Introduction. Mil, démographie et sécurité alimentaire au Niger
Introduction. Pearl millet, demography and food security in Niger
p. 15-30
Résumés
Le mil est la céréale la mieux adaptée aux zones semi-arides et arides. Il constitue toujours, avec le sorgho, la base de l’alimentation et la plante de civilisation incontournable des populations du Sahel. Cependant les populations sahéliennes, dont la croissance démographique dépasse les 3 % par an, sont déjà pour la plupart en situation d’insécurité alimentaire chronique. C’est le cas en particulier au Niger, où le déficit tendanciel de la production nationale est aujourd’hui de l’ordre de 20 %. Les besoins de la population nigérienne vont être multipliés par 2 d’ici à 2020, et par 4 ou 5 à l’horizon 2050. Le rythme actuel de croissance de la production nationale de céréales, constituée à 80 % de mil, est beaucoup trop faible pour faire face à ces besoins. Une augmentation rapide des rendements et une réduction de la croissance démographique apparaissent plus que jamais nécessaires pour éviter un recours de plus en plus important aux importations de céréales et à l’aide alimentaire.
Millet is the cereal best adapted to arid and semi-arid zones. It still constitutes, along with sorghum, the staple food of the diet of Sahelian populations, for whom it remains an uncontested plant of civilisation. However, with a demographic growth of over 3 percent a year, most Sahelian populations are today in a state of chronic food shortage. This is the case in Niger, where the trend in national cereal production is a deficit of about 20 percent. The cereal needs of Niger population will double between now and the year 2020, and by the year 2050 will have grown by 4 or 5 times. At current rates, the national production of cereals, 80 percent of which is millet, is far too low to cover these needs. Rapid increase of yields and a deceleration of demographic growth are more than ever necessary to avoid massive recourse to food imports and to food aid.
Entrées d’index
Mots-clés : besoins alimentaires, sécurité alimentaire
Keywords : pearl millet, Niger, food needs, food security
Texte intégral
1Les recherches sur la diversité, la conservation et la valorisation des ressources génétiques des mils doivent être à l’évidence replacées dans un contexte plus large que celui de la recherche génétique. En effet, le mil est cultivé exclusivement dans des zones semi-arides et arides et dans des régions et pays pauvres, à forte croissance démographique, qui sont pour la plupart en situation d’insécurité alimentaire chronique. De ce fait, le mil et ses diverses variétés se trouvent au centre d’enjeux planétaires importants tels que le réchauffement de la planète, la faim dans le monde, l’aide alimentaire et l’aide au développement, et le développement même des pays les moins avancés.
2Si le réchauffement annoncé de la planète devait s’accompagner d’une extension majeure des zones semi-arides et arides, ainsi que plusieurs modèles le prédisent, le mil pourrait bien devenir l’un des instruments majeurs de la lutte contre la sécheresse. Tout d’abord, sa zone de culture pourrait s’étendre de manière importante. Ensuite, les caractéristiques génétiques des mils pourraient bien s’avérer utilisables dans le monde entier dans le cadre de programmes d’amélioration. A ce sujet, A. Cornet note que « les études récentes ont montré l’importance des ressources génétiques que constituent les variétés traditionnelles de mil et les espèces sauvages apparentées dans la zone sahélienne » (Cornet, 2002).
3Par ailleurs, le mil, avec le sorgho, constitue toujours la base de l’alimentation des populations du Sahel. Le mil, encore plus que le sorgho, est effectivement la seule céréale adaptée aux conditions climatiques difficiles et aux sols pauvres qui prévalent dans le Sahel. Ainsi, bon an mal an, avec des techniques de cultures traditionnelles, la récolte de mil et celle de sorgho satisfont de manière plus ou moins adéquate les besoins alimentaires de plusieurs dizaines de millions de personnes. La récolte se joue de manière quasi aléatoire pendant les trois à quatre mois (de juin-juillet à septembre-octobre) de la courte saison des pluies. La « bonne récolte » dépend à la fois de la date de la première et de la dernière pluie, mais aussi de l’espacement et de l’intensité des pluies, qui ne doivent être ni trop espacées, ni trop rapprochées, ni trop fortes, ni insignifiantes. Problème de répartition des pluies dans le temps et dans l’espace.
4La grande variabilité de ces paramètres peut conduire à des récoltes allant du simple au double. Cette variabilité pose aussi le problème de la disponibilité et de l’accès aux diverses semences de mil les mieux adaptées aux conditions particulières d’une région, voire d’une année donnée, recherchées par les paysans – mils tardifs, hâtifs, qualités gustatives, aptitude à la transformation...
5Les grandes sécheresses et les pénuries alimentaires graves qu’ont connues les pays du Sahel en 1973-1974, puis en 1984, ont conduit ces pays à mettre en place des systèmes d’alerte précoce destinés à anticiper et à éviter la répétition de telles pénuries. Grâce à la constitution de stocks mobilisables en cas de besoins, à l’importation de céréales et au recours à l’aide alimentaire, ces systèmes ont effectivement permis au cours des vingt dernières années d’éviter, au moins au niveau national, la répétition de situations de graves pénuries alimentaires. Toutefois, ces systèmes n’ont pas vocation à imaginer et à mettre en place sur le moyen et le long terme des mécanismes d’ajustement de l’offre à la demande de céréales en fonction des aléas climatiques et de la forte croissance démographique des pays concernés.
6Cette communication souligne d’abord l’importance du mil, en tant que céréale. Elle met ensuite en évidence la place majeure qu’il occupe dans l’alimentation des populations nigériennes. Elle s’efforce enfin d’identifier et de mettre en évidence l’importance des enjeux agricoles et de la sécurité alimentaire associés à l’avenir de la culture du mil dans les prochaines décennies au Niger.
Le mil et le sorgho, l’un des six régimes alimentaires de la planète
7Les régimes alimentaires dans le monde sont le résultat de facteurs très divers, tels que les ressources naturelles, l’histoire, la culture, le niveau de développement. A l’occasion du Sommet mondial de l’alimentation de 1996, une analyse en composantes principales de l’ensemble des consommations par jour et par habitant des 151 pays pour lesquels la FAO disposait d’informations a permis de montrer comment s’opposent principalement les régimes alimentaires dans le monde (Collomb, 1999). On a pu ainsi définir à partir d’une « classification ascendante hiérarchique » pour 119 pays, six classes correspondant à autant de régimes auxquels on a donné le nom de l’aliment apportant la plus grande partie de l’énergie alimentaire du régime.
8Ces classes sont évidemment de tailles inégales, mais il est important de noter que « Mil, millet et sorgho » constituent une classe distincte qui concerne, avec la méthode utilisée, cinq pays : le Burkina Faso, le Mali, la Namibie, le Niger et le Soudan, tous situés en Afrique subsaharienne (tabl. I). Une autre des classes identifiées, la classe « Lait, viandes, blé », regroupe 27 pays dont le régime alimentaire est en quelque sorte « mixte », puisqu’il est basé sur des consommations importantes de produits d’origine animale (laitages et viande) et de produits à base de blé. Les pays concernés sont pratiquement tous classés parmi les pays dits développés. Trois autres régimes sont basés sur la consommation principale de céréales : le riz (16 pays), le maïs (25 pays) et le blé (25 pays). Pour l’Afrique subsaharienne, la source principale d’énergie alimentaire est le riz pour deux pays (le Sénégal et la Sierra Leone), le maïs pour six pays (Afrique du Sud, Kenya, Lesotho, Malawi, Maurice, Zimbabwe), et le blé pour quatre pays (Botswana, Éthiopie, Mauritanie, Somalie). La dernière classe est constituée des pays où les racines et tubercules (manioc, igname, tarot, plantain) constituent la source principale d’énergie alimentaire des populations. Elle concerne 21 pays, tous situés en Afrique subsaharienne (à l’exception d’Haïti), comme c’est le cas pour la classe « Mil, millet, sorgho ».
9En réalité, nombre de pays d’Afrique subsaharienne comprennent, à côté de zones humides, d’importantes zones semi-arides et arides où domine la culture du mil et du sorgho (Nigeria, Tchad, Côte-d’Ivoire, etc.). C’est pourquoi la consommation de mil et de sorgho concerne davantage de pays que les cinq pays classés dans la classe « Mil, millet, sorgho ». Dans les parties sahéliennes ou soudano-sahéliennes des pays d’Afrique de l’Ouest, le mil et le sorgho constituent effectivement la base principale de l’alimentation des populations concernées. Il en va de même dans certaines régions d’Afrique australe, et dans le nord de l’Inde. Compte tenu de ces éléments, on peut estimer à quelque 200 millions le nombre de personnes pour qui le mil et le sorgho constituent la source principale d’énergie alimentaire.
10Comme le note P. Collomb, les classes de la typologie qui viennent d’être décrites « correspondent à peu de choses près aux grandes plantes de civilisation du monde : riz, blé, maïs, mil (auquel on peut ajouter le millet et le sorgho), manioc (auquel on peut ajouter l’igname et le taro) » (Collomb, 1999). Certes, dans de nombreux pays, il est possible de cultiver plusieurs céréales, et c’est souvent le cas. Mais compte tenu des conditions climatiques, des sols et des techniques utilisées, il est difficile d’envisager à terme par exemple de remplacer la culture du mil et du sorgho par celle du maïs ou du blé. Ainsi, au Niger le blé n’est cultivé que dans les oasis du nord du pays, et le maïs ne peut guère être cultivé que sur l’infime portion située dans le sud du territoire, 1 %, en zone soudano-sahélienne.
Le mil, une spéculation incontournable
11Le mil doit donc être considéré comme une plante de civilisation associée au Sahel et à l’histoire de ses divers empires (empires du Ghana, du Mali, de Gao, etc.). Il constitue toujours avec le sorgho, à quelques rares exceptions près, la base de l’alimentation et la source principale d’énergie alimentaire des populations du Sahel. Au Niger, selon une enquête réalisée en 1992-1994, les céréales (essentiellement le mil et le sorgho) constituaient 71 % du bilan calorique journalier, contre 4 % pour les produits d’origine animale, 2 % pour les autres produits agricoles, 4 % pour les huiles, les 19 % restants étant constitués de produits divers.
12En milieu urbain cependant, le mil et le sorgho sont de plus en plus concurrencés par d’autres céréales : le maïs et le riz en particulier, qui sont généralement importés ou proviennent de l’aide alimentaire. En fait, compte tenu de l’insuffisance récurrente au niveau local de la production par rapport aux besoins, chaque région produit avant tout pour satisfaire ses besoins propres, et seulement une faible proportion de la production céréalière nationale est commercialisée.
13Certes, il existe des marchés de céréales plus ou moins importants dans toutes les régions du Niger, mais les difficultés de transport et de communications, et la constitution de stocks au niveau local pour se prémunir des mauvaises années limitent les échanges des régions excédentaires vers les régions déficitaires et vers les villes.
14L’ensemble de ces facteurs concourt à un renchérissement du mil en milieu urbain, notamment pendant la période de soudure (approximativement d’avril à septembre) où le prix du sac de mil peut atteindre plus du double du prix pratiqué après la récolte (octobre à janvier). Ainsi, en mai 2003 à Niamey, le prix du sac de mil de 100 kg, qui couvre les besoins d’une famille de 10 personnes pendant deux semaines, était de l’ordre de 20 000 FCFA. Il convient d’ajouter à ce prix 2 000 à 2 500 FCFA pour le conditionnement (retirer le son) et 1 500 à 2 000 FCFA pour la transformation en farine (qui est ensuite consommée sous forme de boule de mil, en bouillie ou en semoule), ce qui donne un coût total de 24 000 FCFA pour une famille de 10 personnes pendant deux semaines. En comparaison, la satisfaction des mêmes besoins à partir du riz ou du maïs revenait à environ 14 000 FCFA, soit 40 % de moins. Si le mil garde la préférence des consommateurs (le mil est réputé « donner plus de force », et « la meilleure épouse est celle qui sait bien préparer la boule de mil »), de tels écarts de prix favorisent un glissement des habitudes alimentaires du mil vers le maïs et le riz importés, et sont de nature à conduire à une dépendance accrue envers les importations et l’aide alimentaire pour la nourriture des populations urbaines. Ce glissement de la consommation urbaine vers des céréales importées, qui est déjà amorcé, constitue un obstacle à l’organisation de la filière mil pour laquelle le marché urbain représente un marché important. Cette situation est d’autant plus préoccupante qu’elle s’inscrit dans un contexte de diminution des rendements et d’écarts croissants entre la production nationale de céréales et les besoins.
15Au niveau national, les données disponibles depuis 1953 sur les superficies, la production et les rendements pour le mil, le sorgho, le maïs, le riz, le niébé et l’arachide, confirment la domination du mil par rapport aux autres spéculations, et en particulier par rapport aux autres céréales (Séries Longues, édition 1991, et rapports annuels du ministère de l’Agriculture et de l’Élevage). En effet depuis les début des années 50, le mil occupe environ les deux tiers du total des superficies cultivées, contre 20 à 30 % pour le sorgho, et moins de 1 % pour le maïs et le riz (tabl. II). Par ailleurs, au cours des années quatre-vingt-dix, la production de mil a représenté plus de 80 % de la production céréalière totale du Niger, et celle de sorgho 18 %, confirmant à nouveau la domination sans partage de ces deux céréales. Mais les données disponibles depuis 1953, mettent également en évidence un autre phénomène important : l’augmentation rapide de l’ensemble des surfaces cultivées afin d’accroître la production pour faire face aux besoins alimentaires croissants d’une population en forte expansion. Entre 1955-1959 et 1995-1999 les surfaces cultivées ont été ainsi multipliées par 3,5 (et par 3,8 pour les superficies cultivées en mil), et à la fin des années 90, l’ensemble des superficies cultivées représentait près de la moitié des 15 millions d’hectares cultivables du pays (sous cultures pluviales), contre 14 % à la fin des années 50 (tabl. II).
16Pour le mil, depuis le début des années 50, les superficies cultivées et la production ont été, en gros, multipliées par quatre (fig. 1a et 1b).
17Cependant l’augmentation annuelle moyenne de la production est restée sensiblement inférieure à celle trouvée pour les superficies emblavées : 3,05 % contre 3,37 % si l’on compare les périodes 1955-1959 et 1995-1999. Cette évolution correspond à une baisse des rendements qui, de plus de 400 kg/ha à la fin des années 50 et au cours des années 60 (sauf en 1968), sont ensuite durablement tombés au-dessous des 400 kg/ha (4 années sur 10 au cours des années 70, 3 années sur 10 au cours des années 80, et 7 années sur 10 au cours des années 90) (fig. 1c). Au total, l’ajustement que l’on peut faire des données annuelles suggère que le rendement moyen du mil serait passé d’environ 430 kg/ha dans les années 60, à quelques 350 kg/ha à la fin des années 90, en dépit des meilleurs rendements, dus à une bonne pluviométrie, enregistrés en 1998 et en 1999.
18Pourtant, des rendements de l’ordre de 1 000 à 1 500 kg/ha peuvent être obtenus sans trop de difficultés pour le mil par une application judicieuse de la fumure d’origine animale. Élément de consolation si on peut dire, la diminution des rendements à l’hectare observée pour le mil reste modeste comparée à celle observée pour le sorgho. Pour le sorgho en effet, alors que depuis 1953, les superficies cultivées ont été multipliées par plus de 4, la production elle, n’a augmenté que de 30 %, ce qui s’est traduit par une baisse spectaculaire des rendements qui ont été divisés par 3. Cette baisse, marquée par de fortes variations annuelles, est la conséquence entre autres des exigences pédohydriques, de la moindre résistance (par rapport au mil) du sorgho à la sécheresse, et du peu d’intérêt de nombre d’agriculteurs nigériens pour le sorgho, qu’ils plantent dans une optique de minimisation des risques, le mil restant pour eux la spéculation principale.
Un avenir alimentaire incertain
19Le glissement de la consommation urbaine vers des céréales importées, l’absence d’organisation de la filière mil, l’accélération de la mise en culture de nouvelles terres sans changement des itinéraires techniques et la baisse des rendements sont autant de raisons d’inquiétude sur l’avenir alimentaire d’un pays comme le Niger, où le mil reste la seule céréale véritablement adaptée aux conditions du milieu.
20En reprenant la méthodologie utilisée en 1991 par le ministère de l’Agriculture et le ministère du Plan, on a procédé à une estimation du bilan céréalier du Niger pour la période 1953-1999. Selon cette méthodologie, les besoins céréaliers de la population sont estimés à 240 kilogrammes équivalents céréales par personne et par an, toutes populations confondues. La production céréalière totale est la somme des productions de mil, de sorgho, de maïs et de riz (en fait le mil et le sorgho représentent 99 % de la production céréalière totale). Enfin, la production disponible pour satisfaire les besoins alimentaires est évaluée à 85 % de la production totale, les 15 % restant, non disponibles, représentant l’estimation de ce qui est mis de côté pour constituer les stocks de semences et les pertes imputables aux rongeurs, aux intempéries, et à d’autres facteurs.
21Les résultats obtenus à partir de cette méthodologie (fig. 2) indiquent assez clairement que le Niger est entré depuis le début des années 70 dans une période de « déficits céréaliers » chroniques, ou plus exactement d’écarts croissants entre la production céréalière nationale disponible et les besoins. Du côté des besoins qui sont déterminés par la croissance démographique, il faut noter que ceux-ci ont été multipliés par 4,3 entre 1950 et 2000, puisque au cours de cette période la population du Niger est passée de 2,5 millions à 10,8 millions d’habitants (United Nations, 2001). En regard, la production disponible est systématiquement excédentaire jusqu’à la fin des années 60 (sauf en 1967), mais la sécheresse de 1973-1974 se traduit ensuite par des déficits importants. La reprise de la production à la fin des années 70 permet ensuite de connaître à nouveau plusieurs années excédentaires (de 1977 à 1982), mais, dans les années 80, l’écart entre production nationale disponible et besoins se creuse à nouveau en tendance. Ainsi, de 1983 à 1999, on enregistre seulement trois années excédentaires : 1988, 1991 et 1998.
22L’ajustement de ces données annuelles suggère en 2000, un « déficit tendanciel » de l’ordre de 500 000 tonnes, correspondant à environ 20 % des besoins (fig. 2). Ce résultat doit évidemment être interprété avec prudence, car ce « déficit tendanciel » ne correspond pas à la situation observée en 2000, et ce pour diverses raisons. De manière générale, chaque année la situation alimentaire est appréciée, non seulement en fonction de la production nationale de l’année considérée, mais aussi en fonction des stocks disponibles et éventuellement des importations et de l’aide alimentaire dont l’objet est justement de réduire le déficit. Ainsi, même lorsque la production nationale est notoirement inférieure aux besoins, la sécurité alimentaire du pays peut être assurée en mobilisant les stocks disponibles, et en complétant le « déficit » par des importations et l’aide alimentaire. Par ailleurs, la production disponible et les besoins au niveau national ne prennent pas en compte les excédents et les déficits locaux. De fait, les excédents au niveau local ne sont jamais transférés en totalité vers les régions déficitaires pour diverses raisons : difficultés de transport, manque d’information des producteurs sur les prix d’achat de leurs excédents et aussi désir des populations de stocker localement leurs excédents plutôt que de les vendre. L’ensemble de ces facteurs contribue à un déficit global (somme des déficits enregistrés au niveau local) supérieur au déficit calculé au niveau national. Enfin, l’estimation de 15 % de pertes de la production nationale peut être discutée, de même que l’estimation des besoins en céréales de la population : 240 kilogrammes équivalents céréales par personne et par an.
23Au total, la valeur de l’écart entre production nationale disponible et besoins citée plus haut, 500 000 tonnes environ en 2000, ne saurait être qu’approximative. Il ne fait guère de doute cependant que cet écart s’est amplifié au cours des 20 ou 30 dernières années. Toutefois pour avoir une idée complète des besoins alimentaires, il importe de dépasser les bilans céréaliers et de faire des bilans vivriers tenant compte des autres productions et consommations (manioc, patate douce, souchet, et produits animaux et laitiers) qui sont généralement ignorées ou peu prises en compte.
24Pour le futur, l’adéquation entre la production nationale de céréales, essentiellement de mil et accessoirement de sorgho, et les besoins, dépendra, globalement, pour ce qui est de la production : des terres disponibles, de l’évolution des systèmes agraires et des rendements, et de la pluviométrie ; pour ce qui est des besoins : de l’évolution future de la population.
25La taille future de la population du Niger dépendra de l’évolution de la fécondité, de la mortalité et des migrations internationales. De ces trois composantes c’est généralement l’évolution des niveaux de fécondité qui influe le plus, à terme, sur l’évolution de la population. C’est pourquoi les projections de population retiennent souvent plusieurs hypothèses de fécondité, mais une seule hypothèse de mortalité et de migrations extérieures. C’est aussi le choix que nous avons fait dans un travail récent (Guengant et Banoin, 2003). Par rapport aux derniers niveaux connus de fécondité, 7,5 enfants par femme en moyenne, on a ainsi retenu : 1) une hypothèse : fécondité « constante », où la fécondité est maintenue à 7,5 enfants par femme jusqu’en 2050, terme de la projection ; 2) une hypothèse : fécondité « basse », qui suppose le passage à 3 enfants par femme en 2050 ; et 3) une hypothèse : fécondité « moyenne », qui suppose le passage à 5 enfants par femme en 2050. Concernant la mortalité, on a retenu comme les Nations unies dans leurs projections 2000, une augmentation de l’espérance de vie à la naissance pour les deux sexes de 45,2 ans en 2000 à 66,5 ans en 2050, et pour les migrations internationales, on a retenu à nouveau comme les Nations unies, l’hypothèse d’une migration nette nulle de 2000 à 2050 (United Nations, 2001). Les résultat obtenus mettent en évidence deux faits importants. Tout d’abord, quelle que soit l’hypothèse retenue, à l’horizon 2020 la population du Niger devrait être multipliée par 2 : de 10,8 millions en 2000 à au moins 20 millions en 2020, les écarts entre les résultats des diverses hypothèses n’étant pas importants : 22,4 millions pour l’hypothèse « constante », 21,3 millions pour l’hypothèse « fécondité moyenne », et 20,5 millions pour l’hypothèse « fécondité basse ». Par contre, à l’horizon 2050, les écarts entre les diverses hypothèses sont importants : 78 millions pour l’hypothèse « constante », 57,2 millions pour l’hypothèse « fécondité moyenne », et 43,1 millions pour l’hypothèse « fécondité basse ». Ainsi, par rapport à la population estimée en 2000 : 10,8 millions, la population du Niger devrait être multipliée par 4, au minimum, selon l’hypothèse « fécondité basse », par 5,3 selon l’hypothèse « fécondité moyenne », voire par 7,2 au cas, peu probable il est vrai où la fécondité se maintiendrait à 7,5 enfants par femme.
26Côté production, il est difficile de prévoir quelle sera l’évolution tant les facteurs en cause sont nombreux. A systèmes agraires inchangés, c’est-à-dire s’appuyant essentiellement sur la mise en culture de nouvelles terres pour répondre à l’augmentation des besoins, il n’est pas exclu que l’ensemble des terres cultivables soit effectivement cultivé à l’horizon 2050 (Guengant et Banoin, 2003). L’augmentation des rendements par une amélioration significative des itinéraires techniques (recours plus fréquent et raisonné à la fumure animale, l’utilisation d’engrais chimiques, l’utilisation de semences améliorées, semis en ligne et démariage, etc.) n’est pas à exclure, mais, il paraît difficile de bâtir un modèle de prévision à ce sujet à partir des données fragmentaires dont on dispose. Finalement, l’évolution future de la production céréalière disponible a été faite à partir d’un simple ajustement des données disponibles pour la période 1953-1999. Deux courbes de tendances ont été retenues : la première basée sur un ajustement exponentiel des données 1953-1999 (R2 = 0,716), la seconde basée sur un ajustement linéaire (R2 = 0,715) (fig. 3). La poursuite de l’augmentation de la production agricole disponible selon une tendance exponentielle correspond à une augmentation de 2,5 % par an. Dans ce cas, la production céréalière disponible pourrait passer en valeurs « tendancielles », de quelque 2,1 millions de tonnes en 2000, à 2,6 millions en 2010, 3,4 millions en 2020, et à près de 7 millions de tonnes en 2050. Si l’on retient par contre une tendance linéaire qui correspond à une augmentation de la production céréalière disponible d’environ 30 000 tonnes par an et à un taux de croissance annuel moyen de 1,1 %, celle-ci atteindrait 2,5 millions de tonnes en 2020 et 3,4 millions en 2050, soit deux fois moins que précédemment.
27En regard, les besoins, calculés pour les diverses hypothèses de fécondité sur la base d’une consommation de 240 kilogrammes équivalents céréales par personne par an, continuent de progresser plus rapidement, puisque la population continue de croître de plus de 2,5 % par an dans tous les cas (sauf à partir de 2040, pour l’hypothèse « 3 enfants en 2050 », pour laquelle la croissance démographique devient inférieure à 2,5 % par an). Les besoins en céréales passent ainsi de 2,6 millions de tonnes en 2000 à quelque 3,7 millions en 2010 quelle que soit l’hypothèse de fécondité considérée, puis ils se situent en 2020 entre 4,9 millions de tonnes pour l’hypothèse « fécondité basse », et 5,4 millions de tonnes pour l’hypothèse « fécondité constante », et en 2050 entre 10,3 millions de tonnes pour l’hypothèse « fécondité basse » et 18,7 millions de tonnes pour l’hypothèse « fécondité constante ». Cette évolution des besoins, qui suit la croissance démographique (du fait du mode de calcul retenu), se traduit par des écarts croissants avec la production nationale de céréales disponible (fig. 3). Ainsi le « déficit tendanciel » en céréales, estimé pour 2000 autour de 500 000 tonnes et correspondant à 20 % des besoins, pourrait être en 2010 de l’ordre d’un million de tonnes, soit le double de l’écart actuel, et ce en considérant l’hypothèse la plus favorable d’augmentation de la production. En 2020, le « déficit tendanciel » pourrait se situer entre 1,5 et 2 millions de tonnes, soit au moins un tiers des besoins. Enfin en 2050, le « déficit tendanciel » pourrait se situer entre 3,5 millions pour l’hypothèse « fécondité basse », et près de 12 millions de tonnes pour l’hypothèse « fécondité constante ». Ainsi, dans le meilleur des cas, en supposant une baisse rapide de la fécondité et une croissance continue de la production de 2,5 % par an, la production nationale disponible pourrait couvrir en 2050, en gros les deux tiers des besoins. Par contre, avec l’hypothèse « fécondité constante », et toujours avec une croissance de la production nationale disponible de 2,5 % par an, la production nationale disponible couvrirait à peine le tiers des besoins.
Conclusion
28Comment interpréter ces résultats quelque peu alarmistes ? Il faut évidemment garder à l’esprit que les méthodes d’estimation des diverses variables et les méthodes de projections retenues sont loin d’être parfaites, et qu’elles peuvent être discutées, voire remises en cause. Mais par ailleurs, l’augmentation de la production nationale de 2,5 % par an jusqu’en 2050 retenue dans nos calculs peut aussi paraître optimiste, compte tenu de l’extension rapide des superficies cultivées et de la diminution des rendements observée. Il est vrai que l’insuffisance de la production nationale peut être compensée par des importations ou par l’aide alimentaire comme cela a été le cas dans le passé récent. Toutefois, l’ampleur des déficits céréaliers qui se profilent à 10, 20 et 50 ans d’échéance risque fort de réduire l’efficacité des mesures de compensation utilisées jusqu’à présent : constitution de stocks les années excédentaires, importations de céréales, aide alimentaire, etc. qui sont des mesures nécessaires certes, mais des mesures sur le court terme. Une augmentation majeure de la production céréalière au travers du développement des cultures irriguées sur l’ensemble des terres potentiellement irrigables peut être envisagée. Toutefois les estimations faites à ce sujet montrent que les cultures pluviales, c’est-à-dire essentiellement la culture du mil et accessoirement du sorgho, continueront à représenter entre 50 et 80 % de la production céréalière nationale.
29Plante de civilisation incontournable dans le contexte sahélien, le mil se trouve bien au centre de plusieurs enjeux, locaux et planétaires, comme on l’a souligné en introduction. Au niveau local, il s’agit de trouver les voies et moyens pour obtenir des rendements nettement supérieurs à ceux, médiocres et en diminution, observés aujourd’hui. La recherche de nouvelles variétés, la maîtrise de la filière semencière peuvent y contribuer. En fait, il apparaît nécessaire de mettre en œuvre assez rapidement à la fois diverses mesures permettant une progression majeure des rendements agricoles, une réduction de la croissance démographique et une augmentation des revenus de l’État (pour appuyer les innovations techniques et aussi pour faire face au coût des importations de céréales). Faute de quoi, il faudra envisager un recours encore plus important qu’aujourd’hui à l’aide alimentaire, ou prendre le risque d’une détérioration majeure de la situation nutritionnelle des populations.
Bibliographie
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Patrimoines naturels au Sud
Territoires, identités et stratégies locales
Marie-Christine Cormier-Salem, Dominique Juhé-Beaulaton, Jean Boutrais et al. (dir.)
2005
Histoire et agronomie
Entre ruptures et durée
Paul Robin, Jean-Paul Aeschlimann et Christian Feller (dir.)
2007
Quelles aires protégées pour l’Afrique de l’Ouest ?
Conservation de la biodiversité et développement
Anne Fournier, Brice Sinsin et Guy Apollinaire Mensah (dir.)
2007
Gestion intégrée des ressources naturelles en zones inondables tropicales
Didier Orange, Robert Arfi, Marcel Kuper et al. (dir.)
2002