Microcrédit et maxi-dettes
p. 34-35
Résumé
Dans les années 2000, le monde de l’aide internationale s’enthousiasme pour le concept du microcrédit, qui fera l’objet d’un prix Nobel en 2006. Cet engouement retombe lorsque les chercheurs et les ONG découvrent les travers de ces « petits prêts ».
Texte intégral
1En 2002, un projet innovant se met en place en Inde : des groupes mêlant l’État, les futurs bénéficiaires, des ONG et des banques, qui travaillent ensemble pour octroyer de petites sommes d’argent aux pauvres et faciliter un projet ou un achat. Une forme de microcrédit. Intéressés par la démarche, des chercheurs de l’IRD entament alors un travail d’évaluation et découvrent l’envers du miroir. En décortiquant la situation des familles qui empruntent, ils s’aperçoivent que toutes sont déjà endettées, non auprès de banques mais auprès de la famille, d’usuriers, de notables locaux ou de prêteurs sur gage.
2Cette dette informelle, que personne à l’époque ne prend en compte, peut être très importante. Dans la zone rurale étudiée, certaines familles peuvent cumuler jusqu’à dix, vingt, trente dettes, soit un total allant d’un à trois salaires annuels. Lorsque les revenus sont irréguliers et la protection sociale quasi inexistante, le surendettement est donc massif. Dans un tel contexte, l’obtention d’un microcrédit contractuel, avec des échéances de remboursement fixes et mensuelles, ne fait que fragiliser les plus précaires, dont les revenus sont aussi irréguliers qu’imprévisibles.
••• Dans les pays en développement, le microcrédit fragilise une population pauvre déjà endettée •••
3Et le phénomène n’est pas seulement présent en Inde, on le retrouve dans de nombreux pays en développement. En outre, ce surendettement a des conséquences ambiguës. Il peut être la marque d’une solidarité familiale ou, au contraire, d’un enfermement dans un cercle vicieux pouvant conduire à la prostitution ou à la servitude. Si les ONG sont depuis lors moins nombreuses à pratiquer le microcrédit, les compagnies financières privées ont pris le relais, notamment parce qu’elles se sont aperçues que les pauvres aussi pouvaient être solvables.
4Depuis, d’autres initiatives plus prometteuses sont suivies par l’IRD, comme de petites banques coopératives au Brésil qui financent et accompagnent des projets créant localement de la richesse. À suivre donc…
« La recherche sur la dette de l’IRD, menée en Inde et en Asie du Sud sur une longue période et parfois dans des conditions difficiles, est exceptionnelle en ce sens qu’elle saisit les caractéristiques et les réalités uniques qui caractérisent l’essence et la perpétuation de la dette des ménages. Dans un paysage en constante évolution, la recherche révèle des schémas cachés négligés par les interventions publiques et tisse un superbe récit expliquant l’exclusion et l’exploitation continues et structurelles des personnes par la dette, mais aussi l’ambivalence de la dette et les limites des politiques de microcrédit. C’est pourquoi le travail de l’IRD est d’une grande importance pour l’Organisation internationale du travail, dans ses efforts pour accroître l’efficacité des politiques publiques de lutte contre la vulnérabilité au travail. »
Coen Kompier, Organisation internationale du travail, Inde
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