Chapitre 9. L’activité des représentants pharmaceutiques au Bénin et au Ghana
Une contribution à la construction de l’économie du médicament des pays africains
p. 215-240
Texte intégral
Introduction
1Les représentants de commerce utilisés par l’industrie pharmaceutique apparaissent aux États-Unis dans les années 1850 et un peu plus tard en Europe (Greffion, 2014). Deux contextes marquent leur émergence : d’une part, la concurrence de plus en plus forte entre les spécialités pharmaceutiques de l’industrie naissante et les préparations magistrales des pharmaciens d’officine (Bonah et Rasmussen, 2005), et d’autre part un contexte général de développement des services de vente internes aux entreprises industrielles (Cochoy, 1999). La réussite des industries pharmaceutiques naissantes s’opère à travers l’amélioration de la galénique et la publicité, dans un contexte où les brevets ne protègent pas encore les spécialités (Chauveau, 1999 ; Greffion, 2014). La publicité pharmaceutique s’exerce, à l’époque, dans la presse à grand public et un peu plus tard, dans la presse médicale. Concernant les représentants de l’industrie pharmaceutique, on parle aux États-Unis de detail men, de drug représentatives ou de pharmaceutical sales representatives (Dumit, 2012). En France, ils prennent le nom de « visiteur médical », en référence au fait qu’ils vont rendre visite aux médecins, ou encore de « délégué médical » (Chauveau, 1999). À côté de la presse écrite, se développe ainsi ce nouveau dispositif, la « visite médicale ». La catégorie des représentants de l’industrie pharmaceutique devient prédominante dans la promotion des firmes dans les pays occidentaux autour de la Seconde Guerre mondiale.
2En Afrique, l’activité des représentants pharmaceutiques s’est développée progressivement suivant l’évolution des marchés du médicament des différents pays à partir de l’introduction des spécialités industrielles dans la première moitié du xxe siècle. Elle était au départ le fait des firmes pharmaceutiques occidentales qui exportaient leurs produits, plus fortement dans les pays qui étaient sous leur influence : les firmes françaises dans les colonies françaises, les firmes anglaises et américaines dans les pays du Commonwealth1. Sophie Chauveau (1999) mentionne que, dans les années 1930, dans un contexte de crise économique en Europe, les colonies françaises représentent le premier marché à l’exportation pour les produits des industries pharmaceutiques de ce pays. Et même s’il s’agit de produits moins coûteux que ceux vendus en Europe ou aux États-Unis (antiseptiques, traitements à base de quinine pour les maladies tropicales, et autres panacées), ils représentaient quand même un tiers du volume et un quart de la valeur des exportations de spécialités françaises. Puis, à partir des années 1950-1960, l’activité de représentation pharmaceutique devient aussi le fait des filiales et usines d’assemblage que les multinationales d’origine occidentale installent dans certains pays, parfois sous l’impulsion des jeunes États africains, comme au Ghana (voir chapitre 1). En Afrique de l’Ouest, il s’agit principalement du Nigeria (May and Baker, Pfizer et GlaxoSmithkline au début des années 1950 ; Ciba, Bayer, Wellcome, Boots, Hoechst, etc. dans les années 1960), du Ghana (Major & Company et Pharco Industry à la fin des années 1950 ; J. L. Morrison & Sons, Sterling Products, Kingsway Chemist et Dumex Ltd dans le courant des années 1960) et du Sénégal (Valdafrique Laboratoire Canonne-SA installé en 1942 ; Pfizer, Sanofi, Institut Pasteur)2 (Peterson, 2014 ; Pourraz, 2019). À partir des années 1970, qui voient des bouleversements profonds dans la géographie mondiale de l’industrie pharmaceutique (Abecassis et Coutinet, 2008 ; Cassier, 2019 ; Mulinari, 2016 ; chapitre 5), les représentants de commerce issus de l’émergente industrie de génériques des pays asiatiques entrent dans la danse. Leurs activités se développent progressivement en fonction de l’évolution de leur pénétration dans les différents pays : d’abord dans les pays anglophones, puis à partir de la fin des années 2000 dans les pays francophones (Baxerres, 2013 a ; Singh, 2018). Quelques firmes et entrepreneurs indiens ouvrent ou rachètent aussi à cette époque des sociétés de production dans les pays anglophones. Au Ghana, il s’agit par exemple de Letap Pharmaceuticals créée en 1983 et de M&G Pharmaceuticals ouverte en 1989 (Pourraz, 2019). Enfin, à partir du milieu des années 1990, à travers ce qui a été qualifié d’« africanisation » de la production pharmaceutique (Mackintosh et al., 2016 ; Pourraz, 2019), une industrie locale se développe en Afrique de l’Ouest, plus fortement dans les pays anglophones. Elle met également en exercice ses représentants pharmaceutiques.
3Dans ce chapitre, nous entendons par représentants pharmaceutiques, les personnes physiques qui sont chargées de promouvoir les produits des firmes en vue de leur prescription, de leur vente et de leur consommation. Nous adoptons cette définition simple, car elle permet de rendre compte des dynamiques en cours actuellement dans les contextes des Suds que nous étudions, au-delà de celles activées par les firmes elles-mêmes. Ces contextes diffèrent de ceux des Nords, où des études semblables ont été menées. Une mainmise des firmes pharmaceutiques sur les médecins est soulignée dans ces travaux, à travers leurs représentants qui, dans la grande majorité des cas, sont des employés des firmes elles-mêmes (Greene, 2006 ; Greffion, 2014 ; Ravelli, 2015). Les structures dans lesquelles s’inscrit l’activité des représentants pharmaceutiques que nous observons en Afrique de l’Ouest nous intéressent bien sûr et nous allons les décrire minutieusement. Néanmoins, partir de l’acteur le plus proche du terrain, la personne physique elle-même, permet d’étudier ce qu’elle déploie au-delà de la firme dont elle promeut les produits, sachant que – nous le verrons – ce sont souvent ces personnes physiques qui sont à l’origine des structures qui se développent ensuite. L’emploi du terme « représentant » permet d’homogénéiser les analyses entre le Ghana, où il s’agit du terme consacré (representative), et le Bénin, où l’appellation communément utilisée est celle de « délégué » (pour « délégué médical »), qui sous-tend une image valorisée de laquelle nous souhaitons nous départir, il en sera question plus loin.
4Nous nous intéressons ainsi, dans ce chapitre, aux dynamiques sociales que génère l’activité des représentants pharmaceutiques en Afrique de l’Ouest. Celle-ci se développe différemment en fonction des contextes nationaux et de la législation pharmaceutique adoptée en leur sein. Ainsi, nous allons dans un premier temps analyser les différences et similitudes observées dans la structuration de cette activité au Bénin et au Ghana. Puis, nous décrirons, à travers les activités de leurs représentants dans chacun de ces deux contextes, les logiques d’accaparement des marchés pharmaceutiques par les différentes firmes présentes localement, qu’elles soient des multinationales d’origine occidentale, des génériqueurs asiatiques, européens, maghrébins ou encore des producteurs locaux d’Afrique subsaharienne. Enfin, nous soulignerons, au-delà des firmes elles-mêmes, ce que l’activité de ces représentants produit sur l’économie pharmaceutique des deux pays considérés.
Un fonctionnement de la représentation pharmaceutique différent au Bénin et au Ghana
5L’activité de promotion pharmaceutique est encadrée différemment par la législation au Bénin et au Ghana. Au Bénin, comme dans les autres pays francophones d’Afrique de l’Ouest et en France, la promotion pharmaceutique est réglementairement totalement découplée de l’activité de distribution. Les grossistes ne peuvent pas légalement assurer la promotion des médicaments. Celle-ci doit être exclusivement réalisée par les représentants des firmes pharmaceutiques. En France, c’est en 1962, suite à la généralisation de la Sécurité sociale, débutée en 1945, que les autorités de santé légifèrent pour réguler strictement l’activité des grossistes, reconnaître la spécificité du métier de « grossiste répartiteur » et leur interdire la promotion pharmaceutique (voir chapitre 3). Au Bénin, les premiers grossistes se sont installés dans les années 1980 sans qu’il y ait de textes législatifs spécifiques à leur sujet (voir chapitre 2), puis des dispositions ont été entérinées au début des années 20003. Bien qu’il n’y ait pas de disposition expresse en matière de promotion pharmaceutique, il s’agit d’un modèle calqué sur celui de la France. Ainsi, au Bénin comme en France, l’activité des représentants pharmaceutiques est totalement liée à celle des producteurs de médicaments. Dans ces pays francophones, c’est le caractère médical de cette activité, plutôt que sa nature commerciale, qui est mis en avant (Fournier et al., 2014). Il s’agit d’un groupe professionnel qui s’est construit et se construit « en opposition aux catégories déclassées et déclassantes de la vente » (Greffion, 2014 : 84).
6Au Ghana, où une marge de manœuvre importante est volontairement laissée par les autorités aux acteurs économiques investis dans le médicament, la promotion pharmaceutique peut être assurée par les firmes elles-mêmes mais également par les importateurs et les sociétés grossistes (voir chapitre 3). De nombreuses sociétés de nature différente pratiquent ainsi la promotion pharmaceutique. Dans ce pays, dès 1957, la législation permet à des entreprises de cumuler plusieurs activités : la production de médicaments, les activités de grossiste, celles de représentant importateur. « Cette disposition légale a pour but de favoriser la viabilité des entreprises en permettant la combinaison de plusieurs activités de négoce et de fabrication. Elle favorise ainsi l’installation de firmes économiquement viables. » (Pourraz, 2019 : 79). Au Ghana, les termes sales representatives (représentants de commerce) sont utilisés pour le secteur pharmaceutique, comme pour d’autres secteurs commerciaux.
7Nous allons voir à présent ce que ces différences législatives au Bénin et au Ghana produisent sur les formes d’organisation de ce champ d’activité dans les deux pays.
Une représentation assurée par les firmes mais surtout par les importateurs au Ghana
8L’organisation de la représentation pharmaceutique au Ghana se décline selon deux modalités en fonction des types de firmes pharmaceutiques et d’importateurs distributeurs impliqués.
Les ethical reps des « Big Pharma » et leurs distributeurs
9Les multinationales d’origine européenne et nord-américaine se chargent elles-mêmes de la promotion scientifique de leurs produits via des medical representatives (reps) qui disposent tous du diplôme de pharmacien et qui sont employés soit directement par la firme elle-même, à travers un bureau scientifique qu’elle ouvre à Accra, soit par un de ses distributeurs mais pour le compte de la firme. C’est le cas d’une dizaine de multinationales très présentes au Ghana : les britanniques AstraZeneca et GlaxoSmithKline, l’américaine Pfizer, les suisses Novartis et Roche, les françaises Sanofi et Servier, les allemandes Bayer et Denk et la danoise Novo Nordisk4. Leurs produits sont distribués dans le pays via quelques distributeurs, entre trois et six pour chacune, qui se partagent le marché très valorisé de ces médicaments considérés comme de très haute qualité, d’où l’adjectif ethical qui est associé par ces représentants aux produits ainsi qu’aux modalités de promotion qu’ils disent mettre en œuvre, nous y revenons plus bas. Le bureau scientifique que ces multinationales ouvrent à Accra, dans les quartiers centraux et aisés de la ville, comprend généralement un country manager (manager pays) responsable de l’ensemble des opérations, un comptable, parfois plusieurs first-line managers (premiers responsables) focalisés sur certaines lignes de produits et plusieurs medical reps, entre dix et soixante selon les firmes, qui passent l’essentiel de leur temps « sur le terrain ».
10Les importateurs distributeurs des produits de ces « Big Pharma » au Ghana sont de deux types. Il peut s’agir de groupes internationaux et également de grossistes locaux, parmi les plus gros en exercice dans le pays. Nous avons rencontré les deux groupes internationaux investis dans la distribution pharmaceutique au Ghana : Gokals Laborex, appartenant en majorité au groupe français Eurapharma, implanté au Ghana depuis 20085 ; et Worldwide Healthcare Ltd, société ayant ouvert ses portes en 2011 au Ghana, qui avait été créée et appartenait au moment de nos enquêtes au groupe anglo-indien Chanrai Summit Group basé à Dubaï, mais qui était en voie d’acquisition par une société sud-africaine, Imperial Logistics6. Les grossistes ghanéens investis dans la distribution des produits des « Big Pharma » sont autour de cinq. Il s’agissait principalement, au moment de nos enquêtes, des sociétés Ernest Chemist, East Cantonment et Oson’s Chemist, qui ont démarré leurs activités dans les années 1980-19907. Celles-ci se sont soit spécialisées dans l’importation et la distribution de ces produits très valorisés, soit développent parallèlement d’autres stratégies en lien avec des produits d’autres firmes. Il en sera question plus bas.
11Chacun de ces importateurs distributeurs emploie, concernant les produits des « Big Pharma » qu’ils représentent, des sales reps et des medical reps. Les distributeurs sont savamment choisis par les firmes pharmaceutiques, à travers des appels d’offres et selon des critères tels que leur capacité financière et la qualité de leurs installations. Ils sont en concurrence les uns vis-à-vis des autres. Leur objectif à chacun est de distribuer le maximum de produits des « Big Pharma » qu’ils représentent sur le marché ghanéen8. Ils ne se chargent pas des procédures administratives d’autorisation de mise sur le marché des produits auprès de la FDA du Ghana. Ils se contentent de celles nécessaires à l’importation de ceux-ci.
12Les medical reps qui sont chargés de la promotion des produits des « Big Pharma » travaillent par portefeuille de produits (cinq à six produits pour la plupart de ceux rencontrés) et par territoire (quartiers, villes, régions). Ils ne sont chargés que de la promotion scientifique et ne doivent normalement pas interférer avec les ventes, dont se chargent les sales reps des distributeurs (il en sera question plus bas). Ils se sont regroupés depuis les années 1990 dans une association professionnelle nommée Arepi, pour Association of Representatives of Ethical Pharmaceutical Industries. Celle-ci a pour objectif de les distinguer des autres medical reps en activité pour d’autres firmes pharmaceutiques au Ghana et de réguler la profession, en éditant un code de déontologie qu’ils voulaient, au moment de nos enquêtes, mettre sous la responsabilité de la FDA. Le terme « éthique » qu’ils mettent en avant associe adroitement, dans les esprits, en anglais, le fait que les produits seraient de grande qualité, innovants (pas des génériques), de prescriptions (pas des OTC) et que les firmes qui les promeuvent auraient des pratiques particulièrement éthiques9.
Les medical reps et sales reps, des grossistes locaux qui ont le « monopole » de firmes asiatiques, européennes et africaines
13À côté des « Big Pharma », les autres firmes pharmaceutiques qui mettent leurs produits sur le marché ghanéen, qu’elles soient asiatiques, européennes ou africaines, passent toutes par un grossiste en exercice localement, auquel elles donnent l’exclusivité de l’importation et de la distribution de leur production. Il est dit localement que ces grossistes ont « le monopole » des produits de ces firmes. Certains grossistes, généralement assez robustes financièrement, passent aussi des contracts manufacturing (contrats de fabrication) avec une ou plusieurs firmes, principalement asiatiques mais aussi européennes, qui fabriquent des produits pour eux à leur propre nom de marque10. Les firmes locales ghanéennes associent, pour la plupart, la distribution à leurs activités de production et ont donc également le statut de grossiste (Pourraz, 2019). En plus de la promotion et de la distribution, les firmes laissent le soin à ces différents grossistes de réaliser les procédures administratives d’AMM pour leurs produits.
14Ces grossistes recrutent des medical reps et surtout des sales reps pour promouvoir les différents produits. En fonction de la taille de leur société et du nombre de produits qu’ils doivent promouvoir, ils en emploient plus ou moins. La société Tobinco, une des plus grosses de la place, promeut environ deux cents produits de huit firmes pharmaceutiques différentes (cinq basées en Inde, une au Royaume-Uni, une en Chine et une en Indonésie) et emploie pour cela quatre-vingts sales reps et vingt medical reps. En comparaison, Biotic Pharmacy, qui distribue une vingtaine de produits de deux firmes, l’une pakistanaise, l’autre allemande, emploie six sales reps et quatre medical reps. Il arrive que le directeur d’une petite société qui vient de se lancer dans l’importation d’un seul produit en provenance d’une firme étrangère réalise seul la promotion dudit produit et remplit ainsi à lui seul les fonctions de sales et de medical reps.
15Les medical reps et les sales reps ont en théorie des fonctions bien différentes. Les premiers doivent s’adresser aux prescripteurs dans les hôpitaux, cliniques et centres de santé et promouvoir scientifiquement les produits. Les seconds sont chargés des activités de vente proprement dites. « C’est une affaire à double sens, le sales rep est fondamentalement un homme d’affaires, son intérêt est dans le commerce et ensuite le medical rep est un expert, tous les medical reps sont des pharmaciens, des pharmaciens inscrits [auprès de l’agence de régulation], donc il s’agit plus d’essayer d’attirer l’attention du médecin sur les produits disponibles, les nouvelles compositions, les avantages... donc ce sont plutôt des gens qui génèrent le business, qui génèrent les commandes, et ensuite les sales reps viennent examiner ces commandes et s’occupent de la transaction, donc ils prennent la commande, font la commande, traitent la commande, font la livraison, font le suivi du paiement. » (entretien avec le brands manager – chef de marques – d’un grossiste ghanéen, Accra, février 2015).
16Bien sûr, suivant les produits promus, selon qu’ils sont des produits de prescription ou des OTC, des produits innovants ou pas, le statut des representatives à envoyer prioritairement sur le terrain sera différent. Des produits de prescription innovants, quel que soit le degré d’innovation, nécessiteront de nombreux medical reps, alors que des génériques, même de prescription, et surtout des OTC nécessiteront surtout des sales reps. C’est pourquoi, au contraire de la promotion des produits des « Big Pharma » par des medical reps présentée précédemment, ce sont des sales reps qui ont le rôle essentiel concernant les produits des firmes asiatiques, des plus petites firmes européennes et des firmes africaines11. Ils s’organisent par territoires (par quartiers des grandes villes, par régions du pays) et par types de clients (les hôpitaux et cliniques, les grossistes, les détaillants).
Une structuration de la représentation pharmaceutique en mutation au Bénin
17Pour décrire les formes d’organisation de la représentation pharmaceutique au Bénin, nous nous basons sur le type de structure qui emploie les représentants. Il en existe aujourd’hui trois sortes dont nous allons décrire le poids respectif et la manière dont celui-ci s’est modifié en fonction de l’évolution de ce champ d’activité dans le pays.
Les « directs-labos », des professionnels employés par les firmes elles-mêmes
18Figure emblématique de la représentation pharmaceutique, le « direct-labo » est une personne salariée de la firme qu’il représente. Il s’occupe de la visite aux prescripteurs et aux pharmaciens, fait le suivi des demandes d’AMM auprès de la direction de la pharmacie (DPMED12 au moment de nos études), et recueille les statistiques de ventes auprès des grossistes. Être « direct-labo » dans une multinationale est le rêve de tous les jeunes qui embrassent le métier. C’est le statut le plus valorisant et le plus convoité dans le milieu de la représentation pharmaceutique au Bénin. C’est aussi celui par lequel cette profession a émergé dans le pays.
19En effet, la fin des années 1960 est marquée sur le plan global par la disparition des petites et moyennes entreprises pharmaceutiques et par la concentration d’entreprises qui donne naissance à la « Big Pharma » (Greffion, 2014). Ces grandes entreprises créent alors leurs propres services de vente. C’est à ce moment que naît la figure du représentant « direct-labo », telle qu’elle a pu s’observer au Bénin. Il s’agissait au départ surtout d’Européens expatriés ou venant en missions ponctuelles dans les pays. Puis, dans les années 1980 à 1990, les firmes venaient recruter, pour remplir cette fonction, des jeunes issus de l’enseignement supérieur dans les différents pays francophones d’Afrique. La présence des filiales des grands groupes pharmaceutiques au Sénégal et en Côte d’Ivoire a été un facteur favorisant, par la disponibilité de jeunes fraîchement formés par exemple dans les instituts polytechniques de ces pays. Le « direct-labo » constituait à cette période au Bénin une sorte de représentant tout-puissant, qui disposait d’un salaire important et de voitures de fonction. Il était parfois même envié par les médecins.
20Aujourd’hui encore, le « direct-labo » constitue une sorte d’idéal-type qui nourrit l’imaginaire autour du métier de représentant pharmaceutique au Bénin et en Côte d’Ivoire, où nous avons aussi enquêté. Mais la tendance dans l’industrie pharmaceutique, telle qu’elle est décrite dans la littérature (Greffion, 2014) et que nous avons pu l’observer au Bénin, est à l’externalisation de certaines activités, la R&D et aussi le marketing. Ainsi, il ne reste plus, au Bénin, que de très rares représentants ayant ce statut. Au moment de la collecte des données, seule la firme Servier en employait encore. Nous avons souligné au Ghana une tendance inverse, semble-t-il récente, de contractualisation directe des « Big Pharma » avec leurs représentants.
Les agences internationales, parties prenantes de grands groupes encore souvent français
21Au début des années 1990, les chiffres d’affaires de ces grandes firmes pharmaceutiques baissent et elles se mettent à recourir largement, en matière de promotion, à des entreprises prestataires (Greffion, 2014). « Quand les génériqueurs ont commencé par rentrer dans le système, leurs profits [des “Big Pharma”] ont commencé à un peu diminuer donc ils investissaient moins, et la grande majorité de ces laboratoires confiaient donc la majorité de leurs produits, à des agences de représentation. Donc c’est comme ça que les agences ont commencé à se créer. » (entretien avec le chef d’une agence de représentation, Abidjan, septembre 2019).
22Les agences de promotion internationales qui opèrent aujourd’hui sur le continent africain sont nées progressivement à cette période. Elles reviennent moins cher aux firmes que les « directs-labos », sont plus flexibles, plus efficaces et permettent de mieux organiser le marché du travail. Elles se positionnent en effet comme un dispositif spécialisé dans la gestion des ressources humaines que constituent les représentants. Leur argument majeur est d’avoir une fine connaissance des différentes législations ainsi que des pratiques à l’œuvre dans les pays francophones d’Afrique de l’Ouest. Elles facilitent ainsi la tâche des « Big Pharma » qui n’ont plus à se pencher spécifiquement sur la législation de chaque pays, à gérer les relations avec chacune des administrations nationales et à s’occuper des tracas potentiels de chaque agent de terrain. Parfois ce sont des entreprises créées par des anciens « directs-labos » employés des « Big Pharma », comme en témoigne cet extrait d’entretien : « À un certain moment, le marché africain, surtout avec l’avènement des génériques, le marché africain ne les intéressait plus. Donc là, ils ont confié les produits qu’ils avaient à des anciens fonctionnaires13. C’est ainsi que Pharmaco14 est né, Pharmaco a été créé par un monsieur […] qui est un Suisse, qui est resté longtemps en Afrique pour Roche. Donc Pharmaco gérait les produits de Roche avec maintenant beaucoup d’autres produits. » (entretien avec le first-line manager d’une agence internationale, Cotonou, janvier 2019).
23Les agences internationales emploient chacune au Bénin en moyenne entre vingt et cinquante personnes pour faire la promotion et, selon les termes de leur contrat avec les firmes, s’occuper des affaires réglementaires. Elles étaient jusqu’à récemment en majorité des entreprises de droit français ou franco-ivoirien qui ont en France le statut juridique de grossistes à l’exportation. Progressivement, des sociétés d’autres pays intègrent cette activité. Les plus grosses parmi elles font partie d’ensembles économiques complexes (des holdings) qui comprennent des sociétés investies sur toute la chaîne du médicament (production, distribution, logistique, promotion). Concernant la promotion, c’est le cas de Eurotech, qui fait partie du groupe français Tridem racheté en 2017 par la société chinoise FoSun ; de Planetpharma Promotion, franco-ivoirienne, qui fait partie du groupe Ubipharm ; et de Ethica, également franco-ivoirienne, rachetée par le groupe français Eurapharma, dont il était question au Ghana15. Ces trois agences se partagent les contrats de représentation de toutes les « Big Pharma ». Les génériqueurs asiatiques, de taille relativement importante, qui sont positionnés sur les marchés subventionnés (voir chapitres 5 et 6), présents dans plusieurs pays francophones d’Afrique, qui n’ont pas l’énergie et les ressources pour s’occuper des législations et des manières de faire propres à chaque pays, sans compter la barrière linguistique, leur confient également la représentation de leurs produits.
24Quelques agences internationales installent des bureaux dans les pays qu’elles disent « grands » (Côte d’Ivoire, Sénégal, Cameroun) et sous-traitent à des agences locales ou engagent des agents de terrain qui sont considérés comme des « directs-labos », mais que l’on pourrait finalement appeler des « direct-agences internationales ». D’autres choisissent de créer des bureaux dans chaque pays, ou un bureau pour deux pays, sous la responsabilité d’un « responsable-pays » et de « superviseurs ».
Les agences locales, des acteurs béninois émergents
25Les agences locales ont émergé au début des années 2000 au Bénin et plus largement dans les pays francophones d’Afrique de l’Ouest, une période qui correspond à l’arrivée à échéance du brevet de plusieurs médicaments, à la libéralisation des marchés pharmaceutiques dans les pays francophones d’Afrique de l’Ouest16, et à la conquête de ces marchés par les firmes asiatiques (Abecassis et Coutinet, 2008 ; Baxerres, 2013 a ; Singh, 2018). Un des représentants que nous avons rencontré en Côte d’Ivoire l’exprime en ces termes : « Aujourd’hui, les gens ont compris que bon, c’était un métier à part la vente, et puis bon, de plus en plus, il y a des agences qui se sont créées parce qu’à l’époque, il faut dire honnêtement que c’était uniquement les laboratoires européens… européens je veux dire essentiellement. Maintenant, avec la mondialisation, il y a des laboratoires indiens qui sont là. Il y a des laboratoires chinois, il y a des pakistanais […] et comme eux ils ne pouvaient pas venir directement, ils ont commencé par avoir des agences de représentation pharmaceutique. Et puis bon voilà aujourd’hui […] il y en a tellement, il y en a tellement… » (entretien avec le chargé des affaires réglementaires d’une firme européenne, Abidjan, septembre 2019).
26Les agences locales sont les plus importantes par leur nombre au Bénin (environ une cinquantaine), mais pas en termes de chiffres d’affaires et de poids sur le marché. Elles sont créées par d’anciens « directs-labos » ou salariés des agences internationales. Le nombre de leurs employés varie d’une à cinquante personnes. Elles signent des contrats avec des entreprises pharmaceutiques, soit directement des firmes, soit des distributeurs ou des agences internationales qui leur sous-traitent des activités. En lien avec leur poids économique et les types d’entreprises pharmaceutiques avec lesquelles elles passent contrat, on peut scinder les agences locales en deux sous-catégories.
27Il y a les agences locales de taille moyenne, qui passent contrat avec des agences internationales ou avec des firmes de génériques européennes, asiatiques ou maghrébines. Le fonctionnement de ces agences est relativement structuré ; elles ont des bureaux équipés, comprenant la présence d’un personnel administratif outre les représentants « de terrain » (comptable, secrétaire, directeur commercial, etc.). Parmi les agences locales de taille moyenne, certaines sont aussi présentes en Côte d’Ivoire et au Togo, et quelques-unes sortent du lot et concurrencent les agences internationales et les firmes qu’elles représentent, en termes de prestige et d’image. Certaines disposent de sites internet, d’uniformes mettant en valeur l’agence et non pas les firmes. La possession d’une voiture par les candidats à un emploi dans ces agences est une condition obligatoire pour être recruté. Les représentants ont des contrats de travail ou de prestation de services, des primes, et même des congés.
28Les petites agences locales sont en partenariat avec une ou plusieurs petites firmes asiatiques, majoritairement indiennes et pakistanaises, plus rarement chinoises. Ces agences disposent de moyens très limités et leurs représentants se déplacent souvent à moto. Ils sont en majorité très jeunes, et leur niveau de formation est parfois limité au baccalauréat suivi de six mois de formation dans des écoles privées17. Ils travaillent la plupart du temps sans contrat écrit, ont des salaires bas, qui peuvent descendre jusqu’à 50 000 francs CFA mensuels (76 euros), et sont payés de manière irrégulière. Le fonctionnement de ces agences est peu structuré, sans bureau dédié aux activités et sans personnel administratif.
29Les firmes asiatiques qui passent contrat avec ces petites agences locales envoient périodiquement un country manager, chargé de veiller sur leurs intérêts au sein de l’agence. Celui-ci accompagne les représentants dans leurs visites « sur le terrain » et assiste le chef d’agence dans les démarches administratives auprès de la DPMED. La pratique est extrêmement controversée, y compris par les agences qui hébergent ces country managers et qui affirment ne pas avoir le choix. Ils ont de très mauvais rapports avec les autres types de représentants qui les accusent de toutes sortes de pratiques douteuses, notamment la corruption et le fait de payer les professionnels de santé pour qu’ils prescrivent les produits qu’ils promeuvent. Pourtant ces country managers ont un rôle central dans la construction des marchés par les petites firmes asiatiques. Ils étudient soigneusement les marchés et les produits et pratiques de leurs concurrents.
30Maintenant que nous avons décrit la structuration de l’activité des représentants pharmaceutiques dans les deux pays – en mutation au Bénin, plus établie au Ghana –, voyons ce que les différences constatées produisent sur la manière dont les firmes pharmaceutiques s’investissent localement.
Des stratégies d’accaparement des marchés entre contrastes et similarités au Bénin et au Ghana
31Le Bénin et le Ghana ont légiféré des statuts légaux différents pour les médicaments, qu’il faut avoir en tête pour comprendre les stratégies des firmes pharmaceutiques. Au Ghana, il existe trois classes de médicaments18 différentes : les prescription only medicines, vendus sur prescription médicale uniquement ; les pharmacy only medicines, que les pharmaciens peuvent conseiller eux-mêmes au regard de leurs compétences ; et les « OTC ». Au Bénin, bien qu’il y ait une liste de médicaments vendus uniquement sur ordonnance médicale et une liste de « produits conseils », il n’existe dans les textes de distinction par classe ou par tableau que pour les stupéfiants et les substances psychotropes19.
32Autre point de différences entre les deux pays qui se répercute sur l’activité des représentants, les acteurs de la distribution détaillante ont des statuts légaux différents (fort monopole du pharmacien au Bénin, deux licences de distribution au Ghana)20 et sont variablement présents sur le territoire national. Au nombre de 10 424 en 2015, les OTC Medicines sellers (ils sont très présents sur l’ensemble du territoire ghanéen, particulièrement dans les quartiers populaires des villes et les milieux ruraux. Ces magasins doivent légalement distribuer uniquement une liste limitative de produits comprenant les OTC et des médicaments inclus dans des programmes de santé publique (antipaludiques, contraceptifs, etc.). Les pharmacies en revanche sont au Ghana exclusivement présentes dans les grandes villes. Elles distribuent l’ensemble des classes de médicaments prévues par la législation.
33Au Bénin, les principaux acteurs de la distribution détaillante privée formelle sont les pharmacies. Elles sont présentes dans les principaux centres urbains, même si depuis quelques années le nombre de plus en plus élevé de pharmaciens formés dans le pays élargit leur périmètre d’installation vers des milieux plus ruraux. Elles sont prolongées en milieu rural par des dépôts pharmaceutiques, qui sont placés sous leur supervision à distance, mais sont globalement peu nombreux à l’échelle du pays (165 en 2018). Le secteur informel de la vente de médicaments, qui jouait pourtant un rôle clef en matière de distribution pharmaceutique et d’accès au médicament (Baxerres, 2013 a ; voir chapitres 3, 7 et 10), avait été fortement réprimé par les autorités au début de notre collecte de données au sujet des représentants au Bénin. Il n’était ainsi plus possible d’étudier si ce secteur faisait l’objet de stratégies de la part des représentants21.
Une tendance à la segmentation des marchés au Ghana et à la compétition au sein d’un marché plus homogène au Bénin
Segmentations ghanéennes par classes thérapeutiques, statuts légaux des médicaments et territoires
34La plupart des acteurs économiques du secteur pharmaceutique présents au Ghana, qu’ils soient producteurs ou importateurs distributeurs, sont hautement spécialisés en termes de statut légal des médicaments (prescription only medicines, pharmacy only medicines ou OTC) et de classes thérapeutiques (médicaments impliqués dans le traitement des maladies chroniques, ou dans celui des maladies aiguës et des symptômes courants). En fonction de ces éléments, l’investissement des représentants pharmaceutiques se développe auprès de clients différents.
35Certains visent particulièrement les structures sanitaires et les produits de prescription. On retrouve ici les ethical reps des « Big Pharma » ainsi que les medical reps et sales reps de leurs distributeurs. C’est le cas des représentants de l’une des multinationales présentes localement qui est spécialisée au Ghana dans le traitement des maladies chroniques (hypertension, diabète, cancers, problèmes dermatologiques). Mais sont présents également ici, les medical reps et sales reps des grossistes locaux qui représentent certains génériqueurs asiatiques, de taille plutôt importante. C’est le cas de l’un d’entre eux, qui s’est spécialisé dans des produits de prescription en provenance d’Inde (antidiabétiques, antihypertenseurs, ceux impliqués dans le traitement des maladies hépatiques et rénales, etc.). Ce segment du marché pharmaceutique présente l’avantage de générer des commandes très importantes, via l’ensemble du secteur public du pays à travers les différents échelons de sa pyramide sanitaire, mais aussi via les cliniques privées et les hôpitaux confessionnels22. La mise en place de la National Health Insurance (NHIS), assurance nationale de santé, au Ghana en 2003 assure aux firmes pharmaceutiques un client important dont l’accaparement constitue un enjeu économique de taille23. Néanmoins, la NHIS connaît, selon les témoignages de plusieurs acteurs interrogés, des difficultés non négligeables qui l’amènent à payer effectivement ses factures de nombreux mois plus tard. « La National Health Insurance, ils ne paient pas... ils ne paient tout simplement pas... leur remboursement est très lent... le dernier remboursement que la National Health a donné à l’hôpital était l’année dernière en avril [...], alors comment pouvez-vous rester en activité si après huit mois la personne vous doit toujours quelque chose ? Cela n’a pas de sens. » (entretien avec le directeur des opérations d’un des distributeurs internationaux, Accra, février 2015).
36Ainsi, de nombreuses firmes et grossistes décident de viser prioritairement le marché privé des détaillants (pharmacies et/ou OTCMs), dans lesquels les pharmacy only medicines et les OTC représentent un marché important, celui de l’automédication qui se pratique hors consultation médicale. Le directeur d’un grossiste importateur explique ainsi : « Les prescription only medicines me font vraiment mal parce que je n’obtiens pas mon retour d’argent en bonne et due forme. Vous fournissez et il vous faut entre six et huit mois pour récupérer votre argent. Cela étouffe les affaires. Maintenant, nous voulons faire des OTC où nous pouvons nous concentrer sur le marché du secteur privé, où nous pouvons vraiment demander le paiement en un mois et obtenir notre argent24. » (entretien avec le directeur d’un grossiste importateur ghanéen, Accra, mars 2016).
37Ainsi, un grossiste importateur présent au Ghana, qui importe uniquement sept produits d’une firme indienne (un antipaludique, un anti-helminthique, trois antalgiques, un décongestionnant et un antitussif), ne vise comme clientèle que les grossistes privés.
38Toujours en lien avec les clients qu’ils ciblent (structures de santé, pharmacies, OTCMs) et cette fois leur plus ou moins grande distribution sur le territoire national, mais aussi la plus ou moins grande solvabilité des consommateurs finaux, les représentants au Ghana, et derrière eux les firmes qu’ils représentent, visent plus ou moins fortement les quartiers huppés ou précaires de la capitale et des grandes villes ou les régions rurales.
39Un grossiste importateur, par exemple, qui a signé des contracts manufacturing avec une petite firme allemande, deux chinoises et a le « monopole » d’une firme américaine qui fait fabriquer des génériques en Inde et d’une firme indienne, dispose de deux magasins grossistes à Accra, un à Kumasi (2e ville du pays, située au centre de celui-ci) et également d’un bureau comprenant des entrepôts, un medical rep, un sales rep, un minibus et un chauffeur dans chacune des dix régions du Ghana. Il assure ainsi une grande présence des produits qu’il représente sur l’ensemble du territoire. En comparaison, les deux distributeurs internationaux des « Big Pharma » sont peu présents en dehors d’Accra. Gokals Laborex n’a pas de dépôts en dehors d’Accra et vise principalement les hôpitaux publics et les cliniques privées ainsi que l’ensemble des grossistes, mais pas directement les détaillants, ou alors uniquement les high level pharmacies (pharmacies de haut standing) localisées à Accra et sûrement pas les OTCMs. Le superintendant pharmacist (pharmacien responsable) de Worldwide Healthcare Ltd précise en entretien préférer se centrer sur quelques gros clients, comme l’hôpital universitaire de référence nationale Korle-Bu à Accra, que de se disperser auprès d’une multitude de petits clients. Ainsi les ethical reps des « Big Pharma » sont avant tout présents à Accra et auprès des prescripteurs dans les grands hôpitaux publics et les grandes cliniques privées. À contrario, les grossistes qui se sont spécialisés dans des OTC fabriqués en Asie enverront leurs sales reps prioritairement auprès des grossistes non importateurs, des pharmacies et des OTCMs et pour ces derniers clients spécifiquement, ils prendront garde à être extrêmement présents sur l’ensemble du territoire national.
40Certains grossistes importateurs locaux, parmi les plus gros de la place, jouent bien sûr sur tous les tableaux, tant du point de vue du statut socio-économique des consommateurs finaux, que des territoires du pays à toucher. Un des brand managers d’Ernest Chemist, société qui dispose de quinze magasins grossistes présents dans sept des dix régions du Ghana, explique ainsi : « Nous représentons différentes sociétés et chacune d’entre elles cible des marchés différents. Ainsi, nous représentons des entreprises qui visent le haut de gamme, le marché de la classe supérieure, nous représentons d’autres sociétés qui visent aussi la classe moyenne, puis nous avons des produits fabriqués localement qui visent entre la classe moyenne et la classe inférieure. Nous nous intéressons donc à toutes les classes concernées et nous avons différents produits, différents prix pour couvrir tout le monde. » (Accra, février 2015).
41Tobinco, également, dont il était question précédemment, qui s’est spécialisé dans les produits fabriqués en Asie et pour des problèmes de santé aigus et courants (antipaludiques, antalgiques, anti-helminthiques, antibiotiques), envoie ses medical reps mais surtout ses sales reps à la fois dans les structures de santé et auprès des grossistes non importateurs et des détaillants. Il est aussi présent sur l’ensemble du territoire national. De par l’étendue de leurs activités et le capital accumulé depuis le démarrage de celles-ci, ces deux importantes sociétés ghanéennes s’investissent aussi depuis quelques années dans la production pharmaceutique.
42Certaines « Big Pharma » également ne se cantonnent pas aux produits de prescriptions et aux maladies chroniques, ni à Accra, mais se positionnent aussi sur le marché des OTC à l’échelle du pays. Le portfolio d’une medical rep de Sanofi que nous avons rencontrée est constitué uniquement d’OTC (anti-acides, vitamines, antitussifs). Elle travaille donc exclusivement auprès des grossistes et des vendeurs en pharmacie et réfléchissait, au moment de notre entretien, à la manière de se positionner auprès des OTCMs. Sur les soixante medical reps qui travaillent pour cette firme, seuls neuf sont basés à Accra, les cinquante et un autres se distribuent dans l’ensemble du pays. Également, le bureau scientifique de Novartis à Accra compte deux first-line managers, l’un spécialisé dans les produits cardiovasculaires, l’autre dans les antalgiques et les antipaludiques. Ils gèrent chacun plusieurs medical reps, quoiqu’il faille plutôt parler, nous explique le deuxième, de pharmacies reps pour les antalgiques et les antipaludiques, puisque c’est bien au niveau de ces détaillants que le marché de ces produits se trouve.
Des activités concentrées au Bénin se répartissant néanmoins dans la hiérarchie des structures de santé et des détaillants formels
43Au Bénin, les statuts légaux des médicaments, nous l’avons vu, sont moins nombreux qu’au Ghana. Les OTC notamment n’étant pas reconnus, les firmes pharmaceutiques ont tendance à toutes viser les mêmes marchés thérapeutiques25. Les détaillants formels sont aussi principalement présents dans les villes. Il ressort de ces deux éléments que les activités des représentants sont globalement beaucoup plus concentrées d’un point de vue thérapeutique et géographique au Bénin qu’au Ghana. Le ciblage de consommateurs finaux aux capacités financières différentes s’opère néanmoins dans la hiérarchie des structures de santé et des détaillants formels disponibles.
44Les représentants des « Big Pharma » et de leurs branches génériques s’adressent principalement aux grandes cliniques privées et aux hôpitaux universitaires publics. En deuxième choix, ils s’orientent vers les cliniques privées de taille moyenne et les hôpitaux publics dits « de zone » (sanitaire), qui sont également des centres de référence. Dans ces lieux, ils s’adressent principalement aux professeurs et aux médecins de renom, ainsi qu’aux pharmaciens hospitaliers qui passent les commandes pour les produits utilisés en interne. Mais les hôpitaux universitaires et de zone constituent aussi une véritable arène entre les « Big Pharma » et les gros génériqueurs, comme en témoigne cet extrait d’entretien avec un ancien employé de la firme américaine Pfizer : « J’avais un marché au CNHU [Centre national hospitalo-universitaire], j’avais un marché au service de dialyse. Et le CNHU commandait environ 1 000 boîtes d’Amlor26 par année. Et ceux-là sont venus [Macleods, un gros génériqueur indien] pour m’arracher ce marché-là. Non mais j’ai fait tout ce que je pouvais, j’ai mis toutes mes relations, parce que celui qui passe cette commande-là, c’est un pharmacien, c’est un doyen […] qui était le pharmacien de l’hôpital. Quand j’ai eu vent du problème, j’ai pris rendez-vous avec lui et je suis allé le voir et je lui ai dit : “Doyen, je suis ton petit frère, je suis pharmacien comme toi. Tu ne peux pas m’arracher ce marché-là et donner ça aux Indiens. Soyons sérieux, tu es un technicien de santé”, et j’ai essayé de le convaincre. Mais j’ai gardé ce marché-là jusqu’à démissionner, hein ! Ils n’ont pas pu changer. » (entretien, Cotonou, juin 2019).
45Ainsi, les gros génériqueurs sont en concurrence avec les multinationales dans les hôpitaux universitaires et de zone. Dans ces lieux, à défaut de convaincre les médecins déjà bien établis, qui ont leurs habitudes de prescription avec les « Big Pharma », leurs représentants ciblent principalement les internes, les DES27 et les sages-femmes qui réalisent un nombre de prescriptions non négligeable. « Il y a d’autres carrément, c’est les produits européens qu’ils prescrivent. Les vieux médecins par exemple, les nouveaux produits, tu vas venir le voir 10 000 fois, il ne va jamais prescrire. Ils sont attachés aux anciens produits. » (entretien avec le représentant d’un génériqueur européen, Cotonou, juin 2019). Ces génériqueurs – issus de tous les continents – détiennent les plus grandes parts de marché et sont présents sur toute la chaîne de prescription, des hôpitaux de référence jusqu’aux petits centres de santé. Dans chaque lieu de prescription, les représentants observent, s’informent, écoutent les prescripteurs et modulent leur passage en fonction du pouvoir d’achat des clients finaux. Comme l’exprime le même représentant : « Il y a toutes ces informations qu’on cherche à savoir et puis eux-mêmes [les prescripteurs], ils nous le disent, et au niveau des pharmacies les plus proches aussi, on fait des enquêtes pour avoir leurs habitudes de prescription […] donc quand tu viens le voir [le prescripteur], il te dit franchement : “je ne prescris pas les trucs chers parce que voilà, la population ici, les gens n’ont pas les moyens.” […] Moi mes produits sont un peu chers. Dans la fourchette de 3 500 jusqu’à 21 000 francs CFA [de 5,5 à 32 euros]. »
46Les représentants travaillant pour les petites firmes asiatiques se positionnent principalement sur les centres de santé publics périphériques et les petits cabinets de soins privés tenus en majorité par des sages-femmes et des infirmiers. Ces cabinets, situés dans les quartiers populaires, attirent une clientèle peu solvable. Comme l’exprime encore ce même représentant : « Il y a des prescripteurs, ça dépend de la zone où ils sont. Ils n’aiment pas les produits chers donc ils sont obligés de prescrire les produits indiens. Donc, si la personne est dans une zone où il n’y a que des gens qui ont un pouvoir d’achat faible, il est obligé de faire avec les produits indiens. »
47En dehors des centres de santé, les pharmacies constituent des lieux de construction des marchés pour les différentes firmes. Dans certaines agences, il y a des représentants chargés exclusivement du démarchage des pharmacies. Dans un marché pharmaceutique dont l’essentiel est constitué de génériques et où la loi de substitution des princeps par des génériques de la part des détaillants date de 1999, le travail dans les pharmacies est une part majeure dans la stratégie de construction des marchés. Les pharmacies sont de plus la principale catégorie de détaillants autorisés. Pour certaines firmes, notamment celles de petite taille, les vendeurs au comptoir dans les pharmacies sont parfois plus importants que les prescripteurs. Le représentant d’une firme de génériques franco-ivoirienne auprès duquel nous avons réalisé des observations ne fait que très rarement des visites dans les centres de santé. « On est ensuite allé dans un centre de santé, une petite clinique à Godomey [quartier périphérique de Cotonou]. Je lui ai dit que je pensais qu’il ne faisait que les pharmacies. Il m’a dit que c’est sa cible principale mais qu’il va également dans les centres de santé où les clients ont un faible pouvoir d’achat. Ça ne lui servirait par exemple à rien d’aller dans les centres de santé huppés où les gens utilisent la plupart du temps des assurances. Ses produits n’y seront pas prescrits. » (journal de terrain, Cotonou, août 2018).
48Or, 169 des 276 pharmacies (61 %) installées au Bénin se situent dans la ville de Cotonou (97 pharmacies) et ses environs (43 à Abomey-Calavi, 29 à Porto-Novo)28. Les activités des représentants se concentrent ainsi logiquement dans cette zone géographique. Les représentants font globalement le ciblage de leurs clients d’abord par type de centres de santé et ensuite par type de prescripteurs. Dans le cas où les principales cibles de clients semblent insuffisantes pour atteindre l’objectif du mois ou du trimestre, les actions sont élargies à des centres de moindre intérêt et à des zones difficiles d’accès. « Le délégué m’a dit qu’il va également dans des centres complètement enclavés comme Zinvié [un village lacustre de la périphérie de Cotonou] pour “arrondir les fins du mois”. » (journal de terrain, Cotonou, juillet 2018).
49Une fois par mois, les représentants font des tournées dans les villes secondaires situées dans un rayon de trois cents kilomètres autour de Cotonou. Pour les villes situées au-delà de ce périmètre, les agences les plus importantes utilisent les services de représentants « multicartes » (qui représentent plusieurs firmes à la fois) installés dans ces zones. En milieu rural, sans compter le secteur informel, le marché formel est composé de quelques dépôts pharmaceutiques privés et de quelques pharmacies depuis peu. Les centres de santé publics distribuent après prescription par un professionnel de la biomédecine des médicaments essentiels génériques, vendus sous dénomination commune internationale. Ces produits ne sont pas objets de promotion par les représentants des firmes, mais obéissent à d’autres règles de marché, notamment l’appel d’offres (voir chapitre 2). Cet extrait d’entretien avec un médecin résume bien la situation dans les zones reculées : « En quatre ans d’exercice à Ségbana [petite commune du nord-est du Bénin], je n’ai jamais vu un seul délégué. Donc, pour maintenir mon niveau d’information par rapport aux produits, je demande à la pharmacie de Kandi de me faire parvenir régulièrement le catalogue des produits disponibles. Sinon, je travaille beaucoup avec les produits de la Came qui sont disponibles dans le centre […] La pharmacie, c’est vraiment le dernier recours. » (mars 2019).
Des stratégies scientifiques mais surtout commerciales et relationnelles dans les deux pays
La promotion scientifique
50Classiquement, l’activité phare des représentants pharmaceutiques est liée aux prescripteurs et à la promotion scientifique des produits (Greene, 2006 ; Greffion, 2014 ; Ravelli, 2015 ; Scheffer, 2017). C’est la raison d’être des ethical reps des « Big Pharma » au Ghana et aussi celle de l’ensemble des représentants pharmaceutiques au Bénin, qui doivent théoriquement se concentrer exclusivement sur cette activité. Elle se décline en divers moments : symposium scientifique organisé à l’occasion du lancement d’un produit, plus petites rencontres de groupes organisées très fréquemment pour former différentes sortes de prescripteurs (médecins, infirmiers, sages-femmes) à une question de santé précise, repas de travail, séance de formation sur la plage, et également la fameuse « visite médicale », qui reste le dispositif principal (voir portfolio, photo 21).
51Chacun de ces moments nécessite des stratégies spécifiques. Kristin Peterson (2014 : chap. 6), à travers l’étude qu’elle a menée au Nigeria, souligne bien comment, pour l’introduction d’une innovation pharmaceutique (quel que soit le degré effectif d’innovation en question), les marketers doivent en premier lieu approcher des médecins spécialistes, des leaders d’opinion reconnus dans le champ thérapeutique concerné, qui pourront introduire le produit et ainsi influencer leurs collègues, notamment plus jeunes et moins expérimentés. Les clinical meetings (rencontres cliniques) sont alors clefs pour promouvoir le produit. Ils font souvent état d’essais cliniques que les firmes font réaliser sur leurs produits et qui aideront les représentants à convaincre de l’utilité de ceux-ci (Dumit, 2012 ; Ravelli, 2015). Un ethical rep en activité au Ghana explique comment il s’y prend durant les « visites » : « Il faut donc interagir avec les médecins et essayer de comprendre leur pratique. Si c’est un anti-hypertenseur que je suis censé vendre ce jour-là, je veux qu’il prescrive ce jour-là, je lui pose des questions sur l’hypertension, sa pratique, ce qu’il recherche dans le médicament avant de le prescrire. Donc en l’écoutant, je trouve les failles dans lesquelles mon produit peut entrer, avec les avantages [...] Oui, il peut le savoir, mais je vais juste attirer son attention sur les avantages qu’il recherche dans le produit [...] Certains d’entre eux vous diront [...] qu’ils préfèrent d’autres médicaments qu’ils veulent utiliser. Ils vous donnent leurs raisons [...], alors vous mettez fin à l’appel et vous réfléchissez à la manière de contrer ses objections. Quelles que soient les raisons pour lesquelles il a décidé de choisir un autre produit, vous réfléchissez et trouvez les raisons pour lesquelles, lorsque vous le rencontrerez à nouveau, il devrait maintenant considérer votre produit. » (entretien, Accra, décembre 2015).
52Au Bénin, ces différentes activités de promotion scientifique sont rassemblées sous le terme de « relations publiques ». Bien que la relation entre les représentants et les prescripteurs soit décrite dans les Nords comme étant de plus en plus difficile29, la « visite médicale » semble toujours produire, dans les contextes que nous avons étudiés, des résultats significatifs sur les prescripteurs. C’est pour cette raison que chacun essaie de passer souvent pour « rappeler » ses produits et ne pas se laisser supplanter par les concurrents dans la mémoire des prescripteurs déjà acquis à sa cause, comme en témoignent ces notes d’observation : « Le délégué leur lance : “J’ai appris que vous prescrivez mes concurrents”. Une des deux sages-femmes lui répond : “Toi, on ne te voit plus, tes concurrents sont là tous les jours, on ne peut pas tout garder en tête, vous devez passer nous rappeler les produits”. » (journal de terrain, Cotonou, avril 2019). À chaque visite, le nombre de produits présentés est de quatre au maximum, afin de ne pas envoyer trop d’informations à la fois. Plusieurs éléments sont mis à concours pour laisser au prescripteur le souvenir de la « visite » et surtout des produits présentés. Des références à la préqualification de l’OMS sont par exemple souvent évoquées en ce qui concerne les CTA contre le paludisme.
Les activités sociales liées à la vente elle-même
53Néanmoins aujourd’hui ces activités scientifiques classiques de la représentation pharmaceutique sont loin d’occuper l’essentiel du temps de travail des représentants au Ghana. Un expatrié indien explique pourquoi, à partir de son expérience dans les marchés à la fois indiens et ghanéens : « Au départ, il y a dix ou quinze ans, lorsque nous travaillions tous en tant que représentants médicaux [...], il suffisait de rencontrer un médecin qualifié et de lui parler de nos produits, d’en faire la promotion, pour obtenir des contrats et des recommandations de sa part. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Cela a totalement changé [...] Avec internet et les médias électroniques, si un médecin souhaite obtenir des informations sur une molécule, il peut les obtenir facilement [...] Ils obtiennent donc facilement les informations qui étaient auparavant transmises par les représentants médicaux, et leur rôle a donc été réduit au minimum. » (entretien, Accra, mai 2015).
54Les activités essentiellement centrées sur la vente prennent alors, dans le contexte ghanéen, une place considérable : vérifier le bon écoulement des stocks, venir récupérer les chèques une fois le délai de paiement accordé terminé, proposer aux clients de commander à nouveau, négocier des facilités de paiement (cash, crédit, durée plus ou moins longue du crédit consenti), etc. Ces activités de vente sont censées être le fait exclusif des sales reps. Ce qui explique certains témoignages précisant que les sales reps sont finalement plus importants que les medical reps. Mais, ces derniers s’adonnent également à ces activités. Un ethical rep nous a d’ailleurs précisé être un medical sales representative.
55Au Bénin, on observe une certaine hiérarchisation dans les activités de promotion. Pendant que les représentants, assez jeunes pour la plupart, s’occupent de la visite médicale et du maintien des relations sociales avec les médecins, les activités liées à la vente sont plutôt à la charge des superviseurs, des directeurs commerciaux ou des chefs d’agence. Ils vont pour cela « sur le terrain » et entretiennent les relations sociales avec les pharmaciens investis dans la distribution de détail et de gros, suivent les stocks auprès des grossistes et notent les statistiques de vente. Les représentants développent également quelques activités en lien avec la vente. Ils entretiennent les relations sociales avec les vendeurs au comptoir, vérifient fréquemment la disponibilité de « leurs » produits dans les pharmacies et essaient de placer ceux-ci dans les pharmacies et les centres de santé qui ne les vendent pas encore. Bien qu’ils ne réalisent pas, au Bénin, de ventes directes, un objectif de chiffre d’affaires mensuel, trimestriel et annuel leur est demandé par les firmes. Il s’agit, selon leurs propres termes, de « faire leurs chiffres », ce qui revient, comme ils le disent, à faire de la vente « indirecte ».
56Ces activités, centrées sur la vente (directe au Ghana ou indirecte au Bénin) proprement dite, nécessitent une implication sociale très forte de la part des représentants. Il est question au Ghana de business relations. Les sales reps des grossistes importateurs passent un temps important, lorsqu’ils sont « sur le terrain », à aller saluer les clients, à maintenir le contact, souhaiter les anniversaires, se manifester lors des événements heureux (mariage, naissance) comme malheureux (funérailles), tout en procédant aux diverses activités liées à la vente. Le brand manager d’un grossiste importateur ghanéen explique de manière très convaincante : « Vous regardez la qualité du service pour la clientèle, et ensuite l’accueil des clients, ce sont les choses qui sont compétitives aujourd’hui, et ensuite le service à la clientèle en général, combien nous en savons sur nos clients, quelle est la relation, comment entretenir la relation entre les deux ? Vous et le client, pour que cela ne devienne pas comme ça, une fois de temps en temps, quand ils ont besoin de quelque chose, ils viennent. Mais alors c’est une amitié constante, ce que j’appelle “un mariage professionnel qui ne s’arrête pas”, que vous ayez besoin de moi ou non, nous avons une relation, et nous continuerons à l’entretenir et à la développer, et automatiquement, à tout moment, je serai la première personne à laquelle vous penserez. » (Accra, février 2015).
57Nos données soulignent ainsi de manière forte la construction sociale du marché et la dimension relationnelle de la concurrence, comme le décrivent la sociologie et l’anthropologie économique (Steiner, 2005).
58Logiquement, ces activités ne visent pas prioritairement les prescripteurs mais bien plutôt les vendeurs, ceux qui sont derrière les comptoirs des magasins de détail et de gros au Ghana et derrière ceux des pharmacies, ainsi que dans les bureaux des grossistes répartiteurs au Bénin. Un représentant d’une « Big Pharma » au Ghana l’explique : « L’autre aspect [de notre travail] consiste essentiellement à expliquer aux pharmacies, d’une part, pourquoi elles ne doivent pas procéder à des substitutions et, d’autre part, comment conserver les produits pour s’assurer que nous pouvons maintenir leur efficacité tout au long de leur durée de vie [...] Et nous nous occupons un peu de l’aspect marketing, de la manière de présenter vos produits à la pharmacie pour faire en sorte que, lorsque les clients entrent, ils puissent voir ce qu’ils veulent afin qu’ils puissent au moins dire : “Ok, je veux ceci, j’ai utilisé ceci avant, c’est ce que je préfère”. » (entretien, Accra, mars 2016).
59Des séances de travail et de formations, des lancements de produits sont organisés spécifiquement pour ces front desk sellers (vendeurs au comptoir). Les personnes chargées de passer les commandes pour les hôpitaux, les cliniques et les sociétés grossistes, les comptables en activité dans ces différentes structures sont aussi des « cibles » à ne pas négliger30.
60Au Bénin, les représentants n’hésitent pas à mobiliser leurs relations avec les médecins exerçant dans une zone précise pour convaincre les personnes en charge des commandes dans les pharmacies, comme nous avons pu le constater à l’occasion de plusieurs séances d’observation auprès d’un médecin dans un centre de santé confessionnel : « Pendant qu’on est là, il y a une pharmacie qui l’appelle pour demander conseil par rapport à la mise en place d’un produit, ce à quoi il a répondu chaleureusement. Il a dit que pour lui, il n’y avait pas de problèmes mais qu’il ne connaît pas la préférence des autres médecins […] Le délégué qui était dans la pharmacie pour la mise en place d’un produit et qui avait demandé à la pharmacie d’appeler le docteur est venu en quittant la pharmacie. Il est venu le remercier de l’avoir aidé à convaincre la pharmacie. » (journal de terrain, Cotonou, août 2018).
Des cadeaux et attentions pour stimuler les ventes
61Des stratégies commerciales, déjà décrites dans la littérature (Fugh-Berman et Ahari, 2015), viennent aider à entretenir ces relations sociales : l’offre d’objets de promotion des produits (stylos, blouses, mugs, casquettes, tee-shirts, gel hydroalcoolique31, parapluies, calendriers, sacs, housses de téléphone portable, etc.), des attentions lors des anniversaires (gâteaux) ou de fêtes (chocolats et fleurs pour la Saint-Valentin), des invitations à des déjeuners, la remise d’échantillons gratuits, dont un ethical rep au Ghana nous a dit qu’ils étaient l’outil principal de promotion de la firme qu’il représente (voir portfolio, photo 20).
62Des cadeaux plus importants peuvent aussi être offerts aux bons clients, comme des téléviseurs, des climatiseurs, des réfrigérateurs, des fontaines d’eau, des micro-ondes, des séjours « scientifiques » à l’étranger à l’occasion de colloques ou de salons pharmaceutiques. Des remises aussi peuvent être consenties lors d’achats importants, de même que, pour les bons clients, des temps de crédits plus longs ou encore des crédits pour des fast mooving products (des produits qui s’écoulent vite), ce qui ne se fait habituellement pas.
63Au Bénin, la vente étant découplée de la promotion, ces stratégies commerciales constituent une extension des « relations publiques » mentionnées plus haut, et sont donc surtout centrées sur les prescripteurs de manière personnelle (séjour « scientifique » à l’étranger), mais aussi sur les sociétés de médecine (pédiatrie, ophtalmologie, chirurgie, etc.), les hôpitaux et les centres de santé (enveloppes de soutien pour diverses activités). « En sortant de la salle de garde des sages-femmes, on s’est arrêté devant une salle de cours où les DES et le prof venaient de finir une réunion. On les a salués et ils ont tous répondu, souriants. Le délégué m’avait dit en chemin qu’ils ont offert, pour les besoins de leurs cours, un grand écran numérique et un ordinateur pour la projection des cours. À présent même à partir d’un smartphone, il est possible de projeter des cours ou n’importe quelle présentation. Le prof demande donc à ses DES : “Est-ce que vous prescrivez leurs produits ? Parce qu’il faudrait rendre aux gens leurs bienfaits”. Les DES se sont empressés de répondre “Oui, oui, oui”. » (journal de terrain, Cotonou, janvier 2018).
64Ces activités de vente et de promotion sont développées par tous les représentants au Bénin et au Ghana en lien avec les segments de marché ou les types de consommateurs finaux visés par les firmes qu’ils représentent. Ceux des « Big Pharma » disent ne pas s’adonner à des pratiques de promotion « non éthiques » et recherchent alors le bon équilibre entre incitation et légalité. « Nous sommes une firme multinationale, nous sommes cotés en bourse, pas au Ghana, donc nous sommes liés par toutes ces lois sur la corruption et toutes ces choses [...] Donc nous essayons de mesurer… nous ne donnons pas de cadeaux de plus de vingt dollars, ce genre de choses [...], à notre désavantage parce que nos concurrents peuvent facilement donner des clims et des frigos et tout ça, nous ne le pouvons pas. » (entretien, Accra, février 2015).
Conclusion
65En Europe et en Amérique du Nord, il est question de la « crise de la visite médicale » (Ravelli, 2015 : 70). En raison de la baisse globale de la capacité d’innovation des firmes pharmaceutiques, de la concurrence internationale accrue liée à la multiplication des génériqueurs, de la baisse des budgets publics et de la dégradation de l’image de l’industrie pharmaceutique auprès des prescripteurs, les firmes ont tendance, depuis le milieu des années 2000, à réduire leurs effectifs de représentants pharmaceutiques32. En Afrique de l’Ouest, l’activité des représentants pharmaceutiques est loin de décliner. Sans doute, le fait qu’elle ne soit pas centrée uniquement sur la promotion scientifique, mais également plus largement sur la vente, que celle-ci soit directe ou indirecte, y est-il pour quelque chose. Au contraire aussi de ce qui est décrit dans les contextes des Nords, cette activité vise un panel d’acteurs qui va bien au-delà des seuls médecins : infirmiers, sages-femmes, aides-soignants, vendeurs en pharmacie et en OTCMs, comptables et chargés de commandes dans les structures de santé, auprès des sociétés grossistes, etc. Enfin, il est décrit dans les Nords que, lorsque les produits tombent dans le domaine public et que leur prix baisse drastiquement, leur promotion ne devient plus rentable (Ravelli, 2015). En Afrique de l’Ouest, où le marché pharmaceutique est encore plus dominé par le générique que dans les Nords, ces considérations ne prédominent pas, d’autant que les coûts du travail des représentants sont bien moins élevés.
66En lien avec la régulation pharmaceutique en place par les États, des acteurs économiques, plus établis au Ghana et en mutation au Bénin, constituent la clef de voûte de cette activité de représentation pharmaceutique : les grossistes importateurs au Ghana, les agences de promotion au Bénin. Au-delà de la question tout à fait notable des acteurs économiques internationaux qui s’investissent dans la promotion et la distribution pharmaceutiques et qui sont, dans cette région du monde où l’influence française est indéniable, pour beaucoup encore français33, il est marquant de constater que, dans les deux pays, les acteurs économiques clefs de la promotion pharmaceutique sont largement des acteurs nationaux, à capitaux nationaux. Ici, l’intérêt de la définition de « représentant pharmaceutique », adoptée en introduction, apparaît pleinement. En effet, bien que dans des proportions différentes au Ghana et au Bénin, nos études soulignent que ces professionnels de terrain génèrent en eux-mêmes, indépendamment des firmes qu’ils représentent, des dynamiques pharmaceutiques certaines et endogènes dans leur pays.
67Au Ghana, nos études montrent que le champ de la pharmacie ghanéenne s’est construit à travers l’activité de sales reps qui, comme le précisait dédaigneusement une pharmacienne, font du « commerce... le commerce, tout le monde peut acheter et vendre » (entretien, Accra, mars 2016). Les plus importants acteurs économiques actuels qui, pour plusieurs d’entre eux s’investissent aujourd’hui dans la production pharmaceutique, ont démarré comme sales reps (Baxerres, 2018)34. La promotion des médicaments, quels que soient les produits et les firmes en question, de quelques régions du monde qu’elles viennent, a abouti dans le cas du Ghana à construire l’économie pharmaceutique du pays, à renforcer les acteurs locaux, à les propulser. La société Tobinco, dont il a été question dans ce chapitre, s’est développée grâce à la promotion des produits d’une petite firme indienne dont un pharmacien nous a dit qu’elle « n’est pas connue en Inde... quand je dis qu’elle n’est pas connue, elle n’a pas de nom, autrement dit ce n’est pas une grande société... c’est une très petite société » (entretien, Accra, octobre 2014).
68Au Bénin, les dynamiques à ce sujet sont encore émergentes et le champ de la pharmacie est actuellement tellement chamboulé qu’il est difficile d’imaginer le futur. De plus, la régulation étatique en place jusqu’à présent tend à limiter les marges de manœuvre des acteurs économiques (voir chapitre 3). Néanmoins, les représentants prennent une place de plus en plus importante dans les dynamiques pharmaceutiques locales, qui ne sont plus dominées par les seuls grossistes répartiteurs. La montée en puissance des agences de représentation est certaine. Payées entre 10 et 18 % du chiffre d’affaires réalisé par les firmes, elles obtiennent une puissance financière qui leur permet de se diversifier. Ainsi, parmi les agences locales, certaines obtiennent des agréments pour importer et vendre du matériel médical (lits, tables gynécologiques, respirateurs électriques, matériels de chirurgie, etc.), d’autres créent des écoles de formation dans les métiers de la promotion pharmaceutique et de la vente en pharmacie35.
69À travers leurs représentants, les firmes pharmaceutiques des différentes régions du monde s’implantent localement en Afrique et conquièrent des parts de marché, dans un contexte hautement concurrentiel36. Toujours en fonction de la régulation étatique et de la structure de la distribution pharmaceutique qui en découle dans chacun des pays (formalité d’OTCMs fortement présents sur toute l’étendue du territoire national ou non, notamment), les firmes développent des stratégies territoriales et thérapeutiques plutôt de segmentation au Ghana et de concentration au Bénin. Mais au-delà de ces différences, dans ces contextes où la prise en charge de la santé passe encore principalement par les consommateurs finaux37, des permanences apparaissent dans le ciblage de ceux-ci en fonction de leur plus ou moins grande solvabilité. Selon le prix de leurs produits et la réputation de leur marque, les firmes vont plus ou moins fortement, au Bénin comme au Ghana, viser les structures de santé et les distributeurs détaillants centraux ou périphériques, onéreux ou meilleur marché. Et, par l’entremise de leurs représentants, elles s’immiscent jusqu’à l’intimité des personnes pour leur suggérer le ou les médicaments qu’elles doivent consommer. Cette entremise se construit habillement via les prescripteurs, via tous les autres acteurs impliqués dans la distribution et les soins que côtoient de manière si étroite les représentants, mais également via les amis, les voisins, les collègues et les familles de ces différents acteurs38.
Notes de bas de page
1 Au sortir de la colonisation, les principales sources d’approvisionnement en médicaments du Ghana sont le Royaume-Uni, l’Allemagne de l’Ouest, l’Italie, la Suisse, les Pays-Bas et les États-Unis (Pourraz, 2019). Au Dahomey, les médicaments proviennent à cette époque très majoritairement de la France, mais également du Sénégal et du Maroc, où certaines firmes ont installé des unités de production (Baxerres, 2013 a).
2 Ces entreprises peuvent aussi développer des activités de représentation pour d’autres firmes pharmaceutiques, pour lesquelles elles importent et distribuent des médicaments dans les pays d’Afrique, comme c’était le cas de Major & Company et de J. L. Morrison & Sons au Ghana (Pourraz, 2019).
3 Voir le décret no 2000-450 du 11 septembre 2000 portant application de la loi no 97-020 du 11 juin 1997 portant fixation des conditions d’exercice en clientèle privée des professions médicales et paramédicales et relatif à l’ouverture des sociétés de grossistes répartiteurs en République du Bénin.
4 L’ouverture de bureaux scientifiques semble être une tendance assez récente de multinationales du médicament au Ghana. Novartis par exemple a ouvert le sien en 2014, Denk après 2010.
5 Il a été question de Eurapharma dans les chapitres 1 et 2. Nous retrouvons aussi ce groupe plus bas concernant le Bénin. La politique de cette société pharmaceutique, très présente de longue date dans les pays francophones d’Afrique, est de s’associer à une société locale déjà existante dont elle rachète plus de la moitié des parts. Au Ghana, Laborex – nom que les filiales d’Eurapharma ont souvent pris dans les différents pays – s’est associé à Gokals Ltd, une société ghanéenne présente dans le pays depuis 1998 et qui avait été montée par un entrepreneur ghanéen d’origine indienne. Une section de Gokals Ltd qui était spécialisée dans les génériques n’a pas été concernée par ce rachat et a continué sa trajectoire indépendamment. Elle est toujours en activité aujourd’hui sous le nom Gokals Ltd.
6 Concernant ces deux sociétés internationales, voir https://www.chanraisummitgroup.com/home.html et https://www.imperiallogistics.com/overview.php, consultés en juillet 2020.
7 D’autres sociétés pouvaient être mobilisées pour certaines actions spécifiques, en lien par exemple avec des programmes de Global Health, comme l’AMFM (Affordable Medicine Facility malaria) dont il est question dans le chapitre 6.
8 Ils peuvent par exemple distribuer les produits au plus bas de l’éventail de prix que fixent les « Big Pharma ». Certains expliquent que, pour garder le marché de ces firmes, ils peuvent accepter de se charger de la promotion, via leur medical reps, de produits qui sont en fin de vie, qui ne se vendent plus bien ou de produits OTC, dont la promotion scientifique n’est pas forcément nécessaire. La concurrence est rude entre importateurs distributeurs au Ghana, et les acteurs locaux qui étaient là précédemment voient d’un très mauvais œil la concurrence qu’ils jugent déloyale exercée par les grossistes internationaux.
9 Cela n’est objectivement pas toujours le cas, les produits des « Big Pharma » qu’ils promeuvent ne sont pas tous innovants et pas tous de prescriptions, loin de là. Il sera question de leur qualité et de leur promotion dans la partie suivante de ce chapitre ainsi que dans le chapitre 11. Il s’agit ici aussi, comme pour le terme « spécialité » dont nous avons discuté précédemment dans les contextes francophones (Baxerres, 2013 a), d’une ambiguïté linguistique (ou d’un abus de langage) habilement utilisée à des fins commerciales dans le monde de la pharmacie.
10 Ces questions de « monopole » et de contract manufacturing ont été discutées dans le chapitre 6.
11 Il arrive que certains agents qui remplissent pourtant le rôle de medical reps pour ces firmes n’aient pas de diplôme de pharmacien, ni de formation en médecine ou en pharmacie.
12 La DPMED a muté début 2020 et a été renommée l’Agence béninoise de réglementation pharmaceutique (ABRP). https://www.abrp.bj/organisation.php. Voir chapitre 1.
13 Au Bénin, l’usage du mot fonctionnaire recouvre les fonctionnaires ainsi que les employés du secteur privé qui disposent d’un contrat à durée indéterminée et qui sont bien établis dans leur lieu de travail.
14 Pharmaco est une agence internationale basée en Afrique du Sud et qui opère dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne. Voir leur site : https://pharmaco.co.za/, consulté en septembre 2020.
15 Voir les sites internet de Tridem Pharma (https://www.tridem-pharma.com/), de Ubipharm (http://www.ubipharm.com/fr) et de Eurapharma (http://www.eurapharma.com/fr/), consultés en septembre 2020.
16 Au début des années 1990, plusieurs pays, tels que le Mali, le Bénin, le Burkina Faso et le Niger, passent à un régime politique plus démocratique, ce qui a pour corollaire l’ouverture de leurs marchés. Sur le plan pharmaceutique, l’État cède le monopole de l’approvisionnement, ce qui permet le développement d’initiatives privées, telles que l’installation de sociétés grossistes privées et d’agences de représentation.
17 On assiste au Bénin, depuis le milieu des années 2000, à une multiplication d’écoles de formation en « délégation pharmaceutique », une tendance venue de la Côte d’Ivoire et qui s’est rapidement répandue au Bénin. Ces écoles sont pour la plupart créées par des personnes qui n’ont rien à voir avec le monde du médicament mais qui y trouvent un créneau porteur. En effet, à partir des années 1990, les initiatives privées dans le secteur de la santé et de l’éducation se multiplient en dehors de tout contrôle au Bénin comme dans les autres pays francophones d’Afrique (Baxerres, 2013 a).
18 Voir la liste des médicaments contenus dans chacune de ces trois classes : https://fdaghana.gov.gh/wp-content/uploads/2017/06/NEW-DRUG-CLASSIFICATION-LIST.pdf, consulté en mars 2019.
19 Voir la loi no 97-025 du 18 juillet 1997 sur le contrôle des drogues et des précurseurs.
20 Ces aspects sont largement développés et analysés dans le chapitre 3. Les différents acteurs impliqués dans la distribution de détail au Ghana et au Bénin y sont décrits précisément.
21 Stefan Ecks et Soumita Basu, dans leurs travaux menés en Inde sur la construction du marché des antidépresseurs, montrent l’action des représentants en direction de praticiens ruraux qui n’ont pas de licences pour les prescrire. Les marchés informels ne constituent pas, dans ce contexte, une barrière à l’activité des représentants (Ecks et Basu, 2014).
22 Les offres de soins disponibles au Ghana et au Bénin sont présentées précisément dans le chapitre suivant.
23 Notons que les prix des produits remboursés par la NHIS sont fixés par celle-ci, au contraire des autres produits au Ghana, dont les prix sont fixés par le libre jeu du marché. La concurrence entre les acteurs économiques ne joue ainsi pas dans ce segment de marché spécifique sur les prix.
24 Les personnes interrogées précisent que c’est depuis la mise en place de la NHIS que les délais de remboursement sont si longs et que cela s’est détérioré progressivement depuis 2003. Lorsque la politique en place dans les structures de santé était celle du cash and carry (recouvrement des coûts), ce n’était pas le cas.
25 Toutefois, nous avons constaté une tendance des représentants des « Big Pharma » à se concentrer plus fortement sur la promotion des molécules impliquées dans le traitement des maladies chroniques et de la santé mentale et à quelque peu délaisser la promotion de leurs produits anciens, ayant acquis une solide réputation et qui sont largement génériques.
26 Amlor est le princeps de l’amlodipine, un anti-hypertenseur dont le brevet était détenu par Pfizer.
27 Les internes sont des étudiants en 6e année de médecine tandis que les DES sont des médecins qui ont déjà obtenu leur diplôme de médecin généraliste et qui sont étudiants dans une spécialité donnée.
28 Source : liste des pharmacies autorisées en République du Bénin, DPMED, janvier 2018.
29 Dans les pays du Nord, bien que les firmes sachent « presser à la bonne fréquence » pour être présentes sans être envahissantes, les différents scandales autour de l’industrie rendent de plus en plus difficiles les relations entre leurs représentants pharmaceutiques et les médecins (Greffion, 2014 ; Greffion et Breda, 2015).
30 Le pharmacien responsable d’un grossiste importateur au Ghana explique comment, pour renforcer les relations qu’il a avec des administrateurs de structures de santé, il leur propose de les aider bénévolement à monter leurs appels d’offres.
31 Nos enquêtes se sont déroulées en partie à l’époque où l’épidémie d’Ebola était en cours en Afrique de l’Ouest.
32 Jérôme Greffion (2014) précise que, depuis 1945, on a assisté à trois phases d’expansion puis de chute des effectifs de représentants pharmaceutiques. La régression constatée à partir de 2005 est néanmoins la plus forte.
33 Ce constat peut peut-être aussi s’expliquer par la régulation pharmaceutique française en matière de distribution grossiste et par la spécificité du métier de « grossiste répartiteur » qu’elle encadre (voir chapitre 3). Néanmoins, il convient de constater que, y compris au Bénin où la promotion et la distribution doivent être séparées et où les sociétés présentes localement sont dédiées soit à l’une, soit à l’autre, ces deux activités sont menées conjointement dans les grands groupes internationaux français dont il a été question dans ce chapitre.
34 Un livre à venir, écrit par Carine Baxerres et centré sur l’histoire et les contextes ghanéens, sera dédié à ces dynamiques tout à la fois pharmaceutiques et économiques.
35 Ces dynamiques font l’objet de la thèse que Stéphanie Mahamé est en train de rédiger au sujet des représentants pharmaceutiques et de leurs activités au Bénin. Elle sera soutenue courant 2022 et est réalisée en cotutelle avec l’université Abomey-Calavi du Bénin et l’EHESS de Paris en France.
36 Dans un contexte latino-américain, Cori Hayden montre la confrontation entre les représentants des multinationales de la pharmacie et ceux de l’industrie des « similaires » sur les marchés mexicains (Hayden, 2015).
37 Nous l’avons vu, y compris au Ghana où la NHIS est l’une des plus performantes d’Afrique, elle fait face à de nombreux défis. Il en sera aussi question dans le chapitre suivant.
38 Quentin Ravelli (2015 : 36) parle à ce sujet des « valeurs d’usage informelles » des médicaments, « en particulier celles des médecins dont l’autorité scientifique agira ensuite, en cascade, sur les usages de leurs patients, puis de leurs proches ». Dans les contextes que nous étudions, les « valeurs d’usage informelles » qui influencent de larges pans de la société sont, au-delà des médecins, celles de tous les acteurs liés de plus ou moins près aux soins qui ont été présentés dans ce chapitre.
Auteurs
Chercheuse en anthropologie à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), dans les unités de recherche Merit (IRD-Université de Paris) et LPED (IRD-Aix-Marseille université).
Doctorante en sociologie-anthropologie à l’université d’Abomey-Calavi (Bénin) et à l’EHESS, Paris.
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