Chapitre 5. Anthropologie
p. 111-138
Texte intégral
Introduction
1L’histoire de la recherche anthropologique sur Madagascar est discontinue, marquée par des lenteurs, des retards, puis par des avancées spectaculaires, mais aussi par la longue persistance de zones d’ombre, d’opacités que l’on considère comme des incohérences, alors que, très simplement, on n’a pas su découvrir leur cohérence cachée. L’observateur peut, à bon droit, être frappé par les hésitations de la discipline, ses tâtonnements, ses retours en arrière, ses orientations nouvelles en rupture souvent trop brutale avec ce qui se faisait immédiatement avant. Sur longue période, les sciences anthropologiques, confrontées aux terrains malgaches, apparaissent peu sûres d’elles-mêmes, promptes à l’autocritique, souvent peu satisfaites de leurs résultats, aptes à changer rapidement d’orientation méthodologique... Pourtant, depuis une vingtaine d’années, cette situation paraît avoir définitivement changé : les méthodologies sont devenues plus assurées, on assiste à une floraison de publications nouvelles intervenant dans des domaines très diversifiés. La bonne santé de la discipline paraît évidente et sa récente assurance la pousse même à rechercher l’épreuve décisive que constitue l’application, alors que quelques années auparavant de telles applications étaient clairement contraires à la déontologie qui dominait alors dans la discipline.
2La lenteur de la progression, à Madagascar, des sciences anthropologiques a longtemps tenu à une situation paradoxale. D’une part, les terrains malgaches ont toujours montré une richesse exceptionnelle, une grande diversité. Les phénomènes y présentent un aspect aigu et les faits observés sont souvent tellement intéressants qu’ils peuvent alimenter la réflexion théorique au plus haut niveau. Mais, d’autre part, ces terrains semblent parfois présenter au chercheur une sorte de catalogue général très complet des pires difficultés méthodologiques auxquelles un anthropologue peut s’attendre sur un terrain (section 1). La société rurale malgache sait parfaitement se rendre opaque et une bonne partie de sa résilience face aux tentatives d’intervention externe, provient justement de cette opacité.
3Ces difficultés ont été longtemps aggravées par une histoire de la science qui, à Madagascar, a souvent été chaotique, toujours très dépendante des conditions politiques, de sorte que la mise en place des structures scientifiques n’ont permis que difficilement à l’anthropologie de naître puis de se développer.
4Les erreurs de parcours, les tâtonnements, les reniements ont été nombreux dans le parcours de la recherche anthropologique sur Madagascar (section 2). Après une longue période d’écrits non professionnels produits par des observateurs de toutes natures, le rôle de l’Orstom est devenu central dans le dispositif institutionnel des recherches sur Madagascar. L’institut en a partagé aussi bien les avancées que les hésitations. Son rôle a parfois été critiqué, accusé de s’inscrire dans une perspective coloniale. En réaction, la réappropriation nationale de la recherche a constitué à certaines époques un frein pour les connaissances en anthropologie. Pendant quelques années, elle a même conduit à la disparition quasi totale de la recherche anthropologique de terrain.
5L’« expertise » acquise par l’Orstom au cours de ces années d’incertitude a très probablement aidé l’IRD à trouver des voies nouvelles pour la recherche sur Madagascar (section 3), notamment grâce à des formes de répartition des tâches entre chercheurs nationaux et chercheurs étrangers qui semblent constituer un réel progrès. À l’heure actuelle, la recherche anthropologique a affiné ses méthodes, s’est diversifiée de manière étonnante et, désormais, cherche délibérément les « applications » qui s’imposent de toute évidence dans le cadre d’un Institut de recherche travaillant pour le développement. Les perspectives de la recherche en anthropologie sur Madagascar, notamment dans le cadre de l’IRD, mais aussi dans d’autres cadres, universitaires en particulier, paraissent à la fin des années 2000 bien meilleures qu’elles ne pouvaient être à la fin des années 1980, quand la politique de partenariat scientifique commençait laborieusement à se mettre en place sur les cendres d’une recherche trop directement héritée de l’époque coloniale.
L’anthropologie et ses nombreuses difficultés à Madagascar
6Les limites de l’anthropologie sont floues, comprises entre deux acceptions extrêmes. Au sens le plus étroit, le terme est à peu près synonyme d’ethnographie ; au sens le plus large, que l’on retiendra ici, il comprend plusieurs domaines des sciences humaines. À Madagascar, cette discipline se heurte à plusieurs difficultés, à savoir l’extrême diversité des situations locales, l’opacité de certains mécanismes sociaux ou encore la nécessité d’inclure le champ surnaturel dans les analyses. Enfin, l’anthropologie est, par nature, une discipline « indiscrète » qui se mêle de sujets délicats. Les personnes enquêtées peuvent réagir négativement face à la curiosité de chercheurs dont les objectifs sont loin d’être innocents à leurs yeux puisqu’il peut s’agir, par exemple, de comprendre comment les groupes localement dominants assurent leur domination. À ces difficultés s’ajoute un contexte politique et institutionnel qui a pu décourager certaines recherches sur des sujets trop sensibles.
La notion d’anthropologie
7L’anthropologie a des liens forts avec de nombreuses disciplines ou sous-disciplines dont il est parfois difficile de tracer les frontières : anthropologie, anthropologies culturelle, sociale, économique, politique, etc., ethnographie, ethnologie, ethno-histoire, ethno-linguistique, ethno-médecine, ethno-musicologie, etc., sociologie, sociologie rurale, sociologie du développement, etc. Pour simplifier, nous emploierons ici le terme « anthropologie » – tout court – en englobant tous ces sens particuliers. L’anthropologie, dans le sens ici pris en compte, privilégie les approches diachroniques et l’histoire en général, mais en les considérant à un niveau micro-local ou micro-régional. Pour ne donner qu’un exemple, l’histoire de la colonisation n’intéresse pas vraiment l’anthropologue à son niveau « macro », mais seulement dans son influence sur les structures locales du pouvoir et sur les réorganisations profondes que la colonisation a imposées au monde villageois.
8L’anthropologie ainsi entendue a très peu à voir avec l’anthropologie physique, même si certaines interférences entre ces deux disciplines peuvent, occasionnellement, être intéressantes. Par exemple, de récentes études sur l’ADN des populations Antemoro du Sud-Est malgache ont confirmé leur origine arabe attestée par certaines de leurs traditions et de leurs usages comme les techniques de divination ou les manuscrits écrits en caractères arabes.
9L’anthropologie, ainsi conçue, utilise, bien entendu, les avancées de la théorie anthropologique et elle souhaite contribuer à celles-ci. Historiquement, dans le cas particulier de la recherche à Madagascar, et dans le contexte orstomien qui nous intéresse plus spécifiquement ici, il s’agissait en premier lieu de décrire des sociétés concrètes, encore insuffisamment connues, afin d’en mieux comprendre le fonctionnement. La démarche était alors d’améliorer les connaissances fondamentales. La nécessité affichée du prolongement dans l’« application » a été longue à se mettre en place. Aujourd’hui, on souhaite explicitement aider les populations, principalement rurales, à lutter plus efficacement contre la pauvreté.
Les difficultés rencontrées sur le terrain
10Les terrains malgaches se présentent aux chercheurs en anthropologie de manière souvent trompeuse. La courtoisie malgache est toujours grande en milieu rural, surtout dans les zones enclavées où les traditions se sont bien conservées. L’accueil des enquêteurs et des chercheurs par les villageois est toujours excellent à condition, évidemment, d’observer des règles élémentaires de politesse. Lors des réunions de présentation, tous les villageois se déclarent ravis de recevoir des étrangers, félicitent ces derniers d’avoir choisi leur village, notamment parce que, de notoriété publique, ce village est particulièrement uni par les relations de fihavanana, terme désignant les relations de solidarité et de bonne entente qui caractérisent normalement les relations entre parents et proches.
11Pourtant, l’enquêteur aura du mal à progresser. La chaleur apparente de l’accueil masque une forte propension à ne rien dire d’important, voire à cacher délibérément tout ce qui pourrait mettre l’enquêteur sur la piste des réalités locales. Les individus localement dominants donnent souvent l’impression de penser qu’ils seront plus à même de résoudre à leur avantage les problèmes locaux si aucun agent extérieur ne vient se mêler de « ce qui ne le regarde pas ». L’enquêteur, dans des conditions normales, ne doit pas espérer avoir accès facilement aux informations réellement importantes : les enjeux fonciers, les rivalités pour le pouvoir local, les concurrences inter-lignagères, les stratégies déployées dans le cadre de ces rivalités et de ces concurrences, les conflits graves qui ont marqué la vie du village au cours des dernières années, la vraie signification de ces conflits. En particulier, on cachera soigneusement au visiteur, considéré comme indiscret, tout ce qui a trait à la Surnature, aux esprits locaux, aux ombiasy, les devins guérisseurs.
12Par ailleurs, les terrains malgaches sont complexes et d’un abord difficile pour les enquêteurs et les chercheurs qui appartiennent à d’autres cultures. On peut regrouper, très schématiquement, ces difficultés autour de trois thèmes : la diversité des situations locales, l’opacité des mécanismes les plus fondamentaux qui fondent cette société et l’importance des faits appartenant au domaine surnaturel.
Une grande diversité des situations locales
13On considère généralement que 18 ethnies se répartissent sur tout le territoire malgache. Il existe entre elles quelques réelles simihtudes provenant d’un fonds culturel commun que l’on retrouve, dans ses grandes lignes, un peu partout dans la Grande Île : le culte des ancêtres, certains traits de la morale collective issus des lilindraza1 ou encore une structuration minutieusement hiérarchisée des sociétés locales. Mais ces ressemblances sont souvent plus apparentes que réelles. L’observateur est même souvent frappé de constater que des mécanismes sociaux en place depuis longtemps à l’amont d’une vallée fonctionnent de manière significativement différente à l’aval de cette même vallée, pour des gens qui appartiennent pourtant au même groupe ethnique. La diversité des histoires locales explique souvent ces différences. Ici, une monarchie autoritaire s’est imposée pendant plusieurs générations ; là, des groupes divers se sont associés selon des modalités souples sans accepter la domination de l’un d’entre eux... Des groupes locaux, semblables au départ, ont développé des systèmes de production différents pour s’adapter de manière fine aux conditions que leur imposait le milieu où ils s’étaient établis. D’anciens éleveurs sont par exemple devenus riziculteurs et inversement. Les diverses organisations sociales ont accompagné ces changements fondamentaux. La compréhension, voire simplement la description précise de ces phénomènes, apportent beaucoup à l’anthropologie villageoise.
14L’anthropologue étudiant Madagascar doit se souvenir que la connaissance, même approfondie, d’une petite zone ne lui permet aucune extrapolation sur des espaces plus vastes ou situés ailleurs. Pour ma part, mes premiers contacts avec l’Ouest malgache, vers 1970-1972, m’avaient d’abord incité à une prudence proche du découragement : les situations observées le long de la Maharivo ou dans la moyenne Morondava ou sur les berges de la Tsiribihina apparaissaient tellement diverses qu’il semblait à peu près impossible de repérer un village plus représentatif que les autres. Pour décrire ces sociétés, la seule solution honnête semblait consister dans l’étude monographique successive de tous les gros villages de chacune des principales vallées. Compte tenu des difficultés de communication que j’entrevoyais déjà avec des villageois accueillants mais profondément discrets, de longues années risquaient d’être nécessaires pour atteindre un tel objectif. Avec le temps, heureusement, j’ai pu constater que la minutieuse et mystérieuse mosaïque des situations micro-locales se ramenait, en fait, à la juxtaposition d’une dizaine de types de situations. Dans ces conditions, la tâche était longue et difficile mais elle n’était plus irréalisable pour un observateur patient et organisé. L’enchevêtrement et la confusion des situations micro-locales cédaient la place à une certaine cohérence et à de fortes régularités en prenant de la hauteur et en observant le paysage social non plus en un seul point mais au niveau d’une petite région, voire d’un ensemble macro-régional.
Des sociétés au fonctionnement souvent opaque
15En milieu rural malgache, on peut observer au moins trois types principaux de pouvoirs locaux qui peuvent cumuler leur action ou s’affronter dans d’obscures luttes pour l’hégémonie locale : un pouvoir lignager, des rapports de clientèle et ce qu’on pourrait appeler, pour simplifier, un pouvoir magique.
16Un observateur peu aguerri peut vivre plusieurs mois dans un village sans entrapercevoir l’importance et, même, l’existence de ces pouvoirs magiques car ceux qui les détiennent, les devins et les tradi-thérapeutes, agissent dans la plus grande discrétion. Ils tirent même une partie significative de leur pouvoir du secret qui entoure leurs activités.
17De leur côté, les rapports de clientèle sont particulièrement opaques. À première vue, un mpanarivo2, qui contrôle plusieurs dizaines de personnes, voire beaucoup plus, dispersées sur l’ensemble d’une petite région, apparaît souvent, localement, comme un personnage anodin, sans plus de pouvoir que les autres. Il ne cherche pas à montrer ce qu’il est vraiment. Il cherche même délibérément à le cacher pour de multiples raisons : prudence, souci de ne pas provoquer la jalousie, souci d’éviter toute ostentation qui pourrait déclencher des mécanismes lignagers de redistribution, discrétion générale caractéristique de la culture malgache en milieu rural. Pour des raisons symétriques, ses « clients » et dépendants ne parlent pas de tout ce qu’ils lui doivent ou des tâches qu’ils doivent accomplir pour lui. On peut très bien vivre plusieurs semaines dans un village sans se douter un seul instant que l’homme qui tire toutes les ficelles locales vit, en toute discrétion, à une vingtaine de kilomètres de là, le plus souvent sans apparaître physiquement et sans que son nom soit prononcé. On peut apprendre aussi qu’un personnage tout à fait ordinaire, vêtu comme les autres et vivant dans une case aussi modeste que les autres est, en fait, très riche et possède plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de bœufs, discrètement répartis entre plusieurs pâturages peu accessibles.
18Pour leur part, les pouvoirs lignagers sont plus apparents, mais eux aussi sont trompeurs car les rapports de parenté et les rapports de clientèle sont souvent en contrepoids. En période de difficultés économiques, les chefs de lignage ont du mal à éviter de rentrer dans la dépendance, au moins provisoire, d’un mpanarivo qui a su conserver sa richesse en bœufs et qui a eu l’intelligence de la gérer avec une générosité intéressée. Dans ce contexte, une étude d’anthropologie sociale qui étudierait avec minutie les rapports de parenté et d’alliance s’orga-nisant autour du lignage en négligeant les rapports de clientèle, passerait à côté des mécanismes les plus élémentaires fondant le pouvoir local et expliquant comment ce pouvoir se reproduit et comment ces villages résistent aux crises.
L’importance du domaine surnaturel
19Il faut savoir qu’en milieu rural, les villageois se sentent constamment observés par leurs ancêtres défunts qui les récompensent ou les punissent selon que les lilindraza ont été respectés ou non. La prospérité provient, bien sûr, d’une bonne gestion et d’un travail sérieux mais tous ces efforts ne serviraient à rien si, pour une raison ou pour une autre, on méritait la colère des ancêtres. D’où un investissement important dans les cérémonies lignagères destinées à honorer les ancêtres plutôt que dans l’amélioration de la productivité agricole.
20De manière générale, dans la société malgache rurale, le Surnaturel et le Naturel se mêlent constamment, à tel point que la différence entre les deux apparaît comme une notion issue des mentalités européennes. Aucune tâche culturale importante, aucune action d’envergure, aucune entreprise à risque ne sera entamée sans plusieurs actions destinées à se mettre en règle avec la Surnature. Il faut d’abord savoir si la personne qui prend l’initiative ou son groupe lignager, ont du havoa3. S’il y a du havoa, il faut d’abord l’éliminer, en priorité absolue, par un sacrifice sanglant (un mouton, une chèvre, un bœuf dans les cas les plus graves), sinon l’action entreprise n’a aucune chance de réussir. On doit ensuite consulter les devins pour savoir s’il est réellement opportun d’entreprendre cette action. Il conviendra aussi de respecter divers interdits en fonction du mois de naissance des protagonistes. Si un agronome consciencieux cherche à porter un jugement sur certaines pratiques culturales, il va probablement constater de multiples écarts entre un itinéraire cultural européen purement technique et une réalité qui va révéler diverses anomalies d’autant plus inexplicables que ces pratiques ne sont jamais avouées à des vazaha4 ou à des ingénieurs modernes.
21L’ignorance de ces « à-côtés » jamais explicités conduit presque toujours au même scénario. La méthode traditionnelle est sévèrement critiquée, le technicien ou le vulgarisateur pense qu’il suffit de former l’agriculteur ignorant. Hélas, une fois cette opération terminée, il constate que les mêmes « erreurs » se perpétuent à peu de chose près. Aucun « fautif » n’ose avouer clairement cet état de fait et les techniciens extérieurs repartent vers d’autres tâches en pensant que, vraiment, il n’y a pas grand-chose à espérer d’agriculteurs aussi peu réceptifs.
Les enjeux de pouvoir et l’histoire politique
22Parmi les thèmes sensibles qui intéressent au plus haut point l’anthropologue figurent les rapports entre le pouvoir central et les populations rurales, la manière dont les petits potentats locaux imposent leur domination à leurs « sujets » villageois, ou encore les stratégies déployées par certains sous-groupes villageois pour se hisser aux échelons les plus élevés du pouvoir local. Les pouvoirs, quel que soit leur nature ou leur niveau, n’aiment généralement pas voir des chercheurs « fouiner » pour mieux comprendre les mécanismes qui permettent de pérenniser leur domination, alors qu’ils ont moins de raisons de s’inquiéter de la « saine » curiosité d’un botaniste ou d’un hydrologue.
23À Madagascar, pays où les divers pouvoirs sont peu stabilisés, les anthropologues ont dû constamment composer avec le pouvoir de l’État et les pouvoirs locaux, dans des conditions qui ont pu nuire au développement normal de leur recherche. Depuis l’époque coloniale, les observations des sociologues ou des ethnologues ont souvent été mal vues (c’est un euphémisme) par les détenteurs du pouvoir d’Etat et même par les détenteurs du pouvoir micro-local dont les stratégies de domination étaient démasquées sans fards ni ambiguïtés. En décrivant les fondements du pouvoir local, souvent peu démocratiques, le chercheur accepte un rôle subversif qui, bien entendu, ne peut que lui attirer des ennuis, surtout quand le régime politique dominant s’appuie sur un autoritarisme tatillon. Les dernières années du régime dirigé par le président Tsiranana5 ont été ainsi particulièrement pénibles pour les chercheurs de sciences humaines. Ceux-ci n’avaient plus le droit que de décrire les cérémonies lignagères et devaient bannir de leurs programmes de recherche le terme « pouvoir », même dans ses acceptions micro-locales qui pouvaient pourtant paraître bien anodines. Les modalités de structuration du pouvoir local et les conditions de sa reproduction constituent néanmoins un thème essentiel sans lequel les recherches pour le développement n’ont aucune chance d’aboutir à des recommandations utilisables.
24De même, les changements de régime à Madagascar ont constitué des périodes sombres pour la recherche anthropologique. On peut citer particulièrement les événements de 1972 qui ont coïncidé avec le « complot Orstom »6 ou les divers régimes dirigés par Didier Ratsiraka qui trouvait, dans l’opposition un authentique sociologue, Manandafy Rakotonirina, leader du MFM (Mouvement pour le progrès de Madagascar) et un grand leader paysan, Monja Jaona, dont le Parti « révolutionnaire », le Monima (Mouvement national pour l’indépendance de Madagascar), était dirigé par des intellectuels directement issus des sciences humaines (géographie et histoire), très proches, en fait, de la recherche anthropologique dont ils ont d’ailleurs efficacement soutenu la promotion par la suite.
La recherche en anthropologie : tâtonnements et hésitations
25Les études de type anthropologique sur Madagascar se sont développées tardivement. Avant la seconde moitié du xxe siècle, il s’était constitué un corpus impressionnant de textes, de documents, de récits qui n’étaient pas l’œuvre d’anthropologues professionnels mais qui apportent néanmoins parfois des indices pour la recherche. Les premiers anthropologues professionnels, après 1950, sont venus pour la plupart de France, la puissance coloniale. Leur grille de lecture n’a pas permis de saisir immédiatement la logique profonde des comportements d’un milieu rural malgache considéré avant tout comme archaïque. L’idée, pourtant très simple, de recourir à des anthropologues malgaches pour étudier la culture malgache a été lente à s’imposer. Malgré les évidents avantages qu’elle présentait pour la compréhension de phénomènes culturels, elle soulevait de nombreux problèmes relatifs, notamment, à la formation de ces chercheurs. Dans le contexte de la décolonisation, au début des années 1970, l’anthropologie « étrangère » est apparue aux plus révolutionnaires comme l’un des meilleurs exemples des erreurs du passé. Une « malgachisation » radicale de la science et, notamment, de l’anthropologie était le passage obligé pour faire progresser cette discipline. Ce point de vue n’était sans doute pas entièrement faux, mais appliqué de manière manifestement excessive, il a abouti à l’interruption quasi totale, heureusement éphémère, de la recherche anthropologique de terrain.
Avant 1950, des informations hétéroclites et peu utilisables
Des observateurs venus d’horizons très divers : des « ethnographes à l’ancienne »
26Avant 1950-19607, les descriptions de populations ne relèvent pas de l’anthropologie. La profession d’ethnographe chargé d’observer et de décrire les « sociétés primitives » se distinguait mal, à Madagascar comme ailleurs, de celle d’explorateur (Alfred et Guillaume Grandidier), d’aventurier (Maurice Beniowski), d’écrivain à succès (Daniel Defoe), de missionnaire, comme le Révérend Père jésuite Luis Mariano puis, plus tard, des missionnaires catholiques (Georges-Sully Chapus, Ambroise Engelvin, Louis Jouen, Henry Russillon) ou luthériens (Fritdjov Birkeli, Otto Dahl, Edvin Fagereng, E. O. Mac Manon, James Sibree, Arne Walen et, plus récemment, Louis Molet, Jurgen Ruud, Elie Vernier). Les observateurs de l’époque pouvaient être aussi des agents commerciaux de grandes compagnies (Étienne de Flacourt, Nicolas Mayeur) ou des espions à la solde de la future puissance coloniale (Henry Douliot, les frères Samat et les « voyageurs » chargés d’informer la Division navale de l’océan Indien sur les situations militaires dans cette partie du globe).
27Dans les toutes dernières années du xixe siècle, avant la guerre de 1914, des militaires-ethnologues ont cherché à comprendre, au moins un peu, leurs nouveaux « sujets » afin de mieux asseoir leur autorité. Pour l’Ouest, les lieutenants Thomassin et Prud’homme, les capitaines Rey, Buhrer, Condamy et Hellot, mais aussi quelques grands chefs militaires comme Liautey et Galliéni ont apporté des informations précieuses encore accessibles aujourd’hui aux archives d’outre-mer à Aix-en-Provence ou à l’état major de l’Armée de terre à Vincennes qui abrite aussi, aujourd’hui, les archives du port de Lorient, autrefois siège de la Division navale de l’océan Indien.
28À l’époque, il n’existait d’ailleurs aucune formation spécifique. On devenait ethnographe à la suite de voyages ou de rencontres, ou pour satisfaire une curiosité, ou encore pour rentabiliser, par exemple, par des récits pittoresques, des connaissances acquises le plus souvent par hasard. Les fonctionnaires de l’Administration coloniale, plus tard issus de l’École nationale de la France d’outre-mer furent sans doute les premiers à recevoir une véritable formation d’ethnographe, dispensée aussi, à partir des années 1930 par le musée de l’Homme. Raymond Decary, Jacques Faublée et Paul Ottino furent ainsi, à leurs débuts, des fonctionnaires de l’Administration coloniale.
Un corpus d’informations de valeur inégale
29Avant 1950-1960, documents et témoignages se sont ainsi accumulés, au hasard des circonstances, sans faire l’objet de synthèses, régionales ou thématiques, à de rares exceptions près8. Les données ainsi recueillies sont loin d’être sans valeur, mais elles sont hétéroclites. La majorité des textes ainsi parvenus jusqu’à nous sont intéressants mais inutilisables sans une critique rigoureuse. D’autres textes sont anecdotiques, éclairant seulement des points de détail. Enfin, il existe un corpus de textes fondamentaux, partout cités, qui ont servi de socle aux chercheurs venus travailler à Madagascar.
30Les biais de ces textes sont nombreux. L’Administration coloniale a toujours été systématiquement sévère dans ses jugements sur les groupes d’éleveurs, considérés comme ingérables et insubordonnés. Les Sakalava sont le plus souvent présentes comme ne s’intéressant qu’aux bœufs, à l’alcool et à la débauche, incapables de se plier à la discipline du salariat dans les concessions européennes ou de démarrer une petite production agricole marchande libre. Les Tandroy sont dépeints sous des traits exagérant leur sauvagerie, leur rusticité et leur violence. Le père Engelvin, spécialiste des Vezo dans les années 1930-1940, les décrit comme de « grands enfants » qui ne parviennent à comprendre que des choses simples (Engelvin, 1937). Le récit des aventures de Robert Drury (1701-1720), recueilli et publié sous la plume de Defoe, est certainement authentique dans l’ensemble, mais l’écrivain a manifestement ajouté des détails imaginaires pour pimenter son récit et plaire à ses lecteurs britanniques avides d’exotisme et de sensations fortes (Grandidier, 1903-1920, vol. 4). Les étonnements et les naïvetés de ces descriptions précoces ne sont pas forcément inutiles. Vers 1615, près de l’actuel Morondava, le révérend père Luis Mariano, regrettant de voir des pauvres gens s’agiter de manière désordonnée sous l’effet, selon lui, d’une possession satanique, nous donne, sans le savoir, une très précieuse première description d’une cérémonie de possession tromba (Grandidier, 1903-1920, vol. 2).
31Les informations données par les militaires ethnologues fourmillent de détails de grande valeur. On est ainsi étonné d’apprendre qu’il existait vers 1895, de grandes et belles rizières, bien entretenues, dans la vallée de la Maharivo, près de Morondava, alors que les villageois actuels font remonter la riziculture locale à une époque plus récente (Fauroux, 1975) avec des modalités d’irrigation qui semblent souvent plus précaires que celles qui furent décrites à la fin du xixe siècle. On trouve aussi dans les rapports techniques des militaires, en opération ou au retour d’une patrouille, une foule d’observations sur l’état des chemins, les principales cultures pratiquées, les distances entre les principaux villages, les noms de ces villages dont beaucoup ont disparu mais figurent encore dans les traditions orales. Les opérations de répression contre le banditisme villageois, surtout marqué par les voleurs de bœufs, permettent de lire, en filigrane, l’ancienneté de l’organisation de ce pouvoir local clandestin qui marque aujourd’hui encore, entre autres, les zones enclavées du Menabe.
32Certains témoignages apportent des informations saisissantes sur la résilience de ces sociétés villageoises pourtant confrontées à d’énormes mutations. Par exemple, les villages du Sud-ouest et de l’Ouest décrits par Drury, au début du xviiie siècle, ressemblent étonnamment à ceux que l’on peut encore observer aujourd’hui dans la même région au début du xxie siècle. Dans ce cas, au moins, le vécu de Drury l’a emporté sur l’imaginaire de Defoe.
33Parmi ces textes, certains sont devenus des fondamentaux incontournables pour s’initier à la sociologie rurale malgache. En premier lieu, il y a l’œuvre monumentale et irremplaçable des Grandidier qui présente une extraordinaire valeur scientifique pluridisciplinaire (géographie, histoire, paléontologie, botanique, etc.). Les Grandidier ont aussi accompli un extraordinaire travail de compilation recherchant dans les archives et bibliothèques d’Europe des documents rares qu’ils ont rendus accessibles à un large public. La collection des ouvrages anciens concernant Madagascar et les îles voisines (COACM) comprend neuf volumes parus entre 1903 et 1920. Il faut ajouter, parmi les fondamentaux « L’Histoire physique, naturelle et politique de Madagascar » publiée là encore par Alfred et Guillaume Grandidier en cinq volumes entre 1885 et... 1958 (Grandidier A. et Grandidier G., 1927, vol. 4). Cet ensemble peut être considéré comme une synthèse de toutes les connaissances anthropologiques sur Madagascar dont on disposait avant la Deuxième Guerre mondiale.
34Diverses revues anciennes donnent des indications passionnantes. Citons le « Bulletin de l’Académie malgache » qui, entre autres, publie dans un numéro de 1912 le récit du voyage effectué par Nicolas Mayeur, en 1666, « Au pays des Séclaves, en qualité d’interprète de Monsieur le Baron de Beniowski » (BAM, t. 10, 1912 : 49-142) ; les notes d’Edmond Samat, un traitant réunionnais qui s’était installé à Morondava pour y développer ses affaires, intitulées « La côte ouest de Madagascar en 1852 » (BAM, t. 15, 1932 : 52-78) ; les anciennes et rares « Annales des Voyages, de la Géographie et de l’Histoire », pour un texte rédigé en 1810 par Dumaine de la Josserie sur « ... la côte occidentale de Madagascar depuis Ancouala au nord jusqu’à Mouroundava, désignée par les noirs sous le nom de Menabe » (AVGH, 1810, t. 9 : 20-52) ; ou enfin le Bulletin de la Société de Géographie de Paris, tomes 14, 16, 17 et 18, qui a publié par livraisons d’une quarantaine de pages le remarquable « Journal du Voyage fait sur la côte ouest de Madagascar en 1891 et 1892 » de Henry Douliot. En langue allemande, la « Zeitschrift der Gesellschaft fur Erdkude zu Berlin », de 1896 (vol. 31 : 109-129), donne une description détaillée du voyage de Alfred Voeltzkow depuis Morondava jusqu’au fleuve Mangoky.
35Quelques récits de voyage publiés isolément sont devenus des grands classiques C’est le cas, notamment, de l’ouvrage de Charles Guillain, dans ses « Documents sur l’histoire, la géographie et le commerce de la partie occidentale de Madagascar » (1845, Paris, Imprimerie Royale) rédigés après plusieurs missions officielles d’observations effectuées entre 1841 et 1843. On y trouve notamment des informations exclusives sur la pénétration politique merina dans l’Ouest et sur les transformations du commerce de traite dans les premières années du xixe siècle.
36Plus récemment, on trouve des travaux de valeur émanant de chercheurs à large champ de compétence dans la lignée des Grandidier comme Pierre Boiteau (botaniste et sociologue), Jean Paulhan (littérature des Hautes Terres et ouverture sur les « mentalités » merina), et divers travaux ponctuels de l’Académie malgache qui entrent parfaitement dans le domaine de l’anthropologie. Les administrateurs éclairés, malgachophiles et ouverts à toutes les réalités locales, ne sont pas les moins intéressants comme Robert Decary, Hubert Deschamps, Jacques Dez, Jacques Faublée, Jean-Claude Hébert ou Charles Poirier. Tous ces témoignages complètent très utilement des traditions orales que l’on peut, aujourd’hui encore, recueillir un peu partout dans Madagascar. Surtout, ils permettent de dater ces traditions et d’établir de véritables chronologies.
Le tournant de 1947
37Les événements dramatiques de 1947 ont non seulement traumatisé Madagascar, mais aussi la France coloniale en lui prouvant que la population malgache était, pour elle, une inconnue et, plus gravement, que l’incompréhension mutuelle atteignait des niveaux politiquement dangereux. De plus, vers le milieu des années 1950, on a commencé à parler dans la communauté internationale de « sous-développement » avec la conscience, parfois claire, qu’une plus grande prospérité conduirait probablement à une plus grande tranquillité politique. Dans ces deux perspectives, il fallait d’abord comprendre la population malgache et analyser « ce qui n’allait pas » pour tenter d’y remédier.
38Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’image de l’ethnologue ou du sociologue africaniste a commencé à changer radicalement. Auparavant, l’« ethnographe » était souvent vu comme un original, peu à l’aise dans sa propre société, qui donnait un sens à sa vie en s’immergeant dans une société « autre », aussi différente que possible de la sienne. Il ne se passionnait généralement que pour une seule société « exotique » ou pour un très petit nombre d’entre elles. Il en devenait alors un spécialiste érudit. Il parlait plusieurs dialectes locaux. Admirateur inconditionnel des « us et coutumes » indigènes, il ne souhaitait pas le changement ou même la modernisation de « sa » société dont il admirait et aimait profondément la culture. Il ne cherchait donc pas à participer à des « projets de développement » dont il redoutait les effets délétères. La minutie et la complexité de ses analyses ne débouchaient généralement sur aucun souci d’application concrète... Malgré ses qualités humaines, il est apparu, au début des années 1950 que ce personnage, souvent pittoresque, avait fait son temps. On avait de plus en plus besoin de scientifiques, plus faciles à « gérer », plus aptes à collaborer avec des développeurs ou des politiques. L’Orstom allait ainsi jouer un rôle important pour choisir, former et faire venir à Madagascar des chercheurs capables d’accomplir ces missions d’un type nouveau.
De 1950 à 1975, l’Orstom au cœur d’une anthropologie « professionnelle »
La mise en place d’infrastructures pour une recherche scientifique sur longue période
39Les conditions de la création de l’IRSM (Institut de recherche scientifique de Madagascar) et de l’Orstom sont décrites dans le chapitre 3. Dans le parc botanique et zoologique de Tsimbazaza, les chercheurs pouvaient accéder au remarquable Fonds Grandidier où était réunie la documentation scientifique sur Madagascar autrefois accumulée par Alfred et Guillaume Grandidier (cf. chapitre 1). Le Fonds était notamment très riche pour tout ce qui concerne les sciences humaines. Il abritait à peu près tous les documents décrits ci-dessus. Ainsi, les chercheurs récemment arrivés à Madagascar pouvaient acquérir l’essentiel des connaissances alors disponibles sur ce qu’on n’appelait pas encore l’anthropologie mais l’histoire sociale et politique de Madagascar. Toutes les conditions étaient réunies pour continuer opportunément la tâche des Grandidier.
Des chercheurs en anthropologie spécialisés et professionnels
40La recherche « outre-mer » de haut niveau correspondait exactement à la vocation initiale de l’Orstom qui, créé en 1945, pouvait offrir des contingents significatifs de chercheurs, formés en France, dans la perspective d’intervenir dans les régions tropicales de ce qui était encore l’Empire français. Pour les besoins d’une catégorisation simplifiée, à Madagascar, on peut sans doute considérer 1948 comme la date initiale de cette période, après les perturbations liées aux événements de 1947. Les années 1973-1975 peuvent être retenues comme fin de cette période.
41Compte tenu des nouvelles missions qui lui incombent, l’ethnographe de l’après-guerre a beaucoup changé. Il est moins original, moins marginal. Il est souvent fonctionnaire, de sorte qu’il n’attend pas le succès commercial de ses ouvrages ou de ses conférences à la salle Gaveau pour assurer sa carrière. L’anthropologie, dans sa modalité « ethnographique », est devenue une science, formant des spécialistes dans des institutions universitaires et attribuant des diplômes reconnus. Le CNRS et l’Orstom ont alors commencé à recruter, en nombre modeste mais avec une certaine constance, quelques ethnographes dont le comportement et le déroulement de carrière ont été très proches de ceux des autres fonctionnaires expatriés travaillant dans les pays tropicaux. Comme les autres, ils ont changé fréquemment de lieux d’affectation, ils se sont moins spécialisés qu’autrefois sur leur pays d’affectation. Il est devenu normal, pour eux, de connaître successivement trois ou quatre pays différents selon les décisions des directions des organismes auxquels ils appartenaient. Les nouveaux chercheurs se sont souvent plus spécialisés qu’autrefois sur un sous-thème au sein de leur discipline : anthropologue économique, ethnolinguistique, ethnomusico-logie, phénomènes de possession, anthropologie de la santé, etc.
42Les chercheurs de cette « nouvelle vague » d’ethno-anthropologues, dans les années 1960, étaient à peu près tous d’origine européenne. Les chercheurs malgaches ou africains étaient encore peu attirés par cette profession à laquelle il leur était d’ailleurs difficile d’accéder et qui n’avait pas très bonne presse dans les sphères du pouvoir. Le département d’ethnologie de l’université d’Antananarivo ne s’est ouvert qu’à la fin des années 1960 avec les professeurs Jean Poirier et Jacques Dez. En moyenne, chaque année, une petite dizaine d’étudiants étaient inscrits9. Il n’y avait presque pas d’étudiants malgaches. Les étudiants qui souhaitaient « faire du terrain », s’inscrivaient plutôt en archéologie sous la direction de Pierre Vérin. Ce département, alors très actif, menait des fouilles avec des stagiaires étudiants et réalisait des enquêtes de terrain très ethnographiques pour collecter les traditions orales, anciennes et récentes, des lieux fouillés. La revue Taloha, publiée avec régularité, intéressait autant les ethnographes et les historiens que les archéologues (Fauroux, 1970).
43À partir des années 1960, une anthropologie scientifique a donc commencé à se développer à Madagascar. Il s’agissait, alors, soit de répondre à des interrogations théoriques liées aux récents progrès des sciences humaines (anthropologie culturelle, anthropologie économique, anthropologie marxiste, théorie du sous-développement), soit de préparer des réalisations dans le domaine du développement.
Une volonté d’utiliser les résultats de la recherche ?
44Au début des années 1960, l’opposition entre « tradition = frein au développement » et « modernité = progrès » était à son apogée. Le colloque de Mantasoa de 1968 avait bien montré qu’il existait des collaborations décisives entre sciences sociales, mais les premiers essais avaient été laborieux et décevants. La rubrique « socioéconomic » apparaissait, certes, avec régularité dans les prérapports sur les projets de développement, mais elle concernait des études effectuées à la hâte, avec des moyens matériels très modestes. Ces analyses, trop sommaires, n’aidaient pas vraiment à la compréhension du fonctionnement des sociétés étudiées. Était-ce pour convaincre les bailleurs de fonds que toutes les dimensions avaient été prises en considération ? Toujours est-il que, en fin de compte, ces études n’influaient réellement ni sur la logique du projet, ni sur la manière de résoudre les problèmes qui pouvaient se poser au cours de sa réalisation.
45De plus, les anthropologues qui avaient collaboré à des actions de développement vers la fin des années 1960 se sont heurtés à des problèmes de déontologie professionnelle. En effet, l’idée dominante était alors que le progrès économique pouvait avoir des effets pervers et déstructurants. Les représentations issues du marxisme, alors très en vogue montraient de façon parfois convaincante que l’extension des rapports de production capitalistes était forcément accompagnée de la domination politique des sociétés traditionnelles étudiées par l’ethnologue. Dans cette perspective, participer au développement pouvait être compris comme une collaboration malsaine avec les objectifs d’un capitalisme peu soucieux du bonheur des populations concernées. La société traditionnelle apparaissant comme le pot de terre, tôt ou tard écrasé par le pot de fer capitaliste. Le chercheur ne devait en aucun cas se faire le complice de cette tragédie. Les thèmes des chercheurs Orstom étaient alors très ciblés : colloque sur « la reproduction sociale des sociétés dominées », groupe de recherche sur « les effets déstructurants de la colonisation », travaux sur « la généralisation des rapports marchands » et sur les effets délétères de cette généralisation, etc.
46Plus généralement, on comprenait mal les sociétés de ce qu’on commençait à appeler le Tiers Monde. Pourtant, avec le temps, les sciences humaines avaient accompli des progrès considérables. Elles étaient devenues capables d’envoyer sur le terrain des spécialistes bien formés, bien armés sur le plan théorique, plus capables qu’autrefois, d’analyser la réalité de manière scientifique et professionnelle. Pourtant, en même temps, cette réalité était devenue plus complexe. La mise en place de systèmes de domination politique et économique était venue compliquer à l’extrême les transformations spontanées des anciens systèmes de production locaux. On sentait bien que la racine du sous-développement se trouvait là, dans des systèmes mal articulés entre eux, incapables de transmettre les bouffées de dynamisme économique, que l’on tentait d’injecter ici et là, au hasard des projets ou des initiatives publiques, ou de certaines initiatives privées qui ne « diffusaient » guère. L’étude de ces « articulations ratées »10 devenait une priorité tout à fait légitime de la recherche en sciences humaines. Les Indépendances ont aggravé le sentiment qu’il fallait au plus vite trouver les « clés du développement ». C’est à ce prix seulement que les nouveaux pouvoirs avaient des chances de s’imposer et de durer. Les chercheurs, pas seulement en sciences humaines, ont senti qu’ils avaient un grand rôle à jouer pour sortir des « malentendus » du développement, qui, dans les années 19601970, apparaissaient de toutes parts.
47Pour ce faire, il fallait mettre en exergue des mécanismes précis du fonctionnement des sociétés. L’exemple caractéristique est celui de la volonté des administrations successives et des projets de développement d’éradiquer les gaspillages liés à l’ostentation cérémonielle, de réduire la trop grande importance relative des dépenses de prestige aux dépens des investissements économiques productifs. Cet objectif n’a jamais été atteint car la signification sociale n’en avait pas été saisie. En fait, le gagnant dans la course à l’ostentation, le groupe qui « gaspille » le plus, déclenche aussi en sa faveur des forces centripètes qui, à la longue, vont fournir d’appréciables retours sur investissement. Si la perte est bien réelle pour tous ceux qui ne gagnent pas cette course, qui ont perdu les bœufs qu’ils ont sacrifiés sans déclencher de forces centripètes significatives, en revanche pour le groupe « gagnant » c’est au contraire une stratégie habile qui va lui permettre soit d’accéder au pouvoir local s’il n’y était pas encore parvenu, soit de conserver ce pouvoir s’il l’avait déjà. Sans la compréhension de ces mécanismes qui fondent les pouvoirs locaux, toute tentative de mise en place de projets de développement, aussi grandioses soient-ils, sont voués à l’échec s’ils sont jugés comme pouvant remettre en cause les hiérarchies sociales.
48De fait, si les recherches anthropologiques de cette période ont fait avancer les connaissances, nous pensons qu’elles n’ont pas eu les retombées concrètes qu’elles auraient pu avoir. Nous avons tenté, dans un autre document (Fauroux, 2005), d’expliquer pourquoi les anthropologues étaient plutôt recrutés comme alibis et comment leurs recherches et recommandations n’ont finalement pas été vraiment perçues lors de l’élaboration des projets.
De 1975 à la fin des années 1980 : élaboration d’une recherche nationale
49La création tardive du département d’ethnologie à l’université d’Antananarivo explique en partie l’absence de chercheurs malgaches dans la discipline au début des années 1970. En outre, il faut se souvenir que les problématiques développées par les chercheurs de l’Orstom étaient le plus souvent formulées en termes marxistes militants. Les auteurs en vogue à l’époque étaient alors Rey, Meillassoux, Godelier ou Althusser. Ce n’était pas forcément contre-productif pour les progrès de la recherche car ces auteurs apportaient beaucoup d’idées nouvelles qui ont largement contribué à améliorer notre compréhension des phénomènes observés sur le terrain, notamment pour tout ce qui concerne la reproduction sociale. Mais cette orientation politique de la recherche vers une gauche rnilitante ne pouvait que déplaire à un gouvernement Tsiranana qui manifestait alors une véritable phobie anti-marxiste. La situation de la recherche anthropologique semblait donc bloquée. Avec les tensions grandissantes entre l’Orstom et les autorités malgaches, cette situation difficile s’est transformée en crise aiguë avec le départ des personnels Orstom en 197311.
50Les structures malgaches de recherche étaient dans un dénuement à peu près total. Sans aucune transition, les anciens techniciens assistants de l’Orstom se sont retrouvés « chercheurs » à part entière puisqu’ils n’avaient pas de rivaux sérieux parmi les nationaux. En fait, certaines collaborations ont continué entre quelques chercheurs partis en France et leurs anciens assistants : échange de lettres, conseils d’ordre professionnel, relecture des rapports de consultance, etc. J’ai pu, par exemple, en 1975, à l’époque où je soutenais ma thèse sur la société sakalava, obtenir quelques compléments d’informations sur ce sujet grâce à mon assistant de l’époque qui a pu repartir quelques jours sur le terrain avec les maigres crédits de recherche que je lui faisais parvenir depuis Paris.
51Quelques publications ont été alors effectuées en France par des chercheurs qui avaient travaillé à Madagascar avant 1972-1973 donnant la fausse impression que la vie de recherche continuait. L’ouvrage collectif marquant la fin des programmes de l’équipe Menabe est sorti en 1980 (Waast et al., 1980). Des soutenances de thèses, comme celles de Bernard Schlemmer (1983) et Suzanne Chazan (1987) ont eu lieu dans les années 1980 et de nombreux articles ont continué à sortir au début de la décennie 1980 issus des travaux de terrain antérieurs à 1972. C’est à partir de 1985-1986 avec les premières conventions de partenariat entre l’Orstom et le ministère de la Recherche scientifique et technique pour le développement (MRSTD), qu’une nouvelle dynamique allait se mettre en place. Grâce à celle-ci, sans l’avoir toujours clairement compris sur le moment, chercheurs malgaches et français ont fini par dépasser les ambiguïtés et les maladresses de la phase précédente.
52Un fait nouveau était que l’approche anthropologique, autrefois considérée comme vaguement utile, était devenue dans les années 1980 incontournable. De nombreux programmes de recherche comportaient une composante anthropologique, au moins au niveau des synthèses, même si l’effort collectif était systématiquement présenté comme « pluridisciplinaire ». Signalons parmi les conventions de recherche celles intitulées « Développement de l’élevage dans le Sud-Ouest malgache » à partir de 1984, « Urbanisation et systèmes de production en crise dans l’ensemble méridional de Madagascar » en 1988, puis « Déforestation et systèmes de production à Madagascar » (Despam), qui était initialement prévue pour être le complément « anthropologique » de la convention Gerem « Gestion des espaces ruraux et environnement à Madagascar » dont l’orientation était plutôt agronomique (Razanaka et al., 1999).
Le cas de l’ERA Tuléar
53Pour illustrer les modalités de cette nouvelle forme de coopération, nous prendrons le cas d’une expérience que nous connaissons bien qui est la constitution de l’Équipe de recherche associée (ERA) de Tuléar. (Lombard, 1987 ; Fauroux, 1987 a,b) Cette équipe de recherche, associant le Centre national de recherche sur l’environnement (CNRE) à l’Orstom, a été mise en place en même temps que se constituait un Centre universitaire régional (CUR), sorte d’embryon d’université locale. Vers 1985, beaucoup pensaient que l’installation d’un CUR à Tuléar, sans budget sérieux, relevait d’un optimisme proche de l’irresponsabilité. Pourtant, plusieurs filières avaient été prévues pour les sciences humaines (géographie, histoire, lettres malgaches, lettres françaises, philosophie). L’arrivée de l’ERA fut providentielle en ce sens qu’elle a permis au CUR de lancer des activités pour lesquelles il ne possédait pas de moyens budgétaires : stages de « formation à la recherche par la recherche », encadrement théorique, méthodologique et technique des étudiants en maîtrise, aide matérielle à la réalisation des mémoires de divers niveaux.
54Tous les ans, une douzaine, puis une vingtaine d’étudiants de diverses filières reçurent ainsi une formation et quelques subsides pour aller sur le terrain dans des petites équipes encadrées, avec une aide intellectuelle et technique significative. Au total, entre 1986 et 2005, ce sont environ 300 étudiants qui ont été formés au travail de recherche sur le terrain, une centaine d’entre eux ayant été encadrés jusqu’à la fin de leur mémoire s’habituant ainsi à travailler en équipes pluridisciplinaires. Une trentaine ont trouvé des emplois dans le développement ou dans la fonction publique régionale à des postes de responsabilité.
55Des séminaires se sont spontanément organisés chaque fois qu’une équipe revenait du terrain, suscitant des débats qui furent d’autant plus passionnants qu’ils n’avaient rien de formel et qu’ils permettaient des échanges sincères, souvent extrêmement animés. A l’apogée de l’ERA, entre 1990 et 1993, il y a eu un maximum de douze équipes fonctionnant simultanément sur une quinzaine de terrains différents dans l’ensemble méridional de Madagascar. On distinguait mal dans ces activités ce qui revenait au CUR, devenu depuis université de Tuléar, ou ce qui revenait à l’ERA, ce qui constitue sans doute la preuve d’une bonne coopération.
56Pour dresser un bilan de cette collaboration, mentionnons tout d’abord l’intérêt direct de localiser une recherche dans une région qui était alors sous-étudiée, sous-développée, sous-administrée et qui manquait de tout. Grâce à cette réflexion bien documentée, l’ouverture en direction du développement régional devenait à la fois plus opportune et plus facile à organiser dans cette zone qui constituait un célèbre « cimetière de projets » et qui était pourtant considérée comme hautement prioritaire dans tous les plans de développement. Ensuite, avec ses nombreux étudiants en formation, conduits à travailler sur le terrain, l’ERA est devenue une pépinière de responsables de haut niveau dans l’administration, y compris plusieurs ministres, dans l’enseignement ou dans les institutions travaillant pour le développement.
57D’un point de vue méthodologique, grâce aux « Unités d’observation permanente » (Fauroux, 1996), ont été collectées, regroupées, synthétisées et publiées de très nombreuses observations de terrain effectuées dans des zones mal connues, à un moment où la région subissait de graves difficultés économiques. Ces informations sont issues d’études effectuées avec une problématique pluridisciplinaire et une méthodologie commune, qui ont fini par devenir la méthode « Approche pluridisciplinaire d’une unité sociale », plus connue sous son sigle « A+ » (Fauroux, 2002). La réflexion menée à échelle macro-régionale s’est avérée très précieuse en éclairant des phénomènes qui seraient restés inintelligibles si on ne les avait considérés qu’à l’échelle micro-locale. Toujours dans le registre méthodologique, l’ERA a accumulé au fil des promotions d’étudiants et des collaborations entre chercheurs malgaches et français une expertise dans le domaine de l’endo-ethnologie (Andrianatrezafy, 1990 ; Rakotomalala, 1996). Sans l’avoir vraiment cherché initialement, l’ERA a donné une impulsion à l’endo-ethnologie en permettant à des Sakalava, des Bara, des Mahafale, des Masikoro, des Tandroy, etc., d’être parmi les premiers à avoir étudié leur propre ethnie. Au-delà des problèmes de forme et d’expression, la formation donnée dans le cadre de l’ERA a d’abord cherché à donner confiance à ces étudiants qui faisaient de l’endo-ethnologie sans le savoir, en les habituant à parler devant des auditoires toujours très intéressés ou encore en suscitant des débats autour de la description de phénomènes observés dans un autre groupe ethnique de la région.
Depuis les années 1990, une anthropologie foisonnante et appliquée
58L’anthropologie à Madagascar avait été lente à trouver sa voie, toujours mal à l’aise pour intervenir sur un monde rural de plus en plus en relation avec l’urbain, voire l’international, en un mot de plus en plus complexe, et qui avait pourtant de plus en plus besoin de son intervention. Elle était devenue l’observatrice muette du sous-développement et de ses criantes anomalies sans avoir les moyens d’améliorer les situations observées.
59Ce constat a beaucoup changé au cours des vingt dernières années. Tout semble se passer comme si, après de longues tergiversations, des hésitations et des contradictions, notamment, dans l’élaboration de méthodologies, l’anthropologie à Madagascar s’était « débloquée » et avait fait éclater une partie des barrages qui l’empêchaient de s’épanouir. Elle donne l’impression, depuis le début des années 1990, de tenter de rattraper le temps perdu. Cette tentative s’exprime par un véritable foisonnement d’idées, de réflexions, de retours sur des voies anciennes pour en tirer plus de leçons, d’explorations et de nouvelles voies. La discipline est arrivée à maturité, il ne lui manque plus, sans doute, que de mettre de l’ordre dans ce spectaculaire foisonnement.
Une recherche contrainte d’affiner ses méthodes
60Les chercheurs confrontés aux difficultés des terrains malgaches12 ont tous contribué, à leur niveau, à améliorer les méthodologies existantes qui, parfois, ne permettaient pas une approche réellement scientifique. Nous retiendrons ici deux types d’améliorations intervenues au cours des vingt dernières années qui nous paraissent très significatives : rendre de meilleure qualité les rapports enquêteurs/enquêtes pour obtenir une information plus fiable et dépasser le principe, souvent trop restrictif, de la monographie villageoise micro-localisée.
Améliorer la communication avec les enquêtes
61à Madagascar, les chercheurs de l’Orstom travaillaient pour la plupart en binôme avec un assistant-interprète parlant le dialecte local. à cause de l’importance des phénomènes migratoires, dans le Menabe ou le Sud-Ouest, par exemple, on trouve fréquemment quatre ou cinq dialectes parlés au sein d’une petite zone : le malgache officiel, le sakalava, l’antesaka, le tanosy (qui comprend lui-même plusieurs dialectes), le tandroy (il y a aussi plusieurs dialectes tandroy), etc. On peut légitimement considérer que l’effort nécessaire pour parler correctement ces dialectes est exorbitant compte tenu du fait que, pour des raisons administratives, les chercheurs avaient rarement l’occasion de travailler plus de cinq ans dans le même pays. Le recours à un interprète a pu apparaître dans de nombreux cas comme une solution de facilité à peu près acceptable. Certains chercheurs ont tenté de dépasser cette barrière linguistique en prenant exemple sur quelques remarquables précurseurs comme Noël Gueunier, de l’université de Strasbourg ou comme Paul Ottino qui, chaque fois qu’on le rencontrait, à Madagascar ou ailleurs, était en train d’apprendre avec avidité une nouvelle langue exotique. Plus récemment, Jean-François Baré à Nosy-Bé, Sophie Goedefroit (1998) à Mangily-Morondava ou Julien Mallet pour ses rencontres avec des musiciens ruraux, n’ont ou n’avaient besoin d’aucun interprète. Les équipes « A+ » qui ont travaillé aux environs de Tuléar ou de Morondava, avaient généralement dans leurs rangs, au moins un locuteur de chacun des dialectes parlés dans la zone étudiée et, nous l’avons noté à plusieurs reprises, au bout d’un certain temps, tout le monde se comprenait, même si tous n’étaient pas capables de s’exprimer dans chaque dialecte local.
62Au-delà des problèmes de langage, se pose celui de l’image de l’enquêteur véhiculée par l’enquêté. Pour ce dernier, en milieu rural, l’enquêteur est le plus communément perçu comme un étranger dont, au fond, il n’y a rien à attendre de positif. Lors de ses travaux de terrain sur la côte est, Gérard Althabe (1969), qui avait notamment une formation de psychologue social, avait tenté de résoudre ce problème de deux façons. Primo, avec le concept de « médiateur personnalisé », il recommande de ne commencer à enquêter vraiment qu’après avoir prouvé aux enquêtes qu’on appartient à la même communauté qu’eux, qu’on respecte toutes leurs règles de fonctionnement social. En s’intéressant tout particulièrement à leur « conscience verbale », on ne questionne pas l’enquêté, mais on écoute attentivement son discours sans diriger celui-ci par des questions trop précises qui ne peuvent que, en hachant le discours, le faire entrer dans la cohérence de l’enquêteur. Secundo, la réflexion sur les progrès de la pénétration de l’enquêteur dans la communauté de l’enquêté n’est pas considérée comme un simple problème de méthode, mais comme un problème de fond directement au cœur du sujet traité. Ainsi, les modalités de résistance à la pénétration intellectuelle de l’enquêteur donnent des informations de première importance sur la manière dont la société est organisée en profondeur. C’est aussi dans cette direction que la méthode « A+ » déjà mentionnée s’est orientée, en récusant les questions directes et en privilégiant l’observation directe des acteurs en situation (Fauroux, 2002).
Dépasser la monographie villageoise micro-localisée
63Pour de nombreuses raisons13, l’approche anthropologique a longtemps été très monographique, incitant le chercheur à passer plusieurs années dans le même village ou dans un petit nombre de villages voisins. Ce fut le cas de Gérard Roy dans le canton de Belazao, Emmanuel Fauroux à Ambohibary puis à Ambohidranandriana, Robert Cabanes à Itaosy, Roland Waast à Soalala, etc. Pour résoudre l’épineuse question de l’extrapolation des résultats, les chercheurs ont parfois pris en compte une petite région, comme l’ont fait Gérard Althabe avec la vallée Antemoro de la Mananara, Robert Cabanes avec la plaine de Tananarive, Emmanuel Fauroux avec la vallée de la Maharivo, etc.
64Dans les années 1980, les conditions offertes à l’ERA Tuléar ont permis de dépasser ce cadre monographique et d’opérer une petite révolution permettant de passer de la monographie micro-locale propre à l’anthropologie traditionnelle à une approche extensive, beaucoup moins classique, prenant en compte l’espace social dans sa pleine dimension. Par exemple, l’espace social d’un lignage sakalava et de ses alliés dépasse très largement le cadre villageois. De même, on ne peut, au niveau d’un simple village, comprendre les formes prises par le pouvoir d’un mpanarivo qui s’étend parfois sur plusieurs dizaines de villages. À la fin des années 1980, une douzaine d’équipes de jeunes chercheurs, pour la plupart en formation, ont donc travaillé sur une soixantaine de points choisis dans le sud, le sud-ouest et l’ouest de Madagascar. Cette approche spatiale extensive a permis de clarifier de nombreuses notions assez obscures jusqu’alors : la géographie des réseaux d’alliance, la mobilité de ces réseaux, la forme et les variations de forme des réseaux de clientèle, les isolats matrimoniaux, etc.
Une recherche qui se diversifie
65On peut dire qu’à partir des années 1990, on assiste à une embellie des sciences sociales et de l’anthropologie à Madagascar. Sans entrer dans des détails qui dépasseraient largement le cadre de ce travail, nous proposons de passer en revue ici les champs anciens revisités avec des approches souvent nouvelles et les champs nouveaux, parfois inspirés de problématiques mondialisées dépassant largement le cadre national.
66À l’époque de la « rupture », les anthropologues de l’Orstom à Madagascar avaient abordé plusieurs domaines où leur compétence était reconnue. Outre les avancées méthodologiques déjà signalées, quelques thèmes manifestaient une réelle vitalité. Ils n’étaient pas forcément organisés en axes réellement autonomes, mais tous les anthropologues, économistes et sociologues qui travaillaient à Madagascar avant 1972-1973 se sentaient concernés par eux. Ces thèmes ont été prolongés par la suite.
L’anthropologie économique
67Tout d’abord, l’axe « anthropologie économique » fut très productif. De nombreux chercheurs des sections « économie » et « sociologie » se considéraient eux-mêmes comme principalement anthropologues-économistes, certains géographes adoptant une position similaire. L’anthropologie économique apportait une idée nouvelle : dans les sociétés traditionnelles, on ne peut pas comprendre la sphère économique si on l’isole des autres. Comment comprendre par exemple, les stratégies « productives » d’un petit exploitant rizicole en pays sakalava, si on ne sait pas que, pour lui, le plus urgent est de se réconcilier avec ses ancêtres à l’égard desquels il a le sentiment de ne pas avoir accompli tous ses devoirs ? Les monographies villageoises ont abondamment prouvé l’intérêt de cette ouverture de l’anthropologie vers l’économie vue dans ses aspects « micro ».
68Les progrès en anthropologie économique ont conduit par la suite à définir un nouvel « axe pluridisciplinaire ». Les nombreux travaux de terrain réalisés, par exemple, dans le cadre de l’ERA Tuléar ont confirmé l’un des grands enseignements donnés par l’anthropologie économique : s’il ne faut pas isoler l’économie de l’anthropologie dans l’étude des sociétés traditionnelles, il ne faut pas isoler non plus l’agronomie, la géographie, l’histoire, etc. L’intérêt d’une démarche pluridisciplinaire est rapidement apparu évident à tous ceux qui étaient confrontés durablement à des terrains malgaches. L’ERA a délibérément formé ses stagiaires dans ce sens, notamment lors de ses « sessions de formation à la recherche par la recherche » qui furent ouvertes, d’abord, à toutes les disciplines de sciences humaines, y compris la philosophie, puis étendues à des disciplines naturalistes comme l’écologie, l’agronomie, la botanique ou la zoologie.
69D’autres recherches ont été menées dans une perspective pluridisciplinaire sur les ressources crevettières (Goedefroit et al., 2002) et sur les problèmes de développement à Madagascar (Goedefroit et Révéret, 2007).
L’anthropologie politique
70Ensuite, un axe « anthropologie politique », esquissé dans le sillage de Gérard Althabe, Jean-François Baré, Jacques Lombard et Gérard Roy, a ouvert la voie aux travaux ultérieurs sur les « structures micro-locales du pouvoir ». L’apport principal de cet axe a été de montrer que les divers types de décideurs villageois inscrivent leurs décisions dans le cadre de stratégies plus larges leur permettant soit de conserver le pouvoir dont ils disposent, soit de conquérir des bribes de pouvoir local dont ils ne disposent pas encore. On obtient ainsi un éclairage très révélateur sur le fonctionnement quotidien de ces sociétés villageoises. Comme nous l’avons déjà signalé, se placer sous cet angle permet de ramener l’extrême diversité apparente des situations locales à un nombre plus limité de situations très caractéristiques.
L’ethno-histoire
71L’axe « ethno-histoire » a, quant à lui, intéressé à des degrés divers à peu près tous les anthropologues de l’Orstom/IRD bien qu’il ne se soit pas constitué en thème vraiment autonome. Il est devenu incontournable car, bien évidemment, on ne peut comprendre une situation actuelle si l’on ignore tout de sa genèse, surtout dans une société où le souvenir du passé est l’une des clés du pouvoir. Le souvenir des bienfaits reçus peut être très vivace et durable, tandis, qu’inversement, de vieilles haines, héritées par exemple d’affaires de vols de bœufs mal réglées il y a cent ans, continuent aujourd’hui à dresser certains lignages, voire certains groupes ethniques, les uns contre les autres.
72Sur le modèle des travaux effectués par Françoise Raison-Jourde (1983), après Jacques Lombard (1988), Suzanne Chazan, Bernard Schlemmer et Emmanuel Fauroux, plusieurs travaux récents ou en cours ont contribué à faire progresser la réflexion ethno-historique. Citons par exemple les recherches de Emmanuel Fauroux sur les mpanarivo « chefs de guerre » dans la vallée du Maharivo au xixe siècle, et sur le Royaume sakalava « fantoche » de Mahabo sous domination merina ; sa description de la naissance d’une riziculture irriguée sakalava dès la seconde moitié du xixe siècle, quelques compléments sur des aspects peu connus du commerce d’esclaves sakalava entre l’Ouest et les Hautes Terres au temps du Royaume de Mahabo, l’ethno-histoire du Bemaraha et des divers groupes Vazimba peuplant cette région. Mentionnons les travaux de Klara Boyer Rossignol sur les Makoa, sous la direction de Faranirina Rajaonah à l’université Paris-VII. Des travaux d’ethno-histoire ont été poursuivis aussi aux Archives de la mission luthérienne de Stavanger en Norvège, sous la direction de Jeanne Dina et de Pietro Lupo, par des étudiants de Tuléar. Les principaux thèmes abordés concernent 1’evangelisation de l’Ouest, le statut des femmes sakalava ou encore les cultes sakalava traditionnels.
Autres axes, nouveaux champs
73Jacques Lombard fut le précurseur d’un axe « anthropologie visuelle » dont l’intérêt semble avoir augmenté avec le temps. Mentionnons aussi l’ouvrage de Goedefroit et Lombard (2007) sur l’histoire de la sculpture funéraire Sakalava. De même, un axe d’anthropologie religieuse, d’abord à peine esquissé autour de la description des phénomènes de possession tromba (Gérard Althabe, Jacques Lombard, Paul Ottino) s’est révélé par la suite particulièrement fécond. On peut inscrire dans cette lignée les travaux sur les phénomènes de possession de Jacques Lombard et Michèle Fiéloux, la perte d’influence des cérémonies ligna-gères en rapport avec la crise de l’élevage (thèse de Françoise Delcroix), les travaux sur les sectes et sur le culte du miroir de Lucile Dubourdieu.
74Ponctuellement, d’autres champs anthropologiques sont abordés. Citons par exemple l’ethno-linguistique qui fut abordée par Claire Rasoamalalavao et Botorabe Le Gros, puis par une thèse sur le dialecte mi-sakalava mi-merina parlé à Tsiandro dans le Bemaraha, sous la direction du professeur Roger-Bruno Rabenilaina. La composante « ethno-musicologie » est étudiée par Julien Mallet (2002) à Tuléar. Autour du Centre national de la recherche sur l’environnement, il existe un courant de recherche sur l’ethno-botanique, par exemple sur l’inventaire et l’utilisation des plantes médicinales dans la forêt des Mikea. Hélène André-Bigot s’est, quant à elle, intéressée aux « mathématiques naturelles » (Chemillier, 2007) pour comprendre certains aspects de la divination par les graines, très pratiquée à Madagascar et souvent peu intelligible pour le commun des observateurs.
75Fondamentalement, le principal apport de l’anthropologie, au début du xxie siècle, réside dans un souci d’application qui existait bien peu auparavant. On pense désormais que l’application fait partie du rôle social de l’anthropologue. Celui-ci ne doit plus être un spectateur muet, il lui appartient, désormais, comme aux autres chercheurs, de contribuer à améliorer le monde qui nous entoure, même dans des domaines où cette application était autrefois improbable. L’anthropologue est d’ailleurs de plus en plus sollicité pour des expertises et des consul-tances sur des opérations de développement. Ceci est particulièrement vrai pour la lutte contre la pauvreté ainsi que l’appui aux politiques de conservation des ressources naturelles qui sont devenus à Madagascar des thèmes centraux.
Conclusion
76À l’aube de la décennie 2010, la recherche anthropologique sur Madagascar a complètement changé de style et de perspectives depuis les années 1950-1960 où l’Orstom occupait une place prépondérante dans les dispositifs institutionnels. On peut même dire que, pendant ces années, les recherches effectuées dans le cadre de l’Orstom ont été quasiment les seules vraiment organisées autour de programmes solides, dotés de moyens budgétaires significatifs, mis en œuvre par des chercheurs qui avaient été sérieusement formés pour cette tâche. Les résultats des travaux lancés à cette époque sont importants et souvent précurseurs (Lavondès, 1967 ; Ottino, 1963). Henri Lavondès, Paul Ottino et Jean-Pierre Trouchaud ont été les premiers anthropologues du développement impliqués dans de grands projets même si les responsables de ces derniers n’ont pas toujours su profiter de l’extrême finesse de leurs analyses. Gérard Althabe (1969), Paul Ottino (1974 ; 1998) et Jean-François Baré (1977) ont fait réaliser à la science anthropologique des progrès significatifs à partir de l’expérience, pratique et théorique, qu’ils ont accumulée sur des terrains malgaches. Les nombreux « jeunes chercheurs » affectés à Madagascar dans les années 1960 et au début des années 1970 ont réussi de belles carrières d’anthropologues. Tous s’accordent à dire que leur expérience des terrains malgaches a joué un rôle décisif dans leur formation. Sur ces terrains véritablement semés d’embûches, ils ont découvert que l’anthropologie n’était pas tout à fait une science comme les autres à cause des interférences enquêteurs/enquêtés qui posaient de multiples problèmes.
77Pour des raisons historiques, liées à la situation coloniale, la recherche anthropologique sur Madagascar s’est longtemps privée de ce qui deviendra l’un de ses meilleurs atouts : l’endo-ethnologie. Sans que personne n’ait vraiment souhaité cette situation, il est certain qu’au début des années 1970, l’ambiance de recherche qui régnait à l’Orstom à Madagascar ne s’était pas affranchie des pratiques issues de la récente époque coloniale. Comme acteurs directs, les Malgaches jouaient le rôle de simples assistants et ils n’intervenaient pratiquement ni au niveau de la conception des programmes, ni à celui du contrôle de leur réalisation.
78Après un vide scientifique d’une quinzaine d’années, à la suite de la rupture de 1972-1973, les nouvelles modalités de collaboration entre chercheurs malgaches et chercheurs français, issus ou non de l’Orstom/IRD, ont pu se montrer plus fécondes. Jusqu’à aujourd’hui, elles s’appuient sur un dispositif de formation des jeunes chercheurs, malgaches mais aussi étrangers, notamment dans leur travail de terrain, selon le principe de l’« apprentissage de la recherche par la recherche ». La question de l’application de ces recherches n’est plus tabou, elle demeure même très valorisée. C’est pourquoi des thématiques émergentes ou ré-émergentes comme l’anthropologie de la gestion des ressources naturelles, du développement, du foncier ou de la santé ont toutes les chances de devenir de plus en plus importantes dans le futur.
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Notes de bas de page
1 Enseignement oral transmis par les ancêtres.
2 « Patron », personne localement influente, puissante et riche. Il est souvent propriétaire de grands troupeaux de bœufs et contrôle de vastes réseaux de clientèle.
3 Sorte de malédiction qui frappe une personne ayant contrevenu à l’enseignement des ancêtres ou l’un quelconque des membres de son lignage, ou son lignage en entier, quelques instants ou plusieurs semaines après qu’une faute ait été commise.
4 Étranger.
5 Président de 1959 à 1972.
6 Un tract considéré comme subversif aurait été tapé sur une machine à écrire appartenant à l’Orstom. L’épisode est relaté dans l’ouvrage édité par Charmes (1997).
7 Ces dates constituent un repère approximatif.
8 Parmi lesquelles les travaux de Decary sur l’Androy et de Faublée sur les Bara.
9 J’en fis partie de 1967 à 1969.
10 Le titre de ma thèse en sciences économiques soutenue à l’université Paris-X Nanterre en 1975 était : « La formation sociale sakalava dans les rapports marchands ou l’Histoire d’une articulation ratée » (Fauroux, 1975). Ce titre était alors parfaitement clair, ce qui n’est sans doute plus le cas aujourd’hui.
11 Voir le chapitre 3.
12 Ces difficultés, saillantes en milieu rural malgache, ont été évidemment aussi l’objet d’une réflexion plus générale, à la fois théorique et dans d’autres pays.
13 Parmi ces raisons : la longueur du temps nécessaire pour acquérir la confiance de la population enquêtée, la lenteur de certaines techniques indispensables comme l’établissement de généalogies détaillées, la construction d’un inventaire foncier précis.
Auteur
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