Chapitre 10. Automédication versus consultation
La prise en charge de leur santé par les individus, entre autonomie et dépendance
p. 241-263
Texte intégral
Introduction
1Face aux questions de santé qu’ils rencontrent, les individus peuvent se prendre en charge seuls, au sein de leur foyer ou dans leur environnement social proche, ou recourir à différents spécialistes qu’ils devront généralement rétribuer. Dans ces deux types d’espaces sanitaires – la sphère de l’intime au domicile, la sphère professionnelle à l’extérieur –, le médicament au sens large, biochimique, de phytothérapie standardisée ou non, joue un rôle important. À la fois thérapeutique et marchand, il est mobilisé par les personnes lorsqu’elles prennent en charge leur santé et par les professionnels qui réalisent des prescriptions en lien avec le diagnostic qu’ils établissent. Ainsi, se centrer sur le médicament permet d’analyser les modalités de prise en charge de leur santé par les personnes et de comprendre les choix qu’elles font dans ce but. Dans les contextes que nous avons étudiés, au Bénin et au Ghana, en tant qu’anthropologues, épidémiologistes et spécialistes de santé publique, la question qui nous intéresse revient à comprendre les mécanismes qui expliquent pourquoi les personnes se soignent à leur domicile ou recourent à un professionnel de la biomédecine et selon quelles temporalités et logiques elles passent de l’un à l’autre1.
2La littérature en sciences sociales, en épidémiologie sociale et en santé publique concernant le recours aux soins est vaste, que les situations aient été étudiées dans les Suds (Fournier et Haddad, 1995 ; Mahendradhata et al., 2014 ; Ridde et al., 2018 ; Sams, 2017) comme dans les Nords (Chaix et al., 2006 ; Goldberg et al., 2002 ; Jacquet et al., 2018 ; Vallée et Chauvin, 2012), pour ne citer que quelques références. Toute une série de facteurs sociaux, économiques et structurels est mise en avant variablement suivant les contextes, pour expliquer ce recours aux soins. Une étude récente menée en France partait du postulat, fondé sur les travaux de Robert Castel (2009), que suivant les caractéristiques des individus, les pratiques de santé peuvent se comprendre comme étant façonnées positivement par les choix propres des personnes, ou négativement par les contraintes auxquelles elles sont soumises (Brutus et al., 2017). Nolan Kline, dans son étude sur les « sans papiers » aux États-Unis, décrit comment le contexte politique en matière d’immigration influence le recours aux soins et suscite le développement de structures informelles et de pratiques alternatives (Kline, 2017). Dans les pays des Suds, ce sont généralement les contraintes économiques, structurelles, voire « culturelles », qui sont mises en avant, ce qui favorise une « seule histoire » (single story), au lieu de témoignages divers qui vont à l’encontre de ce récit dominant (Mkhwanazi, 2016).
3Dans le cadre de ce chapitre et pour répondre à la question que nous nous sommes posée, nous retenons trois notions importantes. Les « déterminants sociaux2 », tout d’abord, soulignent les conditions objectives dans lesquelles se trouvent les individus (classes sociales, revenus, scolarisation, situation familiale…). En complément de ces déterminants, il convient de prendre en compte les supports institutionnels et sociaux que les individus peuvent mobiliser en matière de santé : mécanismes assurantiels, caractéristiques de l’offre de soins et de médicaments, réseaux d’appartenance (Castel, 2009). Puis, nous considérons la notion d’« autonomie » qui, dans une définition minimale, met en avant « la capacité du sujet à décider pour lui-même des règles auxquelles il obéit, et la capacité à agir qui en découle » (Fainzang, 2012 : 4, se référant à Gillon, 1985). L’analyse de l’autonomie concernant les questions de santé doit être enrichie, comme précédemment, par la prise en compte des supports institutionnels et sociaux. Au sujet du médicament, la notion d’autonomie a été développée surtout en lien avec la question de l’automédication, qui a fait l’objet de plusieurs recherches en France ces dernières années (largement citées dans ce chapitre), dans un contexte où la communauté économique européenne fait pression pour un allègement du monopole pharmaceutique dans ce pays (voir chapitre 3). L’automédication peut relever de différentes définitions suivant qu’on lui donne un sens restrictif (utiliser des spécialités industrielles sans la prescription préalable, pour cette question de santé, d’un professionnel de la biomédecine) ou plus large (incluant tous les produits de santé existants, voire les pratiques de soin, considérant les « prescriptions » réalisées par d’autres acteurs – de l’entourage social ou des lieux de distribution ou de soins sans être légalement autorisés à prescrire –, ainsi que « l’automédication déguisée », lorsque le patient demande à son médecin d’inscrire certains produits sur l’ordonnance) (Brutus et al., 2017 ; Bureau-Point et al., 2020 ; Fainzang, 2012 ; Moloney, 2017). Pour notre part, adoptant le point de vue des personnes, nous considérons l’automédication comme l’utilisation de produits de santé sans la supervision d’un professionnel reconnu par les personnes elles-mêmes comme pouvant « prescrire », que celui-ci soit effectivement habilité à le faire ou pas. Enfin, la notion de « savoirs populaires3 » nous sera utile pour comprendre ce qui guide les pratiques des individus. Raymond Massé définit les « savoirs populaires » comme des « construits socio-culturels reflétant la vision qu’ont les populations elles-mêmes du monde de la santé et de la maladie ». Il s’agit de savoirs authentiques, réunis en un véritable « système culturel de sens commun ». « Bâti à partir d’un ensemble d’éléments de base (croyances, attitudes, valeurs, etc.) », ce système culturel « permet à l’individu d’interpréter la maladie » et « de construire des modèles explicatifs des causes, du développement et du traitement de sa maladie » (Massé, 1995 : 14, 236). Bien que n’étant pas particulièrement novatrices, ces trois notions sont importantes à mobiliser dans la discussion de santé publique que nous entendons mener ici.
4Nous allons montrer à travers ce chapitre comment le médicament, dans les contextes béninois et ghanéens que nous avons étudiés, est un révélateur à la fois d’une prise en charge autonome et positive de leur santé par les personnes, mais aussi des inégalités de recours aux soins et de santé qui existent en fonction des statuts socio-économiques, des contextes urbains ou ruraux de vie et du pays d’habitation. Nous verrons qu’en fonction de l’offre de soins et de médicaments qui leur est proposée et tenant compte des questions de santé qu’elles rencontrent, les personnes réalisent différents arbitrages dans des temporalités variables entre plusieurs formes d’automédication et de recours à un professionnel. Ces arbitrages peuvent révéler tantôt l’« autonomie » des personnes en matière de santé, tantôt leur « dépendance4 » vis-à-vis du système de santé et en lien avec leurs « déterminants sociaux ». Ils soulignent aussi que ces deux aspects – autonomie et dépendance – ne sont pas antinomiques, mais s’entremêlent largement. Si la logique globale des recours aux soins s’avère relativement universelle, quelles que soient les personnes au Bénin et au Ghana, nous verrons que des contraintes avant tout structurelles et économiques se posent à certaines d’entre elles plus qu’à d’autres. Pour développer ces aspects, il importe tout d’abord de planter le décor et de décrire l’offre de soins et de médicaments dans les deux pays.
Une offre de soins et de médicaments différente au Bénin et au Ghana
5Le système de soins biomédical ghanéen a vu le jour au cours de l’époque coloniale, sous l’égide des Britanniques (la colonisation par le Royaume-Uni a duré de 1874 à 1957). En 1923 l’hôpital de la Gold Coast, Korle-Bu, a été construit. Il a longtemps été considéré comme l’établissement de santé le plus à la pointe en Afrique (Arhinful, 2003). Le système de soins biomédical du Bénin a également été lancé lors de l’époque coloniale (la colonisation française a duré de 1894 à 1960), mais un peu plus tard qu’au Ghana, au début des années 1930 (Baxerres, 2013 a). Bien que ces deux pays soient situés dans la même région géographique et soient confrontés aux mêmes types d’acteurs et de politiques en matière de santé (Baxerres et Eboko, 2019), il existe entre eux des différences notables concernant les types de centres de santé et de médicaments disponibles.
6Jusqu’à la mise en œuvre de l’Initiative de Bamako en 1988, le Bénin offre à ses populations des services de santé gratuits, tandis que le Ghana impose une participation aux frais médicaux de la fin des années 1960 au début des années 1970, et a réinstauré le paiement intégral des soins par les usagers en 1985, ainsi que le recouvrement des coûts des médicaments5. La privatisation du système de santé au Bénin a démarré en 1986, selon les recommandations de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. À partir de cette année, le gouvernement a limité le nombre de fonctionnaires dans le secteur de la santé (Boidin et Savina, 1996). Les jeunes professionnels doivent alors trouver de nouveaux débouchés, ce qui s’est concrétisé la plupart du temps par une installation à leur propre compte, ou par l’occupation d’un poste dans un centre de santé privé. On assiste ainsi, dès la fin des années 1980, à la multiplication de petits centres de santé privés à Cotonou et plus largement dans le sud du Bénin. Les pratiques de ces petits centres de santé privés sont souvent en décalage avec la législation dont ils dépendent. Mais il n’est néanmoins pas aisé de les classer en deux catégories, l’une composée de centres formels et l’autre de centres informels6 (Baxerres, 2013 a) (voir portfolio, photo 19).
7À partir de 2003, le Ghana a mis en œuvre la National Health Insurance, qui est aujourd’hui encore parmi les assurances maladie universelle nationales les plus avancées d’Afrique subsaharienne (Antwi, 2019). Au Bénin, ce n’est qu’en 2017 que l’Assurance pour le renforcement du capital humain (Arch) a été lancée, mais les choses ne semblent pas se mettre en place rapidement (Deville et al., 2018 ; Gbénahou, 2019)7. Même si ces facteurs politiques ne sont pas les seuls à influencer l’utilisation des services de santé par les individus, ils jouent un rôle très important dans la détermination des types de centres de santé qui existent et de leurs tarifs. On observe aujourd’hui une multiplicité de l’offre de soins biomédicale, à travers plusieurs statuts institutionnels (public, privé lucratif, privé non lucratif, informel), qui se développe néanmoins diversement entre le Bénin et le Ghana et entre les contextes urbains ou ruraux où ils prennent place8.
8La ville de Cotonou présente un large éventail d’offre de soins, comprenant tous les niveaux de la pyramide sanitaire publique (hôpitaux de référence nationaux, hôpitaux de zone sanitaire, centres de santé d’arrondissement, de commune, et même quelques maternités isolées), plusieurs hôpitaux confessionnels, de grandes cliniques privées et une multitude de petits centres de santé privés. L’offre de soins de santé et l’implication des professionnels et des spécialisations sont très variables suivant les centres de santé. Respectant à peu près les services prévus à chacun des échelons de la pyramide sanitaire dans le secteur public, les soins sont très hétérogènes dans le secteur privé et ne sont pas toujours en adéquation avec le prix de la consultation et de la prise en charge. La ville d’Accra présente également un éventail d’offre de soins très large, encore plus large que celle de Cotonou en raison d’une présence plus importante de populations aisées. Les différents niveaux de la pyramide sanitaire publique sont représentés dans cette ville, ainsi que des cliniques et hôpitaux privés de taille diverse, mais peu d’hôpitaux confessionnels. Cependant, des petits centres de santé privés tel qu’ils existent à Cotonou sont absents à Accra.
9La situation est en revanche bien différente entre les milieux ruraux béninois et ghanéen. Au Bénin, l’offre de soins présente dans le département du Mono, où nous avons mené nos études, n’est pas foncièrement différente de celle de Cotonou, quoique bien sûr dans des proportions moindres. On y retrouve à la fois des centres de santé publics aux échelons de la pyramide sanitaire prévus pour ces localités, des centres de santé confessionnels et des centres de santé privés, ainsi qu’une à deux cliniques privées un peu plus importantes (et onéreuses). À Comè, par exemple, ville du département du Mono comptant environ 80 000 habitants, nous avons dénombré une quinzaine de centres de santé privés. À Lobogo, bourgade située à une quarantaine de kilomètres de Comè et comptant environ 17 000 habitants, nous en avons dénombré au moins six. La situation est très différente en milieu rural ghanéen. À Breman Asikuma, nous n’avons pu trouver en tout et pour tout qu’un seul centre de santé privé : une maternity home proposant également quelques soins généraux. L’offre de soins y est fournie très majoritairement par l’État à travers les différents échelons de la pyramide sanitaire (district hospital, health center, CHPS – Community-based Health Planning and Services – Compound), parfois comblés par des institutions religieuses, comme à Breman Asikuma où l’hôpital du district sanitaire est un mission hospital (voir portfolio, photo 18).
10Contrairement au Bénin, aucun petit centre de santé privé informel n’est présent en milieu rural ghanéen. Les injection doctors décrits dans le passé (Senah, 1997) ne semblent notamment plus réellement en activité aujourd’hui. Alors qu’au Bénin, le gouvernement a opté pour la politique des relais communautaires, promue par les acteurs transnationaux (OMS, Usaid, Fonds mondial, etc.), au Ghana l’échelon de l’offre publique de santé le plus bas est le CHPS Compound, dont les agents (infirmiers, aides-soignants) font parfois des « visites élargies » pour aller rencontrer les habitants des hameaux et villages les plus reculés.
11S’intéresser au médicament dans cette offre de soins permet de prolonger l’analyse. Officiellement, au Bénin, le médicament ne peut être distribué que dans les centres de santé publics et confessionnels. Les centres de santé privés ne peuvent utiliser des médicaments que lors des soins qu’ils prodiguent et doivent ensuite établir des ordonnances que leurs patients iront présenter en pharmacie. Au Ghana, les circuits de distribution pharmaceutique publics et privés sont très entremêlés et l’ensemble des acteurs de l’offre de soins est autorisé à vendre des médicaments. À part auprès de ces différents acteurs investis dans la dispensation des soins, les médicaments pharmaceutiques industriels sont aussi (et surtout) disponibles aux populations auprès de détaillants privés : les pharmacies d’officine principalement en ville (exclusivement dans le cas du Ghana), les OTC Medicines sellers en milieu rural ainsi que dans les quartiers populaires des villes au Ghana, les dépôts pharmaceutiques en milieu rural au Bénin, les vendeurs informels en milieux urbain et rural béninois9.
12Nous allons à présent analyser comment les personnes composent avec cette offre de soins biomédicale et de médicaments pour prendre en charge leur santé et celle de leur famille. Quelles logiques apparaissent et quels acteurs s’avèrent jouer un rôle important dans les deux pays ainsi que dans les contextes urbains et ruraux où nous avons enquêté ?
Appréhension d’une gestion « essentielle » des événements de santé au sein des familles
13L’enquête que nous avons réalisée en population auprès d’environ 600 familles dans chacun des différents contextes étudiés, urbains et ruraux au Bénin et au Ghana, a permis de quantifier les besoins de soins au sein des familles, les pratiques de prises en charge de leur santé et les réalités du recours aux soins10.
14Ces enquêtes soulignent que les maux que les adultes rencontrent au quotidien sont traités au sein des foyers, sans le recours à une consultation biomédicale, dans 70 à 90 % des cas suivant la zone d’étude11. Ce taux est notablement plus haut en zone rurale dans les deux pays, 90 % contre 78 % au Bénin, 77 % contre 70 % au Ghana, sans doute en raison d’une offre de soins moins importante et peut-être aussi d’une disponibilité numéraire moins immédiatement mobilisable en lien avec les activités agricoles et d’élevage (Baxerres et Le Hesran, 2010).
15Il est intéressant de constater que, dans les quatre contextes considérés, les personnes expriment de manière très proche les problèmes qu’elles rencontrent au quotidien. Notre enquête portait sur les EDS vécus les sept derniers jours12. Les personnes ont déclaré en premier lieu des signes très généraux : les maux de tête (12 à 30 %), les courbatures et douleurs (15 à 30 %), la fatigue (2,5 à 11 %), les maux de ventre (4 à 9, %). Des signes évocateurs de maladies essentiellement infectieuses (nez qui coule, toux, fièvre) (5 à 11 %) ont également été déclarés. Les entités nosologiques populaires, palu au Bénin et malaria au Ghana, associées au paludisme (voir chapitre 7), tenaient aussi une bonne place dans la liste des maux les plus fréquemment rencontrés (15-26 %). Ce constat soulignait encore une fois le décalage entre « entités nosologiques biomédicales » et « populaires », quel que soit le faciès épidémiologique local en matière de paludisme, malgré une transmission du parasite plus élevée en milieu rural et plus limitée en milieu urbain, en raison de la pollution et d’un environnement moins favorable au moustique. La maladie chronique la plus souvent évoquée par les familles enquêtées était l’hypertension artérielle13 (HTA), communément nommée tension au Bénin et pressure ou BP (pour Blood Pressure) au Ghana. Elle est notablement plus présente à Cotonou (6 %) que dans les autres sites étudiés (entre 1 à 3 %), dans lesquels elle représente néanmoins une préoccupation de santé non négligeable (rappelons que les déclarations sont faites à l’échelle d’une semaine). Quand nous interrogeons les personnes sur l’origine des EDS rencontrés, les causes évoquées peuvent différer entre milieux urbains et ruraux, en lien avec les conditions de vie des personnes : des signes plus fortement liés à la pollution, au bruit, au stress (fatigue physique et psychique) en ville et à la dureté du travail en zone rurale (chaleur, soleil, fatigue physique). Il semble aussi y avoir des modes d’expression des signes différents entre le Bénin et le Ghana : il est plus fréquemment question de « fatigue » au Bénin, et de « maux de tête » et de « douleurs » au Ghana.
16En lien avec ces maux très proches rencontrés au quotidien, les classes thérapeutiques utilisées dans les familles sans la consultation préalable d’un professionnel de la biomédecine, sont globalement les mêmes dans les quatre contextes étudiés : les antalgiques (20 à 30 %), les antipaludiques (10 à 16 %), les anti-inflammatoires et antirhumatismaux (5 à 10 %), les vitamines et fortifiants (6 à 10 %) et enfin les antibiotiques (4 à 6 %). Au sein de ces classes thérapeutiques, ce sont quelques molécules qui sont majoritairement utilisées : le paracétamol (antalgique), l’ibuprofène (anti-inflammatoire), la quinine14 et les combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine (antipaludiques), l’amoxicilline et le métronidazole (antibiotiques). Ces six molécules ou combinaisons de molécules représentent plus de 50 % des médicaments consommés de leur propre chef par les personnes, quelle que soit la zone.
17Comment expliquer la concentration des traitements sur ces quelques molécules ? Celles-ci sont inscrites sur la liste des médicaments essentiels définie par les autorités sanitaires des deux pays. Ce sont des molécules, disponibles sous forme générique, éprouvées depuis longtemps. Ce sont également les médicaments les plus prescrits par les professionnels de santé. Ces molécules qui ont depuis longtemps montré leur efficacité ont des indications très larges (fièvre, douleurs, antibiotiques à large spectre) et sont efficaces sur un grand nombre de problèmes de santé. L’ensemble de ces molécules constituent donc une pharmacopée « essentielle » minimale et sûre pour les familles, qui permet de prendre en charge la plupart des maux rencontrés au quotidien, sur le modèle de ce que proposent les centres de santé et, dans l’esprit des personnes, aussi efficacement. Une étude que nous avons conduite à Cotonou sur près de 14 000 consultations réalisées dans trois centres de santé publics montre clairement que les personnes consultent principalement pour des problèmes infectieux ou parasitaires tels que les infections respiratoires aiguës (13,1 %), le paludisme (21,8 %) et les syndromes infectieux (30 %). La mention de « syndrome infectieux », sur les registres des centres de santé, souligne que l’origine de l’infection n’est pas connue. Il s’agit d’un diagnostic « fourre-tout » qui montre la difficulté pour les soignants, en l’absence d’examens complémentaires (comme l’hémoculture), de faire un diagnostic précis. Nous reviendrons sur ces aspects dans la conclusion du chapitre.
18Pour revenir à l’utilisation des spécialités industrielles par les familles et à ce qui relève – du point de vue des personnes – de l’automédication, nous avons réalisé des relevés exhaustifs de données lors des observations participantes conduites dans des lieux de distribution pharmaceutique en milieux urbain et rural ghanéen et béninois. Présents au comptoir aux côtés des vendeurs, nous avons observé suivant les lieux de distribution – pharmacies ou OTCMs au Ghana, pharmacies, dépôts pharmaceutiques ou vendeurs informels au Bénin – qu’entre 62 % et 82,5 % des achats de médicaments faisaient suite à une demande spontanée de la part des clients : orale, par le biais d’un contenant vide de médicament (boîte, plaquette, tube) ou encore via la présentation d’un papier ordinaire comportant le nom du ou des produit(s)15.
19Nos études quantitatives et qualitatives montrent bien ainsi que, quelles que soient les différences de régulation, de modes de distribution pharmaceutique et d’offre de soins, l’automédication est le mode d’achat de médicaments largement majoritaire dans les deux pays. Voyons à présent, grâce aux études qualitatives, comment nous pouvons comprendre ces constats et leur donner de l’épaisseur en lien avec les « déterminants sociaux » des personnes et leur contexte d’habitation.
Lorsque les personnes pensent maîtriser les problèmes de santé qu’elles rencontrent
Quand l’automédication s’explique par l’importance des savoirs populaires
20À travers les entretiens approfondis que nous avons réalisés auprès des familles dans les différents contextes étudiés au Bénin et au Ghana, il apparaît évident aux personnes, quel que soit leur statut socio-économique, de gérer dans un premier temps seules, ou avec l’aide de leur entourage, les problèmes de santé ou maux qu’elles ressentent. Les personnes disposent d’importants savoirs en matière de santé et de médicaments, qu’elles mobilisent logiquement lorsqu’elles sont confrontées à une question de santé. Les entretiens que nous avons réalisés sont tous émaillés de propositions telles que : « j’ai pris batrim [pour Bactrim ou cotrimoxazole], trois comprimés le matin pendant trois jours, pour calmer les plaies dans le ventre » (père de famille « démunie », département du Mono, Bénin, janvier 2015) ; ou « quand je commence à avoir des furoncles ou des douleurs articulaires, je vais simplement acheter des médicaments au drugstore, comme Efpac Quick Action » (grand-père de famille « intermédiaire », Breman Asikuma, Ghana, mars 2016) ; ou encore « comme je fais vite de l’hypoglycémie, quand l’heure avance et peut-être je n’ai pas mangé, quand je commence par trembler, je prends de la vitamine C… Upsa-C, c’est ça que je prends. Donc, si je prends ça là et je ne me retrouve toujours pas, je prends du calcium ou bien du magnésium en plus » (mère de famille « nantie », Cotonou, décembre 2014). En fonction des familles et des lieux de résidence, ces savoirs mobilisent des spécialités industrielles comme de la phytothérapie, consommées alternativement ou simultanément.
21Ainsi, plus que des symptômes ou des problèmes de santé bénins, comme cela a souvent été rapporté dans la littérature, cette forte automédication porte avant tout sur des questions de santé que les personnes maîtrisent ou pensent maîtriser. Cet extrait d’entretien avec une mère de famille « démunie » habitant Cotonou et parlant de sa fille âgée de 14 ans le souligne bien : « Adèle ne tombe pas fréquemment malade, la seule fois où elle l’a été, c’est l’ictère16 […], c’est l’année dernière qu’elle a souffert de ça […], c’était vraiment grave, si on n’avait pas bien pris soin d’elle, elle serait partie. Son père a dû acheter les médicaments qui donnent du sang et j’ai cherché les racines du cocotier plus du kinkéliba que j’ai préparées, c’est ça que je lui ai donné d’abord et c’est sorti. » (décembre 2014).
22Autre exemple, une mère de famille « nantie » à Accra a expliqué comment elle a traité une maladie récente de son fils, et a également traité ses autres enfants dans la foulée : « Il toussait sans cesse, la toux ne partait pas, elle cesse, elle recommence, elle cesse, elle recommence, alors j’ai décidé d’acheter le flemex. Ça n’a pas aidé. Je veux dire, après une semaine, alors j’ai acheté des antibiotiques pour les ajouter et je leur ai donné du piriton... parce que tous les trois [enfants] ont des allergies. » (mars 2015).
23Ce constat a également été réalisé dans d’autres contextes, notamment en France et au sujet de maladies chroniques (Brutus et al., 2017 ; Fainzang, 2012). « Le critère est plutôt celui des troubles connus que bénins, cette connaissance par l’expérience pouvant concerner des troubles sérieux, mais que le malade connaît et surtout reconnaît. » (Brutus et al., 2017 : 9). Ainsi, connaissant le problème de santé qui se pose, les personnes ne recourent logiquement pas à un professionnel de santé. Dans certaines familles, la gestion d’abord à domicile s’apparente même à un passage obligé, prouvant que les parents (souvent la mère) s’occupent bien de leurs enfants. Lors d’un suivi bimensuel réalisé auprès d’une famille « nantie » de Cotonou, la mère a expliqué qu’« elle ne peut pas aller à l’hôpital pour un mal dont elle connaît le traitement, que l’enfant ne peut pas chauffer, tousser ou faire le rhume et qu’elle court à l’hôpital » (juillet 2015).
24Comme le précisent Laurent Brutus et ses collègues (2017) dans des contextes français, l’automédication n’est pas seulement une pratique linéaire, une étape des parcours de soins des individus avant de recourir à des professionnels. Soulignant à nouveau l’importance des savoirs populaires que les individus mobilisent pour leur santé, dans plusieurs situations que nous avons étudiées, les personnes décident d’associer à une consultation biomédicale des pratiques issues de la sphère domestique. Une mère de famille « démunie » habitant le département du Mono au Bénin explique qu’elle avait donné des médicaments « de maison » (se référant ainsi aux vendeurs informels) à son fils de 18 ans pour « des problèmes de vers », puis qu’ils sont allés à l’hôpital et qu’au retour elle lui a encore donné des médicaments « de maison » et que c’est là que le problème s’est terminé (suivi bimensuel, avril 2015). Au Ghana, nous avons observé une situation comparable, quand une mère de famille « intermédiaire » habitant Accra a expliqué : « Je me souviens, à un moment, j’ai envoyé ma fille à l’hôpital... les [médicaments] qu’on m’a donnés, je les ai amenés à la maison et je les ai donnés à l’enfant, mais après tout ça, je suis tout de même retournée avec elle à la pharmacie pour acheter [des médicaments] pour elle avant qu’elle se sente mieux. » (janvier 2015). Dans les deux pays également, nous avons observé que des mères ou des pères donnent des phytothérapies en plus des médicaments prescrits par les centres de santé.
25Les savoirs que les personnes mobilisent en matière de santé et de médicaments dans les différents contextes que nous avons étudiés se construisent par le biais d’un syncrétisme entre pratiques transmises de génération en génération et biomédecine (Baxerres, 2013 a). Comme Laurent Brutus et ses collègues l’ont noté dans des contextes français, au Bénin et au Ghana aussi la relation aux professionnels de la biomédecine est importante. « L’automédication ne se caractériserait pas tant par l’absence du conseil médical, mais par sa transformation, l’usage qui en est fait par le patient. » (Brutus et al., 2017 : 9). Ainsi, au Bénin et au Ghana, les personnes acquièrent leurs savoirs lorsqu’elles se rendent en consultation dans une structure de santé biomédicale. Elles reproduisent ensuite de manière plus ou moins distanciée et pour des symptômes qu’elles jugent similaires, les prescriptions qui leur ont été délivrées antérieurement. Elles apprennent également des professionnels de la biomédecine qui composent leur environnement social et dont les compétences sont très hétérogènes (allant du médecin spécialiste, à l’infirmier, la sage-femme, l’aide-soignant, voire le vendeur en pharmacie, le délégué médical, un agent de l’administration d’un hôpital). Les personnes apprennent aussi et sont influencées, comme cela a été décrit dans la littérature (Jansen, 1995 ; Quintero et Nichter, 2011), par l’ensemble de leur environnement social : voisins, collègues, famille plus ou moins élargie. Marion David et Véronique Guienne parlent à ce sujet de « prescriptions collectives de comportement ou de consommation » (David et Guienne, 2019 : 3). Internet et les réseaux sociaux, notamment Whatsapp, véhiculent de manière croissante aujourd’hui, au Bénin et au Ghana, des savoirs en matière de santé, de maladie et de traitements. Enfin, les médias (radio, télévision, journaux), à travers des messages de sensibilisations de santé publique, des informations concernant des projets de développement en santé, mais aussi des publicités sur différentes sortes de produits de santé, sont également un vecteur non négligeable de savoirs17.
26Comme souligné dans les travaux récents menés en France, l’automédication procède aussi dans les contextes que nous avons étudiés d’expérimentations, de tests que les personnes mettent en place sur elles-mêmes lorsqu’elles ressentent des symptômes. « Si tu veux utiliser les feuilles, utilise-les pour voir clairement comment elles travaillent. De la même façon, tu vas t’occuper d’un seul médicament pendant un moment et voir comment ça travaille… ça fait qu’on a une idée claire de ce qui a réellement guéri la maladie. » (père d’une famille « intermédiaire », département du Mono, janvier 2015). Laurent Brutus et ses collègues parlent à ce sujet d’un « bricolage quotidien qui repose essentiellement sur l’expérience », celle-ci devant être comprise à la fois au sens de « avoir l’expérience de », nous l’avons vu ci-dessus concernant les expériences de consultation, et à celui de « faire l’expérience » (Brutus et al., 2017 : 10). Sylvie Faizang (2014), pour sa part, évoque une véritable experience-based medicine. Les personnes pratiquent en s’automédiquant ces tests qui, s’ils s’avèrent opérants, permettent de ne pas aller consulter de spécialistes. Une mère de famille « intermédiaire » de la région semi-rurale de Breman Asikuma a expliqué : « Quand [mon mari] remarque qu’un de ses enfants est malade, il nous dit d’utiliser des remèdes à base de plantes pendant un petit temps pour voir s’ils donnent un bon résultat. S’il faut en faire plus, alors nous les amenons à l’hôpital... la plupart du temps, il veut d’abord voir le résultat. Et aussi la plupart du temps nous n’avons pas à les amener à l’hôpital. » (entretien, novembre 2014). À ce sujet, la notion de « savoirs expérientiels » peut-être intéressante à considérer. Sans vouloir mobiliser une notion « à la mode », utilisée de plus loin de son champ habituel en santé (maladies chroniques, handicap), il nous semble que son évocation sur des questions de consommations médicamenteuses fréquentes à quotidienne, plutôt au sujet de symptômes aigus, permet de souligner que dans ces situations aussi la « mise à l’épreuve » individuelle du corps est importante et qu’il en résulte des savoirs élaborés collectivement qui se transmettent18.
Des produits et lieux d’achats conditionnés par les déterminants sociaux des familles
27L’automédication est une pratique de santé largement répandue au Bénin et au Ghana, quels que soient les statuts socio-économiques et les contextes et lieux de résidence. En revanche, les produits et les lieux de distribution pharmaceutique mobilisés diffèrent en fonction des familles et des contextes nationaux, urbains et ruraux dans lesquels elles vivent.
28Les familles « nanties » de Cotonou et d’Accra auront plus fortement tendance à se rendre en pharmacie, les familles « démunies » de ces deux capitales plus fortement auprès des OTCMs au Ghana et des vendeurs informels au Bénin. Les médicaments utilisés en automédication en milieu rural sont largement achetés, quel que soit le statut socio-économique des familles, au Ghana auprès des OTCMs et au Bénin auprès des vendeurs informels. Dans ce dernier contexte, d’après nos données quantitatives, c’est le cas de 70 % des spécialités industrielles utilisées en automédication, contre 30 % à Cotonou.
29Il arrive parfois au Bénin que les médicaments utilisés pour pratiquer l’automédication soient achetés auprès des centres de santé, plus fortement en milieu rural qu’en ville, sans qu’une consultation n’ait été pratiquée au préalable. Le pourcentage de ventes suite à une « demande spontanée » de médicaments de la part du « patient », qui devient alors simplement un « client », peut aller jusqu’à 15 à 20 % du total des ventes réalisées dans la pharmacie de certains centres de santé (un centre de santé public de quartier, un petit centre de santé confessionnel que nous avons observés par exemple). Révélateur du phénomène de marchandisation du médicament dans les centres de santé au Bénin (Baxerres, 2013 a), ceux-ci, qu’ils soient privés ou publics en milieu urbain ou rural, ne sont jamais mobilisés dans le but de pratiquer l’automédication au Ghana19.
30Nous avons constaté également une sorte de gradation dans les pratiques d’automédication des familles pouvant impliquer successivement différents types de produits, achetés dans différents lieux. Ainsi, des personnes démarrent l’automédication avec des plantes avant d’utiliser des spécialités industrielles (ou l’inverse), puis éventuellement de revenir à d’autres plantes ensuite. D’autres commencent par certaines spécialités (antalgiques par exemple), avant d’en utiliser d’autres (antipaludiques par exemple) plus tard lorsque la fièvre, pour suivre cet exemple, ne chute pas. Des personnes démarrent l’automédication avec des restes de prescriptions antérieures avant d’aller acheter d’autres produits si le problème persiste. Certaines personnes au Bénin commencent en utilisant des médicaments achetés auprès des vendeurs informels avant d’en utiliser d’autres achetés à la pharmacie, parfois aussi s’intercalent des médicaments achetés dans un centre de santé (sans consultation préalable)20. Les familles « démunies » sont globalement celles qui ont le plus tendance à multiplier les pratiques d’automédication avant d’aller consulter un professionnel.
31La phytothérapie apparaît comme un objet important sur lequel s’arrêter. Nos études quantitatives montrent des réalités bien différentes à ce sujet au Bénin et au Ghana. À Cotonou, pour répondre aux EDS rencontrés les sept jours précédant l’enquête, 4 % de produits de phytothérapie avaient été utilisés en automédication dans les foyers, contre 94 % de spécialités industrielles (2 % des prises combinant les deux types de médicaments). En milieu rural, à Lobogo, la phytothérapie représentait 14,8 % des prises de médicaments, contre 66 % de spécialités et 8,6 % combinant les deux. Au Ghana, la phytothérapie était bien plus utilisée à Accra, dans près de 30 % des cas, contre 15 % en milieu rural. La phytothérapie était plus souvent utilisée seule (sans l’association de spécialités) au Ghana, où une partie non négligeable relevait de la standardisation (voir chapitre 8). Au Bénin, la phytothérapie utilisée était pour l’essentiel préparée à domicile. Il s’agissait de décoctions à partir d’ingrédients achetés au marché ou collectés dans l’environnement proche. L’offre de produits de phytothérapie standardisés semble ainsi modifier l’appréhension que les personnes en ont et l’exclusivité qui peut leur être donnée vis-à-vis des spécialités industrielles.
Lorsque les personnes pensent devoir s’en remettre à un avis professionnel extérieur
Des logiques comparables mais des inégalités dans la temporalité et le choix du recours
32Dans les deux pays et quel que soit le statut socio-économique des familles, les logiques de recours à un professionnel de la biomédecine sont similaires. Les personnes vont consulter lorsque le problème de santé ne disparaît pas, revient ou s’aggrave après la ou les pratiques d’automédication. Un père de famille « démunie » habitant le Mono au Bénin précise : « Après trois jours, quand ça ne s’améliore pas, ça ne marche pas, il faut savoir que ça dépasse les comprimés que toi tu achètes, là il faut aller à l’hôpital. » (entretien, janvier 2015). Une mère de famille « nantie » en milieu semi-rural au Ghana a mentionné une logique de recours similaire : « Quand j’ai entendu l’enfant tousser... j’ai pensé que c’était peut-être une petite toux passagère. Plus tard, la toux a persisté, alors je suis allée dans le drugstore à côté... il m’a donné un médicament contre la toux pour l’enfant. Quand j’ai donné le médicament à l’enfant, il a commencé à vomir de la bile... plus tard, nous avons amené l’enfant à l’hôpital, et là nous avons entendu dire que c’était de l’asthme. » (entretien, novembre 2014).
33Des logiques similaires sont exprimées à Cotonou et à Accra, quel que soit le statut socio-économique des familles. Une mère de famille « nantie » a déclaré : « Quand quelqu’un ne se sent pas bien, on doit savoir où aller en particulier. Si c’est un mal de tête, par exemple, on va à la pharmacie... Le premier remède est un antidouleur pour le calmer. Si ça ne marche pas, on va à l’hôpital. » (entretien, février 2015).
34Le fait que le problème de santé soit considéré à présent comme grave (les symptômes se multiplient et/ou se prolongent, le malade semble vraiment diminué) et qu’il suscite de l’inquiétude justifie, dans tous les contextes étudiés, le fait d’aller consulter. Ainsi, il arrive dans certaines situations, lorsque le problème apparaît dès le départ sévère ou que les personnes ne l’expliquent pas, ne le comprennent pas, que l’étape de l’automédication soit court-circuitée ou largement raccourcie. Les malades peuvent aussi consulter rapidement un professionnel lorsqu’ils recherchent une technique biomédicale spécifique, qu’ils comprennent de leur point de vue (lorsqu’ils réclament la pratique de l’injection) ou non (s’ils souhaitent faire des examens médicaux) le problème de santé.
35Au-delà de l’homogénéité des logiques de gestion de la santé, quelles que soient les familles, c’est lorsque les individus se réfèrent à la sphère extérieure que les inégalités sociales et liées au contexte de résidence s’expriment le plus fortement. Ainsi, le délai de recours à un professionnel, lorsque le problème n’est pas réglé avec l’automédication, a tendance à être d’autant plus long, dans les différents contextes étudiés, que le statut socio-économique des personnes est précaire. Le suivi bimensuel que nous avons réalisé auprès des différentes familles montre qu’il va plus fréquemment de quelques heures à une journée pour les familles « nanties » à possiblement de nombreux jours (plus d’une semaine, deux semaines) pour les familles « démunies ». L’inquiétude conduisant à la consultation apparaît souvent aussi bien plus prononcée pour les familles « démunies » que pour les « nanties ». Une mère de famille « démunie » habitant Cotonou explique : « Moi-même je ne vais pas à l’hôpital comme ça, avant d’y aller il faut savoir que je suis vraiment dépassée. Si une maladie arrive et moi-même je m’en occupe à la maison sans amélioration, j’amène ça à l’hôpital, c’est comme ça mais ce n’est pas du tout fréquent. » (entretien, février 2015).
36Ainsi, le lien que les familles développent avec les structures de santé, que nous avons observé durant environ une année, apparaît souvent caractéristique de leur statut socio-économique, et ce quel que soit le contexte urbain ou rural de résidence. Au Bénin, la famille de Myriam, par exemple, composée d’elle, son mari et de leurs trois enfants, est « démunie » et habite la périphérie de Cotonou. Elle explique en entretien que ça fait très longtemps qu’ils ne sont pas allés à l’hôpital. Pendant le suivi bimensuel, Myriam est la seule à être allée consulter une fois et elle devait revenir pour « le contrôle » mais n’ayant pas d’argent, elle a préféré préparer une tisane à base de plantes. Pour la « rougeole » de son dernier fils (3 ans), elle a donné une tisane et est allée acheter des médicaments dans un petit centre de santé privé, sans faire de consultation. Un problème de santé qu’a eu sa fille de 10 ans les a beaucoup inquiétés mais ils ne sont pas allés à l’hôpital, ils lui ont donné de nombreuses spécialités pharmaceutiques et plusieurs tisanes. En comparaison, la famille d’Aubierge, qui est « nantie », réside dans le département du Mono et est composée des deux parents et de leurs cinq enfants âgés de 17 ans à quelques mois, recourt régulièrement au centre de santé. Ils ont consulté sept fois durant le suivi bimensuel. Deux des enfants (âgés de 4 et 14 ans) ont été amenés directement en consultation dès lors qu’ils ont eu de la fièvre. Au Ghana également, les familles « démunies » se rendent moins souvent dans les centres de santé que les familles « nanties ». La teneur des conversations portant sur le recours aux soins est très différente selon le statut socio-économique, les familles « nanties » insistant sur l’importance d’utiliser une approche biomédicale. Par exemple, une mère de famille « démunie » habitant Accra explique : « Je ne sais pas si on m’y a amenée quand j’étais petite, mais d’aussi loin que je me souvienne, quand je suis malade, je vais soit à la pharmacie soit dans un drugstore et j’achète ce dont j’ai besoin, mais si je me rends compte que ces médicaments ne m’aident pas, je vais chercher mes herbes, je les prépare et je les bois. » (entretien, janvier 2016).
37À l’opposé, une mère de famille « nantie » d’Accra déclare : « [Nous] les adultes, je vais être honnête avec vous, nous aimons nous automédiquer, mais pour les enfants, nous ne prenons pas de risques. Nous allons [à la clinique]... Je les y amène. » (entretien, mars 2015). Dans les deux pays, les familles « nanties » sont globalement celles qui court-circuitent plus fréquemment (ou rapidement) l’étape de l’automédication.
38Les statuts socio-économiques des familles influencent également le type de centre de santé auquel elles recourent. Toutefois, sur cet aspect, le contexte urbain ou rural et le pays de résidence ont également un impact fort. Ainsi, à Accra comme à Cotonou, les familles « nanties » ont plus fortement tendance à se rendre dans des cliniques privées onéreuses ou dans les grands hôpitaux publics de référence nationale pour y consulter des médecins spécialistes. Les familles « démunies » se rendent plus fréquemment dans les centres de santé publics où elles consultent des infirmiers, auxquels s’ajoutent, à Cotonou, les petits centres de santé privés (souvent en partie informels) peu coûteux. En milieu rural en revanche, nous l’avons vu, les familles ne disposent pas d’un aussi grand choix dans l’offre de soins. Ainsi, quel que soit leur statut socio-économique, toutes les familles que nous avons étudiées à Breman Asikuma au Ghana se rendent en consultation dans les centres de santé publics ou dans le centre confessionnel de la place21. C’est aussi fortement le cas des familles étudiées dans le département du Mono au Bénin, même si elles ont à leur disposition également quelques centres de santé privés.
39L’éventail plus ou moins large de l’offre de soins selon les contextes, comme précédemment pour les pratiques d’automédication, peut susciter une sorte de gradation du recours aux professionnels de la biomédecine. Une mère de famille « nantie » habitant à Accra a décrit aller consulter dans un hôpital privé pour des maladies qui lui semblaient graves ou inhabituelles, mais sinon elle va dans un hôpital public ou pratique l’automédication. Des familles au Bénin, peuvent ainsi d’abord se rendre dans un « petit centre de santé privé » à proximité de chez eux, avant d’aller si besoin dans une ou plusieurs autres structures de santé de niveau de compétence jugé supérieur. De véritables parcours du combattant nous ont ainsi été quelques fois rapportés. Un père de famille « démunie » de Cotonou raconte par exemple, au sujet de son enfant âgé de 11 mois, qu’il avait la fièvre et qu’il a pensé au palu. Il lui a alors donné du paracétamol et de l’ibuprofène, puis de la tisane de moringa, dont il était allé prendre les feuilles sur un arbre près de chez lui. La fièvre ne passant pas, le lendemain il a amené l’enfant dans un « petit centre de santé privé » proche, où il a reçu des injections renouvelées matin et soir pendant trois jours. Mais il n’y a pas eu d’amélioration alors ils sont allés dans un deuxième « petit centre de santé privé », où l’enfant a encore reçu une injection mais comme il n’était vraiment pas bien, on a conseillé au père de se rendre à l’hôpital « de zone » le plus proche.
40Le choix du type de centre de santé auprès duquel consulter dépend aussi beaucoup de l’affiliation des familles à une assurance santé et des conventions que celle-ci a établies avec certaines structures sanitaires. Contrairement à ce qu’on attendait, la NHIS au Ghana n’avait pas, au moment de nos études, un impact fort sur le recours aux soins. Les personnes sont effectivement beaucoup plus largement affiliées à une assurance au Ghana qu’au Bénin (nos enquêtes quantitatives montrent qu’elles sont près de 70 % à l’être principalement auprès de la NHIS au Ghana, contre 10 % à Cotonou et moins de 4 % en milieu rural au Bénin22). Néanmoins plusieurs d’entre elles apparaissent ne pas être à jour de leur cotisation (seules 44,24 % des familles interrogées à Accra selon nos méthodes de recherche quantitatives avaient renouvelé leur adhésion annuelle). Mais, même parmi celles qui le sont, le fait d’avoir une prise en charge possible de leurs dépenses n’implique pas forcément de consulter plus rapidement ou plus souvent un professionnel de la biomédecine, notamment pour les questions de santé aiguës sur lesquelles nos enquêtes étaient plus spécifiquement centrées. En effet, près de la moitié des personnes couvertes par une assurance maladie que nous avons interrogées à Accra ont dit ne pas l’avoir utilisée lors de leur dernier problème de santé rencontré. Le fait que toutes les dépenses de santé ne soient pas couvertes par l’assurance peut expliquer cela. De plus, le recours à un professionnel de la biomédecine pour des questions de santé fréquentes, perçues comme n’étant pas (trop) graves, est apparu ne pas représenter un avantage suffisant, voire au contraire une perte de temps (coûts indirects), comparativement au recours à un détaillant pharmaceutique (pharmacie, OTCMs). « Quand on fait des tests de laboratoire, pour ça il faut payer de l’argent... Parfois quand vous allez [à l’hôpital], ils vous disent “ce médicament n’est pas couvert par l’assurance maladie” ou “ce médicament est en rupture de stock”. Et les médicaments qu’ils vous donnent sont ceux qui coûtent 3 et 4 cedis [0,5 à 0,7 USD], mais pour ceux qui sont plus chers, il n’y a aucune chance de les recevoir […] Alors si j’ai l’argent et je peux [aller à] la pharmacie, c’est mieux que d’aller perdre du temps là-bas. Il y a des moments, par exemple vous rentrez [de l’hôpital] et vous n’avez pas l’argent pour acheter des médicaments pour l’enfant à la pharmacie... donc, la visite à l’hôpital, à quoi a-t-elle servi ?... Alors je pense que c’est à la pharmacie que je dois aller pour leur montrer les enfants pour qu’ils leur donnent des médicaments. C’est mieux pour moi. » (entretien avec une mère de famille « intermédiaire », Accra, janvier 2015).
41Malgré une volonté politique très forte au sujet de la NHIS au Ghana, qui est effectivement une des plus avancées en Afrique, celle-ci apparaît avoir stagné, et des préoccupations sur son équité et sa durabilité ont été soulevées (Antwi, 2019).
Des acteurs de la distribution s’impliquant dans l’offre de soins
42Dans les deux pays, certains acteurs de la distribution pharmaceutique s’avèrent avoir un poids non négligeable dans le recours des familles à un professionnel extérieur. Le tableau 9 le souligne, les OTCMs au Ghana, en milieu rural comme urbain, et les vendeurs informels en milieu rural béninois, dispensent des conseils dans une proportion de cas relativement importante (entre 17 et 20 % des cas au Ghana et 30 % en milieu rural béninois).
Tableau 9. Modalités d’achat des médicaments dans les lieux de distribution (en %).
Bénin | Ghana | |||||
Modes d’achat | Pharmacies urbaines | Pharmacies rurales | Vendeurs informels ruraux | Pharmacies urbaines | OTCMs urbains | OTCMs ruraux |
Demande spontanée | 73 | 65 | 70 | 62 | 82,5 | 78 |
Ordonnance | 20 | 30 | 0 | 21,5 | 0 | 1,5 |
Demande | 7 | 5 | 30 | 16,5 | 17,5 | 20,5 |
Total (n) | 972 | 1 123 | 521 | 370 | 703 | 1 040 |
43Pouvant proposer des traitements pour faire face aux problèmes de santé que les personnes rencontrent sans présenter les désagréments d’une consultation dans un centre de santé – d’autant plus que celui-ci est public – (attente importante, coûts directs et indirects, mauvais accueil, relations tendues entre soignants et soignés, voir Bogart et al., 2013 ; Jaffré et Sardan, 2003), ces acteurs de la distribution s’avèrent être considérés par certains comme des professionnels auxquels recourir, lorsque la sphère domestique n’est pas venue à bout du problème rencontré. On est ainsi, du point de vue des personnes, non pas dans une forme d’automédication, mais bien de consultation. La grande accessibilité géographique (ils sont nombreux) et financière (leurs produits sont globalement moins coûteux que ceux des pharmacies) de ces détaillants pharmaceutiques explique sûrement leur popularité. À Accra, les OTCMs23 ont surtout un poids important auprès des familles « démunies ». En revanche, dans les deux pays en milieu rural, où ils sont bien souvent les seuls à distribuer des médicaments (il n’y a pas de pharmacie en milieu rural ghanéen, les vendeurs informels sont les détaillants les plus représentés et souvent les seuls présents en milieu rural béninois), les OTCMs au Ghana et les vendeurs informels au Bénin influencent les pratiques de soins de la grande majorité des familles, qu’elles soient « démunies », « intermédiaires » ou « nanties ».
44Au Bénin, nous n’avons pas réalisé d’observations systématiques auprès de vendeurs informels à Cotonou dans le cadre du programme de recherche Globalmed. Néanmoins notre étude précédente dans cette ville (Baxerres, 2013 a) avait souligné, en raison sans doute des liens plus importants que les personnes ont avec des professionnels de la santé à Cotonou qu’en milieu rural ainsi qu’un poids plus fort des médias, que leur rôle de conseiller en santé était minime24. Ce que les entretiens réalisés auprès des familles dans le cadre de la présente étude ont confirmé. Seuls les entretiens menés avec deux familles sur les quinze auprès desquelles nous avons travaillé à Cotonou, toutes deux « démunies », faisaient ressortir une influence des vendeurs informels sur leurs pratiques de soins. En milieu rural, en revanche, cette influence est apparue, à travers les entretiens, très forte. Les mères et pères de famille habitant le département du Mono, tous statuts socio-économiques confondus, nous précisaient souvent qu’ils avaient connu tel ou tel médicament qu’ils consommaient par l’intermédiaire des vendeuses informelles. « C’était un soir où j’avais tellement froid25… j’ai acheté para que j’ai pris deux jours à trois jours mais ça n’a pas marché, et un jour j’ai été voir une dame qui vend dans une pharmacie trottoir, je lui ai dit ça et elle m’a conseillé de prendre para C. Au retour le soir, le froid m’a repris et j’avais des frissons, quand j’ai bu ce comprimé et quinze minutes après j’ai commencé par transpirer et le froid s’est arrêté… j’étais tellement content au point où si j’avais eu de l’argent, je serais allé donner ça à la dame… c’est de là que j’ai adopté ce comprimé. » (entretien, père de famille « intermédiaire », décembre 2015) (voir portfolio, photo 3).
45Soulignant le rôle de prescription, voire de consultation, que les vendeuses prennent alors, un père de famille « démunie » précise : « Si tu vas dire là-bas en disant : “Vendez-moi comprimé de maux de corps”, elle va te vendre ça. Ce sont elles qui connaissent les noms… si tu as seulement mal quelque part, va leur dire la partie où tu as mal et elles vont te vendre son médicament… même quand tu vas chez le docteur, ils vont te demander : “Tu as mal où ?” » (entretien, décembre 2015).
46Au Ghana, de nombreux propriétaires d’OTC Medicines shops ont très bonne réputation et les gens du quartier font appel à eux de préférence quand ils cherchent des conseils biomédicaux. Certaines familles ont déclaré qu’elles faisaient nettement plus confiance au personnel des OTC Medicines shops qu’aux médecins. « Je me souviens, à un moment j’ai envoyé Princess [sa fille] à l’hôpital, je lui ai donné les médicaments qu’on m’a donnés, mais elle ne se sentait toujours pas mieux... au bout de tout ce temps, je suis revenue avec elle au drugstore26 pour lui acheter des médicaments et c’est après que sa santé s’est améliorée, alors je ne compte pas sur les hôpitaux la plupart du temps... il [le propriétaire de l’OTC Medicines shop] en sait beaucoup sur les médicaments. » (entretien avec une mère de famille « intermédiaire », Accra, janvier 2015) (voir portfolio, photo 15).
47Les OTCMs au Ghana jouent un rôle encore plus important dans les soins de santé que les vendeurs informels au Bénin. En effet, le personnel des OTCMs n’a pas toujours reçu de formation en santé (peu d’entre eux sont d’anciens infirmiers ou sages-femmes, par exemple). Néanmoins, en plus de la vente de médicaments, certains dispensent également des soins biomédicaux, comme des perfusions ou injections, même si ces pratiques ne sont pas officiellement autorisées. Le propriétaire d’un OTCMs à Accra disposait d’une petite pièce derrière le magasin où il administrait des injections. Il y avait des lits où les patients pouvaient rester un peu. Le propriétaire comparait la qualité des soins biomédicaux qu’il dispensait à ceux reçus à l’hôpital. « Grâce à l’accueil ici, le fait d’avoir du temps pour vous, de vous parler et de faire toutes ces choses pour vous. Les gens viennent de loin. C’est comme si vous alliez à l’hôpital, mais ils ne doivent pas payer de consultation... » (entretien, vendeur dans un OTCMs, Accra, novembre 2015). La plupart des vendeurs en OTCMs déclarent avoir d’excellents rapports avec leurs clients et de leur prodiguer les meilleurs soins. Le fait qu ils soient vus comme des experts contribue ainsi également à l’utilisation de leurs magasins en premier recours en cas de problème de santé. Une mère de famille « démunie » à Accra a parlé d’une vendeuse en OTCMs auprès de laquelle elle aime acheter des médicaments : « En général, elle vient le soir. Elle est très bonne. Elle donne beaucoup de conseils avant de donner les médicaments. En plus, si ça la dépasse, elle vous dira que vous devez aller à l’hôpital. » (entretien, janvier 2016).
Conclusion
48Ce chapitre nous permet tout d’abord de discuter la dialectique autonomie/dépendance ou encore celle de l’empowerment27/vulnérabilité des personnes en matière de santé dans les contextes des Suds où nous avons travaillé. Les études réalisées ces dernières années en France mettent en avant à la fois le contexte normatif de l’individualisme contemporain qui promeut l’autonomie et le fait que le patient contemporain prenne en charge lui-même sa santé, se détachant ainsi du joug du « paternalisme médical », et à la fois « les mirages de l’autonomie ». Elles soulignent le fait que celle-ci est souvent instrumentalisée par les gouvernants à des fins économiques, en lien avec une volonté de maîtriser les dépenses de santé, et qu’elle reste ainsi relative, notamment dans le lien qui unit irrémédiablement les malades aux professionnels de la biomédecine (Brutus et al., 2017 ; Fainzang, 2012).
49Les situations que nous avons décrites au Bénin et au Ghana, dans des contextes où les dépenses de santé ne sont que très peu prises en charge par un système assurantiel, soulignent des réalités différentes. L’automédication traduit en effet une forme d’autonomie positive, quels que soient les statuts socio-économiques des personnes et leurs contextes de vie. Mobilisant leurs « savoirs expérientiels » nombreux, elles puisent dans une offre de produits de santé large à leur disposition : spécialités industrielles proposées dans différents lieux de distribution, produits de phytothérapie vendus ou accessibles dans les cours, jardins ou brousses avoisinantes. Sans écarter la question du risque28 de certaines de ces pratiques (par exemple la surconsommation d’anti-inflammatoires en cas de courbatures et douleurs que nous avons notée), nos données soulignent une réelle marge de manœuvre des personnes dans la gestion de leur santé. Celle-ci n’est pas assez mise en évidence – nous semble-t-il – dans les contextes des Suds29. Il convient, toutefois, de reconnaître, à la suite d’Anne-Marie Mol, puis d’Emmanuelle Simon et ses collègues (Simon et al., 2019), que cette autonomie se construit essentiellement collectivement, nous l’avons vu au Bénin et au Ghana, ce qui peut sembler antinomique. Les auteurs (hommes et femmes) mentionnés préfèrent ainsi parler de « logiques du soin » et de « savoirs associés ».
50En revanche, cette autonomie est ensuite, lorsque les personnes ne se sentent pas ou plus en mesure de gérer seules ou dans leur entourage social le problème de santé qu’elles rencontrent, largement contrainte par leurs « déterminants sociaux » et leurs lieux de résidence. Les inégalités socio-économiques de santé s’expriment alors très fortement, dans les contextes que nous avons étudiés, y compris au Ghana, où la NHIS est pourtant en place. Nous avons souligné la question du délai de recours aux soins : les personnes les plus précaires se retrouvent parfois, dans les deux pays, dans des situations de détresse importantes conduisant à des drames humains, comme l’atteste l’importante mortalité palustre des enfants de moins de 5 ans en Afrique.
51Notre étude comparative, menée dans deux pays proches sur le plan géographique mais dans lesquels l’offre de soins et de médicaments est bien différente, permet de faire des constats originaux concernant les inégalités territoriales de santé. Nous avons vu que les habitants des capitales et des milieux semi-ruraux et ruraux où nous avons enquêté n’ont pas les mêmes possibilités de recours aux soins. Dans ces derniers contextes géographiques, les inégalités socio-économiques n’apparaissent pas dans le choix des détaillants pharmaceutiques ou des professionnels de santé à consulter, les personnes étant placées devant une offre largement homogène, quel que soit leur statut socio-économique. C’est notamment le cas au Ghana, où les personnes ne disposent que des OTCMs et des centres de santé publics ou confessionnels. La problématique de la temporalité du recours aux soins en revanche demeure. La privatisation des soins de santé, très visible dans tout Accra et Cotonou, et dans une moindre mesure en milieu semi-rural au Bénin, est pratiquement inexistante en milieu semi-rural où nous avons travaillé au Ghana. En effet, l’offre de soins existant à Breman Asikuma apparaît largement nationalisée, elle est prodiguée à travers des centres de santé quasi exclusivement publics.
52Ceci nous amène à discuter d’un dernier aspect dans cette conclusion : celui de la place des soignants. Comme nous l’avons vu au Bénin, des centres de santé de tous types vendent parfois des médicaments aux personnes sans consultation préalable. La vente de produits pharmaceutiques prend, dans ces situations, le pas sur l’offre de soins. Au Ghana, en revanche, les patients ne se rendent jamais dans les centres de santé dans l’unique objectif d’acheter des médicaments. Ils vont pour cela dans les OTCMs et dans les pharmacies. Contrairement au Bénin, on constate en milieu rural ghanéen l’absence quasi totale de petits centres de santé privés ou même d’une offre de soins informelle. D’un autre côté, les OTCMs constituent un acteur clef dans la distribution des médicaments, mais aussi dans la dispensation des soins biomédicaux de base (injections, perfusions). Il apparaît ainsi finalement que, de manière encore plus prononcée qu’au Bénin, la distribution pharmaceutique prend le pas au Ghana sur l’offre de soins : en effet, la présence des nombreux OTCMs semble annihiler dans ce pays les velléités de constitution d’une « petite offre de soins privée ». Les personnes qui prodiguent les soins de santé ne peuvent alors même pas, pour la plupart, se prévaloir d’une formation de base en santé (infirmiers, aides-soignants).
53Ainsi, on peut légitimement questionner la place et le rôle des professionnels de la biomédecine, dans les contextes que nous avons étudiés, où une grande place est laissée aux détaillants pharmaceutiques, qu’ils soient formels comme au Ghana ou informels comme au Bénin. Selon une dynamique de disempowerment of the doctor (déresponsabilisation du médecin), décrite dans des contextes Nord lorsque les producteurs d’antibiotiques américains entre les deux guerres favorisent des molécules à large spectre encourageant le manque de sérieux en matière de diagnostic (Podolsky et Kveim Lie, 2016) ou lorsque plus globalement l’industrie pharmaceutique mise sur des campagnes de promotion des médicaments focalisées sur les consommateurs (Dumit, 2012), on se demande, dans les contextes des Suds que nous avons étudiés, si une distribution pharmaceutique large et omniprésente ne contribue pas à déclasser l’expertise biomédicale. Face à la désaffection actuelle des services de santé (notre enquête quantitative conduite dans les centres de santé publics à Cotonou souligne un nombre de consultations souvent inférieur à vingt par jour), aux examens cliniques sommaires et aux prescriptions stéréotypées limitées à quelques médicaments essentiels, un mouvement inverse semble important à initier de la part des autorités sanitaires : revaloriser les professionnels de la biomédecine, pour que ceux-ci offrent, dans leur diagnostic clinique, une réelle plus-value aux malades par rapport à ce qu’ils peuvent faire eux-mêmes, dans leur entourage social et à leur domicile.
Notes de bas de page
1 Concernant le recours aux professionnels de santé, nous avons choisi, dans ce chapitre, de nous centrer sur les professionnels de la biomédecine et de la pharmacie. Bien que d’autres types de professionnels puissent être consultés dans les contextes que nous avons étudiés (tradithérapeutes, praticiens de médecine chinoise, liés à une religion, etc.), cela s’avère relativement rare. Les tradithérapeutes, notamment, sont plus souvent consultés au sujet de problèmes familiaux, de couple ou professionnels. L’utilisation de la phytothérapie, en revanche, dans la sphère domestique est fréquente. Il en sera question. Il convient également de préciser que les personnes utilisent largement des produits de santé en prévention de maladies à venir ou pour maintenir leur bonne santé (Baxerres, 2013 a). Ces pratiques sont plus fortement développées au Bénin qu’au Ghana. Néanmoins, elles ne seront pas décrites dans ce chapitre que nous avons voulu focaliser sur la gestion des problèmes de santé rencontrés.
2 Même si la notion de « déterminants sociaux de la santé » prend de plus en plus d’importance en santé publique, certains chercheurs, comme Gregory Simon, soulignent que ce terme ne tient pas compte du rôle de la résilience et de l’espoir. Simon propose de parler d’« influences sociales » (social influencers) plutôt que de « déterminants sociaux ». Voir : https://medium.com/@KPWaResearch/whats-wrong-with-the-term-social-determinants-of-health-8e69684ec442, consulté en septembre 2020.
3 Les notions de « savoirs populaires » ou « locaux » en santé sont plutôt utilisées dans des contextes de pays des Suds, celle de « savoirs profanes » plutôt dans les Nords et considérée au sein de la relation soignant-soigné. Néanmoins, elles sont globalement équivalentes.
4 Comme le rappelle Sylvie Fainzang (2012), la notion de dépendance est utilisée comme antonyme à celle d’autonomie dans le domaine du handicap lorsque, suite à un accident ou une maladie, la personne est dépendante d’une aide extérieure pour les activités qu’elle doit mener. Nous la trouvons pertinente pour notre propos ici, souhaitant souligner que les pratiques de soins des personnes peuvent être largement dépendantes de facteurs extérieurs à elles-mêmes et que leur capacité à décider et à faire des choix libres est ainsi biaisée.
5 En 1992, le système cash and carry (de libre-service) a été introduit. Les centres de santé étaient tenus de payer le prix des médicaments qu’ils achetaient auprès des dépôts pharmaceutiques, et les patients devaient payer les soins avant de recevoir tout traitement, ceci dans un effort de gestion efficace des médicaments au niveau du sous-district sanitaire (Arhinful, 2003).
6 En effet, le fait qu’ils aient ou non leurs autorisations ne dépend strictement ni de la qualité des soins, de la propreté et formalité apparente de la structure, ni du statut de son dirigeant (médecin, infirmier, sage-femme), ni de sa présence effective dans le centre de santé. Beaucoup de petits centres de santé ont obtenu des autorisations à mauvais escient : le dirigeant déclaré n’est pas celui qui dirige effectivement la structure, des autorisations sont données à des « cabinets de soins infirmiers » ou à des « cliniques d’accouchement eutocique » alors qu’y sont pratiquées des activités de « cabinet médical » (soins et prescriptions larges), certains de ces centres hospitalisent les patients alors qu’ils n’y sont pas autorisés, d’autres pratiquent les accouchements sans disposer en leur sein de sages-femmes.
7 Avant l’Arch, en 2008, les autorités béninoises avaient mis en place le régime d’assurance maladie universelle (Ramu), mais sa mise en œuvre avait très vite avorté. Actuellement, ce ne sont encore globalement que les travailleurs du secteur formel et leurs ayants droit qui sont pris en charge par le Fonds national de la retraite du Bénin (FNRB) ou par des compagnies d’assurance privées. Ils représentent encore moins de 10 % de la population du pays (Gbénahou, 2019).
8 Il convient de préciser que les données sur lesquelles nous nous basons ont été collectées entre les années 2014 et 2017. Or, au Bénin, des changements importants ont eu lieu depuis 2017 en lien avec des réformes mises en place par la présidence de Patrice Talon, telles que la non-possibilité actuellement d’exercer des fonctions biomédicales à la fois dans les secteurs publics et privés de santé et la fermeture de nombreux centres de santé privés. Ces réformes ont sans nul doute un impact sur l’offre biomédicale actuellement en place au Bénin.
9 Pour plus d’information sur ces différents acteurs de la distribution pharmaceutique, se référer au chapitre 3. Au Ghana, les OTCMs sont tenus par des personnes non titulaires du diplôme de pharmacien, mais ayant un niveau d’études minimal et devant assister régulièrement à des formations obligatoires après leur autorisation. Ils ne peuvent vendre que des médicaments OTC, ainsi que certains produits inclus dans des programmes de santé publique, tels que les antipaludiques et les contraceptifs. Au moment de notre étude, il y en avait un grand nombre dans le pays (10 424). Les dépôts pharmaceutiques privés installés en milieu rural béninois sont également gérés par des personnes non titulaires du diplôme de pharmacien. Les propriétaires sont autorisés à vendre des médicaments de première nécessité selon une liste limitative et sous la supervision d’un pharmacien. L’installation d’une pharmacie dans un rayon de moins de dix kilomètres implique la fermeture du dépôt. En raison de ces dispositions législatives, leur nombre est très faible (165 en 2018). Au Bénin, les très nombreux vendeurs informels distribuent des médicaments hors des circuits formels imposés par l’État : dans les marchés, dans des boutiques, sur des étals, au bord des voies passantes, de porte en porte, à domicile, dans les transports en commun, etc.
10 Pour plus d’informations sur la méthodologie utilisée, ici en quantitatif et au croisement du qualitatif et du quantitatif, mais également plus bas au sujet des méthodes qualitatives, se référer au chapitre sur la méthodologie.
11 Nous considérons ici les adultes, par commodité d’analyse des multiples données quantitatives dont nous disposons sur les quatre sites différents (deux par pays). Il n’est pas question de dire que ces pratiques sont très différentes pour les enfants (les taux d’automédication s’élèvent entre 70 et 84 % dans les quatre contextes pour les enfants), mais que nous avons choisi de nous centrer ici sur les adultes.
12 Comme précisé en introduction, nous incluons dans les « évènements de santé » toutes les raisons pour lesquelles les personnes recourent au médicament.
13 Toutefois, l’appréhension de l’HTA est complexe. Si la maladie est bien traitée, elle ne provoque pas de symptômes aigus. Si elle est mal traitée, en revanche, elle s’exprime à travers des signes pas du tout spécifiques (céphalées, essoufflement, gonflement des jambes). Cela laisse entrevoir des perceptions populaires de la tension ou pressure et des pratiques de soins et d’utilisation de médicaments pour s’en prémunir particulièrement riches à étudier, en lien avec la question du (non-) diagnostic et du (non-) suivi biomédical.
14 La quinine est consommée surtout au Bénin (voir chapitre 7).
15 Ces papiers ordinaires révèlent soit qu’il s’agit d’une commande passée par un tiers à la personne, soit d’un conseil qui lui a été donné par un proche, soit encore d’une prescription faite par un professionnel de santé par téléphone ou ne disposant pas d’un ordonnancier. Dans ces derniers cas, peu nombreux, il ne s’agit pas, pour la personne, d’automédication. Ne pouvant distinguer ces situations, nous les avons comptées dans les « demandes spontanées », qui sont de ce fait peut-être un peu surévaluées.
16 Terme spécifié en français dans cet entretien réalisé en langue fon.
17 Dans un contexte français, Sylvie Fainzang parle au sujet des multiples sources d’apprentissage des savoirs que les personnes mobilisent lorsqu’elles font de l’automédication, d’un « savoir baroque, composite et recomposé ». Elle parle aussi d’une certaine forme de « savoir circulaire » entre les patients et leurs médecins, les seconds pouvant se réapproprier les témoignages des premiers concernant l’efficacité et les effets de traitements et les utiliser lors de leurs prochaines consultations (Fainzang, 2012).
18 La première utilisation de la notion de savoirs expérientiels en santé remonte aux années 1970, mais c’est surtout depuis les années 2000 qu’elle fait l’objet d’une production scientifique croissante (Simon et al., 2019). Ces savoirs « s’élaborent à travers un partage collectif et soutenu entre pairs et résultent d’un cheminement et un travail réflexif personnel. Le savoir expérientiel émerge de facto dans une configuration interactionnelle entre le patient et d’autres patients au sein de différents espaces de médiation que sont les groupes de pairs, les groupes d’auto-support ou l’internet et les réseaux sociaux » (Simon et al., 2019 : 59). Emmanuelle Simon et ses collègues soulignent qu’il n’y a pas de fractures entre savoirs expérientiels et savoirs scientifiques, les professionnels de santé développant aussi des savoirs expérientiels. Ils soulignent également qu’il ne suffit pas d’avoir l’expérience de la maladie pour développer des savoirs expérientiels. Marion David et Véronique Guienne (2019) mobilisent, tout comme nous, cette notion en lien avec l’automédication.
19 En revanche, des médicaments prescrits et qui n’ont pas été consommés sont largement utilisés ensuite dans les deux pays pour pratiquer l’automédication, comme cela a été décrit dans d’autres contextes (Brutus et al., 2017 ; Fainzang, 2012).
20 Le chapitre 11 met en évidence la notion de « qualité subjective » du médicament qui explique en partie, dans le cas du Bénin, ces gradations dans le recours en fonction des différents lieux de distribution.
21 Bien que les services de santé disponibles à Breman Asikuma soient limités, les familles interrogées dans cette étude n’ont pas dit qu’elles se déplaçaient hors de la zone pour se soigner. Un mari appartenant à une famille « nantie » en milieu rural a décrit recourir à des consultations biomédicales et acheter des médicaments à Accra, mais il était déjà en ville pour une autre raison. Il ne s’y est pas rendu spécifiquement pour les soins.
22 En milieu rural en revanche, 46,55 % des personnes interrogées étaient affiliées à une tontine, qui est un système d’épargne locale.
23 Remarquons que les vendeurs en pharmacies à Accra ont aussi un rôle de conseils non négligeable (16,5 %), juste après ceux des OTCMs, ce qui n’est pas le cas à Cotonou, ni même dans le département du Mono, où les vendeurs en pharmacie ne conseillent leurs clients que dans 5 à 7 % des cas. La régulation de la distribution pharmaceutique, mais aussi sûrement l’offre de soins dans les deux pays, semble laisser une part de conseils plus importante aux détaillants formels au Ghana comparativement au Bénin.
24 Les données recueillies auprès d’une détaillante dans un quartier de Cotonou soulignaient que, sur 205 clients, 82 % s’étaient adressés à elle en demandant directement le médicament qu’ils voulaient. Dans le secteur du médicament du marché central de Cotonou, c’était le cas de 94 % des 260 « clients profanes » (non professionnels) observés.
25 Avivo en langue mina, qui signifie « froid », « frisson », revêt quasiment le contenu d’une entité nosologique populaire (voir chapitre 7).
26 Le terme drugstore était utilisé par les personnes interrogées pour se référer à la fois aux pharmacies et aux OTCMs, et nombreuses étaient celles qui ne connaissaient pas la différence entre ces deux catégories de détaillants pharmaceutiques. Dans ce cas précis, la mère se référait à un OTCMs.
27 Ou renforcement des capacités, en français.
28 Risques qui apparaissent relativement minimes dans les contextes français (Brutus et al., 2017), au contraire des situations nord-américaines où ils sont largement perceptibles par exemple à travers la crise des opiacés.
29 Nos études menées au Cambodge ont montré des réalités bien différentes. En lien avec l’histoire politique du pays, notamment le régime des Khmers rouges, les personnes ont développé une marge de manœuvre bien moins importante en matière de santé et une forte dépendance vis-à-vis des détaillants pharmaceutiques (Bureau-Point et al., 2020). La prise en compte de la phytothérapie aurait peut-être permis de mettre en évidence une forme d’autonomie restreinte à ce type de produits de santé.
Auteurs
Chercheuse en anthropologie à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), dans les unités de recherche Merit (IRD-Université de Paris) et LPED (IRD-Aix-Marseille université).
Chercheuse postdoctorante à l’IRD, dans l’unité de recherche LPED (IRD-Aix-Marseille université).
Anthropologue médical à l’université d’Abomey-Calavi (Bénin) et actuel responsable du Laboratoire d’anthropologie médicale appliquée (Lama).
Chercheur senior et ancien chef du département d’épidémiologie du Noguchi Memorial Institute for Medical Research (NMIMR), université du Ghana.
Médecin épidémiologiste et directeur de recherche à l’IRD, dans l’unité de recherche Merit (IRD-Université de Paris).
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