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Introduction

Le développement de la recherche à Madagascar

p. 9-14


Texte intégral

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Carte générale de Madagascar

1Depuis la Seconde Guerre mondiale qui a vu se structurer le système de recherche français, les questions autour du rôle et des modalités de la recherche pour le développement se posent de manière récurrente. Les réponses apportées ont été très diverses dans la mesure où la notion de développement n’a cessé d’évoluer au fil des décennies et aussi du fait des changements profonds intervenus dans les relations entre pays du Nord et pays du Sud.

2Pour le cinquantenaire de l’Orstom, un colloque d’une semaine s’est tenu à l’Unesco en septembre 1994 pour aborder la thématique des « Sciences hors d’occident au xxe siècle », dont les actes ont été publiés en sept volumes (Waast, 1995-1996). Balandier (1995 : 12) opérait à cette occasion une distinction entre les « sciences du développement » et « la science dans les pays en développement ». Si les premières se définissent comme des « complexes de connaissances qui contribuent à mieux appréhender les phénomènes accomplissant le développement », la seconde a trait à une « production de connaissances, à leur accroissement qui multiplie les possibles, les possibilités d’intervention dans tous les domaines constitutifs du réel, naturel et humain ».

3Cette distinction se retrouve dans l’analyse de Petit jean (1996) qui nous rappelle que la construction de la science est la résultante des deux dynamiques que sont la mondialisation de la science et la constitution de dynamiques scientifiques locales. La frontière entre ces deux mouvements n’est pas bien délimitée, notamment dans le cas des pays du Sud où, si la science est aujourd’hui « partagée », elle a, à ses débuts, été partiellement « transférée », puisqu’elle était liée à l’histoire des colonisations (Balandier, 1995).

Création de l’Orstom

4La création de l’Orstom en 1944 va permettre l’institutionnalisation de la recherche sur et dans les pays en développement. Pour la première fois, des chercheurs spécialistes vont remplacer les savants explorateurs, voyageurs, militaires ou administrateurs qui jusque-là avaient apporté les connaissances sur ces pays lointains. Ceci s’est fait après d’âpres débats, liés à des enjeux scientifiques, institutionnels et politiques (Bonneuil et Petitjean, 1996). Comme le mentionne Gleizes (1985 : 1) : « Alors qu’on a facilement admis d’identifier une recherche spatiale, océanologique ou médicale, il paraissait qu’on dût concevoir avec la plus grande difficulté une recherche outre-mer – puis une recherche pour le développement en coopération – bien qu’elle se caractérisât tout autant par son sujet et par sa démarche ».

5Les premières missions de l’Orstom furent alors de dresser des inventaires des sols, de la faune, de la flore, des ressources en eau, etc. Beaucoup de territoires à cette époque n’avaient en effet jamais fait l’objet d’investigations scientifiques. Une deuxième époque dans l’histoire de l’Institut couvre la période des Indépendances africaines et malgache, tandis que depuis les années 1980, une nouvelle politique de coopération scientifique est mise en place qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui (Sabrié, 1996).

La recherche scientifique à Madagascar

6Dans ce dispositif de recherche, l’Orstom occupait donc une place originale de par son objet d’étude et de par les modalités de travail de ses chercheurs. Ceux-ci étaient affectés dans les pays du Sud pour des périodes de deux à trois ans, parfois renouvelables. Madagascar joua un rôle précurseur dans cette nouvelle forme de recherche puisque l’IRSM, Institut de recherche scientifique de Madagascar, dépendant de l’Orstom, fut créé dès 1946. Ses infrastructures furent installées en 1947 dans le fameux Parc botanique et zoologique de Tsimbazaza, à Antananarivo, reprenant ainsi la gestion de ce parc créé en 1925 et dirigé depuis par divers administrateurs. L’IRSM allait alors s’atteler à dépasser les études techniques floristiques entreprises depuis vingt ans dans ce parc pour passer au stade d’une recherche plus théorique (Mollet et Allorge-Boiteau, 2000).

7Le paysage de la recherche à Madagascar n’était donc pas complètement vierge même si cette recherche était fort parcellisée. Ainsi, furent créés l’Institut Pasteur en 1898, l’Académie malgache en 1902, la plus ancienne des pays du Sud, le Service géologique en 1912 et le jardin de Tsimbazaza en 1925 (Roederer, 1990). Mais c’est véritablement avec la création de l’IRSM que la recherche au sens moderne s’installe à Madagascar. Au bout de trois ans d’existence de l’IRSM, Paulian (1950) dresse un premier bilan des résultats acquis. Ceux-ci le sont dans les domaines de l’étude des sols, des insectes pathogènes, des insectes nuisibles aux cultures et aux constructions, des études générales de la faune et de la flore, de la phytochimie et de l’océanographie.

8Au fil des ans, les effectifs de l’IRSM, devenu centre Orstom en 1963, augmentent pour atteindre plus de cinquante chercheurs affectés au début des années 1970. Une large partie de cette recherche se fait véritablement in situ puisqu’à la fin des années 1960, le directeur du Centre note que chaque chercheur effectue en moyenne 110 jours de terrain dans le pays (Roederer, 1969).

9Dans les années 1960, d’autres structures de recherche se mettent en place à Madagascar. Une université est créée en 1960 à Antananarivo financée par la France et dirigée par des universitaires français. Le gouvernement malgache focalise sa politique de recherche sur les questions agricoles et réfléchit à la définition d’une politique scientifique nationale avec l’appui des Nations unies (Hemptinne et Lignac, 1967 ; Ariès, 1969).

10L’achèvement du processus de décolonisation aboutira à une remise à plat du système de la recherche nationale et à quelques exceptions près, notamment en hydrologie, à la quasi-disparition progressive des programmes de recherche de l’Orstom à partir des années 1972-1973. Devant faire face à un afflux massif d’étudiants dans les années 1970-1980, les universitaires malgaches doivent alors se concentrer sur les taches pédagogiques et administratives, délaissant ainsi la recherche. Ceci est conforté après la politique d’ajustement structurel qui gèle le recrutement des enseignants à partir de 1986 (Cabanes, 2000). En outre, l’expertise apporte des compléments de revenus plus substantiels que les activités de recherche, peu valorisées dans le déroulement des carrières universitaires.

11Durant cette même période, le gouvernement malgache crée une série d’instituts de recherche spécialisés (Centre national de recherches sur l’environnement – CNRE, Centre national de recherches océanographiques – CNRO, Centre d’information et de documentation scientifique et technique – CIDST, etc.). Une tradition scientifique ancienne, des chercheurs de bon niveau, un ministère spécifique, des structures de recherche existantes, la participation à des collaborations et réseaux internationaux, sont selon Roederer (1990) les points forts de la recherche malgache à la fin des années 1980.

12La redéfinition du paysage de la recherche malgache est passée par de nouvelles formes de partenariat avec les chercheurs étrangers. Dans le cas de l’Orstom, de nouveaux accords de coopération sont signés en 1986 et les chercheurs français sont désormais affectés dans des structures opérationnelles malgaches, réalisant des programmes de recherche conjoints. Devenu IRD en 1997, l’Institut continue jusqu’à maintenant de pratiquer ce type de partenariat dans le cadre de programmes-cadres, définis tous les deux ans, avec le ministère de la Recherche malgache.

Présentation de l’ouvrage

13C’est ce parcours de plus de soixante ans de recherche à Madagascar qui est évoqué dans cet ouvrage à travers l’expérience de l’Orstom/IRD et de ses partenaires. Auparavant, des fragments d’histoire de l’Orstom ont bien été livrés à plusieurs reprises, lors d’essais individuels (Gleizes, 1985) ou collectifs (Waast, 1995-1996). Il existe aussi des recueils de « témoignages de terrain » de la part des « Orstomiens » (Charmes, 1994) ou des recueils de souvenirs personnels consacrés à un pan de la recherche (Roederer, 1998). Lors du cinquantenaire de l’Orstom, un « dictionnaire de 50 années de recherche pour le développement » faisait le point sur les avancées scientifiques dans un certain nombre de domaines (Sabrié, 1994). Mais, à notre connaissance, aucune tentative systématique d’une histoire générale de l’Orstom/IRD ni même dans un pays ou continent particulier n’a été proposée à ce jour.

14C’est dans cette perspective que s’inscrit notre démarche avant qu’il ne soit trop tard. Comme indiqué précédemment, l’Orstom ayant connu une histoire mouvementée à Madagascar avec une absence de l’Institut de 1974 à 1985, les auteurs des différents chapitres de cet ouvrage y ont pour la plupart vécu cinq ou six années durant la période 1960-1973 et ont connu ensuite la période post-1985, qui marque un tournant pour un véritable partenariat de recherche. Malgré la remarquable base Horizons de l’IRD qui recense et met à disposition les publications Orstom-IRD, il existe toute une littérature grise faite de rapports de terrain, de publications dans des revues malgaches ou étrangères, des mémoires et des thèses dont l’existence et les conclusions pourraient tomber dans l’oubli sans leur mention dans les différents chapitres.

15L’opportunité ainsi saisie fait que l’ouvrage proposé n’est pas issu de compétences d’historiens ni d’épistémologues des sciences. Ces parcours de recherche, s’ils ne sont pas une histoire scientifique stricto sensu, n’en sont pas pour autant des témoignages personnels ni des récits de vie. Ils sont avant tout des visions de chercheurs sur l’évolution de leur discipline, à Madagascar mais aussi dans le contexte scientifique plus général. Les auteurs de cet ouvrage sont des Orstomiens/Irdiens mais aussi, pour la grande majorité des chapitres, des chercheurs malgaches qui ont contribué à cette aventure scientifique.

16Dans un premier temps, trois chapitres dressent l’état institutionnel et l’organisation de la recherche à Madagascar. Un premier chapitre présente le Fonds Grandidier, recueil quasi systématique de toute la littérature et de toutes les connaissances scientifiques accumulées jusqu’à la fin du xixe siècle, somme considérable ayant permis, et permettant toujours, aux chercheurs de se documenter dans les domaines étudiés. Dans un deuxième chapitre, l’institutionnalisation et la politique de la recherche menées par les pouvoirs publics malgaches depuis l’Indépendance sont retracées. Il sera question des liens organiques entre la science et la politique de manière plus générale. Le troisième chapitre est consacré à l’histoire institutionnelle de l’IRSM et de l’Orstom/IRO, mettant en parallèle la politique française de recherche coloniale et outre-mer avec les composantes spécifiques à Madagascar. Ce sera l’occasion de mettre en exergue les aspects universels de la science et ceux liés aux contingences locales.

17Dans un second temps, l’ouvrage comprend des chapitres qui retracent les chemins parcourus par les disciplines en resituant ces dernières dans un contexte scientifique plus large mais aussi en montrant les spécificités et les voies originales qu’elles ont pu développer à Madagascar. Au-delà de l’évolution des thématiques, des résultats et des découvertes, ce sont aussi les pratiques de recherche ainsi que les modalités de collaboration entre les chercheurs malgaches et ceux de la coopération française qui sont relatées ici. Il est notamment intéressant de suivre la transformation d’un système de recherche issu de la colonisation et tourné vers les inventaires en un système moderne reposant sur des structures institutionnelles nationales et sur des conventions de recherche internationales menées en partenariat. Au total, l’ensemble des chapitres indique, si cela était encore nécessaire, combien la science et la recherche ne peuvent être dissociées des conditions historiques et politiques des sociétés dans lesquelles elles s’insèrent.

18En fonction des disciplines, l’accent pourra être mis sur une période ou une autre, particulièrement importante. Telle discipline pourra avoir connu ses heures de gloire et ses grandes découvertes dans les années 1960, tandis que telle autre pourra n’être apparue que dans les années 1980-1990.

19Le découpage adopté au sein des chapitres reste le plus souvent chronologique, la recherche à Madagascar étant ponctuée assez clairement, pour des raisons historiques et politiques, par une série d’événements et de périodes bien identifiés : avant la colonisation, pendant la colonisation, apparition de l’Orstom, départ de l’Orstom, prise en main par les structures nationales, période d’ouverture et de collaboration.

20L’approche retenue n’est pas celle de l’exhaustivité, seuls les articles, ouvrages, documents et résultats majeurs sont commentés et la bibliographie dans les chapitres ne regroupe pas l’ensemble des publications. Ce travail complémentaire, visant davantage à l’exhaustivité, est présenté sous forme d’un DVD-Rom en exergue de l’ouvrage.

21Les connaissances factuelles apportées par cet ouvrage de synthèse pourront évidemment être mises à profit par l’ensemble de la communauté des décideurs, experts et acteurs du développement à Madagascar. De surcroît, nous souhaitons que cette initiative puisse servir de point de départ à une extension, voire une généralisation, de la démarche dans d’autres pays ou encore de manière transversale à l’histoire d’une discipline ou d’un champ de recherche sur le long terme, celui de l’existence de l’Orstom/IRD.

Bibliographie

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Bibliographie

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1996 – « Les chemins de la création de l’Orstom du Front populaire à la Libération en passant par Vichy, 1936-1945. Recherche scientifique et politique coloniale ». In Petitjean P. (éd.) : Les sciences hors d’Occident au xxe siècle, vol. II, Orstom Éditions : 113-161.

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1985 – Un regard sur l’Orstom 1943-1983. Paris, Orstom, 122 p.

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1967 – Politique scientifique et développement national à Madagascar.

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1990 – La recherche scientifique à Madagascar : passé, présent, avenir. Madagascar océan Indien, 4 : 99-110.

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1998 – 20 000 lieues sur les mers. Paris, Orstom, 115 p.

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1994 – Sciences au Sud. Dictionnaire de 50 années de recherche pour le développement. Paris, Orstom, 167 p.

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1996 – « Histoire des principes de programmation scientifique à l’Orstom (1944-1994) ». In Petitjean P. (éd.) : Les sciences hors d’Occident au xxe siècle, vol. II, Orstom Éditions : 223-234.

Waast R. (éd.)

1995-1996 – Les sciences hors d’Occident au xxe siècle, Orstom Éditions, 7 volumes.

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