Chapitre II. Les écosystèmes à mangrove
p. 63-130
Texte intégral
La mangrove : généralités sur l’écosystème, sa structure et sa dynamique
1Dans le domaine littoral intertropical, la mangrove occupe la zone directement soumise aux influences des marées et correspond ainsi aux étages supralittoral, médiolittoral et à la partie supérieure de l’étage infralittoral par rapport au système de zonation classiquement adopté en milieu marin. Elle est colonisée par des palétuviers, ceux-ci constituant une formation végétale amphibie dénommée « mangal » par Macnae (1968) et formant, d’une manière plus générale, un écosystème spécifique. Sous les tropiques, la mangrove représente 60 % à 75 % de la végétation côtière et correspond ainsi à l’un des écosystèmes majeurs de la biosphère (Por et Dor, 1984).
2La mangrove, ou « mangal » selon Macnae, réapparaît au début de l’Oligocène ; il n’existe en effet aucune continuité phylogénétique entre les formations de gymnospermes du Carbonifère (Cordaitales) et les mangroves modernes (post-Eocène) à angiospermes. Elle est contemporaine des forêts tropicales humides sempervirentes, mais contrairement à ces formations, elle se caractérise par une faible diversité floristique. Cette pauvreté spécifique est interprétée comme la résultante des conditions très sélectives de l’environnement physique : substrat souvent meuble, hydromorphe et anoxique, soumis à des alternances de phases d’exon-dation-dessiccation et d’inondation selon des fréquences variables par des eaux à fortes fluctuations saisonnières de salinité (Chapman, 1984).
3Par l’intermédiaire des grands courants océaniques, leur possibilité de dispersion et de colonisation de milieux caractérisés par les mêmes contraintes physiques est très importante. Dans ces conditions, il semble logique que les processus de spéciation qui reposent principalement sur des mécanismes d’isolement géographique (Mayr, 1974) aient été et soient peu actifs dans les milieux de mangrove. À l’échelle géologique, comme la vitesse d’évolution des angiospermes terrestres est significativement plus rapide que celle des organismes animaux, cette faible diversité est encore plus marquée au sein des communautés faunistiques. Actuellement, les faunes résidentes permanentes sont ainsi constituées essentiellement par des espèces non spécifiques aux écosystèmes à mangrove, à vaste aire de répartition et rencontrées également dans les autres écosystèmes margino-littoraux : les estuaires et les lagunes.
4À l’opposé des écosystèmes forestiers tropicaux, il ne semble pas exister de relations de mutualisme et de processus de coévolution entre les formations arborées et les faunes terrestres, arboricoles et volantes, qui les colonisent ou les exploitent. En particulier, les mécanismes de régénération naturelle des palétuviers ne nécessitent l’intervention d’aucun vecteur animal (reproduction par fécondation anémophile et germination directe de graines hydrocores, donc sans dispersion par des animaux disséminateurs). De ce fait, cet écosystème correspond à deux sous-unités relativement distinctes : la mangrove arborée, colonisée principalement par des faunes terrestres mobiles et la mangrove aquatique, colonisée par des espèces dérivées essentiellement de population d’origine marine (Por, 1984).
5Par sa localisation dans la zone intertidale, la dynamique océanique exerce un important contrôle physique (et par voie de conséquence, biologique) du sous-système aquatique. Comme pour les autres écosystèmes côtiers (lagunes, estuaires...), elle détermine les critères de sélection des espèces (acquisition d’adaptations étho- et éco-physiologiques nécessaires à la colonisation d’un environnement instable) ainsi que l’organisation spatio-temporelle et fonctionnelle des peuplements et des communautés (Guiral, 1992). La mangrove aquatique est cependant étroitement dépendante de la formation arborée pour ses apports énergétiques et nutritifs. En effet, à l’opposé des autres formations forestières tropicales, il n’existe qu’une faible utilisation sur pied de la biomasse arborée (moins de 10 % selon Heald [1971] et Lee [1990]). L’essentiel de la production photosynthétique se trouve ainsi soumise à l’activité de minéralisation des communautés hétérotrophes qui colonisent les sédiments intertidaux.
6Par son abondance et son caractère relativement réfractaire (richesse en composés phénoliques et en polymères de structure : cellulose, hémicellulose et lignine), la litière se trouve ainsi à la base d’un réseau trophique détritique complexe où intervient une succession d’organismes très divers reliés par des relations de types syntrophiques. Les microflores bactériennes et fongiques libèrent, par leurs activités cataboliques, et immobilisent, par leurs activités anaboliques, une part importante de l’énergie et des nutriments présents au sein de la litière constituée en majorité par des débris foliaires et des feuilles.
7Dans un premier temps, cette double activité repose sur l’utilisation des composés hydrosolubles (carbohydrates, acides phénoliques solubles, acides organiques, acides aminés...) qui peuvent représenter de 30 à 50 % des feuilles des palétuviers. Malgré des concentrations élevées en composés phénoliques, ces molécules sont très rapidement et efficacement (taux de conversion compris entre 64 et 94 %) incorporées au sein d’une biomasse microbienne essentiellement bactérienne. Cette immobilisation limite considérablement les exportations de matière organique dissoute de la mangrove vers les écosystèmes adjacents (Stanley et al., 1987 ; Boto et al., 1989). Seuls les composés les plus réfractaires et dans un état de diagenèse avancée sont susceptibles de quitter le milieu de mangrove et principalement par l’activité hydrodynamique liée aux cycles de marée.
8Dans un deuxième temps, après cette phase de lixiviation abiotique précoce qui entraîne pour la litière une baisse des concentrations en azote et carbone et des tanins – fortement réfractaires à la biodégradation et toxiques pour de nombreux herbivores –, les polymères de structure sont métabolisés. Cette seconde phase, plus lente (10 fois moins rapide que la minéralisation des composés solubles selon Benner et Hodson [1985]), est réalisée principalement par une flore fongique qui dégrade les parties les moins lignifiées et favorise la colonisation bactérienne ultérieure de la litière.
9L’activité microbienne est facilitée par un travail de fractionnement mécanique des détritus réalisé par la faune benthique, et en particulier, par la faune épigée où les crabes occupent très souvent une place prépondérante. Un transfert énergétique entre la microflore et la litière résulte des activités cataboliques et anaboliques microbiennes. En outre, la valeur nutritive des détritus se trouve accrue par une diminution des concentrations en carbone et par un enrichissement en azote, consécutivement à leur colonisation par une biomasse dominée par des bactéries et caractérisée par des rapports C/N de l’ordre de 5 (Nagata et Watanabe, 1990). Cette biomasse microbienne quantitativement faible, de l’ordre de 1 % de la biomasse azotée détritique totale et à très forte productivité, revêt qualitativement une grande importance. Pour l’écosystème, elle correspond en effet à une source importante d’aminoacides et de vitamines, via les bactéries, et de stérols, via les champignons (Blum et al., 1988). En association avec les détritus, elle est activement exploitée au sein de l’écosystème benthique par une microfaune (communauté de protistes dominée par des ciliés, des flagellés, des foraminifères et des amibes) et une méiofaune où les nématodes constituent en général le groupe dominant (Alongi et Sasekumar, 1992).
10Parallèlement à ce réseau trophique, qui repose sur la productivité et la consommation de la biomasse microbienne et qui est responsable de la minéralisation de la matière organique (soluble et particulaire après fragmentation), s’ajoute une voie supplémentaire de transfert énergétique au sein des écosystèmes à mangrove.
11Ce processus est basé sur la formation de matière organique particulaire à partir d’une agglutination chimique des composés hydrosolubles et ceci par l’intermédiaire de cations divalents. Selon des périodicités de haute (rythme des marées) et de basse fréquence (variabilité saisonnière des apports continentaux), l’hydrodynamique côtière soumet la litière à des phases de submersion par des eaux de salinité variable. En condition oligohaline, elle favorise ainsi les mécanismes chimiques de libération des composés solubles et en milieu à forte salinité, leur polycondensation (Camilleri et Ribi, 1986).
12Cette matière organique formant des films maintenus par la tension superficielle à la surface de l’eau (et donc en condition de bonne oxygénation) est très rapidement colonisée par des bactéries, des cyanobactéries, des champignons mycéliens et des diatomées. Les flocons issus de la fragmentation de ces biofilms et constitués par des matières organiques détritiques et de biomasse active sont alors consommés par divers métazoaires incluant des copépodes harpacticoïdes, des isopodes et des amphipodes. Ces divers réseaux trophiques détritiques sont considérés comme la principale voie de transfert de l’énergie en mangrove et reposent tous sur l’utilisation de la litière comme seule source de carbone (Odum et Heald, 1975).
13Cependant, ces processus de minéralisation conduisent aussi à la libération de sels nutritifs. En fonction de la localisation des sites (conditionnant leur plus ou moins grande accessibilité aux influences océaniques) et des saisons (importance variable des apports continentaux liée aux rythmes des précipitations et des décharges fluviales), ces sels nutritifs sont plus ou moins soumis à des exportations latérales. En situation de relatif confinement, ils sont susceptibles d’immobilisation au sein d’une biomasse algale qui, par activité photosynthétique, constitue une source complémentaire de carbone. Cette production autotrophe concerne à la fois des communautés libres (phytoplancton), benthiques (phytobenthos) et fixées (périphyton). En milieu de mangrove, compte tenu de l’ombrage créé par la formation arborée, les biomasses phytoplanctoniques et phytobenthiques sont en général faibles et limitées par la disponibilité de l’énergie lumineuse (Alongi, 1988).
14Les communautés phytoplanctoniques sont composées d’espèces autochtones permanentes ou temporaires et allochtones issues des écosystèmes adjacents continentaux ou océaniques. Les peuplements, dominés par le nanoplancton (le microplancton principalement représenté par des diatomées ne constituant en général que 15 % du phytoplancton total), présentent des variations temporelles de biomasse très importantes. Les phases de prolifération sont liées à des modifications de la physico-chimie des eaux et suivent en général des périodes de dessalure associées à un enrichissement des eaux en azote et silice (Ricard, 1984). La productivité et la croissance du phytobenthos, constituant une communauté relativement diversifiée et dominée par des diatomées, semblent être limitées par la concentration des eaux interstitielles en composés phénoliques solubles, indépendamment du contrôle exercé par l’éclairement (distance par rapport à l’ombrage des arbres et degré de turbidité des eaux).
15Les supports verticaux, (troncs, racines aériennes, pneumatophores et débris ligneux), très abondants et peu affectés par les processus de sédimentation minérale, offrent des surfaces très importantes pour la fixation des communautés d’algues et d’épibiontes qui peuvent localement présenter de fortes densités. Le peuplement algal est en particulier caractérisé par la présence de Rhodophycées spécifiques aux écosystèmes à mangrove (appartenant aux genres Bostrychia, Caloglossa et Catenella). Ces macroalgues constituent une association caractéristique dénommée Bostrychietum. Des cyanobactéries filamenteuses et des diatomées colonisent aussi ces supports. Ces espèces coloniales présentent des adaptations morphologiques et physiologiques diverses leur permettant de subir des périodes d’exondation et de dessiccation plus ou moins longues (Por et Dor, 1984).
16Les productions photosynthétiques (planctoniques, benthiques et épiphytiques macro- et microalgales) ont une grande importance fonctionnelle car elles constituent une biomasse fraîche très activement exploitée. En effet, la composition isotopique de nombreux groupes faunistiques qui colonisent le milieu de mangrove indique une utilisation importante de ces productions de régénération en complément des biomasses constitutives du réseau trophique détritique. Ces observations qualitatives ont été confirmées par l’étude des relations trophiques entre les consommateurs secondaires et les producteurs autotrophes et hétérotrophes de biomasse. Les variations temporelles des biomasses et des taux de croissance bactériens sont principalement dépendants de la physico-chimie des eaux (en particulier des variations de température liées aux phases d’inondation et d’exondation des sédiments), et sont peu affectées par la prédation exercée par les protozoaires et la méiofaune (Alongi, 1988).
17Cet impact relativement faible résulterait d’une exploitation simultanée des biomasses bactériennes et des diatomées par la méiofaune. De même, l’étude des régimes alimentaires des crevettes pénéides, qui constituent souvent un maillon important des réseaux trophiques des écosystèmes côtiers tropicaux et subtropicaux (mangroves et marais maritimes), confirme la consommation préférentielle d’algues épibenthiques par ces espèces omnivores. En fonction de leur taille, leurs régimes alimentaires évoluent ensuite vers la consommation de divers invertébrés benthiques et épibenthiques dont un nombre important correspond aussi à des espèces phytobenthophages. Ces observations sont ainsi en contradiction avec les premières descriptions relatives à la place fonctionnelle des crevettes qui étaient considérées comme étroitement associées au réseau trophique détritique (Odum et Heald, 1972).
18Cependant, une utilisation de la biomasse microbienne liée à la matière organique détritique est possible via l’alimentation des macro-invertébrés : crabes et gastéropodes. En effet, ces espèces la consomment préférentiellement et avec une grande efficience. Le rôle écologique des crabes dans les écosystèmes à mangrove se trouve ainsi confirmé. Outre le contrôle de la biomasse microbienne et le fractionnement mécanique ainsi que la consommation directe des feuilles de palétuviers, ils modifient la répartition de la méiofaune par bioturbation et par amensalisme, l’oxygénation des sédiments par le creusement de leur terrier, et donc l’importance relative des processus de minéralisation anaérobie et aérobie de la matière organique sédimentaire (Dye et Lasiak, 1987).

Espèce emblématique de la mangrove : le périophtalme.
19L’ensemble des communautés d’invertébrés benthiques et pélagiques est soumis à un contrôle strict (prédation et amensalisme) par des espèces carnivores et/ou omnivores. Cette faune vagile, souvent abondante et relativement diversifiée, exploite, en général temporairement et séquentiellement, la grande diversité des niches trophiques présentes dans la mangrove. Ces espèces effectuent ainsi des mouvements migratoires reliant fonctionnellement la mangrove aux écosystèmes adjacents et en particulier océaniques. Ces rythmes de déplacements et d’exploitation sont très variés, car conditionnés par les marées, les cycles nycthéméraux et les cycles biologiques et migratoires des espèces (Guiral, 1994). Ils correspondent ainsi à une exportation importante d’énergie et de matière organique élaborée et à un transfert différé et indirect de la productivité de la biocénose arborée terrestre vers les écosystèmes néritiques, voire océaniques hauturiers.
20Ce rôle attractif de la mangrove, particulièrement pour les écophases juvéniles et les espèces de petite taille, résulterait de deux facteurs principaux (Sasekumar et al., 1992) :
- une limitation de l’efficacité des prédateurs par l’existence d’une forte hétérogénéité structurelle de l’habitat et par une turbidité élevée (apports terrigènes, faible profondeur et remise en suspension fréquente d’un sédiment meuble), peu propices à des prédateurs chassant à vue ;
- une concentration importante de proies diverses compatibles avec la taille des divers écophases des espèces prédatrices et leurs capacités de capture limitées.
21Il est à noter que la mangrove ne constitue pas une zone de frayères et de reproduction importante pour le necton (faible densité d’œufs et de larves de poissons, et abondance des postlarves juvéniles et jeunes adultes), mais elle correspond plus précisément à une nourricerie pour des individus détectant les zones de gradient de salinité et ainsi attirés vers un milieu productif et hydrodynamiquement plus stable (moins turbulent) pour des espèces planctoniques que les écosystèmes océaniques. Un couplage, bien décrit dans les estuaires, entre le comportement migratoire vertical des larves et la dynamique des courants côtiers, liés aux cycles de marée, permet l’advection en mangrove, milieu hydro-chimiquement instable, d’espèces dont les œufs seraient incapables de s’y développer, compte tenu des capacités limitées d’osmorégulation des gamètes et des œufs (Robertson et Duke, 1990).
22La structuration trophique et fonctionnelle des écosystèmes à mangrove résulte de leur localisation à l’interface des domaines continentaux et océaniques. Ces espaces, caractérisés par de fortes contraintes du milieu physique, ont été colonisés par une végétation arborée très spécifique, grâce à diverses adaptations physiologiques et morphologiques. Dans ce contexte hydrodynamique actif, la production végétale de ces espèces, peu assimilable sur pied, est susceptible d’une forte exportation vers les écosystèmes adjacents. Cependant, de multiples mécanismes abiotiques et biotiques, faisant intervenir une très grande diversité d’organismes, permettent une rétention durable de l’énergie et des éléments nutritifs au sein de l’écosystème. Le piégeage géochimique correspond à la formation, au sein des sédiments, de composés et de complexes accumulant de l’énergie (immobilisation des sulfures sous forme de pyrite) ou modifiant la biodisponibilité des sels nutritifs (précipitation du phosphore par le fer dans des microsites oxydants ou à l’interface eau-sédiment). L’immobilisation biologique est assurée par une nécromasse plus ou moins fossilisée à minéralisation lente ainsi que par une biomasse active constituée par des micro-organismes, par des organismes benthiques sédentaires, par des invertébrés et des vertébrés migrants opportunistes.
23De ce fait, il existe une similitude avec les forêts sempervirentes qui, pour se développer sur des substrats très oligotrophes, doivent présenter des mécanismes de recyclage très actifs des éléments nutritifs essentiellement immobilisés au sein de la biomasse arborée. Cependant, dans le cas des écosystèmes à mangrove alimentés périodiquement par des apports exogènes, ces mécanismes de rétention conduisent à des accumulations sédimentaires très importantes qui confèrent à ces sédiments des caractéristiques de milieux eutrophes. L’existence de ce stock énergétique et nutritif peut expliquer la plus forte résilience et stabilité des écosystèmes à mangrove comparativement aux forêts tropicales humides sempervirentes, et en particulier, lors de perturbations anthropiques ou de modifications d’ordre climatologique (Orstom-Unesco, 1983 b).
24À l’échelle mondiale, la plupart de ces mécanismes de rétention et de transfert énergétique sont encore à découvrir, à analyser et à quantifier. Cette nécessité de recherche s’applique avec plus d’acuité encore dans le cas des mangroves d’Afrique de l’Ouest où les informations restent très parcellaires. Si les constats1 établis par Macnae en 1968 ne valent plus globalement pour l’ensemble des écosystèmes à mangrove, sous bien des aspects, ils sont encore d’actualité pour l’Afrique de l’Ouest et ils s’appliquent toujours aux mangroves des Rivières du Sud.
25La suite de cet ouvrage tentera de dresser un bilan des connaissances actuelles relatives à cette zone biogéographique. Cependant, l’hétérogénéité des connaissances contraint à une présentation analytique et non fonctionnelle, ce qui impliquera donc des ruptures très artificielles entre les divers éléments constitutifs et interactifs de l’écosystème.
Les mangroves des Rivières du Sud : les sols
26Les caractéristiques physiques initiales des sols de mangrove résultent des processus hydrosédimentaires qui déterminent leur granulométrie (et donc leur porosité), ainsi que leur fréquence de submersion (et donc leur salinité).
27L’évolution pédogénétique de ces substrats débute consécutivement dès leur colonisation par une végétation de palétuviers ou d’herbacées. Le développement des systèmes racinaires, en stabilisant les sédiments, favorise la sédimentation et contribue à un accroissement rapide des dépôts. Les conditions favorables à cette accumulation sédimentaire se rencontrent dans les zones abritées des forts courants côtiers et de l’action de la houle. Elles correspondent à des deltas et des estuaires ainsi qu’à des côtes protégées par des cordons littoraux ou des archipels (Dent, 1986).

Mangrove de front de mer.
© Cormier.
28L’évolution pédogénétique de ces dépôts est à la fois dominée et caractérisée par les cycles biogéochimiques du fer et du soufre. L’importance relative de ces deux éléments est principalement commandée par l’espèce végétale colonisatrice (Avicennia ou Rhizophora) dont les productions de litière et les modes d’enracinement accentueront les différences morpho-sédimentaires initiales.
29En effet, ces deux genres de palétuvier possèdent des systèmes racinaires radicalement différents :
- Avicennia : racines subsuperficielles modifiées par un dense réseau de pneumatophores (racines stalagmites) ;
- Rhizophora : racines profondes fibreuses très densément ramifiées.
30Dans un contexte hydromorphe où l’oxygène est généralement consommé dès les premiers millimètres, la présence d’une matière organique importante (litière enfouie, racines en décomposition, excrétats rhizosphériques, composés hydrosolubles hérités de la lixiviation des litières) oriente les processus de minéralisation vers des activités cataboliques bactériennes anaérobies. Compte tenu des concentrations en sulfate d’origine océanique dans les eaux interstitielles, les ions sont préférentiellement utilisés comme accepteurs terminaux d’électrons (la sulfato-réduction pouvant représenter plus de 100 % du flux de CO2 à l’interface eau-sédiment). La méthanogénèse et les respirations utilisant les oxydes de fer, de manganèse ou d’azote comme accepteurs terminaux d’électrons ne peuvent concerner que les secteurs continentaux des mangroves sans contact avec les eaux océaniques.

Mangrove d’estuaire.
© Cormier.
31Dans les sols colonisés par des Rhizophora, l’activité maximale des bactéries fermentatives (pic d’alcalinité) et sulfatoréductrices (pic de réduction des sulfates) est observée en subsurface au niveau de la plus forte densité racinaire (Kristensen et al., 1991). Ces activités microbiennes impliquent la présence en abondance de composés organiques donneurs d’électrons dont la distribution verticale présente aussi un maximum en subsurface. La coïncidence entre le niveau d’enracinement maximal de la végétation et les répartitions verticales des activités bactériennes ainsi que des concentrations en carbone organique dissous suggère l’importance, comme source de composés carbonés labiles, des exsudats racinaires. Les racines des Rhizophora favoriseraient ainsi en permanence les flores anaérobies (racines profondes sans contact avec l’interface eau-sédiment où les concentrations en oxygène peuvent être temporairement importantes par échange gazeux sol-atmosphère en phase d’exondation ou par diffusion moléculaire et turbulente entre l’eau interstitielle et l’eau libre en phase de submersion), et stimuleraient localement leurs activités par effet rhizosphérique.
32Compte tenu de l’existence d’un important stock de fer d’origine géochimique au sein des sédiments, les sulfures produits par la réduction bactérienne des sulfates sont précipités essentiellement sous forme de pyrite. Cette prépondérance de la pyrite, qui peut représenter la quasi-totalité du soufre réduit, constitue une caractéristique des sols de mangrove. En effet, dans les vasières intertidales qui occupent la même situation physiographique en zone tempérée, les sulfures libres, dans un contexte faible en fer, correspondent à la forme dominante du soufre sédimentaire. La pyrite est cependant fréquemment observée dans les marais maritimes à Spartina qui présentent ainsi de très fortes analogies avec les sols de mangrove. La constitution de ce niveau d’accumulation de pyrite, stable en condition anaérobie, est à l’origine d’une évolution bactérienne et géochimique particulièrement bien étudiée dans le cas des Pays des Rivières du Sud. Ces recherches sont justifiées par la dégradation des sols et de leurs potentialités agricoles qui sont apparues lors de leurs aménagement, drainage et oxydation.
33D’une manière schématique, les sols des Pays des Rivières du Sud appartiennent ainsi à deux types de sol :
- les sols initiaux de mangrove dominés par les processus de réduction des sulfates et de pyritisation ;
- les sols sulfatés acides évolués et dominés par les processus d’oxydation, d’acidification et de salinisation.
34Une description des caractéristiques morphologiques et physiques ainsi qu’une analyse des processus biogéochimiques qui caractérisent ces deux types de sols vont maintenant être présentées.
Les sols initiaux de mangrove
35Un sol de mangrove se caractérise par un horizon hydromorphe (Gr) présentant généralement une coloration gris foncé liée à des conditions réductrices permanentes (gley) et à une absence de structure et de consistance (Dent, 1986). Des taches noires, correspondant à des composés sulfurés – de la pyrite notamment –, se développent autour des racines décomposées et des débris organiques. Les concentrations en pyrite sont très variables (de 0,4 à 8,2 % en Gambie). Son taux d’accumulation est généralement faible, de l’ordre de 10 kg par m3 de sédiment pour une période de 100 ans (Dent, 1986). Les substrats sont divers et correspondent à des vases pyriteuses plus ou moins tourbeuses en Casamance, sableuses dans le Saloum, ou plus argileuses en Sierra Leone et en Guinée. La décomposition de la matière organique est lente et incomplète. La teneur en carbone organique excède souvent 5 % et atteint parfois 15 % en Casamance (Marius, 1982). La porosité, d’origine biologique (racines et terriers de crabes), est très importante et permet une circulation rapide des eaux. Le pH du sol en place est généralement neutre ou légèrement alcalin. Exposé à l’air, son pH baisse rapidement et atteint des valeurs comprises entre 2 et 3,5. De ce fait, dans la classification américaine des sols, ces sols sont dénommés « sols potentiellement sulfatés acides » ou sulfaquents.
36L’accumulation de sédiments en certains endroits limite la submersion et l’engorgement par les marées quotidiennes. L’exposition temporaire à l’air de la partie supérieure du sol entraîne une modification de sa morphologie. L’horizon de surface (Go) se tasse en perdant une partie de son humidité et s’oxyde partiellement. Il acquiert une quasi-consistance et présente des concrétions rouge foncé ou jaunâtres d’oxydes de fer et/ou de manganèse plus ou moins indurés (taches, iron-pipes, nodules). Le pH de cet horizon est acide (5,5-6,5), sans accumulation de pyrite.
37En surface, les sédiments récents forment un horizon peu différencié (G), faiblement réduit, sans consistance, foré de nombreuses galeries de crabes et présentant une structure polyédrique grossière. Dans cette situation, le pH est faiblement acide (6,5) et il n’existe pas d’accumulation de pyrite. Lorsque le drainage est faible, le caractère réducteur peut être plus marqué. Une végétation clairsemée et une forte évaporation favorisent alors la formation de croûtes salines.
38Généralement, les sols de mangrove se caractérisent sur l’ensemble du profil par une faible consistance physique et par des indices2 n élevés compris entre 1,5 et 2.
39Durant les périodes de submersion ou d’engorgement prolongées des sols hydromorphes, les hydroxydes ferriques sont réduits par la matière organique (processus de ferrolyse). Dans le cas des sols de mangrove, ces ions s’associent aux sulfures issus de la respiration anaérobie des sulfates, par les bactéries sulfatoréductrices. Ces bactéries, qui appartiennent principalement aux genres Desulfovibrio et Desulfatomaculum, utilisent des sources carbonées ne comprenant qu’un nombre limité d’atomes de carbone et peuvent ainsi être considérées comme des hétérotrophes secondaires. En effet, leur développement est seulement possible par l’existence des relations syntrophiques et méta-biotiques qu’elles établissent avec les autres groupes fonctionnels de la flore tellurique (Guiral, 1982).
40Le sulfure de fer est soit de la mackinawite (FeS amorphe ou cristallisé sous forme tétragonale), soit de la greigite (Fe3S4 de forme cubique). Ces deux minéraux sont métastables et évoluent vers une forme cristallisée, la pyrite FeS2 (processus de pyritisation). À l’examen microscopique, ce minéral présente une forme cubique ou framboïdale (Sweeney et Kaplan, 1973).
41En zone intertidale, les sols de mangrove évoluent lorsque le taux de sédimentation est plus important que l’élévation du niveau marin. À l’échelle locale, différents stades d’évolution sont ainsi atteints. Dans les zones marécageuses, seul le stade G-Gr est présent tandis que les levées de terrain favorisent un bon drainage et le développement de profils plus complexes. En outre, des changements régionaux ou locaux du niveau de la mer, du taux de sédimentation et de l’hydrologie peuvent entraîner l’enfouissement d’horizons riches en sulfures par des matériaux non sulfurés ou des tourbes. Ainsi, des horizons potentiellement sulfatés acides peuvent être observés dans des environnements actuellement non salés. C’est le cas en Casamance notamment, pour les sols hydromorphes situés en bordure des petites vallées alluviales qui entaillent le plateau continental.
Les sols évolués sulfatés acides
42Lorsque les sols de mangrove sont soumis à des périodes d’exondation et d’oxygénation plus ou moins longues, les conditions réductrices ne sont plus permanentes. Leur drainage, en phase d’émersion, favorise la mobilisation des sels solubles et accélère le processus de maturation physique qui a déjà débuté dans la zone intertidale. La modification du régime hydrologique entraîne la transformation progressive (physique et biogéochimique) du sol de mangrove initial. Dans le paysage, les sols sont observés en arrière des formations végétales à palétuviers. Les arbres, soumis à une alimentation déficitaire en eau et en sels nutritifs, se caractérisent par des capacités de développement et de régénération très précaires. Des tannes succèdent ainsi à ces formations en voie de dépérissement. Ils comprennent le tanne vif – désignant une surface sans végétation –, et le tanne herbacé dont la colonisation par une végétation halophile est rendue possible par des conditions géomorphologiques locales et un dessalement superficiel saisonnier (Sall, 1982).
43Un sol sulfaté acide (ou sulfaquepts) se caractérise par des horizons Gj et GBj qui proviennent de l’évolution biogéochimique de l’horizon Gr du sol de mangrove (Dent, 1986). Dans une phase initiale, le drainage de l’horizon sulfuré forme un niveau noirâtre dû à l’oxydation rapide de la matière organique et à la formation de composés sulfurés. Ceux-ci sont produits par la réduction des sulfates libérés par l’oxydation de la pyrite dans les couches superficielles du sol. Dans une seconde phase, l’oxydation de la pyrite se généralise et des dépôts de jarosite se forment sur les parois des fissures et dans les pores grossiers. Le pH est fortement variable, acide à très acide dans les zones oxydées (entre 2 et 3, voire 1) ou proche de la neutralité dans les zones encore réduites.

Sol de mangrove, potentiellement sulfaté-acide.
Cormier © Orstom.
44Bien que l’oxydation de la pyrite se produise, la formation de la jarosite n’est pas systématique, notamment lorsque le drainage est faible et que la matière organique est abondante. Une coloration brun-rosâtre apparaît alors, l’horizon ayant la consistance et la couleur d’une « purée de marron » (Marius, 1985).
45Dans l’horizon Gj, le sol conserve une faible consistance, la structure étant faiblement développée et la salinité élevée. Lorsque les conditions drainantes perdurent, l’horizon Gj évolue en un horizon GBj caractérisé par une couleur grise et des taches jaunes de jarosite se formant autour des pores. Le pH est alors compris entre 3,5 et 4,5, mais il peut être localement plus faible.
46Dans une partie supérieure du sol, un horizon Bg se forme selon deux modalités (Dent, 1986) :
- d’une part, il peut provenir de l’évolution physique des horizons Go des sols de mangrove pauvres en pyrite ou d’un horizon Gr suffisamment riche en calcaire pour neutraliser l’acidité produite. Une structure prismatique à sous-structure polyédrique grossière se développe dans le sol argileux. De larges fissures favorisent l’infiltration tandis que la matrice argileuse reste imperméable. Des dépôts d’oxydes de fer et de matière organique enrobent les agrégats et tapissent la paroi des pores (fissures et conduits racinaires). Des indurations se forment et s’individualisent en constituant des nodules ou des iron-pipes. En surface, une croûte saline peu épaisse se forme au cours de la dessiccation et évolue pour devenir une fine couche poudreuse (moquette salée).
- d’autre part, il peut résulter de l’évolution ultime de l’horizon GBj. Il correspond alors à un horizon bien développé, sans réserve de pyrite et présentant des taches grises et brun-rougeâtre avec des dépôts de jarosite et d’oxydes de fer tapissant les pores et revêtant les agrégats. Le pH, compris entre 4 et 4,5, est moins acide que dans l’horizon GBj. L’évolution se poursuit par une hydrolyse lente de la jarosite conduisant à la formation d’oxyhydroxydes de fer. L’hydrolyse des minéraux argileux mène à une libération de l’aluminium qui se fixe sur le complexe absorbant en le saturant progressivement. L’horizon de surface est généralement humifère, de coloration gris foncé avec des taches brun-jaunâtre d’oxydes de fer le long des chenaux racinaires. Il est peu perméable, modérément acide et présente une structure polyédrique subanguleuse.
47Au cours de cette évolution pédogénétique, les sédiments subissent une maturation physique qui modifie leur consistance. Ce processus irréversible se caractérise par une déshydratation et un tassement du matériau.
48L’aération naturelle ou le drainage artificiel des sols provoquent une oxydation chimique des composés non organiques réduits et conduisent à la libération d’ions ferreux et de soufre élémentaire à partir de la pyrite. Ces métabolites riches en énergie sont oxydés par des bactéries chimio-lithotrophes qui tirent leur énergie de l’oxydation des composés minéraux réduits. En particulier, les thiobacilles réalisent une oxydation des sulfures, du soufre élémentaire et des thiosulfates en sulfates (Thiobacillus ferroxidans et T. thiooxydans) et des ions ferreux en ions ferriques (T. ferroxidans). D’après Schwertmann (1988), l’hydroxyde ferrique (Fe(OH)3) se transforme en oxyde ferrique de type goethite (FeOOH) par cristallisation, ou en hématite (Fe2O3) par déshydratation. La précipitation de ces oxydes aboutit à la formation des iron-pipes qui se localisent dans les sols en maturation autour des pores racinaires.
49Par capillarité et évaporation, les ions ferreux en solution peuvent atteindre l’interface eau-sol et s’oxyder en hydroxyde ferrique. Cette oxydation chimique s’accompagne d’une production importante de protons qui s’associent aux ions sulfates pour former de l’acide sulfurique. Par ce processus, l’acidification des horizons de surface peut être très importante. Lorsque le pH atteint des valeurs inférieures à 4 et que la solution est riche en cations potassiques et/ou sodiques, les ions ferriques et sulfates conduisent à la néogénèse de jarosite et/ou de natrajarosite qui précipitent dans les pores et à la surface des racines et des agrégats.
50En saison sèche, l’exondation artificielle d’horizons sulfurés, enfouis dans les sols hydromorphes lors d’aménagements hydro-agricoles (création de barrage anti-sel), génère une nappe acide et sulfatée qui se localise au pourtour des bas-fonds (Montoroi, 1994). L’acidification prolongée entraîne une altération et une destructuration des minéraux argileux et conduit à une libération de l’aluminium, de la silice et des cations qui, en cristallisant à la surface des sols, constituent des efflorescences salines (Le Brusq et al., 1987). La précipitation de ces minéraux se fait par la concentration de la nappe sulfatée au cours de son transfert depuis les interfluves vers les axes de drainage correspondant aux dépressions des marigots. Les minéraux se forment selon une séquence de précipitation (Montoroi, 1995) qui débute par des sulfates aluminiques et ferreux (alunogène et rozénite), puis par des sulfates alumino-sodiques et magnésiens (tamarugite et hexahydrite) et s’achève enfin par des sulfates calciques (gypse) et du chlorure de sodium (halite).
51Selon les conditions de drainage, différents stades d’évolution des sols sulfatés acides sont atteints. En particulier, l’acidification plus ou moins importante est liée à la réserve de pyrite disponible. Dans le paysage, les sols s’organisent selon les conditions environnementales, notamment le régime d’inondation dont les modifications sont liées à la dynamique sédimentaire. En fonction de leur ancienneté relative, les sols constituent ainsi une chronoséquence depuis les marigots vers les tannes ou les terrasses situées en bordure des plateaux continentaux (Vieillefon, 1977).
52En raison du déficit hydrique d’origine climatique qui a particulièrement affecté la partie septentrionale de la zone d’étude, cette évolution des sols de mangrove vers les sols sulfatés acides a été très rapide et a mené à la formation de tannes plus ou moins stériles dans les estuaires situés entre le Sine-Saloum et le nord de la Guinée-Bissau. À l’opposé, les sols du littoral guinéen et sierra léonais, essentiellement colonisés par des forêts d’Avicennia dans un contexte climatique peu affecté par la sécheresse, ne présentent pas de niveau d’accumulation de pyrite et ne sont donc pas affectés par les processus d’acidification. Le développement des racines d’Avicennia, hérissées de très nombreux pneumatophores, contribue à une accélération des processus de sédimentation et favorise ainsi l’alluvionnement, et en particulier, le piégeage en front de mer des particules argileuses en suspension. Ces sols jeunes, caractéristiques des plaines à chenier, sont soumis à des submersions périodiques (saisons des pluies et des crues) par des eaux douces qui limitent les phénomènes de salinisation, mais aussi les concentrations en sulfate. Ces sols apparaissent ainsi comme potentiellement fertiles, mais ils nécessitent des aménagements (drainage) préalablement à leur mise en culture. Après assèchement, la minéralisation aérobie de la matière organique détritique, initialement accumulée en condition anaérobie, est très rapide. Des apports périodiques de fertilisants sont alors nécessaires pour maintenir durablement leur fertilité.
53À l’échelle des Rivières du Sud, si l’on observe une très grande homogénéité des processus de pédogenèse, la variabilité des contextes hydro-sédimentaires, climatologiques, topographiques et biologiques conduit à une très grande diversité de situations. En outre, la plupart de ces paramètres sont caractérisés par une forte variabilité qui se traduit par une fréquence élevée de sols polyphasés intégrant de multiples phases évolutives.
Les mangroves des Rivières du Sud : la végétation
54À l’échelle mondiale, les formations arborées de mangrove occupent une superficie estimée à 181 680 km2. Les mangroves africaines représentent 18 % de cet ensemble, contre respectivement 37 %, 36 % et 9 % pour les formations qui colonisent les côtes américaines, asiatiques et océaniennes. En Afrique, elles sont principalement localisées sur la façade atlantique du continent (83 %). Les mangroves des pays des Rivières du Sud (Sénégal, Gambie, Sierra Leone, Guinée-Bissau et Guinée), qui totalisent une superficie de 11 080 km2, représentent, quant à elles, un tiers des formations africaines (World Ressources, 1986).
55La diversité floristique arborée des mangroves des pays des Rivières du Sud est très réduite, ne comprenant que neuf espèces (dont cinq réellement dominantes) réparties en quatre familles. Ces espèces, observées sur l’ensemble de la zone, ne sont donc pas affectées par le gradient pluviométrique, déficitaire au nord et excédentaire au sud, qui constitue l’une des caractéristiques majeures de cet écosystème. Cette absence d’impact qualitatif est néanmoins à nuancer sur le plan quantitatif. Il est en effet probable que les productivités des diverses formations varient en fonction de la latitude, et donc du climat. Cependant, pour l’ensemble de la zone considérée, l’absence de données réellement comparatives (ni en terme de productivité exprimée en biomasse de carbone par unité de surface, ni même indirectement à partir d’estimations des apports de litière au sol) ne permet pas une confirmation rigoureuse de ces observations empiriques. Seuls le développement et la hauteur moyenne des arbres, très nettement inférieurs au nord comparativement aux régions méridionales (et ceci indépendamment des espèces), peuvent traduire indirectement ce contrôle de la croissance des palétuviers par les conditions climatiques.
56En outre, les rares estimations fiables de biomasse aérienne, réalisées par Agbogba et Doyen (1985) dans une formation de Rhizophora racemosa de l’estuaire du Saloum, correspondent effectivement à des valeurs relativement faibles. En effet, les arbres âgés de plus de 20 ans présentent une hauteur maximale de l’ordre de 10 m et une biomasse 3 à 4 fois plus faible que celle observée dans les mangroves sud-asiatiques (tabl. 4). Cette valeur est aussi très inférieure à celle estimée par le modèle de Twilley et al. (1992) qui relie la biomasse et la latitude pour divers écosystèmes à mangrove (biomasse aérienne = – 7,291 (lat.) + 298,5 ; soit pour le Saloum environ 200 Mg.ha-1). Ce gradient latitudinal, observé à l’échelle mondiale et interprété comme une conséquence de flux énergétiques solaires variables, ne s’applique donc pas au Sénégal pour lequel d’autres facteurs de contrôle doivent intervenir. Les fortes aridité et salinité des sols peuvent être à l’origine de ces faibles performances d’une manière similaire aux observations réalisées dans les mangroves de Porto Rico (Cintron et al., 1978) dont les biomasses sont effectivement proches de celles estimées au Saloum (tabl. 4). Cette limitation climatique et édaphique qui se surimpose au gradient latitudinal permet d’interpréter, en dehors de toutes modifications anthropiques, les forts écarts décrits entre les formations de mangrove du Sénégal et de Guinée par exemple.
57Le peuplement ligneux paucispécifique (caractéristique des milieux de mangrove des façades atlantiques) est dominé par des Rhizophoracées comprenant trois espèces : Rhizophora harrisonii, R. mangle et R. racemosa, et par une Verbénacée (Avicennia africana). Ces deux familles, à la base de toutes les formations de mangrove, sont associées à des Combrétacées (Conocarpus erectus et Lagunaria racemosa) auxquels s’ajoutent en Guinée des Malpighiacées (Banisteria leona, Heteropteris leona et Stigmaphyllum ovatum). À l’échelle locale, la répartition spatiale de ces diverses espèces est déterminée par les caractéristiques morpho-sédimentaires du littoral qui résultent des dynamiques fluviales, océaniques et climatiques (cf. chapitre premier).
Tableau 4. Biomasse et productivité des formations de mangrove.


A. avicennia, R. rhizophora, C. ceriops, K. kandelia, L. lagunaria, N. nypa, S. sonneratia, X. xylocarpus.
Note **
Note ****
Note ******
Note ********
58Cette zonation climacique (qui exclue les modifications de nature anthropique) s’organise de l’eau libre vers l’hinterland en une succession de zones dont les peuplements sont constitués :
- par des Rhizophora : R. mangle succédant à R. racemosa qui colonise préférentiellement les parties les plus basses ;
- par des Avicennia africana en peuplement monospécifique dense puis discontinu ;
- par une formation mixte de Lagunaria racemosa et d’A. africana.
59A. africana (palétuvier blanc), plus adapté à la colonisation de substrat en phase de sédimentation active, est en général considéré comme une espèce pionnière et, dans le cas d’un bras de mer ou d’un cours d’eau, il se développe préférentiellement sur les barres de méandre résultant, sur la rive convexe, de l’accrétion des dépôts.
60Si les palétuviers constituent les espèces dominantes, tant en terme de biomasse que dans la définition du paysage, les formations de mangrove regroupent aussi des végétations non ligneuses. Ces plantes, moins pérennes, qui ne présentent pas de système racinaire profond et développé, sont plus directement soumises aux conditions climatiques moyennes et à la variabilité saisonnière du bilan hydrique. De ce fait, il existe une très nette divergence entre les communautés d’halophytes des mangroves du Sénégal et les pelouses à hydrophytes qui colonisent les zones hydromorphes à sédimentation rapide en Guinée. Les halophytes constituent une communauté diversifiée, dénommée « tanne » herbeux (à l’origine, terme usité au Sénégal et devenu générique), comprenant des espèces adaptées à la dessiccation (sclérophytes) et à la colonisation de substrats sableux instables (psammophytes) et salés (herbacées crassulescentes). Les principales espèces rencontrées sont les suivantes : Ipomoea pescaprae, I. cairica, Paspalum vaginatum, Scirpus littoralis, Philoxerus vermicularis, Sesuvium portulacastrum, Canavalia rosa.
61En condition encore plus sélective, la végétation se raréfie et l’écosystème évolue vers un type semi-désertique (caractérisé par la présence de Sporobolus robustus), voire désertique correspondant aux tannes nus. En liaison avec la péjoration climatique récente (baisse de la pluviométrie et recrudescence des actions éoliennes) qui affecte plus directement les régions septentrionales, l’accroissement de l’aridité et de la salinité des sols entraîne une extension de cette formation quasi azoïque au détriment des tannes herbeux. En limite de l’aire de répartition de la forêt, la formation herbacée correspond à une végétation de substitution qui prolifère consécutivement à l’exploitation des bois de palétuvier par l’homme.
62En Guinée et en Sierra Leone, la conjonction d’apports d’eau douce importants et de substrats argileux hydromorphes conduit à des écosystèmes de marais colonisés par des hydrophytes du genre Heliocaris et diverses plantes aquatiques flottantes et immergées. Des herbacées cras-sulescentes et une végétation de tourbe saumâtre comprenant des arbustes (Drepanocarpus lunatus, Banisteria leona...) et une Ptéridophyte (Acrostichum aureum) se développent dans la zone située en arrière-mangrove et soumise aux influences océaniques de façon saisonnière.
Les mangroves des Rivières du Sud : la macrofaune benthique
63Sur le plan mondial, la macrofaune benthique des écosystèmes à mangrove présente une grande cohérence avec des communautés constituées par les mêmes grands groupes zoologiques et, à l’intérieur de ces groupes, par les mêmes familles. Chez les crustacés, on rencontre des cirripèdes, des isopodes, des amphipodes, des mysidacés et des décapodes. Ces derniers sont les mieux connus et ils sont représentés par des crevettes Palaemonidae et Penaeidae ainsi que par quelques Thalassinidae et Paguridae, mais surtout par cinq familles de brachyoures qui se sont bien implantées dans ces écosystèmes margino-littoraux : Portunidae, Gecarcinidae, Xanthidae et surtout Grapsidae et Ocypodidae.
64De même, les populations de mollusques margino-littoraux sont toujours essentiellement constituées par Neritinae, Littorinidae, Melaniidae, Potamididae, Cerithiidae, Muricidae, Ellobiidae, Melampidae chez les gastropodes, et Mytilidae, Arcidae, Ostreidae, Donacidae, Tellinidae, Corbulidae chez les bivalves.
65Malgré ces importantes analogies, l’examen détaillé des genres et des espèces montre que chacune des quatre grandes unités biogéographiques3 de mangrove manifeste une nette originalité. Globalement, la diversité de la macrofaune benthique est plus élevée dans les mangroves de l’Indo-Ouest Pacifique que partout ailleurs. Pour ne citer qu’un exemple pris chez les brachyoures, dans la famille des Grapsidae, la sous-famille des Sesarminae est riche de trente espèces dans la région indo-malaise, alors que l’on en connaît seulement sept en Afrique de l’Ouest et cinq dans la mangrove guyano-brésilienne (Jones in Por et Dor, 1984).
66En Afrique de l’Ouest, le groupe des annélides polychètes, qui comprend principalement des espèces cosmopolites (Sigambra constricta, Namalycastis indica, Nephtys polybranchia, Hydroides dianthus (= unci-nata)), compte cependant deux espèces endémiques, Nereis victoriana et Ninoe lagosiana (Zabi et Le Lceuff, 1994).
67Dans cette unité biogéographique sont également endémiques le cirripède Euraphia aestuarii (Achituv, 1984), les mysidacés Rhopalophthalmus africana, R. longicauda, Afromysis bainbridgei, A. ornata, Tenagomysis nigeriensis, Acanthomysis trophopristes (Tattersall, 1957), les thalassinides Upogebia furcata et Callichirus turneranus (De Saint Laurent et Le Lceuff, 1979), les crevettes carides Alpheus pontederiae, Hippolysmata hastatoides, Nematopalaemon hastatus, Macrobrachium macrobrachion, M. vollenhovenii (Holthuis, 1951 ; Zabi et Le Lœuff, 1992, 1994), le pénéide Penaeus notialis (Lhomme, 1994) et les pagurides Clibanarius africanus et C. cooki (Forest, 1958 ; Zabi et Le Lœuff, 1994).
Figure 16. Répartition géographique des brachyoures margino-littoraux le long des côtes d’Afrique de l’Ouest.


Huîtres de palétuvier.
© Cormier.
68De même, les vingt espèces de brachyoures typiques des écosystèmes margino-littoraux de la zone intertropicale de l’Afrique de l’Ouest (fig. 16) se rencontrent seulement entre la Mauritanie et l’Angola, à l’exception de Panopeus africanus et Uca tangeri dont l’aire de répartition s’étend jusqu’au Sud-Portugal. Elles appartiennent aux familles des Portunidae, Xanthidae, Ocypodidae, Grapsidae et Gecarcinidae (Manning et Holthuis, 1981). Une seule espèce de Portunidae est vraiment typique des milieux de mangrove, Callinectes amnicola, qui peuple les chenaux, les estuaires et les lagunes où elle est activement pêchée (Lhomme, 1994).
69Les Xanthidae comptent quatre espèces fréquentant les mangroves : la présence de Eurypanopeus blanchardi, qui habite plutôt les côtes rocheuses, y est occasionnelle ; Panopeus africanus, Pilumnopeus africanus et P. caparti occupent essentiellement les fonds infralittoraux immergés.
70Parmi les cinq espèces d’Ocypodidae des mangroves d’Afrique de l’Ouest (tabl. 5), Uca tangeri, qui creuse des terriers et peut supporter quelques heures d’exondation, est très commun et largement répandu, contrairement à Calabarium crinodytes, Ecphantor modestus, Telmatothrix powelli, Lillyanella plumipes, seulement connus dans le delta du Niger. U. tangeri est la seule espèce du genre Uca présente dans la région, alors que 18 espèces sont présentes dans l’Indo-Ouest Pacifique et que l’on observe une spéciation intense dans les mangroves est- et ouest-américaines où 43 espèces sont signalées (Jones in Por et Dor, 1984). Les Grapsidae sont des crabes se réfugiant dans des terriers et fréquentant des substrats exondés. Pachygrapsus gracilis vit aussi dans l’intertidal marin alors que Goniopsis pelii, Metagrapsus curvatus, Sesarma angolense, S. buet-tikoferi, S. elegans, S. alberti, S. huzardi, S. kamermani sont plus strictement inféodés à la mangrove. Cardisoma armatum, seul Gecarcinidae ouest-africain, est le plus terrestre des crabes de mangrove. Il creuse son terrier au niveau du supralittoral et il est exploité.
Tableau 5. Espèces de mollusques margino-littoraux identifiées dans les différents milieux étudiés.

71Parmi les mollusques, et plus généralement pour l’ensemble de la faune, il n’est pas aisé d’établir une distinction entre les espèces strictement ou essentiellement margino-littorales répertoriées dans le tableau 5 et les espèces marines euryhalines intrusives. Ce tableau, établi d’après Le Lœuff et Zabi (1993), appelle les commentaires suivants.
72Tout d’abord la forte spéciation du genre Neritina, qui compte six espèces, est remarquable. Littorina angulifera est aussi présent dans les mangroves des côtes américaines orientale et occidentale ; la même niche écologique (épifaune des troncs et branches de palétuviers dans le supralittoral) est occupée dans l’Indo-Ouest Pacifique par l’espèce très voisine L. scabra. Les Melaniidae du genre Pachymelania, rencontrés nulle part ailleurs, sont typiques des milieux margino-littoraux d’Afrique occidentale. Il convient de remarquer que la famille des Melaniidae est surtout répandue dans les eaux douces et que, pour ce genre, il s’agit peut-être d’un rare exemple de conquête du milieu saumâtre par des espèces dulça-quicoles.
73Chacune des grandes régions de mangrove est caractérisée par une huître. Crassostrea gasar est l’huître de palétuvier ouest-africaine et ses équivalents sont Crassostrea columbiensis dans le Pacifique-Est, Crassostrea rhizophorae dans l’Atlantique occidental, Saccostrea cuccullata dans l’Indo-Ouest Pacifique. Enfin, il faut noter chez les Donacidae la présence de quatre espèces du genre Iphigenia ; d’autres noms d’espèces sont cités dans la littérature (I. globosa, I. truncata, I. tumida...), mais il s’agit vraisemblablement de synonymes, la systématique du genre étant encore incertaine.
Aspects de la biologie et de l’écologie de la faune benthique margino-littorale en Afrique de l’Ouest
Relations faune-conditions de milieu
74Si la vie dans les mangroves est soumise à de sévères contraintes qui incitent les espèces à développer divers types d’adaptation, en revanche, un certain nombre de caractères environnementaux sont favorables à l’épanouissement des populations benthiques : faible énergie hydrodynamique, zone ombragée, existence de nombreux substrats solides, forte production de matière organique endogène, apports complémentaires d’origine continentale et océanique.
75Les palétuviers offrent en particulier de multiples supports à une épifaune diversifiée constituée par des polychètes serpulidés, des cirripèdes et des mollusques (Littorinidae, Ostreidae, Mytilidae), sans parler des espèces coloniales fixées comme les éponges, les bryozoaires et les ascidies. Des organismes foreurs (les tarets des sous-genres Bankia et Teredo) peuvent se développer dans et sur les troncs, causant alors des dommages ; d’autres, comme l’isopode Sphaeroma terebrans (Brian et Darteville, 1949), creusent simplement de courtes galeries superficielles.
76La présence d’ombre est importante pour les espèces intertidales à respiration aérienne car elle rafraîchit la température et ralentit la dessi-cation. Chez les crustacés, les pertes d’eau se produisent au niveau des chambres branchiales et de la carapace. Les crabes appartenant aux genres Cardisoma, Uca, Sesarma qui vivent fréquemment en milieu exondé, construisent des terriers qui pénètrent au-delà du niveau moyen des basses mers. Quand la température dépasse certaines limites, ces constructions constituent des zones de refuge limitant les déperditions en eau (Crane, 1975).
77Les exondations, et en conséquence l’activité des organismes, sont déterminées par le rythme des marées. Si les filtreurs (bivalves, cirripèdes) peuvent être seulement actifs à marée haute, certains détritivores se nourrissent seulement à marée basse, de jour comme les Uca, ou de nuit dans le cas de certains Xanthidae.
78L’intense activité bactérienne de dégradation de la matière organique a pour conséquence un appauvrissement en oxygène des eaux au niveau du substrat et dans le sédiment. L’adaptation des organismes à ces conditions d’hypoxie se manifeste par une réduction du métabolisme ou/et par une augmentation des taux de ventilation et d’extraction d’oxygène. Chez Anadara senilis, en particulier, la présence de deux types d’hémoglobine permet de maintenir la respiration à un niveau élevé en présence d’une faible tension d’oxygène dans le milieu (Djangmah et al., 1980). Corbula trígona, autre bivalve, peut réguler le niveau de son activité respiratoire (Maslin, 1986).
79Dans l’écosystème margino-littoral, la salinité constitue l’un des facteurs prépondérants du contrôle du cycle vital et de la répartition du benthos. Des changements rapides de salinité, pouvant atteindre 20 g.l-1, se produisent au cours du cycle de marée, alors que les variations saisonnières sont responsables d’écarts parfois supérieurs à 30 g.l-1 (Sandison et Hill, 1966). Dans ces conditions de variabilité très importante, les crabes semi-terrestres sont capables d’osmorégulation (régulation de la teneur en chlorures de leur milieu intérieur) comme cela a été observé chez Uca tangeri (Nicou, 1960) et Cardisoma armatum (De Leersnyder et Hoestland, 1963, 1966). En saison humide, les crues des cours d’eau peuvent occasionner des mortalités importantes chez certaines populations, en particulier celles de Crassostrea gasar (Hunter, 1969 ; Sandison, 1966b ; Kamara, 1982). Aux effets létaux d’une forte dessalure s’ajoutent, pour les organismes filtreurs, les turbulences et la remise en suspension des particules minérales qui perturbent leur fonction trophique. De trop fortes salinités peuvent également être à l’origine de mortalités observées, par exemple, en saison sèche, chez le serpulidé Ficopomatus uschakovi et le cirripède Balanus pallidus stutsburi (Sandison et Hill, 1966 ; Sandison, 1966 a ; Hill, 1967).
80De même, les cas extrêmes de sursalures apparus dans les fleuves du Sénégal à la suite de la sécheresse des années soixante-dix et quatre-vingt se sont avérés préjudiciables à la vie des espèces benthiques. Selon Gilles (1991), la limite d’halotolérance de Crassostrea gasar se situerait à 60 g.l-1, limite largement dépassée dans les cours inférieur et moyen de la Casamance (Pagès et Debenay, 1987). Le cas le plus intéressant de la relation espèce-salinité est celui du bivalve Anadara senilis. Dans certaines petites lagunes du Ghana (lagune Brenu), le cordon littoral se ferme en saison sèche et les eaux deviennent sursalées à plus de 50 g.l-1, ce qui a comme conséquence la disparition totale de la population d’Anadara. Par la suite, le stock se reconstitue, des larves arrivant par la mer en provenance de lagunes voisines (Yankson, 1982). Par ailleurs, on observe que le même bivalve est installé sur des fonds sablo-vaseux intertidaux du littoral du banc d’Arguin où il réussit à se maintenir depuis plusieurs milliers d’années malgré des sursalures de plus de 50 g.l-1 (Le Lœuff et Zabi, 1993). Sur une longue période, dans cet estuaire relique, l’espèce a ainsi modifié son cycle de vie (longévité prolongée, croissance plus lente, taille maximale plus faible ; par rapport à ce qu’il continue d’être au centre de son aire de répartition). La reproduction et le recrutement sont néanmoins irréguliers et aléatoires car ils dépendent vraisemblablement de l’arrivée de fortes pluies susceptibles de faire baisser notablement la salinité des eaux sur ces hauts-fonds (Wolff et al., 1987).
81D’une manière générale, les phénomènes saisonniers – qui se traduisent principalement par des changements de salinité –, jouent un rôle essentiel dans le cycle vital de nombreuses espèces en contrôlant, en particulier, les différentes phases de la reproduction, par exemple chez Macrobrachium vollenhovenii (Ville, 1970, 1971), Callinectes amnicola (Lhomme, 1994), Neritina glabrata (Adegoke et al., 1969), Anadaraseni-lis (Afinowi, 1976 ; Okera, 1976 ; Wolff et al., 1987). La reproduction de l’huître de palétuvier Crassostrea gasar est pratiquement constante dans la région centrale de son aire de répartition géographique (Nigeria, Sierra Leone, Guinée), mais elle n’a lieu que périodiquement à sa périphérie (Sénégal, Congo), au moment de la transition saison sèche-saison des pluies (Sandison, 1966 b ; Cayré, 1976 ; Marozova et al., 1991 ; Gilles, 1991). Certaines espèces qui doivent régulièrement faire face à ce type de variations brutales renouvellent totalement leur population chaque année. C’est le cas du petit bivalve Corbula trigona qui se reproduit avant de disparaître sous l’effet de la prédation et de l’augmentation de salinité en saison sèche, en lagune Ébrié (Gomez, 1983) et dans le lac Ahémé (Maslin, 1986).
Benthos et réseau trophique
82À la base du réseau trophique des systèmes margino-littoraux, on trouve essentiellement du matériel végétal détritique endogène issu de la dégradation de la litière des feuilles de palétuviers auquel vient s’ajouter le seston d’origine continentale ou marine. Pour exploiter ces ressources, la plupart des invertébrés benthiques se trouvent au bas de la chaîne alimentaire.
83Les principales catégories trophiques rencontrées peuvent être classées parmi les catégories suivantes :
- les herbivores ou brouteurs : ainsi, les littorines broutent les lichens, les algues et les champignons sur l’écorce des arbres tandis que certains crabes (Goniopsis pelii, Sesarma elegans) se nourrissent directement aux dépens du feuillage des Avicennia et Rhizophora (Oddo, 1986) ;
- les detritivores, particulièrement nombreux, se subdivisent en deposivores et en suspensivores. Parmi les déposivores, on distingue les mangeurs et les lécheurs du biofilm déposé à l’interface eau-sédiment. Les crabes du genre Uca utilisent leurs chélipèdes pour saisir en surface un sédiment riche en fragments organiques et en micro-organismes (Crane, 1975) tandis que les gastropodes (Tympanotonus, Pachymelania, Melampus) qui rampent sur le substrat vaseux font vraisemblablement partie des lécheurs, même dans le cas des Pachymelania, des microphages agglutineurs (Binder, 1959). Les suspensivores regroupent surtout les bivalves (Anadara, Iphigenia, Tellina, Corbula) qui s’enfouissent dans le sédiment et prélèvent à l’interface eau-sédiment les particules en suspension ou en cours de sédimentation, par leur siphon inhalant ;
- les predateurs, les carnivores et les necrophages. Les crabes, de régime alimentaire omnivore, peuvent exercer une prédation sur certains mollusques dont ils cassent les coquilles (Plaziat, 1984). Les Portunidae, dont Callinectes amnicola est le représentant en Afrique de l’Ouest, sont réputés être carnivores. Parmi les mollusques, les gastropodes Muricidae Thais callifera, T. forbesi, Semifusus morio consomment les huîtres, les moules, les cirripèdes et même les tarets, en introduisant leur proboscis à l’intérieur des valves (Plaziat in Por et Dor, 1984).
Données quantitatives (densité, biomasse, production)
84Bien que les conditions abiotiques interdisent à de nombreuses espèces benthiques de s’installer dans les écosystèmes margino-littoraux, on constate que les espèces adaptées peuvent alors s’approprier les potentialités trophiques du milieu et développer d’importantes populations. Ainsi, de fortes concentrations ont souvent été relevées, en particulier chez les mollusques dont les densités par m-2 sont, par exemple pour Pachymelania fusca, de 320 dans l’estuaire de la Gambie (Monteillet et Plaziat, 1979), pour P. aurita, de 1 000 en lagune Ebrié (Binder, 1968), et de 1 000 à 2 000 et jusqu’à 60 000 juvéniles en lagune de Lagos (Ajao et Fagade, 1990 b).
85Quelques mollusques ont fait l’objet de recherches plus approfondies qui ont permis d’obtenir des valeurs de biomasse et de production. Ces études ont été réalisées dans divers écosystèmes paraliques d’Afrique de l’Ouest, situés en dehors des pays des Rivières du Sud. Cependant, certaines portent sur des espèces appartenant aussi à la faune benthique de cette zone géographique. Ces estimations fournissent ainsi des ordres de grandeur de ces deux paramètres et permettent de déterminer globalement la place fonctionnelle et trophique de ces communautés au sein de l’écosystème. Dans la lagune de Lagos, les populations de gastropodes Neritina glabrata et Pachymelania aurita ont été suivies en 1985-1986 par Ajao et Fagade (1990 a, 1990 b, 1990 c). Les répartitions de ces deux espèces sont caractérisées par une grande variabilité spatio-temporelle, les densités moyennes de N. glabrata variant de 12 à 45 et celles de Pachymelania aurita de 97 à 1 348 ind.m-2. Les biomasses et productions ont été estimées en quelques sites. Dans le cas de N. glabrata, les valeurs obtenues sont pour deux stations de 0,07 et 0,12 g.m-2 (biomasse moyenne exprimée en poids sec sans cendre) et de 0,09 et 0,26 g.m-2 (production annuelle). Les biomasses moyennes de P. aurita pour trois stations sont de 7, 11, 0,71 et 2,85 g.m-2, et les productions annuelles sont de 0,05, 1,13 et 6,48 g.m-2. Au cours de l’année 1976, une population du petit bivalve Corbula trigona est étudiée par Gomez (1983) sur un site de la lagune Ebrié ; la biomasse moyenne (poids sec décalcifié) est estimée à 84,15 g.m-2, et la production à 358 g.m-2.an-1. Des recherches sur la même espèce, plus étendues dans l’espace et le temps, sont menées par Maslin (1986) dans le lac Ahémé. Cette étude, à l’échelle du lac et sur une durée de trois ans (de 1981 à 1984), permet de déterminer une biomasse moyenne (poids sec décalcifié) de 14 g.m-2 et une production moyenne de 42 g.m-2, ce qui correspond à une production totale annuelle de 3 500 Mg pour une surface de 8,5.107.m2.
86Enfin, quelques chiffres relatifs à des populations exploitées peuvent être avancés. En lagune Ébrié, les prises annuelles moyennes de Penaeus notialis sont de 520 Mg sur la période 1971 à 1979 (Ecoutin et al., 1994). Les captures par la pêche artisanale de ce pénéide peuvent atteindre 300 Mg.an-1 dans le Saloum (Le Reste, 1994) et 1 600 Mg.an-1 dans le fleuve Casamance (Le Reste, 1987). En 1982, les débarquements du crabe Callinectes amnicola en lagune Ebrié sont de 1 000 Mg au point de vente de Dabou, alimenté seulement par les pêcheries de la zone ouest de la lagune, alors que seules les femelles sont commercialisées. On possède peu de données sur les autres espèces d’intérêt économique purement local comme le crabe Cardisoma armatum et le gastropode Tympanotonus fuscatus. La densité du bivalve Anadara senilis (bloody cockle), exploité dans de nombreuses régions, est estimée en moyenne à 9 ind.m-2 sur les bancs sablo-vaseux le long de l’estuaire de la Sierra Leone (Okera, 1976). Enfin, l’huître de palétuvier Crassostrea gasar, consommée également tout le long du littoral de l’Afrique de l’Ouest, fait l’objet de quelques évaluations. Hunter (1969) avance une valeur de 800 000 huîtres en moyenne par km de côte pour les gisements au voisinage de l’estuaire de la Sierra Leone, et Marozova et al. (1991) estiment la biomasse de C. gasar entre 250 et 270 Mg, également par km de côte dans la région de Conakry.
Peuplements benthiques
87Compte tenu des travaux de synthèse les plus récents sur la bionomie benthique dans les écosystèmes margino-littoraux d’Afrique occidentale (Plaziat in Por et Dor, 1984 ; Le Lœuff et Zabi, 1993 ; Zabi et Le Lœuff, 1993), on distinguera sept types de peuplement plus ou moins inféodés aux milieux de mangrove :
- un peuplement supralittoral à Littorina angulifera sur les troncs, les branches et les pneumatophores de palétuvier ;
- un peuplement médiolittoral d’épifaune sur les palétuviers comprenant des serpules (Hydroides dianthus, Ficopomatus uschakovi), des cirri-pèdes (Balanus pallidus stutsburi, Euraphia aestuarii), des bivalves (Crassostrea gasar, Brachyodontes niger), des gastropodes Muricidae prédateurs (Thais callifera, T. forbesi, Semifusus morio).
88Ces deux unités bionomiques se situent en bordure de mangrove, côté mer et ne pénètrent que peu vers l’intérieur. Un aspect du deuxième peuplement peut également être rencontré à un niveau plus bas, dans l’infralittoral, comme c’est le cas en lagune Ébrié, sur des fonds à hydrodynamisme assez intense, proches des communications avec l’océan.
89— un peuplement médiolittoral installé sur les substrats vaseux dans toute l’étendue de la mangrove, dominé par les gastropodes détritivores (Tympanotonus fuscatus, Pachymelania fusca, Melampus liberianus) et les crabes Ocypodidae et Grapsidae.
90Les autres peuplements appartiennent à l’étage infralittoral (faune des chenaux, estuaires, lagunes) :
- un peuplement situé dans la zone de contact avec l’océan, sur fonds envasés en mode calme, à Anadara senilis et Tagelus angulatus auxquels peuvent être associés la crevette Penaeus notialis, les pagures Clibanarius africanus et C. cooki, les bivalves Iphigenia laevigata, Loripes aberrans, Tellina nymphalis ;
- un peuplement en milieu oligohalin, sur fonds envasés riches en débris végétaux, à Pachymelania aurita et Mytilopsis africana que le polychète Sigambra constricta, les gastropodes Neritina glabrata et Neritina adan-soniana ;
- un peuplement, également en milieu oligohalin, sur des fonds en général moins envasés que ceux du biotope précédent, avec la présence fréquente d’éléments grossiers (graviers), à Corbula trigona et Iphigenia spp. avec les polychètes Nereis Victoriano, Namalycastis indica et Nephtys polybranchia et les bivalves Cyrenoida spp. et Tellina ampullacea;
- un peuplement de contact avec les eaux continentales, caractérisé par des espèces sthénohalines adaptées aux eaux à très faibles salinités, Pachymelania byronensis, Neritina oweniana, N. cristata et N. rubricata.
Caractères spécifiques des milieux margino-littoraux des pays des Rivières du Sud
91Les mangroves des pays des Rivières du Sud, partie intégrante des écosystèmes du domaine margino-littoral d’Afrique de l’Ouest, sont caractérisées par la présence de très nombreux estuaires. Leur originalité tient aussi à l’absence de lagunes, rencontrées plus au sud, dans le golfe de Guinée, de la Côte-d’Ivoire jusqu’au Nigeria.
92Comme indiqué précédemment, et en dépit de la diversité des conditions géomorphologiques et climatiques, les systèmes paraliques de l’Afrique occidentale montrent une grande homogénéité de leur faune benthique et représentent un ensemble biogéographique bien défini. Cependant, il est possible de proposer une typologie des milieux, fondée sur des différences physiographiques et faunistiques (Le Lœuff et Zabi, 1993). L’une des conclusions importantes de cette étude est la mise en évidence du rôle essentiel joué par le régime pluviométrique : les biodiversités faunistique et bionomique augmentent en même temps que la pluviométrie. En effet, on constate que les régions soumises à des précipitations importantes sont aussi celles qui présentent les richesses spécifiques les plus élevées. Ce fait est particulièrement évident quand on se réfère à l’ensemble des données relatives à la biogéographie des mollusques (tabl. 5). Si l’on tient essentiellement compte des milieux où les recherches sont menées intensivement, les zones à forte pluviométrie (Sierra Leone, Côte d’Ivoire, Nigeria, Cameroun et Congo) possèdent une richesse faunistique plus élevée que le Bénin, où les précipitations totalisent seulement 1 000 mm en moyenne dans l’année (Leroux, 1983), et surtout que le Sénégal, situé en limite septentrionale du système margino-littoral ouest-africain et encore moins arrosé.
93De même, la répartition géographique des brachyoures (fig. 16) indique un appauvrissement de la faune, d’une part dans la région centrale à déficit hydrique (Ghana, Togo et Bénin) où Sesarma alberti, S. buettikoferi, Pilumnopenaeus africanus manquent à l’inventaire, et d’autre part en direction du nord. Si l’on fait exception des quatre espèces d’Ocypodidae récemment récoltées au Nigeria et décrites par Manning et Holthuis (1981) dont l’extension géographique reste encore inconnue, il demeure que six parmi ces crabes (Pilumnopeus africanus, P. caparti, Sesarma elegans, S. alberti, S. angolense, S. buettikoferi) ne vont pas au-delà de la partie méridionale de la région des Rivières du Sud.
94Indépendamment de leurs influences sur la richesse spécifique et la diversité des peuplements, les précipitations jouent aussi un rôle important sur l’organisation et la structure des communautés. Dans le delta et la basse vallée du fleuve Sénégal, étudiés par Monteillet et Rosso (1977), on reconnaît seulement les peuplements de contact avec l’océan, caractérisés par Tagelus angulatus et Tellina nymphalis, où Anadara senilis est absent et où Tympanotonus fuscatus (gastropode bien adapté aux variations de salinité et à l’exondation) prend une place prépondérante, et oligohalin à Corbula trigona et Iphigenia messageri, associés ici à Mytilopsis africana et Cyrenoida senegalensis. Dans cet écosystème observé de 1972 à 1982 par Ausseil-Badié et Monteillet (1985), et en relation avec la baisse du débit du fleuve et la remontée du front salé vers l’amont, on note une réduction du biotope à Corbula et Iphigenia et une pénétration progressive de la faune estuarienne (en particulier de T. fuscatus) dans le fleuve.
95En lagune de Fadiouth (Elouard, 1974) et dans le delta du Saloum (Elouard et Rosso, 1977 ; Bouchet, 1977), milieux très ouverts sur l’océan et mal approvisionnés en eau douce, la salinité ne descend pas respectivement au-dessous de 15 et 20 g.l-1. Les eaux sont ainsi le plus souvent sursalées et seuls sont présents les peuplements de contact avec l’océan (peuplement à Littorina angulifera, à Crassostrea gasar et Brachyodontes niger en épifaune sur les palétuviers et à Anadara senilis et Tagelus angulatus dans les chenaux).
96Dans la basse vallée de la Gambie, la situation est sensiblement analogue à celle décrite pour le fleuve Sénégal. La faune spécifique de la mangrove y apparaît cependant plus riche avec, outre les espèces citées précédemment, la présence de Pachymelania fusca (Monteillet et Plaziat, 1979) au niveau du substrat. En revanche, Anadara senilis, Tagelus angulatus, Tellina nymphalis sont seulement présents à l’état de coquille. Cependant quelques années plus tard, la présence de A. senilis est à nouveau signalée (Van Maren, 1985). En amont de l’estuaire, on retrouve le peuplement à Corbula trigona accompagné de Neritina adansoniana, Mytilopsis africana, Cyrenoida sp., Iphigenia sp.
97Les mêmes peuplements du contact avec l’océan remontent loin en amont dans la Casamance, à plus de 100 km de l’embouchure (Monteillet et Plaziat, 1980). Au-delà subsiste une faune oligohaline comprenant Pachymelania aurita et Neritina adansoniana. A la fin des années quatre-vingt, la Casamance devient un milieu hyperhalin avec, lors de la saison sèche de 1986, un seuil de sursalinité de 170 g.l-1 situé à 230 km de la mer. Une faune marine occupe alors les 60 derniers km du cours faisant suite, plus en amont, à un peuplement estuarien appauvri imparfaitement décrit (Pagès et al., 1987).
98Pour retrouver l’écosystème margino-littoral avec toutes ses composantes bionomiques, il faut sans doute descendre jusqu’en Guinée où malheureusement on ne dispose pas actuellement de données faunistiques et écologiques suffisantes. Le milieu doit cependant être très proche de celui analysé par Longhurst (1958) dans l’estuaire de la Sierra Leone River où tous les peuplements décrits précédemment sont représentés.
Conclusion
99Du point de vue de la faune benthique, l’écosystème margino-littoral des pays des Rivières du Sud appartient à un ensemble ouest-africain s’étendant du Sénégal jusqu’à l’Angola. L’absence de lagunes, et donc de certains biotopes, conduit à un appauvrissement des communautés benthiques. En outre, et plus nettement dans sa partie la plus septentrionale, une pluviométrie insuffisante a pour conséquence une réduction importante de la richesse et de la diversité des communautés consécutivement à la disparition de certaines espèces et à la prolifération d’espèces très halotolérantes. Ce n’est que plus au sud, sur le littoral de la Guinée et de la Sierra Leone et dans un contexte de forte pluviométrie que l’écosystème trouve un épanouissement rappellant la situation observée dans le golfe de Guinée (Côte-d’Ivoire, Nigeria et Cameroun).
Les mangroves des Rivières du Sud : les peuplements de poissons
Place des communautés de poissons dans les écosystèmes à mangrove
100La frange côtière, les estuaires, les chenaux et les plaines inondables constituent le domaine aquatique des écosystèmes à mangrove. Si ces divers biotopes sont morphologiquement différents, ils correspondent cependant à des sous-systèmes hydrologiquement et fonctionnellement interconnectés et interdépendants. En effet, ils sont traversés par d’importants flux de matière et d’énergie auxquels contribuent les migrations obligatoires des espèces amphibiotiques (migrations génésiques) et les déplacements occasionnels des espèces opportunistes qui exploitent temporairement la productivité de la mangrove (migrations trophiques). Parmi ces divers écosystèmes, les estuaires, zones de contact entre les hydrosystèmes continentaux et océaniques, occupent une place particulièrement importante pour les communautés ichtyologiques.
Rôle de nourricerie des estuaires
101L’importance des estuaires comme lieu de nourricerie pour les communautés de poissons au stade juvénile est mise en évidence sous diverses latitudes (Johannes, 1978 ; Beckley, 1984 ; Day et al., 1989). Dans la plupart des cas, les géniteurs pondent en zone côtière (Yanez-Arancibia, 1985; Whitfield, 1990), et les larves planctoniques arrivent dans l’estuaire par nage active et transport passif. En mer, l’ichtyoplancton localisé à proximité de la couche limite (zone où la vitesse résiduelle du courant est nulle) effectue des migrations verticales couplées aux déplacements nycthéméraux du zooplancton. De nuit, en période de flot, ils se concentrent en subsurface, dérivent vers l’amont et colonisent la zone estuarienne (Fortier et Leggett, 1982, 1983). Les interprétations avancées pour expliquer l’avantage adaptatif que ces incursions représentent pour les populations côtières se réfèrent généralement à la turbidité des eaux (suspension de matière particulaire minérale et organique de nature planctonique et détritique) et aux fortes concentrations planctoniques observées dans la partie amont des estuaires. L’accumulation et le piégeage au sein de l’estuaire du matériel particulaire résultent des courants fluviaux, côtiers et tidaux ainsi que des gradients de concentrations ioniques, et donc de densité et de viscosité dans la zone de mélange des eaux continentales et marines (Whitfield, 1983; Day et al., 1989).
102Cette zone turbide se déplace dans l’estuaire en fonction du bilan hydrologique, et donc en fonction des saisons hydroclimatologiques. Elle forme un panache en milieu marin ou un bouchon au sein de l’estuaire turbide, et elle est le siège d’une forte activité minéralisatrice incluant des bactéries libres et fixées (Ducklow et al., 1982) et des microhétérotrophes (Day et al., 1989). Ce catabolisme permet un enrichissement important des eaux en nutriments. Les sels nutritifs en solution sont secondairement immobilisés par le phytoplancton au sein de la couche d’eau euphotique (Cloern, 1987) et/ou par une importante biomasse macrophytique (algues, herbiers pour les marais maritimes, palétuviers en zone de mangrove). Dans l’estuaire, les postlarves et les juvéniles de poissons trouvent ainsi des conditions trophiques favorables, notamment des ressources phyto- et zooplanctoniques abondantes, diversifiées et adaptées à leur capacité de filtration et de capture (Miller et Dunn, 1980 ; Mann, 1982 ; Legett, 1986). Le comportement agrégatif des alevins, dont les capacités de nage et de fuite sont limitées, conjugué à la turbidité des eaux qui réduit la distance de perception du prédateur, augmente les probabilités d’échappement des proies, et donc le taux de survie global de la population. Divers auteurs (Viniyard et O’Brien, 1976 ; Cyrus et Blaber, 1987 a, 1987 b, 1987 c; Gregory, 1993) ont pu vérifier un tel mécanisme expérimentalement. En outre, l’abondance des hauts-fonds en estuaire et dans la zone intertidale restreint l’accès des grands prédateurs ichtyophages et contribue ainsi à une plus faible pression de prédation sur les juvéniles et sur les espèces de petite taille (Blaber, 1980 ; Blaber et Blaber, 1980 ; Kneib, 1987).
103Enfin, comparativement au milieu marin, la diversité et la complexité structurale des habitats au sein des estuaires favorisent la concentration et la rétention des juvéniles (Fraser et Cerri, 1982 ; Crowder et Cooper, 1982 ; Nelson et Bonsdorff, 1990). Cependant, pour tirer bénéfice de ces avantages, les postlarves et les juvéniles doivent présenter un certain nombre d’adaptations écophysiologiques leur permettant de subsister dans un environnement caractérisé par une très grande variabilité et imprévisibilité. Sur un plan évolutif, l’ichtyofaune estuarienne est ainsi caractérisée par une grande plasticité vis-à-vis des ressources (Miller et Dunn, 1980 ; Hecht et Van der Lingen, 1992) et des conditions de salinité et de température (Holliday, 1965 ; Blaber et Blaber, 1980 ; Davis, 1988). En particulier, les dépenses métaboliques liées aux régulations thermique et ionique chez ces espèces tolérantes et opportunistes au stade juvénile resteraient deux à trois fois inférieures à l’énergie qu’ils consommeraient pour sortir des estuaires par nage active (Miller et al., 1985).
Spécificités des estuaires à mangrove
104En terme de superficie, les estuaires constituent des sous-systèmes importants du domaine aquatique des écosystèmes à mangrove. Diverses études ont été réalisées pour déterminer si une spécificité pouvait être reconnue aux estuaires tropicaux au sein des formations de mangrove. En effet, aux avantages que rencontrent les jeunes poissons en milieux estuariens se surajoute, en zone tropicale, la forte productivité des palétuviers (Por et Dor, 1984). Ces recherches avaient ainsi pour but de déterminer l’incidence éventuelle de cette forte productivité végétale terrestre sur les communautés ichtyologiques et les stocks halieutiques. Si le premier point relève de considérations écosystémiques et environnementales, le second, par ses implications socio-économiques, peut avoir une grande importance et orienter les politiques de gestion et d’aménagement de l’espace.
105Bien que la production arborée ne soit pas directement consommée par les poissons, elle permet la constitution d’un riche et complexe réseau microbien (Guiral, 1994). Cette biomasse bactérienne et fongique qui assure une minéralisation de la litière et les productions algales phyto-benthiques et épiphytiques sur les racines de palétuviers qui en dérivent partiellement constituent, via les communautés zooplanctoniques, micro-, méio- et macrobenthiques, des ressources alimentaires particulièrement riches et variées. Les biomasses constitutives des chaînes détritiques et autotrophes (production de régénération) sont alors suceptibles d’être exploitées séquentiellement par les différentes espèces et écophases de l’ichtyofaune. De nombreux auteurs confirment la fonction de nourricerie des estuaires à mangroves (Prince Jeyaseelan et Krishnamurthy, 1980 [en Inde] ; Louis et al., 1985 [en Guadeloupe] ; Tzeng et Wang, 1992 [à Taiwan]). Dans ce contexte spécifique, ce rôle serait lié à l’abondance des ressources trophiques et à une efficace protection des juvéniles à l’égard des prédateurs (Bell et al., 1984 [en Australie] ; Thayer et al., 1987 [en Floride]).
106En particulier, les racines-échasses (Rhizophora) et les racines pneu-matophores (Avicennia) constituent un ensemble d’abris accessibles aux seuls juvéniles. De même, l’ombre créée par la masse foliaire qui réduit les contrastes, diminue la distance de perception des proies par les prédateurs (Helfman, 1981). Plusieurs études ont ainsi montré une corrélation positive entre la surface (ou la longueur de côte) colonisée par la mangrove et la production halieutique en zone côtière (Turner, 1977 ; Martosubroto et Naamin, 1977 [pour les crevettes] ; Heald et Odum, 1970 ; MacNae, 1974 [pour les poissons]). Cependant, ce rôle de nourricerie des estuaires tropicaux et plus globalement de la mangrove fait encore l’objet de controverses. En effet, certains auteurs n’observent pas de nourriceries sur leur site d’étude (Little et al., 1988), mais il s’agit alors souvent de prospections n’ayant pas été prolongées au-delà de la zone de mangrove et n’intègrant donc pas les écosystèmes environnants. Néanmoins, même dans le cas d’études réellement comparatives, des résultats contradictoires ont été obtenus.
107Ainsi, dans le domaine corallien, Lal et al. (1984) décrivent des relations étroites entre les communautés de mangrove et récifale, alors que Blaber et Milton (1990) et Thollot (1992) considèrent ces deux communautés comme relativement indépendantes. Les mêmes contradictions se retrouvent aussi dans des travaux réalisés par de mêmes auteurs étudiant les mêmes milieux. En Australie, Blaber et al. (1985) et Robertson et Duke (1987) concluent à un rôle de nourricerie non significatif de la mangrove pour les espèces à haute valeur commerciale, alors que dans d’autres articles, ils parviennent à des conclusions différentes (Blaber et al., 1989), voire opposées (Robertson et Duke, 1990 a). Ces ambiguïtés dépendent des catégories d’espèces considérées et de leurs stratégies d’exploitation du milieu (Chong et al., 1990 ; Robertson et Duke, 1990 b ; Sasekumar et al., 1992).
108En tant que formation végétale, le rôle de la mangrove à l’égard de l’ichtyofaune n’est donc pas clairement établi. Cette formation végétale fait partie intégrante des milieux estuariens et, de ce fait, les caractéristiques favorables au développement des poissons (richesse trophique, abris...) sont autant liées à la mangrove qu’aux milieux estuariens. Les ressources nutritives, en partie dépendantes de la forte productivité végétale des palétuviers, ont des origines multiples et difficilement identifiables, et elles sont exploitées par des réseaux trophiques complexes. Dans ces conditions, il est difficile de cerner la spécificité de la mangrove indépendamment de sa localisation à l’interface entre les milieux aquatiques continentaux et océaniques. Il semble toutefois qu’il existe un relatif consensus pour considérer la mangrove comme un biotope favorable au développement des juvéniles. Les divergences constatées précédemment peuvent être en partie explicitées par les régimes fluviaux (exportation ou rétention des nutriments à l’intérieur de la mangrove), par la turbidité des eaux (dont le rôle protecteur peut ne pas être restreint à la seule zone de mangrove) ainsi que par l’existence d’éventuels d’habitats « alternatifs » en domaine côtier. Parmi ces habitats alternatifs, les criques littorales (Beckley, 1985) et les zones de déferlement semblent aussi constituer des nourriceries importantes complémentaires à celles des estuaires (Ross et al. in Yanez – Arancibia, 1987 ; Whitfield, 1989) et exploitées spécifiquement par certaines écophases (Bennet, 1989).
109Une seule étude à grande échelle permet d’étudier l’influence directe du couvert végétal sur l’ichtyofaune. Au Viêt-nam, l’analyse comparative d’un estuaire en zone de mangrove non affectée par la guerre et d’un estuaire artificiellement déconnecté des relations complexes qui le liaient avec la formation de mangrove (traitement aux défoliants, destruction des arbres par les bombardements et exportation de la litière par érosion des sols brutalement mis à nu) permet d’identifier les rôles fonctionnels de la mangrove. Après déforestation, la structure de l’écosystème estuarien présente de profondes modifications d’ordre quantitatif mais surtout qualitatif, avec un réseau trophique très simplifié et soumis à une forte variabilité saisonnière (De Sylva in Cronin, 1975).
Les poissons des mangroves des Rivières du Sud
110Dans le cas des littoraux à mangrove des Rivières du Sud, l’abondance des chenaux et des estuaires est tout à fait remarquable sur la côte atlantique d’Afrique de l’Ouest (Guilcher, 1954). Cette spécificité se retrouve dans la dénomination de cette unité biogéographique caractérisée par l’importance de son réseau hydrographique, même si le terme « Rivières » regroupe en fait un ensemble hétérogène d’hydrosystèmes à salinité variable comprenant des estuaires, des rias et des chenaux à marée plus ou moins ramifiés et localement dénommés bolons.
111Dans ce contexte, l’ichtyofaune colonisant ou exploitant en permanence ou temporairement le sous-système estuarien est plus particulièrement étudiée. Ce choix découle de considérations d’ordre méthodologique, écologique et socio-économique. En effet, ce secteur est considéré comme une zone d’alimentation et de reproduction souvent essentielle pour les communautés néritiques, dont certaines populations font l’objet d’une forte activité halieutique. À l’opposé, l’étude des communautés de poissons strictement inféodées aux zones de mangrove reste relativement fragmentaire. Ces populations correspondent à des espèces peu affectées par la pêche car d’accessibilité difficile (localisation au sein de biotopes soumis à des alternances d’immersion et d’émersion et constitués par du substrat meuble colonisé par une formation végétale dense et peu pénétrable). De ce fait, elles ne constituent pas actuellement de réelles ressources halieutiques. Enfin, une grande majorité des espèces localisées dans la zone intertidale ne colonisent que temporairement l’écosystème à mangrove et appartiennent aussi, par le jeu des marées, à la faune estuarienne.
112Suite aux travaux de Day et al. (1989), un système estuarien peut se définir comme une indentation de la côte en contact plus ou moins restreint (demeurant ouverte au moins temporairement) avec l’océan.
113Cette zone d’interface caractérisée par des eaux marines significativement diluées par des eaux continentales (Pritchard in Lauff, 1967) comprend trois secteurs :
- un estuaire marin ou inférieur en relation directe avec le milieu marin ;
- un estuaire intermédiaire où se réalise un mélange intense des eaux douces et marines ;
- un estuaire supérieur ou fluvial dominé par les eaux douces, mais sujet aux alternances marégraphiques quotidiennes (Fairbridge in Olaussen et Cato, 1980).
114Les limites de l’estuaire et de ces divers sous-secteurs dépendent des caractéristiques marégraphiques à la côte et de l’importance des apports continentaux. De ce fait, suivant les conditions hydroclimatiques et les cycles de marée, la longueur d’un estuaire varie en fonction d’événements aléatoires (modifications naturelles ou anthropiques de l’hydrologie fluviale ou de la géomorphologie côtière) et selon des fréquences périodiques et des échelles de temps multiples. En outre, divers estuaires d’une même zone géographique, et donc influencés par des conditions marégraphiques et climatiques locales similaires, peuvent différer radicalement en fonction des caractéristiques géomorphologiques et hydrologiques propres à chacun des bassins versants.
115Dans le cas des mangroves des Rivières du Sud, la multiplicité des systèmes estuariens, combinée à l’existence d’un gradient climatologique qui se surimpose à un même type de formation végétale côtière au sein d’un ensemble biogéographique homogène, correspond à un cadre particulièrement favorable pour la réalisation d’études comparatives. En particulier, par cette approche, une analyse synthétique de l’incidence des régimes hydrologiques sur l’abondance, la stabilité, la richesse spécifique et la structuration spatiale et fonctionnelle des communautés ichtyologiques estuarienne et côtière est possible. Cette stratégie d’analyse holistique, qui intègre les notions essentielles d’interactions en fonction du temps et de l’espace des phénomènes physiques et biologiques et de structuration hiérarchique des biocénoses (Frontier et Pichod-Viale, 1991), a aussi un réel intérêt appliqué. Des extrapolations et des prévisions des transformations écosystémiques à l’échelle locale et régionale peuvent en effet être ainsi formulées consécutivement à des modifications climatologiques ou anthropiques des bilans hydrologiques. Cependant, cette approche demeure limitée par le nombre d’estuaires réellement étudiés avec des méthodologies adaptées pouvant rendre compte qualitativement et quantitativement de la richesse et de la diversité de l’ichtyofaune.
116Cette étude comparative se limitera ainsi à certains fleuves d’Afrique de l’Ouest. Elle synthétisera les travaux menés sur les estuaires du fleuve Sénégal (Pandaré et al., 1990 ; Diouf et al., 1991), du Sine-Saloum (Seret, 1983 ; Diouf et Deme-Gningue, 1992), de la Gambie (Dorr et al., 1985 ; Lesak, 1986), de la Casamance (Albaret, 1984, 1986, 1987 ; Pandaré et Capdeville, 1986 ; Pandaré, 1986, 1987), de la Guinée-Bissau (Deme-Gningue et al., 1994 ; Kromer et al.,. 1994) et de la Guinée (Boltachev, 1991 ; Baran, 1994, 1995).
Origine des peuplements
117La variété morpho-édaphique et hydrologique des estuaires des Rivières du Sud a pour conséquence une grande diversité des conditions environnementales, et donc des habitats disponibles pour les communautés ichtyques. À cette diversité des habitats et à cette « capacité d’accueil » élevées correspond un potentiel de colonisation important regroupant des espèces marines côtières, estuariennes et continentales. Une partie très importante des peuplements néritiques d’Afrique de l’Ouest est susceptible de pénétrer dans les estuaires des Rivières du Sud pour des durées et à des stades divers. C’est également par la mer que les espèces estuariennes, euryhalines et dont l’endémicité est faible, peuvent coloniser ces milieux (espèces « ubiquistes »). Les formes continentales, nettement moins diversifiées et abondantes que les précédentes, ont des aires de répartition généralement moins étendues et contribuent à donner aux peuplements estuariens leur spécificité régionale (espèces « endémiques »).
Nature des peuplements
118Sans doute plus que pour tout autre type de milieu aquatique, les spécialistes se heurtent aux problèmes de la définition des peuplements estuariens et lagunaires. A l’usage, il apparaît que les classifications proposées, fondées pour la plupart sur les capacités et les performances osmorégulatrices des espèces, ne sont guère satisfaisantes (Kiener, 1978). Une classification qui, outre le degré d’euryhalinité, prend en compte les caractéristiques fondamentales du cycle bioécologique de chaque espèce (répartition, localisation, époque et conditions de la reproduction, abondance et localisation des diverses écophases) permet de mieux concevoir l’origine, la nature et certains aspects fonctionnels des peuplements.
119Une telle classification, comprenant huit catégories écologiques se répartissant inégalement sur deux axes – marin et continental –, est proposée pour les milieux estuariens et lagunaires de l’Afrique de l’Ouest par Albaret (1994). Quatre de ces groupes (estuariens stricts, estuariens d’origine marine, estuariens d’origine continentale et formes mixtes marines-estuariennes), composés par des espèces largement euryhalines et eurybiotiques, constituent, par leur importance écologique (espèces permanentes, abondantes ou régulières) et/ou halieutique, les peuplements fondamentaux. Les autres entités regroupent des espèces indifféremment qualifiées de « complémentaires », « d’accessoires », de « rares » ou « d’occasionnelles »...
120Elles se situent aux extrémités des axes marins et continentaux, leur nombre et leur diversité variant selon le type, la taille et les caractéristiques hydrologiques et hydroclimatiques du milieu considéré. Toutes ces catégories peuvent être représentées dans certains estuaires largement ouverts à la fois sur les domaines marins et continentaux (par exemple fleuve Sénégal et Gambie). Dans les estuaires sursalés du Sine-Saloum ou de la Casamance, le « centre de gravité » du peuplement se déplace vers le pôle marin avec une quasi-disparition de la composante continentale. Dans le cas de certains estuaires lagunaires, le déplacement a lieu en sens inverse et les catégories à affinités les plus marines sont absentes ou peu représentées (par exemple dans le secteur continental de la lagune Ebrié en Côte-d’Ivoire [Albaret in Durand et al., 1994]).
Comparaison qualitative et quantitative des peuplements estuariens des Rivières du Sud
Richesse ou pauvreté de l’ichtyofaune des estuaires des Rivières du Sud ?
121Les milieux saumâtres pris dans leur ensemble ont la « réputation » de n’héberger qu’un nombre très limité d’espèces en raison des contraintes imposées par le milieu et, en particulier, par sa forte imprévisibilité (Petit, 1954 ; Remane et Schlieper, 1971 ; Kiener, 1978 ; Yanez-Arancibia, 1985 ; Day et al., 1989). Il est alors paradoxal de constater que, lorsqu’une estimation fiable existe, celle-ci est tout à fait comparable et parfois supérieure à celle d’autres milieux aquatiques tropicaux de dimensions comparables (Albaret, 1994 ; Albaret et Diouf, 1994 ; Baran, 1995).
122L’ambiguïté réside vraisemblablement dans l’absence d’un consensus sur la définition des limites spatio-temporelles de ces écosystèmes, mais aussi dans un manque d’homogénéité quant aux critères de recensement des espèces. Dans le cas d’organismes aussi mobiles que les poissons, il convient en effet de préciser quelles sont les espèces devant être considérées comme « estuariennes » dans une comparaison globale (McHugh, 1967 ; Day, 1981 ; Wallace et al., 1984 ; Albaret, 1994 ; Whitfield, 1994). Cette question rejoint la notion de dépendance estuarienne pour laquelle il n’existe pas encore de réel consensus (Skud et Wilson, 1960 ; Hedgpeth, 1982 ; Wallace et al., 1984 ; Blaber et al., 1989 ; Potter et al., 1990).
123Le tableau 6 situe la richesse spécifique des estuaires des Rivières du Sud dans le contexte ouest-africain et plus largement dans celui des milieux estuariens et lagunaires tropicaux. Cette revue montre, lorsque l’on recense l’ensemble des espèces rencontrées au moins une fois à l’intérieur des limites d’un système donné, que les estuaires des pays des Rivières du Sud comptent parmi les écosystèmes saumâtres tropicaux où les plus grands nombres d’espèces peuvent être observés. En outre, on constate qu’il n’existe pas, pour ces estuaires, de gradient nord-sud de la richesse spécifique. De plus, le nombre des espèces recensées n’est significativement corrélé ni aux variables hydromorphologiques descriptives des bassins versants ni aux paramètres caractérisant l’hydrologie et l’hydrochimie des estuaires (tabl. 7).
Tableau 6. Richesse spécifique des milieux estuariens et lagunaires tropicaux.

Tableau 7. Caractéristiques des milieux étudiés.

Note **
Ces données correspondent aux années auxquelles ont été étudiées les faunes.
124Deux hypothèses complémentaires peuvent être proposées pour expliquer la richesse spécifique élevée des milieux estuariens des Rivières du Sud :
125— dans les fleuves à débit nettement positif (Sénégal, Gambie, Fatala), la variabilité hydrologique entre saison des pluies et saison sèche est importante, et elle a pour conséquence une grande mobilité du front de salinité nulle.
126En saison humide, la majeure partie de la zone définie comme estuarienne est occupée par des eaux d’origine continentale qui permettent l’intrusion d’espèces strictement dulçaquicoles, comme certains Mormyridae, Schilbeidae, Clariidae...
127En saison sèche, la salinité dans la partie inférieure de l’estuaire est proche de celle de la mer. Ces conditions permettent alors une pénétration d’espèces marines plus sténohalines qui exploitent au stade juvénile et/ou adulte la diversité qualitative des ressources trophiques disponibles ; diversité tant dans la nature que dans la structure dimensionnelle des proies potentielles. Ces incursions saisonnières d’espèces provenant des deux écosystèmes adjacents se combinent à la présence d’un peuplement strictement estuarien (au sens où il accomplit la totalité de son cycle biologique en estuaire) remarquablement adapté aux variations extrêmes du milieu (Albaret, 1994). Periophtalmus barbarus, Tilapia guineensis, Sarotherodon melanotheron... entrent dans cette dernière catégorie ;
128— dans les estuaires inverses du Sénégal à débit nul ou négatif (évaporation supérieure aux apports d’eau douce), l’influence continentale est quasiment nulle. Le peuplement est structuré par le gradient de salinité croissant vers l’amont et se traduit par une diminution de la richesse spécifique de la mer vers le haut de l’estuaire (Albaret, 1987). Cependant, si la proportion d’espèces accomplissant la totalité de leur cycle en estuaire est comparable à celle des fleuves évoqués précédemment, le « déficit » en espèces d’origine continentale est compensé par la présence d’un plus grand nombre d’espèces marines dont l’incursion dans ces eaux riches n’est pas limitée par la présence d’une zone côtière saumâtre ou par l’éventuelle compétition avec des espèces dulçaquicoles.
Typologie et comparaison des peuplements estuariens régionaux
129Des travaux récents permettent d’établir une typologie des estuaires d’Afrique de l’Ouest sur la base de leurs peuplements ichtyques (Baran, 1995). Cette typologie est fondée sur une analyse factorielle des correspondances prenant en compte l’ensemble des espèces observées pour chacun des estuaires sélectionnés. L’éloignement ou la proximité statistique de deux estuaires reflètent ainsi leurs proportions respectives d’espèces communes (espèces ubiquistes) ou caractéristiques (espèces endémiques). On constate une forte similitude des faunes du Sine-Saloum et de la Casamance (fig. 17). Cette proximité est logique, car ces systèmes géographiquement proches ont aussi un fonctionnement hydrologique sensiblement identique. En particulier, ces peuplements sont largement dominés par des espèces à affinité marine, notamment des raies (Dasyatidae), mais les taxons traditionnellement qualifiés « d’estuariens » sont également bien représentés (Pseudotolithus elongatus, Galeoides deca-dactylus.). Le Rio Buba de Guinée-Bissau présente de fortes affinités avec cet ensemble. Cependant, la présence de certaines espèces d’origine strictement océanique (sept espèces de requins dont deux requins-marteau colonisent cet estuaire) traduit une influence marine prépondérante.
130L’originalité de l’ichytofaune de cet estuaire peut être reliée à des arrivées d’eau douce limitées, à l’importance de son ouverture sur l’océan (20 à 60 m de profondeur et 4 km de largeur à l’embouchure) et, comparativement au fleuve Sénégal, à l’absence d’un phénomène de sursalure saisonnière. À l’opposé se projettent les estuaires de la Fatala et de la Gambie (70 % des espèces de la Gambie étant communes avec celles de la Fatala). L’estuaire guinéen se caractérise par la présence de nombreux taxons d’eau douce (Mormyridae, Characidae, Notopteridae...) et de Gobiidae inféodés aux milieux vaseux. Enfin, l’estuaire du fleuve Sénégal qui correspond au troisième pôle dans ce plan factoriel est caractérisé par une faune dulçaquicole riche et dominée par des espèces spécifiques des cours d’eau sahélo-soudaniens (Paugy et al., 1994).
Figure 17. Représentation dans un plan d’analyse factorielle des correspondances de six estuaires d’Afrique de l’Ouest en fonction de la composition de leur peuplement de poissons.

131Bien que leurs régimes hydrologiques soient, à des échelles différentes, de même type (crue unique lors de la saison des pluies, débit fluvial très excédentaire par rapport aux apports océaniques), les peuplements des fleuves Fatala et Sénégal sont nettement distincts. Leurs ichtyofaunes dulçaquicoles appartiennent, en effet, à des provinces biogéographiques différentes (Sénégal : région sahélo-soudanienne ; Fatala : région guinéenne septentrionale ; [Orstom-cnshb, 1994]). En liaison avec une sous-représentation des taxons dulçaquicoles dans la zone saumâtre, la richesse spécifique de la zone estuarienne de la Gambie (52 espèces d’après Dorr et al., 1985) est très faible. Ces résultats posent la question de la qualité des données disponibles et en particulier de l’échantillonnage pratiqué. En effet, compte tenu de l’importance de ce fleuve, de l’étendue de son bassin versant, de la richesse de son ichtyofaune d’eau douce et de l’appartenance de celle-ci à la province sahélo-soudanienne (Johnels, 1954 ; Hugueny et Lévêque, 1994), cet estuaire devrait logiquement se positionner entre les fleuves Sénégal et Fatala.
Figure 18. Pourcentage de l’abondance totale par famille dans trois estuaires des pays des Rivières du Sud.

132Enfin, l’analyse permet de mettre clairement en évidence l’importance du nombre des espèces ubiquistes (21 espèces sont communes à l’ensemble des estuaires considérés). À une échelle plus vaste, ces espèces appartiennent aussi au peuplement de base qui colonise tous les milieux estuariens et lagunaires d’Afrique de l’Ouest (Albaret, 1994). Dans les estuaires des Rivières du Sud, les Carangidae (huit espèces), les Sciaenidae (six espèces) et les Mugilidae (six espèces) correspondent aux familles les plus diversifiées. En terme d’abondance, les peuplements sont dominés par les Clupeidae planctonophages, les Sciaenidae et les Ariidae.
Abondances et biomasses des peuplements estuariens régionaux
133Dans ces estuaires d’Afrique de l’Ouest, les Clupéidés sont toujours numériquement les plus abondants et représentent 61 à 85 % des captures. Cependant, les espèces dominantes peuvent différer selon les estuaires : l’espèce prépondérante est Ethmalosa fimbriata en Casamance, et Sardinella maderensis dans la Gambie et le Sine-Saloum. En Guinée-Bissau, ces deux espèces (E. fimbriata et S. maderensis) prédominent alors qu’en Guinée la plus abondante est Ilisha africana.
134La figure 18 illustre les abondances relatives des différents taxons dans trois des estuaires considérés. Dans le Sine-Saloum et, semble-t-il, en Guinée-Bissau, les abondances et les biomasses sont maximales à une vingtaine de kilomètres de l’embouchure. Deme-Gningue et al. (1994) émettent l’hypothèse selon laquelle l’abondance dépendrait d’un ensemble complexe de facteurs intégrant la distance à la mer, le volume d’eau dans le cours d’eau et l’importance des échanges avec le milieu terrestre (notamment au cours des flux et reflux tidaux dans la mangrove). Cette dernière variable influerait sur l’abondance de l’ichtyofaune via les apports de sels nutritifs au chenal, et donc via la richesse et la disponibilité des communautés planctoniques. En revanche, l’estuaire de la Fatala présente une distribution d’abondance différente, uniformément décroissante de l’aval vers l’amont. En Gambie, les deux études disponibles s’accordent sur la diminution d’abondance vers l’amont de l’estuaire mais divergent, quant à sa variation, dans la partie inférieure. Les résultats de Lesack (1986) mentionnent une abondance maximale à 50 km en amont de l’embouchure. Cette répartition repose sur des estimations de biomasse déduite des captures de la pêche artisanale et intègrent donc des considérations de nature non biologique (variabilité de l’équipement, accessibilité des sites et des espèces, préférences des pêcheurs...).
135Les études sur la Casamance confirment l’existence d’une organisation des communautés (abondance relative des diverses espèces) en fonction de leur localisation au sein de l’estuaire :
- en aval, dominance des silures et des otolithes ;
- dans la partie médiane, dominance des ethmaloses et mulets ;
- en amont, prolifération des tilapias.

Mulets.
© Cormier.
136Par ces substitutions, les biomasses capturées restent quasi constantes de la mer jusqu’à la zone hyperhaline, alors que la diversité spécifique est considérablement réduite (Albaret, 1987).
137Une comparaison ponctuelle des prises par unité d’effort est possible entre les estuaires du Sine-Saloum et de la Fatala, ces deux milieux ayant été échantillonnés selon le même protocole mettant en œuvre le même engin – une senne tournante coulissante. Pour le Sine-Saloum, le rendement moyen est plus de trois fois supérieur à celui estimé pour la Fatala (respectivement 15,0 et 4,6 kg par coup de filet). En halieutique côtière, on considère que les régions les plus riches d’Afrique de l’Ouest sont les zones guinéenne et bissau-guinéenne du plateau continental (Williams, 1964). Les prises par unité d’effort dans les eaux côtière sénégalaises sont égales (Longhurst, 1963) ou inférieures (Domain, 1974 et 1989) à celles des eaux guinéennes. Il existe ainsi une apparente contradiction entre les captures des pêcheries côtières et les biomasses estimées selon une méthodologie standardisée pour les estuaires de Guinée et du Sénégal. Il est probable que la relative richesse des eaux côtières guinéennes, qui ne sont pas, comme au Sénégal, influencées par un upwelling (source d’enrichissement des eaux de surface qui induit une intensification de la productivité globale du système), résulte de considérations dépendantes plus de l’activité de pêche que de l’abondance réelle de la ressource.
Variabilité structurale de l’ichtyofaune des Rivières du Sud
L’ESTUAIRE CÔTIER DE GUINÉE
138La forte productivité halieutique de la zone côtière guinéenne peut s’expliquer par l’importance des apports fluviaux et du ruissellement (Mahé, 1993). En saison des pluies, ces flux hydriques associés au fort marnage résultant de la morphologie du plateau continental permettent par effet de chasse une exportation effective vers le littoral de la production mangro-vienne temporairement retenue au niveau du volume oscillant turbide (Guiral, 1994). En outre, par leur ouverture, les estuaires guinéens permettent des échanges continus entre les ichtyofaunes intra-estuarienne et côtière. Les migrations des poissons contribuent ainsi à une exportation importante de matière organique élaborée et d’énergie de l’estuaire vers la zone littorale. Enfin, les étendues de vasière de front de mer, découvertes à marée basse, favorisent la production phytobenthique, et donc l’enrichissement des zones intertidale et côtière.
139Ces observations rejoignent indirectement les conclusions de Longhurst et Pauly (1987) qui, après avoir contesté la validité de nombreuses études intra-estuariennes – ces dernières concluant à la dépendance des espèces côtières tropicales à l’égard des estuaires –, proposent un concept d’estuarisation du plateau continental pour la zone tropicale. Cette continuité à grande échelle entre les estuaires et le domaine littoral guinéen se vérifie tout particulièrement lors de la saison des pluies. Ce type d’entité fonctionnelle, depuis longtemps esquissé (Caspers, 1954 ; Mann, 1982 ; Rodriguez, 1975), est détaillé en Asie du Sud-Est par Blaber (1980) et illustré, notamment par Chong et al. (1990), en Malaisie où existe une réelle continuité hydrochimique et écologique entre la mer et la mangrove.
140Dans le cas de la Guinée, cette notion se justifie :
- par la similitude des conditions de milieu (dessalure, turbidité, nature du fond...) entre zone littorale et domaine estuarien au sens strict (Diop, 1990) ;
- par l’observation d’une activité génésique importante en zone littorale, notamment à proximité des îles de Los (Pandaré et Tamoïkme, 1993), chez des taxons normalement considérés comme typiquement estuariens (Sciaenidae, Mugilidae) ;
- par la présence d’une communauté dont le cycle vital semble s’accomplir à la fois en secteur estuarien et côtier (Baran, 1995) ;
- par la présence, dans les captures littorales, d’une communauté à Sciaenidae d’estuaire que l’on trouve en abondance de la côte jusqu’à des profondeurs de 8 m, soit environ à 12 km au large (Domain, 1989).
141La forte productivité halieutique de la zone côtière guinéenne semble, par des processus complexes qu’il sera difficile d’individualiser, liée au développement de la mangrove littorale, aux arrivées d’eau douce à la mer et aux crues saisonnières. Les aménagements qui auraient pour conséquence de modifier l’un de ces trois facteurs seraient susceptibles de modifier profondément l’équilibre actuel et, en particulier, la richesse du plateau océanique guinéen. Néanmoins, dans les années soixante-dix à quatre-vingt, la très faible exploitation halieutique au large de la Guinée, liée au contexte politique et économique, doit aussi être aussi prise en compte dans l’analyse de l’apparente richesse actuelle des côtes guinéennes.
LES ESTUAIRES HYPERHALINS DU SÉNÉGAL
142Depuis plusieurs décennies, le déficit pluviométrique de la zone sahélienne, et du Sénégal en particulier, a fortement perturbé les écosystèmes estuariens de la Casamance et du Sine-Saloum. Vers les années cinquante, cette aridité affecte le bassin du Sine-Saloum (Pagès et Citeau, 1990), et au cours des années soixante, la Casamance (Diouf et al., 1986). La réduction du volume et de la fréquence des précipitations combinée à la faiblesse de la pente de ces deux cours d’eau et à une forte évaporation ont provoqué une augmentation considérable de la salinité. C’est ainsi que des salinités de 170 et 120 g.l-1 ont été respectivement enregistrées en amont de la Casamance et du Sine-Saloum en juillet 1986 (Diouf, 1987 ; Diouf et al., 1991).
143À la suite de l’accroissement de la salinité s’instaure un processus de « marinisation » de l’ichtyofaune qui aboutit à une forte dominance des espèces marines et estuariennes à affinité marine, ces espèces constituant alors plus de 70 % du peuplement et près de 80 % de la biomasse totale (Seret, 1983 ; Albaret, 1987 ; Diouf, 1992). Au cours de cette évolution, la faune continentale a fortement régressé (Pandaré et Capedeville, 1986 ; Albaret et Diouf, 1994). Les seules espèces encore présentes sont Clarias anguillaris et Hemichromis fasciatus (Albaret et Diouf, 1994).
144Antérieurement, selon les travaux de Pellegrin (1904) et les témoignages des « Anciens », la composante continentale du peuplement constitue une communauté diversifiée comprenant des Hepsetidae, Characidae, Distichodontidae, Mormyridae, Bagridae, Cyprinidae, Citharinidae, Malapteruridae, Polypteridae...
145Il est surprenant de constater que, malgré l’hyperhalinité, les richesses spécifiques de la Casamance (85 espèces) et du Sine-Saloum (114 espèces) demeurent très élevées.
146Dans la Casamance, la richesse spécifique diminue de l’embouchure vers l’amont inversement à la salinité (Albaret, 1987 ; Diouf, 1992). Dans les secteurs les plus en amont de la Casamance et du Saloum, seules les espèces les plus résistantes subsistent à la fin de la saison sèche (Sarotherodon melanotheron, Liza falcipinnis, Tilapia guineensis, Elops lacerta et Ethmalosa fimbriata). Toutes ces espèces (à l’exception de E. lacerta) sont considérées comme des consommateurs primaires qui exploitent une biomasse algale très abondante et non contrôlée par les faibles densités du zooplancton (Diouf et Diallo, 1987). En outre, les tila-pias, l’ethmalose et les mulets sont détritivores, développant ainsi des stratégies alimentaires d’espèce opportuniste (Fagade, 1971 ; Albaret, 1987 ; Diouf et al., 1994 ; Deme-Gningue et al., 1994).
147E. lacerta et, de manière épisodique, Scomberomorus tritor qui exploite les juvéniles des espèces précédentes sont pratiquement les seuls prédateurs. Les secteurs hyperhalins présentent ainsi un réseau trophique très simplifié. La diminution de la salinité par les pluies permet l’arrivée d’espèces marines et estuariennes à affinité marine qui contribue alors à une plus grande diversification de l’ichtyocénose.
148Avec des eaux de salinité comprise entre 35 et 45 g.l-1, les richesses spécifiques du Bandiala, de la zone en amont du Diomboss et de la partie médiane du Saloum sont relativement élevées. À l’opposé, les embouchures du Diomboss et du Saloum, de salinités proches de celle de l’océan, présentent un peuplement moins diversifié. L’intense instabilité hydrodynamique qui caractérise ces secteurs d’interface semble limiter leur colonisation durable par divers taxons d’origine marine. En outre, dans les estuaires inférieurs, les remobilisations sédimentaires fréquentes et les fortes charges minérales qui en résultent peuvent aussi contribuer à un renforcement des contraintes sélectives.
149Paradoxalement, malgré les fortes salinités enregistrées au Sine-Saloum et en Casamance, les biomasses de poissons présentes dans ces « estuaires inverses » sont élevées comparativement à celles des « estuaires normaux » voisins (Diouf, 1992 ; Baran, 1995). En zone présahélienne, le déficit pluviométrique et le tarissement des fleuves limitent l’exportation des éléments nutritifs issus de la minéralisation de la mangrove (et des phragmitaies pour la Casamance) vers l’océan. La majeure partie de la richesse trophique de ces estuaires est ainsi exploitée sur place par des espèces opportunistes à taux de reproduction élevé. Par ailleurs, ils jouent un rôle de nourricerie très important comme en atteste la prédominance des écophases juvéniles (Clupeidae, Sphyraenidae, Polynemidae, Haemulidae, Mugilidae, Serranidae, Carangidae, Scombridae...) dans les peuplements (Diouf, 1992 ; Diouf et al., 1991).
150Il apparaît ainsi que l’hyperhalinité liée au déficit pluviométrique modifie profondément la composition spécifique de l’ichtyofaune des « estuaires inverses » du Sénégal. En revanche, elle n’affecte apparemment que très peu (voire pas du tout) la productivité et les fonctions de nourricerie de ces milieux. Par arrêt des exportations, la rétention de la richesse trophique au sein de l’estuaire peut contribuer à une plus grande productivité des communautés ichtyologiques. Cependant, le déficit hydrique et l’hyperhalinité risquent, par leurs effets néfastes à long terme sur la mangrove arborée, de radicalement déstructurer l’écosystème via un tarissement de ses principales sources d’énergie et de matière organique endogène.
Conclusion
151L’ichtyofaune des Rivières du Sud est dominée par une communauté d’espèces ubiquistes qui colonise tous les milieux estuariens et lagunaires d’Afrique de l’Ouest. De ce fait, il n’existe pas de peuplement structuré que l’on puisse identifier comme strictement inféodé aux estuaires à mangrove.
152Parmi les populations des Rivières du Sud, les Clupéidés constituent la famille la plus abondante en terme de densité et de biomasse. En fonction des estuaires, l’espèce (ou les espèces) de Clupéidés dominante(s) peut(peuvent) varier. Cependant, toutes ces espèces sont morphologiquement voisines et occupent sensiblement la même niche, et de ce fait elles ont la même fonction au sein de l’écosystème. Cette dominance du peuplement par un nombre limité d’espèces vicariantes (dont la tolérance à l’égard des charges minérales en suspension peut constituer le paramètre de sélection : Ethmalosa fimbriata semblant plus sensible qu Ilisha africana aux fortes turbidités) conduit à une grande homogénéité spatiale des peuplements, et surtout de leur structuration. Les spécificités régionales résident alors essentiellement dans l’importance des échanges faunistiques qui s’établissent entre la mangrove et les écosystèmes adjacents, continental ou océanique. Le sens de ces influences est strictement dépendant du bilan hydrologique du système fluvial considéré. De ce fait, l’importance et le sens de ces intrusions sont soumis aux mêmes fluctuations et variabilités temporelles que les régimes hydrologiques et climatiques des Rivières du Sud et de leur bassin versant. Le peuplement ichtyologique des Rivières du Sud constitue ainsi un bon indicateur de la dynamique globale de l’écosystème, et donc de ses modifications naturelles et anthropiques.
L’avifaune colonisatrice des écosystèmes littoraux des Rivières du Sud
153L’avifaune sédentaire et migratrice des Rivières du Sud se distribue dans l’espace de manière irrégulière, en fonction de quatre grands types d’environnements :
- les îles marines dépourvues de végétation ;
- les tannes, plus particulièrement développés au nord ;
- la mangrove au sens strict regroupant trois types de milieu : les massifs de palétuviers, l’eau libre des chenaux et les vasières ouvertes ;
- le cours aval des fleuves, zone de transition entre le continent et les secteurs sous influence marine.
Les îles marines dénudées
154Hormis des îlots rocheux d’Alcatraz et de Los en Guinée, les îles marines sont formées par des accumulations de matériaux détritiques et correspondent à la partie distale et progradante des deltas. Elles apparaissent à faible distance de la côte, là où la sédimentation terrigène préfigure un futur cordon littoral. Edifié depuis très peu de temps, instable, le substrat sableux est nu ou mal recouvert par une végétation herbacée ou buissonnante. Certains cordons littoraux isolés, comme la presqu’île aux oiseaux de Kafountine (Casamance), ont aussi un recouvrement végétal faible et jouent ainsi un rôle similaire pour l’avifaune.
155À la fin de la saison sèche (avril-juin), ces milieux plus ou moins protégés des prédateurs terrestres accueillent de grandes colonies d’oiseaux marins nicheurs, en particulier des sternes (Sterna maxima, S. caspia, S. hirundo, et exceptionnellement S.fuscata). La répartition spatiale des oiseaux sur les îles suit le degré d’évolution du couvert végétal. La sterne royale (S. maxima), colonisant les zones tropicales et subtropicales, et la sterne Caspienne (S. caspia), à plus vaste aire de répartition, se reproduisent et constituent de très grandes colonies sur le sol nu. Le succès de la reproduction de ces espèces nichant dans des zones hydrologiquement instables est très faible. Dans certains cas, le recouvrement par la marée des sites de ponte peut aboutir à une absence totale de reproduction de la colonie. En outre, en Sénégambie, les requins exerceraient une forte prédation sur les jeunes rassemblés à proximité du rivage (Dupuis, 1975). De petits groupes du goéland railleur (Larusgenei) occupent les espaces dénudés. Ils colonisent également les zones de végétation rase où nidifie la mouette à tête grise (L. cirrhocephalus). La sterne pierregarin (S. hirundo) recherche l’abri d’herbes hautes. Les ardéidés s’installent dès l’enracinement des buissons.
156Au cours de cette période, les sternes se nourrissent presque exclusivement en haute mer, sur les zones d’upwelling. Ainsi, à la fin du mois de mai 1983, alors que les colonies de sternes du Sine-Saloum regroupent plus de 10 000 couples, des comptages réalisés sur 75 km de canaux et de bolons situés dans la mangrove face à ces îlots (Guillou, 1983) aboutissent à des estimations de densités très basses (espacement moyen entre deux individus 6 km pour S. caspia et 19 km pour S. maxima). Les évaluations obtenues pour d’autres laridés (L. cirrhocephalus et L. genei) étaient du même ordre, mis à part les ports de pêche dont les activités attirent des populations importantes de mouettes à tête grise (L. cirrhocephalus). Cependant, d’autres nicheurs insulaires, comme les ardéidés ou les pélicans, s’alimentent dans le domaine de la mangrove.
157Bien qu’il soit souvent impossible de déterminer précisément les besoins en nourriture des oiseaux sauvages, des essais de quantification ont été tentés pour estimer les apports en sels nutritifs que ces concentrations importantes en oiseaux marins nicheurs peuvent représenter pour ces îles. Les grandes sternes capturent des poissons dont les tailles s’échelonnent entre 10 et 20 cm (S. caspia) et entre 5 et 10 cm (S. maxima). Sur les côtes d’Afrique occidentale, S. maxima recherche des clupéidés, des mugilidés et des carangidés. La quantité de poissons frais nécessaire à l’alimentation d’un jeune issu de la ponte généralement unique (2 à 3 pontes de 2 œufs sur 1 000 pontes étudiées en Mauritanie, par Naurois [1969]) de S. maxima (340 g en fin d’élevage) est comprise entre 1 800 et 3 000 g. En 1983, avec environ 10 000 couples, la colonie de sternes royales du Sine-Saloum aurait ainsi consommé moins de 30 tonnes de nourriture.
158Les apports de nutriments de la zone d’upwelling au domaine côtier sont donc limités, même si l’on intègre les déjections liées à l’alimentation des adultes. Le substrat sableux, très perméable, permet en outre une élimination rapide des phosphates et des nitrates qui, de ce fait, ne modifient pas le fonctionnement des environnements périinsulaires. À l’opposé, des accumulations de guano existent sur des substrats lithifiés comme ceux des îles rocheuses de Guinée. Sur l’île d’Alcatraz, ces dépôts étaient suffisamment importants (environ 3 m d’épaisseur pour une surface de 0,75 ha) pour rentabiliser, avant 1940, leur exploitation (Châtelat, 1938). Dans un contexte climatique tropical humide, ces accumulations, et les densités actuelles des oiseaux nicheurs, dominés par le fou brun (Sula leucogaster) dont les effectifs sont de l’ordre de 3 000 couples, suggèrent une origine non contemporaine de ce guano.
159Pour les oiseaux marins nicheurs, les îles marines, partie distale de l’ensemble deltaïque, constituent des espaces ouverts et protégés essentiels pour leur reproduction. Leur alimentation repose essentiellement sur l’exploitation des peuplements de poissons pélagiques. Les oiseaux de la mangrove colonisent irrégulièrement ces écosystèmes dépourvus de production propre.
Les tannes
160Les caractéristiques majeures de ces marais ouverts sont constituées par leur sursalure périodique, incompatible avec le développement des palétuviers, voire de toute végétation pérenne. Comme ce phénomène dépend principalement du rapport entre les précipitations et l’évapotranspiration, leur superficie relative décroît selon un gradient nord-sud. Une coupure importante apparaît à mi-hauteur du Sine-Saloum. Si le secteur nord est occupé par des tannes, le secteur sud est principalement colonisé par des formations arborées de mangrove. Au sud, ces espaces découverts naturels existent encore, mais leur extension est limitée ou résulte des activités humaines. Cette dichotomie physiographique nord-sud conditionne la distribution de l’avifaune. Par exemple, le bécasseau Colibris alpina, dont l’aire mondiale d’hivernage couvre l’ensemble des côtes des océans Atlantique et Pacifique, semble limité au sud par le développement de la formation de mangrove arborée (Guillou, 1988).
161Dans les tannes, l’alternance des saisons est très marquée. Lors de la saison aride, l’assèchement peut mener à la formation de dépôt superficiel d’halite. À l’opposé, au cours de l’hivernage, les précipitations entraînent une dessalure plus ou moins importante des sols. Ce cycle climatologique peut être modifié par de brusques variations du niveau d’eau (tempêtes, crues) qui inondent ces étendues à intervalles très irréguliers. Selon des événements périodiques et apériodiques, les conditions varient ainsi de manière très prononcée. Pendant les phases de submersion par les eaux douces, marines, ou par leur mélange, la productivité est considérable, marquée par un développement exubérant d’algues vertes filamenteuses dans les flaques marginales. À la fin de l’hivernage, les tannes offrent ainsi des possibilités éphémères pour de très importants stationnements d’oiseaux migrateurs. En revanche, le milieu est très pauvre en fin de saison sèche. Cependant, certains oiseaux nichent à cette période : ils appartiennent à un groupe d’espèces ubiquistes qui colonisent aussi des milieux similaires sur les côtes méditerranéennes à la limite sud du domaine paléarctique.
162Le régime alimentaire des limicoles hivernants et nicheurs a été étudié au début et à la fin de la saison sèche (Guillou et Debenay, 1988). Il permet de distinguer différents comportements et stratégies en relation avec l’évolution des ressources au cours de cette période.
Les régimes spécialisés
163Dans ce type d’environnement, quelques espèces ont un régime spécialisé. Certaines sont piscivores et sont souvent attirées par les flaques en voie d’assèchement. Ce groupe comprend essentiellement les grands chevaliers (Tringa nebularia et T. stagnatilis) et l’échasse (Himantopus himantopus). D’autres se nourrissent d’insectes ou de leurs larves, comme les bécasseaux (Calidris alba, C. ferruginea) et la barge rousse (Limosa lapponica). Ces espèces insectivores ne sont pas strictement inféodées aux tannes, mais elles exploitent aussi activement les autres biotopes côtiers, comme C. alba qui fréquente les rivages sableux.
Les régimes éclectiques
164Les migrateurs et les hivernants qui s’alimentent dans les tannes fréquentent ce milieu temporairement et sans préférence particulièrement marquée. Ce sont des migrateurs holarctiques comprenant des gravelots (Charadrius hiaticula), des bécasseaux (Calidris minuta, C. alpina) et des chevaliers combattants (Philomachus pugnax).
165À la fin de l’hivernage, P. pugnax se nourrit en picorant à la surface de l’eau, alors qu’en saison sèche, il s’alimente en troupes ou seul dans la végétation herbeuse. L’examen de l’évolution du régime alimentaire de C. minuta permet de suivre les variations des ressources disponibles au sein des tannes à partir du milieu de la saison sèche. Comme C. alpina, C. minuta ne quitte pas la boue des flaques où ces deux espèces collectent des proies allochtones (Lépidoptères, Orthoptères...) entraînées par le vent quasi permanent. En janvier, les larves aquatiques et les ostracodes sont activement recherchés, alors qu’en avril, un régime plus granivore est observé. Les graines apparaissent également dans le régime d’espèces plus spécialisées comme Charadrius hiaticula, Himantopus himantopus et Arenaria interpres.
166Ces changements d’alimentation, voire de biotope, sont occasionnés par une diminution des ressources des tannes en invertébrés, au fur et à mesure de leur assèchement. Au cours de la saison aride, la contribution des aliments issus des productions des écosystèmes terrestres s’accroît progressivement. Les oiseaux se dispersent alors sur toutes les flaques restées humides où ils chassent à vue.
167L’alimentation des gravelots nicheurs – gravelot à collier interrompu, Charadrius alexandrinus et gravelot pâtre, Ch. pecuarius (mais aussi certainement du vanneau, Vanellus spinosus et de l’oedicnème du Sénégal, Burhinus senegalensis) –, varie aussi au cours du temps. Contre toute attente, ils se reproduisent à la fin de la saison sèche lorsque les ressources en insectes et en larves semblent les moins abondantes. Il est donc vraisemblable que ces oiseaux soient particulièrement efficaces dans l’exploitation des ressources trophiques du milieu. En particulier, leur prospection couvre alors l’intégralité des tannes asséchés.
168Pendant l’hivernage et à sa fin, les tannes présentent des affinités avec les zones de mangroves avec lesquelles elles se trouvent en continuité. Les ressources alimentaires y sont abondantes et permettent l’alimentation de nombreuses espèces dont certaines présentent alors de fortes densités, comme les guifettes (Sterna sp.). À la fin de la saison sèche, la raréfaction et la disparition des proies imposent une modification du régime alimentaire des oiseaux résidents dans les tannes et l’exploitation d’autres niches trophiques. Les limicoles de passage et les oiseaux nicheurs consomment alors essentiellement des graines et des arthropodes produits dans les écosystèmes adjacents continentaux et entraînés jusqu’aux tannes par les vents réguliers.
La mangrove
169Selon Por (1984), l’avifaune qui colonise les zones de mangrove doit être subdivisée en deux communautés, l’une vivant dans les arbres, l’autre exploitant la productivité de l’écosystème aquatique. Les graines et les fruits des palétuviers (groupe d’arbres quasi exclusif des écosystèmes à mangrove) n’étant pas consommés par les oiseaux (Cawkell, 1964), la canopée constitue, comme pour tous les autres types de formation arborée, un reposoir pour diverses espèces sédentaires ou migratrices. Ces oiseaux n’établissent ainsi que des relations lâches avec l’écosystème à mangrove.
170À l’opposé, l’avifaune aquatique, regroupant de nombreuses et abondantes espèces prédatrices terminales, joue un rôle fonctionnel essentiel intervenant :
- dans la structuration et le contrôle des communautés biologiques ;
- dans les flux d’énergie au sein de la mangrove, et entre la mangrove et les écosystèmes adjacents.
L’avifaune de la forêt de palétuviers
171Une seule espèce, le soui-manga brun (Anthrepes gabonicus), abondant jusqu’en Guinée-Bissau (Altenburg et Van Spanje, 1989), mais rare au Sine-Saloum (Guillou, 1983) peut être considérée comme endémique des mangroves d’Afrique de l’Ouest. Cependant, l’intérieur de ces boisements est particulièrement difficile à explorer. Le martin-chasseur à poitrine bleue (Halcyon malimbica) est l’une des rares espèces à manifestations vocales. L’utilisation de filets permet à Altenburg et Van Spanje (1989) de montrer que trois espèces de passereaux paléarctiques – le pouillot fitis (Phylloscopus trochilus), l’hypolaïs polyglotte (Hippolais polyglotta) et la rousserole effarvate (Acrocephalus scitpaceus) –, sont très abondantes dans les forêts de palétuviers de Guinée-Bissau. Ce biotope apparaît ainsi capital pour ces hivernants qui nidifient en Europe.

Oiseau caractéristique des palétuviers : le Soui-manga brun
172Cependant, avant de généraliser cette conclusion, des prospections dans les autres formations de mangrove d’Afrique de l’Ouest devraient être entreprises. L’estimation des abondances des non-passereaux solitaires ou peu grégaires, comme les hérons (des genres Butorides, Nycticorax et Tigriornis), posent aussi des problèmes. En général, ces oiseaux sont très discrets, pêchent à couvert et se reposent le jour sur des branches au sein de la végétation dense. Ainsi, la présence du héron bihoreau à dos blanc (Nycticorax leuconotus) et du butor à crête blanche (Tigriornis leuco-lophus) en Sénégambie est attestée seulement par de rares observations (Morel et Morel, 1990).
173Dans la mangrove de Missirah au Sine-Saloum, les hérons garde-bœuf (Ardeola ibis), qui se nourrissent hors mangrove dans les zones herbeuses limitrophes, occupent un énorme dortoir en zone forestière. Cependant, les arbres qui hébergent cette colonie correspondent à un îlot forestier isolé de la formation de palétuviers dense. Plus globalement, les ardéidés coloniaux nichent rarement au sein de la forêt et s’installent préférentiellement sur les îles marines, ou sur le continent, en particulier dans les grands arbres des villes et villages. Ce type de comportement a aussi été signalé en Guinée-Bissau (Altenburg et Van Spanje, 1989).
L’avifaune des chenaux
174L’eau libre des chenaux est fréquentée par des palmipèdes et de grands échassiers qui se nourrissent en groupe, comme le pélican blanc (Pelecanus onocrotalus), ou qui pêchent isolés, comme le pélican gris (P. rufescens), les cormorans (Phalacrocorax carbo et P. africanus) et l’anhinga (Anhinga rufa). Elle est aussi prospectée par des rapaces ichtyophages qui pêchent au vol, comme le balbuzard pêcheur hivernant (Pandion haliaetus), le pygargue vocifère et le vautour palmiste sédentaire (Haliaetus vocifer et Gypohierax angolensis).
175En toute saison, des sternes exploitent ces eaux. Ces populations comprennent deux espèces d’origine éthiopienne (Sterna maxima et surtout S. caspia) et une espèce paléarctique marine (Sterna sandvicensis) qui séjourne sur les côtes d’Afrique de l’Ouest au cours de l’hiver boréal. Enfin, des martins-pêcheurs et en particulier le martin-pêcheur pie (Ceryle rudis) contribuent à renforcer la pression de prédation sur les communautés ichtyologiques. Compte tenu du déplacement des oiseaux et de l’étendue des espaces, il est difficile de réaliser des dénombrements par comptage direct des populations depuis des embarcations. En mai 1983, pour les 75 km de bolon prospectés dans la partie sud du Sine-Saloum, les densités d’oiseaux ichtyophages observés étaient de 10 aigles-pêcheurs, 7 vautours-pêcheurs, 7 anhingas et 2 cormorans africains. Altenburg et Van der Kamp (1991) ont estimé les populations par survol aérien, cette stratégie permettant des évaluations très fiables pour certaines espèces. Ils ont ainsi dénombré 1 100 pélicans gris (Pelecanus rufescens) sur une surface de 683 km2 de mangrove en Guinée, cet effectif demeurant stable au cours de l’année. Avec une consommation journalière de poisson estimée à 10 % du poids corporel (Brown et Urban, 1969) et des poids de corps à l’âge adulte en moyenne de 5 200 g (Din et Eltringham, 1974) la population résidente en Guinée consommerait environ 0,6 t de poissons par jour, soit une prédation annuelle de 700 g de poisson par oiseau et par km2 d’eau libre (les plans d’eau permanents occupent environ 40 % de la mangrove en Guinée [CEE-SECA, 1987]). La production de poisson de la mangrove guinéenne étant inconnue, il est impossible de déterminer précisément l’impact des pélicans sur les communautés ichtyologiques. À titre de comparaison, dans le cas des écosystèmes aquatiques d’Afrique du Sud, les prédations annuelles des pélicans blancs (poids de corps de P. onocrotalus à l’âge adulte de 11 500 g pour les mâles et 7 600 g pour les femelles, Din et Eltringham, 1977) sont estimées respectivement au Cap et au Rwenzorie à 2 500 g (densité de 8,1 pélicans par km2) et 580 g (densité de 1,9 pélicans par km2) de poisson par oiseau et par km2 d’eau. Ces prédations représentent environ 10 à 25 % de la production annuelle de poisson de ces deux milieux (Guillet et Furness, 1985).
Les oiseaux des berges et des eaux peu profondes
176En général, compte tenu du développement des palétuviers, seule la partie basse de la zone intertidale correspond à des lieux de pêche et d’alimentation pour les échassiers. C’est principalement le domaine des grands échassiers, solitaires ou grégaires : hérons (Ardea goliath et A. cinerea), aigrettes (Egretta alba, E. intermedia, E. gularis et E. garzetta), divers cico-niformes dont des ibis (genres Threskiornis et Bostrychia), des spatules (genre Platalea) et des flamants (genres Phoenicopterus et Phoeniconaias).
177Pour les 683 km2 de mangrove étudiés par Altenburg et Van der Kamp (1991) en Guinée, 11 700 grands hérons et 6 000 aigrettes et petits hérons ont été dénombrés au cours de l’hiver boréal. En hivernage (saison des pluies), le nombre de grands hérons diminue très significativement. Par prospection visuelle directe, dans les zones nord et sud du Sine-Saloum et de la Casamance, on observe une distribution agrégative des échassiers. Cette tendance est d’autant mieux marquée que ces espèces ont souvent un comportement grégaire, ou tout au moins tolèrent leurs congénères. En revanche, les oiseaux généralement solitaires, comme le héron goliath (Ardea goliath), présentent une distribution plus régulière avec une densité proportionnelle à l’abondance des proies (Guillou et al., 1987).
178La répartition spatiale des limicoles est sensiblement différente car ils colonisent l’ensemble de la zone intertidale, de sa partie inférieure (vasières temporairement découvertes) à sa partie supérieure (forêts de palétuviers). À marée basse, les différentes espèces s’alimentent en se partageant l’espace en fonction de leur comportement et de leurs besoins respectifs. À marée haute, elles quittent la zone submergée et se perchent sur les palétuviers ou gagnent des espaces dégagés pouvant alors se situer à grande distance de leurs aires de nourrissage.
179L’archipel des îles Bijagos s’intègre imparfaitement dans ce cadre général. Isolé du continent, il présente une grande superficie de vasières nues (1 750 km2). Par son extension, il est probable qu’une partie de ces vasières soit anormalement demeurée sans végétation. Bénéficiant ainsi d’une situation tout à fait exceptionnelle dans le domaine des mangroves de l’Est-Atlantique, les îles Bijagos constituent l’un des sites majeurs d’hivernage des limicoles dans le monde avec environ un million d’individus (Zwarts, 1988). Plus globalement, pour souligner l’importance pour les limicoles ouest-paléarctiques des côtes à mangroves des Rivières du Sud, les densités de limicoles par hectare ont été estimées respectivement à 5,4 en Guinée, 6,2 en Guinée-Bissau et 7,4 en Sierra Leone (Altenburg et Van der Kamp, 1989).
180Pour décrire les communautés de limicoles des îles Bijagos, Zwarts (1988) a proposé une subdivision de l’espace basée sur l’importance des ressources trophiques, et en particulier, sur l’abondance du crabe violoniste (Uca tangeri). Si cette stratégie permet une description qualitative et comportementale des communautés, elle peut aussi conduire à une sous-estimation des populations. En particulier, certains limicoles qui fourragent sur les substrats à U. tangeri préfèrent chasser à l’abri de la couverture des palétuviers. Pour obtenir des données quantitativement fiables, des observations nocturnes et des campagnes de comptage par captures au sein de la formation de palétuviers seraient nécessaires. Néanmoins, cette subdivision basée sur la densité de U. tangeri permet une confirmation de la répartition spatiale des diverses espèces, établie indirectement dans les tannes nord du Sine-Saloum, à partir de l’observation des contenus stomacaux des limicoles.
Les vasières découvertes à faible densité de U. tangeri
181Cette zone a été subdivisée par Zwarts (1988) en fonction des caractéristiques granulométriques des dépôts (classes allant des vasières constituées par des vases molles et impraticables à des arènes formées de sable ferme et compact). Des différences nettes apparaissent entre ces divers faciès en fonction de leur richesse trophique respective. Ainsi, dans le Sine-Saloum, les substrats arénacés, généralement associés aux cordons littoraux et sans apports d’éléments fins et de nutriments, correspondent à des biotopes pauvres, occupés seulement par des oiseaux au repos. À l’opposé, dans les vasières des îles Bijagos et de la côte de Guinée-Bissau, où sont observés les plus gros rassemblements de limicoles, de très importantes populations de bécasseaux (respectivement 125 000, 150 000 et 250 000 individus pour Calidris minuta, C. canutus et C. ferruginea) et de barges rousses (Limosa laponica, 150 000 individus) peuvent être recensées. De même, les populations de limicoles hivernants en Guinée et dénombrées par Altenburg et Van der Kamp (1991) sont très importantes (370 000 individus sur une superficie de 683 km2 de vasière). Les bécasseaux (Calidris alba, 5 100 ; C. minuta, 8 100 ; C. canutus, 8 000 et C. ferruginea, 89 800), les barges (Limosa laponica, 34 500 et L. limosa, 17 400), les chevaliers (Tringa totanus, 43 900 et T. nebularia, 6 300), les gravelots (Charadrius hiaticula, 67 500 ; C. alexandrinus, 3 300), les pluviers (Pluvialis squatarola, 23 400) et les avocettes (R. avosetta, 15 800) constituent les populations les plus abondantes.
182Dans le domaine des vasières découvertes, quelques espèces cherchent des conditions particulières. C’est le cas de l’huîtrier (Haematopus ostralegus), dont deux petites populations exploitent les bancs d’arches (Anadara senilis) au Sine-Saloum (Morel, 1972) et en Guinée-Bissau (Zwarts, 1988), et de l’avocette (Recurvirostra avosetta) qui s’alimente dans les zones de vase molle en Guinée (Altenburg et Van der Kamp, 1991).
Les substrats sous les palétuviers à densité élevée de U. tangeri
183Le courlis corlieu (Numenius phaeopus) trouve des conditions d’hivernage optimales dans la mangrove. Comme le tourne-pierre (Arenaria interpres), il s’alimente de crabes violonistes à marée basse et se perche sur les palétuviers à marée haute. Plus discret, le chevalier guignette (Actitis hypoleucos) et probablement le chevalier Sylvain (Tringa glareola) adoptent la même stratégie d’exploitation du milieu.
184Dans les îles Bijagos, Zwarts (1988) confirme et précise ces observations. Si le grand gravelot (Charadrius hiaticula, 60 000 individus) ne montre qu’une préférence limitée pour les substrats à U. tangeri, elle est nette pour le pluvier argenté (Pluvialis squatarola, 60 000 individus) et quasi exclusive pour le courlis cendré (Numenius arquata, 8 000 individus), le corlieu (N. phaeopus, 40 000 individus), le tourne-pierre (Arenaria interpres, 15 000 individus) et le chevalier guignette (9 000 individus).
185L’importance des côtes à mangroves des Rivières du Sud est primordiale pour de nombreuses et diverses espèces d’oiseaux. Si l’intérêt des peuplements de palétuviers pour certains passereaux paléarctiques reste à confirmer, il est certain que le courlis corlieu dépend strictement de ce milieu. Cette dépendance concerne plus spécifiquement les vases exploitées par les crabes violonistes qui constituent sa proie préférentielle. De même, le chevalier guignette, qui présente le même régime alimentaire, occupe et exploite sensiblement la même niche écologique. Cependant, les substrats sans crabe accueillent aussi des populations considérables de limicoles. Au total, après le banc d’Arguin en Mauritanie, cette région est le deuxième centre d’hivernage des limicoles de l’ouest de l’Eurasie.
La zone de transition entre les écosystèmes estuarien et fluvial
186Une recherche multidisciplinaire a été menée sur le fleuve Casamance pour analyser la structuration des communautés biologiques dans une situation d’évolution rapide du climat (Guillou et al., 1987). Dans le secteur aval du fleuve, le déficit pluviométrique et des apports d’eau douce favorise les pénétrations d’eau de mer, et dans sa partie amont, leur confinement et leur concentration jusqu’à un stade ultime correspondant à la formation de gypse (Debenay et al., 1989).
Tableau 8. Estimation de la consommation journalière de poissons par les diverses espèces de l’avifaune du fleuve Casamance au cours de la saison sèche.

Sources : dénombrements de Guillou et Debenay et les estimations des taux de prédation par Cramps et al., 1983.
187Les caractéristiques hydrochimiques (salinité) permettent de distinguer, au sein de ce continuum, quatre types de milieu dont la pertinence sur le plan biologique a été confirmée par l’étude de la méiofaune benthique (foraminifères) :
- un milieu « intermédiaire » correspondant à la limite amont de la mangrove ;
- un milieu hyperhalin ;
- un milieu à salinité extrême ;
- un milieu continental d’eau douce.
188En saison sèche, le secteur « intermédiaire » est colonisé par des espèces à forte affinité marine (Arenaria interpres, Pluvialis squatarola, Numenius phaeopus et Sterna sandvicensis). La zone de transition entre ce secteur et le milieu hyperhalin est marquée par une brusque augmentation relative des grands hérons et du cormoran africain. L’avifaune aquatique des eaux hyperhalines, peu abondante, est caractérisée par une diminution et/ou disparition des sternes et la présence du héron goliath et de l’anhinga. Les oiseaux présents dans les milieux à salinité extrême constituent une communauté abondante et diversifiée. Cette plus grande richesse spécifique découle de la présence d’espèces à forte affinité continentale : sterne hansel (Sterna nilotica) et guifette leucoptère (S. leucoptera). L’accroissement de la densité des oiseaux est principalement lié à une augmentation des effectifs des cormorans et des grands hérons (tabl. 8). En outre, la stabilisation des effectifs de pélican sur des aires de repos plus restreintes (rétrécissement important du lit du fleuve) donne une impression de surpopulation des communautés aviaires. Le passage à des eaux strictement continentales s’accompagne d’une prolifération des petites aigrettes.
189La saison sèche se traduit ainsi par une répartition très hétérogène de l’avifaune. Les sites de forte concentration correspondent à des zones de productivité ichtyologique élevée, voire exceptionnelle. En saison des pluies, la répartition est plus homogène avec une dispersion des oiseaux sur une aire plus vaste incluant l’ensemble des zones inondées et ceci malgré la persistance des pullulations locales du tilapia (Sarotherodon melanotheron). Dans un environnement très sélectif et sans compétition pour les ressources, ces poissons investissent l’essentiel de leur énergie dans la reproduction et dans l’accroissement de leur biomasse. Il en résulte une population dominée par de jeunes individus qui présentent une diminution de l’âge moyen ou de la taille de première maturité pour accroître leur fécondité (Albaret, 1987). Ce peuplement monospécifique de poissons jeunes affectés de nanisme favorise les oiseaux ichtyophages prédateurs de proies moyennes, comme les grands hérons et le cormoran africain, et surtout de petites proies comme les petites aigrettes (Egretta garzetta et E. ardesiaca). Cette forte pression de prédation contribue aussi à un rajeunissement de l’icthyofaune dont l’espérance de vie au stade adulte est considérablement réduite. L’environnement physique et le contexte écologique imposent ainsi à S. melanotheron (espèce incubatrice buccale), pour assurer sa survie, le recours à un ensemble très large d’adaptations et de comportements.
190Dans ce système particulièrement simplifié, l’avifaune piscivore joue un rôle déterminant dans la stabilité globale de l’écosystème et contribue à un recyclage important des éléments nutritifs. Le recyclage journalier d’azote et de phosphore par l’ensemble de l’avifaune ichtyophage en saison sèche dans les trois secteurs de la Casamance présentés dans la tableau 8 est respectivement de 6 et 2 kg pour le secteur intermédiaire, 52 et 16 kg pour le secteur hyperhalin, et 27 et 8 kg pour le secteur extrême (estimations selon un rapport poids sec-poids frais de 0,3, et des concentrations moyennes en protéines et en phosphore de 60 % et de 3 % par rapport à la matière sèche). Quel que soit le secteur considéré, les pélicans occupent une place prépondérante dans ce processus. En outre, l’importance des espèces grégaires peut entraîner la constitution de zones à très fortes concentrations nutritives à proximité des dortoirs et des nichoirs.
Conclusion
191Les écosystèmes des Rivières du Sud ont un intérêt primordial non seulement pour l’avifaune hivernante d’origine paléarctique, mais aussi pour beaucoup d’espèces éthiopiennes. Un premier ensemble de données de base a été recueilli, en particulier par les ornithologues hollandais. Cependant, ces recherches sont encore insuffisantes pour permettre l’utilisation de l’avifaune comme un estimateur de la productivité globale du système ou pour mettre en évidence ses dysfonctionnements. En effet, dans ces types d’environnement, et par leur position au sommet de la chaîne trophique, les oiseaux aquatiques peuvent constituer de bons intégrateurs et/ou révélateurs des équilibres qui structurent l’écosystème. En outre, l’importance des populations migratrices qui séjournent temporairement au sein de ces milieux confère à l’avifaune non seulement un rôle écologique mais aussi informatif qui dépasse largement le cadre géographique des Rivières du Sud.
Notes de bas de page
1 « The association of trees and of animals which constitutes a mangrove swamp is an association of which little has been written. We know what trees grow there and what forms the shrub layer ; we do not know the whole story of how these plants cope with the variables in the environment. We know something of some of the animals which are associated with mangroves but we know practically nothing about most of them. We do not know why they are there, unless it be that they seek shade.
We do not know how most of them live. We do not know why some genera have undergone a very degree of local speciation often almost parochial, nor why others have maintained a singleness of species which is remarkably widespread » (MacMae, 1968).
2 La consistance physique d’un sol est liée à sa texture et à ses teneurs en eau ainsi qu’en matière organique et s’évalue par un indice n défini par Pons et Zonneveld (1965).
n = (A - 0,2 Z) (L + 3 H) - l.
A teneur en eau du sol séché à l’air
L teneur en argile
H teneur en matière organique totale
Z fraction minérale non colloïdale :
Z = 100 - L – H
Plus la valeur de n est élevée, moins le sol est structuré. Un indice supérieur à 2 correspond à un matériau de consistance molle, non préhensile. À l’opposé, lorsque l’indice n est inférieur à 0,7, le sol est très consistant et résiste à la pression manuelle.
3 Indo-Ouest Pacifique (côte est-africaine, Madagascar, mer Rouge, Inde, Malaisie, Indonésie, Indochine, Philippines, Nouvelle-Guinée et Océanie) Est-Atlantique (côte ouest-africaine de la Mauritanie à l’Angola) Ouest-Atlantique (golfe du Mexique, Caraïbes, Vénézuela, Guyanes et Brésil) Est-Pacifique (côte ouest du Mexique et de Colombie et Équateur)
Notes de fin
Auteurs
Daniel Guiral, écologue-microbiologiste. Centre Orstom, BP 165, 97323 Cayenne cedex, France.
Jean-Jacques Albaret, écologue-ichtyologue. Orstom, Laboratoire d’hydrobiologie marine et continentale, université Montpellier II, Case 093, Place E. Bataillon, 34095 Montpellier cedex 5, France.
Eric Baran, Écologue-ichtyologue. Université Lyon I. Laboratoire d’écologie des eaux douces, bât. 403 rdc, boulevard du 11-Novembre, 69622 Villeurbanne cedex, France.
Frédéric Bertrand, géographe. Département de géographie, université de Paris I, 191, rue Saint-Jacques, 75005 Paris, France.
Pape Samba Diouf, hydrobiologiste. CRODT-ISRA, BP 2241, Dakar, Sénégal.
Jean-Jacques Guillou, géologue. Faculté des Sciences et Techniques, département de géologie, université de Nantes, 44072 Nantes cedex 03, France.
Pierre Le Lœuff, hydrobiologiste. Orstom, Centre de Brest, BP 70, 29280 Plouzané, France.
Jean-Pierre Montoroi, pédologue. Orstom, Centre de Bondy, 32, rue Henry Varagnat, 93143 Bondy cedex, France.
Mamadou Sow, agro-pédologue. CNSHB, BP 1984, Conakry, république de Guinée.
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