Étude de la diversité des variétés traditionnelles de mil au Rajasthan (Inde)
Diversity study of pearl millet landraces in Rajasthan (India)
p. 59-65
Résumés
Au Rajasthan, le mil [Pennisetum glaucum (L.) R. Br.] est la nourriture de base des populations ainsi qu’une culture fourragère. Cette étude analyse la diversité génétique des mils à l’aide des marqueurs AFLP en relation avec des résultats d’enquêtes sur les savoir-faire paysans et les systèmes semenciers. Trente-neuf cultivars ont été utilisés : 14 variétés locales de l’ouest du Rajasthan, 13 variétés locales de l’est du Rajasthan et 12 cultivars servant de contrôle. Selon les paysans, le même type de variété locale est cultivé dans tout l’ouest du pays. Par contre, dans l’est, les paysans distinguent plusieurs types morphologiques dans les variétés traditionnelles, couramment dénommés d’après le nom du village d’où ils proviennent. Une analyse de variance moléculaire (AMOVA) montre que la variation intra-populations des variétés traditionnelles est plus forte que la variation interrégions. Dans l’ouest, la variation intra-villages est plus forte que la variation inter-villages. Dans l’est, la variation entre les groupes variétaux portant un nom spécifique est plus forte que la variation intra-groupes. Les données sur les savoir-faire des paysans et sur les systèmes semenciers confirment en grande partie les résultats obtenus à partir des marqueurs AFLP. Ces résultats sont intéressants pour la conservation in situ et la mise au point de stratégies de sélection en vue d’améliorer les variétés traditionnelles, en particulier en ce qui concerne l’augmentation et la stabilité des rendements.
Pearl millet (Pennisetum glaucum [L.] R. Br.) is the staple food and fodder crop of Rajasthan in northwest India. Using amplified fragment length polymorphism (AFLP), this study investigated pearl millet genetic diversity patterns and related the results to farmers’ local knowledge and seed systems. Thirty-nine cultivars were assessed: 14 farmer landraces from western Rajasthan, 13 farmer landraces from eastern Rajasthan, and 12 control cultivars. According to farmers, the same pearl millet landrace type grows across all of western Rajasthan. In eastern Rajasthan, on the other hand, farmers distinguish between several different morphological landraces that are commonly named after their village of origin. Analysis of molecular variance (AMOVA) revealed that variation within landrace populations was much higher than between regional samples. In the west, intra-village variation was higher than inter-village variation. In the east, variation between landrace groups bearing a specific name was higher than intra-group variation. Farmers’ knowledge of local varieties and seed systems was, for the most part, supported by the AFLP analysis. These results are relevant for in situ maintenance and breeding strategies with a view to improving traditional varieties, specifically performance and yielding stability.
Entrées d’index
Mots-clés : Rajasthan, gestion semencière, diversité, ressources des variétés locales
Keywords : pearl millet, Rajasthan, seed management, diversity, landraces resources
Texte intégral
1Au Rajasthan, un État semi-aride situé dans la région nord-ouest de l’Inde, les variétés traditionnelles de mil sont cultivées et gérées par les cultivateurs. La chaîne de montagnes Aravali partage l’Etat en deux parties géographiquement distinctes. La chaîne de montagne protège la partie ouest où la pluviométrie annuelle varie de 350 mm à moins de 250 mm. Les sols et la pluviométrie sont plus favorables à l’est des montagnes où la pluviométrie annuelle varie de 550 mm à 800 mm. L’objectif de l’étude était de savoir si ces différences aux niveaux agroclimatique et systèmes de production ont un effet sur la gestion semencière des cultivateurs, ce qui pourrait conduire à une structuration différente de la diversité des variétés locales de mil.
Bilan
2Des enquêtes et des collectes d’échantillons de semences ont été réalisées par une équipe de prospecteurs dans les principales zones de culture du mil du Rajasthan pendant les mois de septembre et octobre 1997 (Christinck et al., 2000). Les principaux critères pour le choix des échantillons ont été, d’abord l’absence d’introgression intentionnelle par des variétés modernes et ensuite le fait que la variété soit considérée par le cultivateur comme une variété pure ou représentative d’un type variétal. Plus de 800 cultivateurs ont été questionnés : au bord de la route, dans les buvettes ou au champ. Les informations recueillies concernent la description des variétés, l’origine détaillée de chaque variété et les pratiques utilisées pour la gestion des semences. Dans cette étude, six groupes de populations de mil ont été comparés : des variétés traditionnelles représentatives des régions ouest (WLR) et est (ELR) du Rajasthan, des variétés de l’ouest du Rajasthan gérées par les cultivateurs (FS), des variétés d’origine africaine (A), des variétés modernes, soit obtenues par fécondation libre (V), soit des variétés hybrides simples (H).
3Pour chaque variété, 20 à 30 plantes (une plante par chandelle) ont été cultivées en serre pour l’extraction d’ADN à partir des feuilles. Les marqueurs AFLP ont été utilisés pour l’analyse du polymorphisme génétique de ces échantillons. Les bandes ont été codées en présence (1) absence (0) pour chacun des 39 cultivars analysés. Ces données ont permis de calculer les indices de description de la variabilité intra-populations (indice de Shannon), la variance intra-groupes (AMOVA) et la distance génétique entre cultivars (Fst de Wright).
Analyse AFLP
4Quatre amorces ont été utilisées sur 1 064 individus ce qui a permis de mettre en évidence 235 marqueurs polymorphes, soit 52 à 63 marqueurs par amorce. Le polymorphisme révélé par les marqueurs AFLP chez les 39 cultivars varie de 92 % chez la population « plein-frères » P16 à moins de 20 % chez les hybrides simples, soit une moyenne de 69 %, calculée en pourcentage de locus polymorphes.
Structuration de la diversité
5On observe que les facteurs agroclimatiques régionaux n’ont qu’un faible effet sur la diversité génétique moyenne des cultivars étudiés. L’indice estimé pour la région ouest (0,34) n’est que très légèrement supérieur à celui obtenu pour la région est (0,32) mais ils diffèrent par au moins une fois l’intervalle de confiance (tabl. I). L’étude a montré que la diversité génétique des variétés traditionnelles de mil est de 9 à 14 % plus importante comparée à celle des variétés modernes composites (0,29) et presque trois fois plus importante que celle estimée chez les variétés hybrides (0,12).
6L’AMOVA a révélé que 88 % de la diversité génétique totale pouvait être attribuée à la diversité intra-population. Les variations entre échantillons d’un même groupe de cultivars et entre groupes de cultivars sont respectivement de 4,9 % et 6,7 %. Pour la région ouest de Rajasthan, l’analyse a montré que la variation entre les villages n’est pas significative et que la variation entre les variétés traditionnelles d’un même village est faible mais significative. La variation entre les individus d’une même variété explique les 98 % de variation restante. Pour la région est, la variation est significative pour les trois niveaux de variation : 5 % de la diversité génétique totale sont attribuables à la variation entre groupes de variétés et 93 % à la variation intra-variétale.
Distances génétiques entre les variétés des cultivateurs
7Les comparaisons deux à deux des distances génétiques entre les 39 cultivars sont représentées à l’aide d’un dendrogramme (fig. 1). On observe un groupe principal dont diverge une seule branche représentant la variété hybride H3 (HHB67). Les cultivars provenant des régions est et ouest constituent deux sous-groupes séparés des variétés à pollinisation libre et des populations gérées par les cultivateurs.
8Les groupes du dendrogramme correspondant aux régions est et ouest correspondent aux groupes de cultivars définis au préalable pour la majorité des cultivars. Les deux groupes de variétés constituent deux proches ensembles : le premier rassemble les variétés de l’ouest, précoces, présentant un fort tallage et de taille courte à moyenne, et le second rassemble les variétés de l’est, plus tardives, de taille haute et à rendement plus élevé. Les populations FS2 et FS3 gérées par les cultivateurs provenant du district de Jodhpur constituent un autre groupe avec les variétés en pollinisation libre V1-3, ce qui indique que l’introgression de matériel amélioré a contribué à l’augmentation de la dissimilarité entre les variétés traditionnelles. Les deux variétés « plein frères » ont été produites à partir des stocks de semences appartenant aux cultivateurs qui avaient été fortement introgressées par des variétés modernes.
Facteurs pouvant influencer l’organisation de la diversité des mils au Rajasthan
9D’une manière générale, les cultivateurs de l’ouest du Rajasthan pensent que leurs variétés sont toutes semblables car c’est ce type variétal qui s’est adapté aux aléas climatiques et aux conditions édaphiques de la région. Sur la base du polymorphisme AFLP, les variétés traditionnelles originaires des différents villages de l’ouest du Rajasthan sont presque identiques. Selon les explications fournies par les cultivateurs, l’effet de la sélection naturelle serait probablement similaire sur l’ensemble des variétés de mil dans cette région ouest du Rajasthan. De plus, les cultivateurs expliquent que pendant les périodes de sécheresse, il est courant de perdre les semences. Dans de telles situations, ils sont obligés d’acquérir de nouvelles semences soit au sein de leur propre village, soit dans un village proche. On ne peut donc pas s’attendre à ce que les cultivars diffèrent vraiment d’un village à l’autre.
10Au contraire, les cultivateurs de l’est du Rajasthan distinguent clairement les types de variétés traditionnelles qui sont morphologiquement différentes et qui sont souvent baptisées du nom du village d’où elles sont originaires. Ces cultivateurs évitent toute source de diversification afin de préserver l’idéotype de leur variété propre. Deux tiers des cultivateurs qui ont fourni des échantillons pratiquent la sélection sur les caractéristiques de la chandelle. Une autre méthode d’amélioration des semences utilisée par certains cultivateurs, dans certains villages particuliers, est l’échange de semences, tous les 3 à 5 ans, avec des cultivateurs du même village. Comme l’a montré l’AMOVA, la variation entre les groupes de variétés portant le même nom est plus importante que la variation entre les populations à l’intérieur de ces groupes (tabl. I). Ce modèle d’organisation de la diversité s’accorde avec les affirmations des cultivateurs sur leurs efforts pour préserver le caractère « unique » de leurs variétés.
11Le caractère « unique » ou la supériorité de certains types de cultivars dans l’est de Rajasthan constitue la base des marchés de semences de la région. Les variétés Dhodsar EL28 et EL29 et Sulkhania EL32 et EL33 montrent que les populations provenant du même village peuvent être presque identiques génétiquement. L’échange régulier de semences – une autre méthode d’amélioration de semences pratiquée par les cultivateurs de l’est de Rajasthan – à l’intérieur d’un même village, en plus de la fécondation croisée, peut expliquer les similitudes observées au niveau moléculaire.
Conséquences pour le maintien des ressources génétiques au Rajasthan
12La présente étude a démontré que des stratégies différentes devront être mises en œuvre pour des programmes de conservation in situ à l’est et à l’ouest du Rajasthan. L’ouest du Rajasthan présente un système de gestion des semences ouvert et dynamique. Il est vital que les semences soient disponibles avant le semis. Les cultivateurs s’approvisionnent en semences à différentes sources mais ils préfèrent se fournir auprès des cultivateurs réputés pour leur production de semences de bonne qualité. Le système de reproduction du mil associé aux pratiques des cultivateurs a conduit à des variétés identiques dans une région donnée, mais très hétérogènes. Les projets de conservation in situ des variétés traditionnelles de mil devront se focaliser sur quelques sites spécifiques où les variétés modernes sont moins fréquemment trouvées. L’accent devra être mis sur le maintien d’une forte diversité intra-variétale. Dans la région est du Rajasthan, le caractère « unique » de chaque variété est lié aux situations spécifiques de chaque village. Certains villages réputés constituent la base du marché traditionnel de semences. Pour tenir compte de cette particularité, les projets de conservation in situ devront être centrés sur ces villages. En collaboration étroite avec les cultivateurs, qui traditionnellement font partie intégrante des réseaux de semences, des actions devront être conçues afin de maintenir ou d’augmenter la demande de semences vers ces villages réputés. Des méthodes d’amélioration de variétés qui visent à accroître la tolérance aux stress biotiques, comme par exemple le striga à Sulkhania, pourraient servir d’exemple.
13Enfin, la présente étude montre l’utilité de l’association des méthodes de génétique des populations avec les recherches en sciences sociales. Les deux disciplines conjuguées pourront aider à identifier des stratégies possibles de conservation durable et d’amélioration des cultures. Ceci est particulièrement le cas dans des zones marginales ou socialement diverses telles que l’État du Rajasthan. L’évaluation du savoir et du savoir-faire des cultivateurs en matière de gestion de semences est une composante clé de la compréhension des réseaux de semences actuels et, en conséquence, de la compréhension des effets de ces systèmes de gestion des semences sur la structure génétique des populations.
Bibliographie
Bibliographie
Christinck A.., vom Brocke K.,
Kshirsagar K. G, Weltzien E.
Bramel-Cox P.J., 2000 – Participatory methods for collecting germplasm : Experiences with farmers in Rajasthan, India. Plant Genetic Resources Newsletter, 121 :1-9.
Auteurs
Généticienne
Agro-socioéconomiste
Agro-socioéconomiste
Généticienne
Sélectionneur
Généticien
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