Chapitre 6. Confrontations entre les marchés subventionnés et les marchés privés de CTA
Quand les régulations administratives, de la Global Health et marchandes s’empilent
p. 153-172
Texte intégral
Introduction
1La recommandation internationale par l’OMS de l’utilisation des combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine (CTA) au milieu des années 2000 a stimulé l’innovation pharmaceutique. Portée au départ par deux firmes multinationales d’origine occidentale – la suisse Novartis et la française Sanofi-Aventis – et leur partenariat avec des universitaires et/ou des acteurs transnationaux1 (OMS et DNDI respectivement), la production de ces combinaisons à base d’artémisinine s’est multipliée dans les pays d’Asie producteurs de génériques ainsi qu’en Afrique. De nombreuses CTA, associant différentes molécules aux dérivés de l’artémisinine, dont l’usage est recommandé ou non par l’OMS, ont été diversement mises sur le marché des pays touchés par le paludisme. Cette introduction est variablement régulée par les autorités nationales de régulation pharmaceutique en fonction de l’inscription de ces médicaments dans les lignes de traitement du paludisme des différents pays, des critères d’attribution d’autorisations de mise sur le marché que les autorités de régulation se sont donnés et de leurs compétences techniques, matérielles et humaines effectives. Les acteurs de la Global Health impliqués dans la lutte contre le paludisme, principalement pour les situations que nous avons étudiées, le Fonds mondial et la President’s Malaria Initiative2 (PMI), mais aussi dans d’autres cas la coopération chinoise par exemple (Sams, 2016), influencent de manière certaine la dynamique de ces marchés par la mise à disposition de CTA dans les pays. En s’approvisionnant spécifiquement auprès de quelques industries pharmaceutiques, ces programmes de Global Health soutiennent la distribution de certains produits qui disposent de certifications internationales. Pour faire face à leur mainmise sur les marchés, les entreprises concurrentes s’organisent de manière à promouvoir également leurs propres CTA.
2Ces dynamiques de production et de distribution pharmaceutiques et leurs logiques, tel qu’elles se concrétisent au Bénin et au Ghana, sont l’objet de ce chapitre. À partir des inventaires que nous avons réalisés des CTA vendues dans des structures de distribution pharmaceutique formelles (officines de pharmacie, OTCMs, dépôts pharmaceutiques, centres de santé publics, privés, confessionnels ; voir introduction), nous présenterons tout d’abord l’offre de ces médicaments dans les deux pays. Puis, analysant la composition de ces marchés des CTA, nous montrerons dans un second temps comment les dirigeants des firmes pharmaceutiques, à l’origine de cette offre, manœuvrent entre les régulations administratives et de la Global Health mises en place par les acteurs nationaux et transnationaux et les régulations marchandes développées par les firmes elles-mêmes, pour conquérir leurs parts de marché3.
L’offre de CTA au Bénin et au Ghana
Les CTA subventionnées des firmes européennes et des grands producteurs asiatiques de génériques
3Bien que l’absence de brevets sur les molécules composant les CTA permette en principe le développement d’un marché sur la base d’échanges concurrentiels entre industries, dans les faits Novartis demeure dans une situation de quasi-monopole jusqu’en 2008 lorsque Sanofi-Aventis, en partenariat avec DNDI, obtient la préqualification de l’OMS4 (Lantenois et Coriat, 2014) pour sa coformulation de l’Asaq Winthrop, jusqu’alors commercialisée sous forme de coblister (artésunate + amodiaquine). La situation de quasi-monopole détenue par Novartis au sein des marchés subventionnés s’explique par le fait qu’elle est à partir de 2001 l’unique firme à commercialiser le Coartem, une combinaison à dose fixe d’artéméther-luméfantrine (AL) préqualifiée par l’OMS. Afin d’en assurer l’accessibilité à l’ensemble des pays africains, l’OMS a passé un accord5 exclusif de dix ans avec cette firme pour approvisionner les marchés publics en Coartem, au prix coûtant de 2,4 USD par traitement adulte (Orsi et Zimmermann, 2015). En 2005, le Fonds mondial signe des accords avec les fabricants indiens de génériques Ajanta et Cipla pour les encourager à produire des combinaisons à dose fixe d’AL. Novartis réagit à ces accords dès 2006 avec une première baisse du prix du Coartem (Singh, 2018). Ainsi, entre décembre 2008 et décembre 2009, le marché mondial des CTA subventionnées s’étoffe de ces combinaisons d’AL préqualifiées par l’OMS et produites par les firmes indiennes Ajanta et Cipla, rejointes ensuite par Ipca. Au vu des difficultés techniques beaucoup plus importantes pour associer l’artésunate et l’amodiaquine dans le même comprimé, il faut attendre 2012 pour que la firme indienne Ipca préqualifie son Asaq coformulée, suivie la même année par la firme chinoise Guilin, puis par les firmes indiennes Ajanta en 2013 et Cipla en 2014 (Orsi et al., 2018).
4Au moment de nos études entre 2014 et 2016, les CTA subventionnées se trouvant dans le secteur public au Bénin et au Ghana sont, pour la grande majorité, achetées par la PMI ainsi que par le Fonds mondial6. Elles sont fabriquées par les deux multinationales européennes – Novartis et Sanofi-Aventis – et par deux firmes indiennes productrices de génériques, Ipca et Cipla. La politique d’approvisionnement du Fonds mondial et de la PMI étant conditionnée à l’achat de CTA certifiées par la préqualification de l’OMS, les sources d’approvisionnement ne varient pas entre le Bénin et le Ghana avec, dans les deux cas, une forte prédominance du Coartem fabriqué par Novartis, que l’on retrouve en grande majorité dans les centres de santé et les hôpitaux publics.
5Au Bénin, les CTA subventionnées sont uniquement mises à disposition dans le secteur public et sont achetées en grande partie par la PMI. Seules les formes pédiatriques de CTA, qui sont distribuées par l’intermédiaire de relais communautaires, sont achetées par le Fonds mondial et plus minoritairement par l’Unicef. Le traitement par CTA subventionnées coûte au moment de notre étude entre 150 et 600 francs CFA (entre 0,22 et 0,91 euro) en fonction de l’âge et du poids du patient. La politique nationale prévoit la gratuité des traitements pour les moins de 5 ans. Au Ghana, les CTA subventionnées, achetées pour la plupart avec les dotations du Fonds mondial, sont distribuées également dans le secteur privé à partir de 2010 par l’intermédiaire du mécanisme de l’Affordable Medicine Facility malaria (AMFM), un programme pilote développé dans huit pays par le partenariat public-privé Roll Back Malaria7, mis en œuvre et géré par le Fonds mondial. Par un mécanisme de cofinancement, l’AMFM paie 95 % du prix des CTA fournies par six firmes avec lesquelles le Fonds mondial a négocié une baisse des prix de 80 % (Davis et al., 2013). Le Fonds mondial fixe le prix auquel les fabricants doivent vendre les CTA aux first-line buyers, des grossistes importateurs privés, pour lesquels les CTA reviennent à 5 % du prix négocié, puisque le Fonds mondial en paie 95 %. Les CTA de l’AMFM sont vendues au Ghana à 1,5 cedi ghanéen8 (GHC), équivalent à un peu moins de 1 USD, alors que le prix de celles produites localement par la firme Danadams par exemple varie entre 3,4 et 5,4 GHC, soit deux à trois fois plus. Les objectifs de l’AMFM sont de favoriser l’utilisation des CTA en diminuant leur coût afin d’en augmenter l’accessibilité et la disponibilité dans le secteur public, mais surtout et essentiellement dans le secteur privé. En plus d’être distribuées dans les centres de santé publics, les CTA ainsi subventionnées sont également disponibles dans les centres de santé privés, les pharmacies et les OTCMs. Il en résulte la coexistence, sur les marchés privés ghanéens, de CTA produites localement et d’autres importées dont certaines sont préqualifiées par l’OMS.
6L’AMFM a permis d’ouvrir le marché des CTA subventionnées mises à disposition dans le marché privé à un plus grand nombre de firmes asiatiques. En effet, les CTA subventionnées par cette initiative sont à la fois fabriquées par les multinationales suisse et française, Novartis et Sanofi-Aventis, mais également par des producteurs indiens de génériques (Artefan d’Ajanta Pharma, Lumartem de Cipla, AL d’Ipca) et un chinois (Arsuamoon de Guilin). L’AMFM s’est ainsi avérée très utile pour faire progresser les activités et la croissance de ces entreprises, qui opéraient déjà dans le monde entier. À l’issue de la phase pilote de deux ans de l’AMFM, le mécanisme devient en 2014 le Private Sector Copayment Mechanism (PSCM) et est proposé à l’ensemble des pays soutenus par le Fonds mondial. Les fabricants, au nombre de sept, restent les mêmes que durant l’AMFM, à l’exception de deux fabricants indiens de génériques qui ont été ajoutés : Strides Arcolab Ltd, qui fabrique Combiart, et MacLeods avec Lumiter.
7Le déploiement de l’AMFM puis du PSCM au Ghana permet aux CTA asiatiques de capturer des parts du marché subventionné bien plus importantes qu’au Bénin où ni l’AMFM ni le PSCM n’ont été mis en œuvre. Toutefois, durant le PSCM, le nombre de first-line buyers pour l’achat des CTA est réduit à 15, alors qu’ils étaient 31 lors de l’AMFM. Les financements accordés au Ghana sont de plus largement revus à la baisse pour atteindre 20 millions de USD en 2014 et 10 millions pour chacune des années 2015 et 2016, alors qu’ils s’élevaient au moment de l’AMFM à 28 millions pour la seule année 2011 (Anadach Group, 2012). La baisse des financements et du nombre d’acheteurs sous le PSCM n’a probablement pas permis aux CTA de Strides Arcolab Ltd et MacLeods de capturer autant de parts de marché que leurs concurrents déjà bien implantés à l’occasion de l’AMFM. Le prix des CTA subventionnées avait également augmenté légèrement sous le PSCM. Le traitement était vendu au moment de nos enquêtes entre 1 et 6 GHC, soit entre 0,2 et 1,2 USD environ, en fonction de l’âge et du poids du patient.
8Si ces mécanismes permettent une large distribution des CTA asiatiques et européennes, ils conduisent en revanche dans un premier temps les firmes locales au Ghana à suspendre leur production de CTA. Durant l’AMFM, il devient beaucoup plus rentable d’être distributeur que de fabriquer ses propres CTA puisque les first-line buyers n’ont à payer que 5 % du prix négocié par le Fonds mondial et peuvent ainsi réaliser des marges supérieures à celles des producteurs locaux9. L’AMFM constitue en ce sens une subvention publique très importante pour le secteur de la distribution privée. C’est sur cet argument que s’appuie le ministère de la Santé du Ghana pour inciter les industriels ghanéens, pour la plupart également importateurs et distributeurs, à participer à l’AMFM au titre de first-line buyers (Pourraz, 2019). Le PSCM est limité pour sa part à une période de trois années à l’issue de laquelle il n’est pas renouvelé au Ghana. L’arrêt de la mise à disposition des CTA subventionnées dans le secteur privé, intervenu en 2016 à la fin de nos études de terrain, permet alors aux industries locales d’envisager à nouveau de produire des CTA pour reconquérir les parts qu’elles détenaient sur le marché privé domestique local.
Les CTA non subventionnées des firmes asiatiques, africaines et européennes
9À travers des observations menées en 2007, nous avons souligné précédemment qu’avant la mise à disposition des CTA subventionnées au Bénin et au Ghana, différentes combinaisons de fabrication indienne ou ghanéenne étaient déjà proposées à un coût relativement peu élevé dans les chemical shops (actuels OTCMs) du Ghana (autour de 2,5 USD), alors que des CTA produites par des firmes européennes ou asiatiques n’étaient disponibles qu’à des tarifs plus élevés (autour de 6 euros) dans les officines privées et les centres de santé publics du Bénin (Baxerres, 2013 a). Une autre étude, conduite en 2012, alors que les mécanismes mis en place dans le secteur privé par le Fonds mondial (AMFM, puis PSCM) venaient de démarrer au Ghana, montre qu’une diversité comparable de CTA était distribuée à cette époque dans le secteur privé détaillant des deux pays. Qu’elles portent un nom commercial ou la dénomination commune internationale, 41 CTA avaient été comptabilisées au Bénin, contre 55 au Ghana ; la différence s’expliquant par la présence à l’époque de cinq industriels ghanéens dont la production n’était pas disponible au Bénin. Mis à part les firmes ghanéennes, les mêmes producteurs (principalement asiatiques, mais aussi européens et africains) approvisionnaient le secteur privé des deux pays (Baxerres et al., 2015).
10Deux à trois ans plus tard, selon nos études Globalmed, le marché des CTA s’était sensiblement modifié dans les deux pays. Le Bénin proposait un nombre beaucoup plus important de produits et une diversité beaucoup plus grande de types de combinaisons que le Ghana. Lors de nos inventaires dans les lieux de distribution publics comme privés, nous avons comptabilisé 49 CTA différentes10 au Bénin, contre 22 au Ghana (tableau 5). Plusieurs d’entre elles n’étaient distribuées que dans un des deux pays : 41 des CTA vendues au Bénin ne l’étaient pas au Ghana et 12 des CTA distribuées au Ghana ne l’étaient pas au Bénin. La comparaison de la liste des AMM de CTA, fournie à cette époque par les autorités nationales de régulation pharmaceutique, la FDA du Ghana et la DPMED du Bénin, indiquait 71 CTA différentes au Bénin contre 42 au Ghana11. En outre, le Bénin proposait huit sortes de combinaisons à base d’artémisinine différentes, contre trois au Ghana, nous reviendrons dans la suite du chapitre sur cet aspect. Les prix de ces médicaments variaient suivant les marques dans les deux pays. Le traitement pour adulte par CTA non subventionnées, vendu dans le secteur privé détaillant au Bénin, s’échelonnait entre 1 425 et 4 660 francs CFA, soit entre 2 et 7 euros environ. Au Ghana, le prix du traitement pour adulte par CTA variait dans le secteur privé, comprenant CTA subventionnées et non subventionnées, de 3,5 à 36,24 cedis, soit entre environ 0,7 et un peu plus de 7 USD en fonction des marques et des lieux de distribution12.
11La provenance des CTA non subventionnées était différente entre les deux pays (tableau 5). Si les firmes indiennes y étaient également majoritaires, elles étaient plus nombreuses au Bénin (25 contre 10 d’après nos inventaires), tout comme les firmes européennes (13 au Bénin contre 4 au Ghana) et chinoises (7 au Bénin contre 2 au Ghana). Les firmes africaines étaient en nombre quasi équivalent (5 au Ghana, 4 au Bénin). En revanche, il s’agissait presque uniquement de firmes locales au Ghana (4 sur 5)13, alors qu’au Bénin, ces médicaments provenaient de firmes d’autres pays francophones (Côte d’Ivoire, République démocratique du Congo, Togo)14. La production locale ghanéenne, bien que mise en difficulté par l’AMFM comme nous venons de le voir, modifie néanmoins quelque peu la structure du marché des CTA dans ce pays. Étonnamment, seules 14 CTA avaient une AMM commune dans les deux pays. Il s’agissait principalement des produits des firmes européennes et des grands génériqueurs asiatiques positionnés sur les marchés subventionnés. Concernant les firmes indiennes, autres que les 6 principales susmentionnées, 14 intervenaient au Bénin et pas au Ghana et 9 au Ghana mais pas au Bénin.
Tableau 5. Évolution des marchés de CTA au Bénin et au Ghana.
Bénin | Ghana | |
Nombre de CTA distribuées en 2012 | 41 | 55 |
Nombre d’AMM pour des CTA en 2014 | 71 | 42 |
Nombre de CTA distribuées en 2015 | 49 | 22 |
Nombre de CTA en circulation en 2015 | 8 | 3 |
Provenance des CTA en 2015 | 25 indiennes, 13 européennes, 7 chinoises, 4 africaines | 10 indiennes, 4 européennes, 2 chinoises, 5 africaines |
Source : Carine Baxerres.
12Bien sûr, ces chiffres n’illustrent pas le poids variable des différentes firmes en termes de volumes de médicaments distribués ou de chiffres d’affaires. Les travaux de Fabienne Orsi et ses collaborateurs soulignent que l’année 2012 constitue un tournant majeur concernant les marchés subventionnés de CTA (Orsi et al., 2018 ; Orsi et Zimmermann, 2015). Alors que jusqu’en 2008, comme précisé précédemment, Novartis est la seule firme à produire une CTA préqualifiée par l’OMS, l’arrivée de Sanofi cette année-là commence à changer la donne. Puis, entre décembre 2008 et décembre 2009, entrent sur ce marché trois CTA produites par les firmes indiennes Ajanta, Cipla et Ipca, qui avaient obtenu la préqualification de l’OMS pour leur AL. L’arrivée des concurrentes indiennes a progressivement mis fin au monopole de Novartis. En 2012, les CTA des trois firmes indiennes représentaient 67 % du volume acheté pour le secteur public avec les subventions du Fonds mondial en Afrique (Orsi et al., 2018)15. Dans le cadre du programme Globalmed, nos travaux à la croisée des approches qualitative et quantitative donnent aussi quelques indications sur le poids respectif des différentes firmes présentes sur les marchés privés en 2015 et 2016. Les données recueillies lors de l’ethnographie menée auprès de deux grossistes d’Okaishie à Accra soulignent que les firmes, surtout indiennes (6 d’entre elles) et un peu moins chinoises (2), sont très présentes. Elles représentaient plus de 80 % des ventes de CTA chez ces grossistes. Novartis, pour sa part, avec son Coartem subventionné et non subventionné, comptait pour 14 % des ventes de CTA16. Les firmes indiennes, dont les produits n’étaient pas subventionnés, représentaient 27 % des ventes de CTA. Les produits des deux firmes indiennes en question étaient chacun distribués exclusivement par un grossiste ghanéen. L’un de ces deux grossistes était par ailleurs fabricant de médicaments. En revanche, comme précisé précédemment, les firmes locales étaient quasiment absentes des ventes de CTA (3,5 %). Au Bénin, à partir des données de vente collectées pendant deux mois lors de nos ethnographies dans deux pharmacies à Cotonou, une pharmacie et un dépôt pharmaceutique dans le département du Mono, alors qu’y sont uniquement distribuées les CTA non subventionnées, Novartis représentait un peu plus de 7 % des ventes, les firmes indiennes et chinoises un peu plus de 65 % (55 % et 10,1 % respectivement), le reste correspondant aux produits de firmes européennes.
13Dans la partie qui suit, nous proposons d’analyser le rôle des acteurs nationaux et transnationaux interagissant autour de la régulation des marchés subventionnés. Puis en lien avec les marchés privés, nous nous attacherons à analyser le poids des acteurs économiques qui s’y investissent ainsi que les stratégies commerciales qu’ils déploient.
Mise en concurrence et partage des marchés
Entremêlement des régulations administratives et de la Global Health
La construction des marchés subventionnés de CTA par les acteurs de la Global Health
14La présence des CTA produites par Novartis, Sanofi-Aventis, Ajanta, Cipla et Ipca dans les formations sanitaires publiques et, à partir de 2010, dans une partie du secteur privé ghanéen s’explique par la façon dont s’est constitué le marché global des CTA. Celui-ci, tout comme ceux des autres médicaments mis à disposition des pays via des programmes de Global Health (antirétroviraux, antituberculeux, contraceptifs, etc.), est gouverné par un triptyque de normes à la fois biomédicales, techniques et financières définies par l’OMS et les acteurs transnationaux (Fonds mondial, PMI). L’industrie pharmaceutique produisant ces médicaments est fortement liée à l’orientation des politiques internationales de santé publique et des acteurs de la Global Health qui les financent (Fournier et al., 2014). L’OMS joue un rôle déterminant de prescripteur (Orsi et Zimmermann, 2015) par la définition du traitement de référence et l’élaboration des normes techniques à travers la publication de recommandations d’usage et de lignes directrices, mais aussi par le biais de la liste des médicaments essentiels qu’elle a éditée pour la première fois en 1977 et qu’elle actualise régulièrement.
15L’OMS intervient également dans le processus de certification de la qualité des CTA à travers son département de préqualification (Lantenois et Coriat, 2014). La préqualification de l’OMS nécessite que les sites de production soient conformes aux BPF, exigeant de la part des firmes des investissements importants pour leur mise aux normes et que les médicaments génériques produits soient similaires au médicament de référence. Cela leur demande aussi la conduite d’études de bioéquivalence très onéreuses, mais différemment en fonction des lieux où elles sont réalisées. Ainsi, les financements internationaux conditionnés à l’achat de CTA préqualifiées par l’OMS favorisent certaines industries pharmaceutiques ayant les moyens d’acquérir la préqualification, à savoir les multinationales et les gros producteurs asiatiques de génériques, au détriment des industries locales. C’est ainsi qu’en 2017, sur un total de 46 médicaments antipaludiques approuvés globalement par la préqualification de l’OMS, près de la moitié (21) étaient produits par des firmes indiennes, 13 par d’autres firmes asiatiques et 12 par des multinationales occidentales17 (Singh, 2018). La préqualification OMS agit pour les producteurs africains comme une barrière à l’entrée des marchés subventionnés et contribue à une hiérarchisation des marchés et des producteurs de génériques. Le système normatif, véhiculé ici par les acteurs de la Global Health, par son pouvoir d’intégration ou d’exclusion, devient un outil de régulation des marchés qu’ont su mobiliser à leur avantage les acteurs industriels du Nord et les principaux producteurs de génériques au Sud. Il contribue à ce qu’un certain type de CTA soit disponible dans le secteur public mais aussi dans le marché privé ghanéen, via l’AMFM puis le PSCM. Les effets de cette régulation dans les marchés privés sont différents de ceux observés dans le secteur public, où la plupart des CTA sont vendues à très bas coût, voire données gratuitement à certaines catégories de la population telles que les enfants en bas âge au Bénin. Néanmoins, en imposant un prix de vente aux intermédiaires privés, l’AMFM et le PSCM imposent dans le secteur privé ghanéen une forme de régulation cette fois-ci économique contraire aux règles de marché ghanéennes, qui encouragent la loi de l’offre et de la demande et la libre concurrence entre les acteurs économiques. Le Ghana, contrairement au Bénin, laisse le prix des médicaments libre. Mais le fait que les CTA de l’AMFM et du PSCM soient vendues bien moins chères que leurs concurrentes et que les intermédiaires de la distribution puissent profiter d’une marge confortable sur ces produits contribue à ce que l’AMFM puis le PSCM évincent du marché les autres CTA qui pouvaient y circuler. Ceci a été aussi le cas du marché informel béninois où seules les CTA subventionnées par l’AMFM étaient distribuées par les vendeurs détaillants (Baxerres et al., 2015).
16À l’issue du PSCM en 2017, le Fonds mondial s’est engagé dans l’évaluation des capacités de production pharmaceutique en Afrique afin de pouvoir s’approvisionner localement en médicaments18. L’Usaid, une des agences de la coopération américaine dans le champ de la santé, s’inscrit également dans cette nouvelle tendance, mais contribue pour sa part directement à la mise aux normes des BPF d’unités de production pharmaceutique, comme au Nigeria, en vue de s’approvisionner localement pour certains médicaments19.
17La préqualification OMS ne se substitue néanmoins pas à l’enregistrement des médicaments par les autorités nationales de régulation. Les firmes doivent également se conformer à la régulation nationale des pays pour l’enregistrement et la mise à disposition de leurs produits, aussi bien pour le secteur public que sur les marchés privés.
La régulation par les États : entre soucis de santé publique et intérêts commerciaux
18Si la préqualification de l’OMS permet de garantir la qualité du médicament, elle ne dispense pas le fabricant, ou tout autre distributeur, de demander une AMM dans les pays où ils souhaitent mettre le produit à disposition. Les régulateurs délivrent des AMM en se basant principalement sur les informations communiquées par les industriels et contenues dans un dossier, qui constitue une représentation écrite du médicament (Hauray, 2006). Exigeant la production de nombreux documents et la vérification de l’efficacité et de l’innocuité des traitements produits par les firmes, l’AMM constitue une forme remarquable de contrôle étatique (Urfalino, 2007). Le Bénin et le Ghana sont équipés d’appareils réglementaires, bien que très différents (voir chapitre 1), permettant de conduire les activités d’enregistrement des médicaments, de contrôle et de certification de leur qualité et de leur innocuité, avant que ceux-ci ne soient distribués au public. Monopoles de l’État à travers leurs autorités nationales de régulation, ces activités composent la manière la plus traditionnelle de réguler les médicaments, celle que Jean-Paul Gaudillière et Volker Hess20 (2013) qualifient de régulation administrative.
19Au Bénin et au Ghana, les étapes de la procédure pour l’octroi d’une AMM sont assez similaires : de la réception à l’analyse du dossier pharmaceutique, celle-ci se concentrant sur les aspects techniques comme la sécurité, l’innocuité et l’efficacité, ainsi que sur l’intérêt thérapeutique des produits de santé. Dans les deux cas, ces aspects techniques du dossier sont revus par un groupe d’experts et des analyses sont réalisées en laboratoire sur des échantillons du médicament fournis par la firme demandeuse. Au Ghana, un rapport d’une inspection conduite par la FDA est ajouté au dossier, ce qui n’est pas le cas au Bénin puisque la DPMED ne réalise pas d’inspections de sites de production de médicaments à l’étranger (voir chapitre 1). Les évaluations des experts, les résultats des tests de contrôle qualité et ceux des inspections dans le cas du Ghana, sont alors ajoutés au dossier sur lequel statue une commission chargée de décider d’enregistrer le médicament dans le pays pour sa commercialisation.
20Des différences émergent néanmoins dans les pratiques des deux autorités nationales de régulation21. C’est ainsi qu’au Bénin, dans le cas d’une molécule déjà largement disponible sur le marché et ne présentant pas d’avantages thérapeutiques, les experts en charge de l’évaluation des dossiers de demandes d’AMM sont aussi amenés à comparer le prix grossiste hors taxes proposé par la firme pharmaceutique avec ceux des médicaments déjà disponibles22. Si en principe le prix proposé doit être inférieur pour que l’AMM puisse être délivrée, nos observations montrent que ce critère n’est généralement pas retenu. Ceci favorise la mise en circulation de produits sur un marché déjà largement saturé par le nombre de médicaments disponibles.
21En revanche, au Ghana, il n’existe pas de critères visant à limiter le nombre de médicaments me-too23. Les approches plus libérales adoptées par les autorités sanitaires ghanéennes en matière d’enregistrement et de distribution pharmaceutique auraient logiquement dû conduire à un nombre bien plus important d’AMM délivrées pour les CTA qu’au Bénin, dont les autorités sanitaires disent promouvoir un mode de régulation plus contrôlé et administré en matière de distribution pharmaceutique. Or si l’on se réfère au nombre d’AMM délivrées au Bénin et au Ghana, la réalité est toute autre. Comme cela a été exposé précédemment, la comparaison des listes d’AMM délivrées pour les CTA soulignait l’existence de 71 CTA différentes au Bénin contre 42 au Ghana. Le Bénin proposait par ailleurs une diversité beaucoup plus grande de types de combinaisons que le Ghana. C’est ainsi qu’en plus de la combinaison AL recommandée en première intention par la politique nationale et de l’Asaq recommandée dans certains cas précis (PNLP, 2005), étaient disponibles au Bénin six autres combinaisons ne faisant pas l’objet de recommandations d’usage par l’OMS ou par le programme national de lutte contre le paludisme24. Ceci n’est en revanche pas le cas du Ghana qui, au-delà de l’AL, également très majoritaire, distribuait de l’Asaq et de la dihydroartémisinine-pipéraquine, toutes trois recommandées par la politique nationale de lutte contre le paludisme (Ministry of Health, 2010). Le fait que la FDA au Ghana restreigne les enregistrements de CTA aux trois combinaisons recommandées officiellement par les directives nationales de prise en charge limite le nombre d’AMM et permet aux firmes ne produisant que ces combinaisons de pénétrer les marchés privés. Ce phénomène de contrôle est par ailleurs renforcé par l’AMFM et le PSCM, qui permettent uniquement la distribution de ces trois types de CTA sur les marchés privés. Ceci contribue aussi à limiter l’arrivée de nouvelles combinaisons et à freiner la concurrence sur un marché qui, au Ghana, n’est justement pas régulé par l’État à proprement parler, mais gouverné par la loi de l’offre et de la demande25. En ce qui concerne le secteur public, le Fonds mondial et la PMI sont contraints de n’acheter que les CTA recommandées par les politiques nationales, limitant là aussi le type de combinaisons disponibles dans les formations sanitaires publiques. Les différents modes de régulation qui se déploient autour de la mise à disposition des CTA, à la fois portés par les programmes de Global Health et par les États, contribuent à un entremêlement des régulations institutionnelles nationales et globales.
22L’alignement des enregistrements de CTA par la FDA sur les recommandations du National Malaria Control Program met en évidence la robustesse de la FDA au Ghana (voir chapitre 1). Il souligne la prise en compte des intérêts de santé publique au détriment des logiques commerciales et le souci, exprimé par les autorités de régulation ghanéennes, de favoriser des utilisations adéquates des CTA. Bien que globalement plus libéral, le marché privé ghanéen est finalement beaucoup plus régulé en matière de CTA que celui du Bénin, où les CTA enregistrées par la DPMED ne sont pas alignées sur les combinaisons recommandées par la politique nationale. Ainsi, dans une même pharmacie béninoise, pas moins d’une cinquantaine de CTA différentes sont disponibles à la vente, ce qui n’est pas le cas au Ghana où, en outre, les pharmacies ne sont pas tenues de distribuer l’essentiel des médicaments autorisés dans le pays : seules six à sept CTA différentes y sont généralement disponibles. S’ajoute ainsi à cette régulation, celle opérée par l’AMFM, dont le fonctionnement, comme nous l’avons montré dans la partie qui précède, « a “nettoyé” le marché de toutes les autres CTA qui pouvaient y circuler » (Baxerres et al., 2015 : 151).
23En revanche, si l’on se base sur une classe thérapeutique non régulée par les acteurs transnationaux, telles que les anthelminthiques, et où les enjeux de santé publique sont moins importants que pour la prise en charge du paludisme, alors la situation se trouve inversée. Les AMM délivrées pour des médicaments constitués d’albendazole ou de mébendazole étaient au nombre de 23 au Bénin contre 57 au Ghana26. Cette observation corrobore l’hypothèse que, contrairement au Bénin, le marché privé des CTA au Ghana est régulé à la fois par l’alignement de leurs enregistrements sur les recommandations de la politique nationale et par les initiatives de la Global Health, celles de l’AMFM et du PSCM, qui limitent la mise à disposition des CTA à une certaine catégorie de médicaments.
24Enfin, il importe de souligner une autre forme de régulation nationale active au Ghana et pas (ou peu) au Bénin. Le Ghana est un des rares pays d’Afrique subsaharienne à avoir mis en œuvre à partir de 2003 un programme national d’assurance universelle maladie, le National Health Insurance System (NHIS) réellement effectif (Blanchet et al., 2012). La liste de médicaments remboursés par le NHIS constitue un moyen d’inciter les praticiens de santé à prescrire ces médicaments plutôt que d’autres non remboursés. En fixant les prix et le type de médicaments qu’il rembourse, le NHIS joue aussi un rôle clef dans le dispositif de régulation des médicaments sur les marchés privés, alors même, nous l’avons vu, qu’au Ghana les prix et les marges bénéficiaires des différents intermédiaires ne sont pas fixés par les autorités nationales. Les systèmes d’assurance maladie et leurs décisions concernant les médicaments à rembourser et à quel prix façonnent aussi les marchés pharmaceutiques (Gaudillière et Hess, 2013) et jouent un rôle important de régulation, nationale dans le cas du Ghana, qui s’entremêle à celles précédemment présentées27.
25Les marchés de CTA sont ainsi gouvernés au Ghana comme au Bénin par l’enchevêtrement des régulations institutionnelles nationales et de celles portées par les acteurs de la Global Health. Pour y pénétrer, les firmes pharmaceutiques sont contraintes d’adapter leurs stratégies aux caractéristiques de l’environnement institutionnel et réglementaire dans lequel elles opèrent (Singh, 2018).
Régulation marchande et stratégies commerciales des acteurs économiques
26Sur les marchés subventionnés de CTA, nous venons de le voir, ce sont les régulations institutionnelles développées par les acteurs nationaux et transnationaux qui sont les plus prégnantes. Sur les marchés privés non subventionnés, au-delà de la régulation administrative portant sur la délivrance des AMM, ce sont les régulations marchandes qui sont les plus actives. Elles sont développées par les acteurs économiques : firmes productrices et distributeurs.
Quand les firmes européennes et les « gros » génériqueurs asiatiques jouent sur plusieurs tableaux
27Tout d’abord, les firmes qui produisent des CTA préqualifiées par l’OMS, dont nous avons parlé précédemment, développent aussi des stratégies sur les marchés privés non subventionnés. Qu’elles soient occidentales ou asiatiques, elles proposent toutes des CTA non subventionnées, qui sont vendues dans les pharmacies privées des deux pays et les OTCMs et les centres de santé du Ghana. Elles jouent, si l’on peut dire, sur les deux tableaux et profitent ainsi de la hiérarchisation des marchés créée par le système de normes et de standards décrit précédemment au sujet de la préqualification OMS. Certaines de ces firmes vendent leurs produits non subventionnés sous le même nom commercial que leur CTA subventionnée. C’est le cas de Novartis et du Coartem qui est vendu dans les deux types de marchés, mais dont l’emballage diffère. Il s’agit d’un blister portant des illustrations dans le cas des marchés subventionnés et d’une boîte individuelle robuste, mais sans illustration dans le cas des marchés privés non subventionnés. Ce deuxième produit, bien que sa composition soit identique à celle du premier, n’est pas vendu au même prix et est perçu très différemment28. Il s’agit, selon les expressions locales, du original Coartem, vendu 25 GHC au Ghana et 4 085 francs CFA au Bénin (un peu plus de 6 euros), et qui n’est absolument pas perçu de la même manière que le Coartem ACTs, qui par le biais de l’AMFM coûte 4 GHC et 600 francs CFA (moins de 1 euro). Les parts de marché de Novartis n’en sont que décuplées dans les deux pays. C’est également le cas de la société indienne Cipla, qui vend son AL sous le même nom (Lumartem), mais à des prix différents pour les marchés public et privé. Pour certains auteurs, « ce comportement indique la stratégie de l’entreprise pour gagner en légitimité » (Singh et Orsi, 2018 : 48). D’autres firmes vendent leur produit sous DCI dans les marchés subventionnés et sous nom commercial dans les marchés non subventionnés. Ces noms commerciaux peuvent varier d’un pays à l’autre. La firme Ipca, par exemple, vend de l’AL subventionné qu’elle commercialise sous le nom de Laritem au Bénin et Lumarex au Ghana dans le marché privé à des prix supérieurs (environ 4 euros). Sanofi vend de l’Asaq Winthrop dans les marchés subventionnés et Coarsucam à près de 4 000 francs CFA dans les officines privées du Bénin. Certaines firmes vendent une combinaison de CTA pour les marchés subventionnés et une autre dans les marchés non subventionnés. D’autres firmes encore développent une stratégie privée dans un pays alors qu’elles ne sont présentes que via les marchés subventionnés dans un autre. C’est le cas de l’indienne Strides Arcolab, qui vend son Combiart subventionné au Ghana à moins 1,5 GHC (moins de 1 USD) et le même médicament uniquement pour les marchés non subventionnés au Bénin à près de 3 000 francs CFA (4,5 euros). Ces différentes configurations autour des noms commerciaux et des DCI des produits et de leur présence sur des marchés spécifiques relèvent toutes de stratégies de marketing savamment mises au point par les firmes en fonction des contextes nationaux et des segments de marché visés. Concernant les multinationales de la pharmacie, Sudip Chaudhuri parle à ce sujet de « la stratégie de la double marque », qui « leur permet d’être présentes non seulement sur le segment de marché insensible au prix mais aussi sur le segment sensible au prix » (Chaudhuri, 2016 : 108). Les firmes doivent aussi prendre en compte les régulations transnationales en place, et ici notamment la présence ou non des initiatives AMFM puis PSCP dans les marchés privés.
28Pour cette dernière raison, comme précisé précédemment, certaines sociétés européennes, dont les CTA ne sont pas préqualifiées par l’OMS, sont présentes sur les marchés privés non subventionnés du Bénin mais pas du Ghana. C’est le cas des françaises Bailly-Creat et Medicale Pharmaceutique, de la belge Dafra Pharma, des suisses Mepha et Nyd Pharma et de l’allemande Denk Pharma. Cette plus grande proportion de firmes européennes au Bénin s’explique aussi par des approvisionnements pharmaceutiques dans le secteur privé encore beaucoup centrés sur la France et l’Europe dans ce pays (Baxerres, 2013 a). Ces firmes se sont souvent spécialisées dans les médicaments génériques. Plusieurs d’entre elles ne sont pas productrices mais distributrices à l’échelle internationale ; ce sont des centrales d’achat qui achètent des produits qu’elles font façonner à leur marque et les revendent dans plusieurs pays, notamment d’Afrique.
Quand les petites et moyennes firmes indiennes et ghanéennes reprennent des parts de marché
29Les firmes indiennes produisant des CTA non préqualifiées par l’OMS développent également des stratégies commerciales pour conquérir les marchés privés du Bénin et du Ghana. L’industrie indienne est décrite globalement comme la « pharmacie du monde en développement » et donc de l’Afrique, qui représente la deuxième destination de ses exportations pharmaceutiques après l’Amérique du Nord29. Au-delà, elle représente 20 % de l’offre mondiale de génériques et réalise plus de 50 % de son chiffre d’affaires total en exportant vers quasiment tous les pays du monde (Singh, 2018). Elle se situe au troisième rang mondial de producteurs de produits pharmaceutiques (Horner et Murphy, 2018). En dehors des « gros » producteurs de génériques indiens, qui ont les capacités financières et technologiques pour intégrer les marchés hautement régulés des pays « du Nord » ou ceux subventionnés, il existe de nombreuses petites et moyennes firmes indiennes qui réalisent une part importante de leurs revenus sur les « marchés semi-regulés » en Asie et en Afrique (Chaudhuri, 2016 ; Singh, 2018)30. Certaines se spécialisent d’ailleurs exclusivement sur ces marchés, voire sur celui d’un seul pays, il en a été question ci-dessus. Les firmes indiennes développent différentes stratégies. Sauman Singh a proposé une catégorisation des trois différents « modes d’entrée » qu’elles développent pour intégrer les marchés d’autres pays, chacun ayant ses avantages et ses inconvénients : 1) l’export ; 2) les accords contractuels (licence, franchise, contrat de gestion) ; 3) la production dans les pays visés par joint-ventures ou par l’acquisition d’une firme dans le pays d’implantation. Concernant les opérations de marketing que requiert l’exportation, la firme indienne peut soit passer par un intermédiaire indien (exports indirects), soit par ses propres circuits, soit en utilisant un ou plusieurs intermédiaires locaux (exports directs). « Pour réduire l’incertitude, les entreprises commencent leur activité internationale par l’exportation indirecte vers des pays où la distance psychique perçue est faible. En d’autres termes, elles choisissent des pays qui sont comparativement bien connus et similaires en termes de pratiques commerciales, d’éducation, de développement industriel et d’autres facteurs. » (Singh, 2018 : 18-19). C’est ce que nous avons montré précédemment : les génériques en provenance d’Inde ont été introduits en Afrique de l’Ouest par les pays anglophones, notamment dès les années 1970 au Ghana et au Nigeria, qui font également partie du Commonwealth, avant d’intégrer plus tard, mais de manière exponentielle à partir de la fin des années 2000, les marchés des pays francophones (Baxerres, 2013 b).
30Partant du cas du marché pharmaceutique malien, Sauman Singh souligne que c’est exclusivement par l’exportation que les firmes indiennes se sont introduites dans les pays francophones d’Afrique. C’est aussi le cas du Bénin, qui fait figure de pays pionnier en la matière en Afrique de l’Ouest jusqu’en 2012 où il est rattrapé par les autres pays. Les firmes indiennes doivent recourir aux services des grossistes répartiteurs en exercice au Bénin, qui distribuent tous globalement les mêmes produits aux mêmes prix (voir chapitres 2 et 3). « En ce qui concerne l’Afrique subsaharienne, l’entrée sur le marché par l’exportation est facilitée par le régime de libre-échange en vigueur, la plupart des pays n’imposant pas de droits de douane sur les importations de formulations finies. L’exportation permet aux entreprises indiennes de tirer parti de leur production nationale à faible coût. En outre, il s’agit d’un mode d’entrée à faible risque qui ne nécessite pas d’investissement direct dans les pays hôtes, ce qui est plus coûteux et les entreprises risquent de perdre le capital si l’engagement sur le marché étranger échoue. » (Singh, 2018 : 153).
31Concernant les joint-ventures ou l’acquisition d’une firme dans le pays d’implantation, le chapitre 1 a montré que les conditions réglementaires et fiscales dans les pays francophones d’Afrique de l’Ouest ne sont pas propices à l’installation d’usines de production locale.
32La pénétration des marchés pharmaceutiques des pays anglophones se réalise de manière plus diversifiée, comme nos études l’ont mis en évidence au Ghana. Le chapitre 1 souligne, en plus de l’exportation classique, plusieurs joint-ventures de firmes indiennes ou acquisitions de firmes locales par celles-ci. Les exemples des firmes Unichem Industries Ltd, Eskay Therapeutics Ltd et Pharmanova Ltd, présentes localement, l’ont montré. En matière d’accords contractuels, nous avons observé des contrats passés par des firmes indiennes avec des grossistes privés ghanéens, qui obtiennent parfois l’exclusivité d’un ou plusieurs produit(s) de la firme en question. Il est dit localement que le grossiste a ainsi « le monopole » de tel ou tel produit. Les « contrats de fabrication » (contracts manufacturing) sont un autre type d’accords possible et, dans ce cas, c’est le grossiste ghanéen qui fait fabriquer par une firme indienne des produits à sa propre marque. Nous avons observé plusieurs cas de CTA produites par contrat de fabrication au Ghana, notamment lorsque le PSCM commençait à être moins efficient. Un grossiste privé ghanéen explique à ce sujet : « J’ai créé le concept d’AL, arthéméther-luméfantrine, le SS signifie single strength [une force], c’est-à-dire 20/120 mg. Ensuite, j’ai le DS qui est un double strength, 40/240 mg et enfin le forte qui est le 80/480 mg. J’ai commencé l’enregistrement de ces produits en 2013. Et cela a été fait en 2014. Et j’ai commencé cela parce que nous avons réalisé que l’AMFM n’allait pas être durable. Donc, si l’initiative AMFM ne va pas être durable alors cela signifie qu’après l’AMFM, après le private sector co-payment mechanism, il y aura un vide [...] Donc stratégiquement, j’ai décidé d’apporter le mien au cas où le Fonds mondial ne serait pas intéressé à continuer. Ou au cas où il ne serait pas financé de manière adéquate, et dans ce cas nous aurions toujours des antipaludiques efficaces à donner à notre peuple [...] Pas trop cher. Je vends le mien à 8 cedis alors que celui du Fonds mondial est vendu à 4,5 [...] Au début, à partir de 2010, il n’était pas rentable d’importer des antipaludiques, mais maintenant, c’est très rentable... » (entretien, Accra, 15 mars 2016).
33Certains des grossistes ghanéens qui s’investissent à cette époque dans des contrats de fabrication avec des firmes indiennes pour distribuer des CTA utilisent d’ailleurs des emballages qui ressemblent extrêmement à ceux des CTA subventionnées (voir portfolio, photo 12).
34Les grossistes ghanéens se chargent alors de la promotion des produits. Ces contrats sont bénéfiques pour les parties indiennes comme ghanéennes. « Le principal avantage des entreprises indiennes est leur capacité de production à faible coût, mais elles manquent d’informations sur le marché, de canaux de distribution et de ressources humaines pour la promotion des produits dans les pays d’accueil. Les opérateurs locaux, en revanche, connaissent bien les spécificités du marché de leur pays. Ils possèdent des atouts sur les réseaux locaux de marketing et de distribution, ont une intelligence des marchés locaux et peuvent facilement accéder au marché du travail. En outre, ils connaissent bien les cadres réglementaires, ont des contacts dans les administrations et savent comment faire avancer les choses » (Singh, 2018 : 157).
35Ainsi, certaines CTA non subventionnées produites en Inde, et pour lesquelles le grossiste ghanéen qui en a l’exclusivité a développé une promotion très efficace, obtiennent de nombreuses parts de marché. C’est le cas de Lonart, fabriqué par une firme indienne de taille moyenne, Bliss GVS, et distribué au Ghana exclusivement par l’un des plus importants grossistes en exercice dans le pays, Tobinco31.
36Avec la fin de l’AMFM et la moindre efficience du PSCM, la plupart des firmes productrices ghanéennes se sont également remises à parier sur les CTA, avec un temps de retard néanmoins par rapport aux grossistes fonctionnant par contrat de fabrication, en raison de la remise en route chronophage de leur chaîne de production de CTA et de la difficulté pour elles de se repositionner sur les marchés (trouver des distributeurs, gagner des parts de marché). En 2016, la firme Entrance par exemple enregistrait Lufart, une combinaison d’AL, et commençait à développer une autre CTA (à base de dihydroartémisinine-pipéraquine). Certaines de ces firmes, tout comme souligné précédemment pour les grossistes, utilisaient également des emballages proches de celui des CTA subventionnées.
37Au-delà des producteurs et des distributeurs grossistes, les détaillants comme les consommateurs participent aussi à la régulation marchande des médicaments lorsqu’ils choisissent de distribuer ou d’acheter telle ou telle CTA, en lien avec la stratification sociale des marchés pharmaceutiques. Il en sera question, concernant l’ensemble de l’offre de médicaments, dans les chapitres 10 et 11.
Conclusion
38Au-delà de la forme la plus traditionnelle de régulation pharmaceutique portée par les États, nous avons pu mettre en évidence l’entremêlement d’autres manières de réguler les CTA au Bénin et au Ghana : le « mode global » de régulation, développé par les acteurs de la Global Health (Pourraz, 2019) et le mode marchand, contribuant chacun et conjointement au façonnage des marchés pharmaceutiques. À chaque mode de régulation correspondent des combinaisons spécifiques de pratiques, de valeurs, de logiques, soulignant ainsi les diverses rationalités qui sous-tendent le processus de gestion des médicaments (Gaudillière et Hess, 2013). Interroger la régulation pharmaceutique dans les pays dits « du Sud » à travers le prisme des CTA exige donc de considérer à la fois le rôle des États, mais également le poids et les effets des programmes de Global Health, des industriels et des acteurs de la distribution privée. Nous verrons dans les chapitres suivants de quelles manières les prescripteurs, de même que les consommateurs de médicaments, participent également à la structuration de ces marchés.
39Les programmes de Global Health apparaissent structurer fortement les marchés pharmaceutiques dans les Suds concernant les produits subventionnés et utilisés dans le traitement des questions de santé prioritaires (sida, tuberculose, paludisme, contraceptifs, etc.), y compris dans les pays dont la distribution pharmaceutique est globalement largement libéralisée comme c’est le cas du Ghana. Face à cela, les génériqueurs asiatiques, les firmes locales africaines, mais aussi les firmes européennes – grosses ou plus petites – déploient des stratégies commerciales pour conquérir les marchés privés non subventionnés. Ces firmes sont relayées en cela par les distributeurs détaillants qui s’appuient sur les statuts socio-économiques des consommateurs pour leur proposer la CTA « qu’il leur faut ». Au Ghana, les grossistes locaux, qui sont en forte concurrence économique les uns vis-à-vis des autres, jouent un rôle non négligeable dans la structuration des marchés des CTA. Ils promeuvent notamment fortement les CTA des petites et moyennes firmes indiennes dont ils ont l’exclusivité de la vente ou dont ils commandent la fabrication pour eux-mêmes à travers des contrats de fabrication. Par ces jeux économiques de partage des marchés, les firmes dont les médicaments ne sont pas préqualifiés par l’OMS et les produits non subventionnés par les acteurs de la Global Health parviennent à capturer des parts non négligeables.
40Tout comme Mathieu Quet et ses collègues le soulignaient au sujet de la « régulation multiple » en Asie du Sud-Est, « confrontée à de multiples réalités et pratiques dans la vraie vie » (Quet et al., 2018 : 2), ce chapitre a mis en évidence l’empilement de différentes couches de régulation à l’œuvre concernant les marchés des CTA et les hiérarchies de médicaments qui en découlent. Aux régulations mises en place par les acteurs de la Global Health s’entremêlent celles portées par les acteurs nationaux concernant le paludisme (combinaisons recommandées) et plus largement les marchés pharmaceutiques (délivrance des AMM)32. En outre, des régulations marchandes sont à l’œuvre sur ces marchés : celles des firmes, dont les stratégies commerciales confectionnent des emballages attrayants et inventent des noms commerciaux, changeants en fonction des segments de marché et des pays visés ou invariables pour asseoir d’autant plus leur réputation. Il arrive que ces différentes régulations soient en conflit les unes avec les autres, comme le montrent régulièrement des procès en justice confrontant des industriels de la pharmacie et des États33. Ce n’était pas le cas, au moment de nos études, des situations que nous avons décrites, ces différentes régulations paraissant finalement s’accommoder fort bien les unes aux autres.
Notes de bas de page
1 Concernant ces partenariats, voir le chapitre précédent. Le rôle de la DNDI est de développer de nouveaux traitements pour les maladies négligées. Novartis est présentée comme la plus importante multinationale pharmaceutique et Sanofi comme la quatrième (Chaudhuri, 2016). Par acteurs transnationaux, nous entendons les différents types d’acteurs extranationaux qui interviennent aujourd’hui dans les pays dits « du Sud » sur des questions de santé publique : les institutions bilatérales (les différents services de coopérations) et multilatérales (Banque mondiale, Fonds mondial), les ONG, les fondations et les partenariats public-privé (Baxerres et Eboko, 2019).
2 Le Fonds mondial est une initiative multilatérale de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme créée en 2001 par le secrétaire général des Nations unies Kofi Annan. La President’s Malaria Initiative est le programme de coopération bilatérale américaine créée en 2005 par le président Georges Bush.
3 Au sujet de ces différents modes de régulation, se référer à l’introduction du livre.
4 La préqualification garantit la qualité et la similarité du générique par rapport au médicament de référence. Ce standard de qualité des médicaments est certifié par l’OMS au sujet à chaque fois d’un couple firme/produit.
5 Pour plus de détails quant à cet accord, se référer au chapitre précédent.
6 La Banque mondiale et l’Unicef s’impliquaient également au Bénin, mais dans des proportions beaucoup plus restreintes.
7 Le Ghana ainsi que le Kenya, Madagascar, le Niger, le Nigeria, l’Ouganda, la Tanzanie et le Cambodge ont bénéficié de la phase pilote de l’AMFM entre 2010 et 2012. Le partenariat Roll Back Malaria, qui réunit l’Unicef, le Pnud et la Banque mondiale, a été créé en 1998 par la directrice de l’OMS de l’époque, le Dr Gro Harlem Brundtland, dans le but d’apporter une réponse coordonnée à la lutte contre le paludisme à l’échelle mondiale.
8 La monnaie ghanéenne est le cedi (GHC), son taux fluctue régulièrement. 1 GHC coûte aux alentours de 0,2 USD.
9 Il est estimé que la marge des first-line buyers sur les CTA varie de 0,63 à 0,92 USD par traitement vendu (Pourraz, 2019).
10 Nous avons pris en compte ici le nom de commercialisation (DCI ou nom commercial) et le producteur. Les différents dosages que les firmes proposent en fonction du poids du malade ne sont pas intégrés dans ces chiffres.
11 Il y a ainsi une différence entre les AMM délivrées et les produits effectivement distribués dans les pays.
12 En fonction du cours fluctuant des monnaies, l’euro est généralement légèrement supérieur au dollar (1 euro ≈ 1,15 USD). Préciser les prix en euros pour le Bénin et en dollars pour le Ghana, comme c’est l’usage dans ces deux pays, permet de souligner l’influence de chacun de ces contextes financiers et par-delà culturels respectivement au Bénin et au Ghana.
13 La 5e firme africaine était localisée au Sénégal. Les CTA produites au Ghana étaient Camosunate et Danmether de la firme Danadams, Globartem et Gloderp d’African Global Pharma, Artifran et Asumod de Phyto Riker Gihoc et Malar-2 d’Ernest Chemists. Durant nos études de terrain au Ghana et au-delà des inventaires réalisés au début de la recherche, nous avons également rencontré Lumether de Kinapharma et Lumenate de Pharmanova, deux firmes également locales.
14 La seule firme pharmaceutique présente au Bénin, Pharmaquick, ne produisait pas de CTA (voir chapitre 1).
15 Les pays considérés dans cette étude sont la République centrafricaine, la Côte d’Ivoire, l’Éthiopie, la Gambie, le Kenya, le Mozambique, la Namibie, le Nigeria, le Rwanda, São Tomé et Príncipe, le Soudan, l’Ouganda, la Tanzanie, la Zambie et le Zimbabwe.
16 Il convient de prendre ces chiffres avec précautions. Ils ne se basent pas sur une analyse des prix, mais des volumes de vente. De plus, ils ne sont pas représentatifs du marché ghanéen puisqu’ils sont issus uniquement de deux grossistes. Or, les grossistes ghanéens sont très différents les uns des autres en termes de produits distribués et de chiffre d’affaires (Baxerres, 2018). L’un des deux grossistes ethnographiés, par exemple, était le distributeur exclusif d’une des CTA produite par une firme indienne, qui de ce fait était surreprésentée dans ses ventes.
17 Ces chiffres comprennent les différents dosages de chacun des médicaments.
18 En collaboration avec la Fédération des fabricants de produits pharmaceutiques africains (Fapma), le Fonds mondial a tenu en juin 2017 une réunion consultative avec les fabricants et les partenaires techniques basés en Afrique pour discuter de l’état des capacités locales de production pharmaceutique et des opportunités. Une enquête a été lancée pour permettre au département approvisionnement du Fonds mondial de réaliser une évaluation des producteurs africains pour l’approvisionnement en médicaments essentiels. Pour plus d’informations, voir les Consultative Meeting Presentations : https://www.theglobalfund.org/media/6582/psm_2017-06-globalfundfapmameeting_presentation_en.pdf, consulté le 2 mars 2020.
19 L’Usaid soutient un certain nombre de producteurs africains à travers le projet Promoting the Quality of Medicines. L’agence de coopération bilatérale américaine ne ferait plus de la préqualification OMS une condition. Son département des achats disposant de son propre système d’assurance qualité, elle mettrait en place ses propres critères d’évaluation de la qualité des médicaments (source : entretiens avec des responsables des approvisionnements pour l’Usaid, octobre 2017, Genève).
20 Ces auteurs mobilisent le concept des ways of knowing de John Pickstone et définissent cinq ways of regulating drugs : celle de l’État (ou les interventions administratives) qui est la plus traditionnelle, celle des professionnels (les sociétés scientifiques), celle des industriels (firmes pharmaceutiques), celle du public (société civile) et celle de la justice.
21 Les commissions du médicament consistant en l’évaluation technique des dossiers et la délivrance des AMM ont été ethnographiées durant plusieurs journées auprès de la DPMED au Bénin et de la FDA au Ghana. Cela nous a permis d’analyser le processus de décision et de mettre en évidence les critères d’évaluation et les différences de pratiques réglementaires entre les autorités nationales.
22 Le prix des médicaments au Bénin est fixé par l’État, voir chapitres 2 et 3.
23 Le terme me-too « désigne une substance développée pour pénétrer un créneau commercial déjà occupé par une spécialité voisine, sans apporter de bénéfice nouveau » (Hauray, 2006 : 147).
24 La politique nationale béninoise recommande l’utilisation de l’Asaq en cas de non-disponibilité ou d’intolérance à l’AL et chez l’enfant de moins de 6 mois. En plus de l’AL et de l’Asaq, nous avons trouvé au Bénin les combinaisons suivantes : dihydroartémisinine et pipéraquine ; dihydroartémisinine et sulfadoxine-pyriméthamine ; artésunate et sulfadoxine-pyriméthamine ; artésunate et méfloquine ; sulfaméthoxypyrazine, artésunate et pyriméthamine ; artémisinine et naphtoquine. L’OMS, pour sa part, recommandait jusqu’en 2006 l’usage de quatre combinaisons pouvant être utilisées en première intention en traitement du paludisme : AL, Asaq, artésunate-méfloquine (ASMQ) et artésunate-sulfadoxine-piriméthamine (ASSP) (WHO, 2001, 2006). La combinaison dihydroartémisinine-pipéraquine (DHPP) a été ajoutée par la suite (WHO, 2015).
25 Le programme de l’AMFM a été fortement critiqué par les représentants de la PMI et de l’Usaid opposés à toute forme de subventions pour le secteur privé. De leur point de vue, l’AMFM introduisait une certaine régulation du marché privé, celui-ci devant être régulé uniquement par les règles de la libre concurrence. Voir aussi à ce sujet Baxerres et al., 2015.
26 Sources : inventaire, réalisé en juin 2019, des médicaments contenant de l’albendazole et du mébendazole distribués en pharmacie à Cotonou pour le Bénin ; liste d’AMM de produits contenant de l’albendazole et du mébendazole fournie en 2015 par la FDA pour le Ghana.
27 Toutefois, nous verrons dans les chapitres 9 et 10 que la NHIS du Ghana se confronte à de nombreux défis.
28 Les perceptions différentes que les consommateurs ont des médicaments en fonction de leur nom commercial et de leur marque sont développées dans le chapitre 11.
29 Les firmes indiennes occupent notamment une place centrale dans la lutte mondiale contre le sida, la tuberculose et le paludisme (Singh, 2018).
30 Il y aurait 3 000 firmes pharmaceutiques en Inde et plus de 10 000 unités de fabrication légales leur appartenant (Cepuch et Ashalhani, 2018).
31 Tobinco a, entre autres, réalisé une publicité très efficace pour Lonart diffusée à la télévision ghanéenne et sur des panneaux publicitaires installés dans les rues : un moustique est jugé devant une cour de justice et le juge assène son marteau alors que la boîte du médicament apparaît.
32 Les négociations et jeux de pouvoir entre les acteurs nationaux et transnationaux sont intéressants à étudier. Tournant plutôt à l’avantage des seconds, elles soulignent néanmoins les marges de manœuvre des États et les procédés mis en place pour (re)conquérir leur souveraineté (Baxerres et Eboko, 2019 ; Pourraz, 2019 ; Pourraz et al., 2019).
33 Voir le procès intenté en 2001 par 39 firmes pharmaceutiques contre le gouvernement sud-africain au sujet de médicaments antirétroviraux (Whyte et al., 2002), ceux qui ont opposé en 2007, 2009 et 2012, la firme suisse Novartis et le gouvernement indien au sujet de la loi indienne sur les brevets et de son application pour le Glivec, un anticancéreux produit par la firme (Chaudhuri, 2013), ainsi plus largement que les confrontations entre l’État et les firmes pharmaceutiques en Inde et au Brésil (Cassier, 2013).
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Des marchés pharmaceutiques en mutation dans les Suds
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