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Le mil [Pennisetum glaucum (L.) R. Br.] : transfert de technologie et sélection participative

Transfer of Technology and Participatory Plant Breeding for Pearl Millet [Pennisetum glaucum (L.) R. Br.]

p. 67-74

Résumés

La sélection participative a comme objectifs d’augmenter la création et le transfert de graines améliorées et d’en accélérer l’adoption par les paysans. Une étude préliminaire a été conduite en août et septembre 2001 au Niger, Nigeria, Mali et Burkina Faso. Cette étude a pu mettre en évidence les caractéristiques du mil recherchées par les paysans : un rendement en grains élevé, un cycle court, une chandelle longue et compacte, un fort tallage, une bonne résistance à la sécheresse, un bon goût et une bonne aptitude du grain pour la cuisine. Les contraintes à l’adoption par les paysans des variétés améliorées sont les valeurs traditionnelles, la précocité, les dommages causés par les oiseaux, la disponibilité en semences, le coût des engrais et leur disponibilité. Les paysans soulignent également que les freins essentiels à une bonne production sont la pauvreté des sols, la sécheresse, le striga, les attaques des mineuses de l’épi, les dommages causés par les oiseaux et la réticence à utiliser les variétés améliorées et à mettre en œuvre des techniques culturales meilleures. Les résultats ont également montré la forte ignorance des paysans vis-à-vis des variétés améliorées, ce qui est en partie dû à leur faible implication dans le développement de variétés améliorées et à une agriculture peu développée. Tout cela gêne et retarde l’utilisation des variétés améliorées de mil. Les paysans sont disposés à adopter les variétés qui possèdent les caractéristiques qu’ils préfèrent. L’étude insiste sur la nécessité pour les scientifiques et les vulgarisateurs d’intégrer de façon permanente les paysans dans la création, le développement et la diffusion des variétés de mil.

Participatory plant breeding intends to enhance the development and transfer of new or improved seeds and their accelerated adoption by fanners. Experience is drawn from a reconnaissance survey carried out in August and September 2001 in Niger, Nigeria, Mali and Burkina Faso. This survey indicated that farmers’ preferred traits for pearl millet were high grain yield, early maturity, long head, compact head, high tillering, drought resistance, adaptation and taste of cooked grain. Farmers’ constraints to adoption of improved varieties were lack of awareness, traditional values, seed availability, early maturity, bird damage, fertilizer cost and its availability. Farmers also cited that their main constraints to production were poor soil fertility, drought, striga, head miner attack, bird damage and lack of awareness of improved varieties and better agronomic management. The results indicate that farmers are largely unaware of improved pearl millet varieties, partly due to limited involvement of farmers in varietal development and to weak agriculture extension. This appears to delay or hinder transfer of technology, herein described as improved pearl millet varieties. Farmers were willing to take up pearl millet varieties which have their preferred characteristics. The survey emphasizes the need for scientists and extensionists to integrate farmers permanently in pearl millet varietal development and diffusion.

Entrées d’index

Mots-clés : sélection participative, variétés améliorées, développement

Keywords : West Africa, participating plant breeding, pearl millet, improved varieties, development


Texte intégral

Introduction

1Durant la révolution verte, le transfert des technologies pour l’amélioration des rendements s’est effectué avec succès. Les scientifiques ont développé de nouvelles technologies en station de recherche, transférées aux cultivateurs par l’intermédiaire d’agents-vulgarisateurs. Les cultivateurs ont été perçus comme des récepteurs passifs de ces nouvelles technologies (Whyte, 1981), la participation des cultivateurs dans le processus se limitant à la fourniture des champs pour les expérimentations sur le terrain. (Tripp, 1982, Maurya et al., 1988). Une conséquence de cette situation a été la faible implication systématique des cultivateurs dans la recherche dans les pays en voie de développement (Merrill-Sands and Collin, 1993), particulièrement en ce qui concerne le diagnostic des priorités et la conception des technologies. L’ignorance et le conservatisme des cultivateurs, le faible potentiel et les risques élevés liés à l’environnement étaient les raisons avancées pour expliquer l’échec du transfert direct de nouvelles technologies (Chambers, 1991). Cependant, si le transfert des nouvelles technologies disponibles au niveau international et bien adaptées aux zones les plus favorisées s’opère facilement, le processus d’adaptation est plus difficile pour les cultivateurs dont les objectifs et les contraintes sont plus variables, dans les régions où l’environnement est hétérogène et moins favorable (Farrington, 1988). La perception par les sélectionneurs de l’adaptabilité des cultivars à différents environnements devra être enrichie par les savoirs et savoir-faire des cultivateurs sur leurs cultures.

2Afin de connaître les préférences des cultivateurs, les obstacles à l’adoption et à la production du mil, une enquête a été conduite. Ce sont les résultats de cette enquête qui sont présentés dans cet article.

Matériel et méthodes

3L’enquête a été réalisée en août et septembre 2001 dans douze régions importantes de culture de mil au Niger, au Nigeria, au Mali et au Burkina Faso (tabl. I). Les cultivateurs ont été choisis au hasard au sein d’un échantillon de 33 villages. Une enquête préliminaire avait été réalisée au Niger afin d’aider à l’élaboration d’un questionnaire semi-structuré. Ce questionnaire, proposé aux cultivateurs individuellement ou réunis en groupes de discussions informels ou organisés, a permis la collecte d’informations de type à la fois quantitatif et qualitatif auprès des cultivateurs. Le nombre et le pourcentage de cultivateurs qui mentionnent une caractéristique particulière ont été répertoriés pour chaque pays. L’information qualitative, fruit des discussions avec les cultivateurs, est également discutée.

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* Nombre total de cultivateurs interrogés : entretiens individuels (111) + discussions en groupes (104) = 215
Tableau I - Régions et nombre de cultivateurs interrogés au cours de la saison des pluies 2001.

Résultats

Caractéristiques des cultivars préférées par les cultivateurs

4Les entretiens individuels conduits avec 111 cultivateurs du Niger, du Nigeria, du Mali et du Burkina Faso donnent les résultats suivants en ce qui concerne les caractéristiques de la plante et de sa culture par ordre d’importance décroissant : le rendement, la précocité, la longueur et la compacité de la chandelle, un tallage élevé et la résistance à la sécheresse (tabl. II). Ce sont ces mêmes caractéristiques qui ont été citées par les 104 cultivateurs interrogés dans les groupes de discussion. Au cours des discussions informelles, les cultivateurs ont indiqué une préférence distincte pour le goût de leur variété locale, et cela pour les quatre pays visités. Bien que le classement des préférences des cultivateurs diffère selon le pays, le rendement, la précocité, la longueur et la compacité de la chandelle et le goût, ont été le plus souvent cités comme les caractéristiques les plus importantes au cours des discussions informelles et en groupe.

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Tableau II. Nombre et pourcentage de cultivateurs Par caractéristique variétale préférée et par pays.

Contraintes à l’adoption de variétés améliorées par les cultivateurs

5Pour les cultivateurs intérrogés individuellement, les contraintes les plus importantes à l’adoption de variétés améliorées sont les suivantes : la connaissance de l’existence de ces variétés, les valeurs traditionnelles, la disponibilité en semences, la précocité, les dégâts causés par les oiseaux et la disponibilité en engrais (tabl. III). Ces contraintes sont également le plus souvent citées par les 104 cultivateurs au cours des discussions de groupes.

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Tableau III - Contraintes à l’adoption de variétés améliorées de mil.

Contraintes à la production rencontrées par les cultivateurs

6Les principales contraintes à la production citées par les cultivateurs ayant participé aux entretiens individuels sont : la fertilité des sols, la résistance à la sécheresse, le striga, la mineuse de la chandelle, les dégâts causés par les oiseaux et la connaissance de l’existence des variétés améliorées (tabl. IV). Tous les cultivateurs ayant participé aux entretiens pratiquent le démariage et appliquent une fumure organique quand ils en ont la possibilité. Cependant, le nombre de plantes retenues par poquet varie de 5 à 20. Aucun d’entre eux n’utilise de pesticides, principalement à cause de leur coût élevé et de leur disponibilité insuffisante. Lors des discussions en groupes également, les cultivateurs ont mis l’accent sur ces contraintes à la production du mil.

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Tableau IV - Contraintes à la production.

Discussion

7L’enquête a permis de s’entretenir directement avec les cultivateurs sur le mil et sa culture. Il a été constaté qu’il est préférable de mémoriser le questionnaire plutôt que de se présenter devant les cultivateurs le questionnaire à la main, ce qui les rend méfiants. De même, on constate que c’est au cours des discussions conduites de façon informelle et plus relâchée par les enquêteurs que le cultivateur se livre le plus facilement.

8Le rendement est la première priorité des cultivateurs : il dépend de la longueur et de la compacité de la chandelle ainsi que du nombre de talles. Les cultivateurs associent ces trois caractéristiques aux rendements plus élevés en grains et en paille. Les cultivateurs accordent une grande importance aux tiges de mil à cause de leurs multiples utilisations, telles que le fourrage, le paillis, la vannerie et le matériau de construction. Dans les quatre pays où l’enquête a été conduite, la récolte en grains ne suffit pas aux besoins nécessaires pour la nourriture de la famille de chacun des cultivateurs : principale cause, les rendements qui sont estimés à 500 kg par hectare. La pauvreté des sols, la sécheresse, le striga, les mineuses de la chandelle, les dégâts causés par les oiseaux et l'ignorance de l’existence des variétés plus précoces et plus performantes sont autant de raisons pour ne pas obtenir une meilleure production.

9La précocité est citée comme une des caractéristiques préférées des agriculteurs pour les variétés qu’ils cultivent, mais également comme un frein à l’adoption des variétés améliorées. En effet, lors des discussions avec les cultivateurs il est ressorti clairement que les oiseaux, les maladies et autres insectes nuisibles s’attaquent aux variétés les plus précoces parce qu’elles sont les premières à produire des graines et des tiges. D’autre part, la sécheresse, surtout lorsqu’elle intervient après la floraison, affecte de façon encore plus dramatique les cultivars tardifs, essentiellement à cause du manque d’humidité au stade critique du remplissage des grains. Les cultivateurs ont indiqué clairement leur préférence pour une variété à cycle court. Cette variété aurait de plus faibles besoins en eau, une caractéristique avantageuse au Sahel. Cependant, les cultivateurs devront s’investir pour protéger une telle variété contre les oiseaux, les insectes nuisibles et les maladies. Les dégâts dus aux oiseaux pourraient être réduits si pour une région donnée, la majorité de cultivateurs adoptaient des variétés ayant la même ou sensiblement la même longueur de cycle.

10La majorité de cultivateurs n’a pas eu connaissance et ne s’est pas vu proposer la gamme très variée de cultivars de mil disponibles en vulgarisation ou en pré-vulgarisation. Les cultivateurs relient cette méconnaissance des variétés améliorées et le manque de disponibilité en semences de ces variétés à de trop faibles, voire inexistants, échanges avec les vulgarisateurs et les chercheurs. Il devient nécessaire d’évaluer avec les cultivateurs l’ensemble des variétés disponibles, et ainsi de pouvoir comparer les variétés locales aux variétés améliorées. Il ressort des discussions que les cultivateurs seront plus motivés pour adopter une technologie (variété améliorée) lorsqu’ils auront été impliqués dans son développement. Notamment, tous les cultivateurs qui ont participé aux entretiens se sont portés volontaires pour tester les variétés améliorées dans leurs propres champs.

11Le mil est une plante à pollinisation croisée (allogame préférentielle) avec pour conséquences, au fil des années de reconduction des semences par le cultivateur, une diminution de la qualité des semences et la perte de certaines caractéristiques originales de la variété, ce qui peut conduire à une diminution des rendements. Afin de contrer cet effet, les cultivateurs auront besoin d’une formation sur des techniques permettant de retarder cette perte de qualité des semences de leurs variétés. La production des semences de qualité par les cultivateurs eux-mêmes faciliterait leur accessibilité et leur diffusion.

12Les valeurs traditionnelles des cultivateurs se référent à une attitude conservatrice qui fait qu’ils utilisent seulement les variétés locales héritées de leur famille. Les cultivateurs attachent une grande valeur à ces semences « familiales ». Ils considèrent leurs performances comme ayant été testées et prouvées et leur restent fidèles. Avec l’évaluation d’autres variétés présentant les caractéristiques qu’ils recherchent, il est prévisible que les agriculteurs adoptent progressivement ces nouvelles variétés.

13Les informations obtenues sur les caractéristiques recherchées par les agriculteurs pour leurs variétés de mil ont fourni des repères pour faire correspondre les variétés à la zone cible. Cependant, ces résultats proviennent de la connaissance qu’ont les cultivateurs de leurs variétés locales et soulignent le besoin de tester avec eux le matériel existant pour la vulgarisation ou la pré-vulgarisation. L’absence totale ou limitée de l’intégration des cultivateurs dans le processus de développement pourrait avoir pour résultat le rejet des variétés améliorées. Ainsi, afin d’optimiser les efforts investis dans la sélection, il est recommandé de faire participer les cultivateurs aux différentes étapes de l’amélioration du mil.

Remerciements

14L'auteur remercie sincèrement tous les cultivateurs, le personnel de l’ICRISAT et de ses partenaires pour la réussite de l’enquête. Le soutien de l’Agence Allemande du Développement Technique (le Deutsche Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit GTZ) et le Bundesministerium für Wirtsschaftliche Zusammenarbeit und Entwicklung (BMZ) a été apprécié.

Bibliographie

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Bibliographie

Chambers R., 1991 – To make the flip : strategies for working with under valued-resource agriculture. Participatory technology Development in Sustainable Agriculture : An introduction. A reprint of articles published ILEIA.

10.1017/S0014479700016124 :

Farrington J., 1988 – Farmer participatory research : editorial introduction.

Experimental Agriculture, 24 : 269-279.

10.1017/S0014479700016161 :

Maurya D., Bottral A., Farrington J., 1988 – Improved livelihoods, genetic diversity and farmer participation : a strategy for rice breeding in rainfed areas of India. Experimental Agriculture, 24 : 311-320.

Merril-Sands D., Collin M. H., 1993 – Making the farmer’s voice count in agriculture research.

Quarterly Journal of International Agriculture, 32 : 260-279.

Tripp R., 1982 – Data collection, Site selection and Farmer Participation in on-farm Experimentation. CIMMYT working Paper, 82/1.

Whyte W. F., 1981 – Participatory approaches to Agricultural research and Development : A state–of-the-Art. Ithaca, new York, Cornell University.

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