Conclusion de partie
p. 104-105
Texte intégral
1La plupart des acteurs qui travaillent dans le secteur des déchets, que ce soit la collecte, le commerce ou le recyclage, sont des ruraux qui migrent en ville ou dans les villages de métier. Ils organisent une vie translocale entre leur village d’origine et la ville d’où ils tirent les ressources nécessaires à l’entretien de leur famille et pour assurer leur avenir. Certains collecteurs des périphéries rurales de la province de Hà Nội sont des populations locales qui s’installent à leur compte pour réaliser ces activités. Malgré les revenus offerts bien plus élevés que l’agriculture ou d’autres services villageois, ces activités sont cependant stigmatisées par une large frange de la population urbaine et principalement les autorités locales.
2Les conditions de vie difficiles des migrants, en ville comme dans les villages de recyclage, et les lois concernant la gestion des déchets et leur importation interrogent l’avenir de ces activités. Les commerçants et les collecteurs de déchets subissent une quadruple vulnérabilité dans leur accès à la ville : 1) ils travaillent dans le secteur des déchets et sont fortement stigmatisés par certaines collectivités locales et leurs voisins, alors qu’ils rendent un service gratuit à la municipalité, mais qui n’est pas reconnu ; 2) ils sont pour plus de la moitié des migrants, dont la majeure partie sans statut résidentiel, et subissent les lois mises en place à l’époque collectiviste pour limiter l’exode rural ; 3) ils sont constitués en entreprises familiales « informelles » peu déclarées (certains éléments de leurs activités peuvent être déclarés, voir pages 308 et 309), ce qui leur fait subir de nombreux harassements de la part des autorités locales ; 4) le statut foncier de leur logement ou atelier est précaire (ils doivent déménager souvent), même si, contrairement à la plupart des migrants des villes du Sud, ils ne vivent pas dans des bidonvilles. À Hà Nội, il n’y a pas à proprement parler de bidonvilles, mis à part certains logements précaires dans la zone inondable à l’extérieur de la digue du fleuve Rouge. Cependant, les logements et les ateliers des migrants sont construits avec des matériaux récupérés sur des parcelles, dont le statut est non constructible ou en attente de destruction. Leur vulnérabilité dépend des relations qu’ils développent avec les propriétaires des parcelles et les autorités locales.
3Pour limiter leur vulnérabilité socio-économique et migratoire, la plupart des travailleurs informels de la collecte et du recyclage sont intégrés dans des réseaux villageois et familiaux qui leur assurent un appui logistique pour accéder au foncier ou aux déchets, un transfert de savoir-faire et de capital social. Aussi positifs soient-ils, ces supports communautaires répondent à l’absence de toute forme d’organisation politique de la filière. En effet, aucune association professionnelle ne regroupe les collecteurs, les commerçants ou les recycleurs de déchets du type de celle que l’on peut rencontrer dans d’autres pays du Sud, tel le Brésil (voir page 340). Dans les villages du recyclage, la compétition féroce entre les ateliers et les usines, la crainte de copies des produits et des techniques sont des obstacles à l’organisation des artisans et entrepreneurs au sein d’associations professionnelles. Les collectrices et les commerçants de déchets ne s’organisent qu’au sein de réseaux d’entraide villageois de ressortissants de Nam Định, tel le groupe đồng hương (même village natal). Ce type de groupe ou association leur permet de garder le lien, mais ne les aide pas à s’organiser pour défendre leur métier ou leur position auprès des municipalités. Si l’intégration entre les villages de métier ou de recycleurs et la ville s’effectue dans le cadre des clusters de villages de métier producteurs de normes sociales, de confiance et de savoir-faire, celle-ci n’est pas assez structurée pour faire évoluer et défendre les professions liées à la gestion des déchets. De nouveaux entrants dans le métier, non intégrés dans ces réseaux, doivent développer des stratégies particulières pour exercer leurs activités. Cela participe au déficit de reconnaissance politique de la filière de collecte et de recyclage des déchets au Việt Nam, et donc de la gestion de programmes à venir pour moderniser ce secteur et mieux faire participer les parties prenantes informelles.
4L’accès au foncier pour la location de dépôts de déchets ou d’ateliers de recyclage, mais aussi l’usage temporaire des trottoirs pour que collecteurs et commerçants puissent traiter leurs matériaux sont gérés au quotidien de façon individuelle par les intéressés. De réelles stratégies territoriales pour avoir accès à la ville et à ses ressources foncières et pour négocier chaque mètre carré sont mises en œuvre par les commerçants et les collecteurs de déchets (voir partie 2). Des territoires particuliers, les interstices, accueillent temporairement ces activités que l’administration voudrait reléguer en périphérie.
5Quant à l’avenir du métier, eu égard aux politiques discriminantes envers le secteur informel de gestion des déchets, on peut douter que la relève soit assurée par les jeunes générations issues des filières migratoires de Nam Định. On a vu qu’une partie des enfants ne veut pas suivre les parents qui ont investi dans l’ascension sociale de leur progéniture à travers la scolarisation. Enfin, les conditions environnementales dans lesquelles le recyclage s’opère interrogent l’avenir de la filière (voir partie 3).
Auteur
Géographe, correspondante de la JEAI, directrice de recherche, IRD.
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