Circulation des connaissances et intermédiaires
p. 32-37
Texte intégral
1En Côte d’Ivoire comme au Sénégal, les équipes de recherche se sont engagées très tôt dans la diffusion des résultats de l’évaluation des programmes pilotes pour construire des plaidoyers en faveur de l’accès des PED au traitement ARV. Lors de la phase d’extension du traitement dans les trois pays (Côte d’Ivoire, Sénégal, Cameroun), les chercheurs et cliniciens ont également accompagné les autorités publiques de santé (ministères, PNLS et CNLS) en contribuant à l’élaboration de recommandations pour la prise en charge des PvVIH et à l’organisation de formations pour les personnels de santé. Relais entre les structures sanitaires, la recherche et les patients, les acteurs associatifs ont facilité la circulation des informations et participé à la sensibilisation des communautés.
Plaidoyers pour l’accès au traitement ARV
2Dans un souci d’équité, les autorités sénégalaises et ivoiriennes avaient mis en place des systèmes de subvention publique du coût du traitement proportionnelle au niveau de ressources des patients adultes inclus dans les programmes pilotes. Toutefois, initialement, ces subventions n’allaient pas jusqu’à la gratuité (sauf pour un nombre restreint de patients indigents au Sénégal). Ce principe d’une participation financière directe du patient, même partielle, au coût de son traitement relevait d’une stratégie de financement des systèmes de santé publique mise en œuvre dans la plupart des pays africains à la fin des années 1980. Il procédait également de l’idée qu’une telle contribution était de nature à responsabiliser le patient par rapport à son traitement et d’en favoriser ainsi l’observance. Or, cette démarche s’est révélée contre-productive, la participation financière des patients devenant en réalité un obstacle à l’accès au traitement et à son observance.
3Dès les premiers résultats, les chercheurs impliqués dans l’évaluation des programmes pilotes, notamment ceux de l’IRD, s’engagent dans une démarche de plaidoyers en faveur de l’accès au traitement ARV dans les pays du Sud. Fondés sur des preuves scientifiques, ces plaidoyers s’attachent à réfuter les arguments avancés à l’encontre de l’accès des pays du Sud aux ARV et à démontrer que cette accessibilité passe à la fois par la diffusion des traitements au plus grand nombre et par leur gratuité pour les patients. Le plaidoyer pour la gratuité du traitement pour les PvVIH fait son chemin auprès des responsables des programmes pilotes. Ces derniers le relayent auprès des dirigeants politiques sénégalais et ivoiriens. Les recommandations issues d’un atelier de réflexion, organisé à Gorée (Sénégal) en 2001 à l’initiative de l’IRD, du PNLS, et de l’Imea sur la place des ARV dans la prise en charge psychosociale des personnes infectées par le VIH en Afrique illustre cette stratégie1.
4Dans le même temps, les équipes de recherche mènent une intense activité de communication sur les résultats des programmes pilotes, en particulier à l’occasion de grandes rencontres internationales, ce qui leur confère une forte visibilité. Les conférences mondiales sur le sida (Durban en 2000, Barcelone en 2002, Bangkok en 2004) et celles sur le sida et les maladies sexuellement transmissibles en Afrique (Lusaka en 1999, Ouagadougou en 2001), parmi d’autres, constitueront des forums pour la diffusion de ces résultats et l’expression de plaidoyers en faveur de l’accès des pays du Sud aux ARV et du financement de la prise en charge des patients infectés par le VIH2.
5Dans le prolongement de ces interventions, des chercheurs de l’IRD contribuent à des actions de plaidoyer auprès des instances internationales. On peut citer à titre d’illustration la rédaction en 2004 d’une déclaration d’économistes, d’experts en santé publique et d’acteurs politiques sur la gratuité de la prise en charge médicale du VIH/sida – « Free by 53 » destinée à inciter l’OMS, l’Onusida, les bailleurs de fonds internationaux et les pays du Sud à promouvoir le principe de la gratuité de la prise en charge thérapeutique des PvVIH, incluant le traitement. Cette déclaration sera ratifiée par 603 personnes, experts en santé, chercheurs en sciences sociales et acteurs politiques.
Recommandations pour la prise en charge des PvVIH
6Les résultats obtenus et les pratiques cliniques et d’accompagnement psychosocial mises en œuvre dans les programmes pilotes d’accès aux ARV (Sénégal et Côte d’Ivoire) et les projets Triomune et Stratall (Cameroun) ont servi, en complément des recommandations de l’OMS, à l’élaboration et/ou à la mise à jour des recommandations nationales pour la prise en charge des PvVIH. Des partenaires de l’IRD, cliniciens et enseignants-chercheurs, impliqués dans ces projets ont participé à l’élaboration de guides destinés aux personnels chargés de cette prise en charge4.
7Les leçons tirées des projets ont également contribué à l’élaboration de recommandations internationales. On peut ainsi citer la contribution à la directive de l’OMS « Améliorer l’accès aux traitements antirétroviraux dans les pays à ressources limitées, recommandations pour une approche de santé publique – 3 by 5 », révision 2003 (dont le comité de rédaction incluait le coordinateur du comité médical de l’Isaarv) ou bien encore la référence aux résultats de l’essai Stratall dans les recommandations de l’OMS de juin 2013 sur l’utilisation des ARV pour le traitement et la prévention de l’infection à VIH.
8Certains acteurs des projets de recherche ont été également sollicités en tant qu’experts pour des études et rapports commandés par l’OMS.
Formation des personnels médicaux et paramédicaux
9Pour accompagner l’extension de la prise en charge médicale des PvVIH à l’échelle nationale, des actions de formation pour les personnels de santé ont été mises en œuvre au Cameroun, en Côte d’Ivoire et au Sénégal. Ces actions ont pris diverses formes : de l’accompagnement de personnels médicaux et paramédicaux à l’apprentissage de la prise en charge des PvVIH par des équipes soignantes expérimentées (désigné sous les termes de « parrainage » ou « tutorat ») aux formations universitaires diplômantes, en passant par les formations organisées par les PNLS. Les acteurs des projets de recherche (cliniciens, biologistes, pharmaciens, acteurs sociaux, chercheurs) y ont grandement participé.
Formations professionnelles organisées par les ministères de la Santé
10Les CNLS/PNLS organisent des formations à la prise en charge des patients, dans toutes ses dimensions. Ces formations sont adaptées en fonction des publics visés : médecins, infirmiers, techniciens de laboratoire, sages-femmes, pharmaciens, assistants sociaux, médiateurs, communautaires.
11Dans les trois pays, les cliniciens parties prenantes des projets de recherche ont contribué à cet effort de formation pour accompagner le déploiement en région de la prise en charge des PvVIH. Certains ont également assuré un rôle de « parrain » ou de « tuteur » auprès des personnels médicaux. Ce parrainage comportait une formation initiale des personnels, théorique et pratique, à l’hôpital du « parrain » puis un suivi à distance ponctué, si nécessaire, de visites de supervision et d’accompagnement sur place.
12Au Sénégal, certains membres de l’Isaarv ont également assuré ce type de parrainage dans des pays voisins (Niger, Mauritanie ou Guinée-Bissau, par exemple).
13Au Cameroun, le tutorat des Unités de prise en charge (Upec)5 était assuré par les Centres de traitement agréés (CTA)6. Le CTA de l’hôpital Central de Yaoundé assurait ainsi le tutorat des Upec de la région du Centre. Certains chercheurs de l’UMR TransVIHMI ont contribué à la réalisation de ces formations dans le cadre des partenariats Esther avec l’hôpital Central et l’hôpital militaire de Yaoundé. Ces actions se sont déroulées sur une douzaine d’années (2002 à 2014/2015). Les activités menées avec l’hôpital Central ont d’abord concerné les personnels médicaux et paramédicaux de l’hôpital puis ceux des Upec dont il assurait le tutorat. Les personnels formés ont à leur tour formé d’autres personnels.
Séances de formation et supervision dans des hôpitaux de district participant au projet Stratall sur la décentralisation de l’accès au traitement antirétroviral au Cameroun.


© IRD/C. Laurent, 2006
Mise en place de formations diplômantes
14Deux formations diplômantes ont été créées au Sénégal et au Cameroun pour répondre aux besoins de formation en matière de prise en charge des personnes infectées par le VIH.
- Le diplôme universitaire de rétrovirologie biologique à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, qui a duré une dizaine d’années (2006-2016). Cette formation s’adressait aux personnels de laboratoire travaillant dans le domaine de la prise en charge des PvVIH. Environ 300 personnes, provenant de toute l’Afrique, ont été formées en dix ans. Plusieurs chercheurs de l’UMR TransVIHMI ont enseigné régulièrement dans ce DU.
- Le diplôme interuniversitaire spécialisé dans la prise en charge globale des malades du VIH-sida à la faculté de Médecine et de Sciences biomédicales de l’université de Yaoundé, déjà évoqué au chapitre précédent de cette étude. Plus de 200 personnes (médecins, personnels paramédicaux, pharmaciens) ont été formées entre 2010 et 2015, dont les personnels des Upec et des CTA qui étaient prioritaires.
Accompagnement des PvVIH
15À côté des structures sanitaires, les associations impliquées dans les projets de recherche ou informées de leur état d’avancement et de leurs résultats jouent un rôle majeur dans l’information des PvVIH sur le traitement ARV et dans leur accompagnement et, ce faisant, favorisent l’extension de l’accès aux ARV.
Notes de bas de page
1 Voir à ce sujet l’article de 2002 : Place des antirétroviraux dans la prise en charge des personnes infectées par le VIH en Afrique. Aspects sciences de l’homme et de la société. Recommandations de l’Atelier de Gorée 2001. Bulletin de la Société de pathologie exotique, 95 (1) : 53-57.
2 Ainsi, les premiers résultats des initiatives ivoirienne et sénégalaise sont présentés lors de la 13e Conférence mondiale sur le Sida de Durban (2000), ceux de l’Isaarv – dont les recommandations de Gorée – lors de la 12e Cisma fin 2001, puis lors de la 14e Conférence mondiale sur le Sida à Barcelone en 2002, ceux de Triomune lors de la Conférence internationale sur le sida à Bangkok en 2004.
3 Déclaration préparée par le Pr Alan Whiteside (division des recherches sur l’économie de la santé et le sida, université du KwaZulu-Natal, Afrique du Sud) ; Véronique Collard, Bernard Taverne et Alice Desclaux (IRD) et Gorik Ooms (Médecins sans frontières, Belgique). Cet argumentaire sera développé dans un texte publié dans un ouvrage paru à l’occasion de la 38e session de la Commission de la population et du développement de l’ONU : Taverne, 2005.
4 On peut citer, à titre d’exemples, les guides pour la prise en charge clinique et thérapeutique de l’infection à VIH chez l’adulte ; le guide de counseling VIH/SIDA (2001) publié par le ministère de la Santé sénégalais ; le plan de décentralisation de la prise en charge par les antirétroviraux au Cameroun (2004-2005) ; les directives nationales de prise en charge des personnes vivant avec le VIH par les antirétroviraux (2007) publiées par le ministère camerounais de la Santé.
5 Les Upec ont été créées à partir de 2005 au sein des hôpitaux de district pour assurer la prise en charge des patients dont le traitement ARV.
6 Les CTA ont été créés entre 2001 et 2003 dans les hôpitaux centraux de Yaoundé et Douala puis dans les hôpitaux régionaux.

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