leur impact est difficile en l'absence d'étude détaillée. Il est clair que les « déclarations » qui en émanent ne peuvent avoir guère d'impact sur un agenda déjà adopté et sur les termes du débat déjà connus. Mais leur contribution potentielle est liée au fait qu'y participent non seulement des représentants d'ONG, mais aussi des experts et des délégués. Ils servent donc à développer et à renforcer des réseaux, et à diffuser de l'information d'une convention à l'autre (auprès des organes des conventions et des délégués, mais aussi entre réseaux non étatiques de différentes conventions). C'est la nature et les tentatives d'opérationnalisation de certains concepts, la représentation d'intérêts négligés et la diffusion d'études qui font sans doute l'intérêt de ces forums.
58Selon Arts (1998), l'inscription de la biodiversité marine à l'ordre du jour de la Convention fut grandement facilitée par la réunion du Forum à Nassau avant la CoP-1. De même, les recommandations du groupe de liaison sur les indicateurs de la biodiversité se basaient largement sur les résultats de la 8e réunion du système mondial d'information sur la biodiversité (GBIF) où les ONG, particulièrement l'UICN, tentaient d'influencer l'ordre du jour. De même, avant l'atelier de Madrid sur l'article 8j, deux réunions régionales dont les participants provenaient des gouvernements, des ONG et des organisations autochtones permirent à ces dernières d'exposer de manière forte leurs vues et leurs préoccupations face à la Convention.
Conclusion
59Bien que les études tentant d'évaluer le degré et la nature de l'influence des ONG sur les choix internationaux abondent, elles continuent d'affronter des difficultés méthodologiques importantes. Outre le fait que le concept d'influence soit notoirement complexe à mesurer, ces difficultés comprennent :
- l'imprécision de la variable indépendante : représente-t-elle des valeurs (ONGE), une expertise (science) ou une identité (IPN) ? S'y ajoute un manque de précision sur la nature exacte des actions des ONG qui influenceraient les décideurs : parle-t-on de génération d'idées nouvelles, de diffusion d'idées existantes, ou de transformation du contexte politique, comme les campagnes anti-OGM en Europe et la négociation du Protocole de Carthagène (Falkner, 2002) ?
- l'imprécision de la variable dépendante : est-ce le processus politique ou le résultat de ce processus ? Est-ce la formation ou la mise en œuvre de la politique ? Est-ce la formulation précise du texte de la Convention ou l'idée qui le sous-tend ?
- des problèmes d'inférence : des relations fallacieuses, des coïncidences d'intérêts et des corrélations entre actions et résultats sont prises pour des relations causales ;
- la tendance des personnes interrogées (aussi bien des ONG que des gouvernements) à exagérer le degré d'influence des acteurs transnationaux (Arts, 1998) ;
- diverses difficultés d'attribution : (a) les ONG sont elles-mêmes divisées sur bien des points, par exemple sur les listes globales ou les forêts : quand une coalition d'ONG « gagne » et qu'une autre « perd », qu'en conclure sur le rôle des ONG ? (b) les ONG qui ont « réussi » l'ont généralement fait en alliance avec une coalition d'États contre une coalition d'autres États et d'ONG ou au sein d'une structure institutionnelle « ouverte » aux activités des ONG, structure elle-même déterminée par les États ; (c) l'expertise réside souvent à la fois chez les ONG et les gouvernements, et l'influence politique est plus probable quand les ONG s'allient avec les experts scientifiques (Aubertin et al., 1998).
60Un moyen de contourner ces difficultés et d'avancer dans la réflexion sur le rôle des ONG est d'aborder ces dernières non pas comme un contre-pouvoir mais comme des partenaires dans une gouvernance décentralisée, et donc de s'interroger sur la nature et les conditions d'une construction commune d'un système de gouvernance apte à renforcer les conditions liées à l'efficacité d'un régime. Cela implique de réfléchir sur les conditions qui permettent au système de gouvernance de développer et de gérer ces réseaux et à ces derniers de contribuer à renforcer l'adaptation et la mise en œuvre du régime. Le cas de la CDB a montré que le potentiel structurant du système de gouvernance, s'il est considérable, reste à réaliser et que l'impact des ONG sur le renforcement des conditions d'efficacité du régime demeure fragmentaire.
61Cette influence n'est pas ipso facto positive sur le plan du renforcement de l'efficacité du régime. Les ONG peuvent bloquer certains progrès ou promouvoir des actions contraires à la réalisation des objectifs du régime, comme dans le cas du Chiapas (Berlin et Berlin, 2002) ou celui des conventions sur les déversements de déchets radioactifs en haute mer (Underdal, 2002). D'autres dysfonctionnements au niveau du régime sont possibles. Par exemple, les ONG peuvent devenir dépendantes de leurs sources de financement. De plus, puisque l'expertise n'est pas distribuée de façon uniforme, elles peuvent facilement devenir des conduits d'influence des pays du Nord à travers les concepts utilisés et la définition des problèmes et solutions avancées. Enfin, la question du déficit démocratique se pose toujours : comment accroître la responsabilité et la transparence des réseaux ? Comment encadrer l'émergence de normes privées ? Quels critères de représentativité et de légitimité devraient s'appliquer aux ONG du Sud et du Nord ?
62En quels termes poser la légitimité des liens étroits existant entre États et ONG ? Ces questions, loin de disparaître, demeurent centrales dans le cadre d'une gouvernance décentralisée de l'environnement, même si cette dernière peut aider à les résoudre.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Références bibliographiques
Arts B., 1998 – The Political Influence of Global NGO's : Case Studies on the Climate and Biodiversity Conventions. Utrecht, International Books.
10.1002/eet.309 :Arts B., Mack S., 2003 – Environmental NGOs and the Biosafety Protocol : A Case Study on Political Influence. European Environment, 13(1) : 1319-1333.
Aubertin C., Boisvert V, Vivien F.-D., 1998 – La construction sociale de la question de la biodiversité. Natures, Sciences, Sociétés, 6 (1) : 7-19.
10.1111/j.0020-8701.2003.05504012.x :Berlin B., Berlin E.A., 2002 – NGOs and the Process of Prior Informed Consent in Bioprospecting Research : The Maya ICBG Project in Chiapas, Mexico. Communication au séminaire « Les ONG dans le champ de la biodiversité », Programme Environnement, Vie et Société, CNRS, Paris, 27-28 mai.
Bramble B. J., Porter G., 1992 – « Non-Governmental Organizations and the Making of U.S. International Environmental Policy ». In Hurrell A., Kingsbury B., dir. : The International Politics of the Environment, Oxford, Clarendon Press : 313-353.
10.1162/016228802320231217 :Cooley A., Ron J., 2002 – The NGO Scramble : Organizational Insecurity and the Political Economy of Transnational Action. International Security, 27 (1) : 5-39.
Crowley J., 2003 – La capacité d'apprentissage du régime de la CDB : le cas de l'article 8 (j). Mémoire de maîtrise, Département de science politique, université du Québec à Montréal.
Dumoulin D., 2002 – Les savoirs locaux dans le filet des réseaux transnationaux. Communication au séminaire « Les ONG dans le champ de la biodiversité », Programme Environnement, Vie et Société, CNRS, Paris, 27 mai 2002.
Falkner R., 2002 – NGOs and Biodiversity : The Case of the Biosafety Negotiations. Communication au séminaire « Les ONG dans le champ de la biodiversité », Programme Environnement, Vie et Société, CNRS, Paris, 16 janvier 2002.
Froger G., 2002 – L'émergence de « nouvelles » formes de « gouvernance » dans le domaine de l'environnement et du développement ? Discours, acteurs, procédures collectives. Manuscrit, MCF HDR, université de Versailles-Saint Quentin.
Gemmill B., Bamidele-Izu A., 2002 – « The Role of NGOs and Civil Society in Global Environmental Governance ». In Esty D., Ivanova M. H., dir. : Global Environmental Governance : Options and Opportunities, New Haven, Yale School of Forestry : 77-100.
Gunter M. M. Jr., 2001 – Building the Next Ark : NGO Strategies in Protecting International Biodiversity. Ph.D. Dissertation, University of Kentucky.
10.1017/S0020818300001442 :Haas P. M., 1992 – Introduction : Epistemic Communities and International Policy Coordination. International Organization, 46 (1) : 1-35.
10.1163/19426720-001-03-90000002 :Haas E. B., Haas P. M., 1995 – Learning to Learn : Improving International Governance. Global Governance, 1 (3) : 255-285.
10.7591/9780801471292 :Keck M. E., Sikkink K., 1998 – Activists Beyond Borders. Advocacy Networks in International Politics. Ithaca, Cornell University Press.
Keohane R. O., Haas P. M., Levy M. A., 1993 – « The Effectiveness of International Environmental Institutions ». In Haas P. M., Keohane R. O., Lévy M. A., eds. : Institutions for the Earth. Sources of Effective International Environmental Protection, Cambridge, The MIT Press : 3-24.
10.1162/daed_e_01770 :Keohane R. O., Nye J. S., 2000 – « Introduction ». In Nye J. S, Donahue J. D., dir. : Governance in a Globalizing World, Washington, The Brookings Institution : 1-41.
Knill C, Lenschow A., eds. 2002 – Implementing EU Environmental Policy : New Directions and Old Problems. Manchester, Manchester University Press.
Krasner S. D., 1983 – International Regimes. Ithaca, Cornell University Press.
Le Prestre Ph., dir., 2002 – Governing Global Biodiversity : The Evolution and Implementation of the Convention on Biological Diversity, Aldershot, Ashgate.
Louafi S., 2001 – Les négociations internationales sur la biodiversité. Communication au séminaire « Les ONG dans le champ de la biodiversité », Programme Environnement, Vie et Société, CNRS, 16 octobre 2001, Orléans.
Mabile S., 2002 – Rôle d'une ONG internationale de conservation dans le contexte régional méditerranéen : l'exemple de la gestion de la biodiversité marine par le WWE. Communication au séminaire « Les ONG dans le champ de la biodiversité », Programme Environnement, Vie, Société, CNRS, Montpellier, 15 novembre.
10.5771/0506-7286-1997-3-403 :McConnell E, 1996 – The Biodiversity Convention : A Negotiating History. London/The Hague/Boston, Kluwer Law International.
10.2139/ssrn.1331543 :Oldham P., 2002 – Negotiating Diversity, A Field Guide to the Convention on Biological Diversity (non publié).
Ollitrault S., 2002 – L'Europe, usages et construction des sources. Les ONG et le rôle des institutions européennes dans les mobilisations médiatiques. Communication au séminaire « Les ONG dans le champ de la biodiversité », Programme Environnement, Vie, Société, CNRS, Paris, 16 janvier 2002.
Raynaut Cl., Zanoni M.,. 2003 – « Le développement durable : temporalités, espaces, acteurs ». In Muxart T., Vivien E-D., Villalba B., Burnouf J., éd. : Des milieux et des hommes : fragments d'histoires croisées, Paris, Elsevier : 173-184.
10.2307/20048281 :Reinicke W. H, 1998 – Global Public Policy. Governing Without Government ? Washington, The Brookings Institution.
Singh Nijar G., 2002 – « Third World Network ». In Bail C., Falkner R., Marquard H., eds. : The Cartagena Protocol on Biosafety. Reconciling Trade in Biotechnology with Environment and Development ? London, Earthscan et Royal Institute of International Affairs : 263-267.
10.7551/mitpress/2782.001.0001 :Steinberg P. F, 2001 – Environmental Leadership in Developing Countries : Transnational Relations and Biodiversity Policy in Costa Rica and Bolivia. Cambridge, MIT Press.
Swanson T. M., 1999 – Why Is There a Biodiversity Convention ? The International Interest in Centralized Development Planning. International Affairs, 75 (2) : 307-331.
10.4324/9781315092546 :Underdal A., 2002 – « Conclusions : Patterns of Regime Effectiveness ». In Miles E. et al., dir. : Environmental Regime Effectiveness : Confronting Theory with Evidence, Cambridge, MIT Press : 433-65.
Vivien F-D., 2002 – Biodiversité et développement durable : retour sur la stratégie de l'UICN. Communication au séminaire « Les ONG dans le champ de la biodiversité », Programme Environnement, Vie, Société, CNRS, 15 novembre 2002, Montpellier.
10.1057/9781137338976 :Young O. R., Levy M. A., 1999 – « The Effectiveness of International Environmental Regimes ». In Young O., ed. : The Effectiveness of International Environmental Regimes : Causal Connections and Behavioral Mechanisms, Cambridge, MIT Press : 1-32.
Notes de bas de page
1 L'auteur tient à remercier Florence Fitoussi pour sa contribution à la collecte et à l'analyse des données.
2 Les normes font référence à des codes de conduite, les règles correspondent à l'opérationnalisation juridique et politique des normes et les procédures au mode de mise en œuvre des règles (Krasner, 1983).
3 Ces communautés regroupent des « experts dans un domaine précis qui peuvent revendiquer une certaine autorité sur des connaissances pertinentes à la politique publique » (Haas, 1992). Les membres du groupe partagent un même paradigme et des valeurs similaires et peuvent comprendre une variété d'acteurs (chercheurs, praticiens, etc.) qui ont pour objectif d'influencer la politique publique.
4 Outre le WWF et l'UICN, les organisations les plus actives furent le World Conservation Monitoring Centre (affilié au WWF et, depuis, au PNUE), le World Resources Institute (WRI) et Genetic Resources Action International (GRAIN).
5 On pourra objecter que ce critère d'influence est injustement strict, mais l'inverse serait bien trop laxiste qui supposerait que toute idée promue par les ONGE qui se retrouverait dans le texte final constituerait un exemple d'influence ; non seulement parce que corrélation n'est pas cause, mais aussi parce que les ONGE elles-mêmes sont divisées (par exemple sur les listes globales) et qu'elles ne sont pas à l'origine de toutes les idées qu'elles véhiculent. Ces idées, « qui circulent, » notamment sur les mesures de conservation, se seraient donc retrouvées dans le texte final même si l'UICN, par exemple, ne les avait pas avancées, surtout que de nombreux fonctionnaires sont eux-mêmes membres de l'UICN.
6 Réseau d'ONG américaines formé en 1993, suite à la conférence de Rio et à la signature de la CDB, afin de partager l'information sur le régime, de faciliter sa mise en œuvre et de promouvoir les politiques de protection de la biodiversité. Il cessa ses activités en 2001.
7 Dumoulin (2002) distingue notamment trois réseaux : la communauté épistémique pour la défense de la diversité biologique et culturelle, le secteur mondialisé des réserves naturelles, et les réseaux transnationaux de militants. Swanson (1999) a aussi identifié plusieurs réseaux d'ONG associées à l'émergence de la CDB (aires protégées, utilisation durable, droits des agriculteurs, mouvement dette-nature, bioprospection).
8 L'accès aux sessions plénières et aux groupes de travail est conditionnel à la non-objection par un tiers des Parties, tandis que l'accès au groupe de contact est limité au bon vouloir des gouvernements présents. Les ONG n'ont généralement pas accès aux sous-groupes dits « des amis du président » ou aux groupes de rédaction des décisions. Cet accès, qui demeure remarquable et n'a fait que se renforcer, dépend largement du caractère plus ou moins controversé des discussions en cours. Par exemple, à la CoP-1, les États-Unis demandèrent avec succès l'exclusion de toutes les ONG des discussions sur la biosécurité (Singh Nijar, 2002).
9 Le « Crucible Group » est un groupe d'experts multinational et multidisciplinaire créé en 1993 pour discuter du contrôle et de la gestion des ressources agricoles génétiques et identifier les questions importantes, les tendances et les options d'usage. Il ne procède donc pas directement du régime de la CDB, mais plutôt de celui de l'Engagement international de la FAO. Le groupe s'est depuis élargi à 45 participants en provenance de 25 pays et a continué de chercher à fournir un forum neutre rassemblant des individus qui, autrement, ne se seraient pas rencontrés. Le deuxième rapport du groupe a contribué au débat et au développement de lignes directrices sur les droits de propriété intellectuelle, les droits des agriculteurs, les mécanismes de partage des avantages et le système de gouvernance le plus approprié (Gemmill et Bamidele-Izu, 2002).
10 Compte rendu de la séance du 27-28 mai 2002 du séminaire PEVS/CNRS « Les ONG dans le champ de la biodiversité ».
Auteur
Philippe Le Prestre, politiste
Département de science politique et Institut des sciences de l'environnement de l'Université du Québec à Montréal
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le monde peut-il nourrir tout le monde ?
Sécuriser l’alimentation de la planète
Bernard Hubert et Olivier Clément (dir.)
2006
Le territoire est mort, vive les territoires !
Une (re)fabrication au nom du développement
Benoît Antheaume et Frédéric Giraut (dir.)
2005
Les Suds face au sida
Quand la société civile se mobilise
Fred Eboko, Frédéric Bourdier et Christophe Broqua (dir.)
2011
Géopolitique et environnement
Les leçons de l’expérience malgache
Hervé Rakoto Ramiarantsoa, Chantal Blanc-Pamard et Florence Pinton (dir.)
2012
Sociétés, environnements, santé
Nicole Vernazza-Licht, Marc-Éric Gruénais et Daniel Bley (dir.)
2010
La mondialisation côté Sud
Acteurs et territoires
Jérôme Lombard, Evelyne Mesclier et Sébastien Velut (dir.)
2006